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L'approche systémique en psychiatrie transculturelle

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Academic year: 2021

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L’approche systémique en psychiatrie transculturelle

Mathieu Chicoisne

To cite this version:

Mathieu Chicoisne. L’approche systémique en psychiatrie transculturelle. Psychiatrie et santé men-tale. UNIVERSITE DU DROIT ET DE LA SANTE – LILLE 2 FACULTE DE MEDECINE HENRI WAREMBOURG, 2011. Français. �tel-01612913�

(2)

UNIVERSITÉ DU DROIT ET DE LA SANTÉ – LILLE 2

FACULTÉ DE MÉDECINE HENRI WAREMBOURG

Année 2011

THÈSE POUR LE DIPLÔME D'ÉTAT

DE DOCTEUR EN MÉDECINE

L'approche systémique

en psychiatrie transculturelle

Présentée et soutenue publiquement le 24 Juin 2011

par Mathieu Chicoisne

Jury

Président : Monsieur le Professeur Goudemand

Assesseurs : Monsieur le Professeur Thomas

Monsieur le Professeur Cottencin

Directeur de thèse : Monsieur le Docteur Semal

(3)

Remerciements

À mon maître et président de thèse :

Monsieur le Professeur M. Goudemand

Professeur de psychiatrie

Chef de pôle de psychiatrie

CHRU de Lille

Vous m'avez fait l'honneur d'accepter la présidence de cette thèse.

Je vous remercie de votre enseignement.

Vous m'avez toujours reçu et écouté avec bienveillance.

Veuillez trouver ici le témoignage de toute ma gratitude.

À Monsieur le Professeur P. Thomas :

Professeur de psychiatrie

Chef de service du SMPR Loos-Sequedin, CHRU de Lille

vous m'avez fait l'honneur de juger cette thèse.

Je vous remercie de votre soutien et de votre disponibilité au cours de mon

cursus d'interne.

Veuillez trouver ici le témoignage de ma reconnaissance.

À Monsieur le Professeur Cottencin

Professeur de psychiatrie

Chef de service d'addictologie

Hôpital Calmette, CHRU de Lille

vous m'avez fait l'honneur de juger cette thèse.

J'ai pu apprécier votre enseignement au cours de mon cursus d'interne.

Veuillez trouver ici le témoignage de mon respect.

(4)

À mon directeur de thèse

Monsieur le Docteur Robin Semal

Praticien hospitalier au sein du secteur 59G32

Responsable du dispositif d'addictologie du pôle de psychiatrie, CH de

Valenciennes.

Tu m'as fait l'honneur d'accepter de diriger ce travail. Je ne te remercierai

jamais assez de m'avoir permis de mener ce travail à bien, par ta bienveillance et

tes conseils avisés, ton intérêt pour cette thèse et ton ouverture d'esprit.

(5)

au Dr Delphine Gastal : pour nos discussions lors de la formations en thérapie familiale, pour le travail commun réalisé sur « les familles venues d'ailleurs ». Notre thèse lui doit beaucoup.

Ce travail a aussi été influencé par le groupe de travail « ethnopsychiatrie et systémie » du CECCOF* et ses réunions du lundi soir (Christine Bouvier, Delphine Gastal, Nejmeddine Hamrouni, Stéphane Jung, Nisha Kirpalani, Laurence Torregrosa, Maryline Le, Delphine Roger). Je remercie tout le monde pour m'avoir donné envie d'approfondir le sujet et de faire cette thèse, pour son soutien indéfectible, pour ses commentaires pertinents et ouverts sur mes présentations : nos discussions ont fait naître beaucoup des idées présentées dans cette thèse. Merci en particulier à Raffaela Cucciniello, pour ses explications sur l'ethnopsychiatrie et sur le dernier cas clinique, pour la proposition d'interprétation mise en oeuvre dans le dernier cas clinique. Je n'oublie pas Bernard Prieur, directeur du CECCOF, qui m'a formé pendant deux ans, et le Dr Fillatre, qui, le premier, m'a donné envie de me former en thérapie familiale.

Merci aux membres de l'association MSF-France qui m'ont fait confiance et m'ont permis de réaliser ma mission, que je ne citerais pas tous car ils sont trop nombreux, en particulier Mohammed Jarrar, traducteur pour toute ma mission et donc pour les cas cliniques présentés. Sa patience, son humanité, son ouverture et son humour m'ont beaucoup apporté. Merci à Nathalie Severy, pour ses supervisions lors de la mission.

Aux patients palestiniens qui se sont investis dans le suivi, ont fait confiance à l'étranger inexpérimenté que j'étais.

Aux collègues du Master 2 de clinique transculturelle.

À l'équipe de Marie-Rose Moro, pour ses cours de clinique transculturelle lors du Master 2, plus particulièrement Olivier Taïeb, pour son ouverture, sa gentillesse et son soutien.

À mes collègues internes de Lille, sur qui j'ai toujours pu compter, particulièrement : Alexandra Vaillant, Elsa Maitre, Mostafa Sherazy, Michael Prevot, Jérémie Marquet,... pardon pour ceux que j'oublie.

(6)

(initiateur du ciné-psy), Benjamin Rolland, Vincent Laprevote, je ne peux pas citer tout le monde. À tous les psychiatres que j'ai rencontré lors de mon internat, qui m'ont accompagné dans mon apprentissage. J'ai beaucoup appris d'eux, humainement et professionnellement. Je garderai avec moi leur enseignement, particulièrement : Laurence Soubelet, Benjamin Naneix, Catherine Adins, Eric Diers, Jean Oureib, François Medjkane, Pierre Delion, Thomas Dutoit, Aurélie Zouari, Eric Salomé, Kada Ouldamar, Frédéric Wizla, Véronique Lavisse, Mélanie Vaure, Aurélie Ameller, Jean-Jacques Révillion, Alexandre Bonord, Mickael Dufour... et ceux que j'oublie. Ainsi que les équipes infirmières, les psychologues : je me rappelle que le psychiatre ne peut travailler seul et je les remercie pour ce qu'ils m'ont apporté.

À mes parents, migrants d'une région à l'autre de la France, et mes frères, de l'autre côté de l'océan.

(7)

SOMMAIRE

I. INTRODUCTION...1

II. DÉFINITIONS ET CONCEPTS...6

II.1 DÉFINITIONS ...6

II.1.1 Ethnologie/ethnographie/anthropologie...6

II.1.2 Culture...6

A. Définition générale...6

B. Le statut de la culture dans le passage de l'universalisme au particularisme : le comparatisme...7

C. Un retour à l'universalisme de la culture chez les auteurs francophones : le structuralisme...7

D. Le relativisme culturel...8

E. La psychanalyse est-elle universelle? Le point de vue de l'ethnologie...8

II.1.3 Ethnopsychiatrie...9

II.1.4 Enculturation...9

II.1.5 Acculturation...9

II.1.6 Intégration et assimilation...9

II.2 LE CONCEPT DE MIGRATION ET SES IMPLICATIONS EN PRATIQUE CLINIQUE...11

II.2.1 Changement des rôles et des statuts sociaux...11

II.2.2 La parentalité des migrants...12

II.2.3 Motivation de la migration...13

II.2.4 Événement migratoire et trauma migratoire...13

A. Le trauma migratoire...14

B. Récit du trauma migratoire aux enfants...14

C. Le trauma migratoire chez les enfants...15

II.2.5 La transmission transgénérationnelle dans les familles de migrants...15

II.2.6 L'acculturation selon Devereux...15

A. L'isolement volontaire...15

B. Les emprunts et les prêts...16

C. L'acculturation négative/antagoniste...16

D. Conséquences cliniques...17

II.3 DIAGNOSTIC PSYCHIATRIQUE EN SITUATION TRANSCULTURELLE...19

II.3.1 Déviance, norme, et diagnostic psychiatrique/systémique...19

II.3.2 Épidémiologie des maladies mentales chez les migrants : constatations et limites...21

