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Indignez-vous ! de Stéphane Hessel, récit médiatique et débats publics autour d’une figure héroïque

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Texte intégral

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Thè se de Doc torat / se pte mbre 2018

Université Paris II- Panthéon-Assas

École doctorale d’Economie, gestion, information, et communication EGIC (ED 455).

Thèse de doctorat en Sciences de l’information et de

la communication

Indignez-vous ! de Stéphane Hessel

Récit médiatique et débats publics autour

d’une figure héroïque

Gauthier Alexandre HERRERA

Sous la direction de Frédéric Lambert

Devant un Jury composé de :

Madame Isabelle Garcin-Marrou, professeure des Universités, Sciences Po Lyon. Madame Laurence Kaufmann, rapporteure, professeure en sociologie, Université de Laussanne.

Monsieur Frédéric Lambert, professeur des Universités, Panthéon-Assas, Paris II. Monsieur Cyril Lemieux, professeur EHESS, Paris.

Madame Sophie Moirand, rapporteure, professeure émérite, Paris III - Sorbonne Nouvelle.

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HERRERA Gauthier Alexandre| Thèse de doctorat | février 2018

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Avertissement

La Faculté n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans cette thèse ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.

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HERRERA Gauthier Alexandre| Thèse de doctorat | février 2018

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Remerciements

Mes remerciements vont avant tout à la première personne concernée par ce travail, Monsieur Frédéric Lambert. Je le remercie d’avoir soutenu mon projet, d’avoir cru à mon idée et à mon investissement alors que le chemin s’annonçait tortueux. Je le remercie pour le temps qu’il m’a accordé et pour son implication tout au long de ce processus. Je le remercie pour son ouverture d’esprit et pour m’avoir transmis ses connaissances et son savoir-faire, avec énormément de patience et de compréhension alors que nous sommes issus de langues et de disciplines différentes. Je le remercie également pour la confiance qu’il m’a accordée en acceptant de diriger ce travail, pour son exigence, sa discipline et sa rigueur, sans lesquelles je ne serais jamais allé aussi loin.

Un travail de doctorat est un travail d’équipe et je suis très honoré d’avoir pu travailler au sein de la sienne.

Je remercie également les membres du jury qui ont accepté de discuter de mon travail. Leur regard est non seulement nécessaire mais surtout indispensable pour projeter ma recherche vers l’avenir. Je remercie donc les rapporteures Sophie Moirand et Laurence Kauffmann, ainsi qu’Isabelle Garcin-Marrou et Cyril Lemieux de m’avoir accordé leur temps et leur expertise dans la lecture et l’évaluation de cette thèse.

Je remercie très sincèrement Bruno Marie Duffé, ancien directeur de l’Institut de Droits de l’Homme et directeur du master II à l’Université Catholique de Lyon. D’abord pour son travail de relecture et sa patience, les longues journées de réécriture, ensuite pour son soutien inconditionnel, sa présence rassurante et sa compagnie dans ce long processus, et enfin pour son encouragement et sa volonté à me soutenir jusqu’au bout. Je remercie Bruno pour ses conseils, son écoute et son aide. Il est un pilier sans lequel cette démarche scientifique n’aurait pu aboutir de la même manière.

Je souhaite par ailleurs exprimer ma gratitude à Sylvie Crossman et Jean-Pierre Barou pour leur temps accordé, leur patience et leur effort à me faire comprendre le phénomène Indignez-vous ! lors de notre interview.

Je tiens maintenant à remercier ma famille de cœur qui m’a apporté son soutien pendant toutes ces années : Richard Pintonello, Diana Marcela, Susan Camille et Olga Béatriz qui, grâce à leur écoute et leur patience, m’ont remonté le moral lorsque j’en avais besoin. J’adresse un merci tout particulier à Richard pour le temps passé devant l’ordinateur, pour nos discutions à table, sa compagnie et sa patience lors de débats houleux avec les amis sur les notions de dignité et d’indignité.

Je remercie ma famille qui ne m’a jamais lâché, qui m’a accompagné, qui a été aussi forte durant ces moments difficiles et tempétueux, tourmentée par les aléas de la vie mais accompagnée d’une flamme qui comme une bougie allume l’obscurité.

Enfin je dis merci à tous ces amis qui m’ont accompagné indirectement et qui ont représenté une image de loyauté, et pour lesquels abandonner aurait été une trahison. Merci à tous de m’avoir rempli de motivation, d’intérêt et d’enthousiasme.

Tous les remerciements exprimés ici ne doivent pas être compris dans un cadre limité, voire restrictif, mais dans la continuité de chaque instant.

Cette thèse est dédiée à Graciela et Olga Béatriz, deux femmes indignées, ouvrières et latino-américaines qui par leurs actes d’humanité seront toujours un exemple dans mon chemin de vie.

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Résumé :

En interrogeant l’efficacité performative des « mots » comme composante essentielle des actes de langage, cette thèse s’intéresse aux récits médiatiques qui concourent à la construction de figures héroïques, lesquelles participent au fondement discursif du lien social. À partir du parcours de Stéphane Hessel comme figure tutélaire et du succès du livret Indignez-vous !, nous étudions la trajectoire publique de l’ancien héros-résistant, en lien avec des récits, des débats et des scènes médiatiques qui se sont construits et déployés autour de sa figure. L’approche théorique et les méthodologies pluridisciplinaires empruntent à la sociologie et à la sémiotique qui s’interrogent sur la reproduction du lien social par la préfiguration, la configuration et la reconfiguration opérées par un récit. La considération philosophique et le regard en science politique nous permettent de convoquer l’analyse des concepts de dignité et ses représentations dans des luttes de mobilisation collective. Enfin, selon une approche en sciences de l’information et de la communication, nous questionnons la manière dont les médias traitent de la figure particulière de Stéphane Hessel en lien avec le mouvement Les Indignés. Cette thèse démontre que le langage joue un rôle fondamental dans la construction de la représentation du social. Que le langage, du fait des « mémoires » qu’il véhicule, construit du lien social et donne du sens aux membres d’une société. En définitive, nous établissons que le discours des médias est une passerelle entre le monde politique institutionnel et les mouvements sociaux qui incorporent les mots des médias dans une reprise incessante de figures et de légendes collectives qui circulent dans l'espace public. La thèse pose ainsi les bases d’une problématisation du rapport entre les discours des médias et les répertoires des discours de mobilisation collective.

Descripteurs : Dignité, Les Indignés, mobilisation collective, mémoire collective, Stéphane Hessel.

Title and Abstract :

By questioning the performative effectiveness of "words" as an essential component of speech acts, this thesis focuses on the media narratives that contribute to the construction of heroic figures, which participate in the discursive foundation of the social bond. From Stephane Hessel's journey as a tutelary figure and the success of the Indignez-vous! booklet, we study the public trajectory of the former resistance hero, in connection with stories, debates and media scenes that have been built and deployed around himself. The theoretical approach and multidisciplinary methodologies borrowed from sociology and semiotics, which question the reproduction of the social bond by prefiguring, configuring and reconfiguring a story. The philosophical consideration and the viewpoint in political science allow us to convene the analysis of the concepts of dignity and its representations in struggles of collective mobilization. Finally, according to an approach in information and communication sciences, we question how the media deal with the particular figure of Stéphane Hessel in connection with the movement “Les Indignés”. This thesis demonstrates that language plays a fundamental role in the construction of the representation of society. That language, because of the "memories" it conveys, builds social bonds and gives meaning to the members of a society. Ultimately, we establish that the media discourse is a bridge between the institutional political world and social movements that incorporate the words of the media in a relentless revival of collective figures and legends circulating in the public space. The thesis thus lays the foundation for a scientific interest of the relationship between the media discourses and the repertoires of collective mobilization discourses.

