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Après la publication de la thèse d'A

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Texte intégral

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Françoise LETOUBLON, Les lieux communs du roman. Stéréotypes grecs d'aventure et d'amour, Leiden, N.Y., KaIn, 1993.

Après la publication de la thèse d'A. Billault, La création romanesque dans la littérature grecque à l'époque impériale en 1991 et la parution du recueil collectif Le monde du roman grec en 1992, le livre de F. Létoublon vient témoigner à son tour de l'intérêt nouveau porté au roman antique par les études françaises, jusqu'ici bien en retard en ce domaine. Conçu comme une réflexion sur l'histoire du genre, l'ouvrage de F. Létoublon prétend montrer la fécondité des formules mises au point par les romanciers grecs, dont l'influence sur la production romanesque moderne se prolonge, depuis la Renaissance, jusqu'en plein XVIIIème siècle. D'où les fréquentes extrapolations de l'auteur dans le domaine du roman baroque, et plus encore dans l'œuvre de l'abbé Prévost, L'histoire d'une Grecque moderne, dont maintes citations servent à illustrer la dette des modernes à l'égard de leurs devanciers antiques. Comme l'indique le titre de son ouvrage, F. Létoublon s'est intéressée tout particulièrement à la dimension répétitive du roman grec : elle le définit comme un genre entièrement topique, non seulement dans son contenu et sa thématique, mais aussi dans sa structure (construction en boucle) et dans son style (art de la prétérition et de la métaphore). S'interrogeant sur le rapport du roman grec à la réalité, l'auteur remarque qu'un certain nombre des stéréotypes mis en œuvre dans la présentation des lieux ou des personnages pourraient passer pour le reflet de réalités sociologiques contemporaines, impression confortée par la pétition de réalité sur laquelle repose le roman grec, qui postule l'existence effective de ce qu'il représente. Toutefois, ces stéréotypes sont revêtus d'une forte dimension symbolique que l'on retrouve d'une œuvre à l'autre, et ils doivent souvent beaucoup à l'influence de la littérature antérieure (épopée, tragédie, poésie lyrique) : produit palimpseste, le roman grec ne cesse de jouer avec des hypotextes. Parfaitement conscient de son caractère de représen- tation, il comporte d'ailleurs une dimension fortement réflexive, comme l'attestent les fréquentes descriptions d'œuvres d'art insérées dans la trame du récit et la présence de romans à l'intérieur du roman. Des cinq auteurs dont nous possédons l'œuvre intégrale, c'est Héliodore le maître en matière de spécularité, et sa supériorité s'affirme aussi dans le maniement des stéréotypes, comme le montre l'exploration très précise à laquelle s'est livrée F. Létoublon à travers les topai du roman grec:

l'auteur a en effet nourri son propos d'extraits nombreux et étendus qui, s'ils nuisent peut-être un peu à la densité de la démonstration, auront en tout cas le mérite de donner aux lecteurs profanes un vivant aperçu des charmes du roman grec.

Corinne JOUANNO Université de Caen

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Rhétoriques de la conversation de l'Antiquité à l'époque moderne, Actes de la table ronde de Paris, 4 juin 1993, éd. L. Pernot, Rhetorica, A Journal ofRhetoric, Vol. XI, n° 4, Autumn 1993.

Les textes présentés dans ce recueil collectif édité et préfacé par L.

Pernot constituent les actes d'une table ronde dont l'initiative résulta de la constatation d'une curieuse lacune: aucune réflexion globale n'avait encore été menée sur les pratiques de la conversation dans l'Antiquité, alors même que le monde ancien a donné naissance à des genres aussi essentiels que l'entretien philosophique ou les propos de table. Voulant ouvrir un champ nouveau, et conçu dans la perspective large d'une méditation sur l'héritage, cet ouvrage nous promène donc à travers les temps et les lieux, de la Grèce archaïque à l'Europe des Lumières, et du banquet platonicien aux cours de l'âge moderne.

Suivant un plan chronologique, le recueil s'ouvre avec une commu- nication de E.L. Bowie sur l'émergence des symposia : l'auteur a tenté de reconstituer, en recourant essentiellement au témoignage d'Homère, de la poésie élégiaque et de la comédie ancienne, et avec toute la prudence qu'imposent les effets de stylisation inhérents à l'emploi de tel ou tel genre littéraire, l'éventail des propos de table en usage dans les banquets de l'époque archaïque et classique: se profile ainsi un certain nombre de sujets topiques de l'échange symposiaque (réflexions morales, éloges, invectives, propos érotiques ... ) qui désignent la conversation comme un espace hautement ritualisé.

