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Décisions éthiques pour la prise en charge des patients en réanimation de l'admission à l'arrêt thérapeutique

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Pour l'obtention du grade de

DOCTEUR DE L'UNIVERSITÉ DE POITIERS UFR de médecine et de pharmacie

Ischémie reperfusion en transplantation d organes mécanismes et innovations thérapeutiques -IRTOMIT (Poitiers)

(Diplôme National - Arrêté du 7 août 2006) École doctorale : Biologie-santé - Bio-santé (Limoges)

Secteur de recherche : Biosanté

Présentée par :

René Robert

Décisions éthiques pour la prise en charge des patients en réanimation de l'admission à l'arrêt thérapeutique

Directeur(s) de Thèse : Roger Gil

Soutenue le 27 novembre 2013 devant le jury Jury :

Président Thierry Hauet Professeur, CHU de Poitiers

Rapporteur Alain Mercat Professeur, CHU d'Angers

Rapporteur Jean Reignier Praticien hospitalier, CHU de la Roche-sur-Yon

Membre Roger Gil Professeur, CHU de Poitiers

Membre Gérard Mauco Professeur, CHU de Poitiers

Membre Sadek Beloucif Professeur, CHU d'Avicennes

Pour citer cette thèse :

René Robert. Décisions éthiques pour la prise en charge des patients en réanimation de l'admission à l'arrêt thérapeutique [En ligne]. Thèse Biosanté. Poitiers : Université de Poitiers, 2013. Disponible sur Internet <http://theses.univ-poitiers.fr>

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THESE

pour l'obtention du Grade de

DOCTEUR DE L'UNIVERSITE DE POITIERS (Faculté des Sciences Fondamentales et Appliquées)

(Diplôme National – Arrêté du 7 août 2006) (décret du 16 janvier 2004)

Ecole Doctorale : Biosanté Secteur de Recherche : ED n° 524

Présentée par :

par René ROBERT

*******************

DECISIONS ETHIQUES POUR LA PRISE EN CHARGE DES PATIENTS

EN REANIMATION DE L’ADMISSION A L’ARRET THERAPEUTIQUE.

*******************

Directeur de Thèse : GIL Roger *******************

Soutenue le 27 novembre 203 devant la Commission d'Examen

******************* JURY

Monsieur le Professeur GIL Roger – Directeur de Thèse Monsieur le Professeur MERCAT Alain - Rapporteur Monsieur le Docteur REIGNIER Jean - Rapporteur Monsieur le Professeur BELOUCIF Sadek

Monsieur le Professeur MAUCO Gérard Monsieur le Professeur HAUET Thierry

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A Roger Gil merci de m’avoir accompagné et guidé dans cette nouvelle aventure. A votre contact, c’est un plaisir permanent de décortiquer la réflexion et de réaliser combien l’Ethique est vivante.

A Sadek Beloucif, nos chemins se sont croisés à plusieurs reprises. Je suis vraiment très heureux et très honoré de t’avoir dans mon jury car j’apprécie ton envergure et ton recul en matière d’Ethique.

A Alain Mercat : nous partageons, entre autres, quelques doses d’anticonformisme indispensables à la créativité.

A Jean Reigner : nous avons en commun des idées, des concepts, des valeurs pour notre métier, mais au-delà nous partageons beaucoup de ce qui donne un sens à la vie.

A Thierry Hauet : tu m’as accueilli dans ton unité et même si je m’en suis un peu éloigné ces derniers temps, les souvenirs et liens qui nous unissent sont anciens et forts. Tu as su me donner une place pour l’Ethique au milieu des animaux et des cellules.

A Gérard Mauco : pour ton animation de la recherche dans notre Faculté et notre Université, pour en avoir été un des starters majeurs et pour avoir une part active dans la transmission de l’émulation et de la motivation aux étudiants.

Au service de Réanimation Médicale, médecins (mes très chers collègues), cadres de santé qui ont souvent été mes complices, infirmières et infirmiers, aides-soignantes et aides- soignants, kinésithérapeutes, agents de service hospitaliers, secrétaires. Vous m’avez accompagné pendant toutes ces années et il en reste encore quelques unes à faire ensemble. Réanimation, ça veut dire EQUIPE et c’est pour moi un symbole très fort.

A Didier Payen, mon mentor inaltérable.

A Gisèle, Benoit et leurs filles, ma famille d’adoption.

A ma famille : ceux qui ne sont plus là, Mamie, Pépé, Papa à qui je pense et ceux qui heureusement sont toujours à mes côtés, ma maman, mes frères Jean-Christophe et Marc-Antoine et leurs troupes respectives.

A mes trois gars Jean-René, Matthieu et Ugo qui sont ma plus grande fierté.

A Marie-Françoise, my best life support, j’espère qu’on va continuer à traverser la vie avec humour et tendresse.

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SOMMAIRE

Introduction ... 1

Première partie : ADMISSION ET NON ADMISSION D’UN PATIENT EN REANIMATION ... 5

1. Le "triage" ou la "sélection" ... 7

1.1 Assumer la terminologie ... 7

1.2 Objectifs du triage ... 8

1.3 Les éléments qui influencent le triage ... 9

1.3.1 Gravité des patients et admissions excessives en réanimation ? ... 9

1.3.1.1 L’admission de malades peu graves, place des unités de surveillance continue ... 9

1.3.1.2 L’admission en réanimation de malades trop graves ... 11

1.3.1.3 Utilisation des scores ... 12

1.4 Admission du malade cirrhotique en réanimation ... 14

1.5 Influence de l’âge ... 18

1.6 Volonté du patient et non admissions ... 19

1.7 La subjectivité inévitable de l’information ... 21

1.8 L’avis des proches ... 23

1.9 Evaluation de la qualité de la vie avant le séjour en réanimation ... 25

1.10 Décision en fonction du lieu ... 26

2. Causes et conséquences du manque de lits disponibles en réanimation ... 27

2.1 Conséquences d’un nombre insuffisant de lits de réanimation ... 30

2.2 Non admission par manque de place ... 31

2.3 L’étude NAPAPLA ... 32

2.3.1. Les résultats principaux étaient les suivants ... 32

2.3.2 Discussion ... 35

2.3.3 Les limites de l’étude NAPAPLA ... 36

2.3.4 Aspects éthiques ... 37

2.3.5 Admission et disponibilité en lits ... 38

2.3.6 Mécanismes psycho-éthiques ... 41

2.3.7 Conclusion ... 43

Deuxième partie : LIMITES DU SEJOUR EN REANIMATION ... 45

1. Limitation et arrêts thérapeutiques en réanimation ... 46

1.1 Comment est-ce que tout cela a commencé ? ... 46

1.2 Etude LATAREA ... 47

1.2.1 Résultats principaux ... 47

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1.3 Existe-t-il une différence entre limitation et arrêt thérapeutique ? ... 58

1.4 Les modalités de l’arrêt thérapeutique ... 59

2. La tentation euthanasique : La Loi Leonetti : faut-il aller plus loin ? ... 67

Troisième partie : ADMISSIONS PARTICULIERES EN REANIMATION ... 73

1. Admission d’un patient décédé dans le but de prélever ses organes ... 74

1.1 L’Etude éthicoeur ... 78

1.2 Sommes-nous prêts pour le Maastricht III ? ... 82

Conclusions ... 89

Références ... 91

Annexes (articles) ... 105 - Article 1 : Robert R, Pinsard M : Le triage pour l'admission en réanimation est-il une limitation des soins ? Ethique en Réanimation. Boles JM, Lemaire F éditeurs. Elsevier 2004 pp 232-242

- Article 2 : Robert R Critères d’admission et de sortie en réanimation. In Management en réanimation. F Saulnier, J Bion Elsevier ed. 2000 pp 430-442 .

