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Le principe dynamique de l’archi-élève lecteur dans l’enseignement de textes littéraires

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Le principe dynamique de l'archi-élève lecteur dans l'enseignement de textes littéraires

RONVEAUX, Christophe, SCHNEUWLY, Bernard, FRANCK, Orianna

Abstract

Article soumis pour discussion au Symposium « Pour une construction empirique de l'archi-élève lecteur et scripteur » aux 13e Rencontres internationales du réseau de Recherche en Éducation et en Formation (REF), (Genève, 9-11 septembre 2013).

RONVEAUX, Christophe, SCHNEUWLY, Bernard, FRANCK, Orianna. Le principe dynamique de l'archi-élève lecteur dans l'enseignement de textes littéraires. In: 13e Rencontres

internationales du réseau de Recherche en Éducation et en Formation (REF), Genève (Suisse), 9-11 septembre 2013, 2013

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:119750

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Le principe dynamique de l’archi-élève lecteur dans l’enseignement de textes littéraires

Ch. Ronveaux B. Schneuwly O. Franck GRAFE (Groupe de recherche pour l’analyse du français enseigné) Université de Genève

1. Problématique

Ce texte se veut à la fois programmatique et empirique.

Il est programmatique en ce qu’il suit un filon, entamé depuis plusieurs années maintenant, et qui vise à décrire aussi précisément que possible ce qui s’enseigne dans les classes, plus particulièrement la classe de français, et ici celles dédiées à l’enseignement de la littérature. Dans ce sens, il s’inscrit dans les réflexions de Young (2008) qui, réclamant de « bringing knowledge back in », critique les interprétations trop faciles qui confondent savoir et pouvoir et qui, sans analyser les modalités de transmission du savoir, rejettent le savoir tout court. Il s’inscrit contre une tendance qui pourrait, sous couvert d’ « action conjointe », tendre à aplatir les nécessaires divergences et différences entre celui qui « sait » et celui qui est censé construire des connaissances, cette différence étant motrice de transformation (Vygotski, 1935/2005).

Entre l’enseignement et les apprentissages, il y a un espace de travail qui n’est ni l’enseignement ni l’apprentissage et qui joue un rôle fondamental dans l’implication des élèves dans la tâche et le travail de sémiotisation de ce qui s’enseigne. Nous visons à décrire cet espace et à identifier cet élève idéal qui est censé réaliser la tâche et profiter du dispositif pour apprendre. C’est cette abstraction que nous nommons archi-élève et que nous mettons à l’épreuve de l’empirie à partir de dispositifs sur la lecture de textes littéraires.

Il est empirique dans la mesure où il tente de décrire des pratiques certes provoquées à des fins de comparaisons, mais néanmoins réelles dans le sens qu’elles rendent compte de ce qui peut se faire avec des objets à enseigner, potentiellement enseignables, et, à des fins d’observation, réellement enseignés. C’est précisément cette transformation d’objets à enseigner en objet réellement enseignés que nous utilisons pour construire l’archi-élève, abstraction théorique du chercheur qui vise à reconstruire ce qui pourrait fonctionner du côté de l’enseignant comme un des principes de transformation pour médiatiser entre un objet à enseigner – ce qu’on lui demande finalement de faire – et l’objet qu’il envisage d’enseigner : cet infime et immense espace qui est celui de son action dans une classe qu’il doit et veut, collectivement, amener vers de nouveaux savoirs. Cet espace est structuré par cette abstraction que nous nommons – nous l’avons dit – archi-élève.

La notion d’archi-élève (Ronveaux, 2012 et à paraître) est forgée à partir du préfixe

« archi », de « archein » qui, en grec ancien, signifie « prendre l’initiative, commencer », puis « commander » (Rey, 1992). Nous avons privilégié le trait d’ancien, de fondateur du préfixe d’où est dérivé le sémantisme de chef. L’archi-élève lecteur a davantage

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d’affinités avec la notion de lecteur modèle de Eco (1979) que celle d’archi-lecteur de Riffaterre (1971) au sens que l’élève en apprentissage que nous cherchons à identifier est une abstraction qui correspond moins à l’addition de « témoignages accumulés de lecteurs » (p. 8), qu’une création de l’enseignant-e au moment d’imaginer l’espace de travail sur le texte. De la même manière que Eco considère la présence du lecteur dans l’artéfact du texte, nous pensons que le dispositif d’enseignement, en particulier par la médiation de la tâche que l’élève est censé faire, prévoit dès sa conception, dès la mise en mot de la tâche par la consigne, un élève abstrait qui correspond peu ou prou à l’élève empirique que l’enseignant-e mettra au travail tout à l’heure. Au moment de planifier la tâche de lecture, la difficulté est doublée. L’élève imaginé, censé agir, l’est aussi, comme lecteur, dans le parcours interprétatif programmé par le texte.1

L’archi-élève lecteur prévu par la tâche et celui programmé par le texte ne correspondent pas forcément. On s’attend à ce qu’il y ait des disparités entre ce que l’élève est censé faire dans la tâche et ce que le lecteur en apprentissage est censé comprendre du trajet interprétatif programmé par le texte. On peut s’attendre aussi à ce que l’enseignant-e réagisse à ces disparités pour réguler l’activité des élèves dont il a identifié l’incompréhension, ou au contraire pour reformuler une consigne qu’il pense mal formulée. Entre l’obstacle diagnostiqué comme un malentendu et la régulation d’une tâche inadéquate, une partie de l’activité enseignante repose sur l’ajustement inévitable (souhaitable) de l’activité de cet élève abstrait prévu dans la tâche et l’aménagement en acte du travail. Nous pensons que certains malentendus relationnels créent les conditions d’une plus value qui enrichit le travail de l’enseignant et le répertoire de l’élève. Nous posons l’archi-élève comme principe abstrait, fondateur des dispositifs d’enseignement à la source des apprentissages créant des zones proximales de développement.

L’observation de la variation des dispositifs pour un même enseignement – ici la de la littérature, mais est-ce donc le même enseignement ? - constitue l’une des manières d’essayer de cerner ce principe abstrait sous-jacent. Dans notre méthodologie, nous observons systématiquement les variations des dispositifs en fonction de deux variables : le niveau scolaire et le texte littéraire enseigné introduit comme réactif, selon le plan de recherche présenté dans le tableau 1.

Primaire (élèves ~12 ans)

10 enseignants

Secondaire I (élèves ~14 ans)

10 enseignants

Secondaire II (élèves ~16 ans)

10 enseignants

Total

La Fontaine Le loup et l’agneau

10 séquences 10 séquences 10 séquences 30 séquences

Lovay

La négresse et le

chef des

avalanches

10 séquences 10 séquences 10 séquences 30 séquences

Total 20 séquences 20 séquences 20 séquences 60 séquences

Tableau 1 : Plan de recherche

Pour le primaire, nous avons choisi la dernière année avant le passage au secondaire à Genève, la provenance sociale des classes étant très variées. Pour le secondaire I, il s’agit de la deuxième année de trois ans de scolarité, avec des classes hétérogènes dans des

1 La notion de « collective student » de Bromme (2005) s’apparente de la notion que nous proposons ici, même si les dimensions didactiques sont absentes des analyses proposées.

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quartiers variés. Le secondaire II concerne exclusivement le collège genevois, rassemblant environ 30-40% de la population scolaire dans une filière donnant accès l’université.

