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L'archi-élève lecteur en progression entre tâche, activité et performance de lecture

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Academic year: 2022

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L'archi-élève lecteur en progression entre tâche, activité et performance de lecture

RONVEAUX, Christophe

Abstract

Il est question de présenter les premiers résultats d'une recherche sur l'enseignement de la littérature au fil des niveaux scolaires. Y est défini en première approximation la notion d'Archi-élève. La recherche porte sur les pratiques de lecture littéraire de textes réputés littéraires contrastés : une fable de La Fontaine, apprêtée par des ressources didactiques nombreuses, une nouvelle de Lovay, auteur de Suisse romande.

RONVEAUX, Christophe. L'archi-élève lecteur en progression entre tâche, activité et

performance de lecture. In: B. Daunay & J.-L. Dufays. Didactique du français : du côté des élèves. Comprendre les discours et les pratiques des apprenants . Bruxelles : De Boeck, 2014.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:84005

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L’archi- élève lecteur en progression entre tâche, activité et performance de lecture

C H A P I T R E

Christophe RONVEAUX

GRAFE, UNIVERSITÉ de Genève

7

1. Sur les traces de l’archi- élève, de la tâche à l’activité 2. Le contexte de la recherche, les réactifs textuels, le corpus 3. Méthodologie et attendus de la recherche

4. Des dispositifs construits sur la discordance et convergence narrative 5. Des effets de cohérence comme obstacles à la discordance narrative

comme jeu 6. Conclusions

première : quelle place pour le point de vue des élèves ? (pp. 119-138). Bruxelles :

De Boeck.

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1. SUR LES TRACES DE L’ARCHI- ÉLÈVE, DE LA TÂCHE À L’ACTIVITÉ

Nous analysons l’activité interprétative des élèves dans la lecture de textes littéraires à différents niveaux scolaires (primaire, secondaire I et II).

Cette analyse s’inscrit dans un projet de recherche, subventionné par le fonds national suisse1, qui vise à décrire et comprendre, en situation quasi expéri- mentale, ce qui se travaille effectivement à partir de textes littéraires contras- tés, en lecture, en littérature, en compréhension, en interprétation. Cette recherche est notre toile de fond, le travail est en cours. La présente enquête n’a pas le caractère généralisable du projet dans lequel elle s’inscrit. Ses conclusions ont le caractère exploratoire d’une analyse de cas. L’objectif de cette contribution est principalement méthodologique ; il vise à mettre à l’épreuve de l’empirie la notion d’archi- élève, c’est- à- dire, pour nous, cet élève que l’enseignant inscrit dans la tâche et qui réalise effectivement cette dernière dans une activité scolaire.

Poser comme possible l’analyse d’une performance d’élève, comprise comme l’ensemble des traces de savoirs acquis, de connaissances, de savoir- faire, d’attitudes (Daunay, 2008, p. 8) implique d’éclaircir la tâche, l’activité scolaire et la nature singulière ou collective de la performance de l’élève. Quels statuts donner aux traces orales et écrites des élèves, effectuées en situation d’enseignement/apprentissage ? Sont- elles à priori porteuses des progrès réalisés en exercice ? De quels élèves ? Peut- on isoler ce qui relève plutôt de l’implication singulière d’un élève dans une activité ou plutôt de la structura- tion d’un projet d’enseignement pour le collectif classe ? La question porte sur ce que l’élève est censé faire dans une tâche, ce qu’il fait effectivement, ce que le collectif porte dans la réalisation des activités et ce qui est effective- ment appris (acquis). La réponse intéresse le didacticien de la discipline qui cherche à rendre compte de la pertinence de certains objets d’enseignement, de l’efficacité d’un dispositif sur ce qui se transforme de l’objet enseigné, sous les réactions des élèves.

Deux évidences à interroger. La première pose que l’examen de la performance des élèves dans le cours de l’action didactique et des échanges verbaux en particulier est la voie royale pour accéder aux transformations des capacités des élèves. Cela revient à considérer que les interventions des enseignants agissent directement sur les processus psychiques des élèves.

Or, notre approche suppose, au contraire, que l’accès à ces transformations est un leurre, une « fiction », pour reprendre le terme de Schneuwly (ibid., p. 33). Si les tâches conçues par l’enseignant, les régulations de ce dernier en cours de travail sont bien des médiations, qu’en est- il des activités sco-

1. La recherche GRAFELIT (100013_129797 / 1) s’inscrit dans la continuité du programme de recherche du GRAFE sur les objets enseignés et leurs transformations, et plus particulièrement de GRAFELECT sur la progression curriculaire de ce qui s’enseigne effectivement en lecture et en compréhension tout au long de la scolarité.

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laires effectuées par les élèves ? Peut- on être assuré que ce qui se perçoit en exercice est bien l’effet de l’action transformatrice de ces médiations ? Quelle part du processus psychique de l’élève attribuer à sa réaction à un dispositif ? Même si les processus psychiques des élèves constituent de fait l’objet réel de l’enseignement / apprentissage, ils sont, selon Schneuwly, inatteignables.

Les élèves en tant qu’acteurs collectifs suivant leur logique d’action d’apprendre apparaissent comme définissant les conditions de ce travail qui évolue au fur et à mesure de sa réalisation. Autrement dit, les acteurs « élèves » ne sont pas observés du point de vue de leur action d’apprendre ni de leur apprentissage scolaire effec- tif, mais de celui de leur réaction au dispositif mis en place par l’enseignant.

(Schneuwly & Dolz, 2009, p. 27).

La deuxième évidence pose que cette centration sur le point de vue de l’élève impliquerait de neutraliser, dans l’analyse, le travail enseignant.

