I
I
I t
££
p
(Gymnastique française
—Gymnastique suédoise Gymnastique anglaise)
■ a\£)+(î//—
CONFERENCE
à la Société 3?h.ilomatliiq\ie
M. LE Dr
TISS\lï
y.tsecrétaire général de la ligue wro&dine ç.<> ^
de l'éducationphysique
BORDEAUX
MPRIMERIE Q. GOUNOU1LHOU
11 — rue guiraude — 11
1893
ITO.SOUSLEN'
L'ÉDUCATION PHYSIQUE
(Gymnastique
française—Gymnastique suédoise— Gymnastique anglaise) Conférence faite à la SociétéPhilomathiquede Bordeaux,
^
PAR m. LE Dr TISSIÉ h<J
/< :
;Secrétairegénéral de la Ligue girondine del'Educatioiy physique. V,
V';;;v
.Mesdames, Messieurs,
C'était par une belle matinée du mois d'août dernier, le sympathique secrétaire général de la Société Philomathique,
M. Avril, et moi, pédalionsàbicyclette sur la route de Saint- Jean-cle-Luz à Ascain. Nous suivions les bords de la Nivelle,
danslaquelle la Rhune venaitserefléter; le paysage était déli¬
cieux,etlajoie denoussentir vivre en plein airnous enfaisait goûter le charme avec une intensité de sensations queseules
les personneshabituéesauxexercicesphysiquessaventéprouver.
Aussi quelle joie égoïste avions-nous àglisser seuls, le long des haies, sur laroute ensoleillée!
— Voilà, dis-je, un plaisir que n'éprouvent pas ceux qui
dorment encore à cetteheure. Et., toutenpédalant, je parlai de
l'éducationphysique,cettegrande régénératrice,desesbienfaits,
des espérances qu'on pouvait fonder surelle, aupoint devue delasanté physique etmorale, des nombreux abus qu'onpeut
en faire,de l'œuvre de la Ligue girondine de l'Education phy¬
sique, etc.,etc.Emportéparmonsujet, j'allais, j'allais toujours, quand mon aimablecompagnonde routem'arrêtanetparcette phrase portéeencoup droit:
— 2 —
— Jevous inscris pour uneconférence à
faire cet hiver à la
Société Philomathique. Vous nous répéterez tout ce quevous
venez deniedire.
Je protestai. Faire une conférence,
moi qui n'avais jamais
parlé devantungrand
public! Rien
qued'y
penser,je sentais
déjàmagorge seserrer et
devenir sèche. On parle autrement à
bicyclette qu'à une tribune.
Le
propremême de l'éducation
physique estd'agiret non
de discourir. Je n'ignorais
pasqu'il
y avait beaucoup à faire et que
c'était le rôle du médecin de
traiter cette question, puisque
l'éducation physique est
un remède; j'essayaidonc de prouver que cetteéducation n'avait
rien à gagner à ce que je
parle d'elle, mais
que, parcontre,
j'avais beaucoup àperdre
à meprésenter devant
unpublic
d'éliteetàunetribune où des maîtresde laparolesesuccèdent depuisde longues années.
En vain je
medébattis,
monféroce
compagnon me tenait bien.
A Sare j'étais ébranlé, à Gambo
j'étais indécis, à Guéthary
j'étais vaincu;
carj'avais oublié de
direque, cejour-là, nous
étions partis
enexcursion circulaire
dansun coindélicieux du paysbasque.
★
* ■¥■
L'éducation physiqueest à
l'ordre du jour. On n'entend plus
parler quedelendits, de concours,
de défis, de records battus.
Gela tient du prodige; l'engouement est
grand,
carla mode
s'en est mêlée; aussi est-il bien porté
aujourd'hui
dejouer, de
marcher, defairedutennisetdelabicyclette.
Longtemps méprisée etlaisséeauxcancres,
l'éducation phy¬
sique estdevenuela
grande affaire du jour; cette fin de siècle
seracelledu«doublemuscle».Lespoitriness'élargissent
déjà
etlecerveau ne s'enportepas plusmal. Le sang
coule plus
ver¬meilsous l'épiderme denosjeunes gens; nous
assistons à
une véritablerenaissance. Il était,tempsderéagir. Maisl'œuvre est nouvelle, tout estàfaire; il fautsehâterdelaréglementer afin
— 3 —
denepas lalaisser dévierparl'exagération. Il nefaudrait pas
qu'à un repos absolu succédât une action démesurée; l'excès
entout estun défaut.
