• Aucun résultat trouvé

ARTheque - STEF - ENS Cachan | Le risque des experts et le risque de chacun sont-ils comparables ?

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "ARTheque - STEF - ENS Cachan | Le risque des experts et le risque de chacun sont-ils comparables ?"

Copied!
5
0
0

Texte intégral

(1)

LE RISQUE DES EXPERTS ET LE RISQUE DE CHACUN

SONT-ILS COMPARABLES ?

Denise ADLER

Division d’enseignement thérapeutique pour les maladies chroniques (Hôpitaux universitaires de Genève) et L.D.E.S. (Université de Genève)

MOTS-CLÉS : EXPERTISE - RISQUES NUCLÉAIRES – RISQUE INDIVIDUEL

RÉSUMÉ : Lorsqu’ils affrontent une situation de contamination radioactive, un problème de maladie infectieuse ou de cancer, la population et les experts envisagent le risque. Cependant nous devons nous interroger sur les particularités de ce concept pour ces deux groupes.

SUMMARY : When faced with problems of radioactive contamination, cancer or infectious diseases, both the experts and the public deal with risk. Nevertheless, we have to consider the characteristics of this concept for each group.

(2)

1. INTRODUCTION

Lorsqu’un problème de santé requiert des changements d’attitude ou de comportements du public, adultes ou élèves, des informations sont souvent distribuées sur la base de données statistiques tirées de travaux d’experts afin d’avertir du risque et d’inciter à prendre des précautions. Étant donné que les experts et le public appréhendent les questions liées au risque dans des contextes différents, on peut douter que leur cadre de référence soient semblables et que leurs réflexions convergent. Que comprennent le public ou les élèves lorsque des informations sont données sur un risque ? Leur interprétation est-elle compatible avec le modèle des experts ?

2. LE RISQUE, DE L’ÉDUCATION PRÉVENTIVE À LA CATASTROPHE NUCLÉAIRE

2.1 Les élèves face au risque de la fumée de cigarettes

La compréhension de l’information sur un risque a d’abord été explorée dans le cadre d’un cours d’éducation pour la santé sur le thème du tabac avec des élèves de 13-14 ans. Des questions ont été posées dans un questionnaires autour d’une situation-problème :

- “Le grand-père d’un ami vient de fêter ses quatre-vingts ans en fumant 2 paquets de cigarettes par jour, il semble en pleine forme. D’autre part, on entend dire que les cigarettes sont nocives pour la santé. Comment comprends-tu cette contradiction apparente ?”

- “As-tu appris quelque chose à l’école qui t’aide à comprendre ?”

La plupart des élèves ont répondu négativement aux deux questions, ajoutant parfois que cela ne semblait pas logique. Leur perplexité n’a rien d’étonnant : les élèves ne disposent pas de l’outil statistique utilisé pour définir et quantifier le risque de cancer ou l’excès de mortalité due au tabagisme. Les statistiques et probabilités ne sont étudiées que plus tard, par une minorité d’élèves qui suivent des filières pré-gymnasiales. À notre époque, bien que nous vivions environnés de calculs de risques, les sciences et les mathématiques à l’école se développent encore le plus souvent dans une mythologie de l’exactitude et des régularités, d’où le flou et l’incertitudes sont évacués… Le risque, tel qu’il est perçu par les élèves, est dépourvu de son caractère aléatoire et de son temps de latence pour s’assimiler à un danger immédiat, voire un péril.

De plus, l’expert travaille sur un risque isolé à la fois, tandis que les élèves doivent faire des choix pondérés, car ils se sentent exposés à une combinaison de dangers. Par exemple, s’ils refusent une cigarette dans un groupe de fumeurs, ils craignent de paraître idiots !

(3)

Par conséquent, le discours de prévention basé sur des notions probabilistes est éloigné des raisonnements des élèves qui fondent leurs choix sur d’autres préoccupations et sont attentifs à d’autres menaces.