Visant la description et la compréhension de ce qui s’enseigne effectivement, le GRAFE (Schneuwly & Dolz, 2009, p. 26 et sq) considère le système sémio- tique de la classe du point de vue de celui qui définit la tâche, qui choisit les modalités de travail, qui régule. Mais cette attention au travail enseignant n’exclut pas pour autant le travail de l’élève. L’approche multifocale (Schneuwly

& Dolz, 2009, p. 108 et sq) pose l’observation de ce dernier comme un analy- seur indispensable pour saisir les déterminations de la tâche et de l’opération- nalisation des dispositifs. Une part importante du travail de description de ce qui se passe dans la classe est de considérer que les tâches et les dispositifs prévoient dans leur structure, dans la mise en circulation des objets d’ensei- gnement, l’action d’acteurs collectifs, qu’ils soient réels, ou seulement suppo- sés ou reconstruits par l’enseignant- e. Sous ce dernier aspect, la notion de

« point de vue » est trop restrictive ; elle ne permet pas de considérer l’in- fluence dynamique de l’élève dans la conception de la tâche et sa mise en œuvre, et inversement, la part importante de la tâche dans la sémiotisation par l’élève de l’objet enseigné.

Ces deux précisions ont des implications méthodologiques. Ce que l’élève sémiotise de l’objet enseigné dans une tâche apparait à travers des traces d’ordres sémiotiques divers, multimodales (Kress, Jewitt, Ogborn &

Tsatsarelis, 2001). Cela fait l’objet d’une interprétation par le chercheur qui reconstitue le processus à partir de ces traces. Ce travail interprétatif n’est pas posé à priori ; il implique des modes de saisies divers2 qui concernent, au premier chef, le travail de l’élève à travers l’activité scolaire, mais aussi le travail enseignant à travers le dispositif. L’« archi- élève » tel que nous le défi- nissons est le produit de cette sémiotisation mutuelle, entre ce que l’ensei- gnant- e prévoit par la tâche et la réaction de l’élève à un dispositif.

Il nous faut dès lors préciser la distinction entre dispositif ensei- gnant, tâche et activité scolaire. Nous reprenons à notre compte la

2. Nous reprenons les trois principes de Bain & Canelas- Trévisi (2009, p.  234)  : l’analyse est pilotée par la théorie ; elle doit s’adapter à l’objet observé ; la grille d’analyse est une opération- nalisation des concepts.

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distinction opérée par Schneuwly (2009) entre « dispositif didactique », qui désigne tout ce qui est mis en œuvre pour faciliter le contact des élèves avec l’objet d’enseignement, et « activité scolaire », qui désigne tout ce que l’élève est censé faire. Le dispositif comprend aussi bien les supports, exercices, modalités de questionnement et d’exposition, que « l’ensemble des discours élaborés par l’école sur l’objet à enseigner, les manières de le dire, d’en parler, de le présenter verbalement à travers la leçon, de le traduire en dialogue de type question- réponse, etc. (…) » (2009, p. 34 et sq). L’activité scolaire com- porte une dimension empirique qui relève davantage de l’engagement de l’élève. Elle n’implique pas pour autant « le sujet cognitif et sa subjectivité », comme le précise Schneuwly (2009, note 9), citant Léontiev. Ce sont les fina- lités sociales qui configurent les contenus d’apprentissage et définissent l’activité. Enfin, la « tâche » désigne de manière plus technique l’espace de travail proposé aux élèves. À la suite de Dolz, Schneuwly, Thévenaz- Christen

& Wirthner (2002), nous la définissons, entre autres, par la consigne qui l’en- clenche, par son produit qui fait l’objet d’une validation, par son caractère prescriptif et donc virtuel puisqu’elle engage l’enseignant et les élèves dans un contrat didactique pour une activité à venir.

Dans la continuité de ce cadre théorique, nous reformulons nos ques- tions de départ générales. Il s’agit d’éclaircir la part de détermination de ce que l’élève est censé faire dans l’activité scolaire. C’est le moment pour nous de justifier la désignation de l’acteur collectif. Le pluriel dont on affuble d’ordinaire les élèves pour désigner leur action collective est commode, mais rend compte de manière peu précise des réactions plurielles, pas forcément convergentes, à un dispositif. Les élèves seront désignés par le pluriel seule- ment si le discours de l’enseignant au moment d’expliciter la tâche l’autorise.

Dans tous les autres cas, le singulier est de mise  : il renvoie soit à l’élève empirique, locuteur ou scripteur, identifié dans notre corpus à partir de son intervention orale ou écrite, soit à l’archi- élève, cet élève archétypal recons- titué par le chercheur à partir des dispositifs, des tâches élaborés par l’en- seignant, de ses reformulations, des réactions orales et écrites de l’élève, des supports que ce dernier à sous les yeux, etc. Plus précisément, l’archi- élève lecteur que nous reconstruisons à partir de notre corpus est une abstraction au sens de l’archi- lecteur de Bronckart et al. (1985). Il apparait à travers les tâches dessinées par les finalités sociales de l’enseignement de la littérature, reconfigurées par l’enseignant- e et à travers les réponses singulières appor- tées par chaque élève dans le cadre collectif de ces tâches. Mais il est illusoire d’évaluer ces réponses dans la perspective d’un apprentissage effectif. Pour ce qui concerne notre corpus, cet archi- élève, considéré dans la perspective des grandes finalités de l’école genevoise, au bout de sa scolarité, doit pouvoir interpréter le texte littéraire, c’est- à- dire gouter une parole singulière et porter un jugement sur les valeurs que le texte littéraire véhicule et qui lui donne un surcroit de sens.

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2. LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE, LES RÉACTIFS TEXTUELS, LE CORPUS

La recherche est en cours et prévoit la captation de 60 séquences de littérature, données par 30 enseignants, sur les 3 niveaux d’enseignement (primaire, secondaire 1 et 2). Deux mêmes textes sont imposés aux ensei- gnants des 3 niveaux : l’un appartient à la littérature « classique » scolaire, au sens de Chervel (2006) ; l’autre, reconnu par l’institution littéraire, appartient à la littérature romande de l’extrême contemporain.