- Article 3 : Robert R. Admission en réanimation. In: Boles JM, Bolaert PE, Jaeger A, Offenstadt G, Saulnier F, Wolff M, Zeni F, editors. Principes de reanimation, 2nd ed. Paris: Masson; 2009. pp 1890-1892

- Article 4 : Filloux B, Ragot S, Voultoury J, Chagneau-Derode C, Beauchant M, Silvain C, Robert R. Short-term and long-term vital outcome of cirrhotic patients admitted to an intensive care unit. Eur J Hepatol Gastroenterol 2010; 22 :1474-1480

- Article 5 : Goudet V, Charier F, Robert R. Quel malade cirrhotique faut-il admettre en réanimation ? Réanimation 2011 ;20 :502-507

- Article 6 : Robert R, Reignier J, Tournoux-Facon C, Boulain T, Lesieur O, Gissot V, Souday V, Hamrouni M, Chapon C, Gouello JP; for the Association des Réanimateurs du Centre Ouest Group. Refusal of intensive care unit admission due to a full unit: impact on mortality. Am J Respir Crit Care Med. 2012;185:1081-1087

- Article 7 : Robert R, Ferrand E et groupe ARCO. Limitation et arrêts des thérapeutiques actives en réanimation : expérience de dix centres. Réan Urg 1996; 5, 611-616

- Article 8 : Ferrand E, Robert R, Ingrand P, Lemaire F and the LATAREA group Withholding and withdrawal of life support in intensive-care units in France: a prospective survey. Lancet. 2001 ; 357 :9-14.

- Article 9 : Robert R, Salomon L, Haddad L, Graftieaux JP, Eon B, Dreyfus D. Fin de vie en réanimation : la loi Leonetti est-elle suffisante ? Reanimation 2013 ; 22:343-349

- Article 10 : Goudet V, Albouy-Llaty M, Migeot V, Pain B, Dayhot- Fizelier C, Pinsard M, Gil R, Beloucif S, Robert R Does uncontrolled cardiac death for organ donation raise ethical questions? An opinion survey. Acta Anesth Scand 2013 57: 1230–1236

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La prise en charge d’un patient de réanimation sous-entend la mise en œuvre de moyens humains et matériels importants intensifs et souvent invasifs :

- Intensifs par la nécessité de surveillance clinique et biologique rapprochée, et la multiplicité des actes techniques nécessaires à la surveillance et au traitement du patient.

- Souvent invasifs par l’utilisation de techniques associées à des risques potentiels qui leur sont propres.

Le patient de réanimation est le plus souvent vulnérable et dépendant :

- Vulnérable car la nature de l’agression aigue, ou la présence de pathologies sous-jacentes, l’utilisation de thérapeutiques sédatives, le stress auquel il est soumis, l’empêchent d’être l’acteur principal de ses choix médicaux au sens de la Loi du 4 mars 2002 (Loi 2002-303). Dépendant car la maladie et ses traitements nécessitent une assistance souvent totale pour les besoins physiologiques de base : hygiène corporelle, alimentation, fonctions d’élimination urinaire et digestive, aide constante à la mobilisation.

Ainsi on réalise d’emblée que les principes fondamentaux de l’éthique sont bousculés: la bienfaisance et la non-malfaisance sont remplacées par la notion de bénéfice-risque ; le principe d’autonomie est réduit à sa plus simple expression puisque le malade n’est pas dans les conditions pour mettre en œuvre son droit à l’autonomie. Enfin la justice distributive peut également être ébranlée par le manque de places disponibles en réanimation et par l’inégalité potentielle des ressources sur le territoire (Annane et al 2013).

La réanimation a pour but de traiter des défaillances vitales uniques sévères ou associées. Cependant le "retour à la vie" n’est pas le seul objectif des réanimateurs, il s’agit également

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et sans doute essentiellement de redonner une vie de qualité ou au moins de la meilleure qualité possible.

Dans une pensée idéale, on voudrait donc que l’hospitalisation en réanimation permette dans une majorité de cas, de sauver la vie du patient et de lui redonner une vie de qualité, en connaissant la difficulté de définir ce qu’est la qualité de la vie.

Ainsi, l’admission d’un malade en réanimation doit éviter les patients dont la gravité est insuffisante (too well to benefit) ou dont la gravité est trop importante du fait de co-morbidités importantes associées ou du fait d’une sévérité aigue associée à une probabilité de décès très forte (too sick to benefit). Au moment de la proposition de l’admission, une charge excessive en soins ou un manque de place nedevrait pas interférer avec l’indication médicale d’admission. Enfin le séjour en réanimation ne doit pas être prolongé de façon inutile du fait d’impossibilité de re-transfert vers des unités de soins standard ou du fait d’obstinations thérapeutiques déraisonnables. A chacune de ces étapes s’intègre une réflexion éthique dans laquelle on retrouve les grand principes éthiques : bienfaisance, autonomie, justice distributive, non malfaisance ainsi que, par certains aspects la classique opposition entre éthique utilitariste et éthique de la personne. Au total parallèlement au parcours du patient en réanimation, il existe un continuum éthique qui doit être intégré dans sa prise en charge.

De plus, les progrès techniques et l’évolution de la société ont conduit les réanimateurs à accepter d’autres missions, comme celle de la gestion de patients devenus donneurs d’organes. Ce sontdes situations au cours desquelles il ne s’agit plus de réanimer le patient, mais ses organes avec la perspective de soigner d’autres malades, qu’on ne connait pas, soulevant de nouvelles questions éthiques, comme celle de soigner un mort. En effet, le mot soigner dans le sens général de s’occuper du bien être de quelqu’un, concerne toujours un

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vivant, humain ou animal alors que dans cette situation il s’applique avec beaucoup de justesse à quelqu’un de mort. Ce questionnement éthique a été exacerbé par la possibilité de réaliser des prélèvements d’organe chez des patients décédés d’arrêt cardiaque soulignant les interrogations sur : la définition de la mort, l’instrumentalisation du corps, le consentement implicite ou explicite et les aspects de l’information des proches et plus largement du public.

Dans ce travail, nous discuterons les aspects éthiques qui jalonnent le parcours du patient en réanimation depuis la discussion de son admission jusqu’à sa sortie. Dans une dernière partie, nous aborderons les aspects éthiques particuliers liés aux nouvelles directions prises dans le domaine du prélèvement d’organe chez des patients décédés d’arrêt cardiaque.

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Première partie :

ADMISSION ET NON ADMISSION D’UN PATIENT

EN REANIMATION

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L'indication de l'admission d'un patient en réanimation repose sur l'idée que le bénéfice pour le malade sera supérieur à celui de son admission dans une autre unité. Ainsi il faudrait admettre en réanimation des patients pour lesquels les moyens humains et techniques permettent un gain sur la survie des patients tout en leur assurant le maintien d’une qualité de vie à l’issue du séjour ou sans que ce gain ne se solde par une détérioration inacceptable de la qualité de vie. A l’opposé, il ne faudrait pas admettre des patients non suffisamment graves pour lesquels la réanimation serait une contrainte inutile en termes de confort d’hospitalisation et de surcoût induit par de telles conditions d’hospitalisation. Il ne faudrait pas non-plus admettre des patients trop graves pour lesquels les traitements "invasifs" de réanimation pourraient représenter une forme d’acharnement thérapeutique. Là encore, cette hospitalisation en réanimation serait génératrice de surcoûts inutiles au vu du bénéfice réel pour le patient. Dans la plupart des cas la décision d’admettre ou de ne pas admettre un patient en réanimation est simple, mais parfois, les situations sont plus complexes et il n’existe pas de critères absolus d’admission ou de non admission en réanimation. De plus, d’autres facteurs interviennent dans la décision de l’admission en réanimation : la volonté du patient, le nombre de places libres, la disponibilité de l’équipe en termes de charge en soins. La Société Américaine de Réanimation a proposé un classement permettant de prioriser l'admission d'un patient en réanimation (Task force American College of Critical Care Medicine 1999). La priorité 1 correspond à un patient instable qui nécessite un traitement et/ou une surveillance qui ne peut être mis en œuvre dans une autre unité (utilisation de vasopresseurs, ventilation artificielle...). Aucune limitation thérapeutique n'est envisagée pour ces patients. Ces patients doivent être admis en priorité dans les services de réanimation. La priorité 2 correspond à des patients qui nécessitent une surveillance importante et qui peuvent à tout moment nécessiter un traitement majeur de suppléance.

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Ces patients peuvent relever d’unité de surveillance continue connectée à un service de réanimation. La priorité 3 correspond à des patients instables, qui sont susceptibles de recevoir des traitements de suppléance vitale mais dont l'intensité des traitements peut être limitée (pas d'intubation, de réanimation cardio-pulmonaire...) du fait de la maladie sous-jacente (cancer, cirrhose,...). Pour la priorité 4, il s'agit de patients qui ne sont en règle pas destinés à une admission en réanimation. Cependant une admission peut malgré tout parfois être décidée à l'issue d'une discussion au cas par cas.

