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Et maintenant, si nous parlions de l'afrique du Sud

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Et maintenant, si nous parlions de l'Afrique du Sud

ERRATUM Au bas de la page 104, rétablir les lignes suivantes :

— D'autres chefs de bantoustans ont accepté l'in- dépendance.

Un sourire qui en dit long glisse sur les lèvres de Buthelezi.

— Les autres chefs, c'est différent. Beaucoup d'entre

eux attachent du prix aux attributs et aux avantages du

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D U M Ê M E A U T E U R

C h e z P l o n

LES L U E U R S DE L'AUBE U o u r n a l 1 9 5 8 - 1 9 5 9 - 1 9 6 0 ) LES C L A R T É S DU J O U R ( J o u r n a l 1 9 6 3 - 1 9 6 4 - 1 9 6 5 ) LES F E U X DU CRÉPUSCULE ( J o u r n a l 1 9 6 8 - 1 9 6 9 - 1 9 7 0 ) L E L I O N ET LE M A R A B O U T ( R é c i t s )

D I S C O U R S DE R É C E P T I O N A L ' A C A D É M I E FRANÇAISE U N E P L U M E ET UN M I C R O ( a r t i c l e s e t c h r o n i q u e s )

R O M A N S chez R e n é J u l l i a r d

L ' É C O R C H É ( P r i x M a x - B a r t h o u 1 9 5 4 ) P U E B L O

L E R E T O U R ( G r a n d P r i x d u r o m a n d e l ' A c a d é m i e f r a n ç a i s e 1 9 6 4 ) L E S C O M P A G N O N S DE LA F O R Ê T - N O I R E ( L e T e m p s d e s h o m m e s , t o m e I )

L ' O R I E N T PERDU ( L e T e m p s d e s h o m m e s , t o m e I I ) L A V I L L E BLANCHE ( L e T e m p s d e s h o m m e s , t o m e I I I ) L A M O R T DU C O N N É T A B L E ( L e T e m p s d e s h o m m e s , t o m e I V )

R É C I T S , E S S A I S , N O U V E L L E S , chez d ' a u t r e s éditeurs

D E L A T T R E , MARÉCHAL DE FRANCE ( P i e r r e H o r a y ) A N D R É M A U R O I S ( É d . U n i v e r s i t a i r e s )

J O U R S ET NUITS D ' A M É R I Q U E ( G é r a r d N i z e t ) VISAS P O U R L ' A M É R I Q U E DU S U D ( G a l l i m a r d ) J ' A I VU VIVRE LE J A P O N ( F a y a r d )

PANORAMAS MEXICAINS ( F a y a r d )

L A C A M A R G U E ( A r t h a u d ) P r i x C a r l o s d e L a z e r m e 1 9 6 2 L A F I L L E DE L ' A N C R E BLEUE ( S o l a r )

L A C O U P E EST PLEINE ( F r a n c e - E m p i r e ) P r i x M a l h e r b e 1 9 7 6

E N P R É P A R A T I O N

N O U S NE FERONS PLUS JAMAIS LA GUERRE ( r o m a n ) M A T E N D R E ENFANCE ( s o u v e n i r s )

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MICHEL D R O I T

de l'Académie française

Et maintenant, si nous parlions de l'Afrique du Sud

PLON

8, rue Garancière PARIS

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L a loi du 11 mars 1957 n'autorisant aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l' usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » d'exemple et d'illustration,

« toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consente- ment de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa premier de l'article 40).

Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constitue- rait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

© Plon, 1983.

ISBN 2.259-01012-1

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AVANT-PROPOS

L'Afrique du Sud est plus de deux fois grande comme la France.

Elle compte moins de cinq millions de Blancs pour vingt millions de Noirs, auxquels s'ajoutent environ trois millions et demi de métis et d'Indiens.

Disposant de fabuleuses richesses minérales, son équipement, son développement, sa production en tous domaines et, il faut bien le dire, le formidable tonus de sa population d'origine européenne font d'elle, à la pointe australe d'un continent qui continue de se chercher, une « superpuissance » moderne. Sa vocation est donc de se trouver, aux côtés de l'Occident, disponi- ble, mobilisée, acceptée pour la défense des valeurs qui ont fait le monde libre, et des positions qui peuvent assurer sa survie.

Mais il y a l'apartheid.

Qu'on n'attende surtout pas de moi que j'en minimise les réalités, que je refuse de les voir là où elles sont, que je leur cherche de fausses circonstances atténuantes.

Mais je dirai aussi les efforts de tous ceux : Blancs,

Noirs, hommes et femmes de couleur qui luttent ardem-

ment, souvent courageusement, pour que soient abolies

à jamais, sur la terre où ils vivent, toutes les discrimina-

tions raciales, et qui le font aux différents postes de

responsabilité où ils se trouvent. Jusqu'aux plus éle-

vés.

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Et, loin de prétendre systématiquement leurs efforts hypocrites ou dérisoires, comme beaucoup s'attachent à le faire, j'affirmerai sans cesse à quel point il est important de les signaler, de les expliquer, de les encourager. Faute de quoi, c'est alors que l'on devien- drait, soi-même, un « allié objectif» de l'apartheid.

L'Afrique du Sud est un constant défi à une somme colossale d'« idées reçues ». On la croit scrupuleuse- ment conforme à un schéma largement répandu, et qui ne l'est pas toujours innocemment. Elle est, en vérité, inattendue, multiple, complexe, contradictoire.

Aussi, pour que nous tentions d'y voir clair ensemble, vais-je m'employer à décrire cette Afrique du Sud telle qu'elle m'est quotidiennement apparue, durant les cinq semaines que j'y ai passées, et que j'ai remplies de mon mieux, du premier jour au dernier, au long des heures de chacun d'eux, et bien souvent aussi de leurs nuits.

Certes, pas davantage que je n'aurais pu deviner tels ou tels événements susceptibles de se produire en Afrique du Sud après mon départ, je ne saurais préten- dre connaître celle-ci comme si j'y avais fait de nom- breux et longs séjours.

Mais beaucoup de ceux qui nous en parlent quelque- fois avec le plus d'assurance se sont-ils seulement donné la peine d'aller voir si elle ressemblait bien à ce qu'ils ont décidé, ou à ce qu'on leur a dit, une fois pour toutes, qu'elle était ?

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RÉPUBLIQUE D'AFRIQUE DU SUD

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I

Tandis que je survole pour la première fois Johannes- burg, quelque chose me saute littéralement aux yeux.

Dans les quartiers où vit la population blanche, la moindre maison particulière possède sa piscine. Ainsi le sol, vu du ciel, apparaît-il criblé par milliers, peut-être par dizaines de milliers, d'une infinité de petits rectan- gles d'eau bleue qui scintillent au soleil.

D'impressionnants réseaux d'autoroutes ne cessent, à présent, d'entrelacer leurs ponts, leurs échangeurs, avec les longues lignes droites ou incurvées de leurs doubles voies à multiples couloirs. En toile de fond, des gerbes de tours annoncent déjà une orgueilleuse Manhattan de l'or et du diamant. Cette Afrique-là n'a évidemment rien de commun avec aucune de celles que je connais et que j'aime, y compris les mieux dotées.

Mais l'hôtesse des South Africain Airways a vite fait de venir modifier, à 180°, le cours de mes réflexions.

— Ici, vous pouvez apercevoir Soweto.

Ce nom résonne aussitôt en moi comme un rappel à l'ordre.

Soweto, le ghetto noir de Johannesburg. Soweto, la ville-dortoir où s'entassent plus d'un million d'hommes, de femmes, d'enfants qui n'ont pas droit de cité ailleurs.

Soweto, enfin, où éclatèrent, le 16 juin 1976, les émeutes

raciales qui firent plus de 150 morts, et dont le spectre

sanglant continue à peser, de tout son poids, sur la

question noire en Afrique du Sud.

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Le lendemain matin, je découvre Soweto.