2.2 Étudier la peste pour mieux comprendre le sida

Des élèves du même âge qui avaient choisi d’étudier la peste comme thème en option dans un cours de santé avaient suscité l’étonnement des adultes : pourquoi n’étudiaient-ils pas plutôt le sida, sujet actuel ? Mais leur choix, qui pouvait être compris comme une façon détournée de se documenter sur le problème du sida, présentait des avantages évidents : il donnait des clés pour comprendre comment se développe une épidémie et comment on la combat. Le problème étant maîtrisé, l’optimisme était de mise…

C’est aussi l’épidémie de peste, en Italie au XVIIIe siècle, qui a été soigneusement documentée dans l’ouvrage Contagio (D’Agostino, 1999). La gestion de l’épidémie est mise en évidence par les certificats sanitaires et les édictions de quarantaines et de cordons sanitaires. On peut lire de cette façon le poids des mesures de protection. Les quarantaines étaient coûteuses, le retard au déchargement des bateaux, les entraves aux communications, les désinfections, le travail empêché, tout ceci occasionnait une charge importante pour la population.

2.3 Un cordon sanitaire autour des territoires contaminés

Dans le cadre de la recherche européenne GERIRAD, (4PCRDT), en collaboration avec l’équipe du LASAR (Université de Caen) et celle de F. Brinkman (Hogeschool Holland), nous avons pu observer une situation semblable en Biélorussie dans les territoires contaminés par la catastrophe de Tchernobyl. Les zones contaminées sont entourées d’un cordon sanitaire, une sorte de douane intérieure que l’on franchit en montrant une attestation du Ministère des Situations exceptionnelles. Les populations des zones contaminées subissent le poids des contre-mesures : évacuations, inquiétudes, aliments et produits de forêts bannis, suppressions d’écoles ou diminutions des services de transports publics. Par contre les informations personnalisées sur la situation à l’échelle du jardin potager font défaut. Les résultats des mesures de radioactivité sont collectées vers la capitale où ils subissent une agrégation qui les dépouillent de toute portée personnelle. Des experts les utilisent pour formuler des recommandations qui sont diffusées sous forme de petites brochures envoyées aux autorités locales et aux domaines agricoles. Les habitants ne reconnaissent pas sous les chiffres et conseils généraux leur jardin, leur poulailler ni la forêt voisine. Ils ne s’y retrouvent pas.

(4)

2.4 Métaphores et images épidémiques pour expliquer la radioactivité

Les experts se réfèrent largement au Césium 137, dont l’activité sert à délimiter les zones de contamination. De nombreuses études décrivent son comportement dans divers milieux, par exemple la captation du Césium par une plante. Dans les régions contaminées, le Césium est largement ignoré par les élèves et la population qui parlent de radioactivité ou de contamination en général. La contamination radioactive est comparée à une bactérie et illustrée sous la forme de petites figurines à silhouette humaine. Cette métaphore a un impact dramatique sur les personnes concernées qui se sentent infecteés et infectieuses. La perception de la situation est aggravée, car la contagion se propage par elle-même, contrairement à la radioactivité, qui, en l’absence d’intervention humaine, décroît régulièrement. De plus, l’élimination spontanée du Césium par les organismes vivants n’est pas mise en évidence. Aux difficultés pratiques de la vie quotidienne s’ajoutent la crainte de transmettre une maladie à ses proches et la souffrance de se sentir traité en pestiféré. Il est important de souligner que le modèle épidémique n’est pas seulement utilisé par la population, mais aussi par les autorités, notamment lors de la mise en place du cordon sanitaire ou la diffusion de documents vulgarisés.

3. EXPERTISE ET LOGIQUE POPULAIRE

3.1 Certitudes collectives et incertitudes personnelles

Lorsqu’un expert étudie la probabilité de survenue de cancers de la thyroïde dans une population après une contamination par l’iode radioactif, il n’y a pas ou peu d’incertitudes, car il est certain que des cancers vont apparaître (Belbéoch, 1999). Par contre, lorsqu’une personne de cette population réfléchit au risque qu’elle encourt, il s’agit bien d’incertitude totale, car elle ne peut pas savoir si elle va être touchée. Le passage des données statistiques à la réflexion sur l’implication personnelle est un exercice périlleux dont on sous-estime la difficulté. Or le modèle des croyances de santé (Health Beliefs Model) nous indique que c’est justement cette conviction d’être personnellement concerné qui permet à quelqu’un de se mobiliser pour éviter un problème de santé. Ensuite, il faut que la personne connaisse une solution et l’estime praticable. Il en découle que ce type de situation et de communication impersonnelle ne facilite pas l’apprentissage. Il est indispensable de mettre à disposition des informations personnelles pour permettre aux populations de se les approprier. Il serait utile de consacrer plus de temps et d’effort pour rendre les solutions accessibles, plutôt que se contenter trop souvent de « sensibiliser », ce qui n’apporte pas de réelles compétences et ne réussit souvent qu’à irriter.

