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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Être écrit.

À propos de 1 the Road.

Jan Baetens

Résumé

La littérature de voyage est une pratique qui pose des questions de genre, mais aussi de médium, les technologies du transport et celle de l’écriture étant indissociablement liées. Ainsi par exemple de la découverte des Etats-Unis par Kerouac (voiture + machine à écrire) et Butor (avion + technique du montage-collage). Le présent article se propose d’analyser une œuvre contemporaine, 1 the Road, qui combine déplacement dans l’espace et production automatique de texte, soi-disant libre de toute intervention humaine.

Abstract

Travel literature is a cultural practice that raises issues of both genre and medium and that also demonstrates the impossible separation of technology of transportation systems and that of writing systems, as shown for instance in the discovery of the US by Jack Kerouac (car + typewriter) or Butor (plane + copy-paste techniques). This article dals with the analysis of a contemporary work, 1 the Road, that combines spatial mobility and automatic text generation, apparently deprived of any human intervention.

Mots clé

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La question des médias est au cœur de la littérature de voyage, où moyens de transports et moyens de communication (en l’occurrence d’écriture) sont inséparables.

De manière générale, la littérature de voyage montre que le concept de médium rassemble au lieu de les distinguer trajectoire des corps et transmission des signes. En ce sens, elle est l’illustration parfaite des théories de l’école de Toronto –de Harold Innis à Marshall McLuhan– et son élargissement de la notion de médium à l’ensemble des technologies : le médium n’est pas seulement le message, il désigne aussi toute extension physique ou mentale de nous-mêmes.

De manière plus spécifique, cette littérature touche aussi à la manière dont arts et médias se croisent et se produisent mutuellement. C’est ce que développe entre autres Rosalind Krauss dans Under Blue Cup (MIT Press, 2011). Fidèle en cela aux intuitions fondamentales de Stanley Cavell, qui définit le médium en termes

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d’automatisme, c’est-à-dire de mise en rapport d’un certain type de contenu, d’un certain type de signes et d’un certain type de support, Krauss pose que le travail de l’artiste consiste à trouver de nouveaux automatismes aux nouveaux médias qui émergent ou reviennent sans arrêt autour de nous. Dans son analyse d’Ed Ruscha par exemple, elle défend ainsi l’hypothèse, aussi forte que convaincante, que le véritable médium de cet artiste au début de sa carrière n’est la peinture, ni la photographie, mais la voiture. Pour elle, Ruscha, notamment dans ses Twentysix Gasoline Stations (1963) a su se faire l’inventeur d’un automatisme inédit, c’est-à-dire de formes d’expression artistique capables de servir de modèle à quiconque veut représenter la ville moderne vue à travers le pare-brise d’une voiture en mouvement.

1 the Road, livre « écrit par une voiture », plus exactement par une intelligence artificielle créée par Ross

Goodwin qui en a équipé sa voiture au moment d’entamer une traversée des États-Unis du Nord au Sud, ajoute des interrogations originales à ce type de fonctionnement qui brouille les frontières entre voyage et écriture ou encore entre déplacement et création. À première vue, le récit de voyage de 1 the Road s’inscrit dans une tradition solide, celui du road trip en voiture rendu célèbre par le poète beat Jack Kerouac (On the Road, 1957 – à compléter bien entendu par la non moins célèbre préface du même auteur au livre de Robert Frank,

Les Américains, paru en 1958), puis prolongé, à l’époque du pop, par le journalisme gonzo, par exemple dans

les livres de Hunter S. Thompson, mais aussi, d’une façon sans doute plus complexe, par Tom Wolfe dans Acid

Test (1968). Or, d’emblée 1 the Road change la donne. Certes, la route et le moyen de transport demeurent

les mêmes et dans une certaine mesure les voyageurs aussi, mais le principe d’écriture change du tout au tout. L’éditeur présente l’ouvrage comme suit :

« Le premier livre écrit par une Intelligence Artificielle est un road trip gonzo » (bande-annonce du volume)

La voiture, ici, devient une sorte de stylo, dans la mesure où elle est connectée à un réseau de neurones artificiels qui transforment les data collectés en route en journal de bord lisible par des humains et ce à partir d’instructions programmées du genre : « une image à transcrire en texte, un lieu à décrire, une ligne de dialogue à développer ou simplement l’heure de la journée » (p. 13 de l’Introduction de Ross Goodwin, lequel se présente lui aussi, et logiquement, comme « écrit » par son intelligence artificielle).

Le résultat (une page du livre pet se voir en Fig. 1) est hypnotisant, à force d’un jeu de répétions et de variations, voire envoûtant par la nouveauté de ce qu’une machine est autorisée –oui, pun intended sur la notion d’ « auteur »– à produire sous forme de récit de voyage.

