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VELAZQUEZ ET LA FRANCE

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Academic year: 2022

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VELAZQUEZ

ET LA FRANCE

L'Espagne s ' a p p r ê t e à célébrer par une exposition et un colloque international, le tricentenaire de son plus grand peintre. Le meilleur hommage que la France puisse l u i rendre, n'est-il pas de rappeler l'influence q u ' i l a exercée sur les artistes de notre pays ?

Le rayonnement des peintres de l'Ecole espagnole à l ' é t r a n g e r n ' a pas été en proportion de la haute valeur artistique de leurs œ u v r e s , et cela pour deux raisons.

La première est que, malgré le pillage des trésors constituant le patrimoine national de l'Espagne, dénoncé et stigmatisé par Juan Antonio G a y a - N u ñ o , les principaux chefs-d'œuvre de Greco, de Murillo, de Velázquez (1) et de Goya sont restés in situ dans la péninsule i b é r i q u e . Il en résulte que si un historien ou un amateur d'art peut se faire une idée de L é o n a r d de V i n c i et du Titien ailleurs qu'en Italie, de Rubens en dehors du Musée d'Anvers et de Rem- brandt aussi bien à Londres, à B e r l i n ou à Leningrad qu'au Rijksmu- seum d'Amsterdam, il est pratiquement impossible de découvrir Velázquez ailleurs qu'au Prado de M a d r i d . On ne peut guère citer que deux œ u v r e s majeures du peintre de Philippe IV qui se trouvent au-delà des P y r é n é e s , « tras los montes » : le portrait du pape Inno- cent X d e m e u r é dans le palais des princes Doria-Pamphili à Rome, la Vénus au miroir acquise par la National Gallery de Londres.

(1) On a pris l'habitude d'écrire en français Velasquez. Mais 11 serait préférable de se conformer à l'orthographe espagnole : Velàzquez avec un double z. C'est un nom patro- nymique du même type que Fernandez, Hernandez (fils de Ferdinand ou Fernand) qui signi- fie flls de Biaise (Blasco, Vasco, Velasco).

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82 V E L A Z Q U E Z E T L A F R A N C E

La seconde raison du manque relatif d'expansion de l'Ecole espagnole est l'inexistence presque totale en ce pays de la gravure de reproduction, véhicule incomparable de diffusion artistique dont bénéficièrent largement en France Poussin et Claude L o r r a i n , R i g a u d et Largillierre, Greuze et Fragonard, en Angleterre, Reynolds Romney et Lawrence.

C'est par la gravure au burin, p r a t i q u é e de main de m a î t r e par Nanteuil et les Drevet, Wille et Bervic que les œ u v r e s des peintres français furent popularisées dans l'Europe entière. Les Anglais parvinrent au m ê m e résultat avec des procédés différents : la m a n i è r e noire ou mezzolint et la gravure en pointillé (stipple engra- ving) p o r t é e s à leur point de perfection par Valentine Green et John R a p h a ë l Smith, R y l a n d et Francesco Bartolozzi.

Velázquez ne trouva malheureusement pas dans l'Espagne du X V I Ie siècle de graveur pour servir sa gloire et le faire connaître outre-monts. Nous en avons une preuve bien curieuse : ce sont les lamentations du peintre J u s è p e Martínez (1) qui déplore les bénéfices que font les F r a n ç a i s en vendant des estampes à ses compatriotes :

« Je demandai par curiosité à un marchand français quel profit il tirait de l'Espagne avec ses gravures. Il me r é p o n d i t que cela d é p a s s a i t 4.000 ducats par an. J'en ressentis un grand chagrin, voyant q u ' à cause du peu de g o û t de notre nation pour le travail et du manque de protection de l'art de la gravure, elle laisse ces gains aux étrangers ».

De là vient que les Français du siècle de Louis X I V ignorent ou méconnaissent complètement le génie de Velázquez dont ils ne savent m ê m e pas orthographier le nom qu'ils transforment en

« Velasque » (2).

