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L'état de santé et les pertes de l'enfance des personnes en processus d'alphabétisation vus à travers une perspective de la psychologie tout au long de la vie (life span)

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CAROLINE BOUCHER

L’ÉTAT DE SANTÉ ET LES PERTES DE L’ENFANCE DES PERSONNES

EN PROCESSUS D’ALPHABÉTISATION VUS À TRAVERS UNE PERSPECTIVE

DE LA PSYCHOLOGIE TOUT AU LONG DE LA VΠ(LIFE SPAN)

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures de !'Université Laval

pour l'obtention

du grade de maître en psychologie (M. Ps.)

Département de psychologie FACULTÉ DES SCIENCES SOCIALES

UNIVERSITÉ LAVAL

AOÛT 1999

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La présente étude compare l’état de santé physique et mentale des personnes en processus d’alphabétisation (n = 360) avec celui de la population générale du Québec (n = 23 564). La prévalence de chacun des stresseurs survenus au cours de l’enfance (la perte de la mère, la perte du père, la séparation des parents et le placement en famille d’accueil) est également comparée pour ces deux populations. Enfin, pour les personnes en processus d’alphabétisation, on examine, parmi ces quatre événements graves survenus avant l’âge de 12 ans, lequel est le plus fortement associé aux indices de santé. Des sections du questionnaire de l’enquête sanitaire de Santé Québec effectuée en 1992-1993 sur la perception de la santé, la détresse psychologique, les idéations suicidaires et les parasuicides sont utilisées. L’échantillon des personnes en processus d’alphabétisation est comparé à la population générale du Québec en tenant compte des divers niveaux de scolarisation grâce aux données provenant de l'enquête sociale de santé de Santé Québec de 1992-1993. Les analyses statistiques ont été menées après fusion des données de l’étude et celles de Santé Québec de 1992-1993. Les résultats démontrent que, comparativement à l’état de santé de la population québécoise, l’état de santé physique et mentale des personnes en processus d’alphabétisation est déficient. Les différences persistent lorsque la population à l’étude est comparée aux personnes faiblement scolarisées et à faible revenu. De plus, il est démontré que les personnes analphabètes ont vécu davantage d’événements graves avant l’âge de 12 ans. Ces pertes sont reconnues déstabilisantes pour un enfant et pourraient expliquer une partie des difficultés d’apprentissage rencontrées durant leur enfance et leur faible niveau d’alphabétisme à l’âge adulte. Les résultats ont permis de déceler que, pour les personnes en processus d’alphabétisation, la perte de la mère avant l’âge de 12 ans est associée à une moins bonne perception de la santé globale et à la détresse psychologique sévère. Le placement en famille d’accueil, au cours de la même période, est inversement associé à la perception de la santé globale.

Marguerite Lavallée, PhD. Directrice de recherche 1e (Boucher,

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J’aimerais d’abord remercier Richard Boyer, le codirecteur de ce mémoire de maîtrise. C’est avec lui que j’ai fait mes premières armes en recherche, il y a 5 ans déjà. Il a démystifié la recherche en la simplifiant et surtout en me transmettant l’amour qu’il lui porte. Avant de le côtoyer, la profane que j’étais portait un jugement plutôt défavorable sur ce volet de la psychologie. Plus maintenant. J’aimerais également le remercier de la confiance qu’il m’a accordée pour l’élaboration et la coordination du projet. Il a toujours fait preuve d’une grande disponibilité et, à partir d’une question que je me posais, il a su en faire jaillir mille autres. Et même si nos raisonnements n’empruntaient pas toujours le même chemin, nous arrivions tout de même souvent à la même conclusion...

Marguerite Lavallée, la directrice de ce mémoire de maîtrise, a également joué un rôle déterminant dans 1 ’accomplissement de ce long travail. Elle m’a aidée à préciser ma pensée, a su bien me guider quant à l’élaboration du cadre théorique et ses suggestions se sont souvent avérées pertinentes. De plus, elle a toujours eu un bon mot pour m’encourager lors des moments difficiles. J’aimerais également souligner le soutien et le respect que Richard et Margot ont eu à mon égard tout au long de ma grossesse et après celle-ci. Ils ont compris les nombreux délais et les chamboulements que peut provoquer la venue d’un enfant, tout comme les grandes joies qui l’accompagnent.

Claude Lamarre a contribué à l’aspect visuel et à la mise en page des cahiers réponses comprenant les pictogrammes. «Je te jure, Claude, que c’est la dernière fois... » Il m’a également aidée à manipuler les données de Santé Québec. Et tout comme Claude, Serge Robitaille m’a toujours gentiment offert un excellent soutien technique. Merci Claude, merci Serge!

Je tiens également à remercier Nicole Lachapelle, coordonnatrice du Regroupement des groupes populaires d’alphabétisation du Québec (RGPAQ) pour ses judicieux conseils et pour l’audace dont elle a fait preuve en acceptant de participer à l’élaboration d’un projet de

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excellent lien entre les deux communautés qui, trop souvent, vivent dans deux sphères complètement séparées. Merci également aux groupes populaires d’alphabétisation qui m’ont aidée à mieux comprendre la réalité des personnes en processus d’alphabétisation et les difficultés qui en découlent, et qui ont si bien préparé le terrain que les participants ont eu envie de nous rencontrer. Merci aussi aux participants qui ont bien voulu prendre de leur temps pour partager leurs expériences de vie, souvent douloureuses, et sans qui cette étude n’aurait pas été possible.

Merci à Eric, mon amour et mon ami, qui a vécu avec moi les hauts et les bas des études avancées. Merci de ta patience, de ton soutien et d’avoir cru en moi tout au long de ce que je croyais être l’œuvre de ma vie... Tu as gentiment supporté les sautes d’humeur qui accompagnent souvent la rédaction d’un si long travail et tu m’as fait rire dans les moments où je perdais presque mon sens de l’humour. Ce n’est pas peu dire. Oui, Eric, « nos » études en psychologie sont bel et bien terminées! Je ne peux oublier ma fille Maxime à qui je dédie ce mémoire. À son insu, par ses sourires, ses yeux moqueurs, son langage d’ange, elle m’a apporté la sérénité et m’a ramenée à l’essentiel de la vie, au bonheur simple que celle-ci nous procure dans la mesure où l’on prend le temps de s’arrêter. Elle m’a fait redécouvrir tout un monde que j’avais délaissé parce que trop pressée. J’ai également eu la chance d'être aidée financièrement par ma mère. Elle m'a aussi encouragée; par son regard maternel tout à fait objectif (!!!), elle est convaincue queje suis la meilleure... Dans les moments où l’on pense qu’abandonner est la meilleure solution, c’est bon d’y croire!

Enfin, il importe de mentionner que cette recherche a été réalisée grâce à une subvention du Secrétariat national d’alphabétisation. Par ailleurs, je remercie la Fondation du Prêt d’honneur qui m’a décerné une bourse d’excellence.

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TABLE DES MATIÈRES

Page RÉSUMÉ...

AVANT-PROPOS... i

TABLE DES MATIÈRES... iii

LISTE DES TABLEAUX, DES FIGURES, DES ILLUSTRATIONS, DES SYMBOLES . ...v

INTRODUCTION GÉNÉRALE...vi

CHAPITRE I LA RECENSION DES ÉCRITS 1.1. La psychologie du développement tout au long de la vie...2

1.2. Les événements stressants survenus au cours de T enfance... 6

1.3. La pertinence sociosanitaire d’une étude auprès de personnes analphabètes... 9

1.4. La pauvreté... 12

1.5. Les effets directs et indirects d’un faible niveau d'alphabétisme sur la santé... 12

1.5.1. Les effets directs...13

1.5.2. Les effets indirects... 14

CHAPITRE II L’ÉTAT DE SANTÉ ET LES PERTES DE L’ENFANCE DES PERSONNES EN PROCESSUS D’ALPHABÉTISATION VUS À TRAVERS UNE PERSPECTIVE DE LA PSYCHOLOGIE TOUT AU LONG DE LA VIE

{LIFE SPAN)

2.1. Les liens entre le faible niveau de scolarité et la santé... 17

2.2. Les pertes de l’enfance vues à travers une perspective de la psychologie tout au long de la vie (life span)... 18

2.3. La méthode... 19

2.3.1. La population de références et !’échantillonnage... 19

2.3.2. Les procédures... 20

2.3.3. Les instruments de mesure... 21

2.4. Les résultats... 23

2.4.1. Les caractéristiques sociodémographiques de !'échantillon... 23

2.4.2. La comparaison de l’état de santé...23

(6)

