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La signification du travail des travailleurs handicapés embauchés dans les entreprises adaptées de la Capitale-Nationale

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Academic year: 2021

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La signification du travail des travailleurs handicapés

embauchés dans les entreprises adaptées de la

Capitale-Nationale

Mémoire

Marie-Ève Corriveau

Maîtrise en sociologie

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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La signification du travail des travailleurs handicapés

embauchés dans les entreprises adaptées de la

Capitale-Nationale

Mémoire

Marie-Ève Corriveau

Sous la direction de :

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III

Résumé

Nous vivons dans une société fondée sur le travail. Modelé par elle, l’individu est incité à remplir un rôle utile et reconnu et ce, par le travail. Mais qu’arrive-t-il lorsqu’un individu ne répond pas aux normes sociétales valorisant l’homme productif ?

L’absence de travail peut créer un sentiment d’exclusion sociale. Ce sentiment s'explique par le fait que le travail occupe une place très importante dans notre société. Dans le cadre de ce mémoire, nous nous sommes intéressés aux personnes handicapées qui sont, souvent, dans une situation de non-emploi. Par contre, depuis les années 1970, le Québec tente d’intégrer socialement ces personnes qui sont davantage en situation d’exclusion. La société s’adapte et tente de répondre aux besoins de ce groupe. Ainsi, nous nous sommes intéressés aux entreprises adaptées puisqu’elles permettent à des gens en situation de handicap d’occuper un emploi à long terme. Nous avons cherché à comprendre ce qui incitait les personnes handicapées à travailler. Pour mener à bien ce projet, nous avons effectué des groupes de discussion pour étudier l’ethos du travail auprès des travailleurs handicapés embauchés dans les entreprises adaptées de la Capitale-Nationale. L'objectif général était de saisir l'ethos du travail selon la tradition sociologique héritée par Max Weber. Ainsi, nous voulions saisir la centralité, la finalité et l’attitude à l’égard des normes sociétales auprès de ces travailleurs. Concrètement, nous avons cherché à savoir si les ethos développés par Mercure et Vultur (2010) s’appliquaient aux travailleurs handicapés.

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IV

Table des matières

Résumé ... III Table des matières ... IV Liste des tableaux... VIII Liste des graphiques ... IX Remerciements... X

Introduction ... 1

Chapitre 1 – Contexte ... 3

1. Le travail dans les sociétés modernes ... 4

1.1 Une société fondée sur le travail ... 4

1.2 Socialiser un homme productif ... 7

1.3 Le travail et ses fonctions ... 12

1.3.1 Structurer son temps ... 13

1.3.2 Tisser des relations sociales ... 13

1.3.3 Construire son identité ... 14

1.3.4 Sentiment d'utilité sociale ... 15

1.4 L’absence de travail : un sentiment d’exclusion sociale ... 16

2. Handicap et normalisation ... 19

2.1 Histoire de la notion handicap ... 19

2.2 Qu’est-ce qu’une personne handicapée ? ... 23

2.3 Une construction sociale ... 27

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V

2.5 Valorisation de l’homme productif... 31

2.6 Des formes d’oppression ... 33

3. L’intégration des personnes handicapées au Québec ... 35

3.1 La politique À part entière ... 36

3.2 Le contrat d’intégration au travail ... 37

3.3 Le programme de subvention aux entreprises adaptées du Québec ... 39

3.4 Les entreprises adaptées : une économique sociale rentable ... 41

4. La signification du travail selon Mercure et Vultur ... 46

4.1 La centralité du travail ... 46

4.2 La finalité et les aspirations ... 47

4.3 Le travail, un devoir ?... 50

4.4 Des ethos arrimés au nouveau modèle productif ... 51

4.5 Conclusion... 56

Chapitre 2 – Objectifs et méthodologie ... 58

1. Question de recherche et objectifs ... 58

1.1 Trois objectifs spécifiques ... 59

1.2 Hypothèses ... 60

2. Méthodologie... 60

2.1 Méthodes de collecte de données ... 60

2.1.1 Le groupe de discussion ... 60

2.1.2 Le schéma d’entrevue ... 65

2.1.3 Le questionnaire ... 66

2.2 Déroulement de la recherche ... 68

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VI

2.2.2 Population à l’étude ... 69

2.3 Méthodes de sollicitation ... 70

2.3.1 Lettre aux entreprises adaptées ... 70

2.3.2 Lettre aux travailleurs ... 70

2.4 Déroulement des groupes de discussion ... 71

3. Portrait des répondants ... 73

4. Méthode d’analyse ... 75

5. Limites et biais de l’enquête ... 76

Chapitre 3 - Analyse des dimensions de l’ethos du travail ... 77

1. La centralité ... 77

1.1 La centralité absolue ... 78

1.2 La centralité relative ... 79

1.2.1 La complémentarité des sphères de vie ... 81

1.3 Conclusion... 85

2. La finalité ... 87

2.1 La finalité principale... 87

2.1.1 Je travaille pour « gagner ma vie »... 89

2.1.2 Le travail pour s’occuper ... 90

2.1.3 Le travail pour se développer ... 91

2.1.4 Le travail pour s’intégrer et se sentir utile ... 92

2.2 Le travail et le développement personnel ... 93

2.3 Conclusion... 96

3. Les aspirations ... 98

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VII

3.2 Un emploi qui correspond aux attentes des travailleurs, mais ... 101

3.3 Conclusion... 106

4. Les normes sociétales ... 107

Chapitre 4 : Analyse des formes d’ethos ... 112

1. Le cas des travailleurs handicapés embauchés dans les entreprises adaptées de la Capitale-Nationale ... 113 1.1 L’autarcique et le professionnaliste ... 113 1.1.1 L’ethos de l’autarcie ... 114 1.1.2 L’ethos du professionnalisme ... 120 1.2 L’utilitariste et l’égotéliste ... 121 1.2.1 L’utilitariste ... 122 1.2.2 L’égotéliste ... 133

1.2.3 À mi-chemin entre l’utilitariste et l’égotéliste ... 143

1.3 Inclassable ... 149 1.4 La résignation et l’harmonie ... 151 1.4.1 La résignation ... 151 1.4.2 L’harmonie ... 151 CONCLUSION ... 153 Bibliographie ... 160 Annexe I : Questionnaire ... 164

Annexe II : Schéma d’entrevue ... 166

Annexe III : Avis de recrutement ... 168

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VIII

Liste des tableaux

Tableau 1 - Le concept de désaffiliation sociale chez Robert Castel ... 17

Tableau 2 - Processus de socialisation de la maladie ... 26

Tableau 3 - Répartition des entreprises adaptées sur le territoire du Québec ... 42

Tableau 4 - Synthèse des ethos du travail par Mercure et Vultur (2010) ... 56

Tableau 5 - Caractéristiques sociodémographiques des répondants ... 74

Tableau 6 - centralité relative ... 80

Tableau 7 - centralité relative ... 82

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IX

Liste des graphiques

Figure 1 - La finalité du travail par Mercure et Vultur (2010) ... 48 Figure 2 - Les aspirations/le travail idéal par Mercure et Vultur (2010) ... 50

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X

Remerciements

Dans un premier temps, je souhaite exprimer mes plus sincères remerciements à Charles Fleury qui a dirigé ce projet, pour son soutien, ses conseils et sa disponibilité. Tout au long de ce processus, ses conseils ont été précieux et ses pistes de réflexions enrichissantes. Grâce à son expertise, j’ai été en mesure de progresser continuellement. Il a su éveiller ma curiosité et ses propositions ont été fécondes.