J'ai quitté les dernières banlieues de Johannesburg - on dit plus couramment «Joburg» - où se dressent encore les terrils des anciennes mines d'or dont les pentes, couleur de terre brûlée, sont aujourd'hui tapis- sées d'une végétation broussailleuse et parfois même plantées d'arbrisseaux maigrichons. Ces mines dumps comme on les appelle, constituent l'ultime vestige du diadème de précieux métal dont la ville tira sa richesse et sa gloire dès la fin du siècle dernier. Aujourd'hui, en effet, c'est dans d'autres régions du Transvaal que se trouvent les principales mines d'or. Et aussi dans cette province que l'on continue de désigner sous le nom de Free State of Orange, souvenir du temps où, en 1854, par la convention de Bloomfontein, les Anglais avaient dû reconnaître l'indépendance de la colonie ainsi baptisée par les Boers en l'honneur de la maison royale d'Oran- ge-Nassau 2

Le chauffeur noir qui me conduit habite lui-même Soweto, puisqu'il est employé à Johannesburg, et ne possède pas le « laissez-passer » - le fameux pass, l'un des symboles de l'apartheid - qui lui permettrait de résider en secteur blanc. Il doit donc rentrer chez lui tous les soirs, par le train, et reprendre celui-ci chaque matin pour aller travailler.

C'est un homme vif, s'exprimant bien, et donc je ne vais pas tarder à m'apercevoir qu'avec beaucoup d'in- telligence et de lucidité il sait montrer sa ville, sans jamais tomber dans un misérabilisme dont on aurait

cependant mauvaise grâce à lui tenir rigueur.

Car pour tout dire, en effet, Soweto n'est pas gai. Au début, on ne voit que des alignements de maisonnettes en brique, désespérément semblables entre elles, plan- tées à perte de vue le long d'avenues dont très peu sont goudronnées et la plupart faites d'une terre battue défoncée par les intempéries. Considérées de l'extérieur,

1. Déchets de mine.

2. On trouvera, en fin de volume, un résumé de l'histoire de l'Afrique du Sud, depuis l'arrivée des premiers colons hollandais.

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m ê m e les moins sinistres de ces demeures sont lugubres.

Q u a n d on y pénètre, on s'aperçoit que l'intérieur est sommaire, bien sûr, mais généralement décent. Néan- moins, c'est la première impression qui compte. Peu à peu, il est vrai que l'on découvre aussi d'autres quar- tiers, où les habitations n ' o n t pas de mal à être plus avenantes et confortables. O n vous montre également le secteur résidentiel de Dube, et la somptueuse villa qu'y possède R i c h a r d M a p o n y a , l'un des h o m m e s d'affaires les plus puissants de Soweto, propriétaire de toute une chaîne de magasins, de garages, de cinémas. Sans doute est-il un peu moins riche que S a m Motsuenyane, qui a fondé la première b a n q u e noire d'Afrique du Sud avec ses huit succursales, et fait éditer le Who's who de l'élite noire, qui se vend c o m m e des petits pains. Mais l'épouse de R i c h a r d M a p o n y a , qui se p r é n o m m e M a r i n a , vient d'être reconnue, à J o h a n n e s b u r g , c o m m e « la femme d'affaires de l'année », ce d o n t son mari n'est pas peu fier.

P o u r t a n t , ce ne sont é v i d e m m e n t pas les opulentes propriétés de ces h o m m e s qui attirent, à Soweto, l'attention du visiteur étranger. Ni même celle, plus modeste mais n é a n m o i n s cossue, du docteur Motlana, le chef révolutionnaire le plus virulent de la ville noire, que j e ne vais pas t a r d e r à rencontrer.

Non, m ê m e si ce Soweto-là existe également, il est certain que ce n'est pas lui q u ' o n vient chercher ici, en toute priorité. Car, aussi équitable q u ' o n se veuille, q u e l q u e chose d ' a u t r e inévitablement vous attire. Ne serait-ce que p o u r ne pas mériter le reproche de l'avoir négligé.

Ainsi, d a n s une série de ruelles aux allures de cloaques, ai-je voulu voir de près les victimes d 'une inondation qui ravagea, il y a déjà longtemps, un autre q u a r t i e r de la ville. O n avait dit à ces gens : « Considé- rez-vous ici c o m m e d a n s un Transit-camp. Vous y êtes p o u r cinq semaines. » Voilà six ans que cela dure, et que des familles de cinq à dix personnes croupissent dans

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une pièce unique, sans air et sans hygiène, où rôde le choléra.

Bien sûr, cela non plus ne résume pas Soweto.

Il n'empêche qu'en regardant ces enfants, qui me souriaient tandis que je les photographiais, je me suis posé deux questions. D'abord pourquoi me souriaient- ils ainsi et ne semblaient-ils, au fond, pas si malheureux que cela ? Sans doute parce qu'ils étaient nés dans cette ruelle et n'avaient jamais rien connu d'autre. Mais - seconde question - qu'allaient-ils donc devenir quand, sans avoir probablement été à l'école qui n'est pas obligatoire pour les enfants noirs, ils atteindraient dix ou douze ans ? Eh bien, ils deviendraient tout naturel- lement des tsotsies, un mot qui signifie « voyou » en zoulou. Ils rejoindraient alors une de ces bandes, où les plus âgés ont à peine vingt ans, et qui répandent la terreur un peu partout en ville, aussitôt qu'arrive la nuit.

Et là, je me retrouvais en plein cœur de Soweto, où la criminalité juvénile est peut-être le pire fléau créé par la surpopulation et le sous-équipement urbain. Même si l'on peut prévoir que l'électrification — dont il faut bien dire qu'on s'en est seulement soucié après les troubles de

1976 — sera terminée en 1983.

— Chaque week-end, me dit mon chauffeur, il faut compter un minimum de trente personnes assassinées.

Et les autres jours de la semaine, dès le crépuscule, on a intérêt à se barricader chez soi, car les tsotsies n'hésitent pas à entrer chez les gens pour les voler et les tuer s'ils ne se laissent pas faire. Et puis, il y a aussi les shebeen's.

Un accent traduisant une authentique frayeur, mais aussi une vertueuse réprobation a brusquement boule- versé la voix de mon compagnon.

J'apprends alors que les shebeen's ne sont autres que des clubs ouverts toute la nuit, permettant de boire entre hommes, d'écouter de la musique, de discuter jusqu'à l'aube, mais où la discussion tourne souvent à la bagarre et au meurtre. Pas forcément dans tous les shebeen's. Car, ici comme ailleurs, il faut compter avec les

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barrières sociales. Il y a donc les shebeen's de luxe réservés aux beautiful people, c'est-à-dire aux avocats, médecins, jeunes cadres dynamiques. Et puis, il y a également les shebeen's crapuleux, fréquentés par les tsotsies. Mais, quoi qu'il en soit, dans chacun des quatre mille shebeen's de Soweto, il existe toujours un risque plus ou moins grand pour que les choses dégénèrent.

C'est probablement pourquoi, lors des événements de juin 1976, le seul rôle important qu'aient tenu les femmes de Soweto - mères et épouses - fut d'aller mettre le feu aux dépôts qui livrent aux shebeen's les boîtes en carton contenant cette bière épaisse et rose dont les Noirs sont loin de toujours faire un usage raisonnable. Quelques shebeen's furent également brûlés.

Là aussi par des femmes qui, hors des passions politi- ques, et profitant simplement de l'explosion de celles-ci, voulaient montrer leur hostilité à une institution qu'el- les n'ont jamais cessé de condamner.

Mais, puisqu'il vient d'être encore question du drame de 1976, je voudrais citer à son propos deux témoigna- ges publiés par le sénateur belge Wim Jorissen, dans son livre L'Afrique du Sud, un bouc émissaire ?, et qui me semblent importants.

Peut-on dire, en effet, qu'il se soit vraiment agi, comme on voulut le faire croire à l'époque, d'une éruption de colère absolument spontanée ?

Ce n'est pas l'avis de F.A. Tabeev, membre du Praesidium du Soviet suprême d'U.R.S.S. et qui, en tant que manipulateur quasi officiel de l'African National Congress doit posséder quelques bonnes raisons de savoir de quoi il parle. Or, dès octobre 1976, F.A.

