L'IMPORTANCE D'UNE ANALYSE HISTORIQUE CRITIQUE DANS LES SCIENCES EXPERIMENTALES
VITESSE COMME VECTEURTANGEI>jT
r.ésumé ;
DE LA
Paul SCHEURER
Katholieke Jniversiteit
Nijmegen (NL)
Une analyse historique critique du concept 8pparemment élémentaire de vitesse, codé en termes de \'ecleur tangent dans le langage des vélriétés différentiables, révèle des relations structurales pre:,que im médiates avec la théorie de la relativité (restreinte,1 et avec celle
~altr9. Keoler, dans ses trav ux sur llopt~ __ 2, traite
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omrnt=c ~'I •x ;~r
sp È'rE~ 0C~'-..12ijC:.2, nù \!i'ërll'I~rlt se
réfracter les feyons Dotioues Galilée ne retient des c~ros En
cnute libre Q~J8 leur gravité~ ~E~S népoulllznt Ca tOUt2S leurs
[' !;vé } é8 ciiU:i 2 tE~conL~i t~~ C?xc2Pt i0~';i<eIl.e~ r2I I i~ilt fJ?.n s s3. [îD:3 j.t1-· vité la quasi totallté 02S ~C18ntiti~L]eS raticions. I l n1y avait p10s gu~re que certains philosQQhes pour critiqlJer ca positivi
ce~t De 88sur8 Cil '~écan
2 [" i.n [,L'Ciel.!iff:-' J.e le Je-; '..JC; Il~r l!Cib :::;E;::r\!<::;"!:.-2ur r)é~ 1 •~c le m~
[instein pn visite ~-;[- u '!'!2 E' [j'!.Jn2 si ] p a'..Jait: En Î r.r.; \"Ji;-:J:?TV ~ ~)Il dl ~,sr'J(3tlDn ':;:-l DIOÙ l? c:Di,:::Lné,l':~ 3 r~'8J.u -C l L"".;U \ntui~i d :~J 1e <;'1 -- Jc' r'ir
re\)·:Ji.;_It.,-J~~ scientifiqu::?s, ou'on 2 2XD·j.::::·é cans (2). Ju'on n1aills s~r~out pas se D~pr2ndr8 sur le ~ot dérévolution ne signifie p~s co~tre-révolution. La dérévolution est en t"ait une t'orme de
révolution qui a échappé compl~tement ~ l'attention oe T.5. Kuhn.
Elle est non pas violente, mais conciliatrice. Dans une
révolu-tion scientifique standard, une théorie nouvelle (ou un
paradig-me) détrnne une théorie jusqu'alors émine~m8nt respectée. En
contraste, dans un véritable mouvement dialectique, la dérévolution
produit un cadre élargi, dans lequel viennent se ranger har~oniec
sement les théories antagonistes, la déttonante et la détr~née.
L'exemple oaradignatique d'un tel processus dialectique est offert.
par la géométrie euclidienne, la révolution des géométries
non-eL-clidiennes, et la dérévolution engendrée par la géométrie
projec-tive de rélix KlEin.
On soutient fer~e~Ent que lE m~me processus peut s'appliquer
aux deux révolutions majeures de la physique du début dU 20e
si~cle la relativité et les quanta. Pour l'exécution d'un tel
programmB de recherche, on a été amené à développer une
éistémo-logie qu'on se bornera pDur le moment è qualifier de 5.H.C.D.,
c'est-à-dire oe structurale, d'historique critique et de
dialec-tique. Cette éoistémologie est en erfet structurale dans la mesura
o~ elle use sciemment du langage des structures Oe Sourbaki (tout
en e~ ~2[Qnaissant c2rtainss limites). Sa méthOde est celle De l'histoire critique d'un ~"'ach (abstraction t"aite de son
phenomé-nalis~2) nui aurait été corrigé Dar Lakatos (]) (dont les
recons-tructions rationnelles de l'histoire, mettant en évic~nce cartair .~
distorsions historiques 02ns le aévelorp8~ents des ro~ceots et d=3
t~éori~s, j9viennent ~ar consécu=nt des reconstructio~s
structu-rales (4)). Son dévsloPP2i11ent, enfin, est celui d'une dialectique,
aV2C les conceots corrélatifs ae dérévolution, de champ des
possi-bJ8s, et de non-vu da~s le vu (ce oerni~r 2:loruntant autant è
~1~hu35er et ~,u~n qut~ uirac et Einstein, e~tre autres sava~t3).
