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La tentation euthanasique : La Loi Leonetti : faut-il aller plus loin ?

(Robert et al 2013 ; Article 9)

En 2012, à la suite des prises de positions des politiques et notamment de François Hollande dans sa campagne pour l’élection présidentielle, le débat sur la possibilité de légaliser l’Euthanasie dans certaines conditions a été relancé et une proposition de loi relative à l’assistance médicale pour mourir et à l’accès aux soins palliatifs a été déposée au Sénat le 8 juin 2012. Un rapport sur la fin de vie a été confié au Pr Didier Sicard par le président de la République (Sicard 2012). Dans ce rapport, deux points sont soulignés : d’une part la méconnaissance de la Loi Leonetti sur la fin de vie et l’insuffisance des stratégies d’information et de formation et, d’autre part, l’accent est mis sur l’importance que pourraient revêtir les directives anticipées.

Dans le milieu de la réanimation, nous avons vu que les premières recommandations de la Société de réanimation de langue française (SRLF) concernant les limitations et arrêts thérapeutiques datent de 2002 (Recommandations SRLF 2002). Elles ont été réactualisées en 2009 pour intégrer, entre autres, les éléments spécifiques à la loi Leonetti (Loi Leonetti 2005). A plusieurs reprises, la SRLF, à travers des communiqués de presse, a insisté sur son engagement dans une démarche de soins palliatifs bien conduite et a souligné la nécessité de faire connaître et mieux appliquer la loi Leonetti qui offre un cadre juridique permettant de répondre à la grande majorité des situations de fin de vie en réanimation (Prise de position SRLF 2008 ; 2012). Ainsi, jusqu’à présent la SRLF estimait que le problème de

l’euthanasie se posait peu en réanimation, soulignait les dangers d’un débat passionnel sur le sujet et appelait à un travail de réflexion nationale (Prise de position SRLF 2012).

Par son environnement technique, sa maîtrise de l’analgésie et de la sédation, mais aussi par la présence médicale constante, la réanimation dispose certainement, plus que tout autre spécialité des moyens nécessaires pour assurer une fin de vie "de qualité" aux patients. Ainsi, le courant de pensée prédominant était de dire, en accord avec la Loi Leonetti que tout devait être mis en place pour une fin de vie confortable pour le patient. Ainsi au final, peu importe quand la mort vient, du moment que le patient soit (ou paraisse) confortable. Le médecin n’est pas là pour décider du moment de la mort. Cependant, lorsque la mort attendue ne vient pas, cette attente prolongée ne peut-elle pas être une source de souffrance pour le patient qui ne l’aurait pas souhaité, pour les proches pour lesquels cette attente sans autre issue que la mort peut être insupportable, pour les soignants également. Dans ces situations, au moins en réanimation, on ne peut plus se réfugier derrière l’argument d’une Loi Léonetti encore méconnue ou insuffisamment connue. Le point crucial est de savoir si on peut se contenter d’une fin de vie en apparence confortable ou si une exception d’euthanasie peut paraître acceptable dans certaines situations de réanimation.

Nous avons donc voulu à travers un travail piloté par la commission d’éthique, connaître l’avis des personnels de réanimation, médecins et paramédicaux, sur un certain nombre de points concernant la fin de vie en réanimation.

À partir des 2 700 sollicitations, les réponses de 616 (23 %) questionnaires ont été analysées : 454 médecins et 162 paramédicaux. La majorité des répondants affirmaient bien connaître la loi Leonetti (82,5 %) et l’appliquer le plus souvent (88 %). Un tiers des répondants avait été confronté à une demande de "faire mourir" par un patient et plus de

50 % à une telle demande de la part de proches d’un patient. Un quart des répondants avait éprouvé le souhait d’administrer des substances létales à un patient en fin de vie. En supposant des soins palliatifs bien conduits en réanimation, 25,7 % des répondants étaient favorables à une loi autorisant l’exception d’euthanasie alors que 26,5 % y étaient opposés. Les autres réponses étaient modulées par la perception d’un risque de dérive ou d’abus. Il existait des différences de réponses entre médecins et infirmières.

Cette étude, avec les restrictions habituelles inhérentes aux études par questionnaire, confirme la bonne connaissance de la loi Leonetti en réanimation. Dans un nombre restreint de situations cliniques intégrant des soins palliatifs bien conduits, un quart des répondants paraissent favorables à une loi autorisant l’administration de substances létales. De nombreux facteurs peuvent influencer le souhait d’accélérer le processus de décès chez un patient afin de mettre un terme au plus tôt à son agonie. Parmi ces facteurs, la frontière entre l’administration de substances directement létales et l’utilisation de la sédation terminale telle que proposée dans les conclusions de la "mission Sicard" est certainement un point crucial (Sicard 2012). La doctrine philosophique du double effet est souvent évoquée pour distinguer les situations où l’administration de produits sédatifs et/ou analgésiques, dont l’objectif premier est le confort du patient, peut dans certaines situations accélérer de façon assumée le processus de décès (Billings 2012). Cela est bien distinct de l’injection volontaire de produits directement létaux. L’intentionnalité de la sédation terminale a été largement discutée dans la littérature (Billings 2012 ; Truog et al 2012). Pour certains, l’intentionnalité est malgré tout d’accélérer le processus de mort (Truog 2012). La justification de cette attitude repose sur les éléments suivants : l’absence de certitude absolue du confort du patient (Owen and Coleman 2008), l’épreuve imposée aux proches,