Nous savonsbien qu'on peutdemander beaucoup autempé¬
ramentfrançais, fait decaoutchouc etd'acier, comme la bicy¬
clette, mais il estunpoint qu'ilnefàutjamais dépasseretque l'entraînement même nepeut reculer. Chacun pratique l'édu¬
cation physiqueà safaçon, sans se douter qu'il y a des règles qu'il faut observer.
Je laisseraicependant de côtélesrèglesmédicales, quipour¬
raient faire l'objetd'uneautreconférence.
Je parlerai des trois principaux systèmes de gymnastique appliquésenEurope:
1° De la gymnastique française, qui estathlétique, brillante
etdifficile;
2° De lagymnastique suédoise, qui est hygiénique etfacile.
Ces deux gymnastiquesse pratiquent dans des locaux fermés; 3° Dela gymnastique anglaise ousport, qui est récréativeet constitue un art véritable. Cette gymnastique se pratique en
plein air.
Jelaisserai de côté la gymnastique allemande, qui procède
de la gymnastique française et de la gymnastique suédoise.
Selon Du Bois-Reymond, la gymnastique allemandea1' «avan¬
tage moral d'un effort qui se propose le perfectionnement de
soi-même comme unbutidéalsans aucuneutilité immédiate»,
ce qui constitue, d'après ce savant, la supériorité de l'édu¬
cation intellectuelle à laquelle on vise dans les gymnases allemands.
«Lejeunehomme exercéàla manière allemandepossède le grand avantage d'avoir des formes de mouvementsadaptées à chaqueposition ducorps, de même que le mathématicien qui
a reçu une instruction solide est pourvu de méthode pour
chaque problème.»
Lagymnastiqueallemandeest théorique etspéculative.
— 4 —
L'homme estun systèmenerveuxagissant.
Il n'y
apasd'acte
musculaire qui ne soit provoqué par un
phénomène
nerveux.Le rapportentrela
cérébration et la musculation est tellement
intime, qu'une lésion du cerveau ou
de la moelle épinière
provoque une
lésion des muscles correspondants et
que, par réciprocité, on a vus'atrophier, chez d'anciens amputés, les
localisations cérébrales commandant aux mouvements du
membresupprimé.
Une force nerveuse est nécessaire à la vie du muscle. Sa
contraction est d'autant plus violente que
l'influx
nerveux envoyépar lecerveau estplus grand.
Lecerveaupeut êtrecomparé à une
bouteille de Leyde qui
sedéchargeraitsous l'action
de divers excito-moteurs, dont le
premierestla
volonté.
Cerapportestbien
manifeste dans l'hystérie. Une
personneen crise développe une force
musculaire
quequatre et cinq
hommessolidesont peineàmaîtriser,
alors qu'un enfant
pour¬raitquelquefois
avoir raison d'elle à l'état normal.
La déperdition nerveuses'accuse par un
état de dépression
et de fatigue musculaire qui
s'appelle le
surmenage.Or,
cesurmenage n'arrive pas seulement
à la suite d'un effort réel
soitphysiologique, soit
pathologique,
commedans
unexercice
violent et prolongé, dans une
crise d'hystérie
oud'épilepsie,
mais, choseétonnante,àlasuite d'un
rêve. En voici la
preuve, quivient dem'êtrefournie aujourd'hui même:
Un étudiantd'une de nos Facultés, très habitué aux exer¬
cicesdu corps,rêve, dansla
nuit
du8
au9 décembre dernier,
qu'il fait un matchde 60 kilomètres à pied
avecdeux de
sesanciens camaradesdulycée. La lutteest vive; ne
voulant
pasêtre dépassé surla route,
il chicane
avec euxsurla rapidité de
leur marche, quiest trop accélérée.
Il
veutquesesconcurrents
marchent comme lui et ne courent pas. Il se disputeencore
aveclescontrôleurs, prétendantques'il lui
arrivait
unaccident
letemps perdune
devrait
paslui être compté. Ayant,
eneffet,
— 5 —
étéobligé de s'arrêter, il forceses concurrentsd'enfaireautant
en les retenantviolemment. Pendant tout le trajet et pendant
la lutte, M. X... ressent une grande fatigue musculaire etcéré¬
brale, accompagnée deraideurdes membres.