Tabeev déclarait, sans aucun détour, à Dar es-Salam, que « les récents événements d'Afrique du Sud n'étaient pas un phénomène spontané. Ils étaient le fruit des efforts d'un mouvement organisé de libération nationa-

1. A.N.C., organisation nationaliste puis révolutionnaire noire, fondée en 1912, dissoute en 1959 et qui, principalement installée au Mozambique, continue de mener un combat clandestin fondé sur l'action terroriste. Son dernier président, Nelson Mandela, est emprisonné à vie depuis 1964.

Mais la relève est assurée.

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le, l'African National Congress, opérant sur une large base qui rassemble des travailleurs, des étudiants et des ruraux tant blancs que noirs et indiens ».

A noter la distinction typiquement marxiste qui était faite entre les travailleurs d'une part, c'est-à-dire les ouvriers, les étudiants et les paysans d'autre part.

Quant à M. Han Hansson, ancien bourgmestre de la ville suédoise de Göteborg, et sentimentalement plutôt favorable à la cause des émeutiers noirs, il écrivait un peu plus tard, après avoir visité Soweto :

« Nous avons circulé en voiture dans la ville afin de voir les bâtiments détruits. Ces destructions ont été opérées avec une grande précision. Toutes les institu- tions touchées remplissaient une fonction sociale posi- tive pour les Noirs. C'étaient des écoles, des cinémas, des bâtiments communautaires, des bureaux d'aide sociale, de paiement des retraites et pensions, des terrains de sport, des magasins pour Noirs. Tout cela fut détruit et incendié. »

Exactement comme s'il s'était agi, afin de ranimer les revendications des Noirs et de préparer leurs nouvelles colères, d'anéantir d'abord tout ce qui semblait suscep- tible de leur assurer une vie meilleure.

Que dire, enfin, de la parfaite coïncidence entre le déclenchement des émeutes et l'ouverture d'une deuxième série d'entretiens qu'allaient avoir, à Was- hington, le Premier ministre sud-africain Vorster et le vice-président des États-Unis Mondale ?

— Et puis, me fait observer le maire de Soweto, David Ngako Thebehali, n'oubliez surtout pas que si pas plus d'un et demi pour cent de la population urbaine participa aux émeutes, nous avons la preuve que des cortèges d'écoliers, tout à fait pacifiques, furent poussés à la violence par des militants étrangers, des Noirs et des Blancs, qui s'étaient glissés dans leurs rangs.

Car je me trouve maintenant face à celui qui préside le City council 1 élu au suffrage universel par les habi-

1. Équivalent d'un conseil municipal.

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tants de Soweto, et dont dépend toute l'administration urbaine. Certes, une campagne d'intimidation, menée par les extrémistes, avait abouti à un très large « boy- cottage » des élections municipales. Elles n'en eurent pas moins lieu et leur résultat fut reconnu comme étant légalement valide.

Dans la pièce où se tient la secrétaire du maire, est épinglée au mur une feuille de papier où j'ai pu lire :

«Je suis sud-africaine.

«J'ai de la chance.

«Je suis née ainsi.

«Je suis fière de ma patrie. » Et cela se termine par ces mots :

« Paix, paix, paix,

« Voilà ce que chacun devrait pratiquer. »

David Ngako Thebehali est un homme affable, direct.

C'est également un gestionnaire précis, qui semble ne jamais citer un chiffre dont il ne soit certain, ni parler d'un projet d'avenir qu'il ne se sache, à coup sûr, capable de mener à bien.

— Nous venons de voter un budget d'investissement de 400 millions de rands 1 me dit-il. Aucune ville, en Afrique, n'en avait jamais fait autant. L'équipement électrique suit son cours selon les plans prévus et nous en verrons bientôt le bout. Reste le problème du logement. Il nous faut 15 000 maisons supplémentaires.

Cela coûtera 170 millions de rands 2

Et comme monsieur le maire ne manque pas d'hu- mour, il ajoute aussitôt en riant :

— Peut-être le président Mitterand, qui semble s'inté- resser tellement au sort des Noirs sud-africains, pour- rait-il nous aider. Il est vrai que, lors de mon récent passage à Paris, M. Claude Cheysson n'a même pas daigné m'accorder l'audience que je lui demandais. Je ne suis sans doute pas assez révolutionnaire pour lui. A ses yeux, je dois avoir le grand tort d 'estimer que la

1. D e u x m i l l i a r d s et d e m i d e francs. Le r a n d est l' u n i t é de m o n n a i e en A f r i q u e d u S u d .

2. U n m i l l i a r d d e francs.

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politique passe après l'économique et le social. A propos, connaissez-vous notre hôpital de Baragwa- nath ?

Je ne l'ai pas encore visité, mais l'ai déjà vu se dresser aux portes de Soweto, comme le plus vaste et le plus moderne hôpital d'Afrique. Son seul budget annuel est même supérieur, assure-t-on, à celui de certains Etats africains. Il compte 3 000 lits, plus de 600 médecins et chirurgiens, un personnel infirmier de 4 000 hommes et femmes. On y soigne environ 100 000 malades par an.

Gratuitement. Car on ne traite ici que des Noirs pour qui l'assistance médicale est gratuite. Ou presque. A chacun il ne coûte, en effet, qu'un rand symbolique (six francs) par an, afin d'obtenir, en échange, interventions chirurgicales, consultations, soins et médicaments sans bourse délier. Tandis que, pour se faire en partie seulement rembourser de leurs frais de santé, les Blancs doivent recourir à un système d'assurances privées très coûteux.

Des médecins et chirurgiens du monde entier vien- nent, chaque année, voir de près l'hôpital Baragwanath où les praticiens blancs entretiennent généralement d'excellents rapports avec leurs confrères noirs. Ces derniers ont cependant exigé d'avoir salles de douche et réfectoire séparés. Quand on leur en demande la raison, ils répondent par un sourire énigmatique. Vieille habi- tude acquise, probablement. Et puis, on est ici à Soweto.

A chacun son tour de pratiquer l'apartheid.

Ayant promis à David Ngako Thebehali d 'aller visiter l'hôpital de Baragwanath, je lui pose tout à coup la question :

— Croyez-vous à la révolution ?

Derrière ses lunettes, il me fixe longtemps avant de répondre :

— Non. Mais, je crois au terrorisme, parce qu il existe partout. Cela dit, il est impossible que les choses restent, en Afrique du Sud, comme elles sont actuellement. Le pays dispose de ressources matérielles et humaines colossales qui n'ont jamais été utilisées. Quatre millions

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et demi d'hommes blancs ne peuvent pas assurer tous les schémas économiques envisageables. Aussi faut-il que les Noirs participent. Mais il est d'abord urgent de les former. C'est seulement par l'éducation et par une adaptation de notre économie aux réalités que nous obtiendrons un légitime changement. Au risque de me répéter, c'est d'abord à l'économique et au social qu'il faut donc penser.

C'est vrai. Mais en écoutant le maire de Soweto, comment ne pas également songer au programme de nos socialistes dogmatiques, aux discours de nos Cheys- son, de nos Jospin annonçant, dès l'été 1981, des

« sanctions économiques » à l'égard de l'Afrique du Sud, sanctions qui, heureusement, n'ont pas encore franchi le cap des fanfaronnades oratoires ?

Quelle méconnaissance des vrais problèmes que la leur ! Dans ce domaine-là comme ailleurs.

- Ceux qui parlent de « sanctions économiques » en prétendant vouloir aider les Noirs d'Afrique du Sud sont des imbéciles ou des menteurs, me dit calmement David Ngako Thebehali. Si sanctions il y avait, ce serait aussitôt, chez nous, la diminution des investissements, la récession, le chômage. Et qui en souffrirait le plus ? La population noire et les Etats noirs voisins que nous soutenons économiquement. Est-ce vraiment bien cela que veulent ceux qui se disent nos « amis » ? Je vous ai dit que je ne croyais pas à la révolution. Sauf, dans le cas de graves troubles sociaux provoqués par une crise économique qui serait due à nos « amis » et à leurs sanctions. Non, ces gens-là ne jouent qu'une carte, et c'est la carte marxiste. S'ils étaient vraiment nos amis, alors je vous jure que nous n'aurions pas besoin d'ennemis. Ceux-là nous suffiraient.