Je tiens également à remercier les entreprises adaptées qui ont accepté de participer à mon projet de recherche. Elles m’ont ouvert les portes de leur entreprise dans une confiance totale. Sans leur contribution, il aurait été impossible de mener à bien ce projet si précieux à mes yeux. Mes remerciements s’adressent plus particulièrement aux directrices et aux travailleuses sociales qui m’ont aidé à la mise sur pied des groupes de discussion. Votre collaboration est inestimable.

Enfin, je ne peux conclure ces remerciements sans prendre le temps de souligner la contribution essentielle des vingt et un participants que j’ai rencontrés dans l’une et l’autre des entreprises. Vous m’avez laissé entrer dans vos vies avec une grande générosité. Vous m’avez fait confiance et grâce à vous, je peux aujourd’hui terminer une étape importante de ma vie.

La réalisation d’un mémoire était pour moi un défi de taille. Un défi, qui n’aurait pu être réalisable sans la contribution de chacun d’entre vous. C’est pourquoi je prends le temps, une dernière fois, de souligner que votre aide m’a permis de dépasser mes attentes, et votre contribution dépasse largement la sphère intellectuelle.

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Introduction

Depuis les années 1970, le gouvernement veille à développer des programmes visant l’intégration sociale des personnes en situation d’handicap. La Loi assurant

l’exercice des droits des personnes handicapées a été adoptée à l’unanimité en 1978,

au Québec. Cette loi vise l’émancipation des personnes en situation de handicap afin qu’elles puissent être des citoyens à part entière dans la société, ce qui veut dire s’y instruire et y travailler. Le gouvernement perçoit le travail comme étant une façon efficace d’augmenter leur participation sociale. En effet, outre sa fonction financière, le travail permet de tisser des relations sociales, de construire son identité, de structurer son temps et de se sentir utile socialement (Linhart, 2002). Cette visée fait d’ailleurs partie de la stratégie pour l’emploi adoptée par l’OCDE en 1994 (OCDE : 2006). Par cette stratégie, l’OCDE désire favoriser l’accès et le maintien en emploi chez certains groupes vivant davantage des situations précaires, notamment les femmes, les personnes âgées et les personnes en situation de handicap.

Ainsi, l’intérêt porté à la situation des personnes handicapées s’enracine dans le fait que le travail occupe une place très importante dans notre société et que l’absence de travail crée un sentiment d’exclusion sociale. C’est pourquoi les réflexions portées à ce sujet voient le travail comme le moyen privilégié d’y remédier. Le gouvernement du Québec a instauré en 2009 la politique à part entière qui a comme fondement juridique la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées1. Cette politique a pour objectif de mettre en action les mesures et les démarches nécessaires afin de favoriser l’intégration sociale des personnes en situation de handicap. Concrètement, les 24 ministères et organismes publics ont pris 63 engagements afin d’atteindre cet objectif d’intégration sociale. Grâce à ces démarches, des entreprises ont vu le jour et permettent aux personnes handicapées d’occuper un emploi. Il s’agit des entreprises

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adaptées du Québec. Depuis 2006, Emploi-Québec contribue à la mise en place et au bon fonctionnement de ces entreprises. Au Québec, on dénombre 42 entreprises adaptées opérant dans 57 places d’affaire, dont 8 sur le territoire de la Capitale-Nationale. L’ensemble de ces 42 entreprises embauchent 3800 travailleurs handicapés. La mission de ces entreprises est d’offrir un emploi utile et de longue durée à des travailleurs handicapés.

L’objectif de ce mémoire est de comprendre la signification du travail chez les travailleurs handicapés embauchés dans les entreprises adaptées du Québec. Plus particulièrement, nous voulons saisir l’ethos du travail de ces travailleurs et vérifier si les ethos du travail identifiés par Mercure et Vultur (2010) dans leur ouvrage : La

signification du travail, nouveau modèle productif et ethos au Québec s’observaient

chez les travailleurs handicapés ou si ceux-ci présentaient des ethos particuliers.

Le présent mémoire est séparé en trois grands chapitres. Le premier chapitre est une mise en contexte de l’objet à l’étude et discute de la question du travail dans les sociétés modernes, de la notion de handicap, des programmes et politiques visant l’intégration sociale des personnes handicapées et des formes d’ethos du travail selon Mercure et Vultur. Le deuxième chapitre présente les objectifs et la méthodologie de notre recherche. Afin d’étudier la signification du travail, nous avons mené une étude qualitative de terrain, où nous avons mené quatre groupes de discussion. Enfin, le troisième chapitre présente l’analyse des résultats. Dans un premier temps, nous présentons une à une les différentes dimensions qui composent l’ethos du travail, à savoir la centralité, la finalité, les aspirations, la satisfaction au travail et le degré d’adhésion aux normes sociétales. Dans un deuxième temps, nous analysons l’ethos du travail des travailleurs handicapés à la lumière de la typologie développée par Mercure et Vultur. Nous cherchons à savoir si les ethos développés par ces derniers s’appliquent à la situation de nos travailleurs handicapés.

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Chapitre 1 – Contexte

Ce premier chapitre est divisé en quatre grands thèmes. Premièrement, la question du travail dans les sociétés modernes est abordée. Nous examinons comment les individus sont socialisés vers une visée collective voulant faire d’eux des êtres productifs. La socialisation est le mode d’intériorisation des normes culturelles valorisant le travail et assurant la cohésion sociale. Nous montrons comment, dans ce contexte, une situation de hors-travail entraîne un sentiment d’exclusion sociale, en raison de l’importance du travail dans notre société.

Le deuxième thème est celui du « handicap ». Nous montrons que cette notion n’existe pas avant la moitié du XXe siècle et que son apparition est intimement liée à la définition des droits sociaux. Suite à la guerre, l’idée de malédiction sur le corps disparaît pour laisser place à l’idée de réadaptation : « réparation collective ». Ayant connu beaucoup de transformations, cette notion est maintenant associée à celle d’invalidité. Rapidement associé à l’idée du travail, le handicap est une construction sociale et culturelle stigmatisant les individus qui s’y rattachent.

Troisièmement, ce chapitre expose les différents programmes et politiques visant l’intégration sociale des personnes handicapées : 1) la politique à part entière, 2) le

contrat d’intégration au travail et 3) le programme de subvention aux entreprises adaptée. Ce chapitre s’intéresse plus particulièrement aux entreprises adaptées qui,

depuis 2006, offrent des emplois à long terme aux personnes vivant avec des limitations fonctionnelles et qui constituent directement le corpus de données de cette étude.

Enfin, ce premier chapitre traite de l’étude récente de Mercure et Vultur : La

signification du travail ; Nouveau modèle productif et ethos du travail au Québec. Cette

étude fait figure de référence, puisqu’elle traite de l’ethos du travail selon la tradition sociologique héritée de Max Weber. De ce fait, cette section présente les résultats qui

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traitent de la finalité, de la centralité, ainsi que sa dimension complémentaire, les aspirations. Nous nous interrogeons notamment sur la pertinence de cette typologie pour saisir l’ethos du travail des travailleurs handicapés.

1. Le travail dans les sociétés modernes 1.1 Une société fondée sur le travail

La question du travail dans les sociétés modernes a intéressé plusieurs sociologues. Plus spécialement, l’interrogation sociologique veut éclairer le paradoxe suivant : « l’autonomie croissante de l’individu débouche sur des interdépendances plus étroites avec les autres membres de la société » (Paugam, 2013 : 32). L’intérêt porté à ce paradoxe est de décortiquer les fondements du lien social (Paugam, 2013). Autrement dit, comment la montée de l’individualisme peut encore permettre une cohésion sociale. Pour certains sociologues, ce serait le travail qui permettrait des liens d’interdépendance entre les individus. La thèse De la division du travail social d’Émile Durkheim est un ouvrage de référence pour comprendre le rôle du travail comme fondement du lien social. De par son concept de solidarité organique, l’auteur analyse « à la fois le processus de différenciation des individus et la cohésion des sociétés modernes » (Paugam, 2013 : 7). Selon ce concept, « l’interdépendance des fonctions […] confère à tous les individus, aussi différents soient-ils, une position sociale précise » (Paugman, 2013 : 9). Ce qui veut dire que notre système social est composé de différents acteurs qui ont tous un rôle différent à jouer, ce qui les rend dépendants les uns des autres.