Sa
marcheétait
saccadéeavec un sentimentde chuteen avant etdes secousses très caractérisées dans les muscles de la région occipitale, ce
qui lui occasionnaitune grande
douleur. Il avait l'idée fixe de
trouverune attitudeconvenablepour ne pas ressentir la gêne
considérable que provoquait le port
de
sonvestonplié
sur son bras. Il se réveille et il s'aperçoit que sespoings sontferméscommepourun grand effort.
Il
ressent unevive fatigue
mus¬culaire localisée dans toute la partie inférieure du corps et
surtoutaugenou. Cettefatigue est accompagnée
d'une violente
migraine. Il passe la journée sanspouvoir
manger, avecla
sensation destrangulationqueprovoque souventle surmenage musculaire.Rien qu'étonnéd'avoir faitun
pareil
rêve,il n'en
recherche pas lacause; mais,
mal
entrain
et nepouvant tra¬
vailler, il sortde chezlui et rencontreunjeune
condisciple du
lycéequi avait pris partaveclui
aupremier lendit de Bordeaux
organisé par la Ligue girondine.
Aussitôt, M. X...
serappelle
quejeluiai montré, la
veille, la photographie de Ramogé prise
pendant sa marche de
Paris-Belfort,
etqui devait être
repro¬duite enprojection dans ma conférence
de
cesoir.
Lafatigue musculaire desjambesaduré
pendant trois jours
;les fonctions digestives, régulières jusqu'au moment
du rêve,
ont été modifiées; la migraine n'a cédé qu'à un traitement énergique.
Un rêve peut doncproduire dusurmenage
musculaire (1).
Ce queje viens de dire prouve que
l'éducation physique est
autant uneéducation nerveusequ'uneéducation musculaire.
Notre civilisation a modifié la fonction des muscles de la
(!)Cephénomèneestconnu, je l'aisignalé dansmonlivre: LesRêves.
(Paris,Alcan,'1830.—Bibliothèquedephilosophiecontemporaine.)
— 6 —
partie
inférieure de notre
corps parles
moyensde transports
rapides. Au
grand mouvement musculaire provoqué
ouentre¬
tenu par les grandes guerres
du premier Empire,
asuccédé
le reposdans la
paix
etdans les transports faciles. En tuant la
diligence,leschemins
de fer
ontatteint les muscles et le
cerveaude notregénération.
L'équilibre aété rompu
dans les grandes fonctions de notre
économie,d'où les maladies diverses
désignées
sousle
nomde
maladies dela nutrition.
Lemalétaitassezsérieuxpourqu'ons'enpréoccupât.
Chacun
comprendle danger etveutyremédier
enessayant d'un traite¬
mentpar l'exercice
musculaire.
L'éducation physique est considérée comme un
remède qui
doitfortifier lecorpsetle rendre
réfractaire
àl'ensemencement
desmicrobes que, d'autre part, on
s'ingénie à détruire.
LaLiguedel'Educationphysique et
la Ligue contre la tuber¬
culosepoursuiventparallèlementunmême
but.
L'application
médicale desexercices physiques
autraitement
des maladies de la nutrition est trop importante pour être
traitéeenquelquesmots. Il s'agit d'une
thérapeutique nouvelle
dont les Suédois, les Allemands et les Autrichiens retirent
de
grandsbénéfices.Des instituts médicaux existent dans ces pays, et un ensei¬
gnementofficielyestdonné. Nousne
possédons rien de tel
en France, où chacun prend son remède empiriquement sans se douterqu'il peut provoquerdegraves désordrespar uneappli¬
cation mal comprise. On ignore que la
fatigue musculaire
entraîne la fatigue du cerveau et du cœur, et que, poussée à l'excès, elle peutprovoquer un empoisonnement
dû
àdes alca¬
loïdes toxiquesquine peuvent être éliminésassez rapidement.