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Sommaire

Introduction générale... 7

Première partie ... 27

INDIGNEZ-VOUS !, MÉMOIRE COLLECTIVE ET DEVOIR D'AGIR ... 29

Chapitre I : Une histoire critique du contexte dans lequel le livret Indignez-vous ! apparaît ... 43

Chapitre II : Indignez-vous ! Écriture de l'histoire et philosophie de la dignité ... 57

Chapitre III : Indignation et mémoire médiatique, le pouvoir mobilisateur du mot Indignez-vous ! ... 87

Deuxième partie ... 103

DÉBATS PUBLICS ET POLITIQUE DU CONFLIT AUTOUR D'INDIGNEZ-VOUS ! 105 Chapitre IV : Le vocable de l'indignation dans l'arène publique d’Indignez-vous ! ... 119

Chapitre V : Le défenseur des palestiniens ... 151

Chapitre VI : La construction de la figure du leader Stéphane Hessel autour de la DUDH ... 171

Troisième partie... 191

LES CONDITIONS DE PRODUCTION DE LA CONSTRUCTION DU HÉROS REBELLE, CONTEXTE ET INCARNATION D'UNE INDIGNATION RÉUSSIE ... 193

Chapitre VII : Le thème de la légende Hessel. -Du héros résistant au héros national- .... 211

Chapitre VIII : Pragmatique et performativité des mots de l'émotion dans l'appel à l'indignation ... 233

Quatrième partie ... 253

QUAND VIENT LA MORT DU HÉROS RÉSISTANT : NOMMER LA MORT POUR QUE VIVE LA NATION ... 255

Chapitre IX : Nécrologies du héros et controverses politiques ... 269

Chapitre X : Les mots de la mémoire : Nation, héros et mythe de l’unité nationale... 309

Cinquième partie ... 327

LA COMMÉMORATION ET L’HÉRITAGE DU HÉROS RÉSISTANT STÉPHANE HESSEL. ... 329

Chapitre XI : Les funérailles et les hommages de la Nation ... 343

Chapitre XII : Lieux et lutte politique : actes d’hommage et mémoire collective ... 373

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Introduction générale

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D’où venez-vous ? Quel est votre chemin ? Où voulez-vous aller ? Ce sont souvent les questions que l’on nous impose lorsqu’on se lance dans l’entreprise d’une thèse. Car faire une thèse est aussi une entreprise. C’est concevoir et façonner un nouvel objet de recherche et de connaissance. C’est ajouter de la « plus-value » dans le champ scientifique. Et moi, je me suis lancé dans cette entreprise non avec la prétention de produire de la plus-value dans la connaissance de mes objets premiers, mais plutôt d’apprendre moi-même à comprendre les méthodes et les problématiques de l’analyse du discours en sciences de l’information et de la communication. Car travailler en sciences de l’information et de la communication est une expérience nouvelle et spécifique de connaissance pour moi. Moi qui me suis formé en sociologie et en science politique.

Auparavant j’avais préparé d’autres études qui portaient sur l’analyse des mouvements sociaux et sur des situations de mobilisation collective de paysans, d’ouvriers ou de victimes du terrorisme d’État. L’État peut aussi établir la terreur non seulement symbolique mais aussi factuelle. C’est pourquoi, mes études en science politique, qui s’intéressent aux mouvements sociaux, constituent ma source première. Des mouvements marqués par des mobilisations qui agissent pour la revendication des droits, s’inscrivant dans le processus de récupération et sauvegarde de la mémoire collective. Particulièrement les victimes des crimes contre l’humanité en Colombie1, mon pays d’origine. Ce dernier point est particulièrement important

car cela m’a imposé un travail pour faire cohabiter deux univers de pensée : espagnol et français ; sans que cela vienne empiéter sur mes recherches ni sur la façon d’exprimer mes analyses. Mais plutôt de le faire devenir une source d’enrichissement intellectuel. Tâche qui ne fut pas des moindres.

Cela dit, j’ai entamé un difficile cheminement pour comprendre l’usage « des discours » dans les appels à la mobilisation collective. En d’autres termes, c’était un effort afin de comprendre le caractère politique du discours et ses mécanismes d’incitation à la lutte sociale. Il a fallu

1 A. Herrera, Memoria colectiva y procesos de identidad social en el movimiento de víctimas de crímenes de

Estado -Movice 2008-, Universidad Nacional de Colombia. IEPRI.

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que je m’intéresse à la pratique du discours, à ses effets, à sa capacité de modifier l’environnement et surtout à la manière de construire une explication symbolique du monde que nous habitons. C’est pourquoi dans ce travail de thèse j’ai découvert de nouveaux auteurs qui ne faisaient pas partie de mon champ de connaissance : Marc Augé, J.L. Austin, Judith Butler, Sophie Moirand et Josiane Boutet qui m’ont apporté une grande partie des outils d’analyse. Mon temps de lecture pendant toutes ces années était dédié exclusivement à la lecture des analyses des discours et aux questionnements issus des sciences de l’information et de la communication ; sans oublier, bien entendu, les apports en sociologie et science politique que j’avais déjà acquis.

En préalable à la justification de l’objet d’analyse de cette thèse, je voudrais dire quelques mots de ma première inquiétude scientifique qui portait sur les discours au sujet de la démocratie en Colombie. Des discours véhiculés par les médias colombiens. Étant convaincu qu’il existe plusieurs formes de démocratie, avec des niveaux d’acteurs, de procédés et de discours j’ai proposé à mon directeur de thèse une première approche à partir de la notion de

« liberté positive » travaillée par Amartya Sen2, ceci afin de comprendre le choix auquel sont

contraints les citoyens de mon pays d’origine. Par le passé, j’avais déjà travaillé sur les mouvements des victimes d’État en Colombie, au sujet de leurs revendications et sur leurs répertoires dans la mobilisation collective. Donc, sur leur choix de liberté et leur manière d’agir. A ce sujet, les travaux de Charles Tilly et de Sydney Tarrow, sur la politique du conflit, deviendront un point d’appui qui agira comme une des sources fondamentales dans ce travail de recherche. En amont de ce travail, je me suis inquiété sur les manières dont la démocratie colombienne construisait peu des ressources discursives pour admettre l’existence des victimes d’État. Dans les discussions préalables à la préparation de cette thèse, nous avons pris conscience rapidement de la construction médiatique de la figure des victimes ; mais aussi de la figure des héros qui abondent dans les discours des médias. Bien que dans un premier temps, mon idée était de travailler les mécanismes de légitimation des acteurs (sociaux et politiques) véhiculés dans le discours des médias dans la démocratie colombienne ; ces deux acteurs : victimes et héros, s’avéraient prépondérants lors de la mise en opération des discours produits par les médias, l’État et les acteurs sociaux eux-mêmes. À

2 Amartya Sen, Un nouveau modèle économique -Développement, justice, liberté, Éditions Odile Jacob, Paris, 2000.

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maints égards, ces figures font partie de la scène médiatique où se construisent, se confrontent et se débattent les imaginaires de la démocratie.

Je me suis intéressé aux luttes de mémoire collective (c’est pourquoi le travail d’Élisabeth Jelin fait partie des outils fondamentaux utilisés pour mon analyse), et en particulier aux luttes menées par les victimes d’État en Colombie. J’ai appris, par ces analyses à identifier les victimes, à observer leurs répertoires, leurs demandes. J’ai poursuivi une approche analytique qui me permettait de les fixer, de les cerner, de les nommer. Et comme le dit Judith Butler3

l’acte de nommer [et dans notre cas particulier : de donner sens à l’identité des victimes], requiert un « contexte intersubjectif » pour que l’interpellation puisse avoir lieu4. Dans l’acte

de nommer il importe aussi d’avoir une possibilité constitutive, dit J. Butler, ce qui interfère forcement dans le récit d’histoire. Ainsi, en nommant les victimes, j’ai rencontré une autre figure que je n’avais pas vue auparavant : celle de l’image des héros.