Dans une majorité de situations, les critères d’admission en réanimation sont évidents car il existe une défaillance d’organe avec des signes manifeste de gravité car il existe plusieurs défaillances associées et que ceci survient chez un patient jeune ou ayant peu de co-morbidités. D’autres cas sont plus complexes et plusieurs raisons peuvent motiver le refus d’admission d’un patient en réanimation :

- l’absence de gravité suffisante ("too well to benefit) ou la trop grande gravité du patient ("too sick to benefit"). L’appréciation de ces éléments est sous la dépendance de la stratégie de "triage" adoptée pour l’admission en réanimation

- le manque de personnel suffisant - le manque de place disponible.

Dans cette première partie nous envisagerons les différents aspects qui alimentent la réflexion autour du "triage".

1. Le "triage" ou la "sélection" 1.1 Assumer la terminologie

Le terme de triage vient de la terminologie anglo-saxone qui englobe les notions d’évaluation (assessement) et de priorisation (priorization). En français le triage a une

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signification similaire intégrant la notion de tri et de répartition en fonction de choix. Cependant, le terme est plus souvent employé en référence à des gares spécialisées ou des matériaux que pour "sélectionner" des malades. Le terme français le plus proche serait celui de "sélection", mais qui n’est pas traduit en anglais par "triage". Nous garderons le terme de triage car il est le plus utilisé dans la littérature, y compris en français. D’ailleurs le terme est aussi largement utilisé en médecine militaire (tri des blessés et du degré d’urgence par exemple) et n’est pas connoté négativement.

1.2 Objectifs du triage (Robert 2004, article 1)

Le triage a donc pour objectifs de ne pas admettre en réanimation les malades trop graves ou insuffisamment graves. Il permet, le cas échéant de proposer l’admission dans des structures intermédiaires : Unité de Surveillance Continue (USC). De très nombreux travaux sont consacrés à cet aspect de la réanimation (Franklin C et al. 1990 ; Sprung CL et Eidelman LA 1997 ; Sprung CL et al 1999 ; Azoulay E et al 2001 ; Garrouste-Orgeas M et al 2003).

En 1997, le groupe de l’American Thoracic Society (ATS) Bioethics Task Force a publié un rapport basé sur des opinions d’experts stipulant que l’admission d’un patient en réanimation devait considérer un seuil de besoin et un seuil de bénéfice attendu (Ethics Committee Society of Critical Care Medicine 1997). Depuis, des recommandations de triage ont été publiées aux états unis (SCCM) et en France (Robert 2000 ; article 2, Robert 2009 ; article 3). Les critères d’admission en réanimation reflètent le type de pathologies qui doivent y être prises en charge et surtout précisent les critères de gravité qui y sont associés. Ils soulignent de plus la mission de prise en charge de défaillance multi-organes. Les critères de non admission intègrent la qualité de vie antérieure du patient. La présence de co-morbidités, de leur pronostic et de leurs possibilités thérapeutiques spécifiques, du

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pronostic de l’affection en cours. Malheureusement, les performances pour prédire le décès imminent d’un patient sont souvent médiocres, en dehors de certains cadres pathologiques, et de nombreux facteurs subjectifs interfèrent dans l’appréciation de la qualité de vie du patient. De plus, des variations importantes existent vis-à-vis de l’utilisation des ressources qui modulent la perception (Chen et al 2012). Il existe également des facteurs organisationnels, structuraux et économiques qui peuvent influencer la décision d’admission ou non en réanimation : nombre de lits disponibles au moment de l’appel, possibilité pour le réanimateur d’examiner lui-même le patient ou appel téléphonique, volonté d’assumer une responsabilité de centre de recours (Garrouste-Orgeas et al 2003).

1.3 Les éléments qui influencent le triage

1.3.1 Gravité des patients et admissions excessives en réanimation ?

1.3.1.1 L’admission de malades peu graves, place des unités de surveillance continue (Voultoury et al 2008)

Le concept d’unités de soins continus (intermediate care) est né aux Etats-Unis dans les années 80 devant la constatation d’une fréquence élevée (65 à 80 %) d’occupation des lits de réanimation par des patients ne justifiant que d’une surveillance attentive, dans le but de libérer des lits de réanimation "lourde" et d’améliorer la prise en charge de patients considérés potentiellement instables et jusque-là admis en unités de soins standards (Henning et al 1987).

Ces USC permettent de diminuer la durée de séjour en réanimation, le taux de réadmission des patients en réanimation (Fox et al 1999), les taux de mortalité dans les structures avec peu de lits de réanimation (Franklin et al 1988), le coût d’hospitalisation en réduisant la

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durée de séjour en réanimation sans préjudice pour les patients (Terres and Steingrub 1987),

et enfin le ratio infirmière-patient et aide-soignante patient.

Il est logique de penser que l’existence de ce type d’unité soit intégrée dans la stratégie de triage des patients, réduisant le nombre de patients peu graves dans les unités de réanimation. Nous avons décrit dans une revue générale les éléments ayant conduit au développement de ces USC, les critères d’admission des patients et les caractéristiques fonctionnelles de ces unités (Voultoury et al 2008). Cependant, il existe peu d’études en France ayant analysé de façon prospective l’impact de la création de ces USC sur le fonctionnement d’un service de réanimation. En théorie, une meilleure optimisation entre les moyens médicaux-soignants et la gravité du patient est en adéquation avec une meilleure gestion des moyens financiers. Cependant deux stratégies organisationnelles s’opposent dans la création d’USC. Le système fermé où l’USC est à proximité, mais géographiquement distincte de l’unité de réanimation et le système ouvert où les lits d’USC sont mêlés aux lits de réanimation. Le système fermé a les avantages de "protéger" le patient de l’exposition aux contraintes d’une unité de réanimation : bruit, lumière intimité et d’assurer une dissociation médico-administrative nette. Il a les désavantages de la nécessité des transferts de lits entre deux unités distinctes, de la sous-évaluation médico-économique des ressources nécessaires pour certains patients. Le système ouvert a les avantages d’une gestion intégrée de la charge de travail, d’une plus grande souplesse dans le codage des séjours, d’une plus simple réactivité en cas d’aggravation ou de ré-aggravation du patient. Il a les inconvénients potentiels de la priorisation éventuelle des soins délivrés aux patients les plus graves, de l’exposition des patients aux contraintes du séjour en réanimation. La crainte éthique pour l’organisation de ces USC est que les choix stratégiques soient alimentés plus par des considérations financières que des préoccupations de soin et de bientraitance.

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1.3.1.2 L’admission en réanimation de malades trop graves

En théorie, il n'est pas recommandé d'admettre des patients dont le pronostic vital est trop mauvais. Les anglo-saxons ont proposé le terme de "futile", pour décrire les thérapeutiques entreprises dans des situations au cours desquelles l'espérance de vie à court terme est particulièrement réduite, l'espoir d'une qualité de vie ou d’une vie de qualité acceptable à l'issue de l'hospitalisation en réanimation est extrêmement faible, la qualité de vie préalable est médiocre (patient grabataire). Les difficultés de triage sont illustrées par plusieurs questionnaires qui soulignent que nombre de réanimateurs acceptent d’admettre en réanimation des patients qui ne le devraient pas. Dans une étude ancienne par questionnaires, 64 % des réanimateurs européens reconnaissaient admettre des patients sans chance de survie (Vincent 1990). Dans une autre étude réalisée à partir d’un cas clinique fictif, 62 % des réanimateurs accepteraient l’admission dans leur unité d’un patient de 88 ans ayant une espérance de survie de 5 % et 17 %, des réanimateurs accepteraient d'admettre en réanimation un patient dont ils estimeraient la probabilité de survie à moins de un pour cent (Mc Narry and Goldhill 2004). Dans une étude italienne récente 86 % des médecins reconnaissent que des admissions peuvent être inappropriées, du fait de doutes sur le pronostic ou de manque de temps (Giannini and Consonni 2006). En 1999, une enquête européenne par questionnaire montrait que 73 % des services de réanimation interrogés admettaient en réanimation des patients sans espoir de survie au-delà de quelques semaines, alors que seulement 33 % des médecins de ces services pensaient que ces mêmes patients devraient l'être (Vincent 1999). Ces résultats suggèrent les difficultés particulières de décision pour le réanimateur confronté à la proposition d'un patient dans certaines situations. Ainsi, face à de telles situations, on peut discuter les éléments qui

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conduisent à admettre un patient en réanimation malgré un pronostic jugé "catastrophique" et les facteurs qui conduisent le réanimateur à refuser l'admission en réanimation d'un tel patient.

