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Hommage au Pr Lucien Israël

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Academic year: 2022

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258 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXVI - n° 6-7 - juin-juillet 2017

IN MEMORIAM

Lucien Israël n’est plus.

Le grand livre des pionniers de la cancérologie se referme aujourd’hui.

Son nom y sera marqué en lettres d’or à côté de celui de Jean Bernard, l’un de ses maîtres, et de Georges Mathé, son collègue.

Toute sa vie, Lucien Israël se sera attaqué à des causes difficiles,

avec comme qualités particulières un fighting spirit et une énergie inépuisables.

Ce guerrier de nature a mis en œuvre son fighting spirit dans la lutte qu’il mena, très jeune pourtant, contre cet autre cancer qu’était à l’époque le nazisme. Au moment où la France s’effondrait, il fut l’un de ces rares Français à dire non et à s’engager dans un mouvement de résistance. Il y développa une activité de passeur d’informations et de matériel à travers la ligne de démarcation, puis une activité de renseignement et de sabotage avec les cheminots résistants. Il se trouva plusieurs fois dans des situations de grand danger. Il nous fit l’honneur de raconter ces anecdotes avec élégance et surtout un humour très british.

Ce fighting spirit, il le mit plus tard au service du sport. Lucien Israël était en effet un athlète : “Morère, me disait-il, j’aurais dû être footballeur professionnel.” Je pense qu’il y avait effectivement pensé lorsqu’il jouait, je crois, du côté de Brive. Mais c’est dans le judo qu’il se révéla, gravissant un à un les différents degrés pour obtenir une ceinture noire et une expertise lui permettant d’affronter les maîtres japonais.

Cette passion pour ce sport se doublait d’une réflexion philosophique zen qui lui servit à de nombreuses reprises dans son enseignement. L’anecdote du samouraï dans le château en feu en est une illustration. Un samouraï est en train de sacrifier au rite de l’assemblage d’un bouquet au sein d’un château en feu. Comme on le sait, l’ikebana n’est pas simplement une décoration florale, mais une représentation de l’univers et de la place de l’homme dans cet univers. Concentré sur sa tâche, le samouraï périt sans sourciller dans les flammes. Cette anecdote pouvait laisser quelques externes de médecine interloqués. La signification de cette parabole était pourtant claire : rester concentré sur une tâche sacrée sans tenir compte des pressions extérieures.

Le message était aussi celui du don de soi. Vous l’aurez compris, le bouquet était l’allégorie du patient.

Ce dévouement total au patient est ce qui l’a guidé tout au long de la carrière médicale qu’il a fini par embrasser avec le même esprit guerrier.

Reçu au concours de l’internat des Hôpitaux de Paris en 1951,

chef de clinique-assistant des hôpitaux en 1956, puis médecin des hôpitaux, d’abord à l’hôpital Laennec, puis à l’hôpital Lariboisière. C’est là qu’il commence à développer sa lutte contre le cancer, en réalisant les premières chimiothérapies du cancer du poumon. Il est obligé de le faire dans des conditions précaires et doit résister aux pressions de l’administration pour poursuivre cette tâche considérée à l’époque comme une bizarrerie.

L’histoire raconte qu’il traite ses patients au bout d’un couloir, les perfusions accrochées à un porte-manteau. Il faut dire que, à l’époque, le traitement médical du cancer du poumon ressemblait à “Waterloo, morne plaine !”

Hommage au Pr Lucien Israël

Par le Pr Jean-François Morère

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La Lettre du Cancérologue • Vol. XXVI - n° 6-7 - juin-juillet 2017 | 259

IN MEMORIAM

C’est une fois devenu chef de service au CHU Avicenne et professeur de médecine qu’il peut continuer plus sereinement à développer la chimiothérapie en combinaison, dont il est l’inventeur avec son ami le Dr Ezra Greenspan, du Mount Sinai Hospital. Il s’impose ainsi petit à petit, au sein des associations internationales et dans son activité quotidienne, comme l’un des meilleurs cancérologues de son temps.

Ayant eu à le remplacer pour des réunions internationales à un moment difficile où il venait de perdre l’un de ses chers enfants, j’ai pu mesurer l’estime et l’admiration dont il bénéficiait de la part de ses collègues étrangers.

Son bouillonnement intellectuel ne s’arrêtait cependant pas à la recherche de la meilleure combinaison thérapeutique de chimiothérapies, devenue classique. Il souhaitait pouvoir développer d’autres angles d’attaque, et, en visionnaire qu’il était, il mit en œuvre, avec les moyens de l’époque, des essais d’immunothérapie du cancer : utilisation du BCG, de l’interféron, de l’interleukine 2, fabrication de microcapsules appelées liposomes et contenant un immunostimulant, avec quelques résultats spectaculaires ne permettant pas cependant d’emporter la conviction.

Je suis malheureux aujourd’hui de penser qu’il n’a pu voir en pleine conscience la concrétisation pratique du concept qu’il avait établi,

puisque, aujourd’hui, grâce au développement de nouveaux médicaments, l’immunothérapie du cancer a pris corps et s’inscrit comme un

des traitements de référence du cancer du poumon contre lequel il s’est battu toute sa vie.

À côté de cette activité clinique et de recherche effrénée, il prenait le temps de rédiger de nombreux ouvrages, allant de la réflexion sur la décision médicale qui pourrait être utile alors que prennent corps des plateformes informatisées d’aide à la décision médicale telles que Watson à des réflexions plus poussées, philosophiques, sur la fin de vie ou le fonctionnement du cerveau. Mais il n’oubliait pas le patient et faisait la part belle à des messages tournés vers le grand public, comme dans son livre Vivre avec un cancer.

Tous ces travaux justifiaient pleinement qu’il entre fièrement

à l’Académie des sciences et belles lettres, et nul autre ne méritait plus que lui les distinctions et les médailles qu’il a reçues : commandeur de l’Ordre national du mérite et commandeur de la Légion d’honneur, décorations qui témoignent de la reconnaissance de la nation pour le travail d’une vie.

Tout au long de ce parcours, mon admiration pour son cerveau bouillonnant d’idées et ses qualités de grand patron – je dis bien de grand patron, non pas de mandarin imbu de lui-même, mais de grand patron attentif à ses patients et à ses équipes – n’a pas faibli, non plus que mon affection respectueuse.

Lucien Israël n’est plus.

Il nous laisse Rônins, samouraïs sans maître.

Pour lui dire adieu, je ne peux qu’emprunter à Jacques Brel, un de ses amis, un de ses patients, qu’il a essayé de tirer des griffes d’un cancer du poumon, les mots d’une de ses chansons : “Adieu, je t’aimais bien, tu sais. On n’était pas du même bord, on n’était pas du même chemin, mais on cherchait le même port.”

Merci.

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