En regagnant Johannesburg, je songe à quelques-uns des chiffres que David Ngako Thebehali m'a livrés en

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vrac. Ainsi m'a-t-il cité 350 écoles primaires et secondai- res dès aujourd'hui en service dans sa ville, 300 églises pour 70 cultes religieux, 1 700 entreprises commerciales exclusivement noires, 1 500 boutiques, 4 stades d'athlé- tisme, de football et de rugby, 7 piscines, 2 vélodromes, 47 courts de tennis, etc. Et il m'a parlé, bien sûr, de la fameuse école normale chargée de former des ensei- gnants, offerte à Soweto par Harry Oppenheimer, le plus grand homme d'affaires sud-africain, président, jusqu'en 1983 du tout-puissant consortium minier de

l' Anglo-American.

Ces chiffres, qui n'estompent d'ailleurs en rien certai- nes visions que je conserve de Soweto, il va pourtant me falloir les mettre quelque temps au repos dans un coin de ma mémoire. Car si je voulais m'y référer auprès de l'homme que je vais, à présent, rencontrer, celui-ci ne manquerait certainement pas de me répondre que tout cela ne signifie rien, et qu'avancer de tels chiffres n'est qu'une façon, parmi d'autres, d'esquiver les vraies questions.

J'ai, en effet, rendez-vous pour déjeuner, au restau- rant de mon hôtel, avec le docteur Motlana, président du très activiste Comité des Dix de Soweto, et dont j'ai déjà dit qu'il passe, à juste titre, pour le plus révolution- naire des leaders noirs à ne pas se trouver en prison ou hors des frontières. Oui, pour le lecteur qui en douterait, je répète que j'ai rendez-vous avec le docteur Motlana au restaurant de mon hôtel où, comme dans tous les grands hôtels des grandes cités sud-africaines, les Noirs entrent et sortent, vont et viennent, boivent un verre au bar, déjeunent ou dînent au restaurant le plus naturel- lement du monde. A la seule condition d'en avoir les moyens, bien sûr. Comme les Blancs. Au début, j'ai presque honte à avouer qu'on est un peu surpris. Car, même en trouvant la chose parfaitement naturelle, on reste toujours plus ou moins sous l'emprise de ce qu'on a lu et entendu. Et l'apartheid - qui, certes, existe encore ailleurs et autrement - a toujours tendance à constituer, dans votre esprit, un tout indissociable.

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Quand il devint docteur en médecine, il y a vingt-cinq ans de cela, il est pourtant vrai qu'on avertit rapidement Ntartho Motlana que, s'il obtenait un poste dans un hôpital pour acquérir une spécialisation, il ne toucherait que 60 p. 100 du salaire d'un médecin blanc. Il voulait devenir pédiatre. Il dut se résoudre à n'être que généraliste et à ouvrir un cabinet, d'abord à Port Elizabeth, puis à Soweto. Mais il n'a pas oublié. Et on ne peut lui donner tort.

Le docteur Motlana est un homme petit, sec, avec des yeux pétillant d'intelligence derrière ses lunettes cer- clées de métal. Mais, dès qu'il parle, son débit s'accélère et trahit vite une nervosité, parfois même une agressivité qu'il éprouve du mal à contenir.

— Je reviens de Pretoria, me dit-il. On y a condamné à mort, ce matin, trois de nos militants qui avaient attaqué plusieurs commissariats et tué quatre policiers.

Ils ont reconnu les faits et sont sortis du prétoire en chantant. C'était superbe. Nous les vengerons. L'heure n'est plus aux parlotes stériles.

Dans le cadre tout de même assez luxueux où nous nous trouvons, avec ce maître d'hôtel blanc qui vient de glisser à mon hôte la carte grâce à laquelle il composera son menu, avec ce sommelier qui me tend celle où figurent les meilleurs crus d'Afrique du Sud pour que je fasse un choix, comment ne pas être d'abord sensible à l'insolite de la situation ?

Après que les professionnelles curiosités du personnel eurent donc été satisfaites, je commence pourtant à exprimer les miennes. On vient juste d'apporter les coquilles Saint-Jacques.

— Vous m'avez dit, sans que j'aie rien eu à vous demander, que l'heure n'était plus aux discussions politiques et qu'il allait falloir passer à l'action. Mais quel genre d'action ? La guerre civile ?

— Évidemment. La violence est le seul moyen pour

nous d'accéder enfin à la dignité puisque nous avons

épuisé tous les autres.

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La coquille Saint-Jacques semble avoir bien supporté le choc des mots. Je demande :

- Mais la guerre civile, vous la ferez avec qui et comment ?

- Avec nos hommes qui s'entraînent actuellement au Mozambique, en Angola, en Algérie, en Libye et même en U.R.S.S. Nous ne prétendons pas gagner militaire- ment sur le terrain, car l'armée sud-africaine sera toujours plus forte que nous. Mais nous ferons le nécessaire pour que la vie des Blancs deviennne ici quelque chose d'intenable. Alors, on en verra beaucoup partir. En direction de l'Amérique du Sud, par exemple.

Nous en tuerons également beaucoup. Les capitaux cesseront d'arriver. Le pays sera désorganisé. Et, le moment venu, les Blancs qui resteront accepteront nos conditions. Avec eux, nous pourrons vivre. Il y a de la place pour tout le monde ici.

Un silence. Nous sommes passés des coquilles Saint- Jacques au navarin d'agneau.

Je demande :

- Et quand pensez-vous la déclencher, cette guerre civile ?

- Mais, le plus tôt possible.

Tant pis, ce n'est peut-être pas de très bon goût, mais j'ai envie de savoir comment va réagir mon interlocu-

teur. Je lui lance donc :

- Croyez-vous que nous aurons tout de même le temps de finir ce déjeuner ?

Le docteur Motlana se détend alors, pour la première fois depuis que nous parlons. Il éclate de rire.

— Oh, oui ! Le contraire serait vraiment trop domma- ge.

Le sommelier vient, en effet, de remplir nos verres d'un excellent cabernet-sauvignon 1978.

Johannesburg naquit, en 1885, d'un camp minier où

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le bois, la tôle ondulée, enfin le torchis allaient vite succéder à la toile des premières tentes.

Non loin de là, dans le Witwatersrand 1 c'est-à-dire dans une région que les Boers avaient surnommée la

« crête des eaux blanches », et qui forme une sorte d'arc de cercle allant du Transvaal à l'État libre d'Orange, on venait, en effet, de découvrir des gisements d'or en telle quantité qu'au début, cela avait même paru suspect. Ou plutôt immoral. Car, était-il conforme à la loi divine qu'une terre aussi impropre à la culture et à l'élevage pût contenir d'aussi fabuleuses richesses qu'il suffisait, du moins le pensait-on, d'aller prendre, pour ainsi dire, là où elles se trouvaient ?

Dans les premiers temps, il avait même été interdit formellement d'en parler. Sous peine de mort. Et puis, l'énormité du trésor enfoui sous le sol aride avait peu à peu commencé à délier les langues sans, pour autant, resserrer autour du cou des bavards le nœud de chanvre du gibet.

Dès 1887, Johannesburg, ainsi baptisée parce que le directeur des mines du Transvaal se prénommait Johannes, comptait donc déjà 3 000 habitants, tous plus ou moins promis à la fortune mais qui allaient, ô combien, devoir la mériter. Car si le Witwatersrand étendait ses gisements d'or sur près de 300 kilomètres de long et 200 de large, l'extraction du précieux métal, contrairement à ce que l'on avait d'abord cru, s'avéra tout de suite beaucoup plus difficile qu'elle ne l'avait été, par exemple, en Californie ou dans le Nevada. Très vite, on s'aperçut, en effet, que les meilleurs gisements étaient les plus profonds. Encore fallait-il, pour arriver jusqu'à eux, forer parfois des puits de plus de deux mille mètres, et créer ensuite des réseaux de tunnels parcou- rant des kilomètres sous terre. On avait donc besoin de machines. Ce qui revient à dire qu'avant d'exploiter l'or, il était nécessaire de trouver beaucoup d'argent.

1. C'est la dernière syllabe de ce mot qui a servi pour désigner l' unité de monnaie sud-africaine.

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Ni celui-ci ni les énergies ne devaient pourtant manquer. Le diamant, découvert vingt ans plus tôt, avait déjà permis l'édification de colossales fortunes.