La difficulté est d'évaluer de façon pertinente le risque de décès avant l'admission en réanimation. En effet, il existe peu de critères permettant d'estimer ce risque de façon fiable. Certaines pathologies sous-jacentes sont associées d'emblée à un haut risque de mortalité en cas de défaillance multiviscérale : hémopathies malignes, cancers, cirrhose (Moreau et al 1992; Robert and Ferrand 1998 ; Robert and Veinstein 2003). Dans ces situations, la mortalité en réanimation est supérieure à la mortalité des autres malades pour une gravité initiale identique. Cependant, le pronostic des séjours en réanimation de ces patients s'est amélioré ces dernières années (Larche J et al 2003 ; Sauneuf et al 2013). Ainsi, même dans ces populations, des sous-groupes de patients avec une mortalité proche de 100 % sont difficiles à identifier. Ainsi le réanimateur est-il confronté à une difficulté éthique majeure d’une tension entre une éthique de la personne – comment être sûr qu’i ne faut pas

donner "sa chance" au malade, et une éthique utilitariste – la probabilité de succès est tellement faible que je ne dois pas imposer ce "coût" inutile à la société.

1.3.1.3 Utilisation des scores

Les scores utilisés en réanimation Indice de Gravité Simplifié (IGS)2, Acute Physiologic And Chronic Health Evaluation (APACHE) II ou APACHE III, Mortality Prediction Model (MPM), ne peuvent être utilisés pour décider de l'admission d'un patient en réanimation. Ils semblent peu performants en amont de la réanimation, ils manquent de sensibilité et ne sont pas indépendants des traitements entrepris dans les premières heures d'admission à l'hôpital et enfin ne peuvent être appliqués à l'échelon individuel pour décider de la poursuite ou non

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de la réanimation (Lemershow S et al 1983). Une étude a évalué la pertinence du score APACHE II calculé avec les données disponibles avant l'admission du patient, comme aide à la décision d'admission en réanimation (Rodriguez et al 1997). Il existait des discordances entre le score et l’admission en réanimation, aussi bien dans les scores élevés que bas. Enfin, le score MPM, établi par Lemeshow et al (Lemeshow et al 1993) est le seul score de prédiction de mortalité pouvant être utilisé avant l'admission en réanimation. Cependant, l'utilisation prospective de ce score pour prédire le risque de décès en réanimation s'est révélée peu pertinente, y compris dans des situations à haut risque de mortalité (Garrouste et al 2003 ; Rodriguez et al 1997). En effet, à partir d'une population de 243 patients hospitalisés en réanimation, au moment de l'admission, le score MPM n'était capable de prédire le décès que dans un cas sur 55 (sensibilité = 2 %). Un groupe composé de réanimateurs pouvait identifier 13/55 des décès au moment de l'admission en réanimation (Rodriguez et al 1997). Dans cette même étude, l'évaluation du mauvais pronostic fonctionnel à l'issue du séjour en réanimation était également médiocre.

Ainsi, l'utilisation des scores de sévérité multiparamétriques n'apparaît pas recommandée pour contre-indiquer l'admission en réanimation d'un patient dont le pronostic serait jugé trop mauvais. En revanche, tous ces scores prédisent bien la survie. Plusieurs études ont montré leur très bonne performance pour juger dès les premières heures d'admission, les patients au très faible risque de recours à des soins de réanimation (Wagner et al 1997; Zimmerman et al 1996).

Quelques études ont cherché à améliorer la prédictibilité du pronostic d'un séjour en réanimation à partir d'indicateurs de défaillance d'organe ou de scores spécifiques. Ces travaux sont souvent anciens ou ne se sont focalisés que sur certaines pathologies

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(hémorragies digestives, post-opératoire, polytraumatisés, cirrhose) (Kass et al 1992 ; Kollef et al 1995 ; Marshall et al 1995 ; Champion et al 1996 ; Rockall et al 1996).

A titre d’exemple, on peut analyser le pronostic d’un de ces groupes de patients particulièrement à risque de décès lors de leur admission en réanimation.

1.4 Admission du malade cirrhotique en réanimation (Filloux et al 2010; Goudet et al 2011 ; Article 4 et 5)

La proposition d'admission d'un patient cirrhotique en réanimation soulève fréquemment de la part des réanimateurs des réticences étant donné la forte probabilité de décès supposée élevée. En effet quel que soit leur motif d’admission en réanimation, hémorragie digestive, encéphalopathie, infections bactériennes ou insuffisance rénale aigue, les altérations du système immunitaire d’une part et du système cardio-circulatoire d’autre part, augmentent de façon importante le risque de défaillance multiviscérale chez ces malades. Ainsi plusieurs études ont montré que la cirrhose était un facteur indépendant de mortalité au cours de pathologies de réanimation. Elle est un facteur indépendant prédictif du décès chez des patients hospitalisés en réanimation pour une défaillance respiratoire (Monchi et al 1988). La cirrhose est d'ailleurs intégrée en tant que telle au calcul du score APACHE II (Acute Physiologic, Age and Chronic Health Evaluation), score d'évaluation de la gravité des patients très utilisé en réanimation (Knaus et al 1985). Dans les années 80 la mortalité du patient cirrhotique en réanimation était proche de 100 % (Moreau et al 1992, Shellman et al 1988). Dans une revue de la littérature en 2006 reprise et actualisée dans un chapitre de livre en 2009, nous avions rapporté que cette mortalité dans les études plus récentes était aux

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alentours de 50 % comme l’illustre le tableau 1 (Robert et Veinstein 2006 ; Filloux et al 2009 ; Goudet V et al 2012).

Tableau I: Mortalité des malades cirrhotiques admis en réanimation. * Pour les références se référer à l’article Goudet V et al 2012.

Références Année Nb de patients Age Child C (%) Mortalité réa (%) hospit (%) Mortalité

Goldfarb et al (25) 1983 100 53 - 89 - Shellman et al (26) 1985 74 51 53 61 - Zauner et al (3) 1996 198 51 89 52 - Castera et al (4) 1996 243 56 - 36 - Zimmerman et al (5) 1996 117 53 - - 63 Singh et al (6) 1998 54 48 - 43 - Zauner et al (7) 2000 196 51 89 52 - Afessa et al (8) 2000 111 49 41 21 - Aggarwal et al (9) 2001 480 55 - 37 49 Wehler et al (10) 2001 143 53 68 36 46 Tsai et al (11) 2004 160 56 - - 65 Rabe et al (12) 2004 76 56 80 59 - Chen et al (13) 2004 67 59 - 87 - Gildea et al (14) 2004 420 55 - 44 - Cholangitas et al (15) 2006 312 51 65 - Benhaddouchet al (16) 2007 180 59 78 34 - Filloux et al (17) 2010 86 57 63 37 - Das et al (18) 2010 138 - - 41 54

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Très récemment une étude a confirmé ces données en comparant les mortalités de patients cirrhotiques admis en réanimation pour choc septique pendant deux périodes de temps successives, montrant une réduction de mortalité de 83 % à 60 % (Sauneuf et al 2013). Nous avons réalisé une étude rétrospective monocentrique concernant près de 100 patients cirrhotiques hospitalisés en réanimation sur une période de 5 ans et trouvé une mortalité en réanimation de 37 %. Dans cette étude, nous avons également rapporté que la mortalité de cette population à 6 mois était de 60 %. Cette mortalité à distance de la réanimation avait été peu évaluée auparavant. La question cruciale dans ce type d’étude est de pouvoir identifier les facteurs qui dès l’admission permettent de proposer une non-admission en réanimation de ces malades du fait d’un risque de mortalité particulièrement élevé. Dans la littérature, de nombreux facteurs ont été corrélés de façon indépendante à la mortalité, mais peu ont une puissance suffisante pour être considérés à l’échelon individuel. Le score SOFA à l’admission est l’élément le plus constamment retrouvé lié fortement à la mortalité des patients cirrhotique (Aggrawal et al 2001 ; Wehler et al 2001, Cholangitas et al 2006 ; Filloux et al 2010 ; Das et al 2010). Dans l’étude de Wheler (Wheler et al 2001), la présence de 3 défaillances au moins à l’admission était associée à une mortalité supérieure à 95 %. Cependant seul un effectif très réduit est concerné par une telle multi-défaillance. Dans notre étude plus récente, le score SOFA est aussi très corrélé à la mortalité avec des courbes ROC ayant un r>0.9 plus performant que les autres scores généralistes ou spécifiques des maladies hépatiques (Filloux et al 2010). Dans cette étude, plusieurs malades ayant plus de 3 défaillances d’organe jugées sur le score SOFA ont une évolution favorable (Filloux et al 2010). Dans l’étude également récente de Das et al portant sur 138 patients cirrhotiques admis en réanimation, le score SOFA était également le meilleur prédicteur de mortalité (Das et al 2010). De façon intéressante, dans cette étude, des seuils ont été proposés : un