Un petit mot sur les deux textes et leur statut de réactif. Le loup et l’agneau de La Fontaine pose plusieurs problèmes. Mais le problème principal de la fable dont nous voudrions traiter ici réside moins dans l’originalité d’une structure qui s’ouvre sur une morale que de faire figurer, dès les premiers vers, une assertion qui va à l’encontre de l’idéal d’une école démocratique humaniste. Il s’inscrit dans la tradition d’une littérature patrimoniale dont la visée d’éducation aux valeurs a pu s’imposer jusqu’au milieu du XXe siècle (les recueils de récits exemplaires, d’anecdotes édifiantes). Or, avec cette fable en particulier, comment défendre le développement du tribun par la maitrise de l’argumentation en s’appuyant sur un texte qui illustre le contraire ? De la fable, on peut conclure qu’un argumentaire, même valide, n’aboutit à un changement de point de vue et à un acquittement. Au contraire, dans le cas de l’agneau, la parole débouche sur la mort.

La nouvelle La négresse et le chef des avalanches de Lovay comporte aussi plusieurs problèmes. La densité de son réseau lexical, le partage du récit entre deux figures (l’analepse et la prolepse), un marquage énonciatif dévoilant progressivement un narrateur témoin et participant à l’action, rendent la reconstitution de l’intrigue difficile.

À cela s’ajoute un titre antithétique pour le moins énigmatique. Comme le recommande les règles du genre de la fable, le titre met en relation deux personnages contrastés : la négresse doté de valeur péjorative et le chef des Avalanches dont la fonction est chargée positivement. Comme le renard et la cigogne, le corbeau et le renard, la grenouille et le bœuf, les personnages, désignés par un déterminant défini, renvoient à des types dont le programme de rencontre pose une énigme. Qu’ont à faire ensemble une négresse et un chef d’avalanches ? Quels intérêts les rassemblent ? Que vont-ils s’apporter mutuellement ?

Ces problèmes ne présagent pas des obstacles que rencontreront les élèves qui liront ces textes, mais ils posent à la fois les divergences et les proximités des lectures possibles.

Mais il faut attribuer le caractère réactif des deux textes à l’inscription de l’un des deux, la fable, dans la tradition d’une didactisation. Depuis que les fables de La Fontaine ont été utilisées dans les classes dès la création de l’école publique, elles ont fait l’objet de commentaires, d’exercices, elles ont figuré dans des anthologies, des manuels au milieu d’autres textes dans des assemblages qui leur ont donné des significations historiquement déterminées.

Dans nos analyses, nous portons toujours une attention aux différentes strates historiques qui nécessairement se superposent dans les pratiques réelles. Nous avons décrit cette sédimentation et le fonctionnement de la superposition dans Schneuwly et Dolz (2009) pour l’enseignement de la production de textes argumentatifs et de la grammaire. Le même phénomène a été mis en évidence pour l’enseignement de la lecture in Thévenaz (à paraître), ouvrage dans lequel les auteurs, à partir d’une analyse à la fois transversale et longitudinale de supports pour l’enseignement et de pratiques déclarées distinguent une approche classique dans laquelle l’accès aux idées du texte et de l’auteur vise l’élucidation du sens à partir des mots et des phrases du texte, des éléments locaux vers le sens global. L’enseignement s’appuie majoritairement sur des supports de lecture constitués d’extraits, de morceaux choisis ou de phrases ; l’approche inférentielle de traitement de l’information où la lecture est conçue comme une activité de résolution de problème en situation ; et l’approche interprétative instrumentée qui

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est guidée par la spécificité du texte objet d’enseignement. Dans le domaine de l’enseignement de la littérature quelques recherches descriptives, conduites ces 30 dernières années, attestent d’une grande diversité de pratiques. Coexistent, en synchronie, les modèles humanistes anciens, fondés sur l’activité cadre de l’explication française et sur le corpus patrimonial « classique », emprunté à l’histoire littéraire (Fournier & Veck, 1997), et les modèles méthodiques, visant la lecture, partagés entre un formalisme immanentiste, emprunté au structuralisme, soumis à l’autorité textuelle, et une lecture participante, centrée sur les réceptions effectives des élèves (Daunay, 2007).

Le concept étendard de « lecture littéraire » se développe et s’opérationnalise (Dufays, Gemenne & Ledur, 1996), en déplaçant l’enseignement de la littérature et de l’auteur vers le texte (ses effets) et vers le lecteur (la réception) (Rouxel & Langlade, 2004).

Méthodologiquement, nous avons procédé à trois types d’analyse que nous avons croisés.

Une première analyse (chapitre 2) porte sur l’ensemble du corpus : sur la base de synopsis des séquences d’enseignement, des « portraits », des « macro-structures » de chaque séquence sont élaborés. Cette photographie abstraite du corpus permet de mettre en évidence les grandes tendances qui le caractérisent, les tensions qui le traversent en fonction des deux variables expérimentales d’une part, à savoir progression et type de texte, et de la tension constitutive des pratiques professionnelles élaborées entre tradition et rénovation d’autre part.

Sur la base de cette première analyse globale, des analyses plus approfondies ont été menées sur des séquences contrastées, significatives en fonction d’une part de la progression – les deux extrêmes primaire et secondaire II – et des pratiques que représentent les enseignant-e-s menant les séquences (chapitre 3). Quatre séquences sont ainsi analysées en fonction de deux démarches plus développées.

La première analyse porte sur les entretiens menés avant les séquences avec les enseignants (chapitre 3.1). Nous allons, dans un premier temps, décrire l’ancrage énonciatif de l’enseignant à travers son discours durant l’entretien ante lorsqu’il explicite la planification qu’il a prévue pour sa séquence d’enseignement des deux textes littéraires sélectionnés. Ceci pour repérer, selon les deux variables « niveau » et « type de texte », des traces de proximité ou distance de l’enseignant face aux élèves vis-à-vis des tâches de lecture. Dans un deuxième temps, sur base de ce qui aura été mis en évidence, nous tenterons de retracer le portrait robot de l’archi-élève lecteur à qui l’enseignant adresse sa séquence. En effet, les suites d’activité prévues pour les séquences d’enseignement et leur structure nous permettent d’observer ce que l’élève est censé faire et d’identifier (plus ou moins) l’archi-élève projeté par l’enseignant.

Pour l’analyse des séquences telles que réalisées en classe (chapitre 3.2), nous avons également procédé en deux temps : la reconstitution des suites de tâches et de leur logique à partir de la réduction synoptique des transcriptions qui exemplifient les observations faites sur le corpus dans son ensemble ; l’identification des contributions des élèves dans le développement de la tâche et la régulation proposée par l’enseignant- e, autrement dit nous essayons de saisir de quelles disparités sont porteuses les réactions effectives des élèves aux dispositifs prévus par les enseignant-e-s.

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2. Les macrostructures des séquences comme incarnation d’un archi-élève Un premier coup d’oeil

Figure 1 : Longueur moyenne des séquences en minutes en fonction

du niveau scolaire et du texte.

La figure 1 rend compte des moyennes de durée des séquences et montre un effet majeur des deux variables : les séquences deviennent de plus en plus courtes en fonction du niveau scolaire passant, globalement, de deux leçons à une leçon par texte. Quant au facteur texte, il ne déploie visiblement pas d’effet au primaire, la longueur étant identique pour les deux textes. Par contre, le texte « résistant » est travaillé plus longuement au secondaire I, le texte « classique » au secondaire II. A quel élève s’adressent ces séquences ? Qu’est-ce qui explique ces différences ?

Il nous parait qu’une triple tension forge l’archi-lecteur auquel s’adressent ces séquences : l’histoire des pratiques professionnelles d’enseignement de textes littéraires, croisée à la conception de la lecture à construire en fonction du niveau, confrontée à des objets résistants plus ou moins à ces présupposés. La présentation des tendances qu’on peut observer en fonction de ces tensions implique de tenir compte à la fois des trois. Pour simplifier notre tâche, nous décrivons dans un premier temps les tensions à l’intérieur de chaque niveau, puis dégageons brièvement l’image qui se dégage en mettant en perspective les trois niveaux.