2.5. La discussion... 26

2.6. Références... 35

BIBLIOGRAPHIE... 45

ANNEXE A...56

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TABLEAU 1 :

Comparaison de l’état de santé des personnes en processus d’alphabétisation avec celui des personnes favorisées de la population générale...41

TABLEAU 2 :

Comparaison de l’état de santé des personnes en processus d’alphabétisation avec celui des personnes défavorisées de la population générale... 42 TABLEAU 3 :

Association entre les quatre pertes de l’enfance vécues par les personnes en processus d’alphabétisation et les indices de santé... 43

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Les pays industrialisés comme le Canada ne sont pas à l'abri du problème de !analphabétisme, et ce, même si les mesures d’instruction obligatoire sont apparues dans les années 40. À partir des résultats de la dernière enquête réalisée par Statistique Canada en 1996, 28

%

de la population adulte du Québec avait besoin d’aide pour lire et écrire. Cette proportion, contestée par le ministère de l’Éducation, a été ajustée à 21 % par le Bureau de la statistique du Québec (1996). De 900 000 personnes aux prises avec des difficultés de lecture et d’écriture en 1990 (Statistique Canada, 1991), il y en aurait aujourd’hui au moins 1 300 000. À l’ère où, à l’échelle internationale, s’ouvrent de grandes possibilités de communication écrite par voie d’Internet, par exemple, le cinquième de la population du Québec se trouve incapable d’en bénéficier.

À la vue de ce titre, soit le mot

analphabétisme

écrit en arabe, le lecteur n’a qu’une infime impression de ce que signifie être analphabète. Mais qu’implique cet état? Imaginez être propulsé en Égypte par exemple. Vous ne pouvez lire aucune affiche, aucune étiquette de produits de consommation, aucun journal, aucun mode d’emploi, etc. De toute évidence, une telle situation, bien que vous rendant inconfortable, ne vous empêche pas de fonctionner, étant donné votre maîtrise d’autres outils de communication et d’interaction. Pour les analphabètes, les conditions peuvent être différentes : à leur incapacité chronique de lire se sont greffées, avec le temps, l’insécurité, la faible estime de soi et la dépendance envers autrui.

Ce qu’est !’analphabétisme

Le concept de !’analphabétisme demeure relatif encore aujourd’hui. D’une part, il existe divers degrés d’alphabétisation et, d’autre part, aucune caractéristique fixe ne différencie une personne analphabète de celle qui est alphabétisée. En plus de la lecture et du décodage des mots, !’alphabétisation comprend également les compétences suivantes : la compréhension, l’assimilation et l’aptitude à exprimer des raisonnements. Généralement, les chercheurs

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s’appuient sur la définition de !’UNESCO pour mesurer le degré d’alphabétisation; une personne qui n’a pas terminé neuf années de scolarité est considérée comme une personne illettrée fonctionnelle même si ce groupe comporte des «faux illettrés», c’est-à-dire des personnes qui ont les compétences pour lire et écrire, et que, dans le groupe des lettrés, certains sont incapables de lire et d’écrire bien qu’ils aient complété neuf années ou plus de scolarité et sont appelés les «faux lettrés».

De plus, l’expression

personne analphabète

n’indique aucunement un classement des individus en deux catégories, soit ceux qui savent lire et ceux qui ne le savent pas, sachant que les capacités de lecture et d’écriture d’un individu évoluent sur un continuum; elle signifie plutôt une personne éprouvant de la difficulté à lire et écrire. Quant au terme

alphabétisme,

son choix est motivé par le thème adopté lors de la dernière enquête internationale sur !’alphabétisation des adultes en 1996, et se définit comme suit :« Capacité d’utiliser les imprimés et !’information écrite pour fonctionner dans la société, atteindre ses objectifs, parfaire ses connaissances et accroître son potentiel ».

L’analphabétisme : une problématique en marge mais loin d’être marginale

La santé, tant physique que mentale, dépend des influences individuelles, sociales, culturelles et économiques (Evans

et al,

1994). L’une des caractéristiques fréquemment mentionnées comme étant en relation avec l’état de santé est le niveau de scolarité. Pourtant, la recension des écrits qui a précédé l’élaboration du présent projet a révélé l’absence d’études empiriques faisant état du lien entre la santé physique et mentale et !’analphabétisme. Les quelques études disponibles ont été réalisées dans des pays non industrialisés où, de toute évidence, la problématique diffère de celle des pays industrialisés. Certaines expériences rapportées par des intervenants en santé communautaire ou en alphabétisation ont toutefois été mentionnées. Par conséquent, les informations récoltées portent surtout sur le lien entre le faible niveau d’alphabétisme et la santé. Devant cet état de choses, il apparaît intéressant d’aborder certaines questions mettant en relation la santé et !’analphabétisme.

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Le but premier de la présente recherche, qui se veut exploratoire, est d’initier une réflexion en comparant une population de personnes analphabètes avec la population générale. Mais le problème n’est pas sans embûche; comment, par exemple, comparer deux populations dont l’une n’est pas à même de répondre par écrit? Il est d’ailleurs probable qu’une des raisons qui expliquent l’absence d’études avec les personnes ayant un faible niveau d’alphabétisme tient justement à cette difficulté. En effet, les enquêtes de santé sont normalement effectuées à l’aide de questionnaires autoadministrés où il est requis que chaque participant sache lire et écrire. Mais il y a des solutions à ce problème méthodologique, entre autres, en offrant aux répondants analphabètes la possibilité de répondre aux questions à l’aide de pictogrammes qui font office de choix de réponses (Annexe A). Ces pictogrammes se présentent sous forme de dessins graduant les divers degrés d’importance de chaque problème étudié. L’interviewer lit à haute voix chaque question à l’interviewé qui, placé derrière un petit écran assurant la confidentialité, coche le dessin qui représente le mieux la réponse qu’il veut donner.

Pour les fins de la présente recherche, une partie du questionnaire autoadministré de l’Enquête sociale et sanitaire de Santé Québec de 1992-1993, dont la validité et la fidélité sont clairement établies, a été retenue (Annexe B). Les aspects de la santé investigués sont : (1) la perception de la santé globale; (2) la détresse psychologique; (3) les idéations suicidaires sérieuses et les parasuicides; (4) les pertes survenues avant l’âge de 12 ans (décès de la mère, décès du père, divorce des parents, placement en famille d’accueil). Le détail de chacune de ces échelles est présenté au chapitre II dans la section intitulée La méthode.

Cette étude, exploratoire et transversale, ne prétend pas offrir toutes les réponses aux questions que soulève ce grave problème. Son objectif est plutôt d’en cerner globalement différents aspects, comme étape préalable à une étude plus approfondie visant à aboutir à des propositions d’interventions appropriées pour cette population. Bien que ne permettant pas d’établir des liens de cause à effet, certains événements malheureux tirés de l’enfance des participants sont intégrés aux données récoltées pour aider à la compréhension du phénomène étudié envisagé dans une perspective de vie.

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L’objectif poursuivi ici est la comparaison de l’état de santé physique (perception de la santé) mais surtout mentale (détresse psychologique, idéations suicidaires et parasuicides) de personnes en processus d’alphabétisation avec celui de la population générale. Toujours dans la perspective d’une comparaison avec la population en général, la prévalence de quatre stresseurs reconnus comme pouvant avoir un effet et auxquels les personnes en processus d’alphabétisation ont pu être exposées avant l’âge de 12 ans (perte de la mère, perte du père, séparation des parents et placement en famille d’accueil) sera mesurée. Pour terminer, un examen sera fait de l’impact différentiel possible, sur les indices de santé, des stresseurs de l’enfance considérés, lorsque vécus par des personnes en processus d’alphabétisation.

Suite à cette introduction, une recension exhaustive des écrits sera d’abord présentée. Ce premier chapitre décrit en quoi consistent la psychologie du développement tout au long de la vie (

life-span

), certains événements stressants susceptibles d’affecter le développement d’un individu au cours de l’enfance et, enfin, la pertinence sociosanitaire d’une étude auprès des personnes analphabètes. Le deuxième chapitre représente la partie centrale du mémoire, rédigé sous la forme d’un article scientifique. Il traite de l’état de santé des personnes en processus d’alphabétisation et des pertes survenues au cours de l’enfance. Dans la perspective du développement tout au long de la vie, un bref portrait des liens entre un faible niveau de scolarité, la santé et les pertes subies durant l’enfance est dressé. La méthode utilisée est ensuite décrite, suivie des résultats et de la discussion. Le mémoire se termine par une conclusion générale qui résume les grandes lignes de la recherche et en effectue le bilan.

