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- 1 1. / . ,VOLTAIRE ET-PARISJean Mohsen FAHMY Departmen~ of French Langu~ge and ,Literature
. A Thesis preseqte.d to
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the Faculty 6f Graduate Studi~s and Research
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MCGil~ University
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In ca.ndidacy for the Degree of
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T J Doctor of Philosophy Harch 1977" ' 1> "'"
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Jean Mohsen FAHMY
1977'1 '1 i! 1
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, THES'IS ABSTR'ACT Author Title of Thesis~ De par tment Degree ~ ~ ~ 1FAHMY, Jean Mohsen VOLTAIRE ET PARIS ~ ~,
French Language 'and Literature Ph.D.
,\
. Accordl!ng. ,to 'cri tics , Vol taire 'has always ~een the Parisian prototype in the XVlIIth Century, suppo~ting social life and pleasnre. Research
wo~e~s
have therefore putt~o
much emphasis on topies taken fromlhe~. Volta~r~
has nevertheless continuously considered the differ!n~es betw~en Parisian and côuntry living. The turbulent life in the Capital slowly led him to a secluded life in the country which. was to favor better climate~for writing,or,e valuable and moreaggressive ~orks. • " '
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Auteur .Titre-de la thèse Départemen t Diplôme R E S,U M EFAHMY, Jean Mohsen
VOLTAIRE Er PARIS , ,j' ,
Langue et ~ttérature françaises
Pljl.D. :tP
1 •
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r
f . - La -~~itique a t91)'jours considéré Voltaire connne le .prototy-;;e
,parfait du'Parisien, le défenseur au XVIllème siècle de la vie mondaine
\ J ' 1 . of
et des plaisirs de la société. Ce faisant;!, les cherchéurs .ont surest~e
l
'importance des thèmes du Hondain;. pour,tant, Voltaire n'a cessé de éfléchir, de manière certes non systématique ~is pourtant incessante, ,sur la vieà
Paris oppos~e à la vieà
la campagne. Le philosophe sefatiguait vite des "tourbillons" qe ,la vie dans là capitale et a peu
à peu privilégié la retraite
à
la campâgn~; ,celle-ci lui est égalem~nt/
-apparue assez vite comme une condition importante pour faire une oeuvre
,
plus forte, plus libre et plus efficace.,
1
1 1
Voltaire a fait un portrait guère flatté de Paris et ùes Parisiens: l'urbanisme de la ville souffre de, maintes carences; le goût y est c9rrompu par la bêtise et le triomphe des modes; les Parisiens sont , lé~rs et super-ficiels,' et en même temps fanatiques et cruels. Voltaire aboutit bientôt
à
la conclusion que la vie.à
la ville farde 'les visagès et pervertit les • consciences; en contraste, la vie à la campagne est plus pure et plushonnête. En ccl~, V9ltaire se rapproche plus qu'on 'e l'imaginè de Rousseau; il 'a' même souvent le ton de véhémence et les imp cation du "citoyen "
de G~nève" contre "le ,monde" et la société. "
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MonsiC~r
le professeur Jean Terrasse, de 1 tUniversité'" McGill,/ ~
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a bien voulu Ise èharger de la supervision de cette thèse. Ses conseils
r
judicieux e~ 'sa connaissance approfondie du XVIUème siècle nous' ont
1
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, permis de (redresser ~()S ,perspe~tives Quand, dIes commen~aiene à. se ,fausser.
1.
----t · •
Il nous
a
également aidé, par une ~évisio~ s04tenue'du manuscrit, à~~\
~ amél~Qr~r la forme de cet~e étude. Sa disponibilité jamais démerlt~e
,
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enfin permis de' terminer cette recherche, dont:yt~tat
final lui't, .
dOit,fb~à~up. Qu'il en soit vivement remercié.
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Abréviél:tiO~~' e\~.not~
'Y;.. de le ture •••••.•••.••~
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Introduc tio~.... . .••••.•• ,. • •.• ) ••. ~ ... ' ••••••••• J
, , '
f " ' .
,PREMIERE P A R T I E , i" ' ••
~ ,
Chap •. 1: 1694-1729:
.
Parîsien ou "Faune"? ..•...•...••••••••. 21 .... ." ~Chap. II: 1729-l'7J4: L'Art d'être heureux .. : ...
;."38· .
t, . J W \ \
Chap. III: 1734-1739: Le Paradis terrestre ... ·.: .• 49
.
'
Chap. IV: 1739-1750: Le Hondain e' le phi1osophe ... :~ij.,' .. 62
'u /'h ' ' \
. '( l1:ha
l ' ~ ~: 1750-i753: -. Le Besoin de iüertê' ... ' ... 81 .. "Cfi.a:. VI: 1753-1755:
r..;.