Primaire : classicisme et sens littéral versus interprétation instrumentée

L’analyse des « portraits » ou macrostructures des séquences permet de distinguer deux groupes opposés.2

Six séquences s’adressent à un archi-élève « compreneur » : ce qui est visé avant tout, et presque exclusivement, est la clarification du texte, sa compréhension, le sens

2 Nous ne traitons pas ici une différence systématique et notable entre primaire d’une part, secondaire I et II de l’autre : les séquences au primaire sont très régulièrement introduites par des activités qui préparent la lecture, tandis qu’au secondaire, les élèves rencontrent régulièrement le texte immédiatement. Il s’agit là d’une différence importante que nous traitons globalement dans un autre texte, essentielle bien sûr pour concevoir l’archi-élève auquel s’adresse les enseignants. Nous y revenons à propos des séquences au primaire dans le chapitre 3.2.

40 50 60 70 80 90 100

Primaire Secondaire I Secondaire II

La Fontaine Lovay

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« littéral ». Les outils mis en place pour y parvenir sont pour l’essentiel la lecture en elle- même du texte et le questionnement en classe ou par un questionnaire. La question est l’outil principal, voire exclusif du travail. Elle vise à attirer l’attention de l’élève sur des éléments qui cadrent le texte (lieu, temps), qui le constituent (personnages et leur action), voire sur des éléments implicites du texte. Ces questions impliquent, certes, plus que la compréhension des mots du texte et nécessitent souvent une part d’induction, voire d’interprétation – toute compréhension implique de l’interprétation – mais cette dernière n’est nullement visée en tant que telle. Elle est un byproduct du travail de compréhension.

L’approche fait l’abstraction des spécificités du texte. Certes, le questionnaire porte sur des objets différents, mais le principe est le même : la reconstitution du sens littéral, l’orientation vers le contenu, abstraction faite de la forme linguistique et textuelle. Le modèle sous-jacent est celui d’un lecteur cognitif qui, pour comprendre le texte, doit mettre en rapport des significations et éventuellement inférer des significations cachées.

Le lecteur est conçu comme actif ; une tâche lui est dévolue, à savoir précisément la recherche de réponse à des questions dans le texte, questions censées permettre un meilleur accès, une meilleure compréhension du texte. Mais la nature du texte reste, pour l’essentiel, extérieur. La démarche est insensible à la spécificité du texte. Ce qui est visé est la reconstruction cognitive du contenu du texte.

A l’opposé on trouve six séquences qui prennent la spécificité du texte – le genre, les moyens linguistiques, la structure du contenu, la dynamique des personnages – comme point de départ du travail. La particularité de ces séquences réside dans la focalisation sur des entrées spécifiques, partielles, mais toujours multiples et diversifiées, qui visent à induire des lectures plurielles, à mettre en perspective un texte par des regards qui s’enrichissent mutuellement. Ces entrées consistent en activités ou exercices qui, par leur conception, instrumentent l’élève dans son approche du texte : repérer les reprises des personnages, souligner les paroles des protagonistes et décrire la dynamique de leur interaction, observer l’usage de quelques mots ou expressions significatifs dans le texte, souligner les passages correspondant à un thème significatif. Ces entrées par

« effraction » (Ronvaux) dans le texte, nécessairement partielles et ne portant pas sur le texte dans sa totalité, visent à donner à l’élève des regards à partir d’un point de vue particulier que complète un autre, puis un autre encore. Dans ces démarches, le texte constitue toujours le point de départ et d’arrivée. Le sens littéral ne fait guère l’objet d’attention particulière : l’archi-élève lecteur est plus conçu comme « braconneur » (De Certeau) dans un texte dont il se forge sa propre image.

Ces approches prenant le texte et ses spécificités comme référence n’utilisent bien sûr nullement les mêmes instruments pour les deux textes. Au contraire, c’est leur différenciation qui les caractérisent et distinguent ; et le fait que chaque séquence en comprend plusieurs est précisément la caractéristique de ces séquences. Il en résulte en fin de compte l’observation quantitative faite plus haut pour toutes les séquences : leur longueur est à peu près équivalente.

On peut distinguer un troisième groupe comprenant les autres séquences qu’on peut considérer comme mixte : elles incluent dans une approche visant d’abord la compréhension du sens littéral des activités qui donnent à voir le texte d’un point de vue particulier, la dominante restant l’orientation inférentielle, l’approche cognitive du texte.

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Nous inspirant des distinctions proposées in Thévenaz et al. (à paraitre), cette première analyse permet donc de distinguer, de manière idéaltypique, deux approches des textes, pouvant être utilisées les deux dans la même séquence :

- la première, classique, inférentielle, cognitive, vise avant tout le sens littéral par un travail sur la reconstitution du contenu du texte à travers notamment la construction d’inférences nécessaires pour y accéder ; elle est relativement insensible aux particularités du texte et a pour présupposé et résultat un lecteur unique, homogène ;

- la deuxième, interprétative et instrumentée, prend les particularités du texte comme point de départ pour y donner accès par plusieurs regards ; il ne s’agit pas tant de reconstituer un sens littéral que de construire d’emblée des sens que peut avoir le texte, l’enrichissant au fur et à mesure à travers les lectures instrumentées.

Secondaire I : un lecteur à discipliner versus un lecteur encore libre, non discipliné

On pourrait, comme pour le primaire, également distinguer des ensembles de séquences pour le secondaire, les unes plutôt classique, orientées vers l’explication de textes, les autres, tenant plus compte de la spécificité des textes. Ceci risquerait de cacher la tendance forte que fait apparaitre l’analyse des macrostructures : les deux textes semblent fonctionner puissamment comme différenciateurs à travers la plupart des séquences, comme si deux archi-élèves en résultaient. Il parait dès lors plus judicieux de faire abstraction des différences entre séquences, certes existantes, et de se concentrer sur la tendance forte.

Les séquences dédiées à la fable vont dans leur majorité dans le sens d’un traitement qu’on pourrait appeler « classique » dans le sens d’une lecture de compréhension et d’interprétation d’un texte selon les canons habituels de la lecture littéraire. La démarche est, « classiquement », la suivante : après une brève récapitulation de quelques éléments de contexte (auteur, période), la fable est lue, puis les élèves sont amenés à répondre à un questionnaire qui porte sur des éléments formels du texte (versification), sur les arguments des deux personnages, et, souvent, sur la signification sociale et politique plus générale du texte. Le travail sur le questionnaire est individuel ou se fait en groupe. Ce qui est visé majoritairement est de développer la capacité d’analyser de manière relativement autonome un texte, cette analyse étant encore fortement balisée par des questions. Tous les questionnaires vont au-delà de la reconstitution du sens littéral et mettent en évidence plus particulièrement la dynamique argumentative au cœur de la fable. L’archi-élève visé : l’élève à discipliner en vue de l’apprentissage de l’explication de texte.