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score SOFA à J1 ≥ 15 ou ≥ 5 défaillances d’organe (défaillance hématologique exclue) avait une valeur prédictive positive de mortalité de plus de 95 %. A J3, un SOFA ≥ 12 avait une valeur prédictive positive de mortalité de 100 % (Das et al 2010).

Trois points clé doivent être pris en considération pour l’interprétation de ces études : 1/ Les études sur le pronostic du malade cirrhotique en réanimation n’intègrent pas de façon formalisée la sélection possiblement réalisée en amont de la réanimation par les hépatologues, les urgentistes ou les réanimateurs eux-mêmes et les études réalisées sont basées sur des scores établis après l’admission du malade en réanimation.

2/ la possibilité éventuelle de transplantation hépatique chez de tels patients pèse de façon majeure sur les stratégies de prise en charge quelle que soit la gravité initiale du patient 3/ l'incertitude concernant la réponse au traitement, même dans des situations qui paraissent compromises, conduit certains à des admissions larges en réanimation, quelle que soit la gravité initiale avec la proposition à J3 pouvant à ce moment aboutir à une décision de LAT (Azoulay E and Afessa B 2006), comme cela a été proposé dans d’autres situations (Guiguet et al 1998).

Les problèmes éthiques soulevés par l’admission en réanimation de malades à très haut risque de mortalité sont les suivants :

- La difficulté d’établir des sous-groupes de patients en amont de la réanimation avec la quasi-certitude d’une évolution défavorable ce qui justifierait leur non-admission.

L’analyse faite dans la discussion de l’article montre d’une part la difficulté d’isoler des critères dont la sensibilité et la spécificité sont suffisantes pour être appliqués à l’échelon individuel, et d’autre part la difficulté à montrer que ces critères sont reproductibles d’une étude à l’autre et d’un centre à l’autre. Par ailleurs, l’évolution des connaissances et des performances font que les critères risquent d’évoluer avec le temps. Cela est parfaitement

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illustré par l’étude de Sauneuf et al. déjà citée (Sauneuf et al 2013). Une évolution similaire a été mise en évidence chez les patients atteints d’hémopathie maligne (Azoulay et al 2006). - La nécessité de disposer d’études avec un recul à long terme portant sur la mortalité et les conditions de vie retrouvées des patients.

- L’absence de sevrage alcoolique

L’absence de sevrage alcoolique peut être perçue comme une limite additionnelle à l’hospitalisation en réanimation. Dans cette situation, le jugement moral porté par certains peut prendre le pas sur l’addiction comme un des éléments de la prise en charge, quel que soit le parcours antérieur du patient. Ce jugement moral renvoie aux notions de coût de la santé, d’absence de contribution apparente du patient face aux efforts consentis par la société.

Les études concernant la reprise de la consommation alcoolique sont surtout focalisées chez les malades transplantés où le taux de récidive alcoolique est de l’ordre de 40 % avec une mortalité à 10 ans de près de 50 % (Faure et al 2012).

1.5 Influence de l’âge

L'âge a souvent été un indicateur de première intention pour la limitation des admissions en réanimation (Callahan 1987 ; The Society of Critical Care Medicine Ethics Committee 1994). Il constitue indiscutablement un facteur de sévérité comme le montre le poids qu'il représente dans tous les indicateurs de gravité utilisés en réanimation (IGS, APACHE). Mais il est clair que l'âge biologique n'est un bon marqueur ni de survie, ni de qualité de vie à l'issue d'un séjour en réanimation (Chelluri et al 1995).

L'âge ne constitue pas un facteur de morbidité durant le séjour de réanimation. Ely et al montrent qu'après ajustement sur la gravité, les durées de ventilation mécanique, les durées

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de séjour en réanimation et à l'hôpital sont plus courtes chez les sujets de plus de 75 ans que chez les patients plus jeunes (Ely et al 1999). Enfin, l'âge n'est pas synonyme de dégradation des conditions de vie au décours d'un séjour en réanimation. Niskanen et al, comparant la qualité de vie estimée 6 mois après un séjour en réanimation, ne trouvent aucune différence entre les sujets âgés de plus de 70 ans et les patients plus jeunes (Niskanen et al. 1999). Dans une étude comparant les caractéristiques des patients admis et non admis en réanimation, l'age moyen des patients non admis n'était pas supérieur à celui des patients admis (Sprung et al 1999). Dans autre étude, les facteurs associés aux décisions de non admission étaient : l'âge supérieur à 65 ans, les grades C ou D de l'échelle de Knaus qualifiant l'état antérieur du patient, les diagnostics suivants à l'admission : choc, insuffisance respiratoire aiguë, insuffisance rénale aiguë, coma, et l'existence des affections chroniques suivantes: insuffisance respiratoire ou cardiaque chronique, cancer métastasé sans espoir de rémission (Azoulay et al 2001). En revanche, les récidives de leucémies avec défaillance multiviscérale ou insuffisance respiratoire aiguë et les comas végétatifs n'étaient pas associés à un refus d'admission. Cependant dans cette étude, le motif de non-admission en réanimation chez 65% des patients était l'absence de critère de gravité, rendant difficile l'interprétation de certains résultats sur le plan éthique (Azoulay et al 2001).

1.6 Volonté du patient et non admissions

La Loi du 4 mars 2002 dite Loi Kouchner sur les droits du patient marque "officiellement" le passage de la médecine paternaliste vers une médecine où le patient est décideur et responsable de ses choix médicaux. Pour permettre à cette autonomie du patient de s’exprimer, il est nécessaire d’y adjoindre les moyens de donner au patient toutes les informations qui lui permettent d’exprimer ses choix et ceci est très clairement contenu

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dans le texte de Loi (Loi du 4 mars 2002). Fort heureusement, la sensibilité médicale n’avait pas attendu la Loi pour effectuer son virage vers la reconnaissance progressive de l’autonomie du patient et améliorer les conditions de délivrance de l’information sur "la vérité au malade" ou l’énoncé du rapport bénéfice/risque de stratégies thérapeutiques ou diagnostiques. Ainsi dans la thématique qui nous intéresse, le respect de l'autonomie du patient et l'obligation légale de donner l'information vis à vis des risques majeurs liés aux traitements sous-entendent la nécessité d'obtenir l'accord du patient pour son admission ou sa non-admission en réanimation. Cependant, il existe peu d'études sur le consentement du patient à son admission en réanimation. Dans l'étude de Garrouste-Orgeas et al., la volonté du patient n'est pas connue dans 87 % des cas (Garrouste-Orgeas et al 2003). En situation aigue, dans un contexte de défaillance vitale, l’aptitude du patient à donner son consentement dans la situation où il se trouve, doit être établie. En effet, le stress, l’angoisse et les interférences avec la maladie aigue peuvent altérer les capacités de compréhension et de mémorisation des informations. Il est donc nécessaire de se poser deux questions : "Comment apprécier l’aptitude du patient ?" et "Est-ce que le consentement urgent est éthiquement acceptable ?" Cet aspect a été beaucoup étudié dans le contexte du consentement à la recherche clinique en situation aigüe (Sturman 2005), mais assez peu dans celui de la volonté réelle du patient d’être admis en réanimation (Pelluchon 2010). Dans des conditions d'urgence, au moment de l'admission en réanimation, de nombreux patients ne sont pas "compétents" pour donner leur accord ou leur refus d'admission en réanimation (Hanson et al 1994).