La fable Le loup et l’agneau de Jean de La Fontaine et la nouvelle La négresse et le chef des avalanches de Jean- Marc Lovay ont des statuts très contrastés à l’école3. La Fontaine, introduit à l’école depuis le 18e siècle (Chervel, 2006), est un des auteurs les plus didactisés, à tous les niveaux de l’école, au point qu’on puisse lui reconnaitre une certaine tradition. La fable Le loup et l’agneau est présente aussi bien au primaire qu’au secondaire mais dans des visées très différentes selon les degrés d’enseignement et les époques4. Pour ne citer que quelques exemples suisses, on la trouve en pri- maire dans les épreuves cantonales genevoises de lecture de 2009, au secon- daire 1, dans un manuel de 8e pour travailler le texte argumentatif, au secondaire 2, dans le corpus des textes littéraires poétiques du XVIIe  siècle pour illustrer ce que l’histoire littéraire définit comme le siècle classique. Par contraste, les textes de Lovay appartiennent au corpus romand de l’extrême contemporain et n’ont fait l’objet d’aucune didactisation à ce jour. Considéré de manière très contrastée par l’institution littéraire, le valaisan est adulé par les uns (Didier Jacob, journaliste au Nouvel Observateur, titrait son blog « Le plus grand écrivain du monde », en 2009 ; Isabelle Rüf saluait en janvier der- nier la sortie de son dernier roman La chute du bourdon) et décrié par les autres pour l’illisibilité de ses récits (Étienne Dumont, journaliste à la Tribune, avouait en 2010 qu’il n’avait jamais pu terminer aucun de ses romans). Il a obtenu plusieurs prix, diverses aides à la publication. Le dernier en date, le Prix Lipp, lui a été décerné en 2010 pour son roman Tout là- bas avec Capo- lino, publié chez Zoé. Cette reconnaissance se poursuit dans le champ de la critique universitaire à travers quelques publications (Meizoz, 1994 ; Laurel, 2009, 2010) et des séminaires de lecture.

Les deux textes ont en commun d’être des fictions littéraires. Ils racontent une histoire qui n’est pas réelle et attendent du lecteur une certaine coopération. Ils n’ont pour fonction ni d’expliquer des faits du passé, comme les récits d’histoire, ni d’informer sur la structure de faits avérés, accomplis

3. Une analyse à priori des deux textes et la confection d’une carte conceptuelle seraient les bienvenues. Elles sont indispensables pour mesurer la part que prennent les réactifs dans les tâches. Pour la présente contribution, nous nous en tenons à une présentation succincte des deux textes et renvoyons le lecteur et la lectrice à des prochains travaux.

4. Une enquête sur ce que Nathalie Denizot (2010) appelle l’« amphitextualité » de la fable de La Fontaine reste à faire. Celle- ci nous permettrait de dégager les grandes lignes de cette tradi- tion scolaire à laquelle, peu ou prou, devraient se référer les pratiques de lecture de notre corpus.

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ou en passe de l’être, comme les faits divers journalistiques. Le récit de La négresse et le chef des avalanches de Lovay, extrait d’un recueil du même nom, joue sur une discordance narrative qui porte à son comble la tension narrative. Ce jeu opère, entre autre, sur les 3 niveaux de la structure du récit, du lexique et de l’énonciation.

L’intrigue est construite sur deux figures contraires, une prolepse et une analepse. On apprend très vite ce qui rend le chef des avalanches « gré- sillant » de bonheur : il a évité la punition de la cage, réservée à celui qui, par négligence, laisse passer une avalanche. On découvre ensuite son projet de confier à une « négresse » la responsabilité de contrer les avalanches. Dans une grande excitation, le chef attend l’arrivée imminente de celle qui, nommée

« la Négresse » par la majuscule, est présentée comme la sauveuse du village.

Mais ce plan doit rester secret, rappelle le chef au narrateur, sur le ton de la confidence. La base temporelle joue à la fois sur la surdétermination du récit factuel, livrant d’emblée toute l’information concernant le fait dans les deux premiers paragraphes, comme le ferait un fait divers, et sur la sous- détermination d’une fiction au passé, retardant jusqu’aux dernières lignes le motif qui légitime l’excitation du chef. Elle joue encore, pour clore le récit, sur un impératif du verbe « raconter » pourvu d’une négation, ultime injonc- tion du chef des avalanches.

Mais le récit est rendu plus « intrigant » encore, pour pasticher la jolie expression de Baroni (2009), par un lexique surprenant, simple et concret au demeurant, qui rend les promenades interprétatives incertaines : la métaphore électrique du « grésillement » pour caractériser la joie du chef dans les pre- mières lignes ; la « Cage », décrite tantôt comme un lieu de travail ou le lieu d’un triomphe, mais aussi celui d’une punition ; la « Négresse », achetée sur catalogue, dotée par le chef de la vertu magique de repousser les avalanches de l’autre côté de la montagne ; les « avalanches », anthropomorphisées, pour- vues du sentiment de la peur du noir ; les « insectes » qui parcourent le dos du narrateur au moment où il reçoit les confidences du chef. Soulignons encore la densité des réseaux lexicaux5 par la série des oxymores (les champs lexico- sémantiques du feu et de la glace, les lexèmes qui représentent l’ange qui choit et le démon qui chasse l’avalanche). Enfin, plusieurs voix se parta- gent l’énonciation : le chef, le narrateur, les villageois, mais aussi une certaine doxa montagnarde qui attribue à la négresse le pouvoir de faire fuir les ava- lanches.

Tous ces jeux sur la discordance narrative rendent difficile la « syn- thèse compréhensive » de l’intrigue et « résistant » à toutes formes de réfé- rence l’artéfact textuel. Ces deux dernières caractéristiques font du texte de Lovay un réactif particulièrement fécond pour saisir les parts que prendront les déterminations des préconstruits des pratiques scolaires de l’analyse de

5. Merci à Nicole Biagioli pour ses suggestions lexicales très stimulantes auxquelles le format de cette intervention ne permet pas de rendre hommage.