Dynamique dlll. "'sauvage paisibi~" .•..•• 87-~ lap. VII: 17S5-1760:~Les Délices'ne sont plus
à
Paris ... ..'97é3<:ij'
hap. VII!': 1760-1778: L'Ermite cacochymE': ....•..•...•••....• 1 3\ . Chap. IX: 1778: Dernier retol,lr':
de~n~r,
départ .. ,"."":';" .. i4 \ ,G~ap. X: "La patrie est partout ou;'0'
se trouve bien" ... 154D$F11E PAR'rIE 0'
~\
\ ,
Chàp. 1: ,L'Urqanisme: ~aris et son pierre ...•••... 168
,. ' ! J ;
Chap. II: La Mort de l'age> d'or,
.
ou la cit' liénante •.•• ~ ••. 201,
.
,Chap. III:.La Nat~z:e 'au service de l'honune.".\ ... ' ... 233
Chap. IV: Le 'Zoo 'humain, o~ l'enfance cruel e.\ ..• "'\'" ' .•.•.•. 265
' $ I J " \ ., . ' , " ,
Chap.
y:
Gilles et Daron: Le triomphe du mau ai~ goût •... 296Chap . .r VI:,.Les Arlequins anthropa,phages', ou le
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et le~
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1'ABREVIATIONS ET NOTE DE'LECTURE
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1
1
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Pour nous conformer à l'usage, chaque fois que nous avons cité une\
lettre de Voltaire, nous l'avons" tait suivre de l'indication Best.:t • ,pu~s du numéro de la lettre.
\
Ainsi, Best. 3200 renvoie à la lettre 320Q dans l'édition critique de la CQrre~Qndançe établie par les soins
'1
de Tféodor~ Bestèr~n à Genève, de 1953 à 1965, én 107 volumes.
Nous avons également ~ité des lettres de The ~finitiye ~itiQn
~ V91:ta~'s CQrre'~Qnden~-, actuellement en voie d'àchèvement. Dans
o
ce ~as, la citation est DUest.,
,
s~ivie du numéro de 1& lettre. Enfin, DBest., s~ivi d'un numéro auquel est accolée la lettrea
(DBest. 203a) renvoie aux "Addit-ions to the Def..initive Edition of the CorreSP'Qndencerr~, l'
A pu~liées a intervalles réguliérs dans les Voltaire Studie~, tandis que
\
l'indication Pl. l, 222, renvoie à la lettre citée dansHl'édition de la ,/
f '
'f :;~
CQrre~ndance à la Bibliothèque de la Pléiade, à la page 222 du tome 1. " ~
J
Dans les citations des Oe\lY:[es conmlè~s, "M. XXIII, 492" signifie qU'il faut se référer à la page 492 du tome ,23 de l'édition des Oeuvres
c~lète~ établie par Louis Moland
.ux
éditions Garnier à la fin du siècle, ~ derniel
Nous avons suivi scrupuleusement l'orthographe, la syntaxe et la ponctuation de Voltaire, qui _. ; éc~it indifféremment, et dan~ la même
• •
..
, ".
-l,'...
..
lettre,
voilà-et voylà,
d'Argental et Dargental, etc..
.
..
4 •2 _~/
Dans les ,c'itations
~ ,
-, f ' )
où l'orthogràphe·est conforme
à
la nôtre, il faut ,comprendre
qu~le
~" IP } lOt
1
texte de la .lettre donné p.ar Th. Beste"rman n'est pas celui de l,'original,
mais d'une
c~pie fai~e ultérièureri1e~t,
et 'JAodern'iséepar~-Té-co(~iste.
/1 ' . •
~ ~, . . . , fj a/
Enfin, dans
les textes d~ XVI II ème siècle que nous cit~ns en~br~(~J.!D:es Ç.Om~lèt..e~
et df{vrages d'autres auteurs con'temporainl~)'
nous ....\
.
), " "re.s)'ectons:-1. 'orthogrAphe de l'édition consultée. f
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' ,\ '.
,Je vois avec plaisir'que la 'vie frivole et turbulente de Paris vous
a déplalt" vous en ftentez tout le vide,.
il est effrayant pour quiconqu~ pense. Voltaire, août ~7G&
• 11-trouve t'a-dans Par is des soupers,
~es'plaisanteries, des amis intimes d'un quart d'heure, des espérances
\
trompeuses, et du temps perdu.
Voltaire, août,l??? :.. • ~
.
, 1 \.
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o
.
\ Il. ~ \ '" ~ ttf ,(.
.
'"
.
0' Q ~ , ,4:1 , ~.Candide est, cOnlne chàbun sait, 'grand'-voyageur. Sa surprellarit~
.. 1 a. ~ ~
.s~' l~ jeUn&> Westpha!i~n
•
d~stinée le mènera aux quatre coins du monde.
" '
est
la preuve vi~ante et ~m"ulatoire 'du "Tout• -
(l-est mal" que professe le
"1 : " ~r ct
e~ f9urni~'
la~émon~~
..
.
~ ,.
' . . - '0
philosophe Martin, i l doït, tie toute néçessit$l, nous
.-/
tration sous toutes les lati~pdes. Les cal~és ~e sont pas propres
• . 1
au_<~tit co~n de pays où ~e dre~se le château
de
Th~nd~r-ten-t~onckh:..
ellès ont pour 'décor l'univers entier.
.
.
, Fe.ssé à Lisbo'nrt~,.