On ne saurait en dire davantage ici. Aussi convient-il mieux 01
illustrer notre propos par le traite~ent d'un exemple concret,
;Cl /; [êrE:filin=:Ilt 2~'i!TI;'::Fi~;:::~r s. C1]iillil:; (1::'; '_' '::; lIa c]P
r:
ris Piè ~ ?t, l I é ]érTlF: ;",-d'analyser un des tout premi2rs
::- ilt p1-:-,Cii î . I l .s1a~1.t ~)C, L!T'té,'1t
s i.'Jn, dG son
; , -1)l _ :.. _ ' , j ,
~c)pro~rié des v21iètés cjit·fére,n:iablss, p,~r conséq[,..:f::nt), i l est
possible De taira surgir un étonrlant non vu dans le vu, de tirer
des relations structurales quasi ir:lméoiates avec les théories,
encore passableilient ésotBriqu8s pour le8 norl physic121!S, d8 le.
relativité (rBstreirlts) et Des qU3flta. On évoouera brièv2fTlent les
tapes· rnarquants5 Dans notre analys2 historique critique de ce La première ~tape est celle de !'Antiquité grecque, avec la théorie des proportions (reprise ensuite par Euclide) et le
CQfl-cept de grandeur physique OLl mégéthos, éleborés par Eudoxe. POlJf
celui-ci, co~me pour SAS SLJCCeSSBurs pendant pr~s de deux mille
cns, jusqu'à Stevin au moiiis ('16e siècle),
LES rap[JCJI't,s (lCJgos,
ratio) de deux nom~res naturels ne sont pas des nombres par
eux-m~m8S, même si on eut en pratique dévela per è leur pro~os un
CErtain calcul (addition, multiplication). Par conséquent, le
rapp~rt des mesures Oe oeux mégélhè différents, COGme cBlui dlu~e distance (parCOlJfUe dans un certain mouvement) et d'une durée (employée Dour ce parcours), ne sêurait représenter la mesure d'un nouveau mégéthos, qui dans ce cas sarait la vitesse
durante.
Si l'on peut ordonner pes vitesses entre elles, ce n'est faisable
qu'en comparant ce qui est comoarable, soit
deuxd~~~~~i?~ifférg~tEs
parcourues d~ns une même ouréet soit deux durées diffé~Gn~GS po~r ~arcourir 18 m~mB distance. Par définitiJn, de plus, la notion d8
vitesse instantanée ne présente aucun sens; seule est
cOGceptuali-sée la vitesse durante (on ne ~eut en et'rat oire vit:~SSE noyenn8,
ce qui sup~os~rait a pricri l'exist5ncs d'une v~tBS 2 instantan~e)
com~le rapJort des Il~géthè longueur et tenps. Il a fallu près de
deux millénaires pour sur~onter cette formidable obs~ruction
21._dClXi?il:Ie.
C'est v~rs la fin du 2)' n ~~s, eu 1~2 si~cle, ~ Dxtor~ (' 3rLon
College) et 2 Paris (3uridan, Cr~sne) qU2 les scholastiqu9s, 3 l 'aide ~e cette prei~ière notion des coorL~onnées que sont les
'-
,
".' Gj J 1',-Oil ;:; i n : i.'~e ë l'aucC::'L:2 i~flg1e t:acé da~s LLaï1d_12- que [2l st2nta 28 2S. Const2
2 [~21ilè ï0 rl:::c'il~,
:a11 avunL f~alil{B
1Ci.L2 (le. ..-,: ,e·;'iC ~'2 ]e.l celle ou ~Gct rlg2e '-:= 1 CI~.'rcCl
\/ a ~;~ ~'le 2.:-:~ ~i::::.:~,:d2';1te)~ en ab sei s s e~ et 0Y (i['1Cr-ém8nt rJ e léi
CE C8 tria'~gle don~2 la positiorl de la tange1lte è la couros (!~n
t,i~.:oI'i;es "iOGernss : êU (2raph8 de la foncticrl)~ et que dy / dx::: tgol
Dt' <:A :~,~S.1.i;; [: e l 'Clrif~J.L~ t:c:i'ldu !.Jar l!~.\YpDté:-ItJ :::'e et l'3xs e sS ci:Jsei '::~;::;s •
[lest ici o~e le critique a grandement lieu dE s'étonnEr c!s la
Jissymétria entre 18 traitement par les r~athématiciens de la
ronc-"
?rique y (j x, et celui, par les physicief1S, 02 la fonction ~2sitio~ d'un point sn uvsment x par rapport au ~2rain~tr8 dl
évolution, le temps t. Ces derniers Dosero~lt bien ox / dt v,
,Clais ne cnercheront pas à élucider dx / dt = t g J . C'est que la
dissymétrie dans les ~ratiques induit celle dans les concepts.