Dans cette perspective, chaque individu est incité à remplir un rôle utile et reconnu, et ce, par le travail. Par contre, le travail n’a pas toujours été connoté comme nous le connaissons aujourd’hui. Méda soutient qu’il ne s’agit pas d’une catégorie naturelle, mais plutôt construite, ce qui veut dire que le travail n’a pas toujours servi à

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l’intégration sociale et à la réalisation de soi. Notamment, chez les Grecs, le travail était contraire à la dignité humaine. Dans cette société, le travail était connoté négativement, tout comme dans l’Empire romain, où le travail était réservé aux esclaves. Dans ces sociétés esclavagistes, le travail ne permettait pas à l’homme de s’affirmer. Par le travail, il « se nie, son travail n’étant pas volontaire, mais contraint », le travail n’est pas conforme à son essence (Méda, 1998 : 106). Le travail devient un peu plus important, par la suite, dans la société chrétienne. Mais, c’est seulement à la fin du moyen-âge que le travail devient le centre de la mécanique sociale.

Selon Méda, trois étapes ont contribué à la valorisation du travail. Premièrement, la contribution des économistes a relevé que le travail augmente les richesses. Deuxièmement, le travail devient l’essence de l’homme. Il libère l’homme de l’aliénation marchande. Dans cette deuxième étape, l’homme s’est vu atteindre le but que Marx a assigné au travail, soit développer, spiritualiser et humaniser l’humanité. Finalement, le travail devient le centre de la mécanique sociale qui permet aux salariés des gains et un pouvoir de consommation.

Cette valorisation du travail ne s’est pas faite du jour au lendemain. Selon Marx, cette transformation s’est faite en deux étapes. Le développement des forces productives permet graduellement « de se passer (…) du travail humain comme facteur de production et du temps de travail comme mesure de la richesse » (Méda, 1998 : 109). Cela sera possible grâce au développement de l’industrie : « on peut en effet faire remonter aux années 1815-1820 moment où se développe soudainement en France un discours de valorisation du travail, qui s’effectue à travers la notion d’industrie » (Méda, 1998 : 114). Le développement des forces productives au sein de la société capitaliste constitue la base de l’émancipation :

(…) La machine remplace progressivement l’homme et le temps de travail humain n’est plus une bonne mesure de la production de la richesse : « À mesure que la grande industrie se développe, la création de la richesse vraie dépend moins du temps et de la quantité de travail employés que de l’action des facteurs mis en mouvement au cours du travail. Elle dépend plutôt de

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l’état général de la science et du progrès technologique, application de cette science à cette production » (Méda, 1998 : 109).

À la fin de 19e siècle, on aménage le travail au bénéfice des salariés, ce qui a pour effet d’atténuer les facteurs négatifs liés au travail. L’objectif est de rendre supportable sa réalité.

En somme, les progrès technologiques permettent de réduire l’effort humain à son minimum et « cela sera d’un grand profit pour le travail émancipé, et c’est là la condition de son émancipation » (Méda, 1998 : 110). La force et le temps de travail sont réduits, ce qui laisse place à d’autres activités hors-travail. La nature du travail s’est aussi transformée : « il est devenu immatériel et consiste alors en tâches de surveillance générale, de gestion, de contrôle de processus de production, qui seront eux directement assurés par les machines » (Méda, 1998 : 111).

Ce n’est pas toujours le cas, mais désormais, plus que jamais « le travail n’est plus seulement une peine, un sacrifice, une dépense, une « désutilité », mais d’abord une « liberté créatrice », celle par laquelle l’homme peut transformer le monde, l’aménager, le domestiquer, le rendre habitable tout en y imprimant sa marque » (Méda, 2004 17-18). Nous vivons dans une société, au sens d’Habermas, fondée sur le travail et où, comme le soutenait Durkheim, l’intégration des individus passe par son intégration, directe ou indirecte, au monde du travail. Selon Habermas, l’individu serait constamment à la recherche de la reconnaissance réciproque (Dubar, 2010). Le travail est l’une des voies qui permet cette reconnaissance. Aussi, le travail assure une fonction précise à l’individu et, conséquemment, une utilité sociale. Dans les pays occidentaux, la normalité est de travailler (Méda : web). Plus encore « l’obtention d’un emploi stable reste la norme commune (J.-Ch. Lagrée et P. Lew-Fai, 1989 dans Schnapper, 1994 : 21). Autrement dit, « le travail est le fondement de l’ordre social, il détermine largement la place des individus dans la société, il continue d’être le principal moyen

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de subsistance et d’occuper une part essentielle de la vie des individus » (Méda, 2004 : 3).

La question du travail dans les sociétés a fortement intéressé les sociologues qui « ont largement analysé cet aspect du travail qui renvoie à la nature du lien social dans les entreprises et qui conditionne aussi la qualité du lien social dans la société plus largement » (Linhart, 2002 : 20). En effet, nos sociétés capitalistes valorisent fortement la production et tout ce qui s’y rattache : « la production étant devenue le principal objet de nos sociétés développées, le travail ne pouvait échapper à son statut d’activité princeps » (Méda, 2004 : 4). L’individu est amené, par le travail, à développer des buts et son sentiment d’utilité sociale (Bourguignon et Herman, 2005). Ce qui veut dire que « le travail en tant que travail professionnel ou vocation devient le devoir de chacun » (Spurk et Mercure, 2003 : 261). D’autant plus que « la personne devient ainsi le témoin de ses propres capacités et de ses talents. Mais, par-dessus tout, l’emploi définit une position et un statut dans la société. De ce fait, il permet le développement d’une identité sociale » (Bourguignon et Herman, 2005 54).

1.2 Socialiser un homme productif

Dans ce contexte, en sociologie, la trajectoire de vie des individus est préalablement déterminée, ce qui veut dire que l’individu est socialisé. En effet, dès son enfance, il est socialisé afin de se diriger vers un objectif collectif, soit l’intégration au monde du travail. Un individu doit travailler, voire participer au système économique. Ceux qui ne peuvent travailler ne sont pas valorisés par notre société (Spurk et Mercure, 2003 : 261). C’est pourquoi la société se doit « d’instruire les gens » voire même « les contraindre à travailler » (Spurk et Mercure, 2003 : 261). Or, bien que l’individu existe en tant qu’être social, son autonomie serait une illusion subjective (Dubet et Martuccelli, 1996). L’action individuelle serait toujours calculée en fonction des autres individus. Ce qui veut dire que l’individu « est toujours soumis à la collectivité, moulé par elle, incapable de s'en détacher, traversé par la chaleur du

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groupe, par la rigueur des codes et dépourvu d'un espace d'initiative individuelle » (Dubet et Martuccelli, 1996 : 513). Berger et Luckmann (1986) ont défini ce phénomène comme étant « l’autre généralisé ». Ainsi, l’individu possède une identité en fonction des "autres" qui sont significatifs pour lui, soit sa famille et ses groupes de pairs, notamment. De plus, l’individu s’identifie en fonction d’ « une généralité d’autres, c’est-à-dire avec une société » (Berger et Luckmann, 1986 : 182). Dans ce contexte, la socialisation apparaît comme un « processus, un dressage des âmes, un assujettissement des individus, une programmation de la reproduction sociale » (Dubet et Martuccelli, 1996 : 515). Berger et Luckmann définissent la socialisation comme un apprentissage, l’intériorisation d’un monde extérieur objectif qui devient alors subjectivement significatif (Berger et Luckmann, 1986). Pour Rocher, la socialisation c’est :

Le processus par lequel la personne humaine apprend et intériorise tout au cours de sa vie les éléments socioculturels de son milieu, les intègre à la structure de sa personnalité sous l’influence d’expérience et d’agents sociaux significatifs et par là s’adaptent à l’environnement social où elle doit vivre (Rocher, 2012 : 226).

