Partie 5
La gencive pathologique
Certains médicaments sont connus pour déclencher la formation de lésions gingivales qui sont majoritairement non spécifiques. Les mécanismes étiopathogéniques restent encore obscurs. Les composants du médicament peuvent irriter la gencive par contact direct et, sur le plan général, être allergènes, s’accumuler dans le chorion gingival, modifier les paramètres physicochimiques de la cavité buccale ou interférer avec les mécanismes cicatriciels, immunitaires et hémostatiques. D’autres facteurs comme la plaque dentaire ou le tabagisme peuvent avoir des effets néfastes sur la gencive.
S.M. Dridi, F. Gaultier, S. Jeanne
La gencive pathologique
Images en Dermatologie • Vol. IX - n° 2 • mars-avril 2016 84
Atlas
Lésions gingivales liées au tabagisme
S.M. Dridi, F. Gaultier (Consultation de pathologie de la muqueuse buccale et de parodontologie, hôpital Henri-Mondor, Créteil)
Les effets néfastes du tabac fumé ou chiqué sur la gencive sont locaux et systémiques. L’atteinte de la microcirculation gingivale résulte de décharges de catécholamines vasoconstrictrices en réponse à la libération de nicotine. Le flux capillaire gingival, les échanges tissulaires et les apports sanguins nutritionnels sont diminués. Par ailleurs, l’effet thermique local de la fumée et l’hyposialie diminuent l’efficacité de l’autonettoyage salivaire et limitent le processus de desquamation.
De multiples lésions gingivales peuvent apparaître chez un fumeur (1-12).
Les leucoplasies d’origine tabagique
Le terme “leucoplasie” est uniquement employé pour distinguer deux types de lésions blanches non détachables : les leucoplasies idiopathiques et les leucoplasies d’origine tabagique. Les leucoplasies ne sont donc pas rattachées à une maladie connue ou à un traumatisme. En Europe, leur prévalence serait inférieure à 4 %. Les hommes sont plus touchés que les femmes et les fumeurs ont six fois plus de risques de déve- lopper une leucoplasie que les non-fumeurs. Une corrélation positive est également établie entre la durée d’exposition au tabac et la quantité de substance consommée.
Les caractéristiques cliniques
Les leucoplasies gingivales d’origine tabagique sont asymptomatiques et ne s’ac- compagnent pas d’adénopathie satellite. Plusieurs paramètres permettent de dif- férencier les multiples formes cliniques :
▶la lésion élémentaire peut être une macule, une plage, une papule ou une plaque (figure 1) ;
▶la distribution des lésions est variable ; l’examen clinique met en évidence une ou plusieurs lésions gingivales associées ;
▶la leucoplasie est homogène ou inhomogène. L’aspect lésionnel est un critère diagnostique essentiel, car il conditionne le pronostic et la démarche thérapeutique.
Une leucoplasie est homogène si aucune variation n’existe concernant sa couleur et/
ou son épaisseur. À l’inverse, une leucoplasie est inhomogène lorsqu’elle présente des zones dont l’épaisseur est différente ou si la partie blanche est associée à un érythème, à une érosion ou à une ulcération(figure 2).
L’évolution des leucoplasies gingivales est imprévisible et dépend de nombreux paramètres individuels. La leucoplasie peut s’étendre ou se modifier, passant d’un aspect homogène à un aspect inhomogène. Le risque de transformation en car- cinome est possible. L’incidence de la transformation maligne des leucoplasies varie entre 0,1 et 17 % selon les études. Le risque est plus élevé pour les leucoplasies inhomogènes et pour les individus alcoolo-tabagiques.
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Figure 1. Leucoplasies d’origine tabagique : plaque blanche inhomogène sur les gencives attachée et papillaire en lingual, dans le secteur antérieur mandibulaire (a) ; plaque blanche homogène sur la gencive attachée en vestibulaire de 17 et 16 (b) .
1a b
Figure 2. Leucoplasie d’origine tabagique inhomogène
en épaisseur au niveau de la gencive attachée et du vestibule de 35 et 36.
2
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L’établissement du diagnostic
Le diagnostic de leucoplasie gingivale d’origine tabagique est clinique. Il s’agit d’un diagnostic par élimination qui est posé après avoir écarté toutes les autres étiolo- gies de lésions blanches : infectieuses, traumatiques, inflammatoires, tumorales et congénitales(figure 3).
Remarque. La transformation maligne peut apparaître d’emblée sur une muqueuse saine ou sur une leucoplasie homogène. Il convient donc de surveiller l’ensemble des muqueuses buccales, en particulier chez les patients présentant des facteurs de risques tels le tabac ou l’alcool et/ou des antécédents personnels ou familiaux de carcinome épidermoïde buccal.
Lésion blanche gingivale
Détachable non kératosique
Enduits Causes locales Leucoplasie Autres
Non détachable non kératosique
Tabagisme
idiopathique Lichen Papillome Candidose chronique Trauma
Candidose aiguë
Figure 3. Diagnostic de leucoplasie gingivale d’origine tabagique.
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’inté-
rêts en relation avec cet article.
L’examen anatomopathologique permet de rechercher les signes histologiques d’une transformation maligne, notamment pour trois situations cliniques : la leucoplasie homogène de plus de trois centimètres ou qui ne régresse pas malgré un sevrage de plus de trois mois, la leucoplasie inhomogène, et la leucoplasie dont les caractéristiques se modifient entre deux séances de contrôle (modification de la texture, de l’aspect, du relief, de l’étendue ; apparition d’une douleur, d’une adénopathie, d’une induration).
Le volume de la biopsie doit être suffisant, au moins 10 x 5 x 5 mm. Si la lésion est homogène, la biopsie est réalisée de préférence à cheval entre la zone blanche et la zone d’apparence saine. Quand la lésion est inhomogène, la biopsie est réalisée dans la zone la plus épaisse ou dans celle qui est érythémateuse ou érosive. Le prélèvement doit être orienté à l’aide d’un fil de suture placé en mésial de l’épithélium vers le conjonctif afin que l’anatomopathologiste localise précisément les altérations. Une fois prélevé, l’échantillon tissulaire est placé dans un flacon contenant du paraformaldéhyde 10 % dont la quantité doit être au moins égale à 10-20 fois le volume de la pièce opératoire.
Histologiquement, la couleur blanche correspond à une augmentation non spéci- fique de la couche para- ou orthokératinisée de l’épithélium gingival de surface. La présence d’une dysplasie modérée ou sévèresigne une possible transformation maligne et la présence d’une infiltration cellulaire maligne dans le chorion confirme une transformation effective.