La qui importe !e pl~s, c'est o~IQn arrive ici, par uG2 p~3~:iè~e
criticue de la vitesse comma tangente, au pOlnt de contact avec
une interprétation intuitive i~médiate de la Lhéorie de la relativité
(r~str9i~~c). La vitesse 2St iljgn considérée comne la tangen~s
Jj~ol1létri'':i'Je 12 trajectoire du m~uvem2nt, mais p3S cemme tangente trigG~D~étrique (cas typique de non vu dans le vu). Deux obstacles
C=:'Jrel-= :-,né~s, t=== ,.;t 2::-1~ ; Jn
:l:
a ri x -y=:;:::n.S lËGue1 un a '1;l8 d. Jeut c[;:l-r8 S:! 0r:c..!fe à UilE r0 :.atiCln. j',ais i=0 U f C;::' r:J1-1i est deI(3 \Ji ts s sepï':)'5
1-que, la tangente géo~étrique slassocie ~aturellemant è un
dépla-cemen: d~ translaticn, et la lier à une rotation parait de prime
abord stuDi~8 et absurde. Ensuite,il existe une inhomogénité
fon-da~en'ale de nature entre la position spatiale x et le temps t,
qui est un D2ram~tre a'évolution. Il ne saurait y avoir de plan
x-t signifiant, puisqu'il faudrait alors coder le temps autrement,
c'est-3-dire en coordonnée. Voilà qui porterait atteinte au
carac-tère essentiel d'irréversibilité du temos, au cours duquel on ne
peut procéder que dans un seul sens, de l'avant à l'après, alors
qu'une coordonnée accepte d'emblée la réversibilité, le double
sens de ~arcours, vers la gauche aussi bien que vers la droite.
Admettons pourtant qu'il en puisse éêre ainsi. (C'est ce qu'
a fait implicite~ent Einstein en 1905 en accordant la préséance
aux équations du champ électromagnétique de raxwell sur celles de
la dynamique de ~ewton.) Cela veut dIre que la mécanique classique
recèle une ambiguïté redoutable elle code le méme concept temps
en deux entités ~athé~atique5 différentes, coordonnée et paramètre.
Pour lever cette a~biguïte, il conviendra alors de diviser le
c~n-cept temps en deux concepLs différents le tem8S (proprement clt),
codé en coordonnée, et le temps propre, codé en nouveau paral~ètre
d'évolution, quitte d1ailleurs à les relier entre 2~X ce façon 3
retrouver les situations classioues oG ils p8Uv2nt se c8nt·ondre.
Du mem~ coup, Jlangl e ) dans la plan x-t prenc sens (tout réc~~me~t,
on en a tait une n~uveJle grandeur physioue, la ra~idité), 2insi
eue les rotations ~uxQ!Jelles on pa ut l'8ssoci2~ (~ ce oulon S2it,
ce ne sont ~as autre C~nSE 8U2 les trarisforr:ations d2 Lorentz).
Se ~OS8 alors la ouest ion de la cOi~~osition des vitesses dans
le cas du nouve~ent relatif uniforme de d9ux réffrentiels. Si 1)r?i":-" ;:,.'Jt v -= t
,;:1-,
i I f ?Ut s~ ,'-- Gn ,::) e r ,..,"~,ri::"jfc·c:§d3r ~ ditio n~r ~I~r~ nt 1[' s
CQI:ir.12 ;Jfocèd:=; de t"ait Cali.l~e, ou suivent la t"offilule trigono~étI''::'~~8
bien connue dite d'addition des tengentes, prendre la tanqente de la
La distinction entre théorie classique et t~éori8 f~lativist2
at
uGuel i l SF' s"avançant Le 10r10 d~un ~anal rec iligl1e
'jf"1 inat.B.lot se c1.i.rigH \JE~rS la f.'l'Oue 2 \i::.t-. s
~r :~pport ~ l'obsi ual?IJr sur le ol_Jai '? Pour Calil e
Cidr r2 c:I"L ;-j S'JT 'JuElle est sa \./i-:.:.esse v
la fépc; V
2 Bien enteildu, il ne ~18Ut
CnOS3 COi1in18 t~3 = tgj~i tg3: v 1
"QL'8 st \i
nS2
atior ~~endre la t2ngente n'existe pas (encore)
;:;: C[,u r .Jl
~J'.J
~ auJ tlonne a'atl0rG les angle2t on co~pose d'abord les
rota-io~s ternporsliss 1 8r15uite s2lJlament on en prend la tangente.