II.3.3 pathologies spécifiques à une culture : culture-bound syndromes...22

II.4 DEVEREUX ET LE COMPLÉMENTARISME...23

II.4.1 Définitions et mises au point ...23

A. Comparaison avec le comparatisme...23

B. Universalité psychique...24

C. Analyse du contre-transfert culturel...24

II.4.2 Description du complémentarisme...24

II.4.3 Les adaptations du cadre thérapeutique proposées par le complémentarisme...26

II.5 L'ETHNOPSYCHIATRIE DE TOBIE NATHAN...28

II.5.1 Biographie...28

(8)

B. La traduction qui est médiation...29

C. Le changement de paradigme : créer une médiation entre les différentes théories causales et thérapeutiques issues du milieu d'origine et du milieu d'implantation...30

II.5.4 Quelques spécificités du cadre de l'ethnopsychiatrie...31

A. Le cadre et les règles d'une séance d'ethnopsychiatrie « classique »...31

B. La place, le rôle du thérapeute principal...32

C. La place, le rôle du patient...33

D. la place des invisibles...33

E. la place des objets, des choses...34

II.6 LA CLINIQUE DES MÉTISSAGES DE M.-R. MORO...36

II.6.1 Biographie...36

II.6.2 Présentation de la consultation transculturelle et d'une séance en grand groupe...36

II.6.3 Modalités de prise en charge...37

II.6.4 Quelles indications et limites...38

II.6.5 Quels objectifs...39

II.6.6 Bases théoriques de la consultation...39

A. Une place centrale pour la psychanalyse...40

B. Place de la culture et mise en place du cadre culturel...40

II.6.7 Les relations de la famille avec les institutions...42

II.6.8 L'élaboration du contre-transfert culturel...42

II.6.9 La place des langues et de l'interprète...42

II.6.10 les fonctions du groupe : l'identité comme processus et non comme substance...43

A. Niveau de l'étayage et contenance...43

B. Niveau culturel...44

C. Niveau du groupe métissé...44

D. Multiplicité...44

II.6.11 Quels facteurs spécifiques d'efficacité pour ce dispositif?...45

II.7 PRÉSENTATION DE L'APPROCHE SYSTÉMIQUE GÉNÉRALE...46

II.7.1 Historique des concepts de base...46

II.7.2 Le sens du symptôme...47

II.7.3 Mode d'intervention...47

II.7.4 Deuxième cybernétique, constructivisme, résonances...48

II.7.5 Évolution et diversification...49

II.7.6 Comparaison historique entre ethnopsychiatrie et systémie...49

II.8 PRÉSENTATION DE MECA : MULTIIDIMENSIONAL ECOSYSTEMIC COMPARATIVE APPROACH...51

II.8.1 Une pratique issue du multiculturalisme...51

II.8.2 Le modèle d'intervention MECA...53

III. PRÉSENTATION DE CAS...55

III.1 CAS 1 ET 2 « UN SILENCE ÉLOQUENT »...56

III.1.1 Présentation...56

III.1.2 Traduction du texte original...58

III.1.3 Quels implicites à réexaminer? ...66

A. Famille A...66

B. Famille B...69

III.1.4 La place des langues et du silence dans les deux cas : comparaison...72 III.1.5 La place de la culture collective : comparaison avec un cas clinique

(9)

III.1.6 Transition vers les cas cliniques suivants :

vers une plus grande importance de la culture collective...75

III.2 CAS CLINIQUES PALESTINIENS : CONTEXTE...77

III.2.1 Contexte personnel...77

III.2.2 Contexte politique : le conflit israélo-palestinien...77

III.2.3 Structure familiale et sociétale en Palestine...78

III.2.4 Contexte institutionnel : MSF...79

III.3 CAS CLINIQUE 3 « LES MAUVAIS ONCLES »...81

III.3.1 Synopsis...81

III.3.2 Analyse...84

A. Règles de la communication et conséquences pour la pratique systémique : échec du premier conseil...84

B. La problématique de la dette et du don, le conflit des loyautés : échec du second conseil...85

C. La communication des informations se fait malgré tout...87

D. Récapitulatif et transition...89

III.4 CAS CLINIQUE N°4 « PRISONNIER D'UNE GUERRE PERDUE »...90

III.4.1 Présentation et positionnement du cas dans notre travail...90

III.4.2 Synopsis...91

III.4.3 Analyse ...96

A. Traumas et attaques identitaires...96

B. Le cadre thérapeutique, son utilité dans l'élaboration du traumatisme.98 C. Clôture du suivi...99

D. Caractère systémique de la prise en charge...100

III.5 CAS CLINIQUE N°5 « FUIR DU FOYER, FONDER UN FOYER »...102

III.5.1 contexte et position dans la thèse...102

III.5.2 Présentation de la situation initiale...103

A. La famille au moment du début de la prise en charge...103

B. Contexte institutionnel...104

C. Histoire familiale ...104

D. Historique et politique...106

E. Culture...106

F. Chronologie familiale...107

III.5.3 Déroulement de la prise en charge ethnopsychiatrique...108

III.5.4 synthèse des interventions ethnopsychiatriques réalisées...112

III.5.5 Théorisation systémique...113

A. Une lutte de pouvoir et de légitimité au premier plan...113

B. Propositions thérapeutiques...114

C. Histoire de vie du père : à la recherche d'un conflit antérieur avec les parents...115

D. Du conflit avec les parents au conflit politique...116

E. Une progression dans l'acculturation...116

F. Comment faire exister les absents et les morts : « chaise vide » et loyautés invisibles...119

III.5.6 Points communs et différences...120

IV. DISCUSSION...122

IV.1 LA PLACE DE LA CULTURE...122

IV.1.1 La découverte de l'autre et le droit à l'erreur : une place particulière pour la culture en TSF...123

(10)

IV.2.1 La migration comme expérience d'un changement dans la

distribution des rôles dans la famille...126 IV.2.2 Les résonances et leur utilisation en contexte transculturel...127 IV.2.3 Du « sacrifice » au family self...129 IV.2.4 Comment agir dans un mode d'organisation de l'autorité et de la

communication différent...130 IV.2.5 De la « résignation » à l'acceptation...131 IV.2.6 La co-construction d'un récit commun et acceptable

comme processus central...132 V. CONCLUSION...134 VI. ANNEXES

VI.1 BIBLIOGRAPHIE ...138 VI.2 GLOSSAIRE...141 VI.3 RÉSUMÉ...143

(11)

I.INTRODUCTION

D'un point de vue démographique, les immigrés représentaient 8,1% de la population en 2004, dont 40% étaient de nationalité française. 1,5 millions étaient originaires du Maghreb, 1,7 millions de l'Europe des 25, le reste se répartissant principalement entre Asie et Afrique sub-saharienne (INSEE, 2004). Il existe une légère surreprésentation, dont nous discuterons des causes, des migrants de la première et deuxième génération dans les structures de soins psychiatriques (Baubet, 2003), ce qui fait du sujet de la prise en charge des migrants un sujet important dans la pratique clinique psychiatrique.

Nous définissons ici une famille migrante en thérapie lorsqu'il est retrouvé une immigration vers la France chez un de ses membres ou de ses ascendants, en rapport relativement direct avec un trouble psychiatrique à l'origine de la consultation1, et sans limite de temps a priori. En effet, même si elles se

raréfient2 avec le passage des générations, les problématiques directement liées à la migration

apparaissent rarement tout de suite après l'arrivée dans le pays d'accueil.

D'une façon plus générale, la légitimité de la psychiatrie se fonde sur l'analyse clinique et le diagnostic d'une éventuelle maladie psychiatrique, et la possibilité de la prise en charge qui en découle. Pour cela, il est indispensable au psychiatre de comprendre le symptôme. Son sens dépend l' « ici et maintenant » du patient, de sa famille, de son environnement, y compris les conditions matérielles et la société dans laquelle il vit. Cela est vrai quelles que soient les cultures du psychiatre et du patient, mais les modalités en sont particulières dans un contexte transculturel3, où il est encore plus important de

travailler avec l' « ailleurs et l'avant ». Ce va-et-vient entre ici/ailleurs, avant (avant la migration, mais pas seulement) /maintenant, permet de resituer le patient dans son contexte actuel puis d'envisager son avenir.