L’archi-élève de la plupart des séquences dédiées à l’histoire de Lovay est tout autre – et explique d’ailleurs leur plus grande longueur constatée plus haut. Tout se passe comme si le texte ne se prêtait pas à la méthode classique de lecture explicative et prenait ses droits, comme s’il n’était pas envisageable de concevoir, pour ces élèves, une lecture

« classique » de ce texte « bizarre », « étrange », comme si ces caractéristiques imposaient des formes de lecture autres, comme si le texte permettait, voire obligeait, de concevoir un archi-élève comme « sujet lecteur ». De nombreuses séquences proposent donc des outils permettant à ce sujet d’explorer le texte, de se l’approprier « à sa guise », selon des modalités propres aux groupes, aux dyades, voire aux individus : travailler sur le sens de mots particuliers en rapport avec leur place dans le texte ; repérer la place de la femme dans le texte ; relever et surligner les éléments étranges, problématiques,

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incohérents ; repérer les nombreuses métaphores et comparaisons et discuter leur fonction dans le texte ; écrire un texte « inverse ». Les enseignant-e-s, partageant souvent leur propre perplexité face au texte, modèlent ainsi les interprétations multiples, possibles, avec, très souvent, en arrière-fond, un travail qui permet de dépasser la première lecture « raciste » des élèves. Aucune interprétation fixe, définitive, n’est donnée, contrairement à la fable, souvent interprétée comme dénonciation d’un régime politique d’une inégalité sociale.

L’effet différenciateur du texte peut agir, telle est, du moins, notre interprétation, dans la mesure où l’élève du secondaire I, lecteur de textes littéraires, est en construction, Il est encore peu discipliné, donc en quelque sorte archi-élève à discipliner. Cette disciplinarisation se fait sur les modèles classiques qui sont à l’origine et supportent la méthode classique. La situation de disciplinarisation laisse aussi un espace plus grand de liberté : l’explication de texte n’est pas encore le modèle quasi obligatoire. Le texte peut donc déployer son effet contre la méthode.

Secondaire II : explication de texte versus lecture cursive d’un lecteur compétent

Tout autre encore se présente la situation au secondaire II : le texte devient prétexte, objet d’application de la méthode : « Je vous disais l’autre jour que théoriquement / vous devriez être capables d’analyser n’importe quel texte même si on l’a pas travaillé » dit une enseignante à ses élèves (3_1_LAF, l. 54-563). L’explication de texte règne en absolu et ne laisse guère place à des démarches par effraction, à des activités et exercices pensés à partir de la spécificité du texte. Or, le texte de Lovay résiste. Et tout se passe comme si, par conséquent, il était un peu délaissé : nous avons vu que les séquences y dédiées sont plus courtes en moyenne. Il ne convient pas bien à l’archi-élève conçu comme « explicateur de texte », puisque le texte est précisément écrit pour dérouter la lecture explicative, l’empêcher, la rendre difficile, voire impossible.4

On voit donc la machinerie de l’explication de textes s’exercer sur la fable de La Fontaine avec une redoutable efficacité : le texte est analysé dans sa globalité en fonction de démarches rodées – les élèves sont discipliné-e-s. Etablissement du sens littéral, définition d’un questionnement du texte, d’un plan de lecture ou d’axes thématiques, exploration du texte en fonction de ces outils, établissement de la signification globale du texte constituent les étapes que les élèves sont censé-e-s savoir mettre en œuvre.

Ceci n’empêche pas que, dans certaines séquences, des approches plus ciblées ne prenant pas le texte dans sa globalité, mais proposant un point d’entrée plus restreint, ciblé, tiennent compte de la spécificité du texte : poser des questions sur les personnages et y répondre ; donner des titres à chaque partie du texte, décrire le ton du loup et de l’agneau, etc.

La méthode de l’explication de texte semble perdre de son efficacité pour le texte de Lovay. Dans plusieurs des séquences, il fait l’objet d’un traitement relativement global (résumé par le schéma quinaire, structure temporelle de la narration, positionnement du narrateur). D’autres abordent un point particulier (antithèse noir et blanc, éléments frappants, éléments absurdes), mais il n’y a qu’exceptionnellement l’exploration du texte à partir de plusieurs points de vue possibles avec des instruments d’analyse précis.

L’archi-élève sollicité est un lecteur averti qui n’est pas guidé systématiquement dans sa

3 3_ 2_LAF, l. 54-56 : niveau secondaire 2, séquence 2, La Fontaine, lignes 54 – 56 de la transcription.

4 Jérôme Meizoz, auteur d’une remarquable postface à La négresse et le chef des avalanches (1996) a démontré cela dans une intervention au groupe GRAFE en mars 2013.

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lecture, mais qui est supposé capable lui-même de déceler les éléments saillants du texte. Même l’établissement du sens littéral, difficile d’ailleurs dans ce texte, n’est, à une exception près, pas réalisé. On pourrait aussi dire : il n’y a point de voie systématique autre mise en œuvre pour aborder le texte de Lovay. La démarche disciplinaire ferait- elle disparaitre une certaine liberté didactique ?

Au fil des niveaux scolaires

La mise en perspective des trois niveaux montre une progression marquée qui se répercute sur le rapport au texte instauré :

- au primaire, deux orientations existent avec deux archi-élève contrastés, sans que le texte ait un effet ;

- au secondaire I, l’effet texte est maximal et ouvre un espace de liberté ;

- au secondaire II, la disciplinarisation étant « achevée », l’effet texte se manifeste à l’envers, comme efficace d’une méthode qui semble fermer des possibles.

3. Analyses de quatre séquences contrastées

Nous précisons et exemplifions ces considérations générales sur l’ensemble du corpus à partir de deux analyses de cas. Nous avons sélectionné deux séquences du primaire (1_1 et 1_10) et deux séquences du secondaire 2 (3_6 et 3_7), particulièrement emblématiques des tendances décrites ci-dessus, sous l’angle des entretiens ante d’une part, des contributions des élèves au développement des tâches, reprises par les régulations des enseignant-e-s dans le cours de l’action, d’autre part.

3.1. Des planifications de séquences

La présente partie est consacrée à l’analyse des entretiens menés avec les enseignants avant la réalisation des séquences. Ces entretiens semblent particulièrement significatifs pour repérer l’image que construit l’enseignant des élèves, de cerner les contours de l’archi-élève qui est sous-jacent à la planification de sa séquence. Nous essayons de le cerner par deux démarches, comme nous l’avons dit plus haut. Dans un premier temps, nous essayons de voir sous quelle forme linguistique, énonciative l’élève apparait dans le discours de l’enseignant et plus généralement, comment l’enseignant modèle discursivement son rapport à l’élève, ceci bien sûr en fonction des variables du niveau et du type de texte. Pour cela, nous déterminons le positionnement de l’enseignement à travers un certain nombre d’indices linguistiques, plus particulièrement les pronoms personnels et l’ancrage énonciatif. Dans un deuxième temps, nous présentons la planification des quatre séquences : qu’est-ce que l’enseignant a prévu de faire dans sa séquence ; ou plutôt : comment l’enseignant montre à travers son discours ce qu’il a l’intention de faire et pourquoi, révélant ainsi, en creux, l’archi-élève auquel est destiné la séquence qu’il présente.

Description d’un archi-élève lecteur : un mouvement en entonnoir

Nous avons dans un premier temps essayer de dégager une sorte de modèle dans la description des élèves dans le discours des enseignants. Elle se présente sous forme d’un mouvement en « entonnoir ». Dans un premier temps, lors de la présentation du plan de la séquence prévue, un archi-élève lecteur représentatif d’une classe décrite comme

« homogène » et presque idéale (qui sont qualifiés de « très bons lecteurs », qui ont du plaisir à lire) est pris comme référence. Ensuite, une certaine hétérogénéité dans la classe apparait dans le discours de l’enseignant, qui souvent prend la forme d’une

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dichotomie entre les « bons lecteurs » et ceux « en difficulté ». Puis, très fréquemment, l’enseignant décrit quelques uns des ses élèves particuliers, souvent en difficulté (un dyslexique, un élève étranger avec des difficultés en langue française, etc.). Ce mouvement est plus marqué au primaire qu’au secondaire II, hétérogénéité des élèves étant bien plus grande. Rappelons que le secondaire II observé ne concerne que le collège genevois réunissant 30-40% seulement des élèves.