Ii est évidsnt CIJ3 ce fl1est pas là Ja tormule exacte
d'tin-st2i ni ;-.;3 démarch8 orig.inale. Pour parven.lr à cette t'orrr.ule,
1.1 taut introd~ir8 q~elQue chose en plus, comme l ' a su voir oès leU! ~inkowskiJ qui concerne la métrique ae la nouvelle varIété,
=es~ace-t8;npSt ou, Gans les mots de Mlnkowski, le monde absolu.
AomettorlS que l'espace physique tridimensionnel soit euclidieno
Avec quelle métrique raut-il incorporer la nouvelle composante
tcr:lps dans la variété espace-temps? On con:lalt la répanse de ~inkG~ski pOLJr }1intBrvalle a~solu 5, oulon oeut justit'ier
5truc-turale~ent
(4) 2 = x2+ y2+ z2 c2t2, c'est-è-oire lamétri-q~e est hyperbolique (pseudo-euclidienne). Il suffit d~s lors
d~: tair e a~pel 2 U "trueIl de 1(1in
<
0lU5ki d e pasS 8r a u x irn agi n air es.Eil posant _cLt2 +(ict)2, les tangentes 58 transfor88nt en
tangentes hyperboliques, ce qui a pour efFet de conFiner la
vi-tesse d'un corps matériel è ne pas surpasser celle de la lumi~re
darlS le vide. Du néme t'ait, les rotations spatio-te~~nr211êsse ~uent en véritables transFormations de Lorentz, tandis que la
formule de comoosition des vitesses tg(~-1+
j)
devientprécisé-~?nt celle dlEinstein.~aisne pRut-on retenir un senti~ent
~/ét':i,':;E:j1::;-.nt ajrniratif qu'un plJlnt 02 vue cussi simple, et
pédago-giquE,"Tlent aussi inttJitif, puisse suffir à mener si directement
la distinction entre théorie classique et théorie relativiste?
prir~~ abord, d'associsr une r"otation avec un vefcleur polaire tel
que la vit2sse. Ce serait oublier qu10n a affaire d une rotation
sp2tio-temoorelle, et que la présence alun seul axe spatial,
donc d'un s9ul degré de liberté dans l'espace, impose aux
dépla-cements l'allure d'une translation spatiale. Le cas se présente
d'ailleurs en électromagnétisme également. Le champ électrique
E, rendu par un vecteur polaire, et le champ'dtinduction
magné-tique g, rendu par un vecteur axial, sont cependant tous deux
composantes d'un m~me tenseur, par rapport aux plans
spatio-temporèls pour E, mais purement spatiaux pour B. On observera
également que oans le traitement actuel le plus abstrait, celui
des champs quantiques de jauge, le champ électrique se trouve
associé à une rotation d'angle de phase.
La m~me dialectique dU non vu dans le vu est à l'oeuvre dans
le cas de la seconde critique, qui porte cette fois-ci sur la
nature vectorielle intrinsèque de la vitesse.(4). Faute de place,
on se trouve contraint de renoncer è la présenter, ne serait-ce
que sommàirement. Dans ce cas également, il est possible de
dé-velopper une analyse qui mène intuitivement et quasi directement
è la distinction entre les théories dynamiques classique (la
rela-tivité incluse) et quantique. Au vu de la présentation
habituelle-ment t"ort abstraite, voire ~~me absconse de cette d8rni~r8 théorie,
il vaudrait la oaine qu'on prêt~t un oeu plus d'attention qu'elle
n'en a reçu jUSqU ' i2i à une telle an21yse historique critique des
concepts ~ l'oeuvre dans les sciences expérimentales.
Références: (1) Gerald L~olton, L'inVEntion sciantifin~8, tr~cuit
par P. ::ichlJUref, P.L'.F. ~aris, lS22
(2) P. 3cheurer: Révolutions de la science et _,er~anence OJ réel,
rlF,ln.5
(3) I. Lakatos, Ihe fTiet..:.~Q_Q)_OQY of sct?~_i_~i~ r?~2arc_~Jrc!;ra..CH~?:-~,