Ces définitions ont toutes un point en commun, l’individu doit intérioriser ce qui est valorisé par son milieu socioculturel. Dans cette perspective, selon Dubar (2010), l’objectif principal du processus de la socialisation est d’intégrer les individus au système économique, activité princeps. Pour être intégré et valorisé en société, un individu doit contribuer au système économique de sa société. Autrement dit « la question de la socialisation se situe exactement entre le travail et l’interaction, soit dans les processus et les systèmes de production » (Dubar, 2010 : 85). D’autre part, Habermas reconnait aussi l’importance de l’interaction et de la production économique dans le processus de socialisation. Premièrement, Habermas explique par l’agir instrumental l’importance accordée au travail dans nos sociétés (Dubar, 2010 : 82). Dans cette perspective, il perçoit le travail comme une finalité. Deuxièmement, par l’agir communicationnel, il met en évidence l’importance de l’interaction entre les individus. Selon lui, la construction de leur identité est façonnée par les pratiques sociales liées au langage, soit par les interactions sociales (Dubar, 2010 : 82). Autrement dit, les actions individuelles sont influencées par les interactions sociales.

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Par l’agir communicationnel, les individus établissent ensemble la conduite à tenir. Enfin, ces deux modes d’action élaborés par Habermas permettent de concevoir comment la socialisation dirige l’individu à intérioriser les valeurs sociales valorisant fortement les idéaux économiques.

Somme toute, la société nous éduque. Concrètement plusieurs processus de socialisation façonnent l’homme contemporain. La famille, les institutions scolaires et le travail sont les principaux agents socialisateurs. En effet, « la famille apparaît comme l’instance de socialisation primaire, la première communauté d’appartenance » (Garner et all, 2006 : 25), relayée par l’école et le travail. D’un premier abord, la socialisation primaire se voit imposée puisque l’enfant « ne choisit ni ses parents ni l’action qu’ils vont avoir sur lui » (Darmon, 2010 : 11). Dans ce contexte, les parents vont imposer « les filtres par lesquels l’individu va ultérieurement percevoir le monde extérieur, et « sélectionner » dans ce qui lui arrive les événements, les personnes ou les perceptions qui ne remettent pas en cause la manière dont ses premières expériences l’ont construit » (Darmon, 2010 : 11). Dans ce contexte, la socialisation primaire influence le devenir de l’enfant puisque les premières expériences vécues sont très significatives (Darmon, 2012).

Bien que les parents soient des agents socialisateurs importants, d’autres acteurs entrent en jeux dans la socialisation primaire. Il s’agit des groupes de pairs, des professionnels de l’enfance et des institutions scolaires (Darmon, 2010). D’ailleurs, la socialisation scolaire joue un rôle très important. Premièrement, elle permet « l’apprentissage des contenus et de compétences qui sont explicitement présentées comme des savoirs scolaires à acquérir » (Darmon, 2010 : 63). Deuxièmement, elle permet l’apprentissage d’un rapport au temps et à l’espace, mais aussi aux usages du corps. Plus particulièrement, il s’agit de la « définition sociale de l’intelligence, de la division du travail, légitimation de l’ordre social à partir des conceptions méritocratiques, mais aussi apprentissage de l’individualité moderne » (Darmon, 2010 : 64). Dans ce contexte, dès l’enfance, l’individu apprend que la société estime très favorablement et

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récompense les individus de par leur investissement personnel dans le travail. Finalement, elle permet à l’enfant d’apprendre la socialisation appelée sentimentale ou culturelle apprise par les pairs, soit les bonnes manières d’agir et les règles sociales (Ibid). Mais, bien que la famille et les institutions scolaires soient au cœur même du processus de socialisation primaire, ce processus ne se réduit pas uniquement à ces deux acteurs. Le processus de socialisation primaire s’est diffusé plus largement dans différents univers sociaux tels que les pratiques éducatives des familles, dans les activités sportives, préscolaires, etc. (Ibid).

Dès lors, on comprend que la socialisation primaire joue un rôle important puisqu’il s’agit des bases auxquelles l’individu se réfère tout au long de sa vie. Par contre, il ne faut pas négliger pour autant la socialisation secondaire. Contrairement à la socialisation primaire, où l’apprentissage se fait dans un milieu chaleureux, la socialisation secondaire est beaucoup plus rigide. Comme le suggère l’appellation de cette socialisation, elle intervient après, elle seconde la socialisation primaire. Darmon (2010) explique que cette socialisation est une reconstruction de l’identité. La socialisation primaire permet à l’individu d’acquérir les connaissances qui font de lui un membre de la société et, pour sa part, la socialisation secondaire « consiste en tout processus postérieur qui permet d’incorporer un individu déjà socialisé dans de nouveaux secteurs du monde objectif de la société » (Darmon, 2010 : 70). Autrement dit, l’individu intériorise des « sous-mondes » institutionnels, tels les entreprises, les institutions publiques, les clubs de sports, etc.

L’individu acquiert par la socialisation secondaire des connaissances spécifiques à son nouveau milieu qui lui permettent de communiquer adéquatement. Or, il s’agit de l’intégration au monde du travail, soit « l’acquisition de connaissances spécifiques de rôles, les rôles étant directement ou indirectement enracinés dans la division du travail » (Berger et Luckmann, 1986 : 189). Berger et Luckmann (1986) font de la « socialisation professionnelle le cœur de la socialisation secondaire » (Darmon, 2010 : 70). En réalité, ces derniers estiment que la socialisation secondaire réfère presque

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toujours à deux domaines, soit « le monde du travail et le monde scolaire comme propédeutique au monde du travail » (Darmon, 2010). L’individu est alors confronté aux connaissances déjà acquises et celles véhiculées par le monde institutionnel. Berger et Luckmann (1986) estiment qu’il émerge un problème, car « la réalité déjà intériorisée a tendance à persister » (Berger et Luckmann, 1986 : 192). Ainsi, le but est de trouver un équilibre.

Dans ce contexte, la socialisation apparaît comme un processus d’équilibre continu par lequel la société extériorise des valeurs et des normes qui sont, ensuite, intériorisées par les individus. Rocher (2012) suggère trois aspects fondamentaux dans ce processus. Premièrement, il s’agit d’un processus d’acquisition par lequel l’individu intériorise sa « culture », soit « des connaissances, des modèles, des valeurs, bref des manières de faire, de penser et de sentir » qui sont spécifiques à la société à laquelle il appartient (Rocher, 2012 : 226-227). Ensuite, cette culture devient partie intégrante de la personnalité psychique (Rocher, 2012). L’individu s’auto-exerce une pression afin d’agir correctement en société. Ce qui fait référence à « l’obligation morale, la règle de la conscience aussi bien que la façon qui parait « naturelle » ou « normale » d’agir, de penser ou de sentir » (Rocher, 2012 : 229). Finalement, ce processus suggère une adaptation de l’individu à son environnement social (Rocher, 2012). L’individu prend sa place, il a acquis la même culture, les mêmes aspirations que les autres et peut communiquer avec eux. C’est ainsi qu’il fait partie du contrat social. Somme toute, « la socialisation apparaît comme une forme de programmation individuelle assurant la reproduction de l'ordre social à travers une harmonisation des pratiques et des positions » (Dubet et Martuccelli, 1996 : 515). Ainsi, la socialisation crée un être social et tisse le lien social. Elle assure donc l'intégration de l'individu ainsi que la cohésion sociale.