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LA RECENSION DES ÉCRITS

Les rudiments de base de la lecture et de l’écriture s’acquièrent au cours des premiers apprentissages scolaires. Pourtant, il n’est pas rare de rencontrer, à l’âge adulte, certaines personnes qui ne possèdent pas ces connaissances minimales, sans doute faute d’avoir fréquenté un établissement scolaire ou pour en avoir suivi les enseignements de façon sporadique. D’autres personnes peuvent avoir acquis, en bas âge, des connaissances minimales en lecture et en écriture et, malgré tout, se retrouver plus tard incapables de lire et d’écrire, par manque de pratique ou par oubli. D’autres personnes enfin peuvent avoir fréquenté l’école et avoir démontré des aptitudes pour apprendre, mais n’y être pas arrivés pour des raisons extrascolaires.

Quels événements marquants (autres que scolaires), durant le développement du jeune enfant, peuvent entraver !’apprentissage du code écrit? Les recherches à ce sujet font mention de diverses causes possibles. La séparation d’avec la mère ou le père, suite à une rupture entre les deux parents ou suite au décès de l’un d’eux, ou encore le placement de l’enfant dans une famille d’accueil dès son jeune âge, constituent des facteurs de risque pouvant entraîner l’analphabétisme. Les répercussions à long terme de tels traumas durant l’enfance et leur incidence sur plusieurs aspects de la vie, en l’occurrence sur la santé physique et mentale des

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personnes qui les ont vécus, n’ont pas fait l’objet de nombreuses études. Selon divers théoriciens en psychologie du développement tout au long de la vie, les événements atypiques survenus avant l’âge de 12 ans peuvent affecter l’individu dans sa vie adulte. Considérant cette éventualité, il est essentiel, au cours de recherches menées auprès de populations adultes particulières telles les personnes analphabètes, de tenir compte de leur passé et de ne pas se limiter à expliquer le phénomène à l’étude à travers un modèle proximal (événements survenus au cours de la dernière année, par exemple). La psychologie du développement offre cette possibilité.

1.1. La psychologie du développement tout au long de la vie

La psychologie du développement tout au long de la vie (<

life-span

) englobe les études sur la constance des comportements et celles sur les changements de comportements tout au long de la vie (ontogenèse), de la conception jusqu’à la mort. Cette approche a pour but de connaître les principes généraux du développement régissant les ressemblances et les différences interindividuelles, le degré et les conditions de plasticité ainsi que la malléabilité du développement d’un individu.

Dans une telle perspective, il n’est pas question de fixité ontogénétique, encore moins de développement linéaire ou unidirectionnel; chaque individu a sa propre histoire de vie qui évolue au fil du temps, en fonction des ressources internes dont il dispose et des événements extérieurs avec lesquels il est en constante interaction. Cette approche permet ainsi d’appréhender la complexité de tout développement et, par extension, de la psychologie du développement. Selon Baltes (1984), les événements et les expériences précoces de la vie continuent ainsi d’influencer les comportements et les expériences des étapes ultérieures du développement. Ce modèle distal postule qu’un événement survenu au début de la vie d’un individu peut, en partie du moins, expliquer certains des comportements ultérieurs, même à l’âge adulte, puisque tout développement est vu comme un processus continu.

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Bien que cette approche accorde un intérêt certain pour les premiers moments de la vie, elle dépend aussi largement de ce qui arrive tout au long de la vie; aucun stade de maturation n'est considéré comme une fin en soi. C’est cette perspective développementale qui est envisagée dans le présent travail pour étudier le phénomène de !’analphabétisme à l’âge adulte.

À l’intérieur de ce cadre théorique, comment s’explique !’interaction dynamique entre les personnes et l’environnement? En 1980 déjà, Baltes et ses collègues proposent un modèle tridimensionnel pour rendre compte de la complexité des influences développementales. Le premier type d’influences, soit les influences ontogénétiques normatives liées à l’âge, se rapporte aux déterminants biologiques (maturation ou déclin de l’organisme) et environnementaux (attentes de la société) qui sont corrélés avec l’âge chronologique (Vanderplas-Holper, 1998). Comme l’expliquait Neugarten (1976), un certain ordre, le

timing

social,

est prévu dans la chronologie des événements normaux de la vie, en fonction de la culture, tels l’âge de fin d’études, l’âge où l’on se marie, où l’on a des enfants, etc. Ce schème normatif permet à l’individu de se situer par rapport à la « norme » sociale attendue. En cela, il est une des sources principales d’influence sur le développement. Enfin, la chronologie de ces événements est normative dans le sens où le début et la durée de ces derniers sont similaires pour plusieurs personnes, à l’exception par exemple de certains cas extrêmes telles les anormalités biologiques et les carences affectives prononcées.

Le second type d’influences provient de facteurs historiques; il rend compte de deux processus, l’un biologique et l’autre environnemental, survenus à un moment précis de l’histoire. Les événements qui s’y rattachent sont aussi normatifs en ce sens qu’ils sont expérimentés par la majorité des membres d’un groupe donné, souvent identifié comme effet de cohorte. Considérant l’objet à l’étude, en l’occurrence !’analphabétisme, on peut dire qu’au siècle dernier, au Québec, cette situation était prévalante dans la population adulte, donc était vue comme « normale » alors que, de nos jours, toute personne adulte éprouvant des difficultés sévères de lecture et d’écriture est considérée comme marginale.

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Il existe un troisième type d’influences : les influences de nature nonnormative comprenant les événements marquants de la vie survenus à un moment imprévu (perte d’un parent durant l’enfance, accident grave, etc.). La nature nonnormative réfère au manque d’homogénéité interindividuelle en termes de circonstances et de ressources disponibles de l’individu (

patterning

). De plus, ces événements ne sont liés à aucun cycle de vie, à aucun âge particulier, à aucune évolution historique. Bien que nonnormatifs, ces événements marquants peuvent être considérés comme significatifs, dans le sens suggéré par Bandura (1982), car ils ont un impact sur le développement. Les événements nonnormatifs sont, la plupart du temps, perçus comme stressants (Baltes, 1984), car ils brisent la séquence et le rythme normal du cycle de vie (Neugarten, 1976). Ils peuvent également provoquer un état de crise (Vanderplas-Holper, 1998) qui se maintiendra de façon plus ou moins permanente selon les conditions environnantes rencontrées. Dans des conditions favorables, l’individu aux prises avec un événement traumatique inattendu doit trouver soutien et compréhension pour dépasser l’obstacle de façon enrichissante ou pour diminuer l’intensité du trauma. Dans des conditions contraires, il est fort possible qu’il développe un sentiment d’impuissance et d’inconfort qui le suivra tout au long de sa vie et qui pourra avoir des répercussions négatives profondes tant dans l’élaboration de projets de vie que dans leur réalisation.

En fait, les trois types d’influences s’accumulent avec le temps et agissent tout au long de la vie : l’instant présent est continuellement défini en fonction du passé, tout comme !’interprétation du passé est constamment redéfinie à partir du présent. C’est par l’histoire de vie de l’individu, tissée d’événements variés qui lui servent de repères pour se situer dans sa réalité psychologique et sociale, qu’on peut arriver à comprendre le déroulement de son développement.

Comme le souligne plus récemment Baltes (1997), la coévolution des aspects culturels et biologiques ne s’arrête jamais, mais suit un processus continu qui peut s’interpréter en termes de rapport gains/pertes. D’un point de vue biologique, les enfants vivent davantage de gains que de pertes, comparativement aux personnes âgées, et sont considérés comme étant beaucoup moins vulnérables au sens développemental. Toutefois, la notion de développement

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n’est pas synonyme de croissance unidimensionnelle en termes de quantité et de qualité du fonctionnement, bien au contraire. Avec l’âge, les pertes (i. e. perception de changements indésirables) deviennent plus importantes que les gains (i. e. perception de changements désirables) (Heckhausen, Dixon et Baltes, 1989). De façon très simplifiée, durant l’enfance, l’allocation première des ressources est en lien direct avec la croissance. À l’âge adulte, l’allocation prédominante sert au maintien et au rétablissement. Chez les personnes plus âgées, de plus en plus de ressources sont utilisées pour régler ou pour gérer les pertes. Ainsi, les vulnérabilités des gens deviennent de plus en plus manifestes avec l’âge (Baltes, 1997).