On retrouve souvent chez les migrants nécessitant des soins un clivage entre leurs différentes identités et les cultures qui y correspondent. Ce clivage occupe le plus souvent une position centrale dans la souffrance du patient et sa psychopathologie. Il ne prend cependant pas seulement racine dans le psychisme du patient mais se construit en interaction avec la société d'accueil, la famille, les institutions... C'est de cette situation que provient l'importance d'ajouter encore une autre dimension à la relation thérapeutique, le va-et-vient soi/autre.

Un détour vers la sociologie et l'anthropologie de l'accueil et de la situation des migrants en France est maintenant nécessaire, cette toile de fond étant indispensable à tout clinicien qui reçoit des migrants, comme nous allons en décrire les influences dans les cas cliniques. Nous allons donc poser les jalons situant le contexte social, culturel, historique et politique dans lequel la migration prend place.

1 Ou d'un autre recours à des professionnels (notamment des travailleurs sociaux)

2 heureusement pour les migrants de l'Amérique, l'Australie, qui constituent la majorité de la population!!!

(12)

Ce contexte est d'abord crucial pour la détermination du « type » de population qui arrive en France (immigration choisie, regroupement familial, « sans-papiers »...) et y reste. Les modes d'acculturation*, ainsi que l'effet de celle-ci sur la santé mentale, dépendent eux aussi en grande partie de l'attitude (au sens large) de la population qui accueille.

Le modèle officiel d'intégration de la France est ainsi hérité de l'idéal républicain, égalitaire et laïque de la Révolution Française (Bibeau, 1997). Si cet idéal d'intégration à une culture commune par le « creuset républicain », est par bien des aspects bénéfique, par exemple dans la favorisation de liens personnels entre membres de différentes cultures, par la volonté égalitariste de faire bénéficier les migrants des mêmes conditions de vie, des mêmes avantages sociaux, des mêmes droits et devoirs que les autochtones, il peut parfois mener à interpréter trop facilement les volontés de vouloir garder des éléments de sa culture d'origine comme une résistance à l'intégration. On peut à ce propos rappeler que dans l'histoire, les moyens employés par l'Etat ont été plus ou moins doux avec ceux qui semblaient ne pas s'y soumettre assez vite4 , pour des raisons idéologique de défense de l'état-nation et de ses valeurs

(notamment contre le pouvoir du clergé/de la religion, de la noblesse/des idées royalistes, des velléités séparatistes/concernant la langue officielle qui est le français, etc...) vues comme supérieures et menacées par certaines oppositions régionales. Si actuellement des Berrichons ou des Nordistes, voire des migrants de 3e ou 4e génération polonais ou italiens peuvent facilement se revendiquer comme Français tout en conservant certains particularismes culturels, la double appartenance semble plus difficile à négocier lorsque par exemple il s'agit de personnes d'origine africaine. Une réaction de stigmatisation semble plus fréquente lorsque l'« étranger » est perçu comme une menace contre la culture, les valeurs, et le mode de vie « français ». La visibilité de ces « étrangers » et « fils d'étrangers », plus que l'augmentation de leur nombre5, par la stigmatisation et la couverture médiatique

dont fait l'objet entre autres le « jeune de banlieue », dont le stéréotype comprend l'association de l'origine africaine et de la délinquance, peuvent contribuer à augmenter ce sentiment de menace, que les personnes stigmatisées ne peuvent pas ne pas remarquer et prendre en compte.

L'intégration française des migrants se fait entre l'état et l'individu, qui doit témoigner de son « intégration républicaine 6», pour obtenir le droit de rester en France, et reconnaît moins les

appartenances groupales (religieuses, communautaires, familiales, etc...) et leurs injonctions que les pays d'origine de beaucoup de migrants. À la fois sa communauté d'origine, et la communauté d'accueil peuvent exiger de lui qu'il prenne des positions publiques, qu'il adopte des pratiques visant à prouver sa loyauté envers telle ou telle idéologie, ouvrant la porte à de nombreuses injonctions contradictoires. Nous y voyons là un reflet des conflits internes que présente le patient migrant qui consulte.

4 Ainsi de la « défense » de la langue française contre les langues régionales (breton, basque,etc...) 5 Au sens légal

(13)

Cette prise de position, parfois obligatoire, parfois rigide, prend paradoxalement place dans un monde où le statut de la culture change, devient plus flou. En écho à ce que M.R. Moro appelle le

métissage en parlant d’enfants de migrants qui doivent s'affilier à deux cultures, Bibeau (1997) décrit à

l'échelle mondiale une créolisation des cultures : les échanges, les interpénétrations entre cultures sont bien plus intenses, et on peut difficilement retrouver une hypothétique culture pure, vierge de toute influence étrangère7. La colonisation, la mondialisation, l'amélioration des moyens de transport et de

communication, la diminution des barrières aux voyages, font que les hybridations de cultures sont de plus en plus fréquentes et importantes, même parmi les personnes qui ne migrent pas. Les cultures, en elles-mêmes, sont devenues de plus en plus hétérogènes et influencées les unes par les autres.

C'est avec cet arrière-plan macrosociologique que nous allons développer notre travail qui porte sur les aspects cliniques de la psychiatrie transculturelle. Plusieurs théorisations permettent de dépasser, dans le contexte de créolisation, ce (pseudo-)clivage et ses conséquences dans la relation soignant-soigné : nous commencerons par celles issues du complémentarisme de Georges Devereux, et les différentes théories anthropologiques de l'acculturation. La psychanalyse décrira ces phénomènes comme les mouvements transférentiels, mais ici teinté du « contre-transfert culturel » issu des travaux de Devereux (Nathan, 2001), qui désigne les réactions du psychiatre8 en contact avec quelqu'un d'une

autre culture, dans ses dimensions identitaires (sociales, professionnelles,etc...), ainsi que ses idéologies implicites. Les approches relevant de la systémie consacrées spécifiquement à la différence culturelle sont peu développées tant sur le plan clinique que sur le plan des publications: les approches systémiques du constructionnisme social se sont concentrées surtout sur d'autres aspects du contexte social, comme le genre, le niveau socio-culturel, les difficultés économiques (même si leur théorisation reste valide pour la question des minorités ethniques et de la discrimination qui peut y être reliée)9.

Nous avons voulu dans cette thèse montrer la pertinence de l'approche systémique dans le travail avec des patients d'une autre culture, notamment en suivant les théorisations de Falicov (2003). Étant donnée l'absence de pratique systémique spécifique aux migrants en France, il nous a paru nécessaire de la confronter à un état des lieux des pratiques et théories psychiatriques visant spécifiquement cette population : l'ethnopsychiatrie et l'ethnopsychanalyse. Cette confrontation sera d'autant plus féconde que de nombreux éléments trans-théoriques peuvent en être intégrés (acculturés?) ou trouver un équivalent systémique.

Nous aborderons donc notre travail par les pré-requis anthropologiques, accompagnés de quelques définitions indispensables pour la compréhension du reste de notre travail. Ensuite nous

7 Voir par exemple Lévi-Strauss à la recherche des indiens du Brésil dans tristes tropiques 8 Ou de toute autre personne en contact : travailleur social, voisin,etc...