Candide n'eût, 1~. •
pu y ~tre égale~nt men~c~ ~e rôt~r à la broGhe, volé, friponné, tromp~;
,
.
c'eût'été trop pour un seul endroit - et peu convatnc~nt. Aussi le'
. . . " ~,
vo~qns-nous_partir"de Westphali~,
'et àe'retr~uver, à
la fin de sespéré-"" • - 1 ! ' ' ' ' • .-: / '
grinations, dans sa
cél~bfe
métairie de la~opontide,'après
avoir ·visité'",... . 4 " fl • \ / > \~
la moitié de l'univers. Hais Candide n~est'pas le seul à voyager. Tous
~ , ,
ceuX qui tràversent
~a
viefon~':'de',grands
détours avant de 1 '.aiderà
cultiver son jàrdin. Pas,sons sur les aventures de Cunégonde .et de son frêre ie baron, sur les malheurs, 'de Panglos's et de Martin; ;'examj:nons le
~ q
destin'de ~a fille du pape qui devient la vieille à une fesse: il est vertiginèux; la vie de cette femme nous est contée en deux chapitres courts et ramassés, donnant la sensation d'une immense course haletante; la succession des "villes où la malheureuse est tQur
à
tour battue, violée,4 -• coq " " ". , • i
t
\
~,
f
i
l
,t " ...,
.'
1) "..
.
''.
" " 5 o'vendue, achetée, réduite! en esclavage ,attCl1nte de la lèpre, ~nfermée ~
au harem, ressemble à une interminable nomenclature de la géographie
médit.erran~enn~ et européenne :(ROme, Gaiète", le. Maroc, Alger, Tunis,
t
Tripoli, Alexandrie, Smyrne, Constantinople, Azof, Moscou, Riga, Rostock,..
"
Vismar, I.eipsick, Cassel, Utrecht, Leyde ,0 La Haye, Rotterdam, et~ enfin .'--Lisbonne d'où son destin, confondu dorénavant avec celui d~ Cunégonde,
o
la ramènera à Constantinople après le ~étour par l'Argentine.
Ce mouvement perpétuel, ce chassé-croisé des personnages et des , destins n'~st pas sans rappeler les tourbillons de Descartes tant décriés
î'
par Voltaire; mais i l n'est pas uni'quement l'apanage de Candide et de .ses compa~ons. Les personnages de Voltaire sont volontiers des 'gens
ipstables, précipités dans une fuite perpétuelle, incapables de s'arrêter, même pour faire le point; Quand ils raisonnent, c';st en voyageant, comme Candide et Mart~n à bord du navire qui les mène'deoSurinam à Bordeaux. Micromégas et le Saturnien, avan~dtarriver sur ,terre, font~es détours
.-1
~, fort instructifs par Jupit~r et par Mafs .• D'ailleurs, Micromégas est, de tous les héros de Voltaire, celui qui a ffit le plus long voyage, et
~
le moins triste,tcar il l'entreprend, no~pour fuir la guér~, les,trem-,U • •
~
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,bléments de terre, les, fanatiques ou'toute autre ca}amité, mais pour achever.: "de' se former l'esprit et
~e
coeur_"l 'VOilà"UDJlk)tif·.pl~~
réconfortant• .j
e:..~J .. •
que ceux qui font courir Candide! Mais c'est un maigre contr~poidst car
)
Hi~pomégas est, dans l~s ~nt~~, une exception sous ce rapport.
1"
l Vol taire, MicrQmWs. Histoire ..mtilsisOR,hijlul, in Ro!llrul~ et. C~~-1
'Texte établi sur l'édition de 1775, avec. une présentation et des notes par Henri Bénac, Paris, Garnier Frère~, 196~, p. 97. Nous citeron~
dorénavant cette édititR.des Con~~ d~ Voltaire, à moin~ dtindica~ion
contrtire. , .
" ,l, ,> t~' ~{r ~1"': ~ ~':;>' .". ,''il' ,;;. .. '1" \
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~ r) 6C, ,
Le canevas de la plupart des oeuvres de fiction de Voltaire estau décor et aux personna~s près. Le héros quitte sa ville ou
'~on
village,' un destin tranquille, uni vie heureuse, pour s'engager surle meme, ,
.
