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L’
AUTO QUI N’
EXISTAIT PAS.
M
ANAGEMENT DES PROJETS ET TRANSFORMATION DES ENTREPRISES.
Christophe MIDLER
*Ignace RAK
Cet ouvrage qui a obtenu le grand prix 1994 du livre de Management et de stratégie décerné par les revues l’EXPANSION, AFPLANE et Mc. KINSEY, met en relief les concepts, méthodes et stratégies mis en œuvre et créés lors du déroulement d’un projet sur un produit nouveau de l’entreprise Renault, c’est-à-dire la voiture TWINGO.
De juin 1989 à septembre 1993, l’auteur, polytechnicien et chercheur au CNRS, a accepté la proposition de Yves DUBREUIL nommé directeur de ce projet, de suivre de façon externe avec un sauf-conduit toutes les réunions et événements, à la seule exception des revues de projet bi annuelles où l’avancement était présenté à la direction générale. La raison fondamentale de l’intérêt qu’il a porté à cette offre, c’est la possibilité d’analyser la manière dont les entreprises conçoivent et développent de nouveaux produits en l’occurrence « une auto qui n’existait pas ». En effet dans la majorité des cas, le secret guidant la position de l’entreprise sur un produit nouveau, il est impossible d’en reconstituer ensuite l’histoire. L’ouvrage raconte donc, avec de nombreuses références bibliographiques autour de la démarche et de la gestion de projet, comment a été construite l’organisation du projet « TWINGO » autour d’une direction de projet indépendante des structures hiérarchiques habituelles, ces dernières chez Renault ayant déjà fortement évolué lors des précédents projets de produits nouveaux.
* MIDLER, C. (1993). L’auto qui n’existait pas. Management des projets et transformation des
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L’ouvrage est organisé autour de trois parties : l’auto qui n’existait pas ; l’acteur projet, portrait d’un rôle d’influence ; perspectives et problèmes de la conception intégrée.
Il illustre et raconte ce qu’a été une organisation de projet au plan du management sur un produit fabriqué en grande série. En fait, du bilan que l’auteur effectue dans son ouvrage, deux classes de points forts émergent. Tout d’abord la généralisation à l’occasion de ce projet, des concepts récents et connus autour de la conception, de la production et de l’organisation du travail qui n’avaient été en fait qu’expérimentés à petite échelle chez Renault : définition systématique des coûts des éléments, sous-ensembles, et ensembles avec un cahier des charges réduit et un coût maximal à ne pas dépasser ; prise en compte dans la conception, la gestion et la durée estimée du produit nouveau selon le concept de cycle de vie ; création d’unités autonomes de production matérielles et humaines, les Unités Élémentaires de travail : (UET) ; choix de machines plus flexibles plutôt que la pérennisation des chaînes traditionnelles, avec une gestion informatique du changement d’outillages en fonction de la variété des modèles fabriqués.
Ensuite de la description du projet, émerge la production de concepts nouveaux autour du produit créé lui donnant des caractéristiques répondant au besoin du client et adoptant des solutions techniques originales. Ainsi apparaissent, la création d’un poste ayant rang de directeur de projet et un maillage selon une organisation des métiers pour répondre au principe de la conception intégrée avec des chefs de projet-métier remettant en cause l’organisation taylorienne et instaurant une relation effective et directe entre le directeur du projet, les chefs de projet-métier, les acteurs métiers sur le projet et les intervenants extérieurs à l’entreprise (partenaires industriels, réseau commercial, clients). Cette organisation atténue la relation hiérarchique, développe l’autonomie et la responsabilité des agents et débouche sur une nouvelle gestion des compétences et des carrières.
D’autre part, selon les phases d’avancement du projet dont les principales étapes du processus sont toujours identiques (conception, production, commercialisation), l’implication des autres directions sont simultanées et varient tout au long du projet autour du concept de qualité : « Il y a moins de 10 ans, les ouvriers et la maîtrise de fabrication découvraient le produit et le process le jour de leur affectation dans les ateliers ». Le résultat de la démarche a abouti à une offre de gamme du produit « voiture » totalement différente du concept habituel « plusieurs modèles avec une grande variété d’options » vers « un seul modèle et six options seulement, ces dernières portant sur la couleur ».
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D’autres concepts opérationnels ont émergé. Nous nous contenterons de citer les plus importants : co-traitance (évolution de la sous traitance) avec un « prix cible » ; réalisation de prototypes et de pré-série dans des conditions de production de moins en moins artisanales (p. 39) ; organisation en équipe, plateau projet et groupe fonction permettant le consensus, le compromis, la décision en s’opposant à des hiérarchies, chacun des réalisateurs étant impliqué et non soumis (p. 151) ; démarche « concourante » (p. 68), pour une complémentarité coopérative « projet-métiers » avec auto-contrôle du projet et obligation de réussite (p. 184) ; pilotage par l’aval, c’est-à-dire intégration de tout ou partie des acteurs dès le début du projet (p. 81) ; planning de lancement et de production du véhicule intégrant la notion de cycle de vie prévu pour raccourcir au maximum la durée de l’étude (pp. 95 et 129).
L’auteur signale cependant un certain nombre de difficultés pour mener et instaurer des actions d’organisation et de management avec une direction de projet.
Tout d’abord il souligne la difficulté, voire l’impossibilité, de transférer tel quel le modèle d’organisation créative Renault par direction de projet dans d’autres entreprises, chaque entreprise ayant des problèmes spécifiques à résoudre. Dans tous les cas un tel modèle a du mal à s’intégrer dans les entreprises, car il faut vaincre les pratiques organisationnelles du passé.
De même, les pratiques se transformant, elles doivent se modifier non pas séparément, mais ensemble, car on constate dans un mutation projet que la difficulté réside dans la transformation de tout en un seul instant.
Ensuite, la longueur des cycles de développement et l’inertie des retours d’expérience étant de deux à trois ans pour que l’on puisse mesurer l’effet des changements avant de les réinvestir, les résultats d’une telle organisation ont des difficultés à s’intégrer dans de nouveaux projets.
Enfin la mise en commun et en mémoire des expériences issues d’un déroulement de projet, n’est pas quelque chose de spontané et de naturel pour les différents acteurs (p. 187). En effet la rapidité des prises de poste, le rythme de déroulement, la mobilisation de tous sur des objectifs immédiats, n’incite pas à investir dans une réflexion plus générale et donc : « La mission d’un directeur de projet n’est pas seulement de réussir le projet dont il a la charge mais aussi de participer en même temps au perfectionnement plus général de l’entreprise en la matière » (p. 188).
Cet ouvrage, intéresse les techniciens et les économistes qui enseignent dans des disciplines techniques. Ils peuvent tirer partie des concepts, méthodes et outils nouveaux du management et de la réalisation de
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projets pour les intégrer dans les pratiques à faire acquérir par les élèves et étudiants. On peut penser que les situations projets issues d’un processus de création de fabrication et de commercialisation d’un produit selon les points de vue social, organisationnel et technique, peuvent inspirer et structurer des situations de travail sur projet en rapport avec des pratiques sociales de référence.
L’observation conjointe des entreprises et des enseignants sur l’évolution des techniques et des savoirs qui y sont associés, construit une contribution réciproque à la transformation des pratiques des entreprises et de l’enseignement.
On consultera avec intérêt un autre dossier pédagogique très documenté paru dans la même période et destiné aux élèves en visite chez Renault intitulé : L’usine voir et savoir, la maîtrise des processus
industriels ; l’exemple Renault, publié par Renault Communication, 34