Il faut attendre l ' a n n é e 1752 pour que le roi d'Espagne Ferdi- nand VI décide, sur l'initiative de son ministre le marquis de la Ensenada, d'envoyer à Paris un jeune dessinateur Manuel Salvador Carmona afin d'y faire l'apprentissage de la gravure au burin. Il apprit son m é t i e r à l'école de Nicolas Dupuis dont la r é p u t a t i o n égalait celles de La Bas et de Wille. Malheureusement, au lieu d'en tirer parti pour populariser les œ u v r e s de ses compatriotes, il préféra graver le portrait de François Boucher et i n t e r p r é t e r les peintures de Charles Coypel, de Carlo Vanloo et de Greuze (3).

(1) J. Martínez : Discursos del nobilissimo arte de la Pintura.

(2) Gabriel Rouchès : La Gravure en Espagne à la fin du XVIII* siècle. L'Amateur d'estampes, 1934.

(3) Louis Réau : Histoire de l'Expansion de l'Art français. Le Monde latin. Paris. 1933, p. 223.

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V E L A Z Q U E Z E T L A F R A N C E 83 La mode de l'espagnolerie se r é p a n d en France sous Louis X V , en m ê m e temps que d'autres v a r i é t é s d'exotisme : les turqueries, les chinoiseries, les russerieSi Carie Vanloo peint pour Madame Geoffrin La Conversation et La Lecture espagnole. Mais ces modes ne supposent pas plus la connaissance de la Peinture espagnole que celle de l'art turc, chinois ou russe.

L ' E X P O R T A T I O N DES P E I N T U R E S ESPAGNOLES E N F R A N C E DANS L A P R E M I È R E MOITIÉ D U X I Xe SIÈCLE

Au x v i ne siècle, où il n'existait pas encore de Musées publics, mais seulement des Cabinets formés par les princes ou les riches amateurs, le seul peintre espagnol universellement apprécié et recherché par les collectionneurs était Murillo.

C'est seulement au x i xe siècle que la France bénéficie d'une importation massive de peintures espagnoles parmi lesquelles se trouvaient quelques toiles authentiques de Velásquez. Nous verrons tout à l'heure le peu qui l u i en est resté.

Les deux causes essentielles de cette évasion déplorable pour l'Espagne, mais en fin de compte peu profitable pour la France, sont la guerre imposée à la Péninsule par l'ambition de l'empereur Napoléon qui eut pour conséquence l'intronisation de son Frère le roi Joseph et les pillages de quelques-uns de ses m a r é c h a u x ; en second lieu, la formation par le roi Louis-Philippe d'un Musée espagnol installé vers 1835 au L o u v r e et dispersé après la R é v o l u t i o n de 1848,

L E BUTIN D U ROI JOSEPH CAPTURÉ P A R W E L L I N G T O N . Gaya Ñ u ñ o s'est m o n t r é sévère pour les razzias du roi Joseph et les rapines du m a r é c h a l Soult (1). Mais là fin de l'histoire aurait dû le rendre plus indulgent : car ce sont les Anglais, et n o m m é m e n t le général Wellington qui firent main basse en 1813, a p r è s la bataille de Vittoria, sur « el botín del rey José Bonaparte », et le t r a n s p o r t è r e n t à Londres comme prise de guerre.

Il convient, pour être juste, d'ajouter que ce fut avec l'assen- timent du roi d'Espagne Ferdinand V I I que ce butin, qui aurait dû être restitué à ses légitimes propriétaires à titre de patrimoine national, fut e x p o r t é en Angleterre. Ce monarque indigne n ' h é s i t a pas à en faire p r é s e n t au duc de Wellington pour orner son palais

(1) Juan Antonio Goya Ñufla : La Pintura española fuera de España. Madrid. 1958.

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londonien d'Apsley House. Il a p p a r a î t donc comme le principal coupable.

P a r m i les cent soixante-cinq tableaux livrés à Wellington se trouvaient plusieurs bodegones de Velâzquez : natures mortes ou scènes de genre, œ u v r e s de sa jeunesse dont la plus connue est El Aguador de Sevilla. (Le Vendeur d'eau de Séville).