, ""-') 1 l, ,/ l/'~ 1 1 .1les routes ,du monde, en un pèlerinage funambule~quej ses épreuves finissent par lui ens~igner, plus'et~rnieux que les coutumes et les traditions des
-~
-pays qu'il visite, ]a sagesse et la modération. Ces départs peuvent avoir mille prétextes: un rêve,ol~ordre d'un génie, les calamités de la nature ou de la guerre, oû'l'aiguillon
de
la curiosité: peu importe. L'essentiel demeure que, ~our Voltaire, l'accès à'la sagesse n'est pas~n enseignement oral et désincarné, mais une expérience dont
,', 1
semble soumise à un seul ~ratif: le périple sous des d ans es pays ccmp etement opposes. > d l' , 2
.. 1
Le destin de Z~dig, comme ceux de BaQguc, de Rustan ou de FormoSa~te, obéit à cette loi. Le jeune patricien de Babylone,.le plus humain d~s
1
héros de Voltaire, doit faire son apprentissage e.n v,oyageant. Avant
d, e' ane regner ans f ' , d l" ' ,emp~re . "1 a pau, ... a g 01re et ... , a on ance ,. . I l ' l ' b d " 3
il doit quitter ,sa ville natale pour l'Egypte, puis pour l'Arabie; de là
il vis~te Balzora, revient e~ Syrie avant de re~ourner pour de bon dans . sa patrie: Zadig est un des héros des
CQnt~~
avec, par exemple,-Mic;~mégas.,
>qui revient chez lui après un long;Voyage circulaire autour du cent're (Babylone, Sirius); est-ce parce qu'il est un "des rares gui croient qu'on
2 La géographie dès contes voltairiens couvre la quasi-totalité des pays et des continents alors connus. Une lecture rapide dtun recueil des Contes nous mène'de l'Oxus au Nil, et de la Vistule à l'Amazone, en nous 'fai'sant découvrir des villes 'aussi 'I1i~erses que' Surinal]l, Macao, Persépolis, Babylone, Carthage, Bénarès, Goa ou le Cap, sans parler d~s grandes cités européennes. 3 ~du. ou l,a Destinée ~ HiSj:Q.ire otiental~, p.
59.
"""i1~", ,iJi~~W4i!1!,,(i;iI·lil~j!llllillli:li.lilillifllliliCI!iliillil7GS7M"1lI1~.nl •• 11IiII5 • • $ _ _ w&fl11Wie., _ _ -_:iiilHWIIiI,fjjj~liIiiWiIIII . .
--'iiIi----....j" ... -_.-...
...,"'1 ----:~~---__:_~~-• .--.-~\ l' 1t
1
7 peut être, heureux, nonobs~ant la folie humaine? Toujours est-il que, dans tous les contes, "le monde s'élargit et se découvre, .•. ,les peuples et les civilisations, le~:pays lointains, les autres mondes, viennent
l,
témoigner du triomphal réveil de la raison humaine. ,,4
Ce n'est,pas seuleme1'\t dans ses p..Qnt..'çs que Voltaipe "tie cesse
=~' lE- 5 d'errer autour du globe", grâce à' son "imagination voyageuse;" Ses tragédies aussi ouvrent sur le gra~d large, 'font éclater
'1t
cadre étriqué de la Rome cornélienne o~ racinienne, plantent sur ~.~ théâtre franç~-~'1 des décors de pays étranges, exotiques,o~ lointains. Si Tancrède, Adélaïd~
" \ . ,
'du
GUeSCI~tOntrent
que l'imagi~ation
de l'écr~vain ~eut
trouver en France même une .pâi:(pre suffisante pour l'allumer,' tant d'autres pièces" prouv_~?fl ~... i"~
à !tévidence que Voltaire préfère encore le rêve exotique! Il éprouve une véritable fascination pour les espaces innnenses, l,es steppes sauvages,
,1
les déserts peu ou pas explorés, ~es pays lointains, les noms rares, les '" ~
décors barbares etagrandioses. Son esprit saute allégrement d'Europ~
en Asie, d'Asie en Amérique. Les amis parisiens - M. et Mme dtArgental,
.~Pont-de-Veyle, Thiériot, Richelieu - ~nt à peine eu le temps de lire l'ébauche d tune pièce "romain~o", qu'un premier acte asiatique, américain ;ou français est déjà dans les malles du 'courrier qui, de Champagne ou
1
'de Suisse, galope vers Paris. Les spectateurs de Paris ont , j
à
peine ,eu le temps de s'extasier - ou de se scandaliser - au spectacle dtun héros 'déclamant des 'alexandrins français sur les bords du Jourdain, qu'onles-4 Henri Bénacles-4; "Introducti't)~',' aux Romans et. Contes de Voltaire, p. XII.
• J'
, ,
5 Jacques Van Den Heuvel, Vol taire daps ses Cont~s. " De "I!;icromws"
à
"L'I~J!.u", Paris, Armand Colin, 1967, p. 243. tLa_suue ::9"' , ii 1 t ' x, « 5b c
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~;-l~ ~t
,
,
1
\ 8, , émerveille ou les révolte encore plus par la peinture de touchantes amourspéruviennes! On va ainsi de' Palestine (~, Saül"et Da!id) en Assyrie (Sémiramis), de Navarre (4:s!
Pri!1ces~e
de Nayarre), au Pérou(Alzir~),
' .1 " "
d'Arabie (~ahom~t) en Crè~e (~s Lois
ge
Mino~), enfin de Chine (Llor~eli~, ,
~ Chin~) en Scythie (~~S~he~) et au pays 'des Guèbres (~s Guèbres). Tous les continents spnt mis à contributi~n.
De
sa maison, Voltaire lance~es regards passionnément curieux sur les quatre coins du monde. La
..
folle du logis est, chez lui, assoiffée de dépaysement. 'Cette fascination du mouvant et de l'étrange ne se retrouve pas
-,
seulement dans les oeuvres
df~gination.