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12 1.3 Le travail et ses fonctions

Dans ce contexte, nous avons saisi que la normalité est de travailler : « travailler est une norme, un « fait social total » » et nous intériorisons cette norme sociale (Méda, 2004 : 3). Par le fait même, le travail semble organiser nos vies, outre son rôle économique.

En 1984, Marie Jahoda a écrit un article « Braucht der Mensch die Arbeit? » expliquant « que le travail, outre sa fonction manifeste (apporter un revenu), remplit cinq fonctions indispensables ; « il impose une structure temporelle de la vie ; il crée des contacts sociaux en dehors de la famille ; il donne des buts dépassant la visée propre ; il définit l’identité sociale et il force à l’action » (Méda, 2004 : 31). En effet, la finalité du travail n’est pas uniquement de recevoir un revenu ; il permet aussi à l’individu de se développer personnellement et de se procurer une place dans la société. D’ailleurs, il n’est plus seulement l’activité qui apporte un revenu hebdomadairement. Le travail permet une participation élargie à la vie sociale, comme la consommation de masse, l’accès à un logement et les loisirs par exemple (Castel, 1995).

Le travail permet également d’établir et de garder une position socialement reconnue : « si presque tout le monde est salarié, c’est à partir de la position occupée dans le salariat que se définit l’identité sociale » (Castel, 1995 : 324). Autrement dit, le travail établit une hiérarchie sociale reconnue selon le travail occupé. Certains emplois auront une connotation plus positive que d’autres. Ce qui veut dire que « dans une problématique de l’intégration, la question n’est pas uniquement de procurer une occupation à tous, mais aussi un statut » (Castel, 1995 : 450). Ainsi, le travail est devenu le mécanisme de reconnaissance sociale ; « le travail, et principalement le travail salarié, qui n’est évidemment pas le seul travail socialement utile, mais qui en est devenu la forme dominante » (Castel, 1995 : 452).

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Comme mentionné précédemment, le travail, outre sa fonction principale (apporter un revenu), remplit d’autres fonctions structurantes et importantes dans la vie des individus. Selon Méda (2004), le travail devient « un moyen de se réaliser, de développer ses capacités, que ces attentes soient ou non raisonnables » (Méda, 2004 : 39-40). Par ailleurs, Linhart (2002) explique :

On ne voit pas, en effet, d’autres dimensions sociales susceptibles de remplir cette fonction essentielle que joue l’insertion professionnelle et qui permet à chacun de structurer son temps, de tisser des relations sociales, de définir son identité et de se sentir utile socialement (Linhart, 2002 : 20).

1.3.1 Structurer son temps

D’un premier abord, le travail a une fonction temporelle, il structure le temps des individus. Toutes les activités sociales sont organisées en fonction du temps consacré au travail. Effectivement, « le travail est précisément avant tout une unité de mesure, un cadre d’homogénéisation des efforts, un instrument permettant de rendre les différentes marchandises comparables » (Méda, 2004 : 14). Dans ce contexte, le travail répond à un besoin autre que l’aspect financier, car « il offre une structure temporelle : ses horaires, ses jours de congé et de travail fournissent des repères aux travailleurs » (Bourguignon et Herman, 2005 : 54). L’intégration au travail permet une participation sociale lors des moments qui ne sont pas consacrés, normalement, au travail.

1.3.2 Tisser des relations sociales

Outre le fait que le travail structure le temps, il permet de créer des relations sociales. En effet, le travail permet de tisser des relations au travail, mais aussi à l’extérieur du travail. Schnapper (1994) explique qu’il existe une corrélation entre le fait d’avoir un emploi stable et de tisser des relations stables et de participer aux échanges sociaux. Lazarsfeld (1981) a montré que l’absence de travail avait un impact

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négatif sur les relations sociales, notamment sur les relations conjugales et familiales (Lazarsfeld, 1981).

Ainsi, c’est l’ensemble de la vie sociale qui est affecté par l’absence de travail. Schnapper (1994) a effectivement montré que lorsqu’un individu s’éloigne du marché de l’emploi stable « les relations avec la parentèle et la participation à la vie associative baissent également, ainsi que toutes formes de participation sociale » (Schnapper, 1994 : 32). Bref, le fait d’avoir un emploi stable permet de tisser des relations stables et de participer socialement.

1.3.3 Construire son identité

Tandis que certains estiment que la famille est un facteur important de réalisation personnelle, il semblerait que le travail peut aussi être une avenue possible. En effet, comme nous l’avons vu précédemment, la socialisation concerne deux grands pôles, soit la famille et le monde du travail. Chez certains auteurs, le travail est la voie essentielle de construction identitaire. Selon Chantale Nicole-Drancourt (1991), il semblerait que « plus que jamais l’identité sociale passe par l’identité professionnelle » (Tirée dans Schnapper, 1994 : 21). Le travail donne un rôle et un statut social à l’individu qui lui permet d’être reconnu par ses pairs. En effet, « le travail continue à fixer l’individu dans la structure sociale et son rapport à la société et aux autres, à définir son identité sociale et personnelle » (Schnapper, 1994 : 249). Par le fait même, une situation de licenciement « remet en cause une identité et hypothèque un équilibre, extrêmement précieux, entre vie hors travail et vie au travail, où tout fait sens réciproquement et où la part qu’on prend comme membre » (Linhart, 2002 : 20-21). Ainsi, la construction identitaire est liée, en partie, au travail. Par le travail, un individu construit une partie de son identité.

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15 1.3.4 Sentiment d'utilité sociale

Enfin, dans un contexte où le travail agit en tant qu'intégrateur social, ce dernier donne à l’individu un fort sentiment d’utilité sociale. L’individu acquiert un statut social, qui lui attribue une place en société. Il est donc utile socialement, la place qu’il occupe est importante, car le rôle de chaque individu dépend des uns et des autres. D’ailleurs, Linhart (2002) explique également que le travail permet de développer un sentiment de solidarité, en plus de celui d’utilité sociale :

Ces valeurs, cette culture produite par des salariés dans leur expérience commune d’un même travail, d’un même sort salarial s’expérimente à travers des formes diverses de solidarité, de sociabilité et de convivialité. Elles sont relayées individuellement par le sens que chacun apporte à ce qu’il fait, le sentiment d’utilité sociale qu’il en retire (Linhart, 2002 : 19).

En somme, le travail structure les différentes sphères de vie des individus. D’une part, « c’est le travail et ses exigences qui continuent à assurer la dignité des individus et à entretenir l’essentiel des échanges sociaux » (Schnapper, 1994 : 21). En effet, un individu qui occupe un emploi sera davantage intégré et accepté socialement que ceux qui sont dans une situation de hors-travail. Ce dernier aura plus de facilité à créer et à conserver ses relations sociales. Le travail permet également de construire son identité, de développer ses capacités et par le fait même d’être utile socialement. Autrement, « la privation d’emploi a des effets destructeurs tant sur le bien-être psychologique (Banks/Jackson, 1982) que sur la santé physique » (Kasl et al., 1975) (Tiré dans Bourguignon et Herman, 2005 : 54). Dans cette perspective, Herman (1999) explique qu’une situation de non travail est une expérience difficilement vécue par les individus (Tiré dans Bourguignon et Herman, 2005 : 54). Selon Méda (2004), lorsque les individus sont dans une situation de non-emploi, les effets se font sentir dans la communauté, car « les liens se distendent, les hommes et les femmes se retrouvent désœuvrés au sens propre, c’est bien que le travail est l’activité princeps, celle qui définit l’identité individuelle et collective au plus haut point » (Méda, 2004 : 31). En résumé :

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Tous les individus ont besoin du travail pour trouver leur place dans la société et structurer leur identité, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, et leur rapport au travail se situe dans une ambivalence dont l’intensité varie à ses extrêmes : c’est le travail qui donne un sens, une valeur au temps libre, et on ne peut s’en passer ; et c’est le travail qui « dévore la vie », qui préoccupe, qui fatigue et qui ne laisse pas assez de temps pour autre chose (Linhart, 2002 : 23).