Soulignons que ces réflexions sur l’hétérogénéité ne sont guère intégrées dans la conception même du plan de la séquence.

L’ancrage énonciatif de l’enseignant : tendances générales

Les indices du positionnement de l’enseignant sont dans un premier temps mis en évidence à travers l’étude des pronoms et anaphores utilisées quand il explicite les activités prévues, l’utilisation de déterminants possessifs (mes élèves, ma classe) ou démonstratifs (ces élèves, cette classe), les articles définis (la classe, les élèves) et indéfinis (une classe, un élève) quand ils se réfèrent aux élèves ; et, principalement, les traces d’inclusion/exclusion du collectif « classe » vis-à-vis de ces activités dans l’utilisation des pronoms personnels (« je », « on », « ils »).

Dans notre corpus d’entretiens, certains pronoms personnels sont utilisés de manière récurrente dans le discours des enseignants lors de la description des activités qu’ils ont prévues pour leur séquence. Les trois pronoms les plus fréquents sont, évidemment, le

« je » de l’enseignant qui parle en première personne, le « ils » qui se réfère aux élèves dans les tâches et le « on » qui représente un collectif « classe » dans lequel l’enseignant s’inclut, mais qui peut avoir aussi d’autres significations.

On observe une alternance entre l’utilisation d’un « je » face aux « ils », où l’enseignant décide des tâches qu’il propose aux élèves « ils », et un « on » où l’enseignant s’inclut dans la tâche avec ses élèves, en tant que « collectif classe » qui travaille ensemble, et parfois, plus spécifiquement, en tant que « lecteurs du texte ». Mais nous avons aussi relevé quelques cas qui nous semblent significatifs. Le « on » est utilisé pour désigner un ensemble dont l’enseignant s’exclut et qui se réfère aux enseignants autres que lui. On trouve également l’utilisation d’un « on » et d’un « vous » qui se réfère à un collectif que rassemble l’enseignant et les chercheurs : une manière d’inclure les chercheurs comme plus ou moins participatifs ou co-responsables dans la construction de la séquence. Plus rarement encore, nous avons un « tu » ou « vous » qui s’adresse aux élèves, dans l’explicitation des consignes par exemple ; et enfin, un enseignant qui s’inclut dans la tâche au point de se mettre dans leur peau en parlant en « je » ou « on » en tant qu’élève qui réalise la tâche.

A partir de l’utilisation de ces pronoms, nous pouvons retracer les tendances générales qui ressortent de l’analyse de nos entretiens concernant les séquences selon le type de texte et les ressources à disposition, selon le niveau des élèves (primaire – secondaire I – secondaire II) pour cerner ainsi l’archi-élève lecteur à qui s’adressent les tâches.

Le premier cas de figure est l’alternance exclusive entre « je » et « ils ». Il se retrouve le plus fréquemment dans les entretiens concernant les séquences sur la fable, et plus particulièrement au secondaire II. Ces pronoms sont utilisés pour des tâches dont l’enseignant ne se fait « pas trop de souci » quant à leurs réalisations et sait comment guider et anticiper les difficultés des élèves. Il s’appuie sur ce qu’il connait de sa classe.

Nous voyons donc apparaitre un enseignant qui parle en première personne et qui enseigne un objet aux élèves pour lequel il a plus de ressources à disposition. Il est

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intéressant de souligner que l’enseignant présente sa planification avec un discours à l’indicatif présent ou futur, les tâches sont parfois explicitées à travers des verbes à l’infinitif ou des nominalisations et font référence à des tâches dont ils ont l’habitude.

Le deuxième cas de figure qui comprend le « on » incluant l’enseignant et les élèves apparait plus fréquemment dans les discours de l’enseignant de façon plus systématique pour la séquence sur la nouvelle et au primaire. A ce niveau, l’enseignant s’implique plus par rapport à sa classe pour laquelle on sent un certain lien presqu’affectif parfois (comme indice, on retrouve d’ailleurs à ce sujet une fréquence élevée de déterminants possessifs des enseignants vis-à-vis de leurs élèves). Ce « on » est employé pour des tâches où les enseignants prévoient plus de difficultés de la part des élèves, notamment au primaire ; ils vont donc chercher « ensemble ». Au niveau secondaire, il s’agit de tâches de réflexion, de discussion collective, relativement « libres » pour la nouvelle, contrairement à la fable, plus guidée par des démarches stabilisées. Ce sont les caractéristiques du texte non didactisé et le manque de ressources qui apparait comme significatif : pour le texte de Lovay, le « on » est utilisé en tant que « non détenteur du savoir » ou encore, en tant que lecteur en recherche de compréhension face à la difficulté du texte. Il est intéressant de noter que l’enseignant utilise beaucoup de modalisateurs, de conditionnels et une certaine réserve, ou hésitation dans la description de ces tâches.

Les pronoms comme « on » et « vous » qui font appel à un autre groupe de référence (d’autres enseignants, les chercheurs) mettent en évidence moins une déresponsabilisation de la prise en charge énonciative que l’appel à une autre responsabilité dans les choix établis, une sorte d’argument d’autorité (Bronckart, 1996).

On les retrouve pour justifier certaines prises de décision en terme de planification, de façon significative pour le texte de Lovay, à travers tous les niveaux.

Prenons quelques autres éléments énonciatifs liés à ce qui est dit ou non dit dans les entretiens. On observe ainsi qu’au primaire, pour la fable, les difficultés évoquées sont liées à la tâche (de vocabulaire, par exemple) alors qu’au secondaire elles ne sont pas évoquées. Pour la nouvelle de Lovay, les difficultés viennent du texte, de par sa complexité. Enfin, la structure des séquences sur la fable est présentée comme très arrêtée, l’enseignant attend des réponses précises et anticipe des difficultés qu’ils estiment pouvoir dépasser avec eux. Alors que pour Lovay, la structure est décrite comme beaucoup plus ouverte, les enseignants se considèrent comme lecteur démuni (ou « perdu », pour utiliser le mot d’un des enseignants) face au texte autant que leurs élèves, ils ne possèdent pas « la réponse attendue » et laissent une place beaucoup plus grande à la discussion et l’improvisation en fonction des réactions des élèves, plus particulièrement au primaire. Ils disent même « se réjouir » des apports des élèves au niveau de l’interprétation de la nouvelle. Dans leur discours sur la séquence de Lovay, apparait même le souci des attentes des élèves envers l’enseignant, auxquelles ces derniers craignent de ne pas répondre, ce qui n’apparait absolument pas dans les discours pour la séquence sur la fable.

L’archi-élève qui ressort de cette analyse énonciative se distingue donc assez bien tendanciellement. On peut schématiquement opposer deux fonctionnement énonciatifs :

- l’un oppose enseignant et élève dans la paire « je » et « ils », ce dernier, archi- élève dans tous les sens du terme, étant exécutant de tâches qui lui sont dévolues et qu’il sait assumer seul, ceci caractérisant surtout le rapport dans la fable au secondaire II ;

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- dans l’autre, il y a apparition fréquente du « on » qui inclut l’enseignant dans le processus de lecture et interprétation conçue comme partiellement collective, comme œuvre commune, l’élève étant ici aussi producteur de sens ; l’archi-élève est d’une certaine manière moins élève et plus lecteur.

Portrait robot : à quel archi-élève lecteur s’adresse la planification?