"Déjà, les~ttres a~aises,'
premier écrit où Voltaire fait figure de "philosophe", sont le fruit\ ' "
'd'
'~ un .voyag~. Il a fallu quitter Paris et la Seine, voir Londres et la
Tamise, pour que se cristallisèn~, -~ièvement mais déjà si complètement, les axes fondamentaux de la pensée et de l'oeuvre. En même temps, à la suite du succès de La Li~ue, se confir e une vocation d'historien. Et quel épisode choisit-il de traiter dan l'énorme masse de l'histoire?' Quel héros .,
~.oisi
, t-il deI camper? Char le XII, le plus rapide, le plus mobile ttes ~rinces contemporains, un préc rseur de la blitzkrieg chère ài .. ~~
Bonaparte e~ à Hitler, que~son ~~.~~nduira de Suède en Pologne, en Ukraine et tn Turquie, avant de le ramener mourir en Scandinavie. Plus tard,
à
partir de 1741, Voltaire commencera l'oeuvre centrale de sa carrièref \ '
d 'historien,\ cet ~sai sm:: les Moe!,!r.§. qu'il polira encore à la veille de sa mort.,
V.~tair~
aurait pu fondre ses admirables qualités de précision, desynthe~e
e\ desty~e
dans le moule de ses médiocres prédécesseurs;. il aurait pun~us
conter l'histoire de France, et mêmed~Europe,
autrement, que les André DUchesne, les Mézeray, qui se c9ntent~t d'alignerinlassa--""= \ '\ --':~;;;;,~"ii"ii. F!'J.;IIIatF-. ... - - - . j • • , . . . -... " " -... - - - -.. - .... -~
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d 9 /blement des ~ortraits de souverains; il aurait pu également se contenter de prendr~ le contre-pied de ~~suet et démontrer, par et dans les faits
r ~ __ ...
,; -,
h,istoriques, comment "trois choses influent sans c~sse sur J\'esprit des honmes: le climat, le gouvern;ment et la religion'!,6 lézardant ainsi le majestueux échafaudage de l'apologiste caJholique, qui estimait que'
"
hors de l'Occident il n'~tait point ~e salut e~ qui expliquait tout par un déterminisme divin. Or, quelle va être l'une des principales innovations de Voltaire? Il brise les c;dres de l'univers herités de la tradition
judéo-chrétienne, il scrute les horizons de l'Inde, de la
.
Chi~e,' de la\
"musulmanie", de l'Amérique. Il intègre ces pans entiers de l'humanité
l
à une vision unifiée d'où se dégage un "esprit de l'~onme". "Vers ces
peuple~ lointains, Voltaire appareille avec une curiosité aiguisée par
"
l'exotisme •.• le monde hors d'Europe prend pour lui valeur et v±e. Il l'explore, comme Montaigne voyageait ... Il risque qes incursions dans le monde primitif ... ",7 De Paris, de Colmar, de Berlin, des Délices, Voltaire
, "
est un visionnaire du passé et un voyant de l'espace. Si, comme il le dit dans le Su~lément du Siècle de Lo.uis X~~, il faut faire toujours "disparaître l'auteur pour ne laisser voir que le héros, et ne mettre jamais son imagination à
la
place des réaÙtés",8 force nous est pourtant 6 Essai sur les moeurs et l'es~rit des nations et sur l~s ~rinçj~~uxfaits de l'histoire de.l2.uis Charlemagne jusllu'à LQ.uis XIII, Introduction, "bibliographie, relevé de variantes, notes et index par ~ené Pomeau, Paris"
Garnier, 1963, 2 volumes. Tome II, p. 806. Nous citerons dorénavant cette édition de l 'Jfssai Sill' le;! Moeur~, à moins d'indication c,ontraire.
,7 René Pomeau, IIIntroduction" à l'~sii sur. Isis Moeur,s, tome l, p. XL. 8 ~ Siècle de Louis XIV, Chrono19gie et Préface par Antoine Adam, Paris, Garnier-Flammarion, 1966, 2 volumes. Tome II, p. 341. Nous citerons
doré-~avant cette édition du ~iècle ge Louis XIV, à moins d'indication contraire.
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10 1de rcconnaltre-que son imagination s'échauffe et s'appuie le mieux et le plus au contact de réalités lointaines - dans le temps et dans l'espace.
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~ision ardente, colorée et exotique d'un monde qui change;
fasçination pour le mouvant, pour le voyage, pour le dépayseme~t, multiples oeuvres où le décor, les moeurs (à défaut du langage) sont étrangers à
la France du XVlllème biècle, sinon étranges: on serait tenté de rechercher et de prime abord de trouver, dans la vie de Voltaire, un pendant à ce baroquisme constant que l'on peut assez facilement dégager de' s~'h\ oeuvre. Car enfin, Voltaire était toujours sur les routes!