Dans leurs Entretiens de 1964 (publiés en 1967), Georges Charbonnier et Jorge Luis Borges évoquaieent déjà la question de la littérature « artificielle », où les machines prendraient la relève de l’initiative, du savoir-faire, de l’imagination ou encore de la liberté de l’agent humain. Est-ce à dire que 1 the Road est une matérialisation, sans doute non la première mais une des premières à être explicitement positionnées comme texte littéraire pur et dur, de ce programme ? À cet égard, il convient de souligner l’incroyable culot de l’éditeur, qui a choisi de sortir ce texte sous une forme apparemment anachronique : un « vrai » livre, imprimé, relié, à ranger dans une bibliothèque, à soupeser dans la main, soigneusement mis en pages, selon un classicisme malicieux qui ne fait

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Comme souvent, la réflexion sur l’avenir –on peut en effet supposer que les prochaines années nous réserveront encore de très jolies surprises en ce domaine– gagne à regarder aussi en arrière, non pour minimiser l’avènement du neuf (1 the Road est une révolution, soyons clair), mais pour mieux en situer les enjeux et partant l’apport de l’innovation à une tradition qui forcément la nourrit.

Deux remarques ici s’imposent.

En premier lieu, il est utile de rappeler que la rupture entre l’homme et son outil, la machine devenant en quelque sorte indépendante, est bien connue dans le domaine de l’art. Pendant de longues années, la photographie, par exemple, pratique jugée acheiropoïète, c’est-à-dire non faite de main d’homme, fut écartée

du champ artistique pour cette raison-là. Aujourd’hui, la complexité des actes qu’exécutent les machines n’est toutefois plus analysée sous cet angle-là. Ce qui prévaut, c’est la mise en valeur de imbrication de l’humain et du machinal, devenus inséparables mais non pour autant identiques, comme le montrent par exemple les analyses de N. Katherine Hayles sur ce qu’elle nomme l’assemblage cognitif, fait de l’articulation des sphères humaine et technologique (une utile mise au point peut se lire dans son récent article : « Human and Machine Cultures of Reading : A Cognitive-Assemblage Approach », in PMLA 113 (5), Oct. 2018).

En second lieu, la lecture intertextuelle aide elle aussi à ajouter quelques nouveaux aspects au débat sur l’ « agentivité » (agency) de l’intelligence artificielle en régime littéraire. La généalogie proposée dans les textes qui encadrent 1 the Road reste en effet très sage, presque téléologique, d’un modernisme quasi-académique :

on passe du passé (Kerouac, Frank, Wolfe) au présent, qui se donne évidemment déjà pour la voix de l’avenir (1 the Road). Cette filiation est pertinente, mais elle est sans doute loin d’être la seule et elle a un peu tendance à mettre l’accent sur les seuls stimulants non-textuels ou non-littéraires de l’œuvre : d’abord les stimulants externes comme la voiture, la vitesse, l’alcool, les drogues, puis les mêmes stimulants mais débarrassés de leur côté humain, trop humain par le recours à l’intelligence artificielle.

En fait, d’autres généalogies sont possibles, et un voici un exemple en deux temps (mais chaque lecteur peut compléter à sa guise).

Premier jalon : Paul Morand et son recueil USA. Album de photographies lyriques (1927), qui contient entre autres le poème « Santa-Fé-de-Luxe », dont le texte se termine ainsi, après quelque douze lignes en vers libres :

The Chief, Sant-Fé-de-Luxe,

est attendu aux heures suivantes : Bagdad 5h. Troie 5h. 30 Cadix 5h. 52 Siam 6h. 21 Seligmann 7h. Albuquerque 7h. 12 Gallinas 7h. 45

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Mission 8h. 1 Levey (déjeuner) 8h. 32 Optimo 8h. 47 Dumas 9h. 3 Hambourg 9h. 28 Syracuse 9h. 50 Wagner 10h. 5 Raton 10h. 17 Marinette 11h. Hamlet 11h. 31

Proche de l’esthétique du readymade, plus exactement de la littérature citationnelle, Morand se borne à copier, en pleine époque du jazz et des années folles, peut-être non très différentes des sixties rock & roll, l’indicateur des chemins de fer. Ici, ce n’est pas une intelligence artificielle qui écrit, mais un autre livre, c’est-à-dire un autre agent non-humain. Il est vrai que le procédé est restreint à un fragment de poème, au lieu d’être élargi à l’ensemble du recueil, mais au moins il est donné comme tel (à la différence du Kodak de Cendrars, qui transcrit Gustave le Rouge, mais sans le dire…).

Deuxième jalon : Michel Butor, Mobile. Étude pour une représentation des États-Unis (1962). Cet ouvrage révolutionnaire décrit le pays comme vu du ciel, l’avion remplaçant implicitement la voiture, et bouleverse le principe fondamental du voyage comme trajectoire, comme déplacement dans le temps d’un point A à un point B, pour y substituer une approche radicalement simultanée, qui s’efforce de construire chaque point en termes de réseau et inversement. Mobile est un livre qui subvertit le mythe romantique de la route et de ce que ce genre de traversée implique de rêve et de liberté, tout en produisant un échiquier de couches superposées, mis en branle dans l’esprit de Calder (Fig. 2)

Cette autre généalogie, imparfaite, lacunaire, franco-française, ne tend nullement à contester le chemin qui mène de On the Road à 1 the Road. Elle permet toutfeois d’écrire une histoire plus feuilletée, moins linéaire, en tout cas moins hantée par la perte ou l’abandon de l’humain, que les machines transforment mais n’éliminent pas, comme cela s’est fait depuis que l’homme se construit à l’aide de médias, à la fois produits et producteurs – à l’instar de l’intelligence et de la créativité humaines.

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Jan Baetens is editor in chief of Image (&) Narrative.

Email: jan.baetens@kuleuven.be

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