L’analyse des discours des enseignants sur la séquence qu’ils prévoient réaliser permet de mettre en évidence les éléments suivants, plus particulièrement en fonction des deux niveaux scolaires ici représentés, le primaire et le secondaire II.

Au primaire, l’élève est explicitement nommé et évalué en tant que « lecteur » pour lequel on vise la compréhension première, littérale, grâce à des tâches dont il a l’habitude. L’entrée dans le texte est souvent prévue par fragments : par une déstructuration du texte dans un cas, et par un découpage et travail linéaire sur des parties du texte dans l’autre.

Dans la séquence sur la fable, c’est un archi-élève déjà prêt à être guidé. Il est décrit comme un « bon » lecteur qui a du « plaisir à lire », et qui a « beaucoup d’imagination ».

Les tâches prévues sont des activités de types « manipulation », l’entrée dans le texte se fait par fragments (texte découpé ou déstructuré). Les activités que les élèves sont censés faire sont celles d’assemblage de texte, production de texte partiel comme l’invention d’une suite à partir de la lecture du début ou d’une fin alternative, soulignement des tours de paroles, et discussion du sens guidée par l’enseignant qui attend certaines réponses précises. Les tâches sont choisies en fonction de la pratique habituelle, de ce qu’ils ont déjà vu (poésie/rime, langage soutenu, quelques éléments de narratologie) et de ce que l’enseignant connait de ses élèves, pour lesquels il choisit d’alterner ce qu’ils aiment faire (ou ce pour quoi ils n’ont pas trop de difficultés) avec ce qui cause plus problème. L’enseignant est assez confiant, même pour les tâches plus complexes, il ne se fait pas « trop de souci » dans la réalisation des tâches demandées. Si l’enseignant prévoit un changement possible dans ce scénario, ce sera une décision propre, due à un manque de temps et non en lien avec les obstacles des élèves.

La planification de la séquence sur la nouvelle de Lovay présente beaucoup plus d’inconnues. Les enseignants savent moins comment aborder ce texte car ils ne savent pas quelle sera la réaction des élèves. Les contributions d’élèves sont ici prises en compte comme motrices de la séquence. L’archi-élève lecteur est moins défini. Il apparait comme un lecteur « démuni » face à la complexité du texte, autant que l’enseignant. Ici, c’est le texte même qui pose problème. C’est la tâche de « lecture » qui crée un obstacle. Il est prévu d’entrer dans le texte avec différentes tâches, mais les enseignants ne savent pas si les élèves accrocheront. Ces tâches aideront surement à créer plus de sens pour les élèves mais aussi pour l’enseignant. Un lecteur qui se baserait seulement sur la compréhension littérale pourrait bloquer, et à ce niveau, ils ne possèdent pas d’outils d’analyse pour creuser plus en profondeur au niveau de l’interprétation. Les enseignants recourent moins aux pratiques habituelles, mais vont se baser sur les réactions des élèves et leur grande capacité d’imagination, grâce à laquelle ils vont pouvoir émettre des hypothèses (par exemple en se faisant un film mentale – outil cognitif emprunté à la démarche Lector et lectrix – ; ou simplement en discutant sur « ce qu’ils comprennent » : soit sans outil, en discussion « libre » ; soit en interrogeant les élèves sur les indices dans le texte qui appuient leurs hypothèses).

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Au secondaire II, l’élève est représenté comme lecteur averti, il n’est donc pas explicitement nommé en tant que tel. Cet élève-lecteur a l’habitude d’appliquer certaines méthodes d’analyses et interprétation de texte.

Dans l’exposé de la planification de la séquence sur la fable, les enseignants font référence aux méthodes d’analyse habituelles ; le texte est prétexte. L’archi-élève possède des outils de lecture. La structure est bien définie. L’entrée se fait par la lecture du texte, suivie d’une analyse sur des questionnements dont ils ont l’habitude (découpage du texte, dimension argumentative, versification, interprétation de la relation entre personnage, et interprétation grâce au contexte sociopolitique).

L’enseignant sait où amener ses élèves et a des attentes précises quant à ce que l’élève est censé faire et répondre. Il n’explicite pas de difficultés qui pourraient exister par rapport à cette séquence, si ce n’est que, comme l’un déclare, d’espérer ne pas devoir trop leur « fournir le pain cuit dans la bouche ». L’archi-élève est l’élève « discipliné » par de longues années d’étude de texte.

Comme pour le primaire, les enseignants du secondaire sont plus dépourvus face à la nouvelle de Lovay. La structure est moins claire et prévoit beaucoup d’ « improvisation » sur base des réactions d’élèves. Ils prévoient d’essayer de creuser dans l’interprétation (ou les interprétations) surtout à travers la discussion et réflexion (libre ou guidée par celle de l’enseignant, mais qui reste ouverte, dont il n’a pas la réponse attendue). Un enseignant prévoit d’avoir recours à des activités qu’ils ont déjà faites, aux ressources disponibles (relation entre personnages et implicite politique et social – comme pour la fable), mais vis-à-vis desquelles l’enseignant n’a pas spécialement d’attentes et espère que ça pourra les aider, et même que ça pourra l’aider, lui, à approfondir sa compréhension du texte. L’enseignant a sa propre interprétation, ou au moins quelques lignes guides de sa propre compréhension du texte, comme appui, mais pas comme réponse unique. L’un des enseignants a beaucoup d’appréhensions : les élèves pourront- ils entrer dans le texte ? L’autre exprime plutôt une réjouissance de ce qui peut venir des élèves. Il est intéressant à noter que dans le discours à propos de la séquence sur Lovay, les enseignants prennent en compte les attentes qu’ils pensent que leurs élèves ont d’eux.

Le discours des enseignants concernant les élèves dans leur description des séquences prévues contraste donc fortement : orienté plutôt vers la nécessité de compréhension littérale pour le primaire, il décrit un élève applicateur de méthodes rodées et maitrisées pour le secondaire II. Dans les deux niveaux cependant, on repère pour le texte de Lovay, un archi-élève lecteur investi d’un « rôle » plus grand dans le déroulement de la séquence. L’enseignant n’attend pas une réponse « précise » mais attend plutôt des apports des élèves vis-à-vis de la compréhension et de l’interprétation du texte.

3.2. La contribution des élèves au développement des tâches

Quelles sont les difficultés des élèves dans les tâches ? Plus précisément, qu’est-ce qui fait obstacle aux élèves dans la tâche ? L’identification de ces obstacles devrait nous permettre d’appréhender la part potentiellement dynamique de l’archi-élève. Cette part dynamique, nous l’interprétons comme une implication dans la tâche sous la forme d’une résistance au dispositif à ce qu’il y a à apprendre.

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Un archi-élève lecteur d’intrigues et de textes fragmentés

Au primaire, le dispositif de 1_1 prévoit de travailler les deux textes à la suite. Mais les séquences sur les textes se présentent comme autonomes. La séquence sur La Fontaine se structure en 2 tâches principales :

 tâche 1 : reconstituer les vers de la fable, découpés en bandelettes ;

 tâche 2 : prendre connaissance du texte par une lecture à voix haute du texte intégral.

Dans le cours de la tâche principale, les élèves de 1_1_Laf questionnent l’enseignant sur le sens des vers ou des segments de vers. Ce questionnement se transforme en explicitation de mots ou d’expressions. Ils ne parviennent pas à reconstituer l’ordre des vers de la fable. L’obstacle se situe à 3 niveaux : au premier niveau générique de l’architecture de la fable, la distribution de la morale au début du récit ; au niveau des segments de discours, les segments dialogués et leur distribution entre les deux protagonistes, l’alternance des segments dialogués et narrés ; au niveau formel des rimes, certaines des rimes sont embrassées. La manipulation des vers impliquait de pouvoir tenir un discours sur les mécanismes de cohésion à différents niveaux du texte.