La Dame à Véventail, achetée en 1801 par Lucien Bonaparte, frère de Napoléon, a émigré également en Angleterre, avec la Collection Wallace.

L E M U S É E ESPAGNOL D E LOUIS-PHILIPPE. •— L ' o r i g i n e de l a

Galerie de Peinture espagnole formée pour le compte du roi Louis- Philippe n'est autre qu'un décret anticlérical du ministère, présidé par Mendizabal, ordonnant la suppression de toutes les Congré- gations religieuses, à l'exception des Ordres Hospitaliers, et la vente des biens de main-morte des couvents où abondaient les œ u v r e s d'art religieux accumulées pendant des siècles et restées jusqu'alors inaliénables.

Ce décret, d é s a s t r e u x pour le patrimoine artistique de la pénin- sule, eut pour effet de jeter sur le m a r c h é une q u a n t i t é incroyable de chefs-d'œuvre dont les Espagnols eux-mêmes ne soupçonnaient pas la valeur. Les étrangers avisés ne m a n q u è r e n t pas de profiter de cette occasion inespérée.

C'est alors que Louis-Philippe confia au baron Taylor, fils d'un Irlandais catholique n a t u r a l i s é F r a n ç a i s , et à son assistant le peintre bordelais Dauzats la mission d'entreprendre en Espagne un voyage de prospection et d'acheter discrètement, pour éviter la compétition des Anglais, les tableaux qui leur p a r a î t r a i e n t dignes de figurer dans sa collection. Il leur remit à cet effet un million prélevé sur sa cassette personnelle (1).

Ce Taylor était un curieux personnage qui avait déjà r a p p o r t é d'Egypte l'obélisque de Louxor, érigé à Paris sur la Place de la Concorde, parce que, n'ayant aucune signification politique, on jugeait cette aiguille de granit incapable de semer la discorde entre des citoyens de partis opposés qui avaient cru bon d'abattre, sur le m ê m e emplacement, la statue de Louis X V .

I l avait d'autres titres à son actif. C'est l u i qui avait pris l'ini-

(1) Elias Tormo : El Despojo de los Zurbaranes de Cadix, el Viaje de Taylor y la efímera Galería Española del Louvre. Cultura Española. 1909. Paul Guinard. La Mission d'Espagne à travers la correspondance de Dauzats. 1959.

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VELAZQUEZ ET LA FRANCE 85 t i a t i v è et a s s u r é le financement de la magnifique publication des

Voyages pittoresques et romantiques dans VAncienne France, digue opposée aux ravages du Vandalisme de la Bande noire.

Il s'acquitta consciencieusement de sa mission qui n ' é t a i t pas sans danger (car l'Espagne é t a i t en pleine guerre carliste), et e x p é d i a en France plus de 600 toiles qui t a p i s s è r e n t au Musée du Louvre les cinq grandes salles s'ouvrant sur la Colonnade.

Le catalogue de 1838, rédigé par Taylor, n'enregistrait pas moins de dix-neuf Velâzquez. Beaucoup de ces attributions é t a i e n t t r è s discutables et n'ont pas été ratifiées par la critique moderne.

N é a n m o i n s ces acquisitions n ' é t a i e n t pas sans valeur et le Musée espagnol de Louis-Philippe s'enrichit encore en 1841, grâce au legs fait au R o i par le collectionneur anglais Frank H a l l Standish, mort en 1840 à Cadix. Sa collection comprenait 134 tableaux de l'Ecole espagnole, dont 8 a t t r i b u é s à Velasquez, 14 à Zurbaran et 32 à Murillo (1).

Spécifions que ces tableaux, authentiques ou douteux, originaux ou copies avaient tous été acquis régulièrement par voie d'achat et non par droit de c o n q u ê t e et que par conséquent, le Musée espa- gnol de Louis-Philippe ne saurait être assimilé aux rapines plus ou moins déguisées du roi « intrus » Joseph Bonaparte et du m a r é c h a l Soult.