Avec la communication de Cl. Imbert, nous nous tournons vers la naissance du dialogue philosophique, à travers l'étude de quatre textes platoniciens, Phédon, République, Banquet et Phèdre. Tout en insistant sur l'abondante postérité du genre inventé par Platon, tant dans l'Antiquité que sous la Renaissance, avec notamment Marsile Ficin, l'auteur souligne la singularité inaliénable du dialogue platonicien qui, transformant le logos en objet d'examen et d'expérimentation, eut l'audace de sortir la conversation de son état strictement anecdotique pour constituer une dramaturgie de l'argumentation.

Le domaine latin n'offre rien d'équivalent, car les œuvres philosophiques de Cicéron, en dépit de leur forme souvent dialoguée, échappent au domaine de la conversation du fait de leur tendance au dogmatisme, comme le montre la communication de C. Lévi. Or c'est l'absence de tension que les Romains ont ressentie comme la caractéristique majeure de la conversation, ce qui explique peut-être l'absence à Rome de toute théorie sur la question: considérée tantôt dans son usage utilitaire, tantôt comme le medium de l'entretien entre amis, la conversation semble avoir été trop associée à l'idée de naturel pour qu'on ait jugé utile d'en codifier la pratique. On note en revanche l'apparition, chez les penseurs romains, d'une éthique de la conversation, conçue comme un moment privilégié du respect de soi-même et d'autrui, et chez les poètes (Catulle, Ovide), celle d'une érotique de la conversation envisagée comme art de séduire.

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Pas plus qu'à Rome on ne trouve en Grèce de théorie de la conversation, sans doute en bonne partie parce que le dialogue, ayant été annexé par la philosophie, apparaissait comme une spécialité hors de la compétence des rhéteurs. Aussi la présence de la conversation dans la rhétorique antique est-elle, comme le montre L. Pernot, "une présence aux marges, erratique et fragmentaire", qui affleure à propos de l'étude du dialogisme, du genre "homilétique" ou de la la lia, autrement dit lorsqu'il est question du recours à la forme dialoguée ou au ton de la conversation à l'intérieur de genres littéraires autres, le plus souvent à titre d'instrument du second degré - ce qui prouve bien la vocation critique prêtée par les Grecs à l'usage du dialogue.

La communication de M. Fumaroli, qui vient clore le recueil, met l'accent sur la fécondité des réflexions inaugurées par le monde ancien. La nouvelle émergence du banquet lettré aux XVème-XVIème siècles s'enracine en effet dans une réflexion sur les textes de l'Antiquité classique (Cicéron) ou tardive (Macrobe, Aulu-Gelle, Athénée) qui, à la Renaissance, sont entrés en consonance avec certains passages du Nouveau Testament. Ainsi le banquet lettré devient-il, sous l'influence du modèle de la Cène, un moment de communion où le livre fait fonction de sacrement. Une nouvelle étape est franchie à l'âge classique lorsque, du domaine humaniste, la conversation se trouve exportée dans le milieu des cours, le monde s'emparant alors de l'expérience de l'otium lettré pour l'attirer dans la sphère de la galanterie et celle de la diplomatie : la conversation devient alors une forme complète de civilisation et fait fonction de ciment social.

On mesure ainsi l'ampleur du chemin parcouru depuis l'Antiquité. On regrettera toutefois que, dans un recueil jouant sur la longue durée, soit absent tout travail sur le Moyen Age, implicitement renvoyé par ce silence au purgatoire des siècles obscurs du dogmatisme et de la stérilité. L'âge de l'amour courtois, qui avait fait d'Ovide un de ses livres de chevet, aurait pourtant sans doute pu fournir lui aussi une intéressante contribution à cette réflexion sur la conversation, sinon dans le domaine de la philosophie, au moins dans celui de l'érotique, où il pourrait bien constituer un important maillon de cette "manducation des classiques"

dont parle la préface de L. Pernot.

C. J.

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Graziella et Nicos NICOLAIDIS, Mythologie grecque et Psychanalyse, Neuchâtel, Paris, Delachaux-Niestlé, 1994.

Le dernier ouvrage de Nicos et Graziella Nicolaïdis, psychanalystes suisses, se propose de relire les mythes grecs à l'aune de la psychanalyse.