Le héros

En effet, au fur et à mesure que nous débattions sur la démocratie en Colombie et sur les luttes de mémoire, nous nous sommes aperçus qu’à l’opposé de l’image des victimes il y a celle des héros. Cela dit, ces deux figures font fréquemment partie du contexte des discours véhiculés par les médias dans l’actualité des pays occidentaux5. Ceci constituait aussi un point

commun de départ dans mon intérêt pour comprendre la légitimation des acteurs sociaux, par le discours des médias, touchant à l’argument d’unité nationale. Car la figure du héros est souvent un élément fondamental du récit national. C’est pourquoi l’image du héros est au cœur de ma problématique. Il s’agit d’une représentation qui exige d’être mise en contexte dans le champ politique où elle s’inscrit. Représentation qui contribue à la compréhension et l’interprétation du dit champ. L’image du héros synthétise les enjeux politiques et porte en elle les discours en controverse. Cette image est avant tout une entité individuelle (elle peut être aussi collective, par exemple dans le cas des sauveteurs pompiers), représentée comme

3 Judith Butler, Le pouvoir des mots -politique du performatif-, éditions Amsterdam, Paris, 2004.

4 « La nomination (naming) requiert d’un contexte intersubjectif. C’est dans ces contextes que les sujets se

nomment et s’interpellent. Il s’agit d’une interaction : Le sujet parlant qui est nommé devient potentiellement quelqu’un qui pourra en son temps nommer quelqu’un d’autre. » Ibidem, p. 62.

5 Quand je fais référence à l’occident je parle d’un point de vue culturel latin Ibérique, mais sans oublier l’Amérique du Nord.

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figure tutélaire6 et mise constamment en relation avec une population pour qui le pouvoir

charismatique touche fortement l’esprit des « fidèles ».

À ce titre, il est possible d’affirmer que la médiatisation de l’image des héros est

symptomatique d’une situation sociale, caractérisée par des changements politiques et

culturels qui ont lieu dans une période spécifique de l’histoire. Comme s’il s’agissait d’une scénarisation particulière. Or les faits étant symptomatiques, ils renvoient aux traces de l’histoire comme des symptômes sociaux qui attestent de l’existence d’un moment spécifique vécu. À cette aune, au long de cette thèse, je vais faire référence au travail de l’anthropologue colombienne Maria Victoria Uribe, qui analyse la terreur comme symptôme de la violence, dans sa dimension politique. En suivant Slavoj Zizek7 l’auteure montre comment la notion de

symptôme est utilisée aussi bien en psychanalyse que dans l’anthropologie8. Tout en exposant

comment l’utilisation de cette catégorie sert à mettre en lumière la résistance de certains faits à la symbolisation entendue comme « appréhension narrative des faits ». Ainsi, une des thèses défendues dans ce travail est que la construction d’un imaginaire de héros, véhiculé et médiatisé à un moment précis, sert à renouveler l’attachement national des citoyens et à justifier l’unité nationale actuelle par le biais de la remémoration du passé ou de l’exaltation du présent. Mais cette construction est difficilement approfondie au vu du besoin de la société de chercher régulièrement [et sans cesse] des récits basés sur des figures « tutélaires », ce qui devient un symptôme social.

Un exemple de ce scénario, apparaît dans les faits qui se sont déroulés en Afrique du Nord, particulièrement en 2011. À rigoureusement parler : le 17 décembre 2010 Tarek Bouazizi (appelé Mohamed Bouazizi) s’immole par le feu et décède le 4 janvier 2011. Suite à cet évènement des émeutes vont se déclencher en Tunisie et dans de nombreux pays du monde arabe. C’est l’origine de ce que l’on appellera le Printemps Arabe. Expression qui évoque les

6 La notion de « figure tutélaire », nous l’empruntons à Benoît Lafon, il s’agit : « d’individus exemplaires

reconnus pour le rôle de tuteurs de la communauté, en particulier sur le plan du rapport à la mort » Benoît

Lafon, « Les funérailles télévisées », Questions de communication [En ligne], 19 | 2011, mis en ligne le 01 juillet 2013, consulté le 15 décembre 2016. URL : http:// questionsdecommunication.revues.org/2631 ; DOI : 10.4000/questionsdecommunication.2631, p. 114. La figure tutélaire correspond aussi à une personnalité

exemplifiée, figure qui est accentuée par le registre des médias.

7 Slavoj Zizek, The Sublime Object of Ideology, editorial Verso, Londres, 1989.

8 Comme le dit l’anthropologue : « Selon la définition freudienne, le symptôme est une formation particulière qui

existe parce que le sujet ignore quelque vérité fondamentale sur lui-même ; dès que la signification de cette vérité est intégrée dans son univers symbolique, le symptôme se dissout » María Victoria Uribe, Anthropologie de l’humanité -Essai sur la terreur en Colombie– Petite Bibliothèque des idées, Ed. Calmann-lévy,

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mouvements populaires du printemps des peuples de 1848 où fleurirent des révolutions à travers l’Europe. Ces mouvements font montre du besoin d’un élément déclencheur qui passe par la médiation d’une image héroïque, la plupart du temps un martyr. Or était-il question d’un héros sacrificiel comme figure nécessaire pour éveiller les forces sociales qui sont à l’origine des changements importants dans le contexte des pays de l’Afrique du Nord ? Nous ferons référence particulière à ces faits lors de notre quatrième partie du travail afin de présenter, ce que je considère comme l’arrière-scène mondiale où émerge l’image héroïque de Stéphane Hessel.

Stéphane Hessel le héros résistant

Une fois mon intérêt éveillé autour de la caractérisation et la médiatisation des figures héroïques, un fait social très médiatisé en France est venu frapper ma curiosité intellectuelle. Car le mouvement Les Indignés a émergé dans les médias de nombreux pays. Il s’agit d’un phénomène qui est associé très directement au Printemps arabe, au M-159, et à Occupy wall

street, entre autres mobilisations « planétaires ». En France, un nom propre est agrégé à

l’émergence des ces mobilisations sociales qui ont une relation privilégiée avec la publication du livret Indignez-vous !, de Stéphane Hessel10. C’est ainsi que la figure du héros résistant

m’est apparue pour devenir mon objet d’étude, encadré dans les questionnements et les justifications produits par la médiatisation des héros populaires dans la presse française. Stéphane Hessel était déjà une figure publique, mais il devint une figure médiatisée, à proprement parler, lors de sa présentation à une émission de télévision en octobre 201011 où il

interpelle ses interlocuteurs en lançant la phrase : « Mes enfants, taisez-vous, cessez de vous

engueuler ». Ancien résistant, déporté et rescapé de l’holocauste, Stéphane Hessel partage son

expérience avec des indignés de toute la planète. Son texte Indignez-vous !, plus que de faire la une dans les journaux, devient un argument pour des milliers de « rebelles » sur le continent Américain, en Afrique et en Europe. Ceci constitue un événement mondial. C’est un héros car sa médiatisation construit une image charismatique qui va influencer la dynamique des mouvements sociaux d’action globale. Et ceci même si l’on peut dire que Stéphane

9 M-15 est le nom d’origine du mouvement Les Indignés, mouvement né le 15 mai 2011, d’où le nom.

10 Stéphane Hessel. Indignez-vous ! Indigènes Éditions, Barcelone, Espagne, octobre 2010. Le livret est issu de l’Entretien à Stéphane Hessel réalisé par Sylvie Crossman et Jean-Pierre Barou.

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Hessel est une étoile tardive, comme l’affirme Manfred Flügge, biographe12 de cette figure

décédée le 27 février 2013.

