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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Rôle du film à visée heuristique dans la prise de conscience des ignorances

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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A. GIORDAN, J.-L. MARTINAND et D. RAICHVARG, Actes JIES XXV, 2003

ROLE DU FILM A VISEE HEURISTIQUE

DANS LA PRISE DE CONSCIENCE DES IGNORANCES

Josette UEBERSCHLAG

CRCMD, Université de Bourgogne

MOTS-CLÉS : CINÉMA – HEURISTIQUE – APPRENTISSAGE DES SCIENCES – PERCEPTION DU RÉEL

RÉSUMÉ : Les images riches d’une pluralité de sens sont porteuses d’interrogations qui autorisent leurs interprétations. Forts de cette capacité, les films à visée heuristique mettent en mouvement la pensée des apprenants. C’est ce pouvoir qui nous intéresse ici car il va permettre aux apprenants d’objectiver leurs ignorances. Et en partageant celles-ci ou en les confrontant, les apprenants construiront du savoir.

ABSTRACT : Polysemic pictures generate questions and allow for multiple interpretations. Drawing on this function, heuristic films stimulate the students thinking process. We focus on this process as it allows students to objectivize their ignorance. By sharing their ignorance of certain topics and compare their experience, students will be able to build blocks of knowledge.

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1. INTRODUCTION

Cette communication se limite à montrer comment la visée heuristique d’un film en laissant aux apprenants l’initiative de leurs questionnements favorise la mise en commun de leurs ignorances et ouvre la voie à une compréhension raisonnée et collective du réel. Pour cela, il convient de caractériser la structure d’un film heuristique et d’indiquer comment une écriture filmique - qui a pour but, non d’enseigner, mais de promouvoir le goût de la recherche personnelle - permet aux apprenants de pointer leur incapacité à s’expliquer certains phénomènes. Nous verrons à partir d’exemples comment les interactions spontanées entre apprenants, suscitées par des séquences filmiques entraînent l’énonciation d’hypothèses dont ceux-ci vont souhaiter tester la validité.

2. LA STRUCTURE D’UN FILM À VISÉE HEURISTIQUE

Les films de sciences qui pourront être qualifiés d’“heuristiques” sont ceux qui interpellent les apprenants sans leur délivrer de réponses. En déclenchant chez eux un rapport de curiosité à un objet de savoir, ces films initient un questionnement induit par les “interprétations” qui naissent de leurs propres observations. Cette curiosité est éveillée par une approche énigmatique de la réalité. Surprendre, étonner, perturber c’est-à-dire “inquiéter le regard” vont constituer les fondements d’une image qui veut autoriser l’exploration du réel par les apprenants eux-mêmes.

Le plus souvent, une image “énigmatique” sera accompagnée d’un commentaire minimaliste car la parole amoindrit sa portée en orientant la lecture de l’image vers une signification unique. En effet, un trop plein de paroles empêche des interprétations multiples dont, en situation scolaire, la diversité est le reflet de l’écho avec l’histoire personnelle de chacun. Dans le film heuristique, c’est donc l’image, et non son commentaire, qui constitue le support de la médiation entre le réel et le public des apprenants. Ainsi, nous entendons par médiation une mise en relation des apprenants avec un phénomène autant sur les plans affectif, émotionnel et culturel que cognitif, et non la stricte correspondance d’une image et d’une signification univoque.

La visée heuristique d’un film se manifestera réellement dans l’échange entre pairs qui prolonge le visionnement. La rencontre des apprenants après le film assure la verbalisation de leurs interprétations ainsi que celles de leurs ignorances. Cette vision partagée les engage sur la voie collective d’une recherche de sens. Qui dit interprétation, dit production de sens, et qui dit production de sens dit nouvelle représentation, c’est-à-dire transformation des conceptions premières. Libres de proposer leurs propres interprétations ou de formuler leurs propres hypothèses,

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les apprenants redeviennent acteurs de la construction de leurs savoirs. Dans une stratégie heuristique d’éducation qui, en conséquence, demeure pragmatique, la connaissance n’est plus transmise de quelqu’un qui sait vers quelqu’un qui ne sait pas, mais résulte d’interactions multiples entre des “stratégies de signifiance” et des “stratégies d’appropriation”. Dès lors, les concepteurs doivent s’interroger sur la forme médiatique à donner aux films pour que ceux-ci cristallisent des flux d’informations et soient le siège d’une pluralité de significations.

