M ATHÉMATIQUES ET SCIENCES HUMAINES
D. H ÉRAULT
Remarques sur le discours scientifique
Mathématiques et sciences humaines, tome 35 (1971), p. 59-65
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REMARQUES SUR LE DISCOURS SCIENTIFIQUE
par D.
HÉRAULT1
RÉSUMÉ
Après
une brèvedéfinition
de cequ’on
entend par discoursscientifique (mathématique)
et unbref
aperçu dequelques-unes
de sespropriétés caractéristiques,
onindique
comment onpourrait
en concevoirl’analyse
du contenu
sémantique.
On se limite ensuite à l’examenrapide
des méthodes de détermination desobjets
quecontiennent,
en les mettant enrelation,
les énoncés d’un discours donné. On constate alorsqu’une
notiond’aspect joue
un rôleessentiel,
etqu’elle correspond
enfait
à celle deslangues
slaves(exemples
russes etbulgares).
Ontermine en
formulant
uneconjecture
relative auxpropriétés
modales(logiques)
dusystème
despréverbes
duslave.
0. AVERTISSEMENT
Les
quelques
remarquesqui
vontsuivre, présentent
certaines notionsqui
nous semblent liées àl’analyse,
éventuellement
automatique,
du contenusémantique
d’un textescientifique,
écrit dans unelangue
indo-européenne.
Unepratique
assidue de la traduction enfrançais
de textesmathématiques,
enparticulier
russes
(voir [1]
et[2]),
nous laisse penser que les concepts, les méthodes et leursconséquences
que nous exposerons, nes’opposent
pas à la réalité deschoses,
mais au contraires’y
accordent convenablement.Cependant,
l’extrême laconismeauquel
nous contraint laplace
mesurée de cetarticle,
ne nous permet,sans les
justifier vraiment,
qued’esquisser
laplupart
des arguments, que despublications
ultérieures(voir [3]) développeront plus
à loisir. Il est clair que cesdéveloppements
nous amèneront sans doute àremanier ou à modifier bien des
assertions,
que seuls des travaux delarge
envergure permettront de fixeravec
quelque rigueur.
1. LE DISCOURS
SCIENTIFIQUE. PROPRIÉTÉS CARACTÉRISTIQUES
Un discours
scientifique
est caractérisé par une situationparticulièrement remarquable
etsimple :
l’inter-vention
systématique (explicite
ouimplicite)
d’ununique
« metteur enscèneo ,
que nousappellerons
l’énon-ciateur. Au moyen de diverses
énonciations,
l’énonciateurprésente,
commente ou enchaînelogiquement
les divers énoncés du discours. Dans ce
qui suit,
un discours seraqualifié
descientifique si,
et seulementsi,
les notionsprécédentes
y ont un sens.’
1. Service de Linguistique Quantitative, Université de Paris VI.
Par
définition,
relèvera de l’énonciateur dans un discoursdonné,
toutepartie marquée
de son inter-vention.
Corrélativement,
un énoncé traduira donc une situationabstraite, dégagée
de toutes considérationsconcernant sa mise en oeuvre, c’est-à-dire son
énonciation,
sa mise enplace
dans le discours. Parconséquent,
on
postule
lapossibilité
de la mise en évidence de la dichotomieénonciation/énoncé
pour toutephrase
d’undiscours
scientifique.
Il est nécessaire de
préciser
cequ’on
entend par « intervention de l’énonciateur ». Dans un discoursscientifique mathématique (cette
restriction n’est pas pasessentielle,
car cequi
suit reste valable pour la classe tout entière des discoursscientifiques),
trois modes d’interventions seprésentent principalement, auxquels
sont liés trois modes d’énonciations : lesappellations,
les commentaires et lesraisonnements,
cedernier mot étant entendu dans un sens très
large.
Ces trois modes peuvent naturellement se combiner librement.Considérons
l’exemple suivant,
extrait de lapréface
d’un ouvrage demathématique :
Les
Leçons d’Élie
Cartan sur les invariantsintégraux, qui gardent
encore une étonnanteactualité,
marquent les débuts de cequ’on
peutappeler
lamécanique analytique
moderne.L’énoncé se réduit à :
Les
Leçons d’Élie
Cartan sur les invariantsintégraux
marquent les débuts de lamécanique analy- tique
moderne.L’intervention de l’énonciateur est d’abord un commentaire
(qui gardent
encore une étonnanteactualité)
et une
appellation qui
se traduit par cequ’on
peutappeler.