Normalement, un enfant n’a pas à gérer de pertes importantes; si jamais pertes il y a, elles doivent être considérées comme des événements ontogénétiques atypiques. Par exemple, la perte ou la séparation d’un de ses parents a davantage d’impact sur un enfant que sur un adulte. Selon Bowlby (dans Bee, 1986), un enfant attaché à un adulte et qui en est séparé, perd en fait un heu de sécurité à partir duquel il explore !’environnement et vers lequel il se tourne pour se réconforter en cas de stress ou de peine, etc. Selon Burgess, Garbarino et Gilstrap (1983), un déséquilibre dans le fonctionnement d’une famille normale est l’un des événements les plus sérieux de la vie des individus, par les nombreuses conséquences qu’il entraîne. En fait, les effets d’une rupture peuvent être aussi très variés et complexes ; alors que pour certains enfants le départ d’un parent risque de briser le lien d’attachement qui les unit, pour d’autres, ce lien n’a pas eu heu ou s’est mal formé dû à différents problèmes, comme dans les cas de négligence ou de sévices à l’égard de l’enfant. Tousignant, Bastien, Hamel (1993) vont même jusqu’à conclure que le divorce des parents pouvait avoir un effet à court terme sur un individu, mais que cet effet s’estompe dans la mesure où celui-ci n’est pas victime de carence d’attention parentale.

Dans le cas précis des personnes analphabètes, il y a heu de se demander si, oui ou non, ils ont vécu des événements hors norme et, si oui, quels effets ces événements ont eu sur leurs conduites ultérieures. On peut également se demander jusqu’à quel point ces personnes se sentent hors norme, marginaux, face à leur handicap linguistique. Dans notre société occidentale actuelle, ne pas savoir manipuler correctement le code écrit à l’âge adulte

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constitue non seulement une limite fonctionnelle importante, mais peut également amener la personne impliquée à se sentir stigmatisée de ne pas être conforme à 1’« horloge sociale » (Vanderplas-Holper, 1998) se rapportant à cette acquisition.

Mais !'environnement n’est pas le seul facteur qui a un impact sur le développement d’un individu. Son niveau de maturation biologique, principalement au niveau du cortex cérébral, est aussi à considérer. Comme le spécifie Baltes (1984), à cause de la plasticité intra- individuelle, liée entre autres à cette maturation, le cours du développement prendra également plusieurs formes en fonction des conditions de vie dans lesquelles l’individu est plongé. Par exemple, plusieurs adultes ayant vécu une perte avant l’âge de 12 ans semblent avoir éprouvé d’importantes difficultés au cours de l’enfance, entre autres, dans le domaine des acquis scolaires; on peut, à juste titre, se demander si ces graves lacunes observées et non surmontées durant l’enfance n’ont pas entraîné !’analphabétisme à l’âge adulte, période où l’organisme montre moins de plasticité. Ainsi, la période de vie où s’opèrent des événements marquants pour l’individu a des incidences plus ou moins grandes sur son développement. Les événements survenus durant l’enfance sont, à cet égard, ceux qui laisseront le plus grand nombre de séquelles.

1.2. Les événements stressants survenus au cours de l’enfance

Il est reconnu que, chez les adultes, des événements stressants récents peuvent avoir un impact sur la santé mentale et physique de l’individu. D’ailleurs, les premiers travaux mettant en relation événement et maladie ont été publiés par Hinkle et ses collègues à la fin des années 50 (Nadeau, 1989). Par la suite, plusieurs des travaux empiriques de Sarason, Dohrenwend, Holmes et Rahe, Kaplan, Brown et Harris, pour ne citer que les plus connus, font état de ces liens. Mais, toujours chez les adultes, quel rôle peuvent avoir eu les événements stressants survenus durant leur enfance? Ont-ils eu des effets perturbateurs sur leur développement? Ces effets sont-ils variables en fonction des étapes du développement pendant lesquelles ces événements sont survenus?

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De nombreux résultats confirment le lien entre la qualité de vie au cours de la petite enfance et le rendement scolaire, le comportement et les risques de souffrir de maladies chroniques à l’âge adulte (Keating et Mustard, 1993; Frank et Mustard, 1994). En effet, il est démontré que les milieux de vie désavantagés entraînent une réduction du bien-être individuel. Frank et Mustard (1994) citent une étude suédoise (Orth-Gomer et Johnson, 1987) qui suggère que les enfants ayant reçu de très bons soins durant l’enfance sont en meilleure santé et réussissent mieux à l’âge adulte. L’hypothèse de causes génétiques est aussi invoquée et demeure plausible. Les neurosciences nous apprennent, par exemple, que les compétences et les habiletés d’adaptation sont intimement liées au développement du cortex cérébral durant l’enfance (Cynader, 1994). Mais « même si le facteur génétique est important, la façon dont on prend soin des personnes et les influences sociales de la petite enfance semblent revêtir encore plus d’importance face au développement des compétences et des habiletés d’adaptation de même qu’à la vulnérabilité aux événements qui surviennent plus tard dans la vie » (Keating et Mustard, 1996).

Parmi ces influences, les pertes et les séparations familiales semblent être celles qui contribuent le plus à rendre les individus vulnérables, allant jusqu'à affecter leur santé. Ces pertes sont souvent rapportées comme étant des événements négatifs susceptibles de provoquer des moments de crises chez l’individu qui les vit. Mais en quoi ces moments difficiles de la vie peuvent-ils affecter l’état de santé de la personne à l’âge adulte? Les travaux d’Ainsworth et Bowlby portant sur l’attachement donnent un certain nombre de réponses. Une rupture précoce dans le lien d’attachement de l’enfant à une figure parentale risque d’entraîner différentes réactions d’insécurité, de deuil, de crainte à la nouveauté chez l’enfant. Ces pertes vécues durant l’enfance se traduisent en manques qui persisteront à l’âge adulte. La recension des écrits de Minde et Musisi (1984) aboutit aux mêmes conclusions. Bowlby (1961) allait jusqu’à émettre l’hypothèse que la perte d’un parent est un facteur prédisposant à la dépression à l’âge adulte. Selon Tousignant et ses collaborateurs (1984), deux facteurs de risques sont associés aux idéations suicidaires sérieuses : la séparation des parents et une mauvaise santé. Adam, Lohrenz, Harper et Streiner (1982) (cités par Tousignant, Hanigan, et Bergeron, 1984) soulignent qu’il y a plus de parasuicides parmi les personnes dont un des

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deux parents est décédé ou dont les parents sont séparés ou divorcés. Brown, Harris et Copeland (1977) indiquent que la perte d’un parent affecte négativement l’estime de soi de l’enfant et son sens de contrôle sur son monde; privé d’une personne qui l’estime et qui l’apprécie, l’enfant se dévalorise. Devenue adulte, cette personne éprouvera moins de contrôle sur sa vie et glissera plus facilement vers un état de désespoir au moment d’événements déstabilisants.

Brown et Harris (1988) ainsi que Tousignant (1992) voient dans la perte de la mère un facteur de vulnérabilité, défini comme « l’ensemble des caractéristiques de l’état d’une personne qui font augmenter les risques de pathologie en présence d’un agent déclencheur, c’est-à-dire un événement ou une difficulté ». La perte de la mère serait également un élément déclencheur de la dépression chez la femme (Brown et Harris, 1978 et 1988; Brown, 1982; Brown, Harris et Bifulco, 1985). Tousignant (1992) cite également les travaux de Finkelstein (1988) qui a mis en évidence la relation entre le décès de la mère en bas âge et la dépression sévère. La recension des écrits de Berlinsky et Biller (1982) dans ce domaine rapporte en outre le lien entre la perte de la mère ou du père au cours de la petite enfance et le trouble psychique. En plus de la constitution biogénétique et des traits de personnalité, la perte d’un parent est un facteur prédisposant qui tend à rendre une personne plus vulnérable et à ce qu’un événement engendre des conséquences psychologiques négatives.