L'exercice, nécessaire et passionnant, s'inscrit à la suite d'une tradition qui remonte à Freud lui-même qui a intégré le mythe d'Oedipe au coeur de toute production fantasmatique individuelle; par la suite, et pour ne se limiter qu'à la langue française, on se souviendra des travaux de certains psychanalystes comme D. Anzieu (L'oedipe avant son complexe, 1966), A. Green ( Un oeil en trop, 1969), Anzieu, Gilibert, Green, N.Nicolaïdis et Potamaniou (Psychanalyse et culture grecque, 1980) et encore N. Nicoalaïdis, Savopoulos, G. Nicolaïdis (Théophagie, 1988). L'ouvrage présenté ici (207 pages) se compose de neuf chapitres, d'un résumé et d'un index bien utile des noms propres des divinités ou auteurs grecs.

Le postulat de départ de ce genre d'étude est, comme nous l'a appris la psychanalyse, que les individus et les peuples construisent, à mesure de leur développement, des "appareils" psychiques (fantasmatiques) pour les individus, et mythiques et culturels pour les peuples. En ce sens, comme le rappellent les auteurs dès leur introduction, le mécanisme et la dynamique par lesquels un mythe ou une tragédie se construisent ressemble au mécanisme et à la dynamique qui président à la construc- tion de la représentation de la pulsion et des fantasmes. C'est pour cela que la recherche d'un événement "fondateur" d'une névrose -la séduction d'un enfant par un adulte- comme Freud s'y employait avant 1897 (sa

"neurotica") a dû être abandonnée par lui au profit d'une recherche d'un événement fantasmatique réalisant le désir et la satisfaction pulsion- nelle. Ce débat entre l'histoire comprise comme repérage d'un événement et l'histoire en tant que réalisation d'un désir que le mythe met en scène sera repris par les auteurs dans leur dernier chapitre.

Il faut croire cependant que malgré leur désir d'apporter un éclaircissement psychanalytique de l'évolution de la mythologie grecque il reste des "zones d'ombres" puisqu'un lapsus s'est glissé dès l'introduction lorsque les auteurs présentent la traduction dite des Septante, d'Alexandrie, comme étant celle de la tradition orale de la Bible (p. 11) alors qu'elle est celle de la tradition écrite de la Thora (tora shé bi- khétab). La compilation de la tradition orale (tora shé be 'al pé) ne viendra, on le sait, qu'au IVo et VO siècle avec les Talmuds et les midrash de Babylone et Jérusalem.

Dès le premier chapitre est donc mise en avant l'analogie entre l'évolution psychosexuelle de l'appareil psychique de l'être humain et celle théogonique-cosmogonique de la mythologie grecque. On retiendra ainsi la distinction de trois catégories: la première, pré-oedipienne (comme dans la mythologie scandinave) est marquée par la dominance féminine, le clivage et les éléments de la nature menaçants dans un esprit de contrainte typique de la répétitivité "psychotique" (meurtres répétés, fusions incestueuses, etc.). La deuxième laisse apparaître une

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construction déjà oedipianisée : les sentiments négatifs du complexe d'Oedipe relèvent encore de la loi du talion, comme dans la Bible et le sacrifice d'un fils répond au désir de meurtre du père. Enfin une troisième catégorie représentée par les récits d'Homère et la Théogonie-Cosmogonie d'Hésiode montre l'évolution des générations des dieux se "secondarisant"

de plus en plus et aboutissant au triangle oedipien Zeus-Héra-dieux olympiens. Cette évolution hésiodique se présente elle-même séparée en trois périodes: originaire (avec le couple "proto-oedipien" mère-fils/mari Gaïa-Ouranos), primaire (Gaïa, voulant mettre fin aux relations ryhtmiques et pulsionnelles d'Ouranos, demande à Kronos de châtrer son père / frère: c'est le premier "non" , un "non" maternel porteur du "Nom de la mère") et secondaire (introduction du triangle Kronos-Rhé-Zeus et l'introduction à la castration symbolique représentant l'intégration du

"N om-du-Père").

Dans le deuxième chapitre sera mis en parallèle le fait que le mythe de Narcisse -dans toutes ses versions- et le mythe de Dionysos Zagreus offrent des analogies ontologiques, anthropologiques et psychanalytiques concernant les mouvements de l'appareil psychique. Au passage, les rapports entre mesure (métron) / démesure (hubris) chez les grecs seront, par analogie, référés au principe du plaisir-déplaisir de l'appareil psychique. Les auteurs soulignent alors la similitude entre le retard d'apparition, dans la culture grecque, du mythe de Narcisse et celui du concept de narcissisme dans l'oeuvre théorique de Freud. La proposition théorique est ici que l'advenue du concept comme du mythe portant sur Narcisse implique une sorte de "stase libidinale" en marge de la vie pulsionnelle sexuelle: il a donc demandé du temps pour être "repéré".