3. CONSTRUCTION DE SAVOIRS PAR MUTUALISATION DES IGNORANCES 3.1 Images, ignorances et savoirs

Théodore Ivainer et Henri Bergson, bien qu’ayant des points de vue différents, s’accordent pour dire que les ignorances ne correspondent pas à un espace de vacuité et que les savoirs, par ailleurs, ne constituent pas un espace plein. Les unes comme les autres sont en perpétuel devenir et en re-détermination permanente. En effet, dans la pensée consciente de chaque individu, il existe une dialectique continuelle entre les ignorances objectivées et la constitution de savoirs. La connaissance naît de l’ignorance, l’ignorance va s’amplifier au contact de la connaissance.

La relation qui noue indiscutablement ces deux états – connaître ou ignorer – est un espace d’incertitude dans lequel se formulent des questionnements. Questionnements féconds car ils sont des aiguillons qui entretiennent la curiosité et le désir de savoir. Questionnements changeants aussi qui se précisent au fil de la réflexion et de l’échange entre pairs. Questionnements opératoires enfin, qui en arrivent à circonscrire un problème rendant nécessaires des observations du réel et/ou des expérimentations. Cette interface constitue donc une zone de détermination, tant des énoncés du savoir que des objets de l’ignorance.

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Légende : En grisé, l’espace d’échange incessant et de redétermination tant des énoncés du savoir que des objets de l’ignorance

3.2 Ignorances, séquences filmiques et intercommunication

Le film heuristique en plaçant les apprenants dans les conditions d’une exploration active aiguise leur imagination créatrice qui s’attache davantage à une observation attentive de la réalité nue qu’à un déchiffrage des images. Le film sollicite alors leur pensée d’au moins trois façons :

1) La vision de certaines images permet aux apprenants de se rendre plus vite d’un point à un autre en opérant des raccourcis dans leur pensée. Avec les images, l’apprenant développe une pensée syncrétique. Eurêka, le cri poussé par Archimède – dont dérive le terme “heuristique” – rend compte de la soudaineté de cet éclair de compréhension. Ainsi, après avoir vu des protubérances solaires, ces énormes jets de matière dans le film “Mars, Vénus et Compagnie”, une apprenante, Maud, explique : “ Ce qui m’a étonné, c’est la façon dont brillaient les étoiles. Je ne savais pas du tout comment ça brillait et maintenant je sais… Je ne peux pas dire ce qui sort des étoiles, mais je sais que c’est très chaud ”. Au cours de la discussion qui suit le visionnement, un de ses pairs affirme : “ La Lune, c’est une étoile car elle produit de la lumière comme les étoiles ”. Maud qui a compris ce qui, fondamentalement, différencie la Lune du Soleil s’empresse d’expliquer à ses pairs.

2) L’image peut aussi inviter au vagabondage. Elle nous procure des sensations vives d’attirance, de répulsion, d’émotions esthétiques en faisant lien entre les expériences du corps et les mots pour les dire.

Mais, la balade, l’immersion dans un paysage ne sont pas que rêverie. Elles participent, elles aussi, à la mise en place d’une pensée visuelle. Par exemple, Isabelle nous a confié : “ Maintenant, après avoir vu Mars, Vénus et Compagnie, j’ai une idée des paysages des planètes ” – autrement dit, cette image mentale que je peux mobiliser a modifié mon approche de l’astronomie. Après avoir vu que Jupiter est fait de gaz, je ne me demande plus s’il y a de l’eau liquide à sa surface ! Mes idées à propos de Jupiter ne sont plus des pensées abstraites car elles partent d’une réalité observée.

