180 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 25 janvier 2012 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 25 janvier 2012 0 contexte
Le terme pesticide regroupe une famil
le, relativement vaste, de produits chimi
ques destinés à différents usages (herbicides, fongicides, insecticides, etc.).
Plusieurs milliers de substances sont ac
tuellement disponibles sur le marché dans le domaine des pesticides. En Suisse, plus de 1000 tonnes (en substance active) de pesticides sont vendues chaque année (fi
gure 1). Ces produits sont surtout manipu
lés par des professionnels (agriculteurs, viti
culteurs, espaces verts) et, dans une moin
dre mesure, par des particuliers (jardiniers amateurs).
Sur le plan toxicologique, une vingtaine de pesticides sont considérés comme can
cérogènes probables ou possibles chez l’homme. L’application professionnelle d’in
secticides non arsenicaux a par ailleurs été classée comme probablement cancéro
gène chez l’homme (2A) par le Centre inter
national de recherche sur le cancer (CIRC).1
L’exposition aux pesticides touche une population très large. La présence quasi ubiquitaire de résidus dans l’environnement peut en effet conduire à une exposition par les aliments, l’eau potable, l’air intérieur et extérieur par exemple. A cette exposition environnementale diffuse s’ajoutent, chez les utilisateurs de pesticides, des expositions plus ponctuelles mais potentiellement im
portantes liées à la manipulation directe des substances actives concentrées ou à de grands volumes de préparations.
modalités d
’
exposition Il est difficile d’évaluer le risque associé à l’ensemble de ces substances, faute de connaissances suffisantes en matière d’exposition et d’épidémiologie notamment. Ces difficultés s’expliquent par le grand nombre de produits présents sur le marché, leur rapide évolution, ainsi que la période de la
tence importante avant la survenue d’une maladie. En l’absence de certitudes sur les impacts sanitaires réels des pesticides, la réduction/maîtrise de l’exposition s’impose comme outil de prévention privilégié.
Deux modalités d’exposition sont prédo
minantes lors de l’usage de pesticides :
• l’inhalation de vapeurs ou d’aérosols lors de la manipulation ou de l’application des préparations. Cette exposition est généra
lement bien connue des utilisateurs, même si en pratique, elle n’est pas toujours bien maîtrisée.
• L’exposition cutanée lors du contact di
rect avec les préparations ou des surfaces contaminées. Moins bien connue, mais aus
si plus difficile à évaluer et à prévenir, cette modalité d’exposition est souvent détermi
nante dans le cas des pesticides.
lecas du folpet
L’exposition au Folpet, un fongicide large
ment utilisé en Suisse, a fait l’objet d’une étude particulière dans le secteur de la viti
culture. Des mesures d’exposition in situ ont montré que l’essentiel de la dose reçue était lié à l’exposition cutanée. Cette situa
tion s’explique notamment par l’absence de vêtements de protection adéquats, sa faible volatilité (comme beaucoup d’autres pesti
cides), l’absence de rinçage des parties ex
posées (mains, bras) durant la journée de travail et l’augmentation de la sudation liée à l’effort physique.
Il convient de noter que les conditions d’exposition peuvent fortement varier. Le type de traitement à effectuer, les condi
tions météorologiques, les particularités to
pographiques du lieu vont être détermi
nants dans le choix des outils et dans les modalités d’application des pesticides. L’usa
ge d’un véhicule lourd (turbo) permettra par exemple de diminuer le nombre de manipu
lations et d’éviter le contact avec les feuilles traitées. A contrario, lors de l’emploi d’un atomiseur à dos, un plus grand nombre d’opérations de remplissage sera néces
saire et l’utilisateur se trouvera en contact direct avec la vigne traitée.
D’une façon générale, la mesure de l’ex
position cutanée est relativement difficile à réaliser, notamment du fait de la forte varia
bilité anatomique de l’exposition. C’est pour
quoi, lorsqu’une exposition cutanée signifi
cative est attendue, la surveillance biologi
que constitue une alternative particulièrement intéressante. Cette approche consiste à me
surer dans des liquides biologiques (par exemple : sang ou urine) des indicateurs biologiques d’exposition, c’estàdire soit la substance ellemême, soit un ou plusieurs de ses métabolites. Elle permet donc de mesurer l’exposition avant l’apparition de ma
ladies professionnelles. Un autre avantage de cette approche, c’est qu’elle permet de tenir compte de toutes les voies d’exposi
Pesticides
Quadrimed 2012
D. Vernez
Dr David Vernez
Institut universitaire romand de santé au travail
CHUV, 1011 Lausanne david.vernez@hospvd.ch
Rev Med Suisse 2012 ; 8 : 180-1
Figure 1. Vente de produits phytosanitaires en Suisse Source : Société suisse des industries chimiques, OFS.