Ainsi que penser de l’angoisse d’un patient auquel on demanderait "êtes-vous d’accord pour venir vous faire soigner en réanimation ?". De plus, pour pouvoir faire un tel choix, il faut que le choix alternatif soit exprimé et compris. Et ici, la deuxième partie de la question

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explicitant le choix alternatif est "… ou préférez-vous mourir (sans souffrance)». Pour ajouter un tourment supplémentaire, cette question est posée dans des conditions d’urgence qui n’autorisent pas (ou peu) un délai de réflexion.

Lorsque le patient n’est pas apte à donner son consentement, l’accent est mis actuellement sur les directives anticipées. L’intérêt et le pouvoir de celles-ci ont été soulignés lors des débats récents sur la fin de vie (Aubry 2011 ; Sicard 2012; Avis 121 du CCNE). L’idée de ces directives anticipées fait surtout référence à un contexte de maladie chronique au cours de laquelle le malade informé de sa maladie et concerné au quotidien par le vécu de ses symptômes peut au mieux exprimer cette volonté anticipée. Le contexte de réanimation ou d’urgence est souvent différent quand la maladie aigue ne peut pas être anticipée ou quand la perspective du vécu de la maladie se fait de façon totalement spéculative. Une étude montre que les malades ayant une espérance de vie limitée préfèrent la mort à la survie avec séquelle ou altération des fonctions cognitives (Fried et al 2002). De même, la plupart des gens bien-portants affirment préférer mourir que de vivre sévèrement handicapé.

1.7 La subjectivité inévitable de l’information

La question de la nature des informations données par le médecin dans un contexte de discussion d’admission en réanimation doit être soulevée. Dans une approche volontairement caricaturale intégrant l’anxiété et le stress développés plus haut, d’un patient ayant des signes de détresse vitale, ayant conservé sa capacité à se prononcer et à qui on demanderait son consentement pour l’admission en réanimation, trois types d’ingrédients devraient constituer l’information donnée :

- Des informations objectives concernant la maladie, son pronostic, la nature des traitements envisagés.

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- Les données du choix alternatif, indispensables pour permettre au patient de se déterminer. En effet on ne peut pas se contenter de la question "voulez-vous être

admis en réanimation ou pas ?". Dans une telle situation, le choix alternatif à

exprimer est "… ou préférez-vous un traitement palliatif ? Un accompagnement de fin

de vie ?" ou de façon encore plus brutale "… ou préférez-vous mourir sans souffrance ?". Ici on doit prendre conscience de plusieurs points : sait-on ce que

représente la notion de soins palliatifs pour le patient concerné. Là encore il faut souligner le travail du Comité National d’Ethique qui s’est attaché dans son avis 121 à distinguer les situations de maladies chroniques incurables et celles de situations plus inattendues pour lesquelles le choix anticipé est à l’évidence plus difficile à exprimer. Même l’accompagnement de fin de vie est ici plus une façon atténuée, compassionnelle d’annoncer la mort que l’annonce de l’échéance d’une stratégie énoncée voire annoncée de soins palliatifs. L’annonce directe de la possibilité du choix de la mort en situation de détresse aigue n’est pas simple non plus. On peut imaginer des nombreux intermédiaires entre une manière lapidaire (utilitariste au sens vrai du terme) de présenter les choses et volonté assumée de franchise dans la relation médecin malade adaptée malgré tout à cette situation clinique particulière. - Des informations subjectives que l’on peut assimiler à la transmission de la préférence

du médecin, face à la situation donnée. Ainsi on peut voir cette subjectivité comme correspondant au rôle légitime de conseil du médecin, mais aussi comme étant des résidus de médecine paternaliste.

On retrouve également ces éléments de qualité et de contenu des informations, lors des échanges avec les proches de patients non conscients ou non compétents.

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1.8 L’avis des proches

En l’absence de compétence du patient pour exprimer sa volonté, l’avis des proches est souvent recherché. Ou plus exactement, on cherche à connaître à travers le témoignage des proches quelle est ou quelle aurait été la volonté du patient. De plus, l’avis des proches peut être utile dans l’estimation de la qualité de vie antérieure du patient et les éléments triés de l'interrogatoire de la famille apparaissent comme les plus prédictifs pour l'estimation de la qualité de vie après le séjour en réanimation (Chelluri et al 1995). Cependant, cette estimation est très dépendante de la façon dont est conduit l’interrogatoire, elle est souvent biaisée et ne reflète pas toujours la réalité (Magaziner et al 1988 ; Nelson et al 1990). Dans une étude basée sur la réponse par questionnaire au cas fictif d'un patient ayant une faible espérance de survie, pour 30 des 95 répondants, la décision d'admission en réanimation dépendrait uniquement des souhaits du patient ou de sa famille (McNarry et al 2003). Dans une autre étude réalisée chez des familles de patients décédés en réanimation, 70 % des familles souhaiteraient que leur proche bénéficie d'un nouveau séjour en réanimation, même si la probabilité de survie n'excédait pas un mois (Dannis and Patrick 1988). Cependant, dans cette étude, le libellé des questions n'est pas connu. Dans une des rares études évaluant le rôle potentiel des familles dans des décisions de non-acharnement thérapeutique, 16 % des patients ont exprimé à leur famille leurs souhaits concernant l'éventualité d'une réanimation cardio-pulmonaire, mais 87 % des patients interrogés pensent que leur famille pourrait se substituer à leur souhait (Seckler 1991).

En France, la Loi du 4 Mars 2002 recommande la désignation par le patient d'un représentant qui pourrait le représenter en cas d'impossibilité d'exprimer ses souhaits (Loi du 4 Mars 2002). Il n'existe pas de donnée pour évaluer le recours à cette procédure, en cas de décision de non-admission.

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Il faut souligner que rien ne permet de dire précisément si les souhaits exprimés par des proches correspondent à ceux du patient. Dans un autre domaine, celui de la recherche clinique en réanimation, quand on compare la volonté d’un patient à être inclus dans un protocole de recherche et celle de ses proches, dans 20 à 40 % des cas, les avis sont discordants dans un sens ou dans l’autre (Coppolino and Ackerson 2001 ; Ciroldi et al 2007). Les directives récentes, voudraient donner à la personne de confiance un rôle clé dans les situations où le patient n’est plus apte à donner son avis, son consentement (Loi du 22 avril 2005). Le statut de cette personne de confiance est théoriquement cadré. Elle est désignée par le patient qui la choisit ainsi comme interlocutrice privilégiée en cas d’impossibilité de donner un consentement pour exprimer ce qu’aurait été sa volonté. La personne de confiance n’a pas de pouvoir décisionnel, mais elle doit être investie de la mission de témoignage des volontés du patient. Dans ces conditions, on n’imagine donc pas une personne de confiance dire "je ne sais pas ; il ne m’en avait jamais parlé". En revanche, on accepterait un témoignage qui serait "il ne savait pas ; il voulait que je choisisse pour lui". Ainsi la personne de confiance ne saurait être assimilée à la personne à prévenir en cas d’accident, un simple nom dans la case correspondante. Dans une étude réalisée hors réanimation un patient sur deux ne sait pas ce qu’est la personne de confiance (Clément et al 1999).

Dans une situation critique comme la réanimation, le proche est partagé entre la volonté d’être partie-prenante dans les décisions concernant l’être cher et l’angoisse de se sentir investi de cette responsabilité décisionnelle. Le rôle stratégique de la personne de confiance a certainement été surévalué, au moins en situation aigue d’urgence ou de réanimation. En l’absence de désignation "officielle" par le patient, l’identification intuitive par l’équipe médicale ne correspond le plus souvent pas aux souhaits exprimés a posteriori par le malade

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lui-même (Lautrette et al 2008). Il a également été rapporté que lors de décision de LAT en réanimation, 60 % des proches et 80 % de ceux qui avaient été directement impliqués dans la décision avaient des signes de syndrome post-traumatique 6 mois après le décès de leur proche (Azoulay et al 2005). On peut imaginer des conséquences similaires pour des décisions prises aux urgences quand le facteur temps est comprimé.