L’énonciateurindique,
cefaisant,
que la dénomi- nation «mécanique analytique
moderne » lui est propre, mais que sonemploi
ne saurait soulever de difficultés pour un lecteur averti.Les énonciations de raisonnement sont
multiples
et utilisent leplus
souvent des constructions facilement reconnaissables : verbes dejugement +
que, tournuresimpersonnelles + infinitif,
schémasadverbiaux
(si..., alors...),
adverbes introductifs(cependant... ).
De
plus,
l’examen de nombreux cas montrequ’il
est rare que l’intervention de l’énonciateur soit très difficile àdéterminer,
maisqu’en
tout état de cause l’énonciation n’est pasuniquement
liée à descirconstances purement
syntaxiques.
Il nousapparaît
donc comme très incertain que dessystèmes
documen-taires ou de traduction
automatique, qui
fontjouer
un rôleprépondérant
auxanalyses syntaxiques, puissent parvenir
en définitive à déterminer le contenusémantique
d’un texte réel.Par
ailleurs,
on constate que la structure d’un texteanalysé
enénonciations~énoncés
se limite à desliaisons entre chacun de ces niveaux
séparément.
Les liaisons entre lesénonciations,
celles de raisonnementet les autres,
représentent
enquelque
sorte le «squelette logique
» dudiscours ;
cellesqui
existent entreles énoncés en assurent la « cohérence
sémantique
». Ces liaisons sont laplupart
du temps réalisées par des renvois à desphrases précédentes.
Ces renvois peuvent êtregéographiques
situés ou non(Exemples :
Au§ 37,
nous avons vu que... ou
Ci-avant, nous...)
ouobjectifs,
c’est-à-dire concernant desobjets déjà manipulés (Exemple :
elle est donc continue en xo, doncappartient
à l’énonciation etrenvoie,
en leconcluant,
au raison-nement
qui précède,
elle renvoie à unobjet,
une fonctionqui
vient d’êtremanipulée).
Les renvoisobjectifs
concernent essentiellement les
énoncés,
et l’on voit parlà, l’importance
que peuvent revêtir les études surles déterminants.
Remarquons
à ce propos que, dans un discoursscientifique,
les pronoms ne semblent pas soulever d’insurmontablesdifficultés,
étant donné l’unicité de l’énonciateur. Ils ne peuventreprésenter
que des
objets,
cettereprésentation
ne s’étendant engénéral
que sur un texte delongueur
très limitée.Notons encore une
propriété
« combinatoire »,qui pourrait
servir de test à la validité de ces dicho- tomiesénonciations/énoncés. Pratiquement,
au niveau de laphrase,
toute énonciation peut introduiretout
énoncé,
sans que se pose laquestion
de savoir s’il y a entre les deux unequelconque compatibilité
sémantique.
Bienentendu,
la constitution d’un texte entierrequiert
le respect des liaisons entre les deux niveaux fondamentaux.2. TYPES
D’ÉNONCIATIONS
ET TYPESD’ÉNONCÉS
Il est clair que les concepts que nous venons de
présenter
n’auront d’intérêtpratique
que dans la mesureoù,
derrière eux, ne se cache pas une tropgrande complexité.
C’estpourquoi
il est essentield’analyser plus
avant les énonciations et les énoncés.
Les
énonciations, quel qu’en
soit lemode,
se composent engénéral
d’unprédicat
muni de son aspect(dont
nousreparlerons plus longuement ci-après),
de divers élémentsprécisant
lamodalité,
etd’ajouts qui
le
plus
souvent sont des renvois.Exemple : De par la
remarqueprécédente,
on constatequ’il
est souvent commode d’utiliser...cette/une forme intégrale
de la constante d’Euler. Deux énonciations sont icisuperposées :
onconstate
(que),
avec son renvoi(énonciation
deconséquence logique
d’unraisonnement)
et une deuxièmeénonciation, également
deraisonnement,
il est souvent commode d’utiliser. Ils’agit
bien ici d’uneénonciation,
car cette
phrase
doitpouvoir
êtredistinguée
de : ... on constatequ’il
existe(une forme intégrale
dela...).