1.4 L’absence de travail : un sentiment d’exclusion sociale

L’absence de travail crée un sentiment d’exclusion sociale. En effet, ce sentiment d’être en dehors du contrat social s'explique par le fait que le travail occupe une place très importante dans notre société. Comme nous l’avons vu dans ce chapitre, l’individu est socialisé dès son enfance afin d’adhérer aux normes et aux valeurs collectives voulant faire de lui un homme productif. Nous avons également compris que le lien social, ensemble des relations qu’entretiennent les individus entre eux, découle de cette socialisation. Le fondement du lien social de notre société s’enracine dans cette idée naturalisée du travail. En effet, le travail occupe une place centrale.

Mais qu’arrive-t-il lorsqu’un individu n’adhère pas aux valeurs déployées par notre société ? Ces individus sont dans une position d’exclusion sociale. La signification dépréciative donnée à cette position est expliquée par celle très positive attribuée au travail (Schnapper, 1994). Dans cette perspective, à l’opposé du concept de l’intégration, existe, celui de l’exclusion sociale :

Processus par lequel l’individu se détache du lien social et se considère comme ne faisant plus partie de la société. On observe généralement une accumulation de handicaps pour l’individu comme la perte de son travail, de son logement, de ses liens sentimentaux (Studyrama, 2010).

De son côté, Robert Castel utilise plutôt le concept de désaffiliation sociale. Un individu en situation de désaffiliation s’explique par « un double processus de décrochage : par rapport au travail et par rapport à l’insertion relationnelle » (Castel, 1994 : 13). Lorsque ces deux valeurs sont jumelées, il est possible d’obtenir trois zones illustrant l’intégration jusqu’à la désaffiliation.

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Tableau 1 - Le concept de désaffiliation sociale chez Robert Castel

La zone d’intégration reflète un travail stable et une forte implication relationnelle. Selon Castel, un travail et une implication relationnelle stable « vont souvent de pair » (Castel, 1994 : 13). Ensuite, la zone de vulnérabilité veut un travail précaire et des relations fragilisées. Enfin, la zone de désaffiliation illustre un « double décrochage : absence de travail et isolement relationnel » (Castel, 1994 : 13). De toute évidence, le phénomène de désaffiliation doit être analysé dans sa complexité. Il s’agit de l’imbrication de plusieurs éléments, mais selon Castel (1994), le travail est le principal garant de ce phénomène. En effet, par la dynamique du processus de désaffiliation sociale, il montre comment l’intégration sociale d’un individu dépend de son intégration au travail et comment le travail a un impact sur la qualité des relations interpersonnelles. Or, « la précarité du travail ou le chômage, et la faiblesse des réseaux relationnels sont souvent associés et accroissent d’autant les risques de basculer de la vulnérabilité dans la désaffiliation » (Castel, 1994 : 20). De plus, les frontières de ces différentes zones sont poreuses (Castel, 1994). Autrement dit, un individu peut passer d’une zone à l’autre à différent moment de sa vie. L’appartenance à une zone n’est pas forcément définitive.

Dans ce contexte, le travail apparaît comme un moyen d’intégrer socialement les personnes en situation d’exclusion sociale. En effet, dans notre société, le travail est la forme d’intégration sociale que l’on privilégie (Bourguignon et Herman, 2005 : 53). Comme nous le verrons dans le chapitre trois, le gouvernement manifeste un vif intérêt afin d’augmenter la participation sociale des personnes en situation d’handicap. L’intégration au travail est l’un des moyens utilisés. De plus, ce sont les individus dans

Zone

d'intégration

Zone de

vulnérabilité

Zone de

désaffiliation

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une situation d’emploi moins favorable qui semblent accorder une valeur plus importante au travail. À ce sujet, Beaudelot et Gollac (1997) expliquent que :

Ce sont les catégories dont les conditions de travail sont les plus pénibles, les rémunérations les plus faibles et les risques de chômage les plus forts qui font du travail l’une des conditions essentielles du bonheur (…) Les chômeurs et les salariés à emploi temporaire avancent beaucoup plus souvent le travail comme une condition du bonheur que les titulaires d’emplois stables (Garner et all, 2006 : 29).

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19 2. Handicap et normalisation

Ici, nous nous intéressons à la définition du handicap. D’une part, nous analyserons les transformations que cette notion a connues, pour ensuite comprendre comment le handicap est désormais défini. Enfin, nous examinerons comment la société valorise l’homme productif et discrimine par le fait même, les personnes vivant avec une incapacité.

2.1 Histoire de la notion handicap

Tout d’abord, on peut se questionner à savoir quand émerge cette notion de handicap et depuis quand elle symbolise ce que l’on connait aujourd’hui. Dans les faits, cette notion est récente : « les travaux d’histoire relatifs à ce que l’on nomme le handicap, avec les exigences de scientificité d’aujourd’hui, n’existent guère avant la moitié du XXe siècle » (Sticker, 2013 : p17). Son apparition est intimement liée au contexte social de l’époque, soit l’apparition de l’État providence. En effet, l’émergence du « handicap » est liée à la définition des droits sociaux :

Suite au phénomène des accidents du travail à la fin du 19e siècle (dans un contexte d’industrialisation), puis à la Première Guerre mondiale (dont de nombreux soldats reviennent mutilés), le dommage, qui se traduit par une incapacité de travail, est interprété comme le résultat d’une activité collective (l’activité industrielle ou la défense de la patrie) (Winance, 2008 : 378).

Les personnes en situation de handicap causé entre autres par des accidents de travail ou par la guerre ont droit à une « réparation collective » (Winance, 2008). Au départ, cette réparation prend la forme d’une indemnisation et à la suite de la « Première Guerre mondiale et à la pénurie de travailleurs qui en résulte, une évolution s’opère. Réparer, c’est aussi compenser l’incapacité via la prothèse et les pratiques de réadaptation, pour permettre la réintégration du mutilé de guerre dans le monde du travail » (Winance, 2008 : 378). Ce processus de réadaptation veut que l’individu s’identifie à la « norme sociale de l’homme valide : travailler, être indépendant

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économiquement, avoir une famille » (Ibid). Dans ce contexte, le handicap peut avoir des conséquences collectives, celle de la prise en charge. La société ne veut pas prendre en charge ces handicapés, elle veut plutôt les rendre autonomes afin qu’ils ne deviennent pas un fardeau social.