On sait quela chair d'un lièvre tué aprèsune
longue poursuite,
danslaquelle ilaété obligé de donner de
violents efforts
mus- laires, entre trèsrapidementen décompostion. Je visarriverun7 —
jour dans mon cabinet un
monsieur
trèscorpulent, auquel
on avait conseillé l'exercice. De tempérament migraineux etde
grandappétit, il désiraitmaigrir etneplus souffrir. Il avait fait
plusieurs assauts d'armecoup sur coup
dans la même séance.
Il était rentréchez lui trèssouffrant, rompu, fourbu, ayantla
fièvre et de grands maux de tète. J'eus
quelque peine à lui
faire comprendre qu'il ne fallait pas
abuser des meilleures
choses, cartoutremède peutfacilementdevenir
poison, celui-là
surtout.
Cetraitement,nous pouvonsd'autant mieux
l'appliquer
que, grâceaux beaux travaux deM. Marey, l'école française
acréé
detoutes piècesunescience
nouvelle qui
permet,à l'aide de la
photographie instantanée etd'appareils enregistreurs, de disso¬
cierles mouvements lesplus rapidesdans
les diverses attitudes
prises parl'hommedansles exercices physiques. On peut ainsi
établir desrègles absolumentscientifiques
dans l'art de guérir,
enconnaissantd'avance lafonction des divers groupes muscu¬
laires.
Tout le monde peut faire de la
gymnastique,
etc'est
uneerreurdecroire qu'ellene doit être
pratiquée
queparles
per¬sonnes bien portantes. Cette erreur
vient de notre façon de
comprendre la gymnastique en
France. En effet, il n'est
pas permisà tousdeselancer
ensaut périlleux entre deux trapèzes,
de monter à la corde lisse avec les bras sans le secours des jambes, de tourner « en
soleil
»autour d'une barre fixe, de
faire des «rétablissements » aux parallèles oude pratiquerun
«dégagement» àla barrefixe.
A partir de trente
ans,il faut
évitertous les exercices qui congestionnent
le
cerveau ouqui
demandentune grandesouplesse.
Lagymnastique française,
ai-je dit, est brillante, athlétique
et difficile; elle se pratique surtout en
l'air
:le trapèze, les
anneauxet la barre fixe sont les principaux
appareils qui
setrouventdansnosgymnases.La
gymnastique française est celle
des forts, des jeunes gens de dix-huit à vingt-cincj ans; elle
convient surtout aux gensbien portants, aux riches de santé,
à ceux qui peuvent dépenser beaucoup et chez
lesquels
ons'applique surtout, àdévelopper les
muscles de la poitrine, des
épaules etdes bras. Aussivoyons-nousbeaucoup de
nos gym¬nastesdont les muscles de lapartie supérieure du corps sont hypertrophiés, alorsque ceux
des jambes
sont tropgrêles.
Le travail desmuscles desbras etdesépaules essouffle plus rapidement que celui des muscles
des jambes,
car pourfaire
uneffortquelconque àl'aide des bras,
il faut
queceux-ci
pren¬nent un point d'appui sur la cage thoracique,
transformée
un instant en manchon àair comprimé : le point d'appuiest
d'autant plus solide que l'air est mieux retenu
dans les
pou¬mons. En effet, le système d'attachedes bras à lacage thora¬
cique est celui d'une pince à deux mors
qui saisit la poitrine
en avant et en arrière au moyen de deux os : la clavicule et l'omoplate. La circulation du sang est
ralentie dans
toutle
corps, et sonafflux dans le cerveau et
dans les
poumons pro¬voque des congestions. Dans la jeunesse, ces
congestions
sont bénignes, parce que leur effet est atténué parl'élasticité des
artères, qui se prêtent assez facilement à la stase
sanguine;
mais vers trente ans, l'élasticité diminue peu à peu, et toute
dilatation artérielle peut être la cause d'une rupture, avec hémorragie plusou moins grave.
La difficulté et les dangersqu'offre notregymnastiqueexpli¬
quent pourquoi d'excellents gymnastes ne la
pratiquent plus
après un certain âge; pourquoi beaucoup d'entreeuxprennentde l'embonpoint par défaut d'exercice, car il est toujours très
mauvais desupprimertoutà couples exercices physiques aux¬
quelson s'est livré pendant longtemps.