Dans cette deuxième
énonciation, apparaît
la modalité souvent commode. Dans cetexemple,
l’énoncé seréduit à :
(il
ya, il existe) cette/une forme intégrale
de la constante d’Euler.Si l’on effectue
systématiquement
de tellesanalyses
sur des textesentiers,
ilapparaît
que l’on peutdégager
la notion de typed’énonciation,
c’est-à-dire la notion de l’énonciation considéréeabstraitement,
débarrassée de ses modalités et desajouts.
Bien que relativement aufrançais
cela ne soit pasévident,
ilest encore nécessaire d’exclure du type d’énonciation tout ce
qui
touche àl’aspect.
Parexemple,
àpartir
du type
UTILISER,
ondistinguera
les énonciationsimperfectives
onutilise,
on utilisera etperfectives
on va
utiliser,
on vient d’utiliser.’
Ce n’est pas par hasard
qu’apparaît
ici laterminologie
des slavistes : ils’agit
de notionsqui,
dansun discours
scientifique,
coïncident presque exactement.On peut dès lors se poser la
question
de savoirquel
est le nombre des typesd’énonciations,
desmodalités,
desajouts.
Les travauxpréliminaires
que nous avonsentrepris
permettent de penserqu’il
y a moins de 300 typesd’énonciations,
et que le nombre desajouts
et de celui des modalités est inférieur à 100.La détermination effective et la classification éventuelle de toutes ces entités nous semblent
beaucoup plus simples
si l’on en étudie les diverses réalisations dans les textesscientifiques
écrits en russe. Deplus,
lesrésultats obtenus sont aisément traductibles dans toute autre
langue
non slave(c’est
ce que nous avons tenté dans[2]).
L’analyse
des énoncés seprésente
un peudifféremment, puisque
par définition aucunemodalité,
aucun aspect, autre que le «
plus imperfectif
»n’y
peutfigurer.
On peut, là encore,dégager
la notion detype
d’énoncé,
et constater que leur nombre est assezfaible, peut-être
inférieur à la centaine. On aura parexemple
un typeexistentiel,
un type dequalification (avec
ou sansrestrictions,
favorables oudéfavorables),
un type
d’appartenance,
etc.Beaucoup
de ces types sontdescriptibles
en utilisant les termes élémentaires dulangage
booléen.Par
ailleurs,
un énoncé donnéreprésente
l’action d’un type d’énoncé sur un ouplusieurs objets.
Il est naturellement
impossible
depréciser
la nature de cesobjets puisqu’ils
varient avecchaque
texteparticulier. Cependant,
il est pourtantindispensable,
dans une situationdonnée,
de savoir cequ’ils
sont,quand
ils ont été introduits pour lapremière fois,
si ce sont desobjets supposés
bien connus pour tout lecteur éventuel du texte, etc. Eneffet,
outre le fait que lesplus importants
d’entre eux forment les indexterminologiques
et des notations de tout texte un peulong (et
parconséquent,
parsimple inspection,
fontsavoir de
quoi
onparle),
ce sont essentiellement lesobjets qui
supportent les liaisons entre énoncés.Mais,
nous allons voir que la détermination desobjets
est, engrande partie,
liée à des considérations de «degré aspectuel
», au niveau des énonciationsd’appellation.
Ce fait étantspécialement
clair en russe ;nous y choisirons
quelques exemples.
Quand
on veutrappeler
au lecteur unedéfinition,
un concept, un raisonnementd’usage
courant, lesénoncés
apparaissent
àl’imperfectif,
sans énonciationexplicite (l’usage
del’imperfectif
étant une formed’énonciation par
définition) :
ce sont là des énoncésgénéraux. (Exemple :
rtoHATHe... HBAHeTCH...0606me-
HHeM
IIOH51TH3I... /
le concept...apparaît (se montre)
comme lagénéralisation
duC0nCept.,f) Quand
l’énonciation est
explicite,
on a parexemple :
BO MHorIIX sonpocax oxa31biBaeTC31 noAesHMM cAeAyloglee yTBepxgeHHeo5...
Dansbeaucoup
dequestions,
se montre(comme)
utilel’affirmation
suivante à proposde... 1
ou bien
rnnep6OAHqeCKHM
BpaIJ!eHHeM üAOCKOCTHHa31biBaIOT... /
Par rotationhyperbolique
duplan,
onappelle... / Mais,
l’introduction dans le discours soit d’une notationspéciale,
soit d’une entité nouvelle pour lelecteur,
ousupposée
comme telle parl’énonciateur,
s’effectue engénéral
auperfectif.