Le troisième chapitre développe le thème de la Philia et plus spécifiquement celui de la pédo-philie, en particulier celle de Laïos, le père d'Oedipe, envers Chrysippe.

Les auteurs soulignent que l'hubris et la punition de Laïos proviennent surtout d'avoir usurpé un privilège (on pourra se reporter à l'étude de M.Balmary pour ce qui concerne la transmission intergénérationnelle de la faute de Laïos, dans L'homme aux statues, 1978, 1994). Les époux Nicolaïdis insérent ici la problématique de la pédophilie dans celle, plus large, de la séduction homo et hétéro-sexuelle dans le développement psycho-sexuel de l'enfant et du contre-transfert du psychanalyste. Le quatrième chapitre défend l'idée que la déesse Athéna, vierge et non-mère a un "amour" maternel pour son protégé Ulysse, lequel est son

"complément" narcissique. Il y a là comme un paradigme de l'amour maternel, le fils réalisant, par ses actions, les voeux de la mère.

Le cinquième chapitre débute par une étude intéressante du carrefour ou bifurcation où a lieu la rencontre avec le Sphinx. Est-ce une voie à deux ou à trois chemins ? Remarquons que le chiffre deux qui exprime la bifurcation, le fourchu, est la traduction de "schizo", mot ayant une connotation clinique exprimant des défenses psychiques archaïques. Le Sphinx est aussi repéré comme synonyme d'inceste avec la mère: l'énigme étant substituée à la lutte et la possession sexuelle.

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Le sixième chapitre se veut une illustration clinique, à partir d'une psychothérapie d'un enfant de six ans, de la présence dans le matériel fantasmatique d'une problématique pré-génitale proche de certains mythes grecs. Cette illustration clinique, si elle est convaincante, reste malheureusement bien mince dans l'apport de matériel psychique mettant en scène des thémes mythiques .

. Les chapitres sept et huit sont des études portant sur les relations entre les rêves dans la tragédie, le langage oraculaire de Cassandre ou le rêve prophétique d'Iphigénie en Tauride. Il ressort de ceci que la féminité, la cécité et l'hermaphrodisme (Tirésias) constituent une sorte de

"Ménomation qualifiante" (Dumézil). La rencontre, en Tauride, entre Oreste et sa soeur Iphigénie vaut quelques belles lignes sur le rôle de la rencontre en tant que anagnorisis (reconnaissance) entraînant un "coup de théâtre" et une connaissance intérieure.

Enfin le dernier chapitre, défend l'idée que dans l'évolution de la biographie grecque on trouve un schéma inverse à celui de l'évolution de la pensée de Freud concernant l"'histoire" de ses patients. Les Grecs commencent, à l'inverse de Freud, par les fantasmes pour aboutir au fait.

Ce chapitre pose alors à partir de l'apport de la psychanalyse, les bases d'une réflexion renouvelée entre point de vue historico-événementiel et construction mythico-fantasmatique.

Ce livre est donc précieux autant pour le psychanalyste que pour l'historien et ré-affirme l'idée que rien de ce que produit le fantasme, y compris dans le champ culturel, ne peut échapper à ce professionnel du psychique qu'est le psychanalyste.

Au terme de leur étude d'une grande érudition, N. et G. Nicolaïdis soutiennent alors que la mythologie grecque est ainsi la plus proche de la représentation de la pulsion et de la fantasmatisation symbolique. Ne peut-on pas cependant mettre en doute cette position qui apparaît par trop relever d'un "impérialisme" ethnocentrique que les études ethnopsy- chanalytiques de G. Roheim, Devereux ou T. Nathan ont depuis long- temps démenti. Quoi, 1"'Homme blanc" - évidemment grec d'origine - aurait l'inconscient le mieux "triangulé" et structuré!

Cela laisse rêveur et goguenard... l'Indien, le Sémite ou le Persan Usbek qui nous habite ... et qui regarde les études de certains psycha- nalystes (A. Green, La folie Privée, 1993) ou sociologues soulignant, dans le "Malaise dans la civilisation" actuelle, le règne de la "dé-symbolisation"

(Baudrillard), la perte du rôle symbolique du père (Mittscherlich, 1968 ) et la "dé-triangulation"" des familles CE. Sullerot, 1992).