(14)

présenterons d'une façon trans-théorique les diverses conceptualisations de la migration, puis la question du diagnostic médical de la maladie psychiatrique dans ce contexte. En effet, les techniques psychothérapeutiques et médicales ont des façons de désigner les symptômes, les maladies et les traitements assez variables. La question des enrichissements réciproques, recoupements et différences entre ceux-ci ne doit donc pas être négligée dans un contexte transculturel qui bouleverse les repères cliniques habituels. De ce fait un retour sur les différentes techniques psychothérapeutiques nous est apparu nécessaire. Nous commencerons par le complémentarisme de Devereux, et l'ethnopsychiatrie et l'ethnopsychanalyse qui en ont découlé, avant de revenir sur l'approche systémique générale, puis, plus particulièrement, de ce que Falicov (2003) a développé dans un contexte transculturel, en Californie.

Les études de cas sont indispensables selon nous pour ce qui est de faire comprendre et d'exposer les processus qui traversent la prise en charge des migrants. Les différentes étapes de ce processus seront donc abordées au travers de différents cas cliniques complémentaires (rencontre clinique, diagnostic, définition des objectifs, traitement, et clôture du suivi).

Les pratiques thérapeutiques à destination des migrants doivent tenir compte à la fois des effets et des causes de la migration, mais aussi de la confrontation à une culture très différente (au quotidien et lors des thérapies). Pour l'illustrer, nous aborderons les deux premiers cas cliniques de familles migrantes, décrits par Sluzki (1983) à San Francisco, portant peu sur la différence culturelle au sein de l'espace thérapeutique. Notre interprétation complémentaire, avec des outils plus récents, permettra au lecteur de réaliser la différence d'enjeux entre l'acte de migrer et la situation de différence culturelle qui en résulte.

Les deux cas cliniques suivants, issus de notre expérience personnelle d'expatrié en Palestine, avec des patients non migrants, évoqueront l'impact de la différence culturelle avec le psychiatre dans l'espace thérapeutique. Le premier concernera, chez une patiente présentant un trouble de l'adaptation avec des affects dépressifs, les difficultés dans l'évaluation des règles familiales/culturelles et donc dans leur utilisation ; il montrera qu'il est tout de même possible de s'appuyer sur la nature universelle des notions de justice, de dette et de don pour la thérapie. Le second parlera de l'utilisation de la différence culturelle pour élaborer l'énonciation d'une expérience traumatique chez un patient présentant un ESPT*; il décrira aussi les conséquences inattendues sur l'organisation familiale de l'amélioration du patient. Ce chapitre sera conclu par des réflexions sur les modalités de la rencontre thérapeutique.

Le dernier cas clinique combinera à la fois des enjeux liés à la différence culturelle ainsi que liés à la migration. Ces derniers ne s'estompent pas toujours avec le temps, et les enfants de migrants, qui n'ont pas bougé du pays d'accueil (devenant pour eux un pays d'origine), sont toujours confrontés à une certaine différence culturelle entre le foyer et le monde extérieur. Une des dimensions essentielles

(15)

de la culture10 étant sa transmission, on remarque que la transmission entre les générations11 se fait avec

plus de difficultés lorsque les parents n'ont pas intégré leurs expériences de vie et/ou ont un sentiment d'identité fragmentée. Les choix de transmission des parents ne sont dans ce cas pas toujours facilement tenables. C'est une des problématiques psychologiques les plus fréquentes en France actuellement à propos des migrants. Ce sera finalement l'objet du dernier cas clinique, qui décrit une prise en charge ethnopsychiatrique familiale où les enjeux transgénérationnels de l'acculturation et de la transmission sont particulièrement patents. Dans cette situation clinique d'une famille d'origine tamoule dont les parents ont des problèmes de dépendance à l'alcool et de violences conjugales nous présenterons deux parties :

- la première sera la présentation commentée du suivi en ethnopsychiatrie sur 6 séances - la seconde concernera notre travail d'hypothétisation, de théorisation du cas clinique et des axes de travail que nous aurions pu aborder si nous avions réalisé le suivi.

Ainsi, notre thèse a pour objectif essentiellement de décrire, de dessiner les contours de ce que peut être la pratique systémique d'un psychiatre en situation de différence culturelle. Partant des apports des cas cliniques, nous les associerons à une mise en perspective au travers des disciplines et théories psychothérapeutiques. C'est ce que la discussion fera, mettant en rapport ce que l'étude des 5 cas apporte à la réflexion générale, tant au niveau des similitudes que des différences. Nous aborderons particulièrement le statut de la culture/des cultures et la nécessité de questionner les multiples niveaux identitaires du patient et du thérapeute. Nous parlerons des conflits engendrés par les modes de fonctionnement uniques créés par ces interactions complexes ; et dans une optique thérapeutique nous décrirons aussi la possibilité de se servir des différences pour faire naître la créativité, notamment autour des thèmes de la transmission intergénérationnelle, et de l'universalité de l'homme et de ses valeurs fondamentales.

(16)

II.DÉFINITIONS ET CONCEPTS

II.1 DEFINITIONS

Si notre thèse s'efforcera de décrire une approche clinique psychiatrique, il n'en reste pas moins que de nombreux concepts ressortissant d'autres disciplines seront nécessairement utilisés. Il est important pour le lecteur de bien saisir ce que chaque terme spécifique recouvre. C'est la raison pour laquelle nous avons intégré ce chapitre au début de notre travail.

II.1.1 Ethnologie / Ethnographie / Anthropologie :

(tirées de l'avant propos au « dictionnaire d'ethnologie et anthropologie », Bonte &Izard, 1991)

Les termes d'ethnographie, ethnologie, et anthropologie caractérisent 3 étapes, à la fois autonomes et inséparables, d'une même démarche d'ensemble. L'ethnographie est la phase d'élaboration des données qui nourrissent une monographie, c'est-à-dire l'étude approfondie d'un terrain particulier. L'ethnologie constitue les premiers pas vers la synthèse (géographique, historique, systématique...) et la comparaison des études ethnographiques. L'anthropologie, par la comparaison, la généralisation et la théorisation, se rapproche d'une « connaissance générale de l'homme ».

Le parcours de la réflexion peut aller du particulier au général. Il peut aussi, du général au particulier, conduire à réinterpréter des données de terrain ou modifier une méthodologie ethnographique ou ethnologique.

Quant au terme d’ethnie, son sens est très flou. En France, il oscille entre race et culture, langue d'origine... Il n'est pas raciste en lui-même mais pourrait être employé dans des discours racistes.

II.1.2 Culture

A

.d éfinition générale :

On doit d'abord faire la distinction entre les cultures et la culture. On retiendra comme consensus pour « les cultures » la définition suivante (Dictionnaire) : « les formes de la culture collectivement pensées et vécues dans l'histoire ».

La définition du terme « culture », quant à elle, est plus sujette à controverse. Il en existe de multiples définitions précises dont aucune ne semble s'imposer. On peut citer Tylor, 1871 (anthropologue), qui évite les difficultés en donnant une définition descriptive, large, et non explicative : « Ensemble complexe incluant les savoirs, les croyances, l'art, les moeurs, le droit, les coutumes, ainsi que toute disposition ou usage acquis par l'homme vivant en société ».

La notion de transmission, absente dans cette définition, semble cependant fondamentale dans le concept : comment parler de la culture sans parler de la façon dont elle s'incarne dans chaque individu,

(17)

les dépasse et leur survit? La culture et sa transmission sont entre autres ce qui différencie l'homme de l'animal.

B.Le statut de la culture dans le passage de l'universalisme au particularisme : le comparatisme Le développement de l'anthropologie culturelle en tant que telle, à côté des disciplines plus anciennes comme l'anthropologie physique (mesures en tous genres du corps humain) et l'anthropologie sociale (qui se rapproche de la sociologie) commencera avec la remise en question de la hiérarchie des cultures par Boas (1940, cité par Bonte et Izard, 1991), inventeur de l'ethnographie, et précurseur de l'étude des cultures au pluriel. Après description comparative de nombreuses langues, il montra qu'elles avaient un même niveau de complexité et une même adaptation à leur fonction. Cependant, cet abandon de la hiérarchie aura comme corollaire dans cette théorie (que l'on allait appeler culturalisme) une séparation des différentes cultures comme totalités sociales autonomes et fonctionnelles. En simplifiant, on pourrait dire que de ce point de vue chaque culture permet la vie et le développement harmonieux de ses membres d'une façon spécifique et unique, et donc ne peut pas être comparée point par point avec d'autres mais uniquement globalement. Tout élément culturel devra donc être replacé dans son contexte pour être compris.