Celles-ci n'allaient pas laisser passer l'occasion de s'arrondir encore.

En vérité, il manque aujourd'hui à Johannesburg ne serait-ce qu'une dernière ombre de ce passé de rudesse mais aussi d'aventure qui n'est même pas vieux d'un siècle. Ainsi aimerait-on pouvoir imaginer les caravanes de chariots, traînés par des bœufs, arrivant du sud pour s'arrêter à Market square, où les bêtes avaient enfin droit à quelque repos, tandis que des géants bataves qui venaient de faire, tout au long du chemin, le coup de feu contre les Matabélés, parfois contre les grands fauves, déchargeaient les cargaisons de vivres et d'ustensiles divers, aidés par leurs épouses, des « femmes fortes » pareilles à celles de l'Evangile. Bref, en déambulant à travers les quartiers du centre, on aimerait, quelquefois, pouvoir au moins rêver un peu.

Mais à Johannesburg, il n'y a plus guère de place pour le rêve. Au pied de ses tours de quarante étages, la ville est fonctionnelle et rien d'autre. Les affaires y ont succédé à l'aventure qui pourtant, elle, ne les excluait pas. Dans la demi-heure qui suit la fermeture des bureaux, les rues se vident en moins de temps qu'il ne faut pour s'en apercevoir. Les Noirs vont retrouver Soweto, par le train, par le bus ou même en voiture. Les Blancs regagnent leurs banlieues résidentielles et leurs piscines. La ville devient déserte et dangereuse.

Dans les hôtels, on vous prévient alors qu'il est plus sage d'appeler un taxi pour qu'il vous mène au restau- rant où vous devez dîner. Même si celui-ci ne se trouve éloigné que de trois cents mètres que vous vous propo- siez de parcourir à pied.

Et — détail qui a son importance - pour peu que ce restaurant ne possède pas la licence lui permettant de vous servir du vin, si vous n'êtes pas invité par un Johannesburgeois qui pense à tout, et si vous ne voulez pas être condamné à l'eau minérale, il faut espérer que

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vous n'aurez pas oublié de vous munir d'un bon cru local, qui, d'ailleurs, en vaut généralement la peine. On se fera même alors un plaisir de vous offrir, sans qu'il vous en coûte rien, le tire-bouchon pour déboucher la bouteille et les verres pour déguster son nectar. Mais je connais des œnologues sud-africains n'omettant jamais d'apporter leurs verres personnels avec eux, afin d'offrir aux vins qu'ils ont choisis le cristal qui leur convient le mieux.

Cela dit, comme on sent la puissance de l'argent à Johannesburg ! La grande métropole du Transvaal n'a peut-être pas l'argent très gai, mais que d'argent elle a ! Encore faut-il bien faire la distinction entre les capitaux contrôlés par l'Etat et ceux restés aux mains des particuliers.

Dès qu'ils eurent enfin cessé de devoir partager plus ou moins le pouvoir avec les colons d'origine britanni- que, c'est-à-dire en 1948, les Afrikaners 1 du Parti nationaliste voulurent, en effet, et dans toute la mesure du possible, mettre l'économie sud-africaine à l'abri de la tutelle des anglophones minoritaires. Ainsi l'afrika- nerdom 2 s'empressa-t-il d'abattre la main de l'Etat successivement sur l'acier (ISCOR), le charbon, le pétrole et le gaz (SASOL), l'électricité (ESCOM), les phosphates (FOSCOR), l'aluminium (ALUSAF), les pêcheries (FISHCOR), enfin sur les investissements industriels (IDC).

— Nous représentons 60 p. 100 de la population blanche, m'a dit un industriel afrikaner. Par l'intermé- diaire des nationalisations, nous contrôlons 60 p. 100 de l'activité économique du pays. Normal. Si d'aventure les anglophones revenaient au pouvoir, ce qui est d'ailleurs difficile à imaginer, ils seraient les premiers à

1. C'est le nom qu'on donne aux descendants des Boers (paysan, fermier en néerlandais) c'est-à-dire des premiers colons originaires des Pays-Bas arrivés en Afrique du Sud au début de la deuxième moitié du XV II siècle.

Des Huguenots français, chassés par la révocation de l'édit de Nantes, les rejoignirent en 1688, et s'intégrèrent vite à eux.

2. On traduirait : le pouvoir ou la puissance afrikaner.

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ment devrait évidemment comprendre des Noirs, des métis, des Indiens, pourquoi pas un président noir ?

Qu'on relise, à ce sujet, ce que me disait, au Cap, un homme aussi réaliste que Louis Pienaar

Utopie que tout cela ?

Suicidaire abandon que rien ne justifie ?

Ou bien, au contraire, nouveau piège machiavélique tendu aux Noirs afin de mieux consolider le pouvoir blanc ?

Manœuvre ultime, à tout le moins, pour différer encore la fatale échéance ?

Les ultras de tous bords n'ont, à vrai dire, que l'embarras du choix lorsqu'il s'agit, pour la mauvaise cause, de faire taire un instant leurs divergences et de former un chœur avec leurs discordances.

Trop d'hommes, pourtant, appartenant à différentes tendances - y compris des Noirs, bien sûr - ont participé à l'élaboration du Good hope plan, pour qu'on puisse affirmer que tous aient résolu d'en faire un marché de dupes.

En tout cas, pour l'instant, qui dit mieux ? Et celui-là, s'il existe, que dit-il ?

*

— Ah, si nous n'étions pas un État clérical, sous la domination des pasteurs de tous crins ! Avec, d'un côté, Desmond Tutu, l'évêque noir aux idées rouges, qui ne cesse de prêcher la révolte et d'annoncer un « bain de sang » pour demain. Tutu et les siens, bien sûr ! Avec, sur l'autre rive, le fanatique Jan Jooste à la tête de son Eglise réformée hollandaise qui croit encore, ou peu s'en faut, que les Noirs sont les descendants de Caïn, et que Dieu a donné à leur peau la couleur de leur âme pour que les autres hommes sachent définitivement à quoi s'en tenir sur leur compte ! Avec, à Genève enfin, les

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calvino-socialistes du Conseil œcuménique des Égli- ses !

Et pourtant, c'est un bon protestant qui me parle ainsi. Il va au temple chaque dimanche. Une Bible se trouve, en permanence, dans la boîte à gants de sa B.M.W. Quant à sa fille, si elle épousait un catholique romain, il m'a juré, en abattant lourdement son poing sur son bureau, qu'il la déshériterait sur-le-champ et ne la reverrait plus.

Mais comment ne serait-il pas sensible, à l'intérieur et autour de son pays, à la conspiration des pasteurs ?

Car si c'est vrai en Afrique du Sud même, ce l'est plus encore au dehors.

J'ai lu récemment, sous la plume d'un pasteur, membre du Conseil œcuménique des Eglises, cet éton- nant jugement :

« Que quelques progrès aient été faits en Afrique du Sud, c'est possible. Mais ils sont à peu près du même ordre que si les nazis avaient autorisé les Juifs à ne plus porter l'étoile jaune tout en continuant de les envoyer aux fours crématoires. »

Rien que cela !

On cite les noms, c'est vrai, de militants révolution- naires noirs, condamnés à mort et exécutés après avoir été reconnus coupables de crimes terroristes. On cite les noms, c'est vrai, de Steve Biko et d'Ernest Mabi Dipale, deux Noirs qui menaient le combat contre l'Etat sud- africain et qu'on a retrouvés morts, en prison, dans des conditions dont le manque, ou plutôt, hélas ! l'excès de clarté ne fait guère honneur à la justice de Pretoria et à son administration pénitenciaire. On dit que cinquante- trois prisonniers noirs ont ainsi péri, depuis près de vingt ans. Bref on cite des noms et l'on donne des chiffres. Et l'on a certainement raison de le faire.

Monsieur le pasteur du Conseil œcuménique des Églises, lui, pour mieux se faire comprendre, préfère noyer sa prose dans la fumée des fours crématoires.