voire aux soignants lorsque le décès tarde à venir. Dans ces situations, la frontière entre la volonté d’assurer le confort du patient et la tentation euthanasique est floue. La pureté de l’intentionnalité peut apparaître irréaliste et il est impossible de prouver une "bonne" intentionnalité. Ceci a été très détaillé récemment par le Comité Consultatif National d’Ethique dans son remarquable avis 121 soulignant la distinction essentielle entre la sédation continue et l’euthanasie (Avis 121 CCNE 2013) Certains attachent une importance majeure à l’intention, assumant pleinement le double effet. D’autres ont une approche conséquentaliste dans laquelle tout converge vers le résultat : le décès du patient. Quoi qu’il en soit, le CCNE admet que, dans certaines circonstances, accélérer la survenue du décès de la personne à sa demande peut être licite. Enfin, cette tentation euthanasique pourrait être confortée par l’opinion du public favorable en majorité à l’euthanasie (Aubry 2011). Mais, l’interprétation d’une opinion non étayée par une compréhension réelle de la problématique est discutable, ce d’autant que les risques potentiels d’une légalisation de l’euthanasie pouvant impliquer des patients vulnérables sont rarement explicités. Alors peut-être tout simplement faut-il accepter que la prescription de la sédation terminale puisse être ambivalente. Mais ceci n’était pas prévu dans le questionnaire. De plus, on imagine aisément les difficultés de compréhension du public vis-à-vis de cette stratégie et l’image floue qui risque de ne pas satisfaire le politique. Malgré tout, dans le débat actuel en France, il existe une réticence manifeste pour l’élaboration de dispositifs permettant de légaliser l’euthanasie comme le montre l’avis très récent du comité national d’éthique (Avis CCNE 121 2013). Mais cet avis recommande le respect du droit de la personne en fin de vie à une sédation profonde jusqu’au décès si elle en fait la demande pourrait apparaitre comme un compromis acceptable. Il va même plus loin en assumant dans certaines situations une prescription "soulageante" quelque soit son intentionnalité : "Il est évident qu’en phase

avancée ou terminale d’une maladie incurable, l’heure n’est plus aux discussions byzantines sur l’intention exacte du médecin dans l’utilisation de produits qui peuvent contribuer à accélérer la survenue de la mort. Le strict respect de la loi ne doit pas conduire à des situations plus douloureuses et plus violentes que son non-respect.

L’enjeu pour l’équipe soignante et pour les proches est alors de s’adapter au mieux à une situation singulière, dans un esprit de dialogue et de respect. " (CCNE avis 121, 2013).

On reconnaît ainsi le droit du patient en fin de vie à demander une sédation, non pas "pour mourir", mais "jusqu’à la mort". Ceci laisse malgré tout la porte ouverte à une prescription dont d’intentionnalité peut être ambivalente comme nous l’avons dit plus haut. La crainte sociétale peut être alors d’assumer une prescription qui (en particulier en réanimation) dépasserait la volonté explicite du malade. Il faut insister sur le fait qu’apparemment si elle était décidée, la Loi d’exception d’euthanasie ne concernerait que des patients conscients, capables de se déterminer et atteints d’une maladie incurable. Ainsi le champ de la réanimation est sans doute plus concerné par la problématique de la sédation terminale que par celui de l’euthanasie ou du suicide assisté.

En conclusion,

En 20 ans, les décisions de limitations thérapeutiques en réanimation sont passées d’une pratique hétérogène, parfois taboue au sein même des unités, masquée à la famille dans nombre de cas à une attitude transparente, guidée par des recommandations et en adéquation avec une Loi adaptée à ces situations. Les travaux de recherche clinique dans ce domaine ont aidé à la prise de conscience et à l’évolution positive des pratiques. Même si la Loi Leonetti parait assez bien connue dans les unités, il reste encore des progrès à accomplir dans la formation auprès des équipes et des étudiants. Comme pour les décisions de triage,

vues précédemment, les discussions de limitations ou d’arrêts thérapeutiques ne sont pas toujours simples. Les recommandations formalisées servent de fil directeur à leur mise en place, mais des limites existent liées à l’évaluation précise du pronostic et à l’appréciation de la qualité de vie. Les modalités d’arrêt de certains traitements comme la ventilation artificielle soulèvent encore un certain nombre d’interrogations. La question de la sédation ultime et de l’ambivalence de sa prescription sont posées. Enfin il semble que la société veuille donner un poids important aux directives anticipées et à la personne de confiance. Ceci doit être intégré au contexte particulier de la réanimation afin de savoir dans quelle mesure ou dans quelles situations cette approche est adaptée.

Troisième partie :

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