Le courant du culturalisme qui en dérive, lui-même divisé en plusieurs sous-courants pourra aller dans certains excès d'explication de tous les comportements par la culture, laissant de côté l'individu. Par exemple le courant « culture et personnalité » cherchera au moyen de concepts psychanalytiques employés sur un niveau collectif à déterminer la « personnalité de base » dans chaque culture, en fonction notamment des modes d'éducation (Kardiner, Mead, etc...), en négligeant pour certains le niveau développemental individuel et ses variations à l'intérieur d'une même culture. Cette notion psychologisante et totalisante de l'anthropologie fut remise en cause par Lévis-Strauss qui fonda

le structuralisme, ainsi que par Devereux, qui fonda les bases de l'ethnopsychanalyse, envisageant une

combinaison de la psychanalyse et de l'ethnologie selon une méthodologie complètement différente, le

complémentarisme.

C.Un retour à l'universalisme de la culture chez les auteurs francophones : le structuralisme « Nous appelons culture tout ensemble ethnographique qui, du point de vue de l'enquête, présente, par rapport à d'autres, des écarts significatifs » (Levi-Strauss). Pour lui, la culture est une variété, opposée à la nature qui est universelle.

Le thème de la totalisation culturelle est remis en question par Lévi-Strauss et le structuralisme : contrairement au comparatisme il définit la diversité des modes culturels (et aussi le fait que chaque culture soit unique) comme l'effet de combinaisons différentes d'éléments communs et universels. On peut donc, derrière la diversité, rechercher les invariants culturels car ceux-ci doivent nécessairement

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être présents pour permettre la vie en société. Par exemple, les multiples formes de la prohibition de l'inceste sont pour lui sous-tendues par la nécessité de l'exogamie, qui permet les interactions entre groupes, et une évolution plus rapide de ces groupes par les échanges (et aussi une moindre consanguinité). Les structures (d'où le terme « structuralisme ») sous-jacentes, que l'on doit découvrir par une étude approfondie (empruntant parfois à la psychanalyse) sont plus universelles, et les rapports entre éléments suivent des lois spécifiques.

D.Le relativisme culturel

Il n'y a pas de définition générale, exhaustive et non ambiguë, de la culture telle qu'elle permettrait d'identifier et de distinguer un nombre fini de cultures historiques. Il ne faut donc pas faire des cultures des entités autonomes et closes. Selon le niveau d'analyse, elles sont à la fois semblables et différentes entre elles : « on peut comparer la France et l'Angleterre, ou Paris et Marseille... » (Levi-Strauss).

Actuellement, la recherche en anthropologie insiste sur le fait que les cultures pures n'existent pas : le multilinguisme, la « créolisation », de plus en plus étendus, viennent contredire Boas sur la totalité de chaque culture. A l'intérieur d'une même culture (ce qui est un concept de toutes façons difficile à définir), il existe une multiplicité de messages et de codes, de sous-systèmes et de sous cultures (Drummond, 1981).

D'un point de vue historique et politique, on se doit aussi de s'interroger sur l'évolution des cultures selon les valeurs, le milieu, les croyances et les institutions, en reconnaissant la co-évolution du culturel et du social.L'identité culturelle pure est donc mise en cause : où sont les limites d'une culture, y a-t-il des cultures pures ? Quoi qu'il en soit, leur hiérarchisation n'a aucun sens.

Pour conclure, aucune culture n'est isolée : elles varient progressivement dans le temps et dans l'espace, physique et/ou social. De plus, l'augmentation de la vitesse de circulation des idées, des personnes et des techniques entre les cultures nous conduit à insister sur l'importance croissante des phénomènes de métissages (concept cher à MR Moro), pouvant s'opposer à la tendance de chaque culture à vouloir affirmer ses limites, son identité, ses différences, sa singularité.

E. la psychanalyse est-elle universelle? Le point de vue de l'ethnologie

C'est un débat qui motivera toute une série de recherches ethnologiques et d'élaborations théoriques. Malinovski, en 1927, aux îles Trobriand, décrira une société matrilinéaire, dans laquelle le complexe d'Oedipe décrit par Freud n'existe pas en tant que tel : il n'y a pas d'agressivité et d'identification envers le père associées à un refoulement des pulsions envers la mère. A la place, on retrouve des pulsions hostiles et une rivalité dirigées contre l'oncle maternel et des désirs incestueux orientés vers la soeur. Malinovski en déduit donc que le complexe d'Oedipe décrit par Freud n'est pas universel, mais que des

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variantes, sous une forme ou une autre, en sont toujours présentes. Les Ortigues, dans « L'Oedipe africain », développent cette théorie à partir de leurs travaux à Dakar. C'est le principe de base du

fonctionnalisme : les éléments culturels d'une société ont pour fonction de répondre aux besoins les

plus importants de ses membres, mais les moyens pour atteindre cet ensemble de fins sont très variables. Ceci explique les processus de triangulation oedipienne et ses « traductions » dans les sociétés matrilinéaires, où on parlera donc plutôt de complexe matrilinéaire. A propos de ce complexe matrilinéaire, Devereux dira « La théorie de la gravitation n'est pas infirmée par l'existence des avions! » (ethnopsychanalyse complémentariste, 1985 p. 85)

II.1.3 Ethnopsychiatrie

En France, Georges Devereux est considéré comme le fondateur de la discipline au niveau théorique. Il l'appellera aussi, avec un sens proche, ethnopsychanalyse (voir paragraphes spécifiques)

II.1.4 Enculturation

C'est la façon dont, dans son développement, l'être humain s'imprègne de la culture à travers le corps (techniques de maternage, contacts physiques, alimentation), les relations affectives, les apprentissages intellectuels...

II.1.5 Acculturation

Ce concept est assez vaste et par là même a des limites peu précises. L'acculturation désigne les modalités d'interaction entre deux cultures (ou plus) en contact. Les théories actuelles sur l'acculturation insistent sur les influences multiples et réciproques qui agissent dans toutes les cultures, aucune culture au XXIe siècle ne pouvant être considérée comme isolée et vierge de toute influence. L'acculturation est définie comme une communication entre deux cultures, ce qui a plusieurs conséquences :

- Les « messages » (explicites ou implicites) sont assimilés d'une façon propre à chaque culture et un élément culturel ne sera jamais intégré ou compris tel qu'il était dans sa culture d'origine.

- De même que deux personnes en présence ne peuvent pas ne pas communiquer, à partir du moment où deux cultures connaissent réciproquement leur existence, les mécanismes d'acculturation entrent en action : l'antagonisme, les échanges,mais aussi l'isolement, ont des effets sur les deux cultures. Nous en détaillerons les spécificités cliniques dans le chapitre consacré à Devereux.

II.1.6 Intégration et assimilation

Les définitions en sont variables, mais on oppose souvent ces deux termes en insistant sur le fait que l'assimilation consiste en la disparition totale des spécificités, alors que l'intégration consiste à

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opérer les changements culturels essentiels à l'insertion dans la société, tout en pouvant garder les particularités qui ne nécessitent pas d'être changées. L'acculturation est donc ce qui permet l'intégration ou l'assimilation.