Gérard PIRLOT Psychiatre des Hôpitaux Université Toulouse-Le Mirail

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Mircea ELIADE - Raffaele PETTAZZONI, L'histoire des religions a-t-elle un sens? Correspondance 1926-1959. (édition originale par Natale Spineto. Préface de Michel Meslin), Paris, Les Editions du Cerf, 1994.

Si personne n'ignore aujourd'hui le rôle joué 'par Eliade dans l'histoire des religions, dont l'oeuvre au style fort peu universitaire a su conquérir un public profane, par contre celui de Pettazzoni, dont le mode de penser s'avère peu enclin aux vastes synthèses et aux interprétations métaphysiques, n'est connu que d'un cercle restreint de spécialistes.

Les éditions du Cerf ont eu l'excellente idée et le courage - d'autant que le nom de Pettazzoni est quasiment inconnu en France - de publier cette correspondance qui nous permet de suivre une étape essentielle de l'histoire des religions.

Né en 1907 à Bucarest, décédé à Chicago en 1986, Mircea Eliade écrit à l'âge de dix neuf ans au grand savant italien Raffaele Pettazzoni (1883- 1950), l'une des figures les plus marquantes de la jeune science et premier titulaire depuis 1923 de la chaire d'histoire des religions à l'université de Rome. Cette longue correspondance qui s'étendra sur plus de trente ans - interrompue, semble-t-il, entre 1929 et 1936 pour des raisons que nous ignorons - témoigne de la passion de deux chercheurs pour les mystères de l'homo religiosus.

Il nous faut saluer l'excellent et minutieux travail de présentation et d'annotations effectué par Natale Spineto. Sa longue introduction consacrée à la fois aux relations personnelles entre les deux hommes et surtout à leur conception différente de l'histoire des religions s'avère tout à fait passionnante. On mesure alors le fossé qui sépare la conception phénoménologique et herméneutique de Pettazzoni et celle ontologique d'Eliade. L'une est à la recherche d'une méthode, d'une sorte d'approche des phénomènes religieux qui puisse faire accéder l'histoire des religions au statut sinon de science, du moins de discipline autonome dans le concert des études historiques. L'autre s'érige plutôt comme un savoir à la recherche de sa philosophie où ce n'est pas tant la méthode qui compte, même si elle n'est pas absente, que le sens qu'elle se doit de véhiculer.

Alors que pour Pettazzoni la religion est construite par l'homme pour remédier aux limites de sa condition, pour Eliade elle le transcende, résulte d'une sorte d'entité nommée sacré. Le savant italien, sous l'influence de l'historiographie de Benedetto Croce, contribue de façon essentielle à la constitution d'une véritable anthropologie religieuse qui, loin de nier l'histoire, en montre l'apport indispensable. Le savant roumain, quel que soit par ailleurs l'intérêt de ses recherches, dont celles consacrées à l'origine ou au mythe de l'éternel retour sont parmi les plus suggestives, nous offre par contre une sorte de contournement de l'histoire. A Pettazzoni qui tente de construire une histoire des religions dégagée de toute idéologie - à son époque l'idéologie catholique défendue par le Père W. Schmidt de l'Ecole de Vienne - , l'élève Eliade répond par la nécessité d'élaborer une sorte d'idéologie qui soit spécifique à l'histoire des religions. Pettazzoni et Eliade affichent en fait une attittude

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profondément différente à l'égard de la vérité du mythe; pour l'un, cette vérité est celle que les peuples ont projetée sur les mythes, pour l'autre, elle appartient à une sorte d'ontologie qui s'inscrit dans les mythes.

Il apparaît étonnant que ces divergences, somme toute capitales, n'aient guère suscité entre les deux hommes de plus âpres controverses, bien que le débat théorique soit parfois vif. Une mésentente latente court tout au long de cette correspondance, sans que les protagonistes en tirent toutes les conséquences, ce qui aurait probablement abouti au constat, évident à notre avis, que leurs conceptions opposées du rôle de l'histoire rendaient difficile, pour ne pas dire impossible, leur "rencontre". La prédilection de l'érudit roumain pour la recherche d'une sorte d'ontologie qui "ferait" l'histoire et l'homme, et la passion critique du savant italien pour l'histoire que l'homme fait et qui fait l'homme président à deux conceptions de la pensée religieuse dont il n'est pas certain qu'on puisse les ranger sous le même vocable d'histoire des religions.