Malheureusement, l'existence de ce Musée fut é p h é m è r e . Il ne resta accessible au public parisien que pendant dix ans, de 1838 à 1848. La R é v o l u t i o n de F é v r i e r l u i fut fatale. En effet, la R é p u b l i q u e de 1848 qui, contrairement à la doctrine du socialiste Proudhon, ne considérait pas la p r o p r i é t é comme un vol (2), estima qu'elle avait le devoir de restituer au roi exilé la totalité des Collections qu'il avait p a y é e s de ses deniers.

On sait que le p o è t e Baudelaire ne partageait pas cet avis.

Dans une lettre adressée à son ami le critique d'art T h o r é - B û r g e r , il proteste avec vigueur contre l'exportation de « ce merveilleux Musée espagnol que la stupide République française, dans son respect abusif de la propriété, a rendu aux princes d'Orléans (3) ».

Une fois de plus, comme en 1813, ce furent les Anglais qui en profitèrent. T r a n s p o r t é e en 1850 à Londres où s'était réfugié

(1) Elle fut vendue chez Chrlstle, les 27 et 28 mai 1853 èn même temps que la Collection personnelle de Louis-Philippe. La Bibliothèque avait été rachetée en 1850 par le duc d'Au- male. Ct. le Catalogue des tableaux formant la célèbre collection Standish léguée à S. M. feu le roi Louis-Philippe par M. Frank Hall Standish.

(S) Proudhon. Qu'est-ce que la propriété ? 1840.

(3) Louis Réau. Histoire du Vandalisme. Paris. 1959. Tome II. p. 137

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86 V E L A Z Q U E Z E T L A FRANCE

Louis-Philippe, elle fut vendue et dispersée chez Christie en six vacations du 6 au 21 mai 1853. Elle avait coûté au roi 1.260.000 francs ; ses héritiers n'en t i r è r e n t que 650.000 francs. Les amateurs britanniques, notamment John Bowes de Barnard Castle, faisaient à leurs d é p e n s une excellente affaire (1).

L'INVENTAIRE DES T A B L E A U X D E VELÂZQUEZ

DANS L E S MUSÉES FRANÇAIS V

De cette masse considérable de peintures espagnoles introduites en France de 1813 à 1838, que reste-t-il au Musée du Louvre et dans nos Musées de province ? Presque rien.

Le Catalogue des, Peintures du Louvre publié en 1852 par F r é d é r i c V i l l o t mentionnait en tout et pour tout trois œ u v r e s a t t r i b u é e s à Velâzquez : le portrait de l'Infante Marguerite, fille de Philippe IV et de sa seconde femme Marie-Anne d'Autriche ; un portrait à mi-corps de Don Pedro de Altamira, doyen de la Chapelle royale de Tolède, depuis cardinal, v ê t u de noir et tenant de la main droite un L i v r e d'Heures ; enfin une Réunion de treize portraits d'artistes contemporains de Velâzquez qui se serait r e p r é s e n t é lui-même à côté de Muriïlo,

Le premier portrait provenait de l'ancienne collection royale ; le second, venant de la collection de la marquise de Guardia Real à Grenade, fut acquis en 1849 pour le Louvre moyennant 4.500 francs ; le troisième, qui appartenait au marquis Forbin-Janson, fut p a y é en 1851, 6.500 francs.

De ce total modeste, il faut éliminer les deux derniers n u m é r o s , dont personne n'admet aujourd'hui l ' a u t h e n t i c i t é . On n'a plus entendu parler du portrait d'Altamira et la Réunion de portraits, qu'on appelait aussi La Conversation ou les Petits Cavaliers, a été écartée à juste titre par un des premiers biographes de Velâzquez, Aureliano de Beruete qui écrivait, dès 1898, contrairement à l'opinion trop indulgente de l'historien allemand Justi : « Cette œ u v r e d'un dessin étriqué, d'une e x é c u t i o n molle et d'un arrange- ment banal n'est é v i d e m m e n t qu'un pastiche médiocre, inspiré des figures du m ê m e genre et de m ê m e s dimensions qui sont groupées dans la Chasse au Sanglier de Londres ou dans la Vue de Saragosse ».