Le format de l’échange se transforme en une explicitation du contenu du récit par paraphrase, vers par vers, au fur et à mesure de la lecture à voix haute de l’enseignant.

Le dispositif de la séquence de 1_1 sur Lovay se structure en 4 tâches principales :

 tâche 1 : se représenter le début du texte lu à voix haute par l’enseignant par un petit film dans la tête ;

 tâche 2 : répondre à la question du lieu de l’action, de la fonction du chef des avalanches et de sa punition ;

 tâche 3 : prendre connaissance de la suite du texte et discuter ;

 tâche 4 : écrire la fin du texte en continuité de ce qui précède, puis poser une dernière question sur le texte.

Aucun obstacle reconnu par l’enseignant ne vient interrompre le flux de la séquence.

Aucun élève ne manifeste de résistance aux tâches. Les discussions sont animées et 3 élèves ne prennent pas la parole.

Comme pour 1_1, le dispositif de la séquence 1_10 prévoit de travailler les deux textes à la suite. Les séquences se présentent comme autonomes, mais certaines des conclusions de la lecture de Lovay, notamment la dimension politique de la nouvelle, est explicitement mise en lien avec la dimension politique de la fable. La séquence sur La Fontaine se structure en 4 tâches principales :

 tâche 1 : lire le début de la fable (jusqu’au vers 10, l’intervention de l’agneau) et représenter la suite par un dessin, puis reformuler oralement ce qui a été représenté ;

 tâche 2 : identifier les aspects formels (question ouverte), puis les niveaux de langue, puis imaginer une réplique de l’agneau dans la continuité du langage de La Fontaine ;

 tâche 3 : lire le texte intégral et souligner les paroles des protagonistes ;

 tâche 4 : oralement, décrire les caractères du loup et de l’agneau et leur relation, élargir à l’intention politique de La Fontaine.

Les élèves demandent des éclaircissements sur la tâche 2. L’écriture des répliques fait l’objet d’échanges animés et de négociations serrées. Mais à aucun moment la séquence

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n’est interrompue pour la reformulation de la consigne. Un seul élève est isolé du groupe pour continuer son travail d’invention.

La séquence sur Lovay se structure en 3 tâches principales :

 tâche 1 : imaginer une histoire sous le titre en écrivant un résumé synoptique, puis lire son résumé ;

 tâche 2 : découvrir le récit par dévoilement progressif

o à partir de l’incipit de la nouvelle, dessiner le chef des avalanches dans son village

o de « Le chef grésillait » à « armoire », dessiner la punition du chef ;

o de « Amené devant la Cage » à « Négresse », souligner les paroles du chef et les pensées du narrateur, reformuler le choix posé par le narrateur par rapport à la punition du chef et expliquer la phrase sur les policiers, imaginer comment la négresse pourrait sauver le village ;

 tâche 3 : imaginer par écrit comment la négresse pourrait sauver le village et comparer avec le texte réel ;

 tâche 4 : exprimer son avis sur le texte.

C’est la consigne de la première tâche qui fait obstacle (« D’après ce titre, imagine ce qui peut se passer dans cette histoire ») et appelle une reformulation de l’enseignant. Les interventions des élèves concernent (i) la nature du texte à écrire (une petite histoire, un résumé, ce qui peut arriver entre ces deux personnages), (ii) le contenu thématique de la rencontre entre les deux protagonistes. Sur ce 2e aspect, les demandes des élèves concernent des précisions sur les référents de la négresse et du chef des avalanches.

Certains élèves soulignent le caractère contrasté des personnages ; la plupart des résumés narrent la rencontre d’une noire et d’un blanc. Un obstacle, mineur, se manifeste en lien à l’activité de paraphrase cadrée par la consigne « expliquer la phrase ».

Une première synthèse s’impose à l’examen de ces 4 premières séquences. L’archi-élève qui s’en dégage est un lecteur de texte dont il faut ménager les capacités de lecteur par une entrée progressive dans le texte littéraire par le truchement de tâches multiples.

Dans tous cas, les dispositifs s’organisent à partir de tâches qui préparent la compréhension de l’intrigue en partant de fragments (incipit, titre, paragraphe). Mais le sens du tout et de l’intrigue n’est pas une urgence. Le travail de l’élève consiste à formuler des hypothèses ou à inventer des suites possibles (dessins, répliques, résumés synoptiques) que l’on confronte ensuite à la suite du texte. Toutes ces propositions prennent des allures de synthèses « résumantes » et apparaissent comme un outil de lecture de l’intrigue, provisoire et euristique.

Derrière ces entrées en matière qui ont toutes une même fonction de préparer la lecture et qui résulte d’une conception d’un archi-lecteur qu’il est nécessaire d’amener au texte, de préparer à la lecture, suivent des démarches diamétralement opposées : lecture linéaire du texte assurant sa compréhension par un jeu de questions-réponses pour 1_1, multiplication de tâches plus ou moins ouvertes, ciblées sur des passages limités du texte, ouvrant des possibles d’interprétation pour 1_10.

Le seul cas où la tâche fait obstacle apparait quand les élèves sont invités à reconstituer le texte original à partir de marqueurs de cohérence génériques, formels, discursifs que le découpage en vers rend trop divergents. Un des effets de cet obstacle est d’orienter les élèves vers une compréhension locale de mots ou d’expressions à l’échelle du vers sans qu’ils parviennent à une formulation globale de l’intrigue.

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Un archi-élève interprétant, cadré par une méthode d’analyse qui traverse les textes Au secondaire, le dispositif de la séquence de 3_6 couvre les deux textes. Il se présente comme une analyse de texte qui s’exerce indépendamment de la spécificité des textes et qui implique un travail de synthèse des deux analyses, réalisé de manière autonome par les élèves. Les activités sur La Fontaine se structurent en 3 tâches principales :

 tâche 1 : prendre connaissance du texte (lecture à voix haute et explicitation du vocabulaire) ;

 tâche 2 : analyser le texte

o dégager l’idée principale (la phrase, le thème) ;

o dégager l’architecture (la morale et le récit, les segments dialogués et narrés) et la dimension symbolique ;

o dégager l’efficacité des arguments ;

o élargir l’analyse à la justice et à ses paradoxes ;

 tâche 3 : imaginer une autre fin et comprendre le « problème judiciaire » de la fable.

La tâche 2 d’analyse est centrale et occupe une grande partie du temps de travail. Aucun obstacle n’est estimé suffisant pour interrompre le flux de la séquence.

Le dispositif de la séquence de 3_6 sur Lovay se structure en 2 tâches principales :

 tâche 1 : prendre connaissance du texte

o lire le titre et formuler oralement ses impressions ;

o lire silencieusement le texte en étant attentif aux éléments frappants du texte, architecture, marqueurs temporels, énonciation ;

o formuler ses premières impressions ;

 tâche 2 : analyser le texte.

o identifier le narrateur, le personnage principal et leur interaction ; o reconstituer la chronologie du récit à partir des marqueurs temporels ; o identifier le thème du texte, le message de l’auteur et « ce qui déroute » ;

 [tâche 3 : produire une fable (écrire trois titres, donner cette liste au voisin, écrire une fable à domicile) et formuler en quelques lignes le lien entre les deux textes]

La principale difficulté est identifiée comme la densité « multicouche » du texte et thématisée après l’analyse de l’énonciation, le repérage des liens entre le personnage principal et le narrateur, la comparaison avec la fable. Le débat prend corps autour d’un prétendu lectorat enfantin identifié par l’enseignant. Les élèves contestent cette idée en argüant des multiples « parasites » de l’intrigue. Les lectures des textes se terminent toutes les deux par une écriture d’invention (une autre fin après la lecture de la fable, une autre fable après la lecture de Lovay, ce qui de fait constitue un retour à la séquence sur la fable, raison pour laquelle nous avons mis des parenthèses crochetées).