Parexemple :
BBeAeM
o6o3HaqeHnA... /
Nous allons introduire lesnotations... /
ou bien Ha30BeMg(t)
npecTaBeHHeMrpynnLI... /
Nous allonsappeler g(t)
unereprésentation
dugroupe ... /,
etc.Nous avons introduit ci-avant
l’expression
de «degré aspectuel
». C’estqu’en
fait il est difficile de selimiter à la seule alternative
perfectif/imperfectif. Chaque phrase
doit en effet être situéeaspectuellement
par rapport au contexte : on
conçoit
donc que deuxdegrés d’aspect
soient très insuffisants. Onpallie géné-
ralement cette limitation par l’utilisation d’adverbes ou
d’expressions qui
«superfectivent
» une situationdéjà perfective.
C’est cequi
seproduit, quand
dans le cours d’unedémonstration,
on introduit une notationqui,
avecelle,
cessera d’êtreemployée.
Nous verronsci-après
que diversdegrés aspectuels
existent en russe,et semble-t-il dès
l’origine
de lalangue,
et que leur usage dans le discoursscientifique
n’estqu’une
mani-festation nouvelle d’une attitude fort ancienne.
3. EXAMEN DE
QUELQUES
POINTSPARTICULIERS,
A PROPOS DU RUSSE ET DU BULGAREBien que tout ce
qui
vient d’êtreindiqué
trouve une réalisation raisonnablement constante dans leslangues
romanes,
germaniques, anglo-saxonnes..., beaucoup
depoints
essentiels ne seprésentent
clairementqu’à
travers les
langues
slaves. Nous avonscependant
limité nosinvestigations
au russe et aubulgare,
pour les raisonsqui
suivent.Dans le discours
scientifique,
tout cequi
concerne lesystème
verbal(modes,
temps,personnes...) joue
un rôle très limité. C’est cequi
seproduit précisément
en russe, où l’onsupplée
à cette absence par ledéveloppement systématique,
et non seulement au niveau duverbe,
de tout cequi
touchel’aspect,
cequi
inclut naturellement pour cette
langue
la nécessité deposséder
une méthoderigoureuse
pour la formation des mots(rôle
essentiel despréverbes,
desinfixes...).
En cequi
concerne lebulgare,
on se trouve enprésence
d’un
système
verbalbeaucoup plus développé,
mais concurrencé par unsystème aspectuel
trèspuissant,
et,par certains
côtés, plus productif qu’en
russe. Il est donc très instructif d’étudier des textesscientifiques
écrits en
bulgare.
Une conclusion(provisoire)
peut d’ores etdéjà
êtreprésentée :
comme dans lalangue
courante, c’est
l’aspect qui l’emporte
enimportance
dans le discoursscientifique. Ajoutons
que par laprésence
d’unarticle,
l’absence dedéclinaisons,
et unsystème
verbalproche
de celui dufrançais,
lebulgare
se
présente
comme un intermédiaire tout trouvé entre le russe et notrelangue.
Il faut aussi
préciser qu’un
textescientifique
russe estplus simple
que sonhomologue français,
dansla mesure où l’auteur russe peut, sans
gêner
sonlecteur, répéter
la même tournure, la mêmeexpression,
lemême mot, comme la nécessité s’en fait sentir. Sont donc ainsi apparus des
stéréotypes
nombreuxqui
facilitent évidemment les
analyses.
Il n’est pas inutile derappeler également
que maintesexpressions
russes sont, pour des raisons
historiques,
descalques
exacts dufrançais
etqu’il
en est demême, étymolo- giquement,
pour unegrande partie
du vocabulairescientifique ancien,
c’est-à-dire essentiellement mathé-matique.
Ceci
posé,
en russe et enbulgare,
l’ensemble des types d’énonciations et d’énoncés peut être décrit par l’intermédiaire de moins de 300 racines(celles qui possèdent
leplus
dedérivations),
de 40préverbes
environ
(une vingtaine
depréverbes simples,
despréverbes
doubles yqo.,parfois
despréverbes triples,
enbulgare surtout)
et d’une dizaine d’infixes Hy, eBa, oBa, Lma,... en russe, BaM... enbulgare,
en incluantdans les infixes les alternances
vocaliques) qui
d’ailleurs n’ont engénéral qu’un
rôleaspectuel.