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texte, ou celles des propriétés de l’artéfact textuel. Les réactions des élèves, notamment leur activité de résumé, seront autant d’actualisations du récit, nous le verrons, et d’excellents analyseurs de ce qui s’enseigne et s’apprend.

Les séquences s’étendent sur une ou plusieurs périodes administra- tives. Chaque séquence est précédée d’un entretien ante qui porte sur l’ex- plicitation du projet de l’enseignant. Les captations terminées, le chercheur procède à un entretien post qui vise à situer les séquences et leurs contenus (lecture, argumentation, histoire littéraire) dans la planification annuelle.

C’est à partir des séquences captées et transcrites seulement que nous menons la présente enquête. Nous focalisons nos analyse et comparaison sur les leçons de Lovay dans les 3 niveaux d’enseignement6.

3. MÉTHODOLOGIE ET ATTENDUS DE LA RECHERCHE

Pour rendre compte des performances des élèves des différents niveaux d’enseignement et les comparer, nous conduisons notre observation des processus d’enseignement et d’apprentissage en miroir : d’un côté, le travail prévu par l’enseignant que l’élève est censé réaliser à travers les dispositifs et les tâches ; de l’autre, les apports et obstacles des élèves dans la réalisation effective des activités scolaires et les échanges interactifs. Dans le prolonge- ment des travaux de Jacquin (2009) et d’Aeby Daghé (2008, 2009), nous observons les obstacles et les régulations locales, lieu privilégié des apports de l’archi- élève à la construction de l’objet. Dans une définition qu’ils empruntent à Jacques Weiss et Philippe Perrenoud, Schneuwly et Dolz (2009, pp. 38 et 39) associent de très près les régulations aux obstacles et apports des élèves.

La régulation locale intervient lors de la réalisation par l’élève d’une activité scolaire, à la faveur d’un échange avec l’élève, en face à face ou en groupe. […] Les régu- lations ont souvent comme point de départ l’explicitation ou le constat d’obstacles rencontrés par les élèves, ou des apports d’élèves à la construction de l’objet. Face à ces contributions des élèves, l’enseignant doit réagir : elles constituent donc un moment de régulation. Obstacles et apports influencent, par les interactions qu’elles suscitent avec l’enseignant, le déroulement de la construction de l’objet enseigné en classe.

D’un côté, les dispositifs et les tâches parient sur des performances à venir. La prédictibilité n’est pas seulement le produit archétypal des finalités d’un plan d’étude, elle s’est aussi calculée par l’enseignant- e, sur les presta- tions passées de ses élèves. De l’autre, l’activité scolaire comprend autant ce que l’élève a interprété de l’attendu, que ce qu’il réalise effectivement. L’archi- élève que nous visons à décrire au fil des niveaux est le produit de ces déter- minations.

6. Les leçons sont référencées en fonction du niveau d’enseignement, de l’ordre et de la date de captation (niveau 1 pour le primaire, 2 pour le secondaire I et 3 pour le secondaire II). 1_3_

Lov150211 désigne la leçon sur Lovay de l’enseignant du primaire qui a été filmé le 15 février 2011 et apparait le 3e dans l’ordre des captations au primaire.

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Notre dispositif de recherche active deux variables : celle des niveaux d’enseignement et celle des propriétés des textes. La présente communication ne rend compte que de la première variable, sur le seul texte de Lovay. Pro- gressivement formés à l’interprétation, l’archi- élève devrait apparaitre de plus en plus autonome dans sa compréhension première de l’intrigue et sensible aux « évènements figuraux »7 du texte littéraire. Dans le prolongement de l’hypothèse de Renée Balibar, nous attendons que les niveaux scolaires construisent, selon une accumulation (davantage qu’une progression), allant du plus simple au plus complexe, la compréhension de premier degré (l’élucidation de l’histoire), assurée au primaire, et l’interprétation de second degré (l’émotion esthétique d’une parole singulière), réservée au secondaire.

4. DES DISPOSITIFS CONSTRUITS

SUR LA DISCORDANCE ET CONVERGENCE NARRATIVE

Comment se structurent la découverte du texte et son analyse dans les 3 dispositifs ? Le tableau synoptique et comparatif des dispositifs (cf. ci- dessous) montre une certaine variation. Les unités de travail du dispositif dans la classe de primaire sont relativement brèves et nombreuses ; chaque tâche est présentée par l’enseignant comme une étape qui va faciliter le travail d’élucidation de l’histoire. Les élèves sont invités successivement (1) à titrer les parties préalablement découpées (correspondant à peu près aux para- graphes), (2)  à repérer 4 mots dans le texte (« calfeutré », « négresse »,

« amnistie », « sigle »), à chercher leurs définitions au dictionnaire et à les recopier, conformément à une activité lexicographique ordinaire, (3) à pointer un passage étrange ou sympathique et à justifier, (4) à formuler un résumé de l’histoire pour les parents, (5)  à rédiger la suite de l’histoire. Ces deux dernières étapes sont présentées comme un aboutissement du travail d’éluci- dation.

1_3_Lov150211, l. 914

Ens  : (…) alors qui maintenant pour la dernière partie / est capable de faire un résumé de l’histoire n mais vite fait oralement / si maintenant vous rentrez à la maison ce soir vous êtes à table avec vos parents / vos parents vous disent « ah ben tiens n cet après- midi tu as étudié un texte alors ça parlait de quoi n » alors on peut dire de quoi ça parlait ça ça va / mais raconte- moi vite fait l’histoire du texte alors c’est quoi cette histoire n qui veut se lancer n juste pour voir comment vous avez compris cette histoire

Au secondaire 1, le dispositif s’organise essentiellement sur une pro- menade thématique, orientée sur le thème de la traite d’êtres humains (escla- vage du XVIIe, achat de femmes sur internet, exploitation sexuelle). La

7. L’expression de Laurent Jenny (1990) est bien commode pour désigner ce qui relève d’un rapport du lecteur au dispositif textuel, à la scénographie énonciative et à la langue par laquelle il construit son émotion esthétique. Ici, cette émotion est liée à la spécificité générique de la fiction littéraire, en particulier dans sa dimension « intrigante ».