1.9 Evaluation de la qualité de la vie avant le séjour en réanimation

Dans l'étude européenne par questionnaire sur l'admission en réanimation déjà citée, 95 % des réanimateurs interrogés proposent l'admission d'un patient en réanimation dont la qualité de vie parait réduite, alors que 79 % pensent que ce patient devrait être hospitalisé (Vincent 1999). L'évaluation de la qualité de la vie est subjective. L'altération de la qualité de la vie est fréquente après les séjours prolongés en réanimation (Fakhry et al 1996 ; Nasraway et al 2000). Cependant celle-ci est difficile à estimer au moment de la proposition d'admission en réanimation. Une grille permettant d'évaluer la qualité de la vie avant l'admission en réanimation a été proposée (Rivera-Fernàndez et al 1996). Cette grille relève les capacités physiques, relationnelles et le bien-être subjectif des patients et peut le cas échéant être remplie par un proche avec un score de 0 à 29 points. Ce score a été trouvé corrélé à l'âge, à la gravité initiale du patient évaluée par le score APACHE III et à la mortalité (Rivera-Fernàndez et al 2001). Cependant ce score n'a pas été utilisé comme outil de décision de non-admission en réanimation. Dans cette étude, la mortalité des patients avec un score élevé (> 15) était de 38 % et le devenir de ces patients en terme de mortalité ou de qualité de vie à distance n'a pas été évaluée.

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1.10 Décision en fonction du lieu

Deux situations peuvent être distinguées: la décision d'admission d'un patient déjà hospitalisé dans une unité de court séjour ou de soins de suite et le patient vu aux urgences. Lorsqu’un patient hospitalisé en unité de court séjour ou de soins de suite à une pathologie à risque de se compliquer et de nécessiter la réanimation, l'anticipation des décisions d'admission ou de non-admission devrait être envisagée en dehors des conditions d'urgence avec l'aide éventuelle du réanimateur. Ceci permet, une stratégie similaire à celle proposée par la SRLF pour les décisions de limitations ou d'arrêts thérapeutiques (Baud et al 2010). En effet, l'évaluation du pronostic et de la qualité de vie escomptée peuvent être formalisées par l'équipe en charge du patient, l'avis du patient peut être recherché et l'information de la famille donnée. La collégialité de la décision "anticipée" peut être obtenue et il peut être fait éventuellement appel au réanimateur pour une prise de décision commune. Cependant, ces stratégies sont encore peu développées.

Les situations d'urgence rendent plus difficile l'évaluation de la qualité de vie antérieure, du pronostic du patient. L'interprétation de la volonté du patient peut être plus délicate à apprécier dans des conditions d'urgence. L'entourage n'est pas toujours présent et la collégialité ne peut souvent pas être obtenue lorsque le patient est vu la nuit en service d'urgence. Etant donné l'incertitude concernant la réponse au traitement, même dans des situations qui paraissent compromises, certains ont proposé une admission systématique des patients ayant un pronostic péjoratif et une réévaluation clinique après deux à quatre jours, pouvant alors aboutir à des limitations thérapeutiques (Guiguet et al 1998).

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2. CAUSES ET CONSEQUENCES DU MANQUE DE LITS DISPONIBLES EN REANIMATION L’insuffisance de lits de réanimation est rapportée dans plusieurs pays (Angus et al 2000, Laake et al 2010, Adhikari et Rubenfeld 2011). Et cette pénurie risque d’augmenter car le besoin en lits de réanimation est plutôt en augmentation pour faire face à une demande croissante, liée aux progrès dans la prise en charge de pathologies graves (cancer, hémopathie, cirrhose, insuffisance cardiaque…), aux progrès technologiques repoussant les frontières du possible (assistances circulatoires) et au vieillissement de la population. Ainsi des patients qui, il y a quelques années, étaient "contre-indiqués" à la réanimation du fait de leur pronostic trop grave, sont devenus des candidats potentiels du fait de l’amélioration des survies et des possibilités de leur rendre une qualité de vie satisfaisante.

Il existe en France une hétérogénéité du nombre de lits de réanimation. Dans l’étude de M Garrouste et al. déjà ancienne, le nombre de lits de réanimation variait de 5,2 à 23,7 lits de réanimation pour 100 000 hab (Garrouste-Orgeas et al Crit Care Med 2005). Depuis, le SROSS 3 de réanimation a pu modifier les données en nombre de lits dans chaque région, en fermant des unités non conforme ou en augmentant le nombre de lits dans certaines structures. De plus l’installation progressive des unités de surveillance continue a modifié ce paysage. Néanmoins, l’hétérogénéité persiste comme en témoigne les données de l’enquête de la fédération de la Réanimation. Ce relevé ne prend pas en compte les lits de réanimation spécifiquement chirurgicale. Le nombre de lits varie de 5,4 à 11,3 avec une moyenne à 8,2 (Annane et al 2013).

Le chiffre optimal de lits de réanimation pour une population donnée n’est pas défini. En Europe, les chiffres vont de 5,4 (Portugal) à 29,2 (Allemagne) pour 100 000 hab. La France est à 11,6, la Grande-Bretagne entre 3,5 et 7,5, l’Espagne autour de 9 (Rhodes et al 2012, Prin et Wunsch 2012).

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Un nombre insuffisant de lits de réanimation conduit à des refus d’admission qui constituent une perte de chance pour les patients (Robert et al 2012). Inversement un nombre excessif de lits peut conduire à des admissions excessives de patients (trop graves ou insuffisamment graves).

Les variations de comportement vis-à-vis de l’admission de patients dépendant du nombre de lits disponibles ont été rapportées (Vincent 1990, Nuckton et al 1995, Sprung et al 2006, Stelfox et al 2012). Le nombre de lits disponibles influence les décisions d'admission en réanimation (Swenson et al 1992). Le principe éthique de justice distributive prend ici toute sa dimension. L'admission d'un malade sans bénéfice réel escompté risque de rendre indisponibles ces ressources pour d'autres patients susceptibles eux d'en profiter. Les études ont montré que quand il existe plusieurs lits disponibles, les malades sont plus facilement admis en réanimation. Quand il existe plus de trois lits disponibles dans l'unité de réanimation, il n'y a pratiquement pas de non-admission (Sprung et al 1999). Inversement, quand il existe peu de lits disponibles, seuls les patients les plus graves sont admis (Sprung et al 1999 ; Garrouste et al 2003). Enfin quand il y a peu ou pas de lits disponibles, le nombre d’explorations complémentaires pour le patient est moindre et la fréquence avec laquelle les traitements sont limités est plus élevée (14,7 % vs 8,5 %) (Stelfox et al 2012). Ceci est en contradiction avec une stratégie rationnelle d'admission en réanimation. On peut donc craindre dans de telles situations l’interférence entre le rationnel et le subjectif, les critères subjectifs risquant de prendre une importance exagérée. On peut même imaginer qu’à côté d’une vision déjà subjective de l’évaluation de la qualité de vie, d’autres critères de favoritisme n’interviennent de façon consciente ou non : influence exagérée donnée à l’âge, caractéristiques physiques, niveau socio-culturel… Ceci est bien illustré par l’article de Nuckton et al qui met en scène deux scénarios parallèles pour l’admission d’un patient en

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réanimation alors qu’il n’existe plus qu’une seule place libre l’un a 86 ans et l’autre 56 ans. Tous deux ont une sémiologie évocatrice de syndrome coronarien aigu. 81 % des réanimateurs interrogés admettent en priorité le malade le plus jeune (tableau ci-dessous). Dans un second temps on apprend que le patient le plus âgé est sans antécédent, sportif et non fumeur alors que le plus jeune est diabétique, obèse, non observant pour le régime et fumeur. Dans un troisième temps, on apprend que le patient âgé est professeur émérite en biochimie, impliqué dans l’enseignement bénévole alors que le plus jeune est chômeur, et a commis des infractions au volant. La variation des fréquences de choix d’admission apparait sur le tableau ci-dessous (Nuckton and List 1995).

Le problème éthique soulevé est celui de la justice distributive qui est mis en contradiction de deux façons. En effet s’il est vrai que l’absence de lit de réanimation disponible entraîne pour le patient un risque de sur-mortalité, les décès engendrés par de telles situations sont à considérer comme indus et injustes. Par ailleurs, la restriction de places disponibles conduit à exacerber des critères subjectifs de favoritisme.

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2.1 Conséquences d’un nombre insuffisant de lits de réanimation

Quelles orientations sont possibles lors de la demande d’admission en réanimation alors qu’aucune place n’est disponible ?