Une tâcheimportante
réside donc dans l’étude de cesracines,
voir[3’], qui
peuventindiquer quelles
sont lescatégories
sémantiques indispensables
àl’expression
d’un discoursscientifique,
même non écrit dans unelangue slave,
etprobablement
de tout autre discours. A ce niveau encore, lesproblèmes aspectuels
tiennent uneplace
trèsimportante.
On constate en effetqu’un
nombre nonnégligeable
deracines, qui présentent
toutesdes alternances
consonantiques, possèdent sémantiquement
un « aspectperfectif » intrinsèque,
les autresracines étant neutres de ce
point
de vue. Cette remarque nous semble utile dans la mesure où elle est denature à aider à
préciser
la situationaspectuelle
des énonciations et des énoncés. Deplus,
à l’intérieur des dérivations d’une racinedonnée,
les alternancesconsonantiques possibles permettent
de réaliser desoppositions aspectuelles, qui correspondent
en réalité à desoppositions sémantiques. Quelques exemples
et commentaires éclaireront ces divers
points.
a)
Toutes les foisqu’une
racinepossède
un sensprimitif précis,
celui d’unobjet
ou d’une situationmatérielle,
celui d’un acte
réalisé,
elle est« perfective
», et au niveau des dérivationsperfectives
lalangue
la conserveraà
l’identique ;
au niveauimperfectif,
la racine sera engénéral
modifiée par une alternanceconsonantique, puisque
aucunepréverbation
ne peutimperfectiver.
Les infixesd’imperfectivisation pourront également
se superposer à cette alternance.
Exemples :
La racine IIABT asynchroniquement
deux sensdistincts,
celui de «pièce
d’étoliÙe» etcelui de « payer »
(en vieux-slave, platu
«pièce
d’étoffe»).
Lapièce
d’étoffejouant
le rôled’argent,
on estbien vite
passé
à la notion dupaiement. Mais,
compte tenu de sonorigine,
la racine ruat sera considéréecomme «
perfective
».En
bulgare,
on a : nABT,étoile,
nAaTx, payer(perf.),
mais avec l’alternance nABnaM, payer(imperf.),
et ceci avec toutes lespréverbations.
On aégalement
llOAlI.7BaTH, doubler(avec
une(perf.)
et
imperf.
nogiiAaT3mam et rioqiixamam, lepremier
étantplus
usité que lesecond,
sans doute pour éviterdes confusions
sémantiques.
En russe, on a encore lI.7BaTOK,
châle, mouchoir, habits,
vêtements et l’alternanceK/q apparaît
tout naturellement dans toutes les formes
préverbées
BiiruaxiHBaTE,(imperf.),
BmriAaTHTL(perf.)
payercomplètement,
etc. Le verbesimple
ruaTHTL estimperfectif (perfectif
associé comme laplupart
des verbes
simples
du russe(l’origine
de ce fait un peuillogique
estpeut-être
due à une volonté desimplicité systématique (?)).
On a d’ailleurségalement
iiAaTaTL(imperf.)
et3anAaTàTB (perf.) rapiécer.
La racine pa3 est celle de
l’entaille,
de la marque indélébilefaite
par coupure. D’où en russe, pa3signifie fois. Et, toujours
en russe, toutes les dérivationsgarderont
pa3 dans leurs formesperfectives
et,avec l’alternance
3/3K,
paxc dans leurs formesimperfectives :
BbIpaxcaTb(imperf.),
BbIpa3HTb(perf.) exprimer,
tandis que pa3IITLfrapper
estimperfectif
comme ci-dessus. La racine pa3 russe sera doncperfec-
tive.
Mais,
enbulgare,
la racine pa3apparaît
comme telle dans tous les dérivésperfectifs
etimperfectifs :
HSpasHBâM
(imperf.)
et H3pa3H(perf.) exprimer ;
iln’y
a d’ailleurs pas de verbes nonpréverbés.
Cetteinvariance de pa3 en
bulgare pourrait s’expliquer
par le fait que le sensprofond représenté
par cette racine s’estperdu.
On peut voir une confirmation de cepoint, quand
on constatequ’en bulgare fois
se dit III-T.On notera
cependant
que l’alternance3/A
se retrouve au niveau de la formation des substantifs verbaux abstraits : H3paaeeHHe,lequel
estgrammaticalement
issu du verbeperfectif,
mais est de natureimperfective
quant à son sens
abstrait,
etplus imperfective
que celle des autres substantifs verbaux que l’on peut poten- tiellement former.De tels
exemples,
dont on pensepouvoir
donner bientôt une liste exhaustive et uneinterprétation logique,
montrent àquelle profondeur
la notiond’aspect
est ancrée dans leslangues
slaves etqu’en
réalitétout le
système phonologique
nejoue probablement qu’un
rôle de serviteur et de collaborateur.b)
Considérons maintenant la racine yK, issue de la racineindo-européenne *EUK, acquérir
dans l’ordre intellectuel par un usagerépété.