2500
2000
1500
1000
500
0
1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006
Fongicides, bactéricides, désinfectants de semences Herbicides
Insecticides, acaricides
Régulateurs de croissance Rodenticides
Tonnes de substances actives
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Implications pratiques
Il est possible de diminuer l’exposition aux pesticides par :
• une sensibilisation ou formation des utilisateurs aux dangers des substan ces manipulées et voies d’exposition pos- sibles
• des mesures élémentaires d’hygiène
• une organisation du travail adéquate
• des choix adaptés, notamment en ma- tière d’équipement de protection Pour certaines substances, la mesure de l’exposition cutanée et la surveillance biologique peuvent constituer des outils de surveillance et de prévention intéres- sants
E
Bibliographie
1 Inserm. Expertise collective, cancer et environne- ment, octobre 2008.
2 Berthet A, Bouchard M, Vernez D. Toxicokinetics of captan and folpet biomarkers in dermally exposed volunteers. J Appl Toxicol 2011 ; epub ahead of print.
3 Berthet A, Bouchard M, Danuser B. Toxicokine- tics of captan and folpet biomarkers in orally exposed volunteers. J Appl Toxicol 2011 ; epub ahead of print.
4 Afsset. Efficacité de protection chimique des com- binaisons de type 3 et de type 4. Constat de l’effica- cité de protection chimique des combinaisons de types 3 et 4 au regard de la perméation. Rapport d’appui scientifique et technique. Saisine n° «2007/AC018».
Janvier 2010.
5 Baldi I, Lebailly P, Jean S, et al. Pesticide contami- nation of workers in vineyards in France. J Expo Sci Environ Epidemiol 2006;16:115-24.
tion (par exemple : absorption orale, cuta
née et inhalation) en mesurant la quantité totale absorbée par l’organisme.
Chez l’humain, le Folpet s’hydrolyse très rapidement (l 1 seconde) en phthalimide (PI) et en thiophosgène dès qu’il est en contact avec des thiols sanguins ou tissu
laires (figure 2). Le PI est ensuite rapidement hydrolysé pour former de l’acide phthalami
que, puis de l’acide phthalique. Le thiophos
gène quant à lui se lie à un glutathion ou une cystéine pour former l’acide thiazolidi
ne2thione4carboxylique (TTCA).2,3 Seul le PI est considéré comme un biomarqueur spécifique au Folpet chez l’humain et est majoritairement éliminé par l’urine. Sa de
mivie d’élimination est de 11,7 heures après une absorption orale et de 28,8 heures après une exposition cutanée. A partir des don
nées toxicocinétiques chez l’humain, un mo dèle mathématique a été développé. Les simu lations de ce modèle montrent elles aussi que les travailleurs sont princi pa le
ment exposés par voie cutanée. Une valeur de référence biologique pour le PI a pu être définie à 36,6 pmol/kg de poids corporel pour des urines cumulatives de 24 heures.
Deux des trois travailleurs étudiés ont mon
tré des valeurs urinaires supérieures à cette valeur de référence.
Figure 2. Toxicocinétique et métabolisme du Folpet Exposition
Absorption
Cutanée
Orale
Thiophosgène + autres métabolites
Biomarqueurs d’effet de l’exposition Voies
respiratoires Biomarqueurs
d’exposition
Elimination Distribution
métabolismeet
Sang
PI TTCA Acide phthalamique
Phthalimide
Point controversé
Un récent rapport de l’Agence française de sécurité sanitaire (Afsset 2010)4 a remis en cause l’efficacité réelle des vêtements de protection recommandés dans le cadre de l’utilisation des produits chimiques (dont les pesticides). Des essais de laboratoire ont en effet montré qu’il pouvait exister des écarts im- portants entre les performances annoncées par les
fabricants et les performances réelles des vêtements.
Ces travaux font suite à la publication de plusieurs études montrant une contamination interne des vêtements de protection.5
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