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II.2 LE CONCEPT DE MIGRATION ET SES IMPLICATIONS EN

PRATIQUE CLINIQUE

« La migration n'est pas seulement un fait social mais aussi un événement de vie au sens psychologique du terme, avec ses potentialités traumatiques mais aussi créatives. »

Marie-Rose Moro (2002)

Ce chapitre a pour objet de décrire les principaux effets de la migration sur les familles, les individus et la transmission transgénérationnelle. Il reprend les thèmes décrits comme importants à aborder avec les familles migrantes, dans la littérature. Ceux-ci sont nécessaires pour co-construire le système thérapeutique en prenant en compte les effets et les problématiques spécifiques de la migration, notamment sur l'intégration dans la société d'accueil, le trauma migratoire, les rôles sociaux. Les descriptions de la façon d'aborder la migration et des thèmes les plus pertinents en pratique clinique sont semblables, dans les généralités, selon Falicov (1983, 2003), Moro (2002) ou Nathan (1987) ; elles ne sont d'ailleurs pas conceptuellement reliés à une théorie psychothérapeutique.

II.2.1 Changement des rôles et des statuts sociaux

Au vu de la place des analyses et des interventions se basant sur les rôles familiaux en thérapie familiale, il apparaît nécessaire d'aborder spécifiquement ce thème. Le type de rôle, leur distribution dans la famille et leurs organisations dépendent en grande partie de ce que la culture d'origine définit comme norme. Il faut, cependant, se garder de tomber dans l'un des extrêmes suivants :

- prendre une problématique familiale pour une différence culturelle (caractère intouchable et réifiant de la culture attribué par l'observateur). Il ne faut pas considérer la culture comme quelque chose d'immuable et/ou que l'on ne doit pas tenter de modifier. Certaines pratiques, déjà discutables dans le pays d'origine, peuvent être encore plus inadaptées dans le contexte du pays d'accueil (punitions corporelles, travail des enfants...)12. Des pratiques peu souples, ou générant beaucoup de souffrance, ne

permettant pas un épanouissement 13, peuvent être maintenues et empêcher l'évolution d'un système sous

le prétexte de la différence de culture.

- prendre des pratiques culturelles différentes pour une problématique familiale (ethnocentrisme de l'observateur). Dans le diagnostic médical, mais aussi dans la recherche de symptômes et de

12 Il faut souligner par ailleurs que la culture française n'est pas épargnée : l'adolescence y est particulièrement difficile pour

beaucoup d'entre eux, pris entre les exigences contradictoires de se comporter en adulte avec un statut d'enfant (Léandre, 2002)

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comportements significatifs selon la méthode systémique, de nombreuses normes culturelles implicites sont en jeu : ainsi un enfant de 1 an qui dort depuis la naissance tous les soirs dans le lit de ses parents pourra faire soupçonner une difficulté de séparation, une difficulté de couple... si les parents sont de culture française. Alors que tous les enfants maliens dorment dans le lit de leurs parents jusqu'à plus d'un an! Parfois la demande, lorsqu'elle provient d'une institution et pas de la famille elle-même, peut concerner une pratique culturelle qui n'est pas pathologique en soi. Si la systémie ne définit pas de normalité a priori et définit des symptômes en étudiant leur fonction dans un contexte, il est toujours possible pour un thérapeute de TSF d'interpréter de façon erronée le contexte

Nous reviendrons sur la notion de normalité dans le contexte transculturel dans le chapitre consacré au diagnostic.

Les rôles sociaux sont modifiés par de multiples intermédiaires :

- par la structure différente de la société : mode d'éducation, place de l'école, fonctions des parents, différence entre les sexes...

- par le fait de migrer. Par exemple, au Canada, la politique d' « immigration choisie »14 sur des

critères de diplômes, mais ne garantissant pas un travail, fait que de nombreux médecins ou ingénieurs n'exercent que des emplois sous-qualifiés. D'une manière plus générale, le chômage touche plus souvent les immigrés que les autochtones. Les migrants sont plus souvent dans une situation sociale défavorisée...

- évidemment par la séparation d'avec la famille et le groupe social, mais aussi par la suite le regroupement familial qui peut brutalement rompre l'illusion de la réussite du migrant que celui-ci entretenait avec la complicité tacite de ceux restés au pays.

- par le fait d'être « un étranger », une minorité... Cela dépend de la place faite à la différence, de la prévalence et du mode d'expression du racisme et de la stigmatisation. Scandariato (1993) décrit la position du migrant comme se résumant souvent à une double contrainte : « tu dois t'intégrer mais tu seras toujours un étranger ».

- enfin, il importe de savoir quel effet sur les réseaux de soutien informels la migration a eu. Se retrouver isolé dans le pays d'accueil est un facteur de risque de difficultés diverses et notamment psychologiques, alors que certaines communautés bien organisées ou les regroupements familiaux permettent assez vite de soutenir les migrants nouvellement arrivés.

II.2.2 La parentalité des migrants

Plusieurs facteurs concourent à mettre en difficulté la parentalité des migrants. Premièrement, les mères sont souvent isolées de leur famille, du groupe des mères qui les soutiendraient, leur

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donneraient des conseils ou des aides si elles étaient restées dans leur milieu d'origine (Stork, citée par Moro, 2002). Leur isolement est, de plus, accru par des conditions sociales précaires. Leurs modes de maternage sont en général peu valorisés par le pays d'accueil (les institutions sociales les connaissant en général peu) et la mère doit simultanément intérioriser les valeurs de la société d'accueil et transmettre ses valeurs traditionnelles. Deuxièmement, comme nous allons le développer, la parentification fréquente de l'enfant, favorisée par sa meilleure connaissance de la société d'accueil, de la langue lui donnent des fonctions pouvant dépasser son statut d'enfant et rendre l'autorité parentale plus difficile à exercer.

II.2.3 Motivation de la migration

La migration associe toujours, en proportions variables, le libre choix et des contraintes externes (Moro, 2006). Ses motivations sont souvent multiples et auront un effet sur le déroulement de la migration :

− fuite et demande d'asile,

− migration économique,

− études,

− éloignement d'un passé vu comme étouffant : famille d'origine, traditions, ancien statut stigmatisant (par la classe sociale, la réputation, le métier, des antécédents psychiatriques, judiciaires...)

− fuite de difficultés diverses : troubles psychologiques, dettes, condamnations...

− regroupement familial,

− départ planifié par la personne elle-même ou au contraire plus ou moins missionné par la famille,

− tradition de migrations de la famille, du village, de la région, du pays (Pologne, Comores, etc...) ou au contraire migration isolée.

Elle peut être (souvent) prévue comme temporaire au départ et ne s'inscrire dans la durée qu'au moment de l'arrivée de la femme et/ou d'un enfant du couple.

II.2.4 Evénement migratoire et trauma migratoire

Les caractéristiques du trauma et la facilité à l'intégrer dépendront de plusieurs facteurs : La migration a-t-elle été préparée? Le pays a-t-il été choisi? Une évaluation de l'impact de l'évènement migratoire peut être faite selon les thèmes suivants : les souvenirs des préparatifs, de l'arrivée en France (ce qui est bien différent selon qu'on a affaire à un enfant de 2 ans, un immigré clandestin, un regroupé familial), des premiers moments, de la réaction de la communauté, etc... Ces questions ont été développées par Nathan (1986) avec ce qu'il a appelé « trauma migratoire »:

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A.Le trauma migratoire

Ici le terme trauma ne doit pas être pris dans un sens forcément ou uniquement négatif. Nathan (1986) en donne 3 aspects qui peuvent se combiner :

- trauma au sens psychanalytique, « soudain afflux pulsionnel non élaborable et non susceptible d'être refoulé du fait de l'absence d'angoisse protectrice au moment de sa survenue (car il y a notion de surprise ou du moins de non-préparation) », qui viendra s'inscrire dans le psychisme non pas comme un souvenir ordinaire, qui se modifie et qui s'intègre à l'histoire et aux autres souvenirs, mais comme un « corps étranger » de sensations, non contrôlées et non élaborées,

- traumatisme intellectuel, ou traumatisme du non-sens,

- traumatisme de la perte du cadre culturel interne à partir duquel était décodée la réalité externe, Les effets du trauma varient selon les circonstances de la migration et des conditions de vie de la personne avant la migration, mais ils dépendent aussi, et pour beaucoup, des conditions dans lesquelles se font l'arrivée et la vie dans le pays d'accueil (conditions socio-économiques, racisme, intégration/acculturation, isolement, maîtrise de la langue). Ce traumatisme peut être autant le point de départ d'une répétition passive et douloureuse de l'histoire du sujet que d'une restructuration créatrice de l'individu et de sa famille. Ses effets peuvent être retardés, plusieurs années après l'arrivée, voire transmis aux enfants. Il peut être réactivé à la suite de différents évènements : un accident, un arrêt de travail, la naissance d'un enfant, une visite au pays... La retraite, pour beaucoup d'ouvriers dont la socialisation s'était faite quasi exclusivement avec le travail, est parfois un moment difficile.

