Philosophie et culture commune
La philosophie a-t-elle à jouer un rôle en termes de culture commune ? L’image académique de la philosophie comme « couronnement des études », qui a longtemps servi de justification au cursus studiorum républicain (et à son élitisme), reposait jadis sur l’idée d’une reprise réflexive des acquis culturels et de leur mise en perspective dans l’élaboration philosophique. Peut-on encore penser les choses de cette façon aujourd’hui? Le déclin progressif des séries à dominante humaniste, tout au long du XXe siècle, et à un autre niveau la « crise de la culture » analysée par nombre de penseurs majeurs, ont porté un coup à cette représentation sans doute trop ambitieuse. Cependant, l’exigence
universaliste, mais pas forcément totalisante, reste un repère fort pour une discipline qui se voudrait plus qu’aucune autre porteuse d’un principe d’ordonnancement, et en même temps de liberté. On ne saurait la réduire à une positivité, pas plus qu’à de simples compétences méthodologiques formalistes.
Plus qu’un contenu disciplinaire parmi d’autres, qui viendrait se surajouter aux contenus scientifiques, littéraires, économiques, linguistiques ou technologiques…, il semble que la philosophie ait une place particulière à occuper, en tant que lieu d’une synthèse (toujours en mouvement) ou d’une mise en réseaux, d’un questionnement vivant, d’un métalangage, d’une reconduction aux fondements, ou plus modestement en tant que « passeur » entre les éléments épars du savoir, à une époque marquée par l’éclatement et la dissémination.
Si l’on s’en tient à une approche strictement pédagogique, force est de reconnaître que l’enseignement de philosophie fait droit à un certain nombre d’éléments de culture issus des différentes disciplines : le programme actuel, qui rappelle dans ses attendus que la philosophie s’appuie sur des acquis
antérieurs, se structure selon cinq grands axes qui sont autant de champs du savoir (ou des pratiques).
« Le sujet », qui renvoie au domaine de la psychologie, entendue en un sens philosophique, ne
correspond sans doute pas à un savoir disciplinaire, même si un certain nombre d’éléments de la culture littéraire renvoient à une expérience de la subjectivité que la philosophie permet de réfléchir et d’articuler de façon conceptuelle. « La culture », elle, correspond au champ de l’anthropologie et peut s’appuyer, sans s’y réduire, sur certains contenus d’enseignement issus des sciences économiques et sociales ou de l’histoire-géographie, voire des enseignements artistiques (pour la notion d’art), mais aussi (pour la notion de langage) sur certains concepts linguistiques qui ont pu être abordés en cours de lettres ou de langues et, cela est loin d’être négligeable, au travail mené dans les disciplines
technologiques. « La raison et le réel » s’articule aisément à l’ensemble de savoirs du bloc scientifique, voire de certains enseignements technologiques. « La politique » renvoie, là encore, à des données de sociologie mais aussi à l’histoire-géographie. Enfin, « la morale » reprend sur un mode métaphysique et éthique l’ensemble du travail élaboré en philosophie, en ouvrant celle-ci sur le monde et sur les
pratiques.
Que signifierait, pour l’enseignement de la philosophie, de prendre toute la place qui lui revient dans la construction d’une authentique culture commune, qui ne se réduise pas à un socle de connaissances minimal ? Sans doute faudrait-il réfléchir davantage à son articulation avec les autres disciplines, sans l’instrumentaliser ; l’introduction plus précoce (en Première) d’un enseignement à caractère
philosophique est envisagée par l’institution et fait actuellement débat au sein du groupe philo du SNES. Si l’on ne peut aucunement justifier de faire entrer la philosophie dans un « socle commun » d’inspiration utilitariste, en revanche on ne saurait concevoir aucune « culture commune » sans la mise en perspective, en concepts et en problèmes que l’enseignement de la philosophie tente d’opérer. Elle reste porteuse, par-delà l’acquis culturel qu’elle représente, d’une exigence profondément
démocratique qui est de faire de chacun le sujet de son discours et, en le rendant capable de saisir les enjeux des flux discursifs, de se réapproprier sa capacité d’homo loquens, en même temps que d’animal politique.
SNES – secteur contenus – groupe Philosophie J. Cueille
2005