À l’époque du siècle des Lumières, on s’intéresse à la question de l’éducation. Diderot explique que « tous les esprits se valent si on les éduque » (Stiker tirée dans Filsantéjeunes : web). Graduellement, on prend en charge l’apprentissage des sourds, des aveugles et on perçoit désormais les "infirmes" comme curables (Ibid). De cette façon, les infirmes commencent à se détacher de l’idée de malédiction attribuée au corps handicapé. Plus tard, avec l’avènement de l’État-providence, le terme « handicap » se substitue tranquillement aux termes autrefois utilisés : infirme, mutilé, idiot, débile, etc. Cette évolution est majoritairement attribuable aux professionnels spécialisés tels les médecins (Hamonet, 2006). La volonté première était d’éviter les mots à caractère péjoratif. En effet, selon Sticker l’infirmité était perçue comme une malédiction sur le corps. C’est au début du XXe siècle, que la perception envers cette catégorie change puisqu’on réalise « que le corps peut être accidenté par le travail (lié à l’industrialisation) et par la guerre, donc par la société » (Sticker : 2013). Ce qui veut dire que « le corps infirme n’est plus le résultat d’une faute, d’une volonté divine, mais il devient abîmé, blessé par les mécanismes de la société » (Ibid). À l’arrivé de la modernité, la société veut catégoriser les individus : le normal et le pathologique, le travailleur et l’inapte. Ainsi, des espaces sont réservés pour ces "déviants", car « l’infirme constitue une menace pour l’ordre établi » (Ibid). Les personnes handicapées sont dorénavant un groupe socialement reconnu.

En effet, dans les années 1970, le terme handicap « s’impose comme catégorie unifiant l’ensemble des personnes atteintes d’une déficience, quelle que soit sa nature et son origine » (Winance, 2008 : 378). Selon Robert Murphy « les handicapés à long terme ne sont ni malades, ni en bonne santé, ni vivants, ni morts, ni en dedans de la société, ni pleinement à l’intérieur » (Hamonet, 2006 : 3). Cette catégorie homogène a encore

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une connotation péjorative. Par contre, il ne s’agit plus d’une interprétation envers les malformations du corps. Le terme handicapé est désormais interprété, par l’ensemble des individus, comme « l’écart à la norme sociale (celle de "l’homme moyen valide"), elle-même définie en termes de performances sociales, écart provoqué par la possession d’une déficience » (Winance, 2008 : 378).

Depuis son émergence, la notion de handicap s’est transformée et connait aujourd’hui de nouvelles significations. Selon Albrecht (2001), « la singularité des disability studies, champ intellectuel influencé par le "modèle social du handicap" est d’avoir amené un changement de paradigme qui renouvelle radicalement les approches conceptuelles antérieures » (Albrecht, 2001 : 54). Avant les années 1970, la définition du handicap correspondait étroitement à celle donnée à l’infirmité, définissant une caractéristique intrinsèque à l’individu, indépendante de son environnement social. L’infirmité renvoie à l’«altération définitive d'une fonction de l'organisme, d'origine congénitale ou acquise » ou à l’ « imperfection ou faiblesse intéressant l'intelligence » (Larousse : Web).

Mais, depuis les années quatre-vingt, on utilise davantage la notion de situation de

handicap. Cette transformation veut que ce soit la société et non la biologie qui crée le

handicap (Masson, 2012). Ainsi, il est intéressant de remarquer un déplacement dans la conceptualisation même du handicap. L’aboutissement de cette transformation conduit à considérer les causalités sociales (Winance, 2008). Jadis, le handicap était identifié comme étant une partie intégrante de la personne elle-même. Or, actuellement, « le handicap n'est plus considéré comme étant une partie intrinsèque à la personne elle-même, mais le résultat d'une interaction entre des facteurs environnementaux (architecturaux, culturels, sociaux) et des facteurs individuels » (Winance, 2004 : 202). Ce changement de paradigme veut que le handicap soit désormais compris comme :

Tout ce qui impose des restrictions aux personnes handicapées des préjugés individuels à la discrimination institutionnelle, des bâtiments publics inaccessibles aux moyens de transport inutilisables, de l'éducation ségrégative aux dispositions de travail qui excluent... En outre, les conséquences de cet échec ne tombent pas simplement et par hasard sur des individus, mais de façon systématique sur les

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personnes handicapées comme groupe, qui fait l'expérience de cet échec comme une discrimination institutionnalisée dans toute la société (Oliver, 1996 : 33 tiré dans Albrecht : 2001).

En somme, il ne s’agit plus de considérer le handicap comme une « imperfection apparente dans la constitution physique ou mentale d'un individu, signifiant un défaut de fonctionnement physique, mental ou psychique », mais plutôt de rendre compte des difficultés rencontrées par les personnes handicapées dans la société (Priestley, 1998 tiré dans Albrecht, 2001 : 55). Ce qui veut dire que le nouveau paradigme veut désormais se centrer « sur l'environnement physique et les barrières socialement construites comme l'exclusion, l'inaccessibilité, les préjugés et la discrimination » (Ibid)

.

Ce nouveau paradigme met en évidence une distinction intéressante entre les disability

studies et les sciences de la réadaptation. Alors que les disability studies veulent un

« universal design pour penser un environnement accessible à tous[…] les sciences de la réadaptation sont centrées sur les déficiences et le corps, mettant l'accent sur la kinésithérapie, l'ergothérapie, et les aides techniques » (Albrecht, 2001 : 55-56). D’un côté, on désire une adaptation de la part de la société, et de l’autre, de l’individu.

Bref, les théoriciens du handicap interprètent dorénavant le handicap comme un désavantage qui se traduit comme « l'imbrication de deux éléments : l'un relevant de la situation de la personne, l'autre, de son environnement » (Solano, 2013 : 8). Bien que certains individus aient des déficiences, ce serait la situation dans laquelle l'individu se trouve qui créerait le handicap. Ainsi, le modèle social (notamment les disability studies) interprète la notion de handicap comme étant construite culturellement. Dans ce contexte, les attentes des personnes handicapées évoluent également. En effet, « elles revendiquent le droit de participer à la vie sociale et de contrôler leur vie, elles contestent les pratiques et les politiques existantes qui les excluent au lieu de les inclure et font d’elles des sujets passifs soumis à la décision des professionnels » (Winance, 2008 : 379).

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2.2 Qu’est-ce qu’une personne handicapée ?

L’appellation personne handicapée est interprétée au sens commun comme une personne invalide. Selon le dictionnaire Larousse, l’invalide est celui « dont la capacité de travail est réduite au moins des deux tiers » (Larousse : web). En effet, pour le sens commun, il s’agit d’une personne qui possède une déficience et qui est donc dans l’impossibilité d’occuper un emploi. La déficience peut être physique ou intellectuelle. Dans ce contexte, la notion de handicap désigne « un écart (un déficit) par rapport à une norme d'intégration sociale, écart provoqué par la possession d'une déficience » (Winance, 2004 : 202). Une personne handicapée possède une ou des déficiences, l’éloignant de la normalité, ce qui a pour effet de provoquer son exclusion sociale.

Cette définition contemporaine d’une personne handicapée se rapproche de celle donnée par Erving Goffman du stigmate. Pour Goffman, le stigmate est une ou des « situation(s) de l’individu que quelque chose disqualifie et empêche d’être pleinement accepté par la société » (Goffman, 1975). Dans cette perspective, le stigmatisé possède un attribut qui le différencie des autres. Mais, Goffman insiste sur un point. Le stigmate est une situation de non-conformité. Autrement dit, l’individu « possède un stigmate, une différence fâcheuse d’avec ce à quoi nous nous attendions », ce qui le place dans une situation différente de celle des autres (Goffman, 1975 : 15). Dans ce contexte, les attributs corporels et psychologiques que possèdent les personnes handicapées sont des stigmates puisqu’ils sont interprétés comme étant un écart à la norme sociale. Le concept du stigmate est encore, de nos jours, utilisé pour étudier le phénomène de l’exclusion sociale et « il fait référence à tout attribut amenant une personne à être profondément discréditée, la réduisant dans notre esprit à un tout infecté. Toute personne stigmatisée se voit dévaluée, spoliée et surtout imparfaite aux yeux des autres (Jones et al., 1984) » (Bourguignon et Herman, 2005 : 55). Manifestement, les personnes handicapées possèdent, bien malgré elles, un stigmate qui « leur a été imposé par la société qui répand à leur propos une image peu enviable » (Bourguignon et Herman, 2005 : 55-56).