Cette tentative d'Eliade de refouler l'histoire s'enracine probablement dans ses rapports personnels avec elle. Pettazzoni ne semble pas totalement l'ignorer considérant que l'antihistoricisme d'Eliade trouve son origine dans sa biographie, dans cette "triste époque à laquelle Eliade a vécu, de même que nous tous, et, peut-être, dans ses vicissitudes personnelles" (selon A. Brelich : "Gli ultimi appunti di Raffaele Pettazzoni" (1960) cité par Natale Spineto).

N. Spineto ne dit rien de ce que Pettazzoni savait de la biographie politique d'Eliade. On reste quelque peu confondu devant l'impasse qu'il fait sur le passé politique d'Eliade, alors que son travail est d'une minutie exemplaire ; la présentation des lettres et les notes qui les accompagnent sont remarquables d'érudition. A plusieurs reprises, il nous signale pourtant les liens entre Eliade et Nae Ionescu, maître à penser de toute une génération, et de Codreanu, chef du mouvement d'extrême droite Les Gardes de fer. Si ces personnages sont parfois cités en notes, le lecteur n'est guère informé sur leurs idées politiques et les relations exactes, du moins telles que nous les connaissons aujourd'hui, avec Eliade.

Les ouvrages et articles (en anglais et en français) tant sur Eliade que sur les mouvements d'extrême droite vers lesquels il se sentait attiré sont pourtant aisément accessibles.

Quant à Pettazzoni, on ignore totalement comment il passa les années mussoliniennes, époque essentielle à sa carrière. N. Spineto nous apprend d'ailleurs, sans autre précision, qu'en 1933 il devient membre de la Reale Accademia d'Italia fondée en 1926 par Mussolini "afin de réunir les quatre-vingts personnalités les plus illustres du monde des sciences, des lettres et des arts".

On serait en droit de se demander si l'histoire des idées politiques et scientifiques des savants a un sens?

En fonction de l'utilisation de ces connaissances les réponses divergent.

Trois attitudes peuvent se dégager.

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Pour certains, la valeur d'une oeuvre s'apprécie par elle-même; son seul contenu suffit à l'évaluer ; nul besoin alors de recourir à des informations, quelles qu'elles soient, qui lui sont étrangères. Une telle position proscrit en fait la possibilité de toute critique, de toute connaissance de l'oeuvre par la biographie de l'auteur.

Les tenants de la thèse opposée arguent qu'on ne sauraient séparer une oeuvre de son contexte socio-politique et de la biographie de son auteur qu'elle traduit nécessairement. Le côté systématique de cette position s'avère plus idéologique que véritablement critique. A chercher à tout prix des liens, on court alors le risque de déformer notre compréhension de l'oeuvre et d'éffacer son originalité au profit d'une intelligence du politique.

A mi-chemin entre ces deux positions, se situe la thèse de ceux qui postulent que les idées politiques d'un savant nous intéressent dès lors qu'elles se reflètent dans sa création. C'est cette position que choisit Daniel Dubuisson dans ses Mythologies du XXè siècle (Dumézil, Lévi- Strauss, Eliade) (Presses Universitaires de Lille, 1993). Après avoir rappelé le parcours politique d'extrême droite d'Eliade, l'auteur tente de montrer en quoi les travaux mythologiques de ce dernier portent, pour l'essentiel à son insu, la marque de son idéologie des années trente, celle surtout qui valorise les forces de la Nature. Son analyse des positions d'Eliade sur le judaïsme et sur le judéo-christianisme conduit D.

Dubuisson à qualifier la position du savant roumain d"'éternel retour de l'antisémitisme". On peut discuter certaines de ses interprétations, en atténuer la généralisation, il reste que D. Dubuisson souligne avec pertinence la présence dans l'oeuvre d'Eliade d'une sorte de retour du refoulé idéologique et politique qu'il appartient à l'historien de contribuer à lever et à rendre conscient. Il conviendrait cependant que cette mise à jour du refoulé idéologique et politique dans l'oeuvre des chercheurs s'appliquât aux engagements de quelque bord que ce soit, de droite comme de gauche, d'extrême droite comme d'extrême gauche.

Il reste que toute oeuvre est construite sur un paradoxe : inscrite profondément dans la biographie de son auteur elle donne parfois l'impression que celui-ci est un autre.

Jacquy CHEMOUNI Université de Caen

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