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recherche de la « référence du texte », selon les termes de l’enseignant, constitue davantage le squelette d’une ligne de conduite interprétative qu’une suite structurée d’activités. Sur ce squelette se greffent quelques tâches de résumé et d’explicitation, improvisées et reformulées en partie sous l’action des élèves. Le dispositif comprend deux ensembles de tâches  : le premier ensemble pose un travail d’élucidation de l’histoire (prise de connaissance du texte par une lecture silencieuse, formulation d’impressions et bref résumé de l’histoire) ; dans le deuxième ensemble, les élèves sont invités à « chercher le sens caché, l’intention de l’auteur, un sens différent du premier degré », selon les termes de l’enseignant, dégagé par l’activité de résumé. Cette recherche du message, du sens second, consiste à développer, en extension, un thème, en partant, par exemple, d’un lexème lexicalisant le thème (le lexème de « négresse » et son étymologie pour désigner la traite des noirs) ou une séquence d’action (la punition du chef des avalanches pour préciser la fonction, la durée, la nature de la punition de la cage). Qualifiée de « digres- sion » par l’enseignant, cette promenade thématique vise à établir des liens entre le texte et sa référence.

Par contraste, le dispositif du secondaire 2 est soutenu par de nom- breux marqueurs de structuration (une tâche explicite, un long développe- ment de la consigne, un support théorique pour outiller les élèves dans l’activité, des acétates sur lesquels les élèves sont invités à rédiger leur résumé, distribués par l’enseignante). Le dispositif prévoit un temps de résumé et un temps de production de texte. Dans la première phase, après une lecture silencieuse, la tâche principale consiste à rédiger en dyade un

« résumé objectif » de l’histoire selon le schéma quinaire. L’enseignante insiste sur la nécessité de reconstituer le fil de l’histoire d’après l’ordre chronologique des évènements. Il faut remarquer son refus d’intervenir sur la compréhension du texte dans le cours de l’activité pour ne pas influencer l’orientation inter- prétative de la dyade. L’enseignante invite à différer les aides à la compréhen- sion pour le débat qu’elle prévoit pour le moment où il faudra choisir le résumé le plus objectif.

3_2_Lov140411, l. 132

Ens : (…) je vous aide pas / je vous aide pas à comprendre le texte / vous vous débrouillez tout seuls après on va voir comment vous l’avez compris quand on va mettre vos résumés en commun on verra si vous les avez compris de la même manière ou bien pas p on verra s’il y a débat ou bien pas

Dans la deuxième phase, les élèves sont invités à rédiger une brève nouvelle en trois lignes sur le modèle des Nouvelles en 3 lignes de Félix Fénéon8. Le dispositif prévoit (1)  la lecture de quelques nouvelles,

8. Félix Fénéon (1861-1944) doit sa fortune didactique à ses dépêches en 3 lignes. Citons seu- lement le manuel d’Olivier Dezutter et Thierry Hulhoven, La Nouvelle. Vadémécum du profes- seur de français (1991), utilisé pour travailler le genre de la nouvelle, et le « livre- outil » de Roland Goigoux et Sylvie Cèbe, Lector & Lectrix. Apprendre à comprendre les textes narra- tifs (2009), utilisé pour travailler les stratégies de lecture.

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(2) l’identification de quelques- unes de leurs caractéristiques, (3) la rédac- tion de la nouvelle sur acétate, (4) la mise en commun et l’élection argu- mentée de la meilleure.

Tableau synoptique et comparatif des dispositifs 8e Harmos

(6e primaire) 10e Harmos

(2e du secondaire 1) 2e post obligatoire (secondaire 2) 1. Découverte du texte

– lecture silencieuse – compréhension du titre de la nouvelle (en collectif) – rédaction d’un titre à chaque paragraphe (en dyade) – comparaison et évaluation en collectif

2. Définition de 4 mots (« calfeutré », « une négresse », « l’amnistie »,

« le sigle ») (en dyade) 3. Identification d’une phrase, un passage étrange, bizarre, sympathique (en dyade) 4. Formulation orale d’un bref résumé qu’on ferait à ses parents (individuelle) 5. Rédaction individuelle d’une suite de l’histoire (10 lignes)

1. Découverte du texte – lecture silencieuse – échange des impressions – formulation orale d’un bref résumé et validation à partir des réactions du collectif classe 2. Identification

de la référence du texte (en collectif)

1. Découverte du texte et rédaction d’un résumé – lecture silencieuse – rédaction d’un résumé

« objectif » selon le schéma quinaire (en dyade)

– comparaison et évaluation des résumés

2. Rédaction d’une nouvelle en 3 lignes

– lecture à voix haute de 7 nouvelles de Fénéon – identification

des caractéristiques stylistiques – rédaction de la nouvelle (en dyade)

– lecture à voix haute et comparaison (en collectif)

À y regarder de plus près, ces dispositifs présentent plusieurs simili- tudes. La découverte du texte, d’abord. Aux trois niveaux, les enseignant- e- s invitent les élèves à prendre connaissance du texte par une lecture silen- cieuse. Pas de mise en voix collective qui donnerait déjà une orientation interprétative, seulement une découverte individuelle pour permettre à l’élève de se faire sa propre idée, de se forger son propre instrument de lecture. Deux des trois enseignant- e- s (1_3 et 3_2) insistent pour préserver ce moment de travail de toute intervention de l’enseignant- e, ce qui entrainerait une démarche collective de régulation et ruinerait la singularité des résumés. Dans les 3 dispositifs, soit intégrée à la tâche elle- même, soit reformulée après l’initiative d’un élève de formuler un résumé, la difficulté de construire le sens de l’histoire est posée d’emblée comme une situation problème, présentée comme constitutive de l’objet de la tâche. Les 3 enseignant- e- s rendent expli- cites leur perplexité de lecteur et donnent au produit de leur performance d’interprète le même statut provisoire ou primesautier que la performance des élèves (2_2_Lov110211, l. 230 : Ens : « alors moi je le découvre je l’ai lu avant vous bien sûr mais eh je suis un peu comme vous / je suis un peu nouveau devant ce texte p »).