La nutrition générale
en souffre. Lesdéperditions sont moindres, et l'apport restant
le même, l'équilibreest rompu. Il n'est pas rarede
voir d'an¬
ciens gymnastes devenir obèsesvers l'âge de quarante ans ou souffrir dephénomènes nerveux dusà la présence de
produits
— 9 —
toxiques clans l'économie, qui nesont
plus éliminés
parl'exer¬
cice physique.
La gymnastiquefrançaise
offre
encoreunautre danger
:c'est
que, par la recherche
des difficultés
àvaincre, elle facilite les
toursde force.
On est plus tentéde travailler pour
les
autresque poursoi
quand on est bien en vue sur un trapèze, à
quelques mètres
au-dessus du sol. Forcément on veut étonner le spectateur et provoquerses bravos.
Ce sentiment est bien humain, et il faut
croire quecette parade du
muscle
aquelque charme, puisque
notre système de gymnastique commence
à pénélrer dans les
gymnases suédois. Il
s'agit d'ailleurs d'un libre échange
:la
gymnastique suédoise pénètre à son tour
chez
nous, carles
deux gymnastiquesse complètent.
La gymnastiquesuédoiseestavant tout
hygiénique
etfacile.
Sagrandesupériorité consisteence
qu'elle
peutêtrepratiquée
à tout âge. Il y a très peu d'appareils dans
les
gymnasessué¬
dois, car beaucoup d'exercices se font sur
le plancher. On
ne cherche pas à développertelle ou tellesérie de muscles, mais
à entretenir le développement normal detous
les muscles
parordre d'importance de leurs fonctions.
On
montebien à la
corde lisse, mais en s'aidant des jambes selon les
lois
natu¬relles; en France, on s'applique surtout à monter
à la force
des bras, sans le secours des jambes, ce
qui n'est
pas normal.La gymnastique suédoise
s'applique surtout à fortifier les
muscles de l'abdomenetdudos; c'estsurle troncqu'elle porte
sesefforts.
Les Suédois pensent, avec juste raison, que
les muscles des
bras et desjambes travaillentplusou moins
dans
nosrelations
sociales,mais qu'ilen estautrement des
muscles de l'abdomen
qui, perdant leurtonicité
avecl'âge, sont impuissants à lutter
contrede faussesattitudes professionnelles ou
la
pousséegrais-
— 10 —
seuse.Ils s'appliquent donc à fortifierlecorset musculaire qui
soutient les faibleset maintient les forts.
La gymnastique suédoiseest une gymnastique de « père de
famille» enopposition avecla gymnastique française, qui est
unegymnastique de «fils de famille ». Elle prêtepeu auxtours de force, maiselle développe la souplessepar une série d'atti¬
tudes dans lesquelles oncherche àmaintenir l'équilibre. Dans
lesécoles,un simple hanc renversé suffit: on fait marcherles
enfants sur la petite barre en bois qui en relie les deux pieds.
Le maintien de l'équilibre met en travail les muscles anta¬
gonistes, qui se développent lentement. En cela, les Suédois
observent les lois de la physiologie, car on obtient unetonicité
musculaire plus grande par un travail continu, doux et lent,
que par une série d'efforts brusques, rapides et violents. Il
vautmieuxsouleverquatrefoisunhaltèredecinq kilogrammes qu'une fois unhaltère de vingt kilogrammes.
Lagymnastiquemédicaledes
Suédois, désignée
sousle nom de gymnastique de l'opposant,consiste àexercer une tractionlente et opposéeà celle des muscles antagonistes.
Cette gymnastique demande le concours d'un ou de deux praticiens qui provoquent eux-mêmes
les
mouvements néces¬saires. Un Erançais, M. Pichery, a inventé un système de
ressortsàboudinsoudebandes de caoutchoucquiexercent une actionmécaniquesurlesgroupesantagonistessansunconcours manuelquelconque. Il existeaussi des armoires àgymnastique
de chambre, dans lesquelles sont installés des appareils de
traction pour les muscles des bras,des jambes et du tronc.
Mais il fautavoirunevolonté bien chevillée pourse livrerseul
àdes exercices degymnastiquedans sachambre.
On ne sait pas combien la présence de compagnons de
travail facilite l'effort etrend tout exercice physiqueagréable.
Chaque volonté est comme renforcée par la volonté
voisine
; l'émulationest un grand excitant dont il faut savoir se servir—11 —
danstous les exercices physiques, qui doivent avant tout être agréables etrécréatifs.