B.Récit du trauma migratoire aux enfants (Moro, 2002)

« On ne peut pas ne pas communiquer » sur sa migration avec ses enfants, quel que soit le moment de la migration par rapport à leur naissance. Les formes de récit peuvent être variées :

− non-dit douloureux et souvent destructeur,

− idéalisé et/ou tronqué,

− passé sous silence dans l'idée qu'il pourrait entraver l'intégration des enfants à la société d'accueil,

− présenté comme une nécessité alors que c'était un choix et vice-versa,

− présentant des incohérences, sujet tabou, ou bien élaboration (ou continuation) d'un véritable mythe familial.

Ces récits font toujours l'objet d'une réélaboration par les enfants, avec ou sans l'intervention explicite de leurs parents. Le processus thérapeutique est très souvent l'occasion pour les enfants d'entendre une autre version, parfois le premier témoignage de l'expérience de la migration de leurs parents. Ce moment permet pour les parents à la fois une réélaboration, un recadrage et une attribution

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différente de sens à leur migration. Il permet aussi la co-construction par la famille du récit de son histoire.

C.Le trauma migratoire chez les enfants(Moro, 2002)

Chez les enfants migrants, l'âge d'arrivée en France conditionne leurs souvenirs de cette période et leur vécu. Même lorsque les enfants sont nés en France, une certaine transmission du « trauma migratoire » leur a été faite15, car le cadre culturel interne de ces enfants est construit à la fois par les

expériences du pays d'accueil et par l'éducation reçue de leurs parents (« enculturation »), qui transmettront toujours, un peu ou beaucoup, volontairement ou à leur insu, de leur cadre culturel d'origine.

Souvent les parents se posent la question de transmettre une culture « obsolète », ou bien rappelant un passé douloureux qu'il a fallu fuir. On peut concevoir la transmission parents-enfants de la culture comme suivant les mêmes règles que l'acculturation16.

II.2.5 La transmission transgénérationnelle dans les familles de migrants

Selon Moro (2002), la plupart des familles référées en consultation spécialisée présentent des difficultés au niveau de ce qui est transmis des parents aux enfants :

« Pris entre la verticalité des transmissions conscientes et inconscientes et l'horizontalité de l'ici et maintenant, ces enfants d'aujourd'hui tentent parfois de gommer leur inscription verticale[...] d'autres fois, ils réécrivent cette verticalité en l'idéalisant, plus souvent en cherchant à racheter l'honneur de leurs parents qui se serait perdu, par des actes violents qui ont pour but de dire l'humanité de leurs parents soumis à des situations qui ne reconnaissent qu'une partie de leur être – travailleurs exploitables ou pire sans emplois-. D'autres fois enfin, ils figent cette appartenance familiale dans quelque chose qui, loin de leur servir de terreau, les contraint à l'échec, à la répétition de processus mortifères ».

(Cette description ne concerne bien sûr pas toutes les familles migrantes)

II.2.6 L'acculturation selon Devereux, (1970)

Devereux décrit trois types de relations entre cultures (toutes envisagées sous forme d'échanges):

A. L'isolement volontaire

Ce sont tous les comportements visant à se préserver de la société d'accueil. Il existe des raisons multiples à cette attitude : la notion de secret, l'incompatibilité avec certaines valeurs culturelles

15 Le « trauma migratoire » doit être distingué du « récit du trauma migratoire », comme la carte doit être distinguée du

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d'origine. La plupart des comportements de cette catégorie sont le plus souvent le résultat de la tendance répandue à vouloir garder sa singularité ethnique et son autonomie culturelle17.

B.Les emprunts et les prêts

Ils sont, le plus souvent, l'adaptation à la situation de crise que représente le contact nouveau, que ce soit parce que les intérêts habituels sont menacés (changement de statut), parce que les modes d'adaptation aux problèmes défaillent (par exemple la punition plutôt que « le dialogue », le recours à la communauté plutôt qu'aux services sociaux ou le repli sur soi pour régler les problèmes en famille, les recours à des soins traditionnels ou religieux plutôt que biomédicaux). Leur intégration au système de représentations culturelles d'origine se fait avec plus ou moins de facilité, et les adaptations peuvent être rejetée après un temps d'essai ou bien en entraîner d'autres voire rester en suspens, intégrée de façon plus ou moins cachée et contradictoire avec le reste.

On peut souvent adopter les moyens sans les fins (faire une demande d'asile alors que l'on a migré pour des raisons économiques), ou les fins sans les moyens (par exemple vouloir que ses enfants fassent des études « pour être intégrés » mais ne pas avoir la connaissance du milieu scolaire et professionnel pour se repérer dans les filières). Bien sûr, là aussi, l'acculturation se fait dans les deux sens : par exemple en France, la reconnaissance générale des personnes vues comme de culture africaine18 dans certains

métiers (rappeur, footballeur, vigile, restaurateur) est aussi une acculturation. L'intégration de certains éléments ne signifie pas pour autant une reconnaissance de ces personnes comme étant des Français à part entière19, puisque la discrimination continue pour ce qui est de l'accès aux autres métiers et statuts.

Cette double contrainte est en général intériorisée par les migrants eux-mêmes, avec des degrés de prise de conscience variables.

On peut mettre ces constatations en parallèle avec ce que Falicov (2003) décrit : elle met l'accent sur l'hétérogénéité de l'acculturation, sur son rythme différent même entre membres de la même famille et de la même génération. Elle présente l'idée d'alternance, certains migrants utilisant certaines références culturelles dans certaines situations, et d'autres dans les autres, avec tout un potentiel de créativité et d'adaptabilité, mais aussi de dilemmes et de paradoxes. Dans de nombreux cas, la double culture, le bilinguisme seront source de créativité et vus de façon positive par la famille et les pays (Moro, dans tous ses ouvrages, insiste elle aussi sur ce dernier point).

C. L'acculturation négative/antagoniste

Pour des raisons relevant là aussi du sentiment d'appartenance à une culture unique et singulière

17 Celle-ci dépendant elle-même de nombreux facteurs : culture minoritaire et semblant « menacée d'extinction » dans le

pays d'accueil, « bénéfices secondaires » à garder des traditions rigides, afin de garantir l'homéostasie (et/ou la hiérarchie du pouvoir) du système communautaire ou familial, stigmatisation, difficultés d'intégration rendant le métissage difficile, etc...

18 La formulation est importante 19

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(voire considérée comme supérieure), et du sentiment que celle-ci est menacée, l'acculturation peut se faire par opposition, par réaction à la culture avec laquelle elle est en contact : apparence vestimentaire, comportements publics, valeurs morales défendues. Pour jouer leur rôle de défense identitaire, ces adaptations doivent être ostentatoires et permettre une différenciation claire des deux cultures.

Ce type d'acculturation n'est pas sans poser de problèmes à l'intérieur du groupe. La dissociation des fins et des moyens, des valeurs et du mode de vie, est source de beaucoup de contradictions, qui si elles sont trop évidentes peuvent mener à des situations d'hypocrisie, de double contrainte, ou de fuite en avant vers une radicalisation. La culture ainsi acculturée pouvant parfois en arriver à devenir une caricature de sa culture telle qu'elle est dans le pays d'origine, par crispation sur une identité perçue comme menacée, plus « traditionaliste que les traditionnels ». Les liens de causalité circulaire entre les acculturations antagonistes de chaque partie sont évidents: Le militantisme au front national peut être considéré comme une réaction d'acculturation antagoniste aux migrants, et le racisme favorise probablement la montée de l'intégrisme religieux.