(1) Catalogue of the Pictures forming the celebrated Spanish Gallery of His Majestg the late King Louis-Philippe. Salle des Ventes Cnrlstie. Londres. 1853. — Henriette Debeaux- Fournier. Le Musée espagnol de Louis-Philippe et sa restitution à la Famille Royale. (Thèse manuscrite de l'Ecole du Louvre). 1948.

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V E L A Z Q U E Z E T L A F R A N C E 87 On s'accorde pour attribuer cette œ u v r e surfaite à Mazo, gendre de Velâzquez.

Dans son é t u d e sur La Peinture espagnole au Musée du Louvre, publiée beaucoup plus tard, en 1925, Marcel Nicolle s'efforça d'étoffer un sujet trop mince en ajoutant au portrait de l'infante Marguerite celui de l'Infante Marie-Thérèse qui devait épouser Louis X I V ; mais il la confond avec Marianne d'Autriche. Il se croit obligé d'exclure de sa liste un portrait de Philippe IV en chasseur qui n'est qu'une copie, une Tête d'homme léguée au Louvre par la princesse Mathilde qui n'est ni de Velâzquez, ni de l'Ecole espagnole ni m ê m e du x v ne siècle, enfin une nature morte, d o n n é e par le peintre François Flameng, qui r e p r é s e n t e un Dindon p l u m é , sus- pendu par une patte.

Le dernier é t a t de la question est p r é s e n t é dans l'excellente monographie critique de Bernardino de Pantorba (1), parue à M a d r i d en 1955. Il ne r e c o n n a î t pour authentiques que trois por- traits du Louvre : la reine Marie-Anne d'Autriche, debout en vertu- gadin, et les deux Infantes Marguerite et Marie-Thérèse qui figurent également au Musée de Vienne, à cause de la p a r e n t é des Habsbourg d'Autriche et d'Espagne (2).

A ces trois portraits du Louvre, il faut ajouter deux toiles égarées dans nos Musées de province : l'une à Rouen et l'autre à Orléans.

Le tableau de Rouen est le plus connu (3). On l'a b a p t i s é et on continue à l'appeler Le Géographe pour la raison insuffisante que le personnage en question montre du doigt une sphère armillaire.

Certains historiens, dont le bon sens n ' é t a i t pas la qualité m a î t r e s s e , p r é t e n d a i e n t jadis y r e c o n n a î t r e , avec une fantaisie excessive, soit

Galilée, expliquant la rotation du globe terrestre, soit Christophe Colomb montrant sur une mappemonde la route suivie par ses caravelles en q u ê t e des Indes.

Ce n'est en réalité ni un g é o g r a p h e , ni un astronome ni un navi- gateur, mais tout simplement un bouffon de Cour, comme ceux dont s'entourait Philippe IV pour échapper, grâce à leurs facéties bur- lesques, à l'ennui qui le rongeait : il é t a i t connu sous le nom de Pabh (4) de Valladolid.

(1) La Vida y la Obra de Veldsquez. 1955.

(2) Le portrait de l'Infante Marguerite, à laquelle on avait réservé une place d'honneur au,Salon Carré, où elle voisinait avec la Joconde, a été longtemps déparé par une affreuse Inscription en grandes lettres dorées qu'on s'est enfin décidé a voiler.

(3) Louis Gonse. Un tableau de Velâzquez au Musée de Rouen. Gazette des Beaux-Arts 1893.

(4) Et non Pabllllos. Son ricanement a fait croire a l'hispanisant allemand Mayer qu'il s'agissait de Démocrite.

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8 8 V E L A Z Q U E Z E T L A F R A N C E

f

On ne sait à quel moment ce tableau est sorti d'Espagne et a échoué à Rouen. Toujours est-il qu'en 1789 il se trouvait déjà exposé dans le Bureau des Finances de la capitale normande : il é t a i t alors a t t r i b u é à Ribera.

Quant au Saint Thomas apôtre du Musée d'Orléans, il n'a é t é a n n e x é au catalogue de l ' œ u v r e de Velâzquez qu'assez r é c e m m e n t avec la caution de Manuel Gomez Moreno et de Roberto L o n g h i . Il ne tient pas un b â t o n , baculo, comme le dit G a y a Nufio, mais la haste d'une lance, instrument de son martyre. C'est un saint « dory- phore » comme saint Georges et saint L o n g i n . Cette toile é t a i t a t t r i b u é e jadis à Murillo ; mais ce serait en réalité, une œ u v r e de jeunesse de Velâzquez, peinte à Séville en 1619.