Cette racine associe « l’habitude » sous la formepréverbée (russe)
BbIK, etl’ «
enseignement,
étude » sous la forme nonpréverbée
yK(cette
associationsémantique
estfréquente
dans les
langues i.-e. ;
on la retrouve en arménien et roumainmodernes,
avec d’autresracines).
Urneétude
précise
dudéveloppement sémantique
de cette racine en russe permet decomprendre l’apparition
du
préverbe
B. Parailleurs, actuellement,
sur le thème yK un seul motgarde
la consonne K. C’est HayKascience,
concept trèsgénéral.
Tous les autres mots sont construits avec l’alternanceK/q,
à commencerpar yqHTB
(imperf.) enseigner,
mot dont lasignification
estperfective
par rapport à HayKa. Sur le thème BLIK, uneopposition
du même type estdécelable ;
HaBiix, 06LIKHoBeHHesignifiant habitude, pratique (dans
un sensgénéral
etabstrait)
tandis que np.HBibrqKa est une habitudepersonnelle
et o6biqail une coutume.Les verbes sont aussi formés sur le thème BBIK.
On
pourrait multiplier
de telsexemples
et montrer tout leparti
que l’on peut tirer de leuranalyse systématique.
c)
Les notionsd’aspect
débordentlargement
le domaine duverbe,
et, comme on vient de levoir,
dominentla
sémantique
du substantif del’adjectif,
et même de l’adverbe.Or,
dans un discoursscientifique,
il estsouvent très
important
de connaîtrel’aspect
des substantifs(abstraits)
que l’on rencontre. Le russe à cetégard
estplus ambigu
que lebulgare où,
sinécessaire,
deprécieuses
distinctions peuvent être faites.En russe, des deux verbes onpeAeAHTL
(imperf.)
et onpeAeAxTB(perf.), définir,
ne se déduitqu’un
substantif verbal
abstrait, oiipegeAéHHe, fixation, définition,
arrêt(du tribunal).
Enbulgare,
des deuxmêmes verbes olipegeA3im
(imperf.),
onpeAeAH(perf.),
on déduit un substantif verbal en -Hele
fait
dedéfinir
-imperf.)
et deux substantifs verbaux abstraits en -HHe, olipegeA3IHiie(imperf.)
eton peaeAeHne
(perf.), qui signifient
tous les deuxdéfinition,
le deuxième attestant saplus grande perfectivité
dans son sens
juridique
d’arrêt.Avec la racine cya
(russe)
et cLq(bulgare),
racineperfective
de la cour dejustice,
dutribunal,
duprocès,
on aura en russepaccy,>iKéHHe,
paCCYXIIlBaHiie, lefait
deréfléchir,
de raisonner(imperf.),
et paccy-:iKAéHMe,
raisonnement, grammaticalement
construit sur le thèmeperfectif,
etqui s’oppose
dans son aspectsémantique
aux deuxprécédents.
Enbulgare,
onpourrait
formerthéoriquement cinq
substantifsverbaux ;
deux seulement semblent utilisés : pa3cB*AaBaHe(imperf.),
pascbxc,eHHe(perf.).
De ce
qui précède,
on conclut sanspeine
que nouspostulons
essentiellement que lalangue opère
de la
façon
laplus logique,
afin de satisfaire avant tout ses besoinssémantiques
et que, pour yparvenir,
elle fait usage de tous les moyens dont elle
dispose,
enparticulier
de toutes lesoppositions compatibles
avec son
système phonologique.
Il s’ensuitqu’il
nous sembleimpossible
decomprendre
les mécanismesfondamentaux des
langues,
enparticulier slaves,
en l’absence de toute considération de nécessitésémantique,
comme pourtant la
pratique
en est constantedepuis
fortlongtemps.
Bienplus,
de telles études nous semblent devoir apporter, au moindre coût, des informations essentielles audéchiffrement,
éventuellement automa-tique,
des textesscientifiques.
Pour en terminer avec ce
qui
concerne leslangues slaves,
nous allons formuler uneconjecture
relativeaux
propriétés
modales dusystème
despréverbes.