(5)

4. DISCUSSION

Les maladies émergentes (sida, etc.) ravivent une mémoire collective de l’épidémie. Par contre, nous n’avons pas de mémoire de la radioactivité. Nous ne disposons pas davantage de culture de l'incertitude ou de l’aléatoire. Une façon de construire des savoirs dans ces domaines nouveaux est de participer à leur élaboration au niveau local, par exemple en effectuant des mesures. Une autre est de raisonner par analogie avec un problème connu du passé.

Les experts et la population ne se distinguent pas par l’usage de modèles, qui peuvent être similaires, mais plutôt par leur relation au savoir. La possibilité des partages mutuels de savoirs (et de leur rationalité), qui sont déjà réalisés à petite échelle, et leur mise en commun sous forme interdisciplinaire restent à développer.

Une question plus existentielle est de discuter la nécessité, pour la population, d’adopter la rationalité des experts et traiter les problèmes qui se posent selon leurs démarches. N’y a-t’il pas de place pour d’autres formes de rationalité, plutôt que de qualifier d’irrationnel tout ce qui n’est pas de nature technoscientifique ?

BIBLIOGRAPHIE

BECKER M. H., The Health Belief Model and personal health behaviour, Health Ed. Monoe, 1974,

2, 328-335.

BELBOCH B., Western Responsibility Regarding the Health Consequences of the Chernobyl Catastrophe in Belarus, the Ukraine and Russia, in CUEH Health and information - From

uncertainties to interventions in the Chernobyl contaminated regions, Proceeding of the 2e

international conference on consequences of Chernobyl catastrophe, 13-14 nov. 1997, University of Geneva, University Centre for Human Ecology, Cahiers no 2, Dir. C. Hussy, 1999.

D’AGOSTINO A. W., Contaggio…sudore, lacrime e sangue in tempi di pestilenze…, ed. D’Agostino, Quart (Valle d’Aosta), 1999.

GIRARD P., HÉRIARD-DUBREUIL G., Conditions de vie dans les territoires contaminés 8 ans

après l'accident de Tchernobyl. Gestion du risque radiologique en Biélorussie : évaluation de la situation dans le district de Tchetchersk, Rapport pour la Commission des Communautés

Européennes (JSP2), Mutadis Consultants, Paris, 1995.

KIVITS L., BRINKMAN F., HUISMAN L., TARASSOV V., Pupils’ conceptions about food in contaminated areas, ERIDOB-conference in Göteborg, November 1998.

LEMARCHAND F. (sous la direction de), Vulnérabilité et technosciences, MANA Revue de

Références

Documents relatifs

Pour pallier le manque de techniques d’accès rapide à un grand nombre de commandes sur les écrans tactiles ainsi que le permettent les raccourcis clavier, nous proposons

Bien qu'il ne soit dans aucun de ces cas, douteux qu ' il s ' agiss e d'un relief, il importe de noter une différence essentielle avec l e relief ordinaire, un trait qui

Columns (4) and (6) are estimated using the within estimator, with firms fixed-effects, industry x year dummies and robust clustered standard errors at the country level.. Column (5)

Par ailleurs de fortes barrières aux exportations subsistent encore pour un certain nombre de pays pauvres recevant des montants d’aide élevés, même si ce type d’incohérence

Al' aide de l'ombre d'un bâton vertical par exemple on peut meaurer la hauteur et l'a- zimut : du soleil et donc tout ce qui concerne sa trajectoire et les modifica- tions de

La seconde notion essentielle qui en résulte est le rSle de. 1a base, c'est-à-dire de la distance ~ntre les deux points de vue. Plu s la base est grande plus on peut mesurer

Plus précisément, cette démarche consiste à vérifier que les évaluations obtenues avec l’Evaluative Space Grid sont suffisamment corrélées avec celles issues des

Afin d’étudier la place de la confiance dans le relation salariale et, plus précisément, les effets du niveau de confiance du salarié en termes d’exit, voice et loyalty, nous