Tout compte fait, les peintures de Don Diego conservées dans les Musées français se réduisent à 5 : chiffre presque dérisoire si on le compare aux p r é l è v e m e n t s beaucoup plus importants d'autres pays é t r a n g e r s : 17 en Angleterre, 13 aux Etats-Unis, 8 en Autriche au Musée de Vienne, 5 en Allemagne. L ' I t a l i e le cède pour la quan- t i t é à la France : mais elle se rattrape sur la qualité : car elle a dans son lot l'incomparable portrait du pape Innocent X, « le plus beau tableau de Rome » et celui du duc de Modène, François d'Esté.

L ' I N F L U E N C E D E V E L A Z Q U E Z SUR L A P E I N T U R E FRANÇAISE A U X I Xe SIÈCLE

En dépit du petit nombre des œ u v r e s de Velâzquez conservées en France, son influence, nulle au x v me siècle, où son nom n'éveille aucun écho, a été considérable sur les peintres français romantiques et réalistes du x i xe siècle (1).

On peut distinguer dans ce regain d'actualité (2) du plus illustre des peintres espagnols deux périodes très nettes : avant et après la dispersion du Musée espagnol de Louis-Philippe.

De 1815 à 1848. — Ce sont les Romantiques qui ont eu le m é r i t e de découvrir Velâzquez en m ê m e temps que Greco et Goya. Théo- phile Gautier compare Greco à Delacroix et admire Goya qui l u i rappelle Callot.

(1) Jeanne Digard. Influence de la peinture espagnole sur la peinture française au XIX*

siècle. 1928.

(2) Un ouvrage récent de Rafaël Benêt est Intitulé La Actualidad de Velâzquez. Barcelone 1950.

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V E L A Z Q U E Z E T L A F R A N C E 89 Géricault n'est jamais allé en Espagne : mais il aurait peint à Rome une copie du portrait du pape Innocent X qui appartient à la Collection G. Renand à Paris.

Les Orientalistes Decamps et Dehodencq, puis Courbet et Millet ont soit v o y a g é en Espagne comme Dauzats, le compagnon du baron Taylor, soit fréquenté entre 1838 et 1848 le Musée espagnol de Louis-Philippe. Ils ont su en tirer la leçon (1).

A p r è s 1848. — On ne peut en dire autant de Manet, le principal r e p r é s e n t a n t de l'hispanisme dans la peinture française ; car, é t a n t né en 1832, il n'avait que seize ans à l'époque où éclata la Révolution de 1848 à la suite de laquelle le Musée espagnol de Louis-Philippe passa la Manche pour être vendu à Londres (2).

F a i t surprenant et m ê m e paradoxal. Manet n'a jamais été plus i m b u d'hispanisme, tout au moins dans le choix de ses sujets, qu'avant son voyage en Espagne qui date seulement de 1865.

Il avait copié au Louvre dès 1855 les Petits Cavaliers. Mais, c'est à partir de 1860 que les sujets espagnols se multiplient dans son œ u v r e . Le Guitarrero ou le chanteur espagnol assis sur un banc p i n ç a n t les cordes de sa mandoline, enchante à la fois Baudelaire et Théophile Gautier, tous les deux férus d'exotisme.

Baudelaire déclare que ce tableau, « empreint de la saveur espagnole la plus forte, donnerait à croire que le génie de cette race s'est réfugié en France ».

« Caramba ! s'écrie le truculent et grandiloquent Théophile Gautier (3), voilà un Guittarrero qui ne vient pas de l'Opéra Comique et qui ferait mauvaise figure sur une lithographie de jomance ; mais Velâzquez le saluerait d'un petit clignement dœil amical ».

Le Vieux Musicien, picaresque à souhait, rappelle les trognes avinées des Buveurs groupés autour de Bacchus dans les Borrachos du Prado.