Cette fumée avec laquelle montaient vers le ciel des milliers de noms que seul Dieu pouvait reconnaître au

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passage, et tout ce qui restait d'hommes et de femmes dont nul ne saurait jamais combien s'étaient ainsi dissipés...

Autrement dit, monsieur le pasteur pratique l'amal- game à ses heures perdues, comme il ferait une réussite ou jouerait au Scrabble.

Et le professeur F.O. Albrecht 1 fils de l'héroïque Berthie Albrecht, assassinée par les nazis, Compagnon de la Libération et dont le corps mutilé repose dans la crypte du mont Valérien, lui répond :

« Si vous alliez visiter l'hôpital noir de Soweto, vous verriez que les Blancs y ont installé de nombreuses couveuses pour sauver les enfants prématurés noirs.

Hitler n'a jamais fait cela pour les Juifs. »

Mais il n'est pas sûr que monsieur le pasteur ait eu le temps de lire cette réponse. N'était-il pas, déjà, trop occupé à écrire :

« Le Conseil œcuménique condamne l'Afrique du Sud parce qu'elle se dit chrétienne. Il n'a pas à s'occuper des victimes de l'Afghanistan, des Goulags ou du racisme soviétique en général car les dirigeants soviétiques sont des athées. »

Moyennant quoi, le Conseil œcuménique des Eglises peut s'employer, la conscience en paix, à soulager l'effort soviétique en Afrique australe. Et il le fait grâce à l'assistance qu'il prodigue lui-même aux organisations terroristes comme l'A.N.C. ou la S.W.A.P.O., chargées d'ouvrir, par le chantage et par le crime, la voie au colonialisme marxiste-léniniste.

Lénine avait bien dit : « Qui tient l'Afrique tient l'Europe. »

Il n'est pas sûr, toutefois, qu'il ait exactement prévu quel rôle joueraient, pour aider ses successeurs à s'emparer de l'Afrique, ceux qui, entre deux lectures des Ecritures saintes, semblent déjà trépigner sur place dans l'allègre impatience de livrer cette Afrique tout entière, puis l'Europe, à l'ancien chef du K.G.B.

1. Président des Amis français des Communautés sud-africaines.

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Le rôle joué par la Grande-Bretagne au sein de ce même combat n'est d'ailleurs pas non plus à négliger.

Du moins son rôle d'accueil et d'hébergement. J'ai dit, plus haut, de quelle hospitalité jouissaient à Londres les dirigeants de l' Africain national congress et du Parti com- muniste sud-africain en exil. Bien qu'ayant officielle- ment son siège sur les bords du lac Léman, le Conseil œcuménique se sent tout aussi à son aise le long de la Tamise. Et l'on sait qu'Amnesty international y est installée à longueur d'année. Or nul n'ignore quelle cible perma- nente constitue l'Afrique du Sud pour cette organisation

« au-dessus de tout soupçon » dont le fondateur, Sean Mac Bride, reçut le prix Lénine en 1977 en récompense de ses bons et loyaux services. Quant à son chef des services de recherches, Derek Roebuck, doyen de la faculté de droit de l'université de Tasmanie, n'oublions pas qu'il reste l'un des membres les plus influents du Parti communiste australien, et possède, à Moscou, ses grandes et ses petites entrées, à condition de se montrer respectueux des consignes.

Sans mettre ici directement en cause le gouvernement britannique lui-même, Londres n'en est donc pas moins, en Europe de l'Ouest, la place forte d'où sont décochées, à longueur d'année, les flèches les plus empoisonnées à destination de l'Afrique du Sud.

Comme s'il y avait toujours un vieux compte à régler entre l'ombre de la puissance britannique de jadis et ces Boers insolents qui, les premiers, avaient osé la défier.

Aussi curieux que cela puisse paraître, la France actuelle n'a donc pas trop mauvaise presse en Afrique du Sud.

En d'autres termes, on la prend comme elle est.

— J'aime bien Claude Cheysson, m'a même dit un journaliste de Johannesburg. Un soir où il passait à la télévision, prononçant un discours à la tribune de je ne

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sais plus quelle assemblée internationale, j'ai aussitôt mis en marche mon magnétoscope, et dit à mon fils de cinq ans : « Lorsque tu ne voudras pas aller te coucher quand ta maman t'envoie au lit, je te montrerai le monsieur. » L'effet a été foudroyant. Depuis, j'ai même pu m'offrir le luxe d'effacer la bande. Mon fils n'en sait rien mais se tient toujours à carreau. Au cours d'un voyage en France, j'ai vu Marchais à la T.V. Il est évidemment beaucoup plus drôle que Cheysson. Il doit pourtant faire moins d'effet sur les enfants.

A plusieurs reprises j'ai demandé, ici et là, ce que l'on avait pensé du discours de Lionel Jospin s'adressant aux cadres du Parti socialiste, peu après le 10 mai 1981, et n'envoyant pas dire à l'Afrique du Sud qu'avec l'arrivée des socialistes au pouvoir en France elle n'aurait, désormais, qu'à bien se tenir. Ou bien, j'ai cherché à savoir quels échos avait suscité l'accueil fort amical réservé par le même Jospin au sanglant Sam Nujoma.

- Jospin, qui est-ce ? m'a-t-on généralement répon- du.

Et l'on a parlé d'autre chose.

Un professeur de Wits university m'a enfin dit :

— Bien sûr, vos hommes politiques de gauche racon- tent n'importe quoi sur l'Afrique du Sud. Mais, dans tout cela, il faut faire la part du folklore. En ce moment, faute de mieux, l'essentiel, pour nous, c'est donc que la France reste bonne cliente et bon fournisseur. Et jusqu'ici, de ce côté-là, ça ne va pas mal. Le reste n'aura qu'un temps. Et tout compte fait, même aujourd'hui, certains journaux français ne disent pas beaucoup plus de bêtises à notre sujet que ceux de pas mal d'autres pays qui ne sont pas socialistes. Allez, au fond, on vous aime bien !

Deux cents Huguenots dont huit cent mille Sud- Africains portent aujourd'hui les noms, et qui n'ont pas légué à ce pays ce qu'il a de moins énergique ni de moins fidèle à lui-même, cela ne s'oublie pas facilement !

Il demeure donc, pour la France, en dépit de ses écarts de langage et souvent de conduite, en dépit de son

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incompréhension chronique due surtout à sa fondamen- tale méconnaissance des problèmes de l'Afrique du Sud, il demeure donc pour elle une place privilégiée au cœur de la plupart des Sud-Africains, une place qu'il ne tient qu'à nous de mieux occuper ou de retrouver, à condition d'en avoir envie.

Avec les Etats-Unis, le Sud-Africain est beaucoup plus sévère.

En effet, il n'oublie d'abord pas les coupables com- plaisances vis-à-vis des Cubains en Afrique, trop long- temps imposées à Jimmy Carter par son représentant aux Nations unies, le plus que douteux Andrew Young, homme de couleur aux options ambiguës. N'était-ce pas ce haut fonctionnaire du Département d'Etat qui, en 1977, avait présenté les 25 000 soldats de Castro, débar- quant en Angola, comme de paisibles conseillers agrico- les, et parlé du rôle « stabilisateur » qu'ils s'apprêtaient à jouer sur le continent africain ?

Aujourd'hui, avec Reagan, les choses ont quelque peu changé.

« Les Etats-Unis sont les amis de l'Afrique du Sud, s'est empressé de déclarer le nouveau président au lendemain de son élection. Nous n'abandonnerons pas une nation qui fut toujours à nos côtés. »

Il aurait pu s'agir seulement là de bonnes paroles.

Mais à peine avaient-elle été prononcées que le chef de la Maison-Blanche nommait, comme sous-secrétaire d'État chargé des question africaines, un jeune homme de trente-neuf ans, Chester A. Crocker, bien connu en Afrique du Sud pour y avoir longtemps séjourné, s'y être même familiarisé avec la langue afrikaans, et avoir épousé une Rhodésienne « blanche » issue de plusieurs générations de colons britanniques.