Pour les médias français, le texte de Stéphane Hessel possède une force quasi magique. Par ailleurs dans les mots de son biographe : « Il y a une énigme, une formule magique qu’il n’est

pas aisé de décoder 13 ». La réception de ce texte par les médias est vue comme un discours

qui interprète le désespoir de la planète. Et la force de son succès n’est pas seulement le texte mais sa propre figure : « il n’a pas de message à apporter, comme Hermès, il est lui même un

message14 »

Cette figure héroïque (comme d’ailleurs toute figure héroïque), est construite avec un mélange de réalité et de fantaisie. Comme l’affirme M. Flügge : « Tant de mythes se sont greffés au fil

du temps sur leurs biographies qu’on en viendrait parfois à douter de la réalité même de leur existence. Mais les choses ne sont pas aussi simples. Ce jeu subtil entre l’amour et la vie donna lieu à de véritables souffrances15 ». Et comme tout héros, la souffrance conduit à un

caractère sacrificiel16.

On peut dire que, son expérience, en tant que résistant et rescapé, lui confère une autorité de plus sur le commun des mortels. Ainsi, pour l’auteur ; avoir pénétré ces ténèbres et résisté à tout, c’est comme posséder un titre de noblesse17. Quoi qu’il en soit S. Hessel possède une

personnalité universelle qui prend racine le 10 décembre 1948, lors de la signature de la

Déclaration Universelle des Droits Humains, ainsi que par son expérience de travail à l’ONU

et sa position sur le conflit israélo-palestinien. Depuis son engagement contre la torture, jusqu`à la réflexion sur une révolution qui a touché nombre de mouvements sociaux à partir

12 Manfred Flügge, Stéphane HESSEL, Portrait d’un rebelle heureux, Éditions Autrement, Paris, 2012. 13 Ibidem, p. 13.

14 Ibidem. 15 Ibidem, p. 39.

16 Cet aspect sacrificiel se révèle très clairement dans plusieurs passage du récit biographique de Flügge, comme dans celui-ci : « On les emmène et on les roue de coups, on les menace de pendaison. On les enferme pour deux

jours dans un bunker où ils ne peuvent se tenir que debout, en compagnie de chiens qui leur mordent les jambes. Mais ils surmontent aussi cette épreuve et on les affecte à un commando disciplinaire » Ibidem. p. 111

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de son appel à s’indigner. Car il a toujours réfuté l’argument selon lequel les droits de l’homme ne seraient qu’une valeur purement occidentale18.

A partir de 2008 S. Hessel devient une personnalité reconnue dans l’opinion publique française. Il est reconnu par son charisme et son altruisme, comme le définit le journal Le

Monde qui publie un article sur son site web, intitulé l’universaliste joyeux19. La même année, malgré ses critiques à l’encontre du piètre héritage des droits de l’homme concernant le gouvernement en place, « Hessel reçut le prix Jean Zay décerné à des personnalités qui

défendent particulièrement les idées républicaines.20 »

S. Hessel est en effet un héros résistant qui prône l’idée de « citoyen sans frontières » car pour lui « Tous les hommes ont droit à une nationalité ; les passeports Nansen [dont bénéficia son propre père], ces papiers attribués aux apatrides et expulsés, émis entre 1919 et 1939 par la

Société de Nations, ne doivent plus exister. Mais tous les hommes doivent aussi se considérer comme des citoyens du monde, libres et responsables.21 » Ainsi S. Hessel définit l’idéal de la

résistance comme : « la lutte contre le déni des droits de l’homme. L’esprit de la résistance

est le suivant : dire non à ce qui nous scandalise. 22. » Il préconise un civisme global.

Stéphane Hessel est l’objet d’un succès étonnant et s’inscrit dans un tourbillon médiatique sans pareil. Cependant, pour M. Flügge, S. Hessel est avant tout « un homme d’action, un

activiste, mais sans lien à un clan… c’est une personnalité régie par son propre code et qui ne rentre dans aucun schéma. Il remplit une attente que l’on peut aussi qualifier de religieuse, ce que ni lui ni ses partisans n’accepteraient de reconnaître23 »…..Dans la

dernière période de sa vie, S. Hessel questionne le sens d’indignation en incluant aussi le mot

résilience, lequel signifie avant tout la capacité d’un matériau à résister à un choc24. Cette

18 « C’est pourquoi il a toujours tenu à souligner une phrase du préambule affirmant que le mépris des droits de

l’homme mène à des actes de barbarie qui ébranlent la conscience de l’humanité. Cette phrase visait les crimes nazis, mais aussi les méfaits d’autres régimes ». Ibidem, p. 186.

19 L’article est disponible en document annexe à ce travail, page 37, volume II. 20 Manfred Flügge, op. cit., p. 187.

21 Ibidem. 22 Ibidem, p. 190. 23 Ibidem, p. 256.

24 « Le nouveau mot magique de Hessel est la résilience qui fut d’abord, comme résistance, un terme physique.

La résilience désigne la résistance d’un matériau au choc ; métaphoriquement, ce mot signifie pour Hessel la capacité à continuer un combat par-delà des défaites et des déceptions » Ibidem, p. 263 et pp. 235-256. Ce mot

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capacité des mouvements sociaux et des individus à résister par leur combat à l’objectif de recherche de dignité est bien la pointe de sa pensée.

Indignez-vous !, pragmatique et sémiotique

J’avais donc une figure qui, à mes yeux, représentait une forme singulière de ma recherche scientifique. La figure du héros qui s’oppose à celle de la victime mais qui est interrogée dans un contexte de démocratie « réussie », telle que la démocratie en France. Car mon intuition, issue d’une première approche en sociologie et science politique, m’amène à m’intéresser aux constructions des discours qui mettent en scène les rôles qui occupent une place importante dans des récits. Si les rôles interagissent, alors des relations se créent. Et du fait de la place occupée par les acteurs qui incarnent le rôle, des relations de hiérarchie et de pouvoir s’instituent. C’est pourquoi le présent travail concerne une sémiotique et une pragmatique des médias dans l’intérêt qu’elles ont d’interroger la production mais aussi la réception des discours, les relations de pouvoir ainsi que l’influence du message sur la société25.

Mais encore, mon intérêt pour ce travail touche aussi à l’analyse du discours. Car j’envisage le discours en contexte, ainsi que sa capacité à construire la réalité. Avec Indignez-vous ! on se situe dans un corpus qui convoque la pragmatique du discours, ne serait-ce que par son titre et sa forme verbale à l’impératif, ce qui demande à l’interlocuteur d’agir. Or ce que j’interroge ici c’est le pouvoir des mots lors de la production d’un discours. Ce pouvoir nous oblige à comprendre l’histoire et le présent, ainsi qu’à envisager l’avenir en nous proposant d’agir d’une manière particulière.

Judith Butler affirme que le langage est entendu principalement comme une puissance d’agir26. Cette puissance peut aussi venir du sujet parlant. Quoi qu’il en soit,

« Nous faisons des choses avec le langage, nous produisons des effets avec le langage, mais le langage est aussi la chose que nous faisons. Le langage est le nom de notre

25 Dans cette relation entre sémiotique et pragmatique du discours, on peut aussi aborder des questionnements proches de la sociologie des médias. Tels sont l’influence des médias et les comportemetns qu’elle peut générer. Comme le dit Rieffel, la sociologie des médias se réfère : « aux diverses modalités de production et de réception

de l’information, les relations qui s’instaurent, entre l’émetteur et le récepteur des messages, l’influence des médias sur la société et s’intéressant plus particulièrement au comportement des différents acteurs qui y interviennent (les journalistes, les hommes politiques, les décideurs économiques, les intellectuels, mais aussi le profane) ainsi qu’à celui des utilisateurs des médias ». Rémy Rieffel, Sociologie des médias, Infocom, Ellipses

éditions, Paris, 2015, p. 4. 26 J. Butler, op. cit., p. 30.