L'Enfant à l'Epée, exposé au Salon de 1861, recueille le suffrage enthousiaste d'Emile Z o l a : « On dit, écrit-il, qu'Edouard Manet a quelque p a r e n t é avec les m a î t r e s espagnols et il ne l ' a jamais a v o u é autant que dans L'Enfant à VEpée ».

(1) 'Paul Guinard : < La Découverte de la Peinture espagnole en France sous Louis-Phi-

lippe. 1939. ' (2) Comme en témoigne Baudelaire, Manet était alors tu enfant et serrait comme mousse A bord d'un navire.

(S) Gilberte Reicher : Théophile Gautier et l'Espagne. 1936.

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90 V E L A Z Q U E Z E T L A F R A N C E

Mais voici qu'en 1862, une troupe de danseurs espagnols arrive à Paris pour donner des r e p r é s e n t a t i o n s à l'Hippodrome. Manet saisit avidement cette aubaine pour peindre son Ballet espagnol (Phillips Mémorial Gallery, Washington), le Jeune homme en costume de Majo (Metropolitan M u s é u m , N e w - Y o r k ) , et. surtout la danseuse Lola de Valence (Louvre) que Baudelaire compare, dans un quatrain célèbre, au scintillement « d'un bijou rose et noir ».

Citons encore en 1864 la Jeune femme travestie en torero (Metrop, M u s é u m , New-York) qui n'est autre que V i c t o r i a Meurend, le m o d è l e qui posa dans l'atelier de Manet pour Y Olympia, La Corrida de taureaux dont il ne subsiste qu'un fragment, l'admirable Torero mort, é t e n d u sur le dos, qui a passé de la Collection Widener à la National Gallery of A r t de Washington (1).

L'Espagne q u ' i l n'avait pas encore vue, tient à ce moment une si grande place dans son œ u v r e que le critique d'art P a u l M a n t z le surnomme un Espagnol de Paris.

Hispanisme superficiel et vestimentaire, a-t-on dit (2), qui consiste surtout dans l'exotisme du costume. Ce jugement p a r a î t bien sévère. Manet avait, selon nous, le pressentiment et la pres- cience de ce qu'un voyage à M a d r i d allait l u i révéler.

A p r è s le scandale d é c h a i n é par Y Olympia qui n ' é t a i t pourtant qu'un souvenir non de la Maja nue de Goya qu'il ne connaissait pas encore, mais de la Vénus d'Urbin du Titien, Manet décida de partir en 1865 pour M a d r i d où il fit connaissance à la Puerta dêl Sol de son compatriote le critique d'art et collectionneur T h é o d o r e Duret avec lequel il se l i a d ' a m i t i é .

Ils visitèrent ensemble le Musée du Prado où ils furent éblouis l ' u n et l'autre par Velâzquez. « A l u i tout seul, confie Manet à l ' u n de ses correspondants, il vaut le voyage... C'est le peintre des peintres » Il fut p a r t i c u l i è r e m e n t séduit par la silhouette du bouffon Pablo de Valladolid se d é t a c h a n t en vigueur sur fond sombre, dont il s'empresse d'esquisser une copie. « Le fond d i s p a r a î t : c'est de l'air qui entoure le bonhomme tout habillé de noir ».

Le Fifre, qui fut refusé au Salon de 1866, montre le parti q u ' i l sut tirer de cette d é c o u v e r t e . On en voit également l'application dans ses portraits d'acteurs : Faure et Rouvier, dans le rôle d'Hamlet.

. (1) Exaspéré par les critiques de la presse qui s'acharnait contre lui, Manet aurait dépecé sa toile en n'en gardant qu'un morceau. Cf. George Heard Hamilton. Manet and his critics. 1954. —Pierre Courthion. Manet raconté par lui-même. Genève. 1945.

(2) Elie Lambert : Manet et l'Espagne, Gazette des Beaux-Arts. 1933.