Chester A. Crocker passait alors, à juste titre, et continue de passer pour l'un des meilleurs, sinon le

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meilleur spécialiste américain de l'Afrique australe, ne s'intéressant pratiquement qu'à elle depuis quinze bonne années. Et sa nomination arrivait même d'autant plus à point que son supérieur hiérarchique direct, William Clark, venait de déclarer publiquement qu'il ignorait le nom du Premier ministre d'Afrique du Sud, et si le président du Zimbabwe était noir ou blanc.

Les premières paroles du nouveau sous-secrétaire d'Etat firent, dans l'ensemble, un assez bon effet. Au cours d'un voyage qui, en juin 1981, allait lui permettre de rétablir un contact personnel avec l'Afrique du Sud, il se plut à souligner la nécessité de « contrer l'aventurisme communiste dans un sous-continent riche en ressources minérales et important stratégiquement ». Il décrivit l'isolement de Pre- toria comme « générateur de catastrophes ». Il assura même qu'il convenait d'être aux côtés du gouvernement d'A- frique du Sud lorsqu'il faisait « des efforts sérieux et honnêtes pour s'éloigner de l'apartheid ».

Il y avait longtemps que pareil langage n'était pas tombé des lèvres du représentant d'un grand Etat occidental.

Hélas, pour l'Afrique du Sud, Chester A. Crocker devait rapidement tempérer ces propos, les faisant suivre d'autres digressions qui eurent moins l'heur de plaire à ses interlocuteurs. Il se hasarda, tout d'abord, à observer un distinguo peu apprécié entre les « mouve- ments utilisant un verbiage marxiste » — désignant ainsi la S. W. A. P.O. de Sam Nujoma - et ceux « formés de communistes convaincus ». Aux espoirs sud-africains d'ob- tenir que les Etats-Unis rompissent l'embargo sur les armes, il s'empressa d'opposer « l'écrasante supériorité de Pretoria dans toute la région », donc le souci américain de ne pas voir l'Afrique du Sud « abuser de la situation ».

Enfin, au moment où j'écris ces lignes, le rêve un instant caressé par P.-W. Botha et le général Magnus Malan de voir leur pays associé à une réplique australe de l'OTAN, et les Etats-Unis s'installer, du même coup, à Simonstown en même temps qu'à Silvermine, semble toujours très éloigné d'un espoir de réalisation.

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A un optimisme prématuré, a donc vite succédé une déception d'autant plus grande.

Tant et si bien que, même si les États-Unis demeu- rent fermes à l'égard de la présence des Cubains en Angola, de vieilles amertumes refont peu à peu surface.

« On commerce avec nous, disent les Sud-Africains, quand il s'agit de gagner de l'argent ou de trouver, dans notre sous-sol, ce qu'on n'a pas chez soi. Mais dès qu'il pourrait être question d'aller plus loin et de nous traiter en véritables partenaires, on se demande aussitôt ce que le monde, et surtout le reste de l'Afrique en penseront.

Or, même si nous n'avons pas encore découvert la meilleure façon de régler notre problème noir, est-ce bien aux Américains de nous le reprocher ? »

Et de citer alors, comme exemple de sagesse et de lucidité, ces phrases prononcées au temps de Vorster, en 1975, par le président Félix Houphouët-Boigny : « En tant qu'hommes, et surtout en tant que nègres, la discrimination raciale, l'apartheid ne peuvent que nous révolter. Mais le tout n'est pas de dénoncer le mal. Il n'y a pas, et soyons honnêtes en l'affirmant, trois voies pour le règlement de ce différend mais seulement deux : la voie de la force, de la guerre, ou la voie du dialogue.

L'Afrique a besoin d'une longue période de paix. Il faut donc aider Vorster et son équipe à s'engager résolument dans la voie du dialogue avec les Noirs, les métis et les Indiens d'Afrique du Sud. »

A Pretoria, dans son vaste bureau de commandant en chef de l'armée, avec sa chemise à col ouvert et ses manches retroussées, le général Geldenhuys ressemble à un sous-lieutenant. Probablement à celui qui reçut, au sortir de l'Ecole militaire, ce sabre d'officier accroché au mur, seul emblème guerrier dans un décor de P.-D.G.

Je lui demande :

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— N'y a-t-il pas des moments où vous vous sentez un peu seul ?

Il réfléchit, sourit...

— Oh, bien sûr, fait-il. Dire que nous sommes tout à fait heureux ainsi ne serait pas très exact. Même au sein d'une collectivité comme la nôtre, où l'on ne manque ni de travail ni d'un certain sens de l'abnégation, y a-t-il des hommes qui aiment se sentir seuls, ou plutôt délaissés ? Principalement lorsqu'ils savent quelle contribution ils pourraient apporter à ceux avec lesquels ils croient avoir beaucoup de choses en commun. En revanche, la solitude peut aussi forcer de tels hommes à montrer plus d'énergie, de caractère, à extérioriser davantage de talent, à tendre vers un supplément de réussite. Bref, à se surpasser. Enfin quoi, on ne va pas pleurer !

J'ai vu l'armée sud-africaine en Namibie. A travers l'un de ses chefs, je la retrouve ici telle qu'elle m'est apparue là-bas. Sûre de sa force, de son bon droit, de sa mission.

Et, dans sa mission, il n'y a pas seulement le devoir de défendre, coûte que coûte, l'intégrité du sol sud-africain et la sécurité de ses habitants. Il y a aussi la volonté, l'obligation de contribuer à créer un avenir différent.

— Nous sommes le premier grand corps de l'Etat, me dit le général Geldenhuys, à avoir réalisé la totale intégration des Noirs au sein de nos unités. Je ne dis pas que ce soit un exploit, quelque chose devant quoi il faille s'émerveiller. Mais c'est important, car il l'est toujours de montrer l'exemple. J'ai la conviction que le gouver- nement s'est donné pour objectif majeur de trouver une solution humaine, juste et utile au problème noir. Tout le monde, en Afrique du Sud, n'est pas d'accord là-dessus et ne veut pas aller vers cette solution. Mais au premier rang de ceux qui le veulent, il y a l'armée de la république.

Je pose l'inévitable question.

— Dans quelle mesure l'embargo vous gêne-t-il ?

— Si nous ne le subissions pas, nous le redouterions. Il

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faudrait alors nous montrer plus prudents, plus écono- mes dans l'utilisation de nos armes face à la guérilla.

Cela nuirait à notre efficacité. Tandis qu'avec l'embar- go, tout est clair.

— Avez-vous assez d'hommes ?

- Plus qu'il ne nous en faut. Il est d'ailleurs à noter que, partout ailleurs, dans le genre de guerre semblable à celle que nous menons au nord de la Namibie, il est nécessaire d'avoir douze à quatorze hommes pour faire équilibre à un seul guérillero. Ici, deux nous suffisent.

Mais cela tient aussi à la baisse de qualité régulière des combattants de la S.W.A.P.O. qui sont à bout de souffle et n'y croient plus. En revanche, les nôtres ont un très fort tonus. Nous enrôlons, chaque année, 35 000 garçons. En cinq ans nous avons seulement compté trois objecteurs de conscience. Et pourtant, je vous jure qu'il y a une organisation à l'étranger, la Commission of South Africa War résistance (C.O.S.W.A.R.) qui se donne un mal de chien pour susciter les défaillances dans nos rangs.

Parmi les pays où, comme c'est le cas en Afrique du Sud, l'armée tient une si grande place, autant par les devoirs qui lui incombent que par les moyens dont elle dispose pour les remplir, très rares sont ceux où cette même armée sait, avec un égal naturel, faire preuve d'une telle discrétion dans la vie quotidienne de la nation.

J'y songeais, tout en écoutant le général Geldenhuys me citer quelques chiffres. Tout d'abord, me parler d'un budget militaire équivalant à 5 p. 100 du P.N.B.

sud-africain ; m'apprendre ensuite que plus de 90 000 hommes se trouvaient en permanence sous les drapeaux dans les trois armes, et qu'il était possible d'en mobiliser presque instantanément 400 000 prêts à combattre ; m'énumérer enfin les progrès faits, chaque jour, par la manufacture d'armes appartenant à l'Etat, FARMSCOR.

Son obusier « G 5 » de 155 mm, serait ainsi capable de tirer des projectiles à ogive nucléaire si l'Afrique du Sud en disposait. Quant à son « G 6 rhino », version

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automouvante du « G 5 », il est considéré par les experts comme le meilleur canon du monde, dans ce type.