Ces deuxqualités, nousles retrouvons dans la gymnastique anglaise ou sport. Mais, avant d'en parler, je vais fairepasser devant vousquelques projections qui aideront àfixer vosidées
surles deuxsystèmes de gymnastique, réservantpourla fin de
cette conférenceplusieurs projections surles sportsetlesjeux
deplein air.
Lagymnastique anglaise, connue sousle nom de sport, dif¬
fère entièrement des deux autres gymnastiques, en ce qu'elle
ne se sert pas d'appareils etqu'elle se pratiqueau grandair.
Cettegymnastiqueplace directementl'hommeen face des diffi¬
cultés créées par lanature qu'il aurait réellement à vaincre, si,parexemple, aulieu de faire unrétablissement à la barre
fixe ou un renversement à l'hexagone, il avait à escalader
un murdans un rallie-papier. Ellel'aguerriten l'habituant à supporterles intempéries, elle le ramène à la lutte primitive,
tout en lui donnant des instruments perfectionnés pour la
soutenir. Cette lutte, quelquefois individuelle, leplus souvent collective, estUn art élevé. Elle disciplineen éveillantle senti¬
ment dela solidarité dans les équipes. « Un pour tous, tous pourun, » telleest ladevise de la gymnastique anglaise, qu'il s'agisse d'une partie de ballon au pied, d'une course en canot
ou del'ascension d'un glacier. L'Anglais est partoutchezlui,
parce que partout il trouve un coin de nature pour jouer, courir, marcher oucanoter.
Undp ses premiers soucis, en arrivant dans un pays, est de
découvrir un terrain où il puisse installer ses jeux. Que ce terrain soit spacieux ou restreint, peu importe; il jouera au
lawn-tennis où il nepourrajouer au cricket ou au polo. Même
sousun préauil courra un rallie-papier, grâce àune combi¬
naison savante de tracés qui s'enchevêtrent les uns dans les
autres. La gymnastiqueanglaise estune école de solidaritéet
devolonté, puisqu'elleestplutôtcollective qu'individuelle.
— 12 —
La force des deux fameuses équipes d'Oxford et de Cam¬
bridge n'est pas tant dans la valeur musculaire de chaque
rameurque dansla volonté de chacune d'elles.
Chaquecoureur abdique en faveur du chefqu'il aélu.
Son
individualité fait place à la volonté de tous, résumée dans
celle du barreur. Une telle éducation demande un entraîne¬
ment spécial, souventfortlong et quelquefois fort gênant,car il faut savoir sepriver de choses agréables et bonnesenelles- mêmes, maisdétestables pour le sport. Les concurrents accep¬
tent tout, car au-dessus de l'effort musculaire, au-dessus du
cheflui-même, ily al'idée devaincre l'équipe rivale, et cette
idée soutient,fortifie, excite. Aussi, quand arrive le grand jour
de la lutte entre Oxford et Cambridge, toute l'Angleterre pal¬
pite. Ce ne sont plus
dix-huit hommes qui vont lutter, mais
deux universités, c'est-à-dire deux grandes traditions. Et le peupleanglais, échelonné le
long des berges,
neregarde
pastant les muscles des coureurs que l'avant des deux embarca¬
tions, car il mesure ainsi deux grandes idées à
la distance
qui sépare deux étraves. Et quellesmanifestations déli¬
rantesde la fouleimmense acclamant lesvainqueurs! Heureux
le peuple qui sait éprouver de
telles émotions ! Habitué dans
ses jeux à combattre pour l'honneur
de
sonéquipe avant de
combattre pour le sien, l'Anglais porte
plus tard, dans la lutte
de lavie,cemême étatd'âme. L'indépendancecollective
fait
sa force. Tous valentmieuxqu'un.En France,l'individu, souvent brillant, veut être libre et paraître seul. Notregymnastique
aérienne, peufaite pourun travail
collectif,
estexcellente
pourmettre un sujet bien en vue, développer
l'orgueil, exciter
l'égoïsme et, disonslemot, favoriser
le cabotinage.