Eh
dépit des récentes éditions 'exhaustives de sa correspondance, il est souvept bien difficile de déterminer le lictl exact où se trouvait l'écrivain tel jour, ou même tel mois! Voltaire semble toujours en mouvement, entre,Paris et la -~.'J,
province, entre la France et l'Angleterre ou l'Allemagne, entre maison
. f
d'hiver et résidence d'été. Date-t-il sa lettre de Lille qu'il demande à son correspondant de lui répondre à une adr,esse à Bruxelles! Veut-on , / lui envoyer une seconde missive à Bruxelles? Mais non' Tâchez de le rejoindre, de le rattraper à l'étape qui le mène à Cirey. Voulez-vous un exemple? Ils foisonnent. Le moins curieux n'est pas celui de cette ' j lettre de septembre 1722, adressée , à Thiériot: "Je reçois jeudi matin onzième septembre une lettre dans la quelle vous me marquez m'avoir écrit
• r
a Bruxelles chez rn de Morville. Je vous avois par inadvertence donné l'adresse de Bruxelles aulieu de Cambrai, et je viens', tout à 1 'heure
~
d'envoier à Cambrai chercher 'la l~ttre qui y sera peutêtre ..•. Vous
n'avez qu'à adresser le paquet à la Haye .•.• J'y serai dans trois ou quatre
jours.~.j~ compte revenir à Paris dans quinze jours et aller ensuite
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1 / 11 9à Sully." Les recueils d'histoire littéràire, les monographies et même
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les biographies plus élaborées donnent constamment 'l'impression queVoltaire n'aspire qu'à quitter le lieu où il se trouve pour aller ailleurs. Ce court billet, adressé à Mme de Bernières aux alentours du 8 octobre 1723, et que nous r~~~fuisons au co~plet, donne le vertige.
:,r, • ('li:"J
Je partis de cn~z vous vendredi, j'arrivai à Maisons samedi matin, je viens d'en partir aujourd'huy lundi à quatre heures du matin,
j'ai lu à dix heures Mariannes à nos seigneurs les comédiens du roy, qui en ont été asse~ édifiez, je pars pour Villars après cette lecture, et je n'ai que le temps de vous assurer qu'il n'est pas possible
d'aimer sa maîtresse autant que je vous aime. Au retour de Villars je reviens che~ vous pour n'en partir qu'avec vous.
. . r d Le •
Respect et tendresse a madame votre soeur, a m e seau, a mr de Brezolle,oetc. 10
La 'vie ·du poèt;,e a toujours paru chatoyante, ondoyante même. De là à
concluré que Voltaire appliquait dans sa vie ce qu'il rêvait ou imaginait
<:J
dans son oeuvre, il n'y a qu'un pas et la tentation est grande de le
franchir allégrement. On peut déjà !êver devant cette évocation: Voltaire vivant sa nuit "pascalienne" quand le carrosse qUi-l'emporte à Cirey
p,ar. une nuit d'hiver glacia.1e verse dans le fossé et qu'til devise
'paisi
-blement d'astronomie newtonienne avec Mme du Châtelet, devant les étoilesj" une sorte d'illumination au cours d'un voyage, sur la route: y a-t-il plus pO,étique illustration de ce qu'a été ce destin?
Il s'agit pourtant, ert grande partie, d'~ne illusion - à toüt le moins de conclusions excessives. Voltaire n'a effectivement entrepris de son plein gré que deux voyages importants: le voyage anglais et
l'équipée berlinoise. Le voyage anglais
n'étai~
pas obligé)ar";1
son 9 Pl. l, 79-80. 10 Pl. l, 108. ... ,.
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.
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1_,. ;-' V ~, ~ .,/ ~' ~' If',
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1
y ". ·f 12é1argis~ernent de la BastilI'e, le décret de mise cn liberté lui imposait
simpl~me~t de s'éroigner à ~inquaQte lieues de la capitale! Mais Voltaire, déjà conquis par le'rêve ,anglais, en profite pour traverser la Manche. Pourtant, on a dit et répété qu'il avait été exilé en Angleterre. ~bn deuxième grand
-J aussi violente
voyage, celui de Berlin, est la conséquence d'une pasiion que celle qui le
pous~ait d~n~
sa jeunesse "crs {esr~ves
de la liberté) ~
1
confondues avec cel~es de la Tamise. Chez cet homme prompt à s'enthousiasmer, aucun mirage n'aura exercé sur lui la même fascination que
c~ui
que'fait miroiter à ses yeux le Salomon du Nord. D'où sa course sur les routes de Berlin •..~ ,Mais tous les autres voyages de Voltaire sont, à des d~és divers, forcés. I l est exilé: i l doit fuir la capitale. ,;n craint des malheurs réels ou imaginaires: prise de corps, emprisonnement; le voilà quittant en hâte le logis du moment, courant sur les routes, criant qu'on l'égorge; l'amitié, l'amour commandent: il doit se rendre à Bruxelles soutenir les procès de Mme du Châtelet; mais partout, il cherche un autre
,
logis, une autre retraite. Quand il la trouve et qu'il s'y sent en sécurité, vite, il s'y installe! Le roi d~dorado n'est-il pas le porte-parole
'\
,'d'un ëertain VO,l taire quand il donne ce conseil
à
Candide et Cacambo,7~~,. ,
pressés de partir: "IVOUS {,ai tes u~e, ~sott:irse; je sais bien que mon pays
, (r
est peu de chose; mais, quand on ~st ,. passablement quelque part, il faut
. 11 (r
y rester"? Chaque fois qu'il le peut, Voltaire construit un décor
J 1 i'I
fait poJr durer~ à Cirey, aux Délf~~s, à-Ferney. Il n'aspire qu'à s'ar-1/ \
rêter. Quand cela est possible, i~ évite un déplacement, même s'il semble
11
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lH,di,Sk, p. 180 .• zr:;
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'Ii" ~; "Ii' , .. ' ~ la. :0 .', "1
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\ 1: -,~ 1-~ \. t:1 13,en avoir une extrême 'envie. Toute sa vie, il gémira de n'avoir pu visiter Rome, "la première ville d'Europe." A ses correspondants, à ses visiteurs, il répétera à satiété Qu'il a~rait aimé entreprendre le voyage; dans
son Commentaire historio,ue sur le» Oeuv#de 1 'a.uteur,
d~
la Henriade, écrit en 1776, il déclare, parlant de lui à la troisième personne: "Sa Sainteté Benoit XIV voulut l'attirer à Rome; et i l ne s'est jamais• c ..