Comme celui de 3_6, le dispositif de la séquence de 3_7 couvre les deux textes et se présente comme une analyse de texte qui s’exerce indépendamment de la spécificité des textes. Le travail sur La Fontaine se structure en deux tâches principales :

 tâche 1 : prendre connaissance du texte (deviner le titre et l’auteur à la lecture de bribes de vers)

 tâche 2 : analyse du texte selon une grille coutumière aux élèves

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o lecture silencieuse et repérage individuel (notions antagonistes, stratégies argumentatives de l’agneau et du loup, position du narrateur, implicite politico-social) ;

o exposé des précisions sur le contexte politique et culturel du XVIIe siècle pour situer la fable dans le courant libertin ;

o poursuite du travail d’analyse par la mise en commun des réponses.

Un obstacle se manifeste au moment de prendre en charge la dernière question de la grille sur l’ « implicite politico-social » de la fable. C’est l’enseignant qui prend l’initiative de la digression. Les élèves ne terminent pas le travail, mais partagent les réponses déjà formulées, en collectif, sous la gestion de l’enseignant.

Le dispositif de la séquence de 3_7 se poursuit par le travail sur Lovay ; il se structure en 2 tâches :

 tâche 1 : contextualisation de l’auteur (appartenance, filiation littéraire, œuvre) ;

 tâche 2 : analyse du texte au moyen des mêmes outils (position du narrateur, notions antagonistes) en collectif.

Un deuxième obstacle est pointé par l’enseignant par un rappel du moment de la distribution du texte. Une élève semble avoir eu une réaction vive au moment de recevoir le texte. C’est à l’occasion de la recherche de notions antagonistes (le noir et le blanc, cité par un élève) que cet obstacle est évoqué et « récupéré » dans le cadre d’une tâche d’explicitation de l’appareil lexical du texte. L’élève concernée est invitée à reformuler sa réaction (« Mar : donc là de nous faire lire ça je trouve ça assez bizarre » 3_7_LOV, l. 139).

Les quatre séquences illustrent parfaitement les tendances fortes observées dans le chapitre 2 : à la base se trouve une manière d’aborder le texte qui est sur le fond identique. Le texte est abordé comme un tout et travaillé selon les principes de l’explication de textes qui constitue l’ossature centrale des séquences. L’élève – archi- élève – est censé suivre cette démarche comme une routine sur laquelle peut s’appuyer l’enseignant, quelque soit le texte, Elle permet – et cela n’apparait pas au niveau d’analyse qui est le nôtre ici – un travail sur le texte qui peut aller très loin.5 Des touches parcimonieuses enrichissent cette ossature en fonction de la spécificité du texte : comprendre le problème judiciaire de la fable le loup et l’agneau ou mettre la fable en rapport avec le contexte socio-politique ; identifier ce qui déroute.

Des enseignant-e-s régulant

Sur les résistances et obstacles mises en évidence, l’enseignant-e peut réagir. Soit il/elle reformulera la consigne, précisera l’espace de travail, ajustera la direction prise par les élèves, pointera les éléments de l’objet enseigné attendu, en un mot, il/elle régulera en fonction de ce qu’il/elle a prévu d’enseigner par la tâche. Soit il/elle constatera l’orientation non prévue des élèves et prendra la mesure des potentialités didactiques de cette solution inédite. L’intérêt sera de mieux comprendre les conditions de l’émergence de ces voies inattendues d’une part et de cette écoute de l’inédit d’autre part. Quelles sont les régulations apportées aux obstacles pointés précédemment ? L’enseignant de 1_1_Laf régule en lisant à voix haute d’abord le début du texte (la morale), puis les premiers vers du récit. Il régule une 2e fois en rappelant le travail fait

5 L’analyse des jugements de valeur, menée par Chloé Gabathuler dans sa thèse de doctorat, est éloquente à ce propos.

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en poésie sur la versification. Mais les élèves lui montrent les rimes embrassées et l’identité des rimes en [ e ]. Il écourte le travail et accepte les diverses versions en invitant les élèves à échanger leurs méthodes et solutions.

« Ens : ce n’était pas facile donc je me rends compte maintenant comme exercice » (l. 483) L’enseignant de 1_10 reformule ponctuellement sur la demande d’élèves. Une seule régulation, mineure, est à rapporter : les reformulations vont dans le sens d’une précision du texte à fournir sous le titre. De l’« histoire », la consigne est reformulée en

« résumé ».

L’enseignant de 3_7 interrompt l’activité des élèves par un exposé magistral sur la filiation des fables et le contexte socio-politique du « grand siècle » (la montée de la grande bourgeoisie et la justification d’une prise de pouvoir progressive par l’intelligentsia française). Cette digression importante (13’) est présentée par l’enseignant comme une « petite séquence », même si ce dernier invite à ne pas consigner par écrit ces informations (« c’est plutôt pour le / pour le plaisir de la réflexion » 3_7_LAF, l 357) et renonce à la « petite séquence de lecture ». La suite du travail est réorientée vers une lecture à voix haute de la fable par les élèves. La mise en voix est l’occasion de thématiser les qualités formelles du texte (variété de la versification).

Il semblerait bien que les régulations ne soient que locales et ne changent en rien à l’image de l’archi-élève qui préside à l’élaboration et la réalisation des séquences

4. Quelques remarques conclusives

A travers le terme d’archi-élève nous essayons de orienter notre regard sur ce qui constitue sans doute le moteur essentiel de la pensée enseignante. Certes, des formes individualisées d’enseignement existent, et fonctionnent dans de nombreuses classes, du moins pour une partie. Les observations que nous avons faites montrent cependant que pour la lecture de textes littéraires du moins, l’enseignement suit une seule logique commune. Ce qui a pour corolaire la nécessité de se référer à un « archi-élève » comme principe dynamique du travail envisagé.

Cette manière de concevoir l’élève est plus marquée dans le secondaire que dans le primaire où, dans les discours des enseignants sur les séquences à réaliser, on peut observer un discours en entonnoir qui relativise l’archi-élève par des considérations concernant des groupes d’élèves, voire des élèves individuels.

Notre approche visait à cerner indirectement ce principe que nous avons appelé archi- élève par une triple démarche dont les résultats se complètent et qui d’ailleurs convergent : analyse de l’élève qu’on peut supposer visé à travers l’analyse des macrostructures de la totalité des séquences ; analyse des discours des enseignants concernant les séquences qu’ils prévoient réaliser, avec un accent sur le rapport aux élèves qui s’y lit et de ce qu’ils disent des élèves ; analyses des tâches mises en œuvre et dont on peut, en creux, dessiner le destinataire archi-élève, tâches dont on peut également analyser les résistances rencontrées auprès des élèves qui ainsi, élèves réels, défient en quelque sorte l’archi-élève que visait l’enseignant.

Les résultats, convergents disions-nous, ne sont nullement linéaires. Ils font apparaitre un effet croisé des deux variables manipulées – le niveau scolaire et le type de texte – en interaction avec un troisième dont on peut supposer l’existence : l’historicité des pratiques sédimentées et à travers lesquelles l’enseignement est pensé et réalisé. Nos

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