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L’activité de résumé, ensuite. Elle fait partie intégrante de la tâche au secondaire II, tandis qu’elle n’est pas annoncée au secondaire I, mais apparait à postériori, après que l’enseignant se soit emparé du résumé d’un élève, formulé spontanément. Quant au primaire, elle est centrale et se décline de plusieurs manières, à différents moments du dispositif, pour assurer une compréhension par degré. Premier pas, tâche 2 et 3 : discuter brièvement du titre et donner un sous- titre aux paragraphes ; cela renvoie à une activité de condensation proche de l’activité de résumé.

1_3_Lov150211, l. 141

Ens : (en aparté à une dyade) non non non un titre de / disons quelque chose de //

d’important ou de principal qui se passe dans ce petit passage // ça aide à com- prendre en fait

Deuxième pas, comme activité de synthèse des reformulations suc- cessives opérées tout au long du dispositif, tâche 5 : faire un résumé de l’his- toire oralement pour les parents. L’objectif explicite est de comprendre l’intrigue (« le sens de l’histoire », « ce que ça raconte », selon les termes des enseignant- e- s).

Le jeu sur l’individuel, le sous- groupe et le collectif dans l’activité interprétative, enfin. La dynamique des dispositifs des deux enseignant- e- s (1_3 et 3_2) repose sur l’alternance d’un travail en dyade et d’une lecture à voix haute des produits de ce travail en collectif. Ces produits sont commen- tés par l’enseignant en primaire, par le collectif classe au secondaire II. En 3_2, si les élèves sont invités à se prononcer sur la qualité de ces résumés, c’est moins dans la visée d’évaluer une qualité que de mettre en débat ce qui apparait comme une proposition toute provisoire d’histoire, un instrument de compréhension (3_2_Lov140411, l. 136 : « on verra si vous les avez compris de la même manière ou bien pas on verra s’il y a débat ou bien pas »). Quant à l’enseignant 2_2, dès la formulation du premier résumé, il soumet celui- ci à l’appréciation du groupe classe (l. 86  : « alors qui est d’accord avec ce résumé » ; ou encore l. 97 : « alors avant de rentrer plus avant dans le texte / y a- t-il des gens qui sont réfractaires à ce résumé // »). Il est remarquable que les 3 enseignants, quel que soit le niveau d’enseignement, aient besoin de renvoyer la validité d’une synthèse compréhensive au collectif. S’assurer que chacun a bien compris, certes, mais plus encore, prendre acte en collectif du caractère provisoire de la synthèse jusqu’à ce qu’un des membres la conteste par le pointage de nouvelles isotopies. Peut- on parler de construction d’un outil heuristique ?

Au terme de cette description des dispositifs, une première synthèse s’impose. Un des effets de la variable texte semble se manifester dans le recours à l’activité de résumé et au jeu des interventions retardées des enseignant- e- s. Le jeu des discordances narratives du texte de Lovay a des effets sur les dispositifs des enseignant- e- s de deux manières. D’une part, la recherche du sens de l’histoire est centrale, mais pas univoque. Les tâches cadrent cette recherche mais l’assortissent d’un espace de débat ou de

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partage où se légitiment en collectif les propositions de l’archi- élève lecteur.

D’autre part, la difficulté de lecture se résout progressivement selon une succession qui va des activités de condensation (rédiger un résumé, donner un titre à un paragraphe) aux activités d’extension (écrire une suite à l’his- toire, identifier la référence du texte et digresser sur ses orientations théma- tiques, réécrire la nouvelle de Lovay à la manière des nouvelles en 3 lignes de Fénéon). Mais l’enjeu est- il seulement de réduire la discordance au profit d’une concordance, comme Paul Ricoeur semblait le dire de toute mise en intrigue ? N’est- ce pas plutôt une initiation au jeu dialectique de l’herméneu- tique sous la pression d’une « scénographie textuelle », selon l’expression de Dominique Maingueneau (1998), dont l’enjeu est de garantir le va- et- vient entre une réduction des disjonctions de probabilités et l’extension de prome- nades thématiques ?

5. DES EFFETS DE COHÉRENCE COMME OBSTACLES À LA DISCORDANCE NARRATIVE COMME JEU

Quels sont les obstacles rencontrés par les élèves ?

La compréhension du texte de Lovay fait obstacle aux 3 niveaux d’en- seignement. Cette difficulté, constitutive de la discordance narrative jouée par le texte, se retrouve dans les trois dispositifs, c’est entendu. Soit globalement (« Monsieur / j’ai rien compris »), surtout au début des leçons, soit localement sur des passages qui représentent des séquences d’action (1_3_Lov, l. 908 : CHA : « je ne sais pas j’ai l’impression qu’il commande une fille qu’il aime ») ou des éléments lexicaux (1_3_Lov, l. 205 : ANT : « oui mais c’est la fromage- rie / c’est quoi une fromagerie n »), à mesure que les leçons avancent.

Lorsqu’ils citent des éléments lexicaux comme incompris, certains élèves renvoient moins aux lexèmes eux- mêmes qu’aux séquences d’action que ces lexèmes représentent.