consolé de n'avoir point vu cette ville, qu'il appelait la c~pitale de
" < l '
1 '&trope. ,,12, ... Pourquoi ces regrets? Qui l'a empêché d'effectuer le yoyage?
_1
Le pélerinage italien est courant au XVlllème siècle; les routes d'Italie étaient assurément plus fréquentées que celles d'Allemagne! Voltaire a si longtemps vécu au pied des Alpes qu'il aurait pu, plus facilement
\
que d'Autres, les traverser se rendre'
â
Rome."
Après le succès de sa lutte pour les Calas, <U écrit à certains "frères" de Toulouse qu'il se prépare incessamment à venir se rendre,
~ompte de visu des changements que sa campagne a accomplis dans les
men-talités toulousaines, et à )admirer les effets des "lumières'" sur un parlement "4
hier encore fanatique et rétrograde. Il ne s'agit pas d'un vague ~ouhait:
~ il en parle à plusieurs reprises comme d'un projet très proche; pourtant, il ne se rendra jamais au sud de la Loire.,
En
1766, excédé de la persécution contre les Encyclopédis~es,,
il bat le rappel de tous les fidèles; il veut que ,les philosophes 'français émigrent en territoire prussien. Prompt à s'enflammer, il rêve déjà
1,1-d'~ne oasis tolérante, d'un hâvre des lumières et de la philosophie, loin des sorbonnard.s .et autres fanatiques; ,mais le projet fait long feu,
12 M. l, 82.
1
...:.,: .... "4.1I~_"'1"< :..~~.,.~ ... '",,-t'$f n: . . Ul.:l!: ... H ... "~~~ ... ~" .. '/6i..h ,l'NV .... ''''~' . . "' ....
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' e t' lM r 1 ( , ,,, y\.
\\, 1., , , ~.
1
" ., " "'\\
, Jet) Voltaire 'continue à mener a
14
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métronome. '
• De même, ii affirme à Catherine 'de Russie, nouvelle ,"Sémiramis du Nord",
que son voeu le plus ~her e~~ ~'aller lui payer le tribut de son admiration, :,., mais i l ne. bOl'ne guère: dans un élan de sincé:r:ité, il évoque quelquefois
<l
les hasards et les dangers de ,la T.oute pour expliquer les perpétuelles
1 J.,
remises de, son départ pour Saint-~tersbourg. Il se confesse d'ailleurs,
'\ '
sur un, ton gogu~nard, â Casanova., Le Don Juan italien, en visite a Ferney, affirme à so'n hôte: " .... je me plà~~ a étudier l'homme en voyagep.nt." Et Vol t'aire de rétorquer: "C 'e\t le moyen de le mais le livre est trop grand. On y parvient
~lus
facilement\ ' connaitre; en ,lisant '» ., 13 1 'h1stoire. " casanier.
I l faut bien l'admettre: Voltaire a sou' nt montré un tempérament
Les dessins ';l'Huhar
qll~
2-ereprésenten,~
Ferney pantoufleset bonnet sur la tête .,on,t plus qu'un inté êt anecdotique.
r
Ce éélibataire est, profondément, l'homme d'un foye C 'es t lorsqu'il
,
est au chaud dans son cabinet de travai~ qu'il le mieux les tumultes \
de l~histoire, les couleurs de la géographie. Il a to jours cherché
. \ Contradiction entre le tempérament et l'imagination? Ou
compensation, l 'agi~ité e't la mobilité de l}esprit allant' avec un tempérame,nt douillet? Peut-ê tre. Mais il~ est b5fr"de,
,
que, de préférence à Charles XII, Pierre le Grand, ,.,! Fr déric ou tout autre hér~s de l'action et du mouvem~~t, le personnage,
A \ '
orique
1
que Voltaire a le plus admiré et étudié es~ Louis XIV.