D. Conséquences cliniques

Ces trois types de réaction peuvent se combiner selon les parties en présence, et mener à des situations de double contrainte (Scandariato,1993). l'acculturation se fera en fonction de la proportion de réaction à l'injonction faite « adoptez nos règles de fonctionnement et nous vous accepterons », mais aussi, de la force et de la prégnance dans la société d'accueil, dans le quartier, de la deuxième partie de la double contrainte éventuelle « même si vous faites semblant de vous adapter en tentant de vous comporter comme nous, vous serez toujours des étrangers ».

Certains migrants, dans une escalade vers l'assimilation, (jamais suffisante puisque l'on continue à les traiter différemment) et/ou en rupture avec leur culture/famille d'origine (en raison de certaines caractéristiques de celle-ci qui sont pour des raisons personnelles ou familiales insupportables) peuvent aller jusqu'à un certain déni de leurs origines20. D'autres, finissant par ressentir l'acculturation comme

vaine puisqu'ils seront toujours traités comme des étrangers, s'isolent ou s'opposent à la société d'accueil, afin de pouvoir « au moins » préserver leur culture d'origine. Mais, lorsque la société d'accueil a une attitude ne disqualifiant pas trop les efforts d'intégration et lorsque les migrants (pour des raisons personnelles, familiales, « politiques ») peuvent se permettre de métisser leur culture, en fait dans la majorité des cas, l'acculturation peut se faire entre les deux extrêmes que nous venons de décrire. Les implications des différentes attitudes sont fondamentales pour la « deuxième génération ». Dans le premier cas, les enfants de migrants ne peuvent plus s'identifier et ne connaissent pas la culture d'origine, mais ne sont toujours pas intégrés dans le pays d'accueil (exemple des dialogues que l'on

20 On peut en trouver un exemple dramatique dans le film « la journée de la jupe », réalisé en 2008 par J.-P. Lilienfeld (dont

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entend parfois dans la rue « -Rentre dans ton pays! -Mais je suis Français et né en France! »). Dans le deuxième cas, le risque est la rigidification de la famille se repliant sur elle-même et sur une culture d'origine complètement figée et stérilisée.

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II.3 DIAGNOSTIC PSYCHIATRIQUE EN SITUATION

TRANSCULTURELLE

II.3.1 Déviance, norme, et diagnostic psychiatrique/systémique (Baubet, 2003)

Plusieurs théories, dont le complémentarisme, permettent de faire la part des choses entre l'explication psychologique et l'explication culturelle des « symptômes » observés. Il faut cependant garder à l'esprit que le fait de trouver une explication culturelle spécifique, et différente, d'un symptôme ne veut pas dire que celui-ci n'est pas le signe d'une souffrance psychologique. Ainsi par exemple :

− si une personne de culture française voit une personne proche morte récemment, on pourra évoquer un deuil pathologique, une mélancolie/dépression délirante selon les signes associés...

− si une personne d'origine cambodgienne voit les morts de sa famille/ses ancêtres, il faut se rappeler que cette situation est fréquente. La probabilité de syndrome délirant est donc plus faible mais pas nulle.

Ou encore :

− si une personne de culture française parle d'un aigle blessé qui aurait perdu du sang dans son appartement et qui depuis contrôle ses paroles et son comportement, on peut diagnostiquer sans trop de doute (après avoir recherché une pathologie neurologique ou organique) un syndrome délirant. La question de sa prise en charge reste ouverte : la plupart des médecins essaieraient certainement de prescrire un neuroleptique, de commencer une prise en charge avec un psychiatre...

− si une personne de culture maghrébine se met à avoir un comportement qu'elle dit ne pas pouvoir contrôler, qu'elle voit des personnes qu'elle identifie comme des Djinn, on ne doit pas forcément conclure à un syndrome délirant (même si celui-ci reste possible). Mais il est très important de ne pas conclure non plus à la bonne santé psychique du patient. La plupart du temps, ces signes sont les symptômes d'une souffrance psychique importante, dont le contexte doit être recherché. On pourra retrouver un diagnostic psychiatrique le plus souvent, en recherchant des symptômes plus universels/moins culturellement codés : dépression, stress post traumatique, conversion hystérique ou bien une problématique familiale particulière, etc...

Toutes ces questions sont théorisées par Devereux (1970) qui reprend le concept de « modèle d'inconduite » de Linton. Ce dernier introduit la distinction entre les catégories de « non-normal » (qui diffère de la normalité) et de « oui-fou » (qui n'est pas normal mais a aussi, obligatoirement des critères positifs de folie) : « il y a une manière d'être fou culturellement admise». Dans un contexte transculturel, on doit donc connaître les critères négatifs de normalité, mais aussi les critères positifs de folie :

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« l'importance de ces modèles diagnostiques est confirmée par l'erreur diagnostique (...) qui consiste à prendre pour névrosés ou psychotiques des individus qui, en vertu de particularités ethniques se comportent d'une manière qui par hasard coïncide avec nos propres modèles conceptuels de la maladie mentale ». Des personnes présentant des comportements différant de la normale/déviants peuvent ainsi selon les cas se voir attribuer par leur société d'origine des statuts très variables, (en lien aussi avec leur statut antérieur) : sorcier, délinquant, ou fou21...

« L'ethnopsychiatrie est indispensable dans tout travail diagnostique, car sa formation spécifique rend capable de juger de la normalité ou de l'anormalité culturelle des manipulations ou réinterprétations que le patient fait subir aux matériaux culturels et de la façon dont il les utilise. »

Il va plus loin dans son analyse du statut de fou en le définissant comme étant, ainsi que tous les autres statuts, le résultat d'un processus de désignation sociale : « celui qui se rend coupable d'inconduite [par les « symptômes d'alarme »] et celui qui constate le fait s'accordent à reconnaître dans le symptôme d'alarme une requête visant à obtenir le statut de « fou ».

La déviance du comportement, si elle est considérée par la société comme relevant du « guérisseur », sera déjà quasiment étiquetée comme folie22 (par opposition à la criminalité/juge ou à la

sorcellerie/inquisition). Comme Devereux le remarquait déjà dans sa « psychothérapie d'un Indien des plaines » (1969), et comme les autres ethnopsychiatres l'ont confirmé par la suite, les explications culturelles de la maladie disparaissent le plus souvent au profit d'explications culturellement neutres au cours de sa résolution spontanée ou de son traitement.

Ceci ramène donc à la question des normes et de leurs déterminants, tant dans la phase de diagnostic que dans la phase de prise en charge. La question des normes en systémie a été discutée, Minuchin (2000) insiste notamment sur le fait que définir une famille comme dysfonctionnelle ne peut se faire que par rapport à un contexte social et culturel précis. Les normes de classement selon les catégories de déviances divergent fortement selon les cultures, et en contexte transculturel, il n'est pas rare que des migrants soient adressés/signalés aux services de soins ou sociaux pour des pratiques différant de la norme française mais considérées comme normales dans leur culture d'origine. Dévier de la norme du pays d'accueil ne veut pas forcément dire être nocif. Il convient donc dans ces cas d'analyser son contre-transfert culturel23, celui des autres acteurs institutionnels, et aussi d'être capable

de se décentrer d'une vision normative pour tenter d'évaluer le bien-être, le besoin de soins, les risques développementaux que courent les enfants. Plusieurs méthodes d'éducation peuvent combler également

21 On peut noter pour illustrer cela que dans la société française actuelle, certains discours répandus tendent à

rapprocher le fou du criminel.

22 Dans la plupart des sociétés traditionnelles, où le corps et l'esprit ne sont pas considérés comme séparés

(contrairement au discours cartésien classique), les distinctions entre maladie mentale et physique ne sont pas pertinentes.

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