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activité : à la fois ce que nous faisons (le nom de l’action que nous accomplissons) et ce que nous effectuons, l’acte et ses conséquences27 »

À rigoureusement parler, je m’intéresse au langage comme praxis. Et c’est pour cela que mon objectif est porté sur l’analyse des récits médiatiques que la presse française fait du héros résistant Stéphane Hessel. En effet, dans l’histoire racontée du héros résistant, l’on peut voir comment au fil du temps une narration très proche du storytelling (appelé aussi : cercle de narration)28 peut être envisagée dans la durée. Car l’histoire personnelle de S. Hessel peut se

raconter comme des épisodes liés à certains passages de l’histoire universelle. Ces passages font sens à condition d’avoir accès à tous les chapitres de son vécu.

Ceci est tellement suggestif qu’à chaque épisode médiatique où S. Hessel est interrogé, la mise en récit se perfectionne pour donner sens au message véhiculé. Dans la construction du

cercle de narration, le sujet s'inspire du monde et de son récit collectif mais il le nourrit

également car l’orateur [ou le producteur du discours] a tendance à préserver une

« herméneutique de soi29 », tout en se permettant d'aller à la rencontre de la réalité du pays, de

son histoire et son identité toujours en construction30. Ainsi une des traces les plus

importantes de l’affaire Indignez-vous !, dans les médias, correspond à la construction d'une trame qui lie indiscutablement l’histoire personnelle d’un homme et le contexte politique dans lequel le personnage agit à chaque résurgence médiatique.

Dans cette thèse je travaille donc les discours de la presse à propos de ce que S. Hessel dit de la situation politique, des mouvements sociaux, de l’idée de nation et des luttes sociales. Mais j’envisage aussi ce que la presse dit de S. Hessel et comment elle présente et configure l’image médiatique d’un héros résistant. En suivant les travaux de Maria Teresa Uribe de

27 Ibidem, p. 3.

28 « Le Storytelling est une rencontre narrative durant laquelle les histoires se croisent pour faire sens… Le

cercle de la narration permet alors au candidat d’aller à la rencontre du pays, son histoire et son identité plurielle et mouvante » Raphaële Galmisch, « Le Storytelling : cercle de la narration au service de l’ethos du

leader », Revue française des sciences de l'information et de la communication [En ligne], 7 | 2015, mis en ligne le 30 septembre 2015, consulté le 05 octobre 2015. URL : http://rfsic.revues.org/1627

29 Selon Paul Ricœur « l’herméneutique de soit est un travail narratif susceptible de configurer un sens, un

travail interprétatif » Martine Xibberas, « Mythe et processus d’identification individuelle et collective », dans

Frédéric Monneyron et Antigone Mouchtouris (sous la dir. de), Des mythes politiques, Éditions Imago, Paris, 2010, p. 18.

30 Raphaële Galmisch, « Le Storytelling : cercle de la narration au service de l’ethos du leader », Revue française des sciences de l'information et de la communication [En ligne], op. cit.

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Hincapié31, j’observe le discours des médias composé par des mots qui préfigurent, configurent et reconfigurent la scène médiatique. Il s’agit en effet de langages politiques à dimension mimétique, dissimulés entre les frontières du monde intellectuel et politique32. C’est pourquoi une controverse comme celles qu’ont affrontée S. Hessel et Michel Houellebecq (prix Goncourt) éclate tout au début du succès du livret Indignez-vous !. Face au succès du livret, l’ouvrage de Houellebecq « La carte et le territoire » ne bénéficia pas d'une bonne image publique33. Des discours politiques devaient s’en mêler tout en dénonçant le

malaise profond de la France véhiculé par Houellebecq face au cri d'espoir de S. Hessel34. La perception de la nation est dès lors altérée. Car la France apparait comme un vieux corps qui souffre, au fil du temps, des attaques de son âge. En quête de soins, elle retrouve dans l'expérience du vieux héros les mots doux nécessaires pour alléger sa souffrance. Ces mots apparaissent donc comme une médecine pour guérir ce « corps malade ». Mais les mots disent aussi les symptômes qui se manifestent. Si la souffrance vient des discours politiques, elle retrouve donc la guérison de l'esprit aussi par des mots -politiques-. Car sa maladie n'est pas

épidermique35 comme l’affirme l'éditeur du petit livret dans la postface de l’éditeur de

l’édition revue et augmentée du livret Indignez-vous ! Au milieu du marécage, cette publication augmentée est un effort pour séparer l'analyse rationnelle du remous de l'émotionnel. En faisant ceci cet appel trouve la guérison dans l'usage de la raison36.

31 María Teresa Uribe de Hincapié et Liliana María López Lopera. Par son titre en espagnol : Las palabras de la

guerra : Metáforas, Narraciones y lenguajes Políticos. Un estudio sobre memorias de las guerras civiles en

Colombia. Institut d'Études Politiques de l'Université d’Antioquia. Corporation Région. Medellín : La Carreta Editores, 2006.

32 Ibidem.

33 Il était question de controverses à propos de l'authenticité de l'ouvrage car il était même signalé comme plagiat.

34 Il suffit de voir ce que la presse disait à propos de l’affaire : « Au moment où l'oracle noir Michel Houellebecq,

avec sa France neurasthénique, muséifiée, monte sur les cimes des ventes, nous décrivant un avenir aussi radieux qu'un 13 heures de Jean-Pierre Pernaut, un étonnant petit bouquin de trente pages, sorte d'Astérix au pays du Goncourt, s'installe depuis quelques semaines en tête du palmarès des ventes d'essais » Thierry Leclère,

La flamme de la Résistance A suivre !, Télérama, no. 3176 samedi 27 novembre 2010, p. 9. L’article est disponible en document annexe à ce travail, page 83, volume II.

35 D’après les mots de l’éditeur. La maison d'édition Indigène ravie du succès d'« Indignez-vous!, Midi Libre, Jeudi 30 décembre 2010. L’article est disponible en document annexe à ce travail, page 126, volume II.

36 En effet, les éditeurs se plaignent du commentaire du premier ministre de l’époque François Fillon qui affirme : « J'ai vu qu'un débat s'était noué autour de l'indignation. Rien ne serait en effet moins français que

l'apathie et l'indifférence. Mais l'indignation pour l'indignation n'est pas un mode de pensée », ce qui est

rapporté dans la postface de l’édition afin de réaffirmer le caractère rationnel de l’appel à l’indignation de S. HESSEL. Stéphane Hessel. Indignez-vous ! op. cit., p. 27.

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Face à ce malaise français, « Résistons à l'indifférence avec Stéphane Hessel », affirme T. Leclère37. En effet, le mot résistance est souvent associé au héros résistant. C'est un mot puissant qui fait réagir le public français, vis-à-vis de son histoire très marquée par la période de la deuxième guerre mondiale. C'est encore le pouvoir d'un mot qui demeure dans la mémoire collective. La figure médiatique de S. Hessel, c'est son image sereine, placide et posée. Mais on peut en même temps, avec cette douceur, lui reconnaître une force de caractère et une expérience inégalée. Comme on les retrouve chez tout héros révolutionnaire. Enfin la controverse avec la parution de l'ouvrage de M. Houellebecq permet à la presse française de se ressaisir tout en ajoutant un petit plus autour des mots doux et à la fois énergiques pour faire réagir le public. Certains journalistes iront même jusqu'à proposer le Prix Nobel pour l'auteur d'indignez-vous !

Enfin S. Hessel a du recréer sa stratégie discursive (à un moment donné) dans le but de continuer son appel à l'indignation sans faire en même temps appel à la violence révolutionnaire, celle que Walter Benjamin défendait, directe ou indirecte. Mais le héros résistant n'oubliera jamais qu'à l'origine de son indignation il est question du système financier. Ce qui signifie parfois de s'affranchir de certaines lois. Son appel est donc efficace car il mobilise les forces sociales. Boycott des banques, manifestations massives, etc. Son discours, aux yeux des médias (télévision et presse), devient performatif38 parce qu’il appelle

à faire ce que l’on croit « juste ».