Enfin, tandis que je songeais aux trois sous-marins Daphné, en cours de perpétuel rafistolage à la base de Simonstown, j'étais soudain informé comme s'il s'agis- sait de la chose la plus banale du monde, que les prochains sous-marins de la South African Navy seraient...

sud-africains.

Et pourtant, c'est vrai, le visage de l'Afrique du Sud demeure - sauf, bien sûr, en Namibie - le plus civil qui soit. Pratiquement aucun militaire dans les rues. Il faut dire qu'on y voit, également, un minimum de policiers.

Trop peu même, se plaignent de nombreux citoyens que l'insécurité inquiète et qui déplorent qu'il n'y ait qu'un policier pour 743 habitants, contre un pour 305 en France. Nul avion dans le ciel, sinon ceux des compa- gnies civiles. Il semble donc, en Afrique du Sud, que le vieil adage « Montrer sa force pour ne pas avoir à s'en servir » soit devenu peu à peu « Ne pas la montrer pour mieux s'en servir, quand cela devient nécessaire. »

Avant que nous nous séparions, le général Gelden- huys, à qui j'avais demandé s'il croyait qu'un conflit mondial pouvait naître en Afrique australe, me répond :

- Que l'U.R.S.S. veuille faire, de cette région du monde, une zone d'influence où elle exercerait une véritable hégémonie totalitaire, sans trop se soucier des conséquences que cela risquerait d'avoir, et l'on pour- rait, dans ce cas, redouter le pire, c'est vrai. Mais vous savez de quelle façon procèdent les Russes. Ils essaient des « coups ». Si cela marche tant mieux. Si on leur tient tête, ils vont essayer autre chose ailleurs. Je ne pense pas qu'ils aient, pour l'instant, vraiment besoin de nos matières premières. Mais ils voudraient bien, évidem- ment, qu'elles échappent à l'Occident. On est aussi en droit de les imaginer rêvant de contrôler l'Atlantique- Sud à partir de l'Angola. Nous avons vu, avec la guerre des Falklands, quelle importance pouvait prendre cet Atlantique-Sud. Mais c'est à l'Occident de ne pas se

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laisser faire. Le veut-il ? Voici la grande question. En vérité je crois p o u r t a n t que, toutes proportions gardées, l'Angola pourrait devenir une sorte de V i e t n a m p o u r les Russes. La guerre de N a m i b i e nous coûte un million de rands p a r jour. Aux Russes, douze millions, au moins.

Et leur position devient de plus en plus difficile.

C o m m e n t faire croire, p a r exemple, aux Angolais que Savimbi n'est pas un Noir et qu'il ne veut pas être un h o m m e libre ? Le c o m b a t p o u r la liberté n'est donc plus le monopole des Soviétiques. O r c'était leur g r a n d a r g u m e n t . T o u t c o m m e les Américains au V i e t n a m , à cette différence près que, là, c'était vrai. Les C u b a i n s eux-mêmes n'y c o m p r e n n e n t plus rien. O n leur avait dit : « Venez délivrer la N a m i b i e de ces affreux Blancs. » Et m a i n t e n a n t , ce sont des Noirs encore plus

« affreux », selon N u j o m a et le g o u v e r n e m e n t de Luan- da, qu'il faudrait libérer l'Angola. C'est d'ailleurs bien pourquoi, l o r s q u ' u n soldat cubain est sérieusement blessé, on ne le renvoie j a m a i s chez lui directement. O n le répare d ' a b o r d en U.R.S.S. ou en Allemagne de l'Est.

Et on lui remet les idées en place b e a u c o u p plus soigneusement que ses abattis. Rappelez-vous ce que je vous dis : l'Angola est, p o u r les Russes, un terrible piège. A nous de ne pas les aider à trop bien s'en sortir.

Samedi matin.

Le Tout-Soweto a investi Johannesburg.

Avant-hier, en fin de journée, il m'avait déjà semblé que la ville changeait de couleur. Je l'avais, soudain, vue noircir avec le jour qui baissait, et ne pas même accorder une heure à la plus grande partie de sa population laborieuse pour s'en aller vivre et dormir ailleurs.

Mais là, c'est en plein soleil que la peau de cette foule prend, uniformément, la couleur de la nuit.

Et chaque samedi, c'est la même chose.

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Dès les premières heures de la matinée et jusqu'à celle, vers midi, où ferment les magasins, Johannesburg devient une ville exclusivement noire, vers laquelle, par tous les moyens de transport disponibles, des familles entières déferlent non seulement de Soweto mais de chacune des autres cités-dortoirs de la périphérie, pour admirer les vitrines, faire des emplettes, grimper jus- qu'au cinquantième étage du luxueux Carlton-Center d'où l'on découvre l'un des panoramas les plus dépri- mants qui soient au monde.

Bref, pour permettre à chacun de rêver, durant une matinée, qu'il est différent de ce qu'il est.

Rêver sans haine et sans crainte. Car j'ai vu, le samedi matin à Johannesburg, des milliers et des milliers de visages noirs. Mais sur aucun, je n'ai cru pouvoir lire — n'en déplaise à ceux que cela remplirait d'espérance — la moindre tentation, annonce ou angoisse de quelque révolte ou sporadique violence.

Une fois, tout près de l'hôtel que j'habitais, j'ai découvert de jeunes Noirs - peut-être un peu « tsotsies » à leurs heures perdues, je ne jurerais pas du contraire- en train de danser, les yeux dans le vague, sur le trottoir et la chaussée, parce que leurs compagnons faisaient déjà craquer les murs du magasin de disques d'où venaient les rythmes et les accents qui les rendaient heureux. Tandis que j'allais faire un léger détour pour éviter leurs ébats chorégraphiques, je me suis alors entendu interpeler :

— D'où êtes-vous, monsieur ?

— De France.

Immédiatement, je fus empoigné par une dizaine de mains juvéniles.

— Eh bien, si vous êtes Français, venez danser avec nous !

Mais une heure plus tard, Johannesburg était redeve- nue déserte et lugubre. Sans ses Noirs et presque sans un Blanc dehors, elle resterait ainsi jusqu'au lundi.

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Ce soir, un Boeing 747 va donc m ' e m p o r t e r . Nous ferons escale au cap Vert dont l'aéroport est, dans cette région du monde, l'un des rares accessibles aux appa- reils des lignes sud-africaines.

Et puis ce sera Paris, la France retrouvée...

Si seulement ce pouvait être tout à fait vrai !

T a n d i s que je boucle mes valises, j'ai mis en m a r c h e la télévision.

S u r une chaîne, est retransmise une rencontre de rugby qui vient de s'achever. Sur une autre vont se dérouler plusieurs matches de boxe commentés en zoulou, car ce canal est destiné à la population noire.

De solides gaillards, à la peau d'ébène, se martèlent m u t u e l l e m e n t le visage et les flancs avec une a r d e u r qui suscite l'enthousiasme de la foule.

Mais tout à coup, ô surprise ! Les deux boxeurs en présence ne sont plus de la m ê m e couleur. En effet, il y a bien un Noir au crâne rasé, mais également un Blanc à la tignasse rousse, faisant tous deux assaut de directs, crochets et uppercuts. Q u a n t à l'arbitre, il est noir lui-même. Pour l'instant le Blanc a légèrement le dessus.

Mais le Noir finit p a r l'emporter de justesse aux points sous les applaudissements d'ailleurs discrets du public.

Les deux h o m m e s s'embrassent. Le Noir va raccompa- g n e r le Blanc dans son coin en le tenant p a r les épaules.

Eh oui !

D'ici quelques jours, je lirai peut-être, dans un j o u r n a l français, que les relations sportives ne sont d é c i d é m e n t pas possibles avec un pays qui a osé étendre l ' a p a r t h e i d j u s q u ' a u d o m a i n e des joutes musculaires.

Q u e devrai-je alors penser ? Q u e ce j o u r n a l est mal informé, qu'il est de mauvaise foi ? O u bien que j'ai mal vu ? A moins que ce ne soit moi qui ait mauvais esprit ?

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