En fonctions de critères probablement multiples, objectifs et subjectifs, plusieurs possibilités théoriques sont possibles :

Transférer le patient dans une autre réanimation.

Les conséquences de cette option sont dépendantes de la densité d’unité de réanimation dans la région considérée. En effet, soit le transfert du patient vers une autre réanimation n’augmente pas le délai d’admission en réanimation (ex : CHU, villes avec plusieurs services de réanimation) et la problématique éventuelle est la re-répartition de lits en adéquation avec le recrutement propre des services. Soit, le transfert d’un patient vers une autre réanimation, nécessite un transport supplémentaire et allonge le délai d’admission en réanimation. Dans ce cas, plusieurs travaux ont montré que l’admission retardée était associée à une sur-mortalité (Durairaj et al 2003 ; Rosenberg et al 2003 ; Combes et al 2005, Chalfin et al 2007).

Faire sortir "plus tôt que prévu" un patient de réanimation pour libérer une place.

Ceci a deux conséquences possiblement délétères pour les patients : 1/ un délai augmenté (transfert, ménage, ré-installation de la chambre) retardant l’admission du patient avec les conséquences potentielles déjà citées. 2/ une prise de risque théorique pour le patient sorti de façon prématurée. Ce dernier point a été peu étudié dans la littérature.

Admettre le patient dans une structure de moindre niveau de soin que la réanimation (USC, USI, UHCD…).

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Dans cette situation, trois possibilités schématiques sont encore possibles : 1/ le patient décède ; 2/ les signes de gravité persistent et le patient est "re-proposé" en réanimation ce qui conduit à son admission secondaire ; 3/ le patient s’améliore et finalement n’aura pas eu besoin de réanimation. L’évidence de la prise de risque pour de tels patients a été confirmée dans plusieurs études (Metcalfe et al 2007, Simchen et al 2004).

2.2 Non admission par manque de place

Le pourcentage de malades dont l’admission est refusée en réanimation varie de 24 % à 57 % (Frisho-Lima P et al 1994 ; Sprung et al 1999 ; Azoulay et al 2001 ; Joynt et al 2001 ; Garrouste-Orgeas et al 2005 ; Garrouste-Orgeas et al 2006 ; Reignier et al 2008 ; Iapichino et al 2010). Cependant, dans de nombreuses études, l’analyse spécifique de la raison du refus n’est pas faite. Dans la plupart des cas, l’absence de lit de réanimation disponible ne représente qu’une faible proportion de motifs de non admission en réanimation. (Sprung et al 1999 ; Joynt et al 2001 ; Garrouste-Orgeas et al 2005 ; Reignier et al 2008), 9 % dans l’étude de Sprung et al. (Sprung et al 1999), 5.6 % dans celle de Garrouste et al. (Garrouste-Orgeas et al 2005) et 15,1 % dans l’étude de Iapichino (Iapichino et al 2010). Dans l’étude de Garrouste et al, 113 patients sont proposés pour la réanimation, alors qu’il n’y a pas de lit disponible. La moitié d’entre eux sont considérés comme "trop" ou pas "assez" graves pour bénéficier d’une admission en réanimation. Sur les 64 patients restant, 22 ont pu être admis après la sortie de patients permettant de "libérer" un lit et 37 ont pu être transférés vers une autre réanimation (Garrouste-Orgeas et al 2005). Le retentissement potentiel sur la mortalité des patients non admis par manque de place n’est pas envisagé. Dans l’étude de Metcalfe et al., 18 % des refus sont liés à l’absence de place disponible mais 16 % des admissions en réanimation sont jugées inappropriées (Metcalfe et al 2007).

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2.3 L’étude NAPAPLA (Robert et al 2012 ; article 6 )

Cette étude était spécifiquement ciblée sur les non-admissions liées exclusivement à une absence de lit disponible. Elle avait pour objectif d’analyser le devenir de patients n’ayant pas pu être admis en réanimation en raison d’un manque de lit disponible au moment de l’appel. L’hypothèse était que cette absence de lit conduisait soit au transfert d’un patient dans une autre unité de réanimation éventuellement plus à distance, soit à une attente dans la structure initiale le temps de "faire une place" dans l’unité de réanimation, soit d’admettre le patient dans une structure a priori moins adaptée à la pathologie. Les conséquences d’une telle stratégie étaient un allongement du délai d’admission en réanimation ou l’hospitalisation dans une structure ne permettant pas une surveillance rapprochée, moins dotée en personnel et/ou ne disposant pas de personnel médical sur place 24h/24h, tout ceci pouvant alors être responsable d’une sur-mortalité.

Dix centres appartenant au groupe ARCO ont participé à cette étude (2 CHU et 8 CH). Tous les appels pour demander une admission en réanimation ont été répertoriés pendant 3 mois. Les patients non admis pour des raisons de gravité insuffisante (too well to benefit) ou excessive (too sick to benefit) n’étaient pas inclus dans l’étude. L’hospitalisation en USI n’était pas prise en compte. Le critère de jugement principal était la mortalité à J28 et J60.

2.3.1 Les résultats principaux étaient les suivants

Les 10 centres de l’étude comportaient au total 131 lits de réanimation (8 à 14 ; médiane 13). Pendant la durée de l’étude, le pourcentage moyen de jour pour lesquels les lits de réanimation étaient tous occupés était de 48,5 %. Sur les 1762 propositions d’admission en réanimation, 1 139 ont été admis directement en réanimation et 193 n’ont pu être admis au seul motif du manque de place. (Fig 1). La disponibilité en lits était variable d’un centre à l’autre (4 centres avaient au plus 10 % de patients non admis par manque de place et

(38)

6 centres avaient plus de 10 % de non admis par manque de place). Parmi les 193 non admis par manque de place, 39 patients pouvaient malgré tout être admis après que l’on ait fait sortir plus tôt que prévu un autre patient, 65 n’étaient jamais admis en réanimation soit du fait de leur décès (n=17) soit parce que leur état clinique s’améliorait. Enfin 89 des 193 patients étaient secondairement admis en réanimation après une nouvelle demande. Pour les malades admis

Comme il était attendu, dans le groupe non admis immédiatement (n=128) le délai d’admission en réanimation était plus long (195 min, 18-1545) que pour le groupe admis d’emblée (80 min, 2-1200) P<10-4.

Les mortalités à J28 et J60 dans le groupe non-Admis étaient supérieures à celles du groupe Admis d’emblée (30.1 % vs. 24.3 %, P = 0.07 and 33.3 % vs. 27.2 %, p = 0.06). L’analyse des courbes de survie montrait une mortalité supérieure dans le groupe non admis d’emblée par rapport au groupe admis d’emblée, p < 0,05 (Figure 2). Cette sur-mortalité était surtout

(39)

marquée pour les patients admis secondairement en réanimation (Fig 2b). De façon intéressante, on notait sur la partie initiale de la courbe de survie, une diminution particulière de la survie dans le groupe non admis avec à J7 une différence significative (21.9 % vs. 15.6 %, p < 0.05). 0 .5 0 .6 0 .7 0 .8 0 .9 1 .0 Figure 2a

Days from request for admission

S u rv iv a l p ro b a b il it y 0 10 20 30 40 50 60 Admitted immediately Not admitted immediately

P(log rank test)=0.042

0 .5 0 .6 0 .7 0 .8 0 .9 1 .0 Figure 2b

Days from request for admission

S u rv iv a l p ro b a b il it y 0 10 20 30 40 50 60 Admitted immediately

Admitted after bumping of another patient Never admitted

Admitted upon subsequent referral

P(log rank test)=0.13

Même si dans cette étude, un effet centre était clairement mis en évidence, l’analyse multivariée montrait que les patients admis secondairement en réanimation avaient un risque accru de mortalité par rapport à ceux admis d’emblée (OR, 1.83; 95%CI, 1.03-3.26 ; p = 0.04)

Figure

Tableau I: Mortalité des malades cirrhotiques admis en réanimation.
Table 1. Clinical characteristics at the time of proposal, of the patients directly admitted to  ICU in centers with high (HRR) end low refusal rate (LRR)
Tableau : Caractéristiques des 7309 patients en fonction de la décision ou non de limiter ou  d’arrêter les thérapeutiques
Tableau 5 : implication et information du patient ou de sa famille dans les décisions de LAT
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