Cette éducation physique, faite de
liberté, de respect et
d'autorité, si puissammentdéveloppée chez
le peuple anglais,
estcelle de nos voisinslesBasques. Ceuxqui ont assisté, cette année, auxbelles fêtes de
Saint-Jean-de-Luz
ont pujuger de
l'importance que les Basquesaccordentà leurs jeux nationaux
— 13 —
durebot, du blaid etdu trinquet. Dès que la partie estcom¬
mencée, les joueurs ne s'appartiennentplus, ils appartiennent
àleuréquipe. Le jeu est silencieux, le jury est souverain; sa fonction est si élevée que, lorsqu'il délibère, chaque juré se
découvre, son verdict est sans appel, et aucun des joueurs ne songeàprotester, car il a lerespect de la chosejugée. Lejeu
est uneécole devirilité et derespectàlaquellele Basquevient puisersa forceet retremperson indépendance. Le murdujeu
de paumeélevé dans chaquevillage n'est pas tant construit de pierresque de volontés multiples accumulées de générationen génération pour la défense du clocher et des droits locaux.
L'enfantapprend à jouer duvieillard, qui l'initieauxtraditions
dansles longuesveillées d'hiver.
Le prêtre en sortant de l'église et l'instituteur en quittant
l'écolevontjouer aveclesjeunesgens. Decettecommunion de
l'hommeet de la naturedans le respectdes choses passées et
de l'autoritémorale des chefs se perpétue une race vivaceque lesrévolutions n'ontjamaisatteinte. Aussi n'est-il pas rare de
voir groupés sur un même point, dans les villages hasques, l'école, lejeu de paume, l'église et le cimetière, résumé de la grandesolidaritéhumaine dansl'intelligence, la force, la foi et
la mort.
La Ligue girondine de l'éducation physique, en groupant
autour d'elle tous les établissements scolaires du ressort aca¬
démique de Bordeaux,a vouluétablir unesolidarité régionale.
Les lendits sont ses moyens. Des amitiés sont nées sur le
terrain desjeux, des relations se sontétabliesentre lesjeunes
gens qui s'ignoraient hieret qui sont
solidaires les
unsdes
autresaujourd'hui.
En créant cetétat d'âme nouveau, la Ligue girondine pré¬
parela jeune génération à cette
grande école de la solidarité
qui s'appelle le régiment. Et c'est unegrande joie
pour ceux qui poursuivent ce but dela voir
se grouperet fonder des
— 44 —
sociétés sportives, malgré lesavis troppartiaux et les théories
fortdiscutables de ceuxqui demandent qu'on supprimelesport dans l'éducation. Ceux-lànel'ayant jamais pratiqué n'ont vu ouvoulu voir quelesrares abussurvenusdansun mode excel¬
lent d'éducation physique etmorale.
Quand doncen aurons-nousfini avecles idéespréconçuesou les traits d'esprit, qui malheureusement, dans notre pays, ont
souventplus de valeur qu'un fait!
Le souffle nouveau qui passe sur la génération de l'Année
terrible estfortifiant.
Lejeu pourla patrie la pousse dans les gymnases, sur les pelouses etsurlesroutes.
'
Qu'importe la méthode ! Elle veut vivre, vivre largement, à pleinspoumons, àplein cerveau, à pleins muscles. Qu'on lui facilite donc cette existence nouvelle ! Que chacun de nous se sente solidaire, qu'il se dise bien qu'il a une oeuvre sainte à accomplirparcequ'elleest patriotique, parcequ'elle esthuma¬
nitaire. Nous voulonsélargir les poitrines et les pensées, forti¬
fier les muscles et les volontés. Nous voulons des hommes
souples, hardis, indépendants et bons, des femmes bien por¬
tantes,aimables et belles. Nous rêvons une France nouvelle,
où l'union de tous sefera sur lapelouse. Nous voulons fonder
unefranc-maçonnerie duplein air, où tousles exercicesphysi¬
quesserontles grands maîtres.
Lahache qui abattit brutalement le chêne laissa un bour¬
geon. Ce bourgeon a poussé de puissants rameaux. Un arbre
nouveau est né. La tempête, souvent déchaînée, faillit le
rompre; mais ses racines sont profondes et vigoureuses, et, quoi qu'il arrive, solidement ancré dans le sol de la grande patriefrançaise, il résiste, agité, mais debout!...
bordeaux.—Imp. G.Gounouilhou,rueGuiraude,11.