1_3_Lov150211, l. 898

LUI : (il cite) tu verras la négresse elle va nous montrer le froid / je ne comprends pas ce qu’elle veut dire / ce qu’il veut dire là

Ens : tout à fait (il cite) « tu verras la négresse elle va nous montrer le froid » ça veut dire quoi « nous montrer le froid » n

Mais pour saisir la dynamique de l’enseignement / apprentissage, il nous faut descendre plus spécifiquement au niveau des activités scolaires, dans l’analyse des difficultés des élèves à réagir spécifiquement aux tâches.

Au primaire, deux tâches ont retenu notre attention. Au début de la leçon, la tâche de titrer un paragraphe pose deux types de problème  : le premier consiste à comprendre l’activité de condensation en fonction de l’unité du paragraphe. Cette difficulté se manifeste dès la mise en activité et appelle une régulation rapide de l’enseignant, dès les premiers échanges (1_3_Lov, l. 122-124  : ANT  : « on doit mettre un sous- titre à chaque truc n », Ens : « à chaque paragraphe pour montrer que t’as bien compris »,

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ANT : « ouais bon / paragraphe »). Le deuxième est lié à la nature même de l’intrigue et de son énonciation. Le tableau ci- dessous reprend l’ensemble des réponses formulées à l’oral par les diverses dyades au moment de la mise en commun.

Ensemble des titres donnés par les élèves, répartis par paragraphe Paragraphe

1 Paragraphe

2 Paragraphe

3 Paragraphe

4 Paragraphe

5 Dernier

paragraphe Le chef

des avalanches La punition (2X) L’attente de la négresse La cage La cage des chefs La vie du chef des avalanches Le chef des avalanches est heureux

La fromagerie (4X) L’avalanche (2X) La fromagerie se renverse L’accident (1X) sans titre

La négresse (2X) Le vote La condamnation La négociation La libération (2X) Le pacte

La désespérance (corrigé en

« Le désespoir ») L’image de l’espoir L’avalanche (refusé) L’image de la négresse La négresse observée L’amoureuse La commande

L’amour du métier Le secret (2X) Le chef La négresse, c’est…

L’amour (1X) sans titre

Le secret Le secret du chef Les insectes (7X) sans titre

Il est frappant de constater la relative convergence des propositions.

Mais c’est la dernière partie, pointée par l’enseignant comme le 6e  para- graphe, qui pose le plus de problème avec 7 absences de propositions de titre. La difficulté ne vient pas du délai de l’exercice qui a pu empêcher certaines dyades de finir. Pour AUR, la difficulté semble venir de la posture du narrateur et des effets de la neige sur le dos de ce dernier (l. 591, AUR :

« mais je ne sais pas en fait on n’avait pas d’idées alors on a mis les insectesn »). L’enseignant mime la posture du narrateur et reformule la difficulté en l’attribuant à la métaphore (l. 604, Ens : « que c’était comme des insectes le froid / sur son dos d’accord n (s’adressant à Aur) donc il n’y a pas vraiment d’insectes »).

La deuxième tâche à avoir retenu notre attention concerne la recherche des 4 mots dans le dictionnaire. Le premier obstacle porte sur le mode infinitif du verbe « calfeutrer ». Au moment de chercher le verbe dans le texte, KEL d’abord (l. 674, KEL  : « (en aparté) XX calfeutrer / avec ER n »), LUI ensuite (l. 681, LUI : « calfeutré / il faut écrire le verbe n »), identifient la forme participiale. Ce qui conduit l’enseignant à préciser le mode utilisé dans le texte et à distinguer la forme infinitive pour la recherche dans le dictionnaire. La lecture des définitions d’« amnistie » et de « sigle » au dic- tionnaire fait aussi obstacle. Ces problèmes touchent à ce même objet de la discipline français, la propriété lexicographique des « mots difficiles », impli- quée par une recherche de la référence hors discours.

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Au secondaire I, le cadre ouvert de la tâche interprétative pose peu de problèmes aux élèves. La difficulté de construire le sens de l’histoire, érigée en situation problème, fait partie intégrante de la tâche. Retenons cependant la réaction vive d’une élève au moment de lancer la « recherche de référence » qui sera l’objet de plusieurs reprises dans le cours de la promenade interpré- tative (l. 341, l. 495, l. 566, l. 666).

2_2_Lov110211, l. 236

Ens : je vois que KAO s’agite comme une folle au fond de la classen qu’est- ce qu’on peut faire de ce texten alors KAOn

KAO : c’est un racisten

Ens : c’est un racisten qui est racisten

KAO : l’auteur parce que c’est comme s’il disait quand il y la négresse qui arrive il y a tout le monde qui s’enfuitp

Ens : alorsp il y a une idée de racismep est- ce qu’on peut taxer l’auteur de racisten XXX

El(s) : non

Ens : parce qu’il a utilisé le mot négressep El(s) : non

Ens : est- ce qui xxx alors possible mais il aurait aussi pu faire autre chose (Il désigne MIC du doigt)

MIC : ben en fait il essaie de faire passer un message Ens : voilà voilà n

MIC : à cause XXX

Ens : c’est un peu comme les fables que nous avons lues KAO : ben c’est ça le message XXX

Le jugement de valeur posé par KAO sur le texte et son auteur renvoie à la difficulté d’identifier les voix qui se partagent l’énonciation. Relayée par l’enthousiasme du village, la proposition du chef des avalanches apparait comme portée par une même voix, univoque. Une univocité confirmée par la voix du narrateur qui semble, lui aussi, partie prenante du système de valeur et de croyance porté par les personnages de l’histoire. La régulation de l’en- seignant porte sur l’étymon de « négresse » et les circonstances historiques de ses usages (l’esclavage et l’exploitation des êtres humains), ce que l’ensei- gnant considère à plusieurs reprises comme une digression dont il s’excuse auprès des élèves. Dans l’extrait qui suit, l’enseignant interrompt sa digression pour une relance du jugement posé par KAO au début de la promenade infé- rentielle. 14’30’’ se sont écoulées entre les deux interventions.