Si le langage est performatif, il est tout de même une représentation de l’expérience et non l’expérience elle-même39. Et en suivant Judith Butler, je considère que le langage est principalement une puissance d’agir40. C’est pourquoi les discours de la presse ont une capacité de conserver, d’influencer ou d'engendrer la mémoire collective par-delà l’identité nationale. En partant de l’idée que la nature du discours est praxéologique, comme le soutient Josiane Boutet41, les mots analysés dans ce travail sont interprétés à partir de leur contexte

mais aussi de l’interaction possible entre individus. Cela dit : les mots ont un pouvoir. Ce

37 La flamme de la Résistance, Thierry Leclère, A suivre !, Télérama, no. 3176 samedi 27 novembre 2010, p. 9. L’article est disponible en document annexe à ce travail, page 83, volume II.

38 En effet, J.L. Austin, avance l’idée que l’énoncé efficace confère au discours son caractère performatif. Voir : John L. Austin, Quand dire, c'est faire. Écrits philosophiques seuil, Normandie, 1994.

39 J. Butler, op. cit., p. 32. 40 Ibidem.

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pouvoir crée des passions et mobilise l'action afin que les récits de mémoire récupèrent toute cette énergie et s'en servent de manière plus articulée. C'est pourquoi la façon de raconter les faits peut avoir une grande influence sur le récepteur. Comme le dit J. Boutet : « le langage

doit être vu comme une praxis42 ». Cela doit être de même pour les récits, puisqu'ils se servent

des mots du langage. Or les mots ne font pas que représenter des objets du monde, ils ont aussi un pouvoir d'action sur ce monde : « Dans de nombreuses situations de communication

ce n'est pas (seulement) un usage référentiel du langage qui est fait, mais un usage de son pouvoir, de sa puissance d'action, de sa performativité43. » Ainsi, le langage, vu comme

praxis ne sert pas seulement à informer, à transmettre des communications, il sert aussi à interpréter et transformer la réalité. Il est donc à la fois « réalité » et « action ».

Au vu de mon exposé sur les discours médiatisés par la presse à propos de S. Hessel et du succès d’Indignez vous !, le lecteur observera que cette figure de héros correspond plutôt à une -image héroïque-. Image construite à partir du discours et des pratiques langagières. En effet, ces pratiques « …ne sont pas seulement énoncées pour informer ou pour communiquer

des sentiments ou des connaissances, mais pour exercer une pression, une influence sur nous-mêmes : lorsque autrui veut me faire agir, me convaincre, me persuader, m’enrégimenter, me nommer, m’imposer des conduites ou des pensées, etc.44 »

À partir de cette idée fondamentale, ce que je souhaite parvenir à analyser, c’est la manière dont les discours, à propos de l’image du héros résistant S. Hessel, prennent place et jouent un rôle dans la vie politique et particulièrement dans la confrontation politique en maitrisant une certaine image et en adoptant un moyen pour l’insérer dans la normalité quotidienne. Il s’agit de voir la ligne de continuité et d’évolution d’une histoire particulière, ancienne figure de la résistance, et figure devenue médiatique, assimilée en tant que figure tutélaire dans le discours des médias. Pour ceci il faut savoir quels sont les discours en confrontation dans le contexte et le processus qui permet d’imaginer une telle figure. Quels discours d’opposition, sociale et politique, sont mis en œuvre et quelle est la part des médias dans cette configuration d’une figure héroïque agissant dans le champ politique. Il s’agit, somme toute, de pouvoir

42 Ibidem, p. 10.

43 Josiane Boutet, op. cit., p. 16. 44 Ibidem, p. 8.

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reconstituer et analyser les discours de la figure héroïque dans un cadre social et politique de plus en plus médiatisé.

Les actes du discours dans l’affaire Stéphane Hessel

En plus de la pragmatique et de la sémiologie, il a fallu que je convoque tous mes repères en sociologie et en science politique afin d’élaborer mon interprétation sur l’objet de mon étude. C’est dans le cadre épistémologique de ces sciences que j’entends constituer mon cadre théorique de référence. La sémiotique m’a permis de décrypter le sens des mots dans les espaces publics, la pragmatique quant à elle, m’a orienté dans l’analyse autour de la langue en action et d’approfondir le contexte dans lequel le discours est produit. Mon expérience de recherche, étayée davantage dans la sociologie et la science politique, m’invite à observer le lieu de pouvoir dans lequel les mots établissent le lien symbolique qui est proposé aux consommateurs de médias. À l'instar de Michel Foucault, j’entends suivre la voie de l’analyse du discours qui postule le discours écrit ou oral comme un univers dans lequel s'expriment des tensions et des limites. À cet égard, mon travail consiste à faire émerger, dans le discours, les marques des contraintes, les contradictions et les hésitations de la construction médiatique d’une figure héroïque telle que celle de Stéphane Hessel. C’est pourquoi, dans ce travail, l'analyse passe souvent de « ce que S. Hessel dit » à « ce que la presse rapporte de lui » ; parfois sans pouvoir distinguer précisément l'opinion de chaque actant. Ce qui ne m’empêche pas de considérer les journalistes et les lignes éditoriales comme des acteurs responsables de leurs textes : avec leurs contradictions, leurs choix et leurs engagements.

De ce travail je ne cherche pas à tirer un modèle scientifique (ou théorique). Je mets juste en pratique ce que d’autres, bien plus éclairés, ont dit à propos de l’acte de parler, mais aussi du souhait de construire une nation. Car c’est un souhait qui ne s’accomplit jamais. Au vu de ce souhait exprimé partout ailleurs dans mon corpus d’analyse, mon étude considère, en toile de fond, tous ces messages cryptés qui me sont apparus et qui se rapportent au besoin d’unité nationale. Néanmoins, mon approche ne conçoit pas la nation comme un objet anhistorique et fixé dans le temps. Elle est une construction dynamique qui se rapporte au sentiment d’appartenance que Benedict Anderson travaille comme « nationalisme » ; conçu « dans un

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soumis, plutôt que, simplement l’idéologie politique de quelqu’un d’autre.45 » Si la nation

s’est immiscée dans l’interprétation de l’affaire Indignez-vous !, c’est parce que, pour S. Hessel, la communauté politique imaginée fait partie du débat public actuel46. Et la presse en fait autant en soulignant systématiquement le rappel à la « Nation ».

Benedict Anderson fait donc partie de mes références théoriques fondamentales au développement de mon approche analytique. Toutefois pour interpréter mon corpus et le faire parler j’ai pris appui sur la réflexion de Francis Mazière au sujet des affirmations fondatrices et des mots pivots47. Des outils que j’ai mis à l’épreuve pour observer les liens possibles qui

se dégageaient de l’observation de mon corpus. Ces mots et ces affirmations, qui constituent mon matériau d’analyse, ont le pouvoir d’agir parce qu’ils émanent d’une certaine autorité de l’orateur. Ils rappellent un cadre institutionnel développé dans une forme ritualisée mais surtout il s’agit des mots qui font partie d’un contexte. Les mots, les affirmations, les discours des médias n’auront donc pas un pouvoir ontologique mais ils seront plutôt le résultat d’un cadre social dans lequel ils se produisent et reproduisent. C’est un « paysage du

politique » selon l’expression de Frédéric Lambert :

« Les paysages du politique : la langue et les langages, dont ceux de l’image, agissent sur nous non pas grâce à un supposé pouvoir ontologique qui leur viendrait d’un au-delà de l’homme, mais grâce aux contextes politiques qui accueillent l’acte de langage48 »

Or, dans ce travail, j’interprète les mots dans un contexte précis : celui de la construction d’une image héroïque véhiculée par la presse et la télévision. Image qui tient au discours de la

nation désirée comme idéalisation et justification de l’unité sociale. Cela implique de voir les

mots aussi comme porteurs de violence, car comme le dit J. Butler « chaque acte de discours

exploite un symbole de la violence49 ». C’est aussi de là que l’on peut considérer l’efficacité

performative (illocutoire ou perlocutoire). Car ma thèse principale est que la production médiatique de la figure de Stéphane Hessel, à partir du succès du livret Indignez-vous !, obéit

45 Benedict Anderson, op. cit., p. 9.

46 En effet, pour Anderson la nation est une « une communauté politique imaginaire, et imaginée comme

intrinsèquement limitée et souveraine », Ibidem, p. 19.