Citant Holmes et Ray (1967), Warshak et Santrock (1983) rapportent que le divorce est l’un des événements les plus stressants et désorganisants auxquels les adultes et les enfants ne sont pas préparés à faire face. Les conflits entre les parents et les conséquences d’une séparation, tel un manque de soin ou une diminution dans la qualité de ceux-ci, affectent davantage les enfants. Dans le même sens, Tousignant, Bastien et Hamel (1993) affirment que tant les adolescents que les jeunes adultes victimes d’une carence d’attention de la part du père ont plus de comportements suicidaires. Cette étude établit également que les adolescents qui ont reçu très peu d’attention de la part de leur mère ou qui sont issus d’une famille désunie démontrent aussi des comportements suicidaires, mais dans une moindre mesure. Comme le mentionne l’équipe de Bedford, Brown, Harris et leurs collègues, le contexte dans lequel se

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vit un événement est central. Enfin, Mulholland et ses collègues (1991) font remarquer l’absence de différences dans les habiletés intellectuelles des enfants, que leurs parents soient séparés ou non; toutefois, les enfants dont les parents sont séparés affichent un rendement scolaire significativement moins élevé que les enfants issus de familles intactes. Cela amène les auteurs à énoncer l’hypothèse que la séparation parentale affecte la motivation et le désir d’accomplissement des enfants.

Pour terminer, dans la recension des écrits publiée par Thoits en 1983, l’auteure mentionne les dimensions des événements de vie qui prédisposent le plus les adultes à vivre des troubles psychologiques. Parmi celles qui entraîneraient le plus de dommage se retrouvent le fait que l’événement est incontrôlable (dans la dépression surtout) ou inattendu, !’accumulation, la magnitude et l’aspect indésirable de l’événement ainsi que le court laps de temps entre les événements. Ces trois derniers sont les plus puissants. Les quatre événements graves (perte de la mère, perte du père, divorce des parents ou placement en famille d’accueil) retenus dans la présente étude impliquent plusieurs des dimensions décrites par Thoits; en ce sens, ils peuvent être considérés comme des facteurs prédisposant les individus à vivre certains problèmes psychologiques.

En résumé, des événements tels que la perte de la mère et/ou du père, un divorce ou une séparation, et le placement dans une famille d’accueil, rapportés comme ayant été troublants par ceux qui les ont vécus sont également jugés comme tels par des cliniciens. Bien qu’aucun lien de cause à effet n’ait été démontré, la majorité des études indique que perte et problèmes de santé mentale sont associés.

1.3 La pertinence sociosanitaire d’une étude auprès de personnes analphabètes

Le taux élevé de personnes qui éprouvent de la difficulté à lire et à écrire, soit 21 %, justifie à lui seul une étude auprès de cette population. Mais les conséquences de ce problème, aux niveaux tant social, qu’économique et psychologique, sont suffisamment graves et préoccupantes pour que des études sérieuses s’y penchent. Par exemple, une étude publiée par

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économiques de Γanalphabétisme qui sont mirobolants (15 milliards de dollars par année). Les entreprises assument indirectement une partie de ces coûts par le fait de la perte de productivité et de !'augmentation potentielle des accidents de travail (4,2 milliards). L’autre partie des coûts, soit 10,7 milliards, est assumée par la société par le biais des indemnisations de l'assurance emploi, des frais d'assistance sociale, des dépenses de santé et de la formation de base des adultes. De plus, comme le mentionnent Frank et Mustard (1994), « une société qui handicape un large segment de la population durant une période de changements technologiques majeurs peut handicaper sa croissance économique future». Les mêmes auteurs établissent une relation positive entre prospérité et croissance économique, santé et bien-être. Pour la majorité de ceux qui éprouvent de la difficulté à lire et à écrire, prendre le train de la prospérité économique semble un objectif irréalisable et, de ce fait, leur bien-être psychologique et leur santé risquent d’en être affectés.

Selon Proulx (1994), bon nombre de personnes analphabètes souffrent psychologiquement, socialement et économiquement de leur condition. Freinés dans certains aspects de leur réalité, leur évolution psychologique s’en ressent. Leurs carences importantes en lecture et en écriture, qui entravent plusieurs de leurs apprentissages à l’âge adulte, leur causent souvent de sérieux problèmes psychosociaux. Mais ces difficultés liées à un faible niveau d’alphabétisme ne sont pas forcément des problèmes de capacité d’apprentissage; souvent, elles émanent de difficultés personnelles, familiales ou autres, survenues au cours de la vie (Coles et coll., 1980). En effet, certaines personnes ont abandonné leurs études afin d’apporter un soutien à leur famille, ou à cause de l’éloignement des écoles, de la valorisation du travail manuel et de la perspective de l’autonomie financière immédiate (Rivard, 1991). Au Québec, durant les années 60, l’accès rapide à des emplois a perpétué cette tendance. Le phénomène de l’abandon scolaire n’est pas un phénomène nouveau. Toutefois, les développements de ces dernières décennies, surtout sur le plan technologique, le font maintenant percevoir comme un problème, d’autant plus que la scolarité est devenue un critère d’embauche pour une grande majorité d’emplois (Rivard, 1991).

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Paradoxalement, le taux de non diplômation demeure très élevé au Québec (30,6 %1 en 1997- 1998) (Ministère de l’Éducation, 1999); le taux d’analphabétisme est aussi très élevé. Sans affirmer que tous les décrocheurs éprouvent des difficultés sévères de lecture et d’écriture, ceux qui abandonnent prématurément les études sont souvent ceux qui réussissent le moins dans un cadre scolaire (Rapport du Groupe de travail pour les jeunes, 1991). Bien que les personnes analphabètes sont habituellement des décrocheurs, ce ne sont pas tous les décrocheurs qui éprouvent de la difficulté à lire et à écrire. Même si aucune étude n’a mis en évidence le lien entre abandon scolaire et analphabétisme, la logique nous dit qu’un tel lien existe. Ainsi, la compréhension de la situation des personnes ayant un faible niveau d’alphabétisme peut débuter par l’étude des facteurs de risque du décrochage scolaire puisque ceux-ci tendront probablement dans le même sens que ceux du problème de !’analphabétisme, et ce, même si aucune mention n’est faite à ce sujet lorsque l’on parle des conséquences du décrochage scolaire.

Bien qu’il soit connu que les caractéristiques familiales (tels la discorde intrafamiliale, le niveau d’éducation des parents, la structure familiale, le réseau de soutien social, !’implication parentale et les valeurs véhiculées en rapport avec l’école) sont d’importants facteurs de risque de l’abandon scolaire (Roy, 1991), des programmes de prévention restent à faire. En effet, dans la conjoncture économique actuelle où ressources humaines et financières sont limitées, l’aide psychologique que pourrait recevoir un enfant en difficulté est à son tour très limitée. Sans support adéquat, l’enfant mobilise toute son énergie à la gestion du stress qu’il ressent au détriment des apprentissages de base que lui propose l’école. Nombreux sont les travaux qui ont montré à quel point l’anxiété diminue les capacités d’attention, de mémorisation et d’organisation intellectuelle (Pelsser, 1989). Parmi les difficultés que cet enfant rencontre alors, celle de la maîtrise du code écrit est sans doute très présente. Pourtant, aucune mention n’en est faite lorsque l’on parle des conséquences du décrochage scolaire .

1 Ce taux de nondiplômation est obtenu à partir du taux de diplômation (100% - 69,4%) puisque seul ce dernier est documenté.

(23)

1.4. La pauvreté

Il existe un lien entre problèmes de santé et pauvreté (Hollingshead, Redlich, 1958; Holzer EU

et al.,

1986; Legaré, Lebeau, Boyer, St-Laurent, 1995). Santé et Bien-être social Canada reconnaît que les groupes de personnes défavorisées ont une espérance de vie moindre et une santé moins bonne et qu’ils deviennent plus souvent invalides en vieillissant, comparativement à la population générale. Parmi les facteurs influençant l’état de santé, il faut citer l’hérédité, le mode de vie, !’organisation des soins de santé et !’environnement physique et social dans lequel les gens vivent. Les effets directs et indirects d’une faible scolarisation sont également invoqués. Bien qu'il soit possible, à partir de ces constats, d’inférer une relation entre la santé mentale et les difficultés de lecture et d’écriture, aucune recherche spécifique n’a permis de cerner véritablement cette relation.

Certains auteurs se sont également penchés sur le lien entre le niveau d'alphabétisme et la pauvreté. Cette dernière est souvent considérée comme un facteur de risque de la sous- scolarisation par l'influence que ce facteur exerce sur le développement physique, affectif et intellectuel des enfants (Blais, 1994). Au primaire comme au secondaire, les enfants de familles pauvres éprouvent davantage de difficultés scolaires; le taux de décrochage est deux fois plus élevé dans ce milieu que dans les milieux plus aisés. Les raisons qui expliquent ce fait sont nombreuses : la malnutrition, la mauvaise santé, les deux parents travaillent, l’enfant est forcément plus laissé à lui-même, l’importance de gagner sa vie rapidement pour aider la famille, la vision défaitiste de toute réussite sociale, la perception souvent bien ancrée qu’on est né pour un petit pain, etc. De plus, le quart des enfants pauvres ne mangent pas à leur faim. Par conséquent, ils ont moins de concentration et sont moins disponibles pour !’apprentissage (Ministère de la Santé et des Services Sociaux, 1991).