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VELAZQUEZ ET LA F R A N C E 91

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A son retour à Paris, il se h â t e d'écrire à Baudelaire pour l u i confier ses impressions toutes fraîches : « J'arrive hier seulement de M a d r i d . E n f i n , mon cher, je connais Velâzquez et vous déclare que c?est le plus grand peintre qui ait jamais existé ». ,

D'abord déçu, puis conquis par Goya, dont il admire le portrait de la duchesse d'Albe en costume de Maja, « d'un charme inouï », il s'inspira en 1867 du Tres de Mayo du patriote aragonais dans son Exécution de l'Empereur du Mexique Maximilien, en 1869 des Majas au balcon dans son Balcon où figure sa belle-sœur Berthe Morisot.

Mais l'empreinte du m a î t r e sévillan resta la plus profonde.

Il n'est pas sans i n t é r ê t de rappeler à ce propos le jugement de l'historien-philosophe Hippolyte Taine, qui ne connaissait pas le Prado, mais qui eut à Rome, au palais Doria, le m ê m e éblouissement que son contemporain Manet, en d é c o u v r a n t le portrait du pape Innocent X.

« Le chef d'œuvre. entre tous les portraits est celui du pape Innocent X par Velâzquez. Sur un fauteuil rouge, devant une tenture rouge, sous une calotte rouge, une figure rouge, la figure d'un pauvre niais, d'un cuistre usé : faites avec cela un tableau qu'on n'oublie plus ».

***

Pour en finir avec l'histoire du « Velazquisme » en France, il convient de rappeler les noms de deux peintres qui, sans avoir égalé Manet, comptent parmi les admirateurs les plus enthou- siastes du m a î t r e sévillan. Il s'agit de Bonnat et d ' H e n r i Regnault.

A les entendre, Velâzquez est un de ces peintres rarissimes dont on ne peut parler qu'au superlatif.

L é o n Bonnat, d'origine quasi espagnole, puisqu'il naquit à Bayonne, à q u e l q ^ s lieues de la Bidassoa, intime ami d'Aureliano de Beruete qui l u i dédia en 1897 sa grande monographie de leur commune idole, se considérait comme le disciple du peintre de Philippe I V . « J ' a i été élevé, écrivait-il, dans le culte de Velâzquez.

Les Lances, les Ménines hantaient mon imagination... Don Diego est le m a î t r e par excellence ».

Lorsqu'Henri Regnault, qui devait être victime de la guerre de 1870, vint à Madrid en 1868, a p r è s ' u n séjour en Italie, il fut im-.

m é d i a t e m e n t conquis par le génie du m a î t r e espagnol. « Je n'ai rien vu de comparable à cet h o m m e - l à . Quelle couleur, quel charme,

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92 V E L A Z Q U E Z E T L A F R A N C E

quelle sûreté d'exécution 1 Je voudrais avaler Velázquez tout entier.

C'est le premier peintre du monde ».

Son premier soin fut d'entreprendre la copie des Lances, qu'on appelle aussi La Reddition de Breda, dans les dimensions de l'ori- ginal. Il se mit à l ' œ u v r e avec une ardeur fébrile ; mais il laissa inachevée sa copie qui fut recueillie par l'Ecole des Beaux-Arts de Paris.

Par ailleurs, son portrait é q u e s t r e du général catalan Prim se classe à la suite des effigies monumentales de Philippe IV et du comte-duc d'Olivares galopant sur des pur-sang cabrés.

De tous ces t é m o i g n a g e s , il résulte que, parmi tous les pays é t r a n g e r s , la France est sans conteste celui qui a rendu au m a î t r e s u p r ê m e de l'Ecole de Peinture espagnole l'hommage le plus fervent.

On pourrait certes trouver en Angleterre quelques peintres du x v me et du x i xe siècle qui ont rendu à Velázquez un tribut d'admiration. Reynolds tenait le portrait du pape D o r i a pour « la plus belle œ u v r e q u ' i l ait vue à Rome ». L ' A m é r i c a i n Whisler, qui a vécu à. Londres, avait certainement beaucoup appris, comme Renoir, en regardant les portraits d'Infantes avec leurs harmonies raffinées de tons rose et argent. Mais^ ce sont des cas isolés.

L O U I S R É A U .

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