47 Francis Mazière, L’Analyse de Discours. Editorial Que sais-je ?, Paris, 2005, p. 27.

48 Frédéric Lambert, « L’agir image : performance et performativité » dans : Nouveaux territoires médiatiques, Ed. Mare et Martin, coll. Media Critic, Paris, 2014.

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à un « aboutissement sans fin » de la recherche et de la justification de la nation incarnée dans une image héroïque. Ce qui recrée des tensions et des affrontements entre différentes forces sociales.

L’efficacité performative a « les mots » comme composante essentielle des actes de langages. Que ce soit par l’écriture ou par l’image, nous puisons dans les concepts et les idées et nous les symbolisons par des mots. Le mot est le véhicule de la représentation symbolique. C’est pourquoi en plus des travaux de Josiane Boutet et de Judith Butler, au sujet du pouvoir des mots, les travaux de Maria Victoria Uribe50 et Maria Teresa Uribe de Hincapié51, s’avèrent

capitaux pour mon analyse. Chez ces deux colombiennes, la première anthropologue et la seconde sociologue, j’ai trouvé une grande partie de mes outils de recherche. Et j’ai suivi leurs propositions afin d’observer, chez la première, les mots qui véhiculent La terreur et La

violence52, et chez la deuxième, l’analyse des mots, particulièrement les « mots [comme]

discours de la guerre » dans des récits du langage politique. Car ces études sont axées sur la

signification de l’usage des mots, et sur la violence en vue de la construction de la nation. Or, de nos jours, il y a une relation entre les mots véhiculés par les médias et la continuité propre à la nation. Il faut sans doute parler d’une continuité entaillée par des discontinuités qui reformulent l’idée de nation dans une histoire de longue durée. En suivant les manières dont elles analysent les mots des langages politiques, j’ai pu suivre des mots qui ont un pouvoir

perturbant ou initial. Ce qui me fait revenir à J. Butler quand elle nous dit que nommer c’est

« interférer dans l’histoire ». Il s’agit en effet d’une possibilité constitutive, et de ce fait, le pouvoir des mots peut être « perturbant » ou « initial ». Tout ceci se joue sur une « scène linguistique53 ».

La scène linguistique dans le paysage politique

Le défi le plus rude a été de constituer le corpus dans lequel se matérialise la scène médiatique. Le traitement que la presse française a donné à l’affaire Hessel (une définition

50 María Victoria Uribe, Anthropologie de l’humanité -Essai sur la terreur en Colombie– Petite Bibliothèque des idées. Mesnil-sur-l’Estrée Ed. Calmann-lévy, 2004.

51 María Teresa Uribe de Hincapié et Liliana María López Lopera. Par son titre en espagnol : Las palabras de la

guerra : Metáforas, Narraciones y lenguajes Políticos. Un estudio sobre memorias de las guerras civiles en

Colombia. Institut d'Études Politiques de l'Université d’Antioquia. Corporation Région. Medellín : La Carreta Editores, 2006.

52 Sujets qui étaient au cœur de mon analyse en master 1. 53 J. Butler, op. cit., p. 63.

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plus précise en est donnée et est traitée dans la partie II de ce travail) me permettait d’identifier le lieu dans lequel le message de construction du héros résistant et de l’unité nationale est développé. J’ai donc considéré tous ces messages comme étant constitutifs d’une

interpellation. Car comme le montre J. Butler, en parlant des discours de haine, un acte de

discours [en général] agit non seulement sur l’auditeur, mais aussi contribue à la constitution sociale de celui à qui il s’adresse54. Selon cette auteure, l’interpellation est liée à sa puissance

d’agir linguistique et elle s’exprime dans une scène constituée par notre « vulnérabilité habilitante » (enabling). Le langage a une vie temporelle ce qui permet à l’individu d’exister

socialement, comme c’est le cas des injures : « Ainsi une adresse injurieuse peut sembler figer

ou paralyser la personne hélée, mais elle peut aussi produire une réponse inattendue et habilitante 55»

Dès lors que je considère l’appel de S. Hessel comme une interpellation à la société globalisée (produit d’un temps vide homogène), je me suis demandé si au fil du temps, la presse avait irrémédiablement fini par imprégner les consommateurs de médias au sujet de l’image de Stéphane Hessel comme héros résistant. A partir des mots véhiculés par la presse et la télévision, j’ai donc préparé un formulaire pour enquêter 615 individus au sujet de l’image qu’ils ont de S. Hessel et des médias, qu’ils considéraient, avaient contribué à cette image56.

J’ai pu constater que pour le public ciblé, un lien existait entre Stéphane Hessel et le mouvement des indignés. Ce rapprochement se faisait sur l'a priori du rapport entre son livret

Indignez-vous ! et le nom du mouvement. Nom donné par les médias car, par ailleurs, le

mouvement s'appelait à l'origine Mouvement 15-M. Ce qui montre le succès du message médiatique. Cependant l’image que le public enquêté a sur l'auteur est plutôt une image qui porte sur son travail en tant qu'écrivain avant celle du héros et résistant. En effet, 257 personnes (soit 41%) le considèrent d'abord comme un écrivain mais ils pensent à lui en tant que héros seulement en troisième choix. Ce qui montre la tension entre l’image de S. Hessel voulue par les médias en tant qu’indigné, d’une part, et en tant qu’écrivain, d’autre part, et

54 J. Butler, op. cit., p. 45.

55 Ibidem, p. 23.

56 En annexe le lecteur trouvera un document de 9 pages intitulé : Rapport enquête sur Les Indignés, premier semestre 2015, cf. page 23, Vol. II.

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non forcément en tant que héros-résistant57. Enfin, au travers de cette enquête l’on observe l’importance de la médiatisation du livret Indignez-vous !, mais aussi de l’influence du discours porté par l’ancien résistant sur les mouvements sociaux. C’est pourquoi le traitement que je fais de mon étude tire un lien avec la théorie de la mobilisation politique de Sydney Tarrow et Charles Tilly.

J’ai donc constitué un corpus d’environ 250 articles venants de la presse française, des journaux nationaux (quotidiens et hebdomadaires) les plus importants : Le Monde, Le Monde

diplomatique, Le Figaro, L’Humanité, Marianne, La Croix, Libération, parmi d’autres, ainsi

qu’une série des journaux régionaux58. La sélection du corpus est faite à partir de la base de

données Europresse qui m’a permis d’avoir accès à quasiment l’intégralité des articles qui ont parlé de Stéphane Hessel, de son livret Indignez-vous !, et du contexte médiatique dans lequel le phénomène s’est développé. De plus, j’ai constitué une base de données des émissions de télévision qui ont été présentées entre octobre 1973 et mars 2013 lors des hommages au héros résistant. Au total, il s’agit de 45 émissions de télévision qui ont été analysées afin de me permettre de surplomber mon sujet d’étude. La démarche consistait à effectuer une extraction de corpus audiovisuel à partir des fonds et du catalogue du dépôt légal de l’Institut National de l’Audiovisuel, selon le cadre scientifique défini pour ce projet59.

En plus d’observer la bibliographie parue sur Stéphane Hessel, et, bien évidemment sur le texte Indignez-vous !, j’ai dû travailler de manière approfondie sur deux ouvrages. Le premier, est la biographie établie par Manfred Flügge60, le second est le texte de Nicolas Truong et

Gilles Vanderpooten61. Ces textes me permettaient d’observer l’image médiatique et l’impact de la construction de l’image de Stéphane Hessel. Car Indignez-vous ! est un succès médiatique que rend manifeste le fait qu’il soit traduit en 45 langues et qu’il soit vendu à plus de 4 millions d’exemplaires62.