1.5. Les effets directs et indirects d’un faible niveau d’alphabétisme sur la santé

Aucune recherche épidémiologique ne s’est penchée sur la relation entre !’analphabétisme et la santé, d’où le présent choix d’une recension des écrits portant sur le lien entre la santé et le

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faible niveau d’alphabétisme dans le but d’amorcer une compréhension du lien probable entre !’analphabétisme et la santé.

1.5.1. Les effets directs

Le rapport ontarien de !’Association pour la santé publique de l'Ontario [ASPO] (1990) démontre que plus le niveau de scolarité est bas, pire est la perception de l’état de santé. En effet, 27 % des gens qui ont complété leur cycle d’études primaires disent avoir un état de santé passable ou pauvre comparativement à seulement 6

%

des personnes détenant au moins un diplôme collégial et percevant leur santé aussi négativement. En plus de s’être intéressé à la relation entre le niveau d’alphabétisation et la santé, les auteurs du rapport ontarien relatent des exemples concrets des problèmes de santé liés à l’analphabétisme rapportés par des intervenants en santé communautaire ou en alphabétisation (ex. : administration incorrecte de médicaments, ne pas suivre les ordres du médecin, erreurs dans la préparation de biberons et risques à la sécurité).

Leigh (1983) s'est intéressé aux effets directs et indirects de la scolarité sur la santé. Ses résultats suggèrent que l'éducation agit directement et positivement sur la santé d'un individu (exemple : utilisation adéquate des services médicaux). Par contre, des capacités restreintes de lecture et d’écriture peuvent constituer une barrière psychologique importante dans le processus de consultation des services de santé (Tousignant, 1992). Grossman (1975) et Feldstein (1979) affirment que le nombre d'années de scolarité est l'un des meilleurs prédicteurs de l'état de santé d'une personne.

Les résultats de l'une des plus importantes enquêtes épidémiologiques en psychiatrie (Robins et Régier, 1991) montrent qu’un faible niveau de scolarisation est associé à la présence de troubles mentaux. Ainsi, la prévalence des troubles mentaux au cours de la vie est de 36

%

chez les personnes n'ayant pas complété le cycle d’études secondaires contre 30 % pour celles qui ont terminé ou dépassé le niveau secondaire. Les résultats épidémiologiques de l’équipe de Kessler vont dans le même sens que ceux obtenus par Robins dans une enquête psychiatrique

(25)

du même type aux États-Unis (Kessler

et al,

1994); de même, deux autres études canadiennes rapportent des tendances semblables (Bland, Newman, 1988; ASPO, 1990). Néanmoins, compte tenu des autres caractéristiques socio-économiques associées au faible niveau de scolarité (i. e. pauvreté, statut d’emploi, etc.), il n’est pas du tout simple d’établir la contribution spécifique de la scolarité en ce qui a trait à la santé mentale.

Plus près de nous, les recherches de Santé Québec révèlent que les personnes avec les plus faibles niveaux de scolarité, même si elles possèdent la capacité de lire et de répondre par écrit à un questionnaire, présentent un déficit sanitaire certain. Par exemple, à partir des données de Santé Québec, les analyses préliminaires réalisées en préparation à la présente recherche révèlent que les personnes faiblement scolarisées présentent 15

%

plus de détresse psychologique sévère et font plus de parasuicides au cours de leur vie (95

%

de plus pour les hommes et 33

%

de plus pour les femmes) (Boucher, Boyer, 1998). En ce qui concerne la perception de leur état de santé en général, ces mêmes personnes la jugent beaucoup plus déficiente que le reste de la population du Québec.

1.5.2. Les effets indirects

Des exemples d’effets indirects de !’analphabétisme sur la santé donnés par des intervenants en santé communautaire ou en alphabétisation sont également rapportés dans le rapport de l'ASPO (1990). Ce dernier souligne que le stress, les conditions malsaines de vie et de travail, le chômage, la pauvreté, le tabagisme et l’activité physique, sont liés au fait de ne pas bien maîtriser la lecture et l’écriture. Le faible niveau de scolarité peut aussi entraver les contacts sociaux et rendre ardue une recherche fructueuse d'emploi, au contraire d’une formation scolaire qui encourage indirectement de saines habitude de vie et des attitudes prudentes dans le choix d’une occupation (Leigh, 1983). Des sentiments d’isolement, de honte et de désespoir font également partie de la vie courante d'un bon nombre de ces personnes. Patry (1989) montre l’effet négatif de !’analphabétisme sur l’identité; les personnes analphabètes s'identifient souvent à un statut infériorisé et sont dominées par l'échec, le rejet, !'humiliation et la peur. Par ailleurs, cette population, exclue du monde de la lecture et de l’écriture, est

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également mise au banc de celui des connaissances et de la communication. La pauvreté des connaissances et Γ insuffisance des habiletés de base placent souvent ces personnes en situation de dépendance face à !'environnement. Comme le note Wagner (1989), les besoins de ces personnes sont multiples. En plus des besoins d'apprentissage, elles ont des besoins de socialisation, de croissance personnelle, d'insertion professionnelle, etc., puisqu’elles présentent des lacunes dans ces différentes sphères.

En 1999, la situation de !’analphabétisme au Québec demeure inquiétante malgré les efforts déployés par les groupes d’entraide populaires ainsi que par les différents programmes d'éducation des adultes. Le manque de recherches, particulièrement sur la santé des personnes aux prises avec ces lacunes, accentue de façon indirecte cette triste réalité puisque, pour régler un problème, la connaissance de ce dernier est primordiale. Bien que plusieurs agents sociaux s’intéressent actuellement à la problématique de !'analphabétisme, ce domaine demeure à peine exploré par les chercheurs de la santé. Les études effectuées à ce jour ne donnent qu’une compréhension embryonnaire du problème; elles soulignent toutefois, comme facteur de risque pour la santé physique et mentale, le faible niveau de scolarité, de même que l’expérience de certains événements nonnormatifs survenus avant l’âge de 12 ans, événements dont les répercussions sur l’avenir de l’individu ont déjà été mises en évidence. Comme le souligne Wagner (1989), on commence à peine à mieux comprendre les causes et les conséquences de !'analphabétisme, mais beaucoup reste à faire. Bien que les écrits relatant des expériences de terrain puissent fournir des indices sur la relation entre l’analphabétisme, les pertes dans l’enfance et la santé, seules des recherches empiriques, dans le sens de la présente étude, peuvent dresser un portrait plus précis de la situation.

(27)

L’ÉTAT DE SANTÉ ET LES PERTES DE L’ENFANCE DES PERSONNES EN PROCESSUS D’ALPHABÉTISATION VUS À TRAVERS UNE PERSPECTIVE DE LA

PSYCHOLOGIE TOUT AU LONG DE LA VIE

(LIFE SPAN)

Au Québec, 21 % de la population éprouve de la difficulté à lire et à écrire (Bureau de la statistique du Québec, 1996). Malgré cette proportion alarmante et le lien qui existe entre le niveau de scolarité et l’état de santé physique et mental, aucune étude épidémiologique ne s’est penchée sur cette population. Il est vrai que le problème méthodologique à relever est de taille; comment effectuer une enquête sanitaire, à une large échelle, par le biais d’un questionnaire autoadministré, processus anonyme et confidentiel, auprès de personnes éprouvant de graves difficultés à lire et à écrire? Les pictogrammes, créés pour la présente recherche, ont permis la réalisation d’un tel projet (Boyer et Boucher, en rédaction).

À ce jour, aucune étude épidémiologique ne fait directement état de la relation entre !’analphabétisme et la santé physique et mentale. C’est donc par le biais des écrits portant sur les liens entre le faible niveau d’alphabétisme et la santé que la recension de la littérature pertinente est effectuée. À ces écrits s’ajoutent ceux qui traitent de l’incidence, sur le développement adulte, d’événements marquants survenus au cours de l’enfance, plus spécialement avant l’âge de 12 ans, tels la perte de la mère ou la perte du père, la séparation

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des parents et le placement dans une famille d’accueil (Brown et Harris, 1978; Holmes et Rahe, 1967; Tousignant, Hanagan et Bergeron, 1984). Le tout est envisagé dans la perspective de la psychologie du développement tout au long de la vie (

life-span

) (Baltes, Reese et Lipsitt 1980).