L’étudesystématique,
dans la directionindiquée ci-avant,
des
racines,
de leur nature, de leurpréverbation,
permet de penser que, vis-à-vis de laracine,
lespréverbes
ont un comportement
quelque
peuanalogue
à celui des modalités deslogiques
modales. L’étudeglobale
des « matrices de
préverbation
oqui agissent
sur les racines lesplus importantes,
montrera sans doute - etc’est là la
conjecture
-qu’il
nes’agit
pas seulement d’uneanalogie,
mais que l’on est enprésence
d’unvéritable
système modal,
où le nombre des modalités est inférieur à 100.A propos de cette
conjecture,
on constate une fois deplus
que les véritablespoints
de contact entrela
mathématique
et lalinguistique
se trouvent cachés dans lesprofondeurs
dulangage
et que, par consé- quent, on ne doit pasespérer
que lamathématique puisse
résoudrequelque problème
de lalinguistique
quece soit. Tout au
plus, pourra-t-elle
yaider,
par larigueur qu’elle impose
auxesprits.
4. CONCLUSION
Il est
parfaitement impossible
deprésenter,
dans l’état actuel deschoses,
une conclusion définitive. Nousnous sommes borné à
indiquer quelles
étaient les voies de réflexion danslesquelles
nous nous étionsengagé,
et
quels
résultats nousespérions,
entre autres, en tirer.Par
ailleurs,
bien des idées iciexprimées
n’ont pas un caractèreoriginal. Seule, peut-être, l’organisa-
tion de leur
synthèse pourrait
yprétendre. Aussi,
ne nous a-t-ilpoint
étépossible
deprésenter
une biblio-graphie raisonnable,
dont lalongueur
aurait presque sûrement excédé celle de l’articlel.Enfin,
ce texte n’aurait pu êtrerédigé
sans les conseils nombreux et éclairés de A.Ljudskanov,
Professeur à l’Université de
Sofia,
aveclequel
nous avonsentrepris
lespublications2 [3].
BIBLIOGRAPHIE
[1]
HÉRAULTD.,
Traduction de Fonctionsspéciales
et théorie de lareprésentation
des groupes de N. Ja. Vilen-kin, Paris, Dunod,
1969.[Traduction
de 90 000 mots russes dans unfrançais
trèsproche
du texteoriginal.]
[2]
2014 Traduction de"Leçons
delinguistique mathématique"
de A. V.GLADKI~,
Documents delinguis- tique quantitative,
nos 5 et6, Dunod, 1970. [Traduction
presque mot à mot de 35 000 mots russes;on s’est efforcé de bien mettre en évidence dans la version
française
des divers aspects utilisé par lerusse.]
[3]
HÉRAULTD.,
LJUDSKANOVA., Analyse
du discoursscientifique bulgare, français
et russe.Ces recherches seront
présentées
en troisfascicules,
àparaître
dans les Documents delinguistique quantitative, Paris,
Dunod.[3’]
2014 Les racines verbales dubulgare
et du russe(à paraître
en1971/72).
300 racines
environ, analysées diachroniquement
et étudiées defaçon
à faire ressortir les types d’énonciations et les types d’énoncés.[3"]
2014 Lalogique
dusystème
des racines dubulgare
et du russe.Étude
des matrices depréverbation
associées aux racinesprécédemment envisagées ;
racinesperfectives
et racines neutres. Détermination des "modalitésintrinsèques".
[3"’]
2014L’analyse
du discoursscientifique.
Détermination des types
d’énonciations,
etc. Inventaire des liaisons... Résultats des tentatives d’automatisation.1. Voici cependant ceux des textes dont la lecture nous a le plus enrichi : É. Benveniste, Vocabulaire des institutions indo-européennes, Paris, Éd. de Minuit, 1970 ; A. Culioli et al., Considérations théoriques à propos du traitement formel du langage, Paris, Dunod, 1970 ; Z. S. Harris,
Structures Mathématiques du langage, Paris, Dunod, 197 1; M. Pécheux, Vers l’analyse automatique du discours, Paris, Dunod,1969;B. Pottier,
« Typologie interne de la langue », Travaux de linguistique et de littérature (Strasbourg) 7 (1), 1969.
On ne mentionne ici aucun ouvrage ou article relatif aux langues slaves.
2. Manuscrit remis le 21 novembre 1970.