57 Seulement 20 % de participant ont identifié S. Hessel comme héros résistant. Voir : Rapport enquête sur Les Indignés, p. 27, Vol. II.

58 A chaque partie nous présentons les articles qui ont constitué le corpus d’analyse. 59 La matrice des vidéos est présentée en annexe à ce travail.

60 Manfred Flügge, Stéphan HESSEL, Portrait d’un rebelle heureux, Éditions Autrement, Paris, 2012.

61 Nicolas Truong, Ma philosophie, dans Engagez-vous ! Stéphane Hessel, entretiens avec Gilles Vanderpooten, éditions de l'Aube, 2013.

62 Comme l’affirmé l’éditrice du livret dans l’article de presse : Sylvie Crossman, indignée et sage indigène, La

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La « scène linguistique » constituée pour l’analyse de mon sujet me permettait de suivre les actes de langage, produits et reproduits dans les médias français. Il faut dire cependant que, dans le corpus, je présente et travaille la presse et la télévision française (et de temps en temps la production sur internet), sans vouloir observer la radio pour des raisons du temps d’analyse du format radiophonique. J’ai considéré chaque passage du récit de la presse et de la télévision par rapport aux chapitres caractéristiques de la vie de Stéphane Hessel. Ainsi son passage à l’ONU, l’affaire des sans papiers, la controverse avec les propos de la proposition de boycott aux banques, ou encore, l’appel des anciens résistant du 8 mars 2004 et le lien avec Les Indignés espagnols. Chacun de ces actes s’est présenté pour moi comme la synthèse d’un temps passé mais reconstitué dans le présent pour être projeté vers l’avenir. Comme le dit Judith Butler :

« En ce sens, un ‘acte’ n’est pas un évènement momentané, mais un nœud complexe d’horizons temporels, la condensation d’une itérabilité qui excède le moment qu’elle suscite63 »

De ce fait, si l’acte est un nœud complexe d’horizons temporels, j’étais amené à interpréter chaque mot à partir du sens qu’il recouvre dans la scène médiatique. En suivant Francis Mazière, j’ai repéré les affirmations fondatrices et les mots pivots64 qui, à mes yeux,

permettaient de saisir la complexité de la scène discursive véhiculée tant dans la presse qu’à la télévision. Ces affirmations fondatrices et mots pivots sont inscrits dans un contexte qui permet d’expliquer le sens véhiculé. C’est pourquoi dans ce travail, l’analyse dialectique de Simone de Beauvoir65 est une des techniques retenues et appliquées pour interpréter le mot dans sa totalité contextuelle. Et à partir de là, la proposition de Paul Ricœur au sujet de la mise

en représentation, est au cœur de ma méthode car elle me permet de voir la préfiguration, la

figuration et la configuration dans la scène discursive66.

63 J. Butler, op. cit., p. 40.

64 Francis Mazière, L’Analyse de Discours. Editorial Que sais-je ?, Paris, 2005, p. 27.

65 La dialectique dévelopée par G.W.F. Hegel met en relation la contradiction existente entre le maître et l’esclave (dans la Phénoménologie de l’Esprit), ce qui sert à Simone de Bouvoir pour se questionner sur les

limites du monde réel et de son indépendance de la subjectivité des individus. Simone de Beauvoir, « Pyrrhus et

Cinéas », dans : Pour une morale de l’ambiguïté, Éditions Gallimard, première édition 1947, Mesnil-sur-l’Estrée, 2003.

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Chaque chapitre obéit donc à une logique épistémologique et méthodologique particulière mise en œuvre au sein de chaque partie, afin de répondre aux questions théoriques et aux problématiques identifiées.

La première partie, Indignez-vous !, Mémoire collective et devoir d’agir, est composée de trois chapitres où j’analyse le livret Indignez-vous ! dans son environnement discursif, marqué par les récits de la presse. L’objectif majeur cherche à mettre en évidence les tensions qui existent dans le sens porté par le mot Indignation par rapport à l’histoire et le contexte. À l’aune de la scène médiatique marquée par le débat sur la crise de migration dans la mer Méditerranée pendant la décennie 2010, j’espère ouvrir la discussion éthique au sujet de la notion de dignité. Notion qui, ainsi que le montre l’analyse de la toile de Théodore Géricault (1791-1824), est assujettie à des tensions de forces sociales et historiques et à des interprétations contextuelles auxquelles les médias ne peuvent pas échapper. C’est tout le problème de la performance du mot « Indignez-vous ! » et de sa dimension pragmatique lorsque les limites de la dignité sont encore difficiles à cerner.

Dans la deuxième partie, Les débats publics autour d’Indignez-vous !, je donne traitement à mon objet d’étude à partir de la politique du conflit proposée par Charles Tilly et Sydney Tarrow, afin de comprendre comment la scène du conflit s’exprime dans les médias qui véhiculent la notion de dignité, l’image du héros et la valeur de l’unité de la nation. Il s’agit d’étudier les débats publics générés autour de l’image du héros résistant. Je tiens également compte des controverses générées dans le but de comprendre la société contemporaine à partir de l’exigence de dignité comme affaire collective. L’objectif étant, petit à petit, de cerner la figure du héros résistant Stéphane Hessel, véhiculée par la presse et la télévision françaises. La troisième partie, Les conditions de production de la construction du héros rebelle, contexte

et incarnation d’une indignation réussie ; propose une analyse de l’intention du livret Indignez-vous !, à partir de l’entretien avec les éditeurs d’Indigène Éditions. Dans cette partie

mon intérêt est d’interpréter et de comprendre quels sont le rôle et la fonction d’intervention de la figure héroïque voulue par les éditeurs du livret. Quels sont leurs intérêts à proposer ce texte. Ce travail compréhensif croisé avec le regard de la presse et de la télévision, doit permettre d’observer l’image médiatique qui demeure proposée au public « consommateur »,

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un public composé par des lecteurs et des activistes politiques qui intègrent l’appel du héros résistant dans leur répertoire de mobilisation.

La quatrième partie, Quand vient la mort du héros résistant -nommer la mort pour que vive la

nation, travaille la question de la Nation liée au sacrifice et à la mort. Ici la notion de sacrifice

du héros résistant est perçue comme partie intégrante de l’argument de construction de nation. À partir de l’établissement du lien entre mémoire et nation, je propose de traiter dans cette partie le problème de la légitimité des héros dans le discours de la presse. Cette légitimité s’exprime par la capacité du discours à se positionner comme porteur de l’intérêt du public. C’est pourquoi, le moment le plus fort de l’expression communicationnelle est celui de la nécrologie où la société rend hommage aux figures tutélaires. Car en partant de sa vie comme exemple, on espère construire une « justification » de la vie citoyenne et de l’unité nationale.

La cinquième partie, La commémoration et l’héritage du héros résistant Stéphane Hessel, analyse les funérailles et les hommages à la figure de Stéphane Hessel. Il s’agit d’observer comment le caractère spontané des hommages obéit à une sorte de fabrique du cérémoniel, dans laquelle la mise en scène est une confirmation de la légitimité de la figure tutélaire. Cette légitimité sert comme motivation à des actes de langages à venir, par exemple dans l’exaltation du nom du héros dans des odonymes ou dans des lieux de mémoire. Les discours d’hommage constituent une forme de légalité de la figure de Stéphane Hessel au profit des générations futures. L’importance de la ritualisation et le maintien de la mémoire des figures tutélaires feront donc l’objet de notre dernière partie.

Figure

Figure n° 1 : la parole du héros.
Figure n° 2 : La position du héros dans le récit d’appel à l’indignation.
Figure n° 3 : Le Radeau de la Méduse (1818-1819), Théodore Géricault.
Figure n° 4 : Aylan Kurdi présenté par la presse française (et  européenne). Cf. page 445, Vol
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