2.1. Les Hens entre le faible niveau d’alphabétisme et la santé

Un rapport publié par !’Association pour la santé publique de l'Ontario (ASPO, 1990) établit une association entre le niveau de scolarité et la perception de l’état de santé. Dans le même sens, Grossman (1975) et Feldstein (1979) affirment que le nombre d'années de scolarité est l'un des meilleurs prédicteurs de l'état de santé d'une personne; plus la personne est scolarisée, meilleure est la perception de son état de santé. Par ailleurs, il a été démontré que des capacités restreintes de lecture et d’écriture constituent une barrière psychologique dans le processus de consultation des services de santé (Tousignant, 1992). Dans le même sens, les travaux de Leigh (1983) sur les effets directs et indirects de la scolarité sur la santé révèlent que l'éducation agit directement et positivement sur la santé d'un individu (exemple : utilisation adéquate des services médicaux) en même temps qu’elle incite, indirectement, à se former de saines habitudes de vie et à être vigilant dans le choix d’une occupation. Le rapport ontarien de l’ASPO (1990) attire !’attention sur les conséquences directs et indirectes d’une carence en lecture et en écriture par le biais d’exemples rapportés par les intervenants en santé ou en alphabétisation : administration incorrecte de médicaments, ne pas suivre les ordres du médecin, erreurs dans la préparation de biberons, risques à la sécurité, stress, conditions malsaines de vie et de travail, le chômage, la pauvreté, le tabagisme et l’activité physique.

Les résultats de l'une des plus importantes enquêtes épidémiologiques en psychiatrie (Robins et Régier, 1991) démontrent qu’un faible niveau de scolarisation est associé à la présence de troubles mentaux. Les mêmes tendances sont obtenues dans le cadre d’une autre enquête psychiatrique aux États-Unis (Kessler

et al.,

1994) et de deux études canadiennes (Bland, Newman, 1988; Association pour la santé publique de l'Ontario, 1990). Les analyses préliminaires réalisées en préparation de la présente étude, à partir des données de Santé Québec, révèlent que, comparativement aux personnes plus scolarisées, les personnes

(29)

faiblement scolarisées présentent 15 % plus de détresse psychologique sévère et font plus de parasuicides au cours de leur vie. En ce qui concerne leur état de santé en général, les personnes moins scolarisées la perçoivent comme beaucoup plus déficiente que des personnes plus scolarisées.

2.2. Les pertes de l’enfance vues à travers une perspective de la psychologie tout au long de la vie

(life span)

En 1980, Baltes et ses collègues proposent une nouvelle perspective pour rendre compte du développement chez l’adulte, soit celle d’une psychologie du développement tout au long de la vie

(life span

). Trois types d’influences en seraient responsables : les influences ontogénétiques normatives, liées à des facteurs génétiques et sociaux qui assurent l’apparition de certaines conduites à des périodes déterminées du développement; les influences liées aux facteurs historiques qui affectent une cohorte ayant baigné dans l’atmosphère sociale d’une même époque; et les influences de nature nonnormative, c’est-à-dire les influences imprévisibles qui peuvent surgir à un moment ou l’autre de l’existence. La détermination du caractère normatif de ces influences dépend de leur prévisibilité en fonction de l’âge de l’individu au moment où il y est exposé. D’après Scan־ et Weinberg (1983) (cités dans Baltes, 1984), ce type d’influence est sans doute le plus puissant pour l’unicité d’un individu, après les différences génétiques. L’étude présentée ici se concentre sur quatre événements hors norme survenus avant l’âge de 12 ans : décès de la mère, décès du père, séparation ou divorce des parents et placement dans une famille d’accueil. Selon les écrits consultés (Brown et Harris, 1978; Holmes et Rahe, 1967; Tousignant, Hanagan et Bergeron, 1984), ces quatre séparations graves semblent accroître la vulnérabilité d’un individu et, à ce titre, sont considérés comme d’importants facteurs de risque dans le développement de troubles psychologiques persistants. Leur influence a été plus spécifiquement mise en évidence dans la dépression chez les femmes (Brown et Harris, 1978), les gestes suicidaires (Tousignant, Hanagan et Bergeron, 1984) et le développement de psychopathologie à l’âge adulte (Ainsworth et Eichberg, 1991; Tennant, 1988).

(30)

Compte tenu de l’état des connaissances sur le lien entre analphabétisme et santé, cinq questions de recherche sont posées. Comparativement aux résultats de l’enquête de Santé Québec 1992-1993, auprès de deux sous-groupes de la population générale (le groupe des favorisés et celui des défavorisés)2, les personnes analphabètes

• rapportent-elles une perception moins satisfaisante de leur santé? • présentent-elles plus de détresse psychologique sévère?

• rapportent-elles plus d’idéations suicidaires au cours de leur vie et au cours des 12 derniers mois?

• rapportent-elles plus de parasuicides au cours de leur vie et au cours des 12 derniers mois?

• ont-elles vécu plus de pertes au cours de leur enfance?

Pour les personnes en processus d’alphabétisation qui ont vécu au moins une séparation importante avant l’âge de 12 ans (perte de la mère ou du père, divorce des parents, famille d’accueil),

• existe-t-il une relation entre pertes et indices de santé? Si oui, laquelle est la plus fortement associée aux indices de santé?

2.3. La méthode

2.3.1. La population de références et l’échantillonnage

La population à l’étude est constituée des personnes inscrites, depuis au moins deux ans, dans des organismes d'alphabétisation, membres du Regroupement des Groupes

Le groupe des favorisés comprend tous ceux qui ont «9 années et plus» de scolarité et qui ont un revenu «moyen inférieur et plus» tel que défini par l’indice de suffisance du revenu de Santé Québec; cet indice tient compte du revenu familial et du nombre total de personnes dans la maisonnée. Quant au groupe des défavorisés, il englobe les personnes de la population générale qui ont «moins de 9 années de scolarité» et qui, selon l’indice de suffisance du revenu, sont «pauvres ou très pauvres». De plus, contrairement à la population à l'étude, ce groupe savait suffisamment lire et écrire pour répondre au questionnaire auto-administré de Santé Québec.

(31)

populaires en alphabétisation du Québec (RGPAQ). Au total, 36 des 42 groupes populaires d’alphabétisation (86 %) ont accepté de participer au projet : la population étudiée est donc composée de 1 065 personnes. Les critères d'exclusion sont : le daltonisme, la cécité, la surdité et la déficience intellectuelle sévère. Grâce aux données de l'enquête sociale et de santé de Santé Québec de 1992-1993, !’échantillon étudié est comparé à un échantillon de personnes (n = 23 564) représentant divers niveaux de scolarisation et vivant dans un ménage privé. L’échantillon de comparaison est représentatif de la population non institutionnalisée du Québec (97,5

%

de la

!

population générale). Il a été scindé en deux sous-échantillons pour effectuer l’analyse comparative : (1) un groupe favorisé, comprenant tout !’échantillon moins les personnes faiblement scolarisées et à faible revenu; et (2) un groupe défavorisé formé des personnes faiblement scolarisées et à faible revenu.

Les participants ont été recrutés de façon aléatoire à partir de la liste complète des étudiants inscrits dans les centres d'alphabétisation ayant accepté de participer à l’étude. Des 534 personnes sélectionnées, 360 ont accepté (67,9 %), 142 ont refusé (26,8 %), 25 n’ont pu accepter à cause d’une maladie physique ou mentale (4,7 %) et trois personnes n’ont pu être jointes (0,6 %).

2.3.2. Les procédures

Des entrevues de type face à face ont été réalisées dans les locaux des groupes populaires d’alphabétisation. Comme toute enquête sanitaire, les questions posées portaient sur des thèmes souvent très confidentiels. Les participants ont pu y répondre en toute intimité et confidentialité, grâce à !’utilisation des pictogrammes spécialement élaborés pour l’étude (Boyer et Boucher, en rédaction). La procédure d’administration est simple; l’interviewer lit les questions à haute voix et le sujet, dissimulé derrière un écran, coche, à l’insu de l’interviewer, le pictogramme représentant le mieux sa situation. Répondre au questionnaire prend environ deux heures.