Avec un film à visée heuristique l’apprenant n’est plus un spectateur passif puisqu’il sera aussi un interprète de chair et de sang ; il effectue la moitié du chemin. Ce seront ses voyages dans le film, ses errances qui vont façonner le sens qu’il va donner aux images. C’est par une démarche visuelle et mentale qui consiste à entrer et à sortir alternativement de l’image que celui-là parvient à la fois à la situer face à lui et à se constituer face à elle.

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3) Enfin, nous pouvons utiliser les images pour le bonheur de comprendre ensemble. D’autant que “ l’élaboration du sens ne peut se faire qu’en interrelation avec des interlocuteurs susceptibles de reconnaître et de valider les représentations que chacun se constitue ” (Tisseron Serge). Voici à propos de la planète Mars, un échange entre plusieurs apprenants :

– “Comment ils [les scientifiques] ont su que c’était de l’eau qui a fait ces traces ?” –“Moi, je voudrais savoir comment l’eau est partie.” –“Elle s’en va avec les nuages.” –“Oui c’est ça. Elle s’évapore.”

Cette dernière affirmation clôt provisoirement l’échange. Le groupe se satisfait de cette dernière explication qui lui paraît plausible.

Les images regardées collectivement aident à penser. Elles activent le processus d’échange entre les ignorances et la formulation d’un questionnement. Elles dynamisent le processus psychique de compréhension des autres et du monde. Grâce aux images, notre place dans le monde change et notre pensée reconquiert de la mobilité. “ Au lieu de nous attacher au devenir intérieur des choses, nous pouvons nous placer en dehors d’elles pour recomposer leur devenir ” comme l’exprime Bergson dans L’évolution créatrice.

4. CONCLUSION

Le visionnement en commun d’un film amorce l’apprentissage de nouveaux savoirs car il se présente comme une situation de communication à deux niveaux eux-mêmes heuristiques :

– Le premier niveau correspond au dialogue du spectateur avec le film dans un va–et–vient constant entre l’écran de projection et les représentations mentales du spectateur.

– Le second niveau concerne l’échange entre les pairs qui s’établit comme une intercommunication croisée entre les conceptions des apprenants et leurs émotions partagées. L’apprenant est alors tout autant interprète du film que producteur de messages. Cette relation de double médiation qui donne sens à l’apport de chacun en tant que personne ouvre à l’apprenant des champs de connaissance jusqu’alors inexplorés vers lesquels il ose désormais s’aventurer. Les apprenants intégrant la logique des autres développent et prolongent la dimension heuristique du discours filmique parce qu’ils ne cherchent plus une vérité à dire, mais une interprétation à construire ensemble.

Une véritable révolution du regard s’opère grâce aux séquences heuristiques. Le regard entraîné vers une réalité mouvante et instable devient lui-même mobile. L’apprenant se fraye un chemin entre sa propre représentation et le réel représenté. C’est en cela que l’artifice créé par le film heuristique dynamise la pensée. L’image heuristique veut faire oublier qu’elle est image, c’est-à-dire

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“re-présentation” du réel. Elle s’expose comme étant la réalité elle-même. Dès lors, le film à visée heuristique fait oublier au spectateur qu’il est devant un spectacle. Comment ? En supprimant entre le sujet et le réel la médiation technique, comme le souligne Thérèse Giraud, afin de retrouver l’immédiateté de la présence. Ainsi, le spectateur dira : “ Je vois ” plutôt que : “ On me montre ”. Et se constituant en sujet de l’énonciation, il affirmera : “ Je pense… ” au lieu de : “ On m’enseigne… ”.

BIBLIOGRAPHIE

BERGSON H. (1948). L’évolution créatrice. Paris : éd. PUF, 372 pages. GIRAUD T. (2001). Cinéma et technologie. Paris : éd. PUF, 223 pages.

IVAINER T., LENGLET R. (1996). Les ignorances des savants. Paris : éd. Maisonneuve et Larose, 193 pages.

TISSERON S. (1998). La construction du sens chez le spectateur (texte de la conférence). In APTE, n°44, déc. 1998.

La communication comportait la projection de deux séquences filmiques, l’une de “Mars, Vénus et Compagnie” (prod. CNDP, 1988), l’autre de “Tous en orbite” (prod. Fantôme, 1997).

Références

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