2_2_Lov110211, l. 494

Ens : toi tu disais que l’auteur était racisten toi tu as dit que ce n’était peut- être pas forcément le cas puisqu’il veut peut- être énoncer quelque chosep alors qu’est- ce qu’il énonce icin

MIC : ben il énonce qu’est- ce que c’est le racisme des textes XXX

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KAO : ah non XXX

MIC : comment les gens voyaient çan

El : comme quoi on pouvait acheter sur cataloguen

Ens : alorsp oui il y a déjà cette idée- là d’achat sur cataloguep alors développonsn ouin

Quelque chose a avancé entretemps. La réplique de MIC, en gras dans l’extrait, doit se comprendre comme une première tentative de mise en mots d’une doxa, confirmée dans la réplique suivante, par l’utilisation du collectif

« on » par El (non identifié). Manifestement, entre l’intervention vive de KAO, la première du genre, et cette relance de l’enseignant ci- dessus, une lecture de l’énonciation se co- construit progressivement. Mais cette progression thé- matique sort de notre enquête et nécessite d’autres outils.

Au secondaire II, le dispositif du résumé fait obstacle. C’est l’objecti- vité attendue de la condensation dans la tâche, pas celle du « texte » qui crée le problème pour les élèves :

1. sur le problème de l’ancrage énonciatif (la question du point de vue, le narrateur discret au début, se manifeste à la moitié de la nouvelle).

Quel point de vue adopter pour raconter la fiction ?

2. sur le problème de la structure de la narration (analepse, feed- back).

Comment réorganiser la structure d’une fiction à partir de la narration ? Les deux problèmes se manifestent au moment de produire le résumé et de garantir la cohésion du texte sur deux options langagières précises : pour l’ancrage énonciatif et la structure respectivement, le choix de la première ou de la 3e personne et le choix d’une base temporelle (3_2, l. 229, El : « madame en fait les temps verbaux ils sont pas bizarres les temps verbaux utilisés ») et de l’ordre des évènements.

3_2_Lov140411, l. 175

El2 : madame c’est possible que la situation finale soit au début n

Ens : c’est possible oui mais vous du coup quand vous résumez vous devez suivre la situation le schéma quinaire

El1 : mais il revient en arrière il fait un flash back

Ens : oui mais vous devez suivre la chronologie / la situation le schéma quinaire / pas du texte

El1 : donc on recommence

Le dispositif prévoit ces difficultés en partie. L’opérationnalisation de la tâche fait l’objet de régulations locales de deux types : d’une part, « neutra- lisation » de la difficulté du lecteur à formuler un topic par rejet de la discus- sion sur les disjonctions de probabilité dans un espace de travail ad hoc après la fixation d’un résumé par écrit ; d’autre part, aimantation du statut heuris- tique du résumé (« comme vous le pensez ») dans un temps précis ; « neutra- lisation » des effets de cohésion du texte (narrateur, analepse) pour une centration sur la fiction.

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De nouveau, au moment de dresser une deuxième synthèse intermé- diaire, si l’on compare les obstacles formulés par les élèves des 3 niveaux, une convergence se dessine : ce qui apparait à l’archi- élève lecteur ou se manifeste à lui dans une activité d’élucidation comme un obstacle qui empêche le sens d’une histoire, se transforme au fil des activités en ressource. Au début des 3 leçons, l’archi- élève se pose devant la discordance narrative en quémandeur de cohérence, aidé ou non par les tâches, tandis qu’une fois posée la synthèse compréhensive comme instrument du lecteur, il joue avec la scénographie du texte.

6. CONCLUSIONS

Nous posions, en commençant, une question méthodologique. Quel est l’apport de la construction empirique d’un archi- élève pour la reconstruc- tion du système didactique ? L’examen complémentaire de la tâche, des régulations et des activités scolaires fait apparaitre un archi- élève différent selon que l’on prend le point de vue de l’enseignant au moment de mettre en œuvre le dispositif et le point de vue de l’élève au moment où celui- ci, dans le jeu du collectif et de l’individuel, réalise la tâche, l’infléchit, pousse l’ensei- gnant à préciser son dispositif. La discordance narrative du texte de Lovay joue une influence déterminante sur la mise en œuvre de dispositifs et sur les réactions des élèves aux tâches. L’activité de résumé comme outil heuristique semble faire l’unanimité du primaire au secondaire  II, assortie ou non d’un

« projet de communication » (Boudineau, 1996). Elle est un préalable à l’in- terprétation du texte ou aux activités de productions textuelles. Mais, tandis que les dispositifs du primaire et du secondaire II jouent sur la discordance narrative et l’instabilité des interprétations afférentes, le dispositif du secon- daire I force la convergence en privilégiant une promenade thématique.

Ce jeu de discordance met à l’épreuve les tâches prévues par les enseignant- e- s, tandis que certaines des activités scolaires effectivement réa- lisées par les élèves exacerbent les propriétés du texte de Lovay et forcent les uns et les autres à les pointer comme objets sémiotiques. Posons l’hypo- thèse, à vérifier dans la comparaison avec les leçons sur La Fontaine, que les réactions des élèves aux cadres posés par les tâches viennent pour une bonne part des propriétés du texte.

Le corpus des trois leçons observées est trop court pour répondre à la question de la progression. Du point de vue des dispositifs, ce qui se voit, c’est une succession hiérarchisée d’étapes, chacune étant posée comme le préalable de l’autre : résumer d’abord pour comprendre, interpréter ensuite, c’est- à- dire établir des liens, puis, pour finir, seulement pour le secondaire II, identifier la singularité d’une forme. De fait, tous les dispositifs, du primaire au secondaire, comprennent une dimension centrale d’élucidation. Le jeu des discordances narratives du texte met tout le monde au pied du même mur, tandis que les moyens utilisés dépendent des outils de la discipline, répartis, eux, en niveaux.

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