(32)

2.3.3. Les instruments de mesure

Pour les fins de cette recherche, certaines sections du questionnaire autoadministré de l'enquête Santé Québec de 1992-1993 ont été retenues. La fiabilité et la validité des questions et des échelles de mesures utilisées ont fait l’objet d’une vérification lors de l’enquête précitée. Les libellés des questions et des choix de réponses sont identiques à ceux des questionnaires de l’enquête sanitaire de Santé Québec de 1992-1993 ; seuls les choix de réponses ont été transposés en pictogrammes.

Les caractéristiques sociodémographiques retenues sont : l’âge, le sexe, le niveau de scolarité, le revenu et la suffisance du revenu. L’opérationnalisation de cette dernière variable est la même que celle utilisée par Santé Québec en 1992-1993 (Audet, 1996).

L’état de santé général des sujets est mesuré à l’aide d’une seule question sur la perception générale de la santé. Bien que très simple, cette question est reconnue comme étant un excellent indice de la santé générale des individus (Pampalon

et al.,

1994; Goldstein, Seigel et Boyer, 1984). La détresse psychologique a été évaluée à l'aide de l'indice IDPESQ-14 de Santé Québec. Cet indice, composé de quatre facteurs (dépression, anxiété, irritabilité et problèmes cognitifs), mesure sur un continuum le degré de détresse psychologique non spécifique; il a été validé par Préville, Potvin et Boyer (1995). Les quatre questions sur les idéations suicidaires et sur les parasuicides sont les mêmes que celles utilisées dans le cadre de l'enquête Santé Québec de 1992-1993. Elles se lisent comme suit : (1) « Au cours de votre vie, vous est-il déjà arrivé de penser SÉRIEUSEMENT à vous suicider, à vous enlever la vie? », (2) « Au cours des 12 derniers mois, vous est-il déjà arrivé de penser SÉRIEUSEMENT à vous suicider, à vous enlever la vie? », (3) « Au cours de votre vie, avez-vous déjà fait une tentative de suicide, essayé de vous enlever la vie? » et (4) « Au cours des 12 derniers mois, avez-vous déjà fait une tentative de suicide, essayé de vous enlever la vie? ».

(33)

Dans le contexte d'une enquête générale comme celle-ci, l'expression « tentative de suicide » n'est pas appropriée puisque l'intention de mourir, orientation psychologique essentielle au suicide, est très difficile à établir. Ainsi, afin d'éliminer l'ambiguïté attachée à cette expression, cette dernière a été remplacée par le terme « para- suicide » qui désigne l'ensemble des gestes suicidaires qui ne conduisent pas à un décès. La catégorie des « idéatifs » ne regroupe pas les individus ayant rapporté un geste suicidaire. Par contre, le groupe parasuicide comprend les personnes rapportant autant des idéations suicidaires qu'un parasuicide3.

Pour terminer, les participants ont répondu à quatre questions au sujet d’éventuelles séparations graves qu’ils auraient vécu avant l’âge de 12 ans (la perte de la mère ou la perte du père, le divorce des parents et le placement en famille d’accueil). Chaque événement a été analysé individuellement. De plus, le cumul du nombre d’événements constitue un indice des événements stressants dans l’enfance.

Les analyses utilisées sont les suivantes : (1) Les relations non paramétriques descriptives n’impliquant que des variables nominales sont analysées à l’aide du chi carré

(%

2

)

(avec correction de Yates lorsque le degré de liberté est de 1[(χ2<־)]) ou du

test exact de Fisher, si les conditions minimales pour les analyses du chi carré ne sont pas respectées; (2) toute autre relation impliquant une variable dépendante paramétrique et une variable indépendante nominale est testée à l’aide du test

t

de Student ou le T de Berhens-Fisher (degré de liberté de Welch) selon qu’il y a homogénéité ou hétérogénéité des variances (test de Cochran); (3) la régression logistique multivariée a été utilisée pour estimer les associations entre pertes et indices de santé, ajustée pour l’âge et le sexe.

Les analyses sont effectuées à partir de données pondérées pour tenir compte de la distribution inégale des groupes d’alphabétisation populaires sur l’ensemble du territoire du Québec. Les analyses statistiques ont été menées à l’aide du logiciel

3 H faut noter que cette approche induit des prevalences légèrement surestimées puisque les dénominateurs ne comprennent pas l’ensemble des personnes rejointes par l’enquête. Néanmoins, ces variables permettent de comparer les individus rapportant des idées suicidaires ou des parasuicides à ceux qui en sont exempts.

(34)

SPSS après avoir fusionné les données de la présente étude et celles de Santé Québec de 1992-1993.

2.4. Les résultats

2.4.1. Les caractéristiques sociodémographiques de !'échantillon

Parmi les participants, plus de femmes (61 %) que d’hommes (39 %) ont entrepris une démarche d’alphabétisation au sein des groupes populaires d’alphabétisation. La majorité des répondants est âgée entre 25 et 64 ans (82 % ; M = 44 , ET - 13,95 ) et compte neuf années ou moins de scolarité (78 %). Leurs parents ont également un faible niveau de scolarité puisque 43 % des mères et 38

%

des pères n’ont qu’une éducation de niveau primaire. Le français est la langue usuelle pour la majorité des personnes rencontrées (83

%)

et la langue maternelle de 77

%

d’entre eux. De ce dernier groupe, 8

%

sont de nouveaux francophones4.

Près du tiers (31 %) des gens ont un revenu inférieur à 6 000 $, 49

%

rapportent un revenu oscillant entre 6 000 $ et 11 999 $ et 20 % déclarent un revenu de 12 000 $ et plus. L’indice de suffisance du revenu élaboré par Santé Québec permet également d’établir que la majorité se trouve dans la catégorie « très pauvre / pauvre » (83

%)

et que très peu de répondants sont classés dans la catégorie de revenu « moyen inférieur et plus » (17

%).

2.4.2. La comparaison de l’état de santé

En ce qui concerne la perception générale de la santé (tableau 1), la proportion des sujets analphabètes ayant une perception moyenne ou mauvaise de leur santé est trois fois plus élevée que chez les personnes plus favorisées de la population générale (30,6 % contre 9,1 %) (RC ajusté = 4,4) et près de 1,5 fois plus grande que chez les 4 Les nouveaux francophones sont des gens dont la langue maternelle n’est pas le français, mais qui, aujourd’hui, parlent surtout le français à la maison.

(35)

Québécois faiblement scolarisés et pauvres (30,6 % contre 22,7 %)

(RCajusté

= 1,6) (tableau 2).

De même, les sujets de l’étude présentent une plus forte prévalence de détresse psychologique sévère (RCajusté = 4,0) que l’ensemble des Québécois favorisés (56,7

%

contre 25,6

%)

et que le groupe plus défavorisé (56,7

%

contre 32,5

%)

(RCajusté = 2,7). Une différence semblable est aussi observée sur le plan des idéations suicidaires sérieuses au cours de la vie et au cours des 12 derniers mois. Pendant toute la durée de leur vie, les participants rapportent avoir eu une idée suicidaire sérieuse trois fois plus fréquemment que le groupe des Québécois favorisés (25,7

%

contre 8,1 %) (RCajusté = 4,5) et 2,6 fois plus souvent que le groupe des Québécois plus défavorisés (25,7 % contre 9,8 %) (RCajusté = 3,4). Ces différences persistent également lorsque l’on se limite à la période de 12 mois. Les personnes en processus d’alphabétisation de l’étude rapportent avoir eu plus souvent une idée suicidaire (11,7% contre 3,8%) que le groupe des favorisés (RCajusté = 4) et que celui des plus défavorisés (11,7

%

contre 5,4

%)

(RCajusté

= 2,5).

En ce qui a trait aux parasuicides, 18,4

%

des participants disent avoir fait au moins un parasuicide au cours de leur vie; cette proportion est beaucoup moindre pour le groupe des Québécois favorisés (3,4 %)

(RCajusté

7 ־) ainsi que pour le groupe des plus défavorisés (18,4 % contre 6,5 %) (RCajusté = 3,4). Ces différences deviennent encore plus manifestes lorsque l’on examine les réponses à cette même question pour l’année en cours. Les participants disent avoir attenté à leurs jours dans une proportion de 4,5

%

contre 0,5 % dans le groupe des favorisés (RCajusté = 10,7) et contre 1

%

dans le groupe des plus défavorisés (RCajusté = 4,3).

2.4.3. Les stresseurs dans 1 ’enfance

Concernant l’exposition des participants aux quatre stresseurs retenus (perte de la mère, perte du père, séparation des parents et placement dans une famille d’accueil),

Références

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