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Selon la loi québécoise sur l'exercice des droits des personnes handicapées en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale, une personne handicapée se définit comme « toute personne ayant une déficience entraînant une incapacité significative et persistante et qui est sujette à rencontrer des obstacles dans l'accomplissement d'activités courantes » (OPHQ : web). Selon cette loi, la déficience est définie comme « toute perte ou altération d'une fonction psychologique, physique ou anatomique » et l’incapacité comme « une réduction de la possibilité intrinsèque pour une personne d’exécuter une activité physique ou mentale » (OPHQ : web). Dans cette perspective, le handicap se traduit comme une caractéristique propre à l’individu.

La conception du réseau internationale du Processus de production du handicap (PPH)2 est tout autre. Le handicap est conçu ici comme le résultat de l'interaction entre l'individu et son environnement (Exaequo : web). Il s’agit d’un processus « qui permet d’expliquer comment une personne ayant des limitations fonctionnelles devient une personne handicapée » (Exaequo : web). Bref, le handicap renvoie ici aux situations de désavantage qui résultent d'une déficience et d'une incapacité et est le fruit des rapports sociaux.

Ces deux perspectives explicatives du handicap s’avèrent complémentaires. Bien qu’au plan physiologique, un individu peut avoir certaines limitations, c’est au plan social que sont interprétées les déficiences. Selon le PPH, une personne peut être en situation de handicap seulement dans quelques domaines de sa vie en raison de l’environnement social : « une personne peut donc être en situation de participation sociale3 dans un domaine de sa vie, les loisirs par exemple, mais en situation de handicap au travail en raison d’un environnement mal adapté » (OPHQ : web).

2 Modèle issu du Réseau international sur le Processus de production du handicap (RIPPH).

3 Par participation sociale, l’individu est en mesure d’effectuer ses actions selon « ce que tous peuvent

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Inspirés par le modèle de la maladie développé par l’OMS4, le handicap se décompose en trois dimensions : la déficience, l’incapacité et le désavantage (Winance, 2008 : 383). L’intérêt est orienté vers "l’handicapé" en société, plutôt qu’au handicap comme maladie (Winance, 2008). Dans ce contexte, le handicap « ne s’analyse plus comme un processus causal autonome, mais comme touchant une personne, considérée comme un être social » (Winance, 2008 : 384).

Schématiquement, on peut comprendre que le handicap est d’un premier abord, interne et autonome, puis devient objectif pour terminer en phénomène social (Winance, 2008 : 385). Au départ, le handicap est « un processus causal interne et autonome par rapport à l’individu : la maladie transforme son corps, ensemble de structures et d’organes, sans que ce processus ne soit perceptible ni signifiant pour l’individu » (Ibid). Ensuite, le handicap devient extériorisé lorsqu’il est perceptible par des manifestations, soit par l’individu ou par ceux qui le côtoient : « l’individu prend conscience de sa maladie à travers ses manifestations, définies en termes d’anomalies et de troubles des organes ou des fonctions » (Ibid). Mais, bien que l’individu soit conscient de sa situation, le diagnostic relève des professionnels de la santé « qui grâce à leurs connaissances, peuvent évaluer l’écart à la norme comme déficience » (Winance, 2008 : 386). D’autre part, l’objectivation de la maladie est la réduction dans la capacité d’action ou autrement dit « la maladie se traduit par une diminution de sa performance et de ses activités normales (Winance, 2008 : 387). Ce qui veut dire que l’incapacité « réfère à un écart à une norme définie en termes d’actions et de performances fonctionnelles ordinaires et moyennes, celles que chacun "normalement" possède » (Ibid). Finalement, le désavantage est le résultat du handicap comme un processus social (Winance, 2008 : 388). Selon une approche sociologique de la maladie, le désavantage renvoie « au processus de socialisation de la maladie : à l’impact de la maladie pour la personne en tant qu’être social et à la traduction de la maladie en problème social » (Winance, 2008 : 388).

4 (Winance, 2008 : 384)

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Tableau 2 - Processus de socialisation de la maladie

Source : (OMS, 1993 : 26 tiré dans Winance : 2008).

Concrètement, ce schéma veut mettre en lumière que l’imbrication de la maladie et de son environnement a pour résultat le handicap ou plutôt les situations de handicap qui se traduisent comme un désavantage social pour les personnes concernées. En effet,

Claudine Herzlich s’est intéressée à la sociologie médicale et selon elle « le contexte social est apparu aussi important pour prédire le comportement d’un individu que la nature ou la gravité de son état » (Herzlich, 1984 : 194). Ce qui veut dire que les corps existent individuellement, mais aussi collectivement, car « on est malade ou bien portant pour soi, mais aussi pour la société et en fonction de la société » (Herzlich, 2005 : 13). Ce désavantage social « limite ou interdit l’accomplissement d’un rôle normal (en rapport avec l’âge, le sexe, les facteurs sociaux et culturels) » chez la personne handicapée (Winance, 2008 : 389). L’impossibilité pour ces derniers d’accomplir un rôle normal entraîne un jugement collectif face à « cet écart comme étant négatif et dévalorisant pour la personne » (Ibid).

Maladie ou trouble (Situation intrinsèque) Déficience (extériorisé) Incapacité (objectivisée) Désavantage (socialisée)

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27 2.3 Une construction sociale

En lien avec ce qui a été expliqué, nous aborderons le handicap comme un construit social. Nous nous questionnerons à savoir qu’est-ce qu’un rôle social qui relève du normal et comment cette normalité façonne et contraint les personnes invalides aux yeux de notre société.

La définition du handicap comme écart à une norme sociale « débouche sur un processus de normalisation comme alignement des identités sur le "normal" » (Winance, 2004 : 202). Cela se façonne « à travers une relation ambivalente, qui se concrétise, dans les institutions et les interactions, par une mise à l'écart implicite ou explicite » (Ibid). Autrement dit, la notion handicap est une construction sociale qui trouve son fondement dans les pratiques institutionnelles et sociales. Henri-Jacques Sticker estime qu’ « il n’y a pas de "handicap", de "handicapés" en dehors de structurations sociales et culturelles précises ; il n’y a pas d’attitude vis-à-vis du handicap en dehors d’une série de références et de structures sociétaires (Sticker, 2013 : 14). En outre, « le "handicap" n’a pas toujours été vu de la même manière » (Ibid). Bref, le handicap doit être étudié comme un fait social, au sens où il s’agit d’une construction sociétale qui émerge des pratiques et des discours.

Ce qui est décrit comme capacité – corps valide – change selon la société et l'époque. Cette interprétation de certains critères corporels comme normaux et anormaux a pour effet d'établir des significations sociales. Garland-Thomson a établi un système de hiérarchisation et de différenciation sociale. Ce système met en lumière « une distribution inégale des ressources, des statuts et du pouvoir dans un environnement social et architectural biaisé » (Garland-Thomson, 2002 : 17). Par conséquent, ce système social joue en faveur des personnes dont le corps est conforme aux standards de normativité – ceux répondant à la définition du corps capable. Garland-Thomson explique par son système que notre système social place en situation d’exclusion les individus dont les caractéristiques corporelles se dissocient de la norme sociale.

Figure

Tableau 1 - Le concept de désaffiliation sociale chez Robert Castel
Tableau 2 - Processus de socialisation de la maladie
Figure 1 - La finalité du travail par Mercure et Vultur (2010)
Figure 2 - Les aspirations/le travail idéal par Mercure et Vultur (2010)
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Références

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