1
13 J. Casanova de~eingalt'1r~xC~o~~~~~~~~~~~~~~~~~
les Mérn~iLes de Casallo~, In roduction Albin ~üchel, s.d., page 2 '
,-
".
.:..\., \
"
/ / (" 15 , , _ .,.j, il'l'opposé de ces héros des biw ,les', des camps d'un jour, des villes ... ,1
assiégées, conquises,' quittées. Louis XIV représente peut-être cet
autre pôle de ce qu'a voulu, vi,vre Voltaire: -la stabilité; le 'décor' familier de versa~~les, ,~ù ~e gr.and roi va se con~iner de Plus~le teflet de ces
m~i\Ples
décors dans lesquels Voltaire voudra vivre: Louisxrv
se fixe au~lieu
de ses courtisans: Voltaire voudrait se fixer au milieu de ses livres et de quelques amis choisis.De cette tension entre une imagination ardente et un go~t bourgeois de la tranquillité, entre le désir ,de s'installer et la nécessité impé- \
~)
rieuse de courir de résidenc~ en résidence, sont nées certaines obse~siôns. / '" La sensibilité, le goût /
Ali centre même de celles-ci se trouve' Paris.
~
de Voltaire faisaient de la c~itale un lieu où~ à ses yeux,~il devait
faire bon vivre. Cela lui fut refusé souvent. D'où une exacerbération de son désir de revenir,dans sa ville natale; ,il ne pouvait l'étaler 1
ouvertement de peur d'ëtre criblé de railleries par ses adversaires ,/
~,
toujours prompts à tirer parti de ses infortunes avec le pouvoir; /mais que de fois il prend mille détours, que de fois sa phrase est tout entor-tillée pour dirt ce désir! Un jour, par exemple, il' adopte un ton
mysté~
-
/
rieux pour annoncer à ses intimes qu'un "adolescent [iui-même': à 77 ans]
, pour venir faire un petit tour en tapinois dans la capitale/des
J "
Quand enfin ce retour lui étai.~ accordé, amère déception !.;' Le foyer idéal ,
s'éloignai t à une allure vertigîneuse des murs de Paris ." Il en résulte
1
1
une oscillation continuelle dans sa pensée, dans ses éc~its et dans ses
J
14
, ~'
"
1j Best. 1,5973, à d'Argental; cf. également Best. ~.s97S.
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1
~"III
16 0
opinions, qui ~pousaient étroi têment 1 'humeur dù moment. "On ne risquE!
guère de surestimer la part de la biographie de Voltaire dins l'élaboration /
"
l de ses idées: au gré des circonstances, 'sa pe~ée se re~sent toujours
>'
. 15
de ses sautes d '~umeurt', peut ainsi affirmer" un critique con1;emporaln.
, ; '"
"
~Cette situation a fait de Paris un de~ thèmes.qüi reviennent
'"
le plus souvent dans ses écrits.
n
l'évoque à chaque dé,tour de sa plwne.Quand la capitale est loin, elle devient une norme., en 'bien ou en~·ma1.
. .
Voltaire fait le 'tour de la moitié de 1 '~rope, l1\8-is ses yelpC sont toujoy.rs
~
fixés sur Paris. Sa correspondance "s 'adresse le plus souvent ~.des
Parisiens. Ses meilleurs amis, ses "fre'res", oses disciple~ y de~urent.
•
.
f.
Quand il est loin de Paris, il ~~t tenu au courant de to~t ce qui s1y
, ?
déroule plus minutieusement que~': 'il s 'y ~roùvait. ,paris devient n i ' un~ "1 • ,
fascinati,on, et aussi pn microc sme de la France et de l'univers. Voltaire .
.
~i
en parle toujours, rarement enld~ longs dé~loppements, mais le plus
• ç
souvent en quelques ~entences la~idaires, quelques explosions dues à
un sentiment violent. Cette étu4e perpétuelle de la capitale observée
~.. 1 t:
1
ie l~in, commentée'à quelque dis~ance, n'est pas s~s rappeler, comme
le souligne Geoffrey Murray
à
pr,pos dé Rousseau ;'habillantà
t'armé:,
nienne, lia peculiarly eighteenthicentury problem of the,spectator's
1 •
relation,shiP wi th his own sOcietr' ,,16
n'
s 'agi't' là d'un' autre de ces/multiples exemples d'une mentalifé, d'un tour d'espr~t particulier Que
~/"
, , /
15 Jean Eltrard, L '.Idée de natJre en
FFa~ée
slans la: I!r.eroière mQitié dl! ,XVlIIème sièc.le', IIBibliothêquel gértérale de l'Ecole pratique d~s Hautes
Etudes", Paris, S.E.V.P.E.N,/1963, 2 volUmes. T.ome II, p. 653.
16 VoltAiIe '5 ~ndide: Th~/PJ:Qtean Gardene(. 1755-176~, Vol. LXIX des
~s
on
VQ.1ta;i.J:e iind tbi Eighte~ntlf Centl!.n:, Genève, Institut et MuséeVolta'ire, 1970, p: 352. ( ,
/
1•.
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! 1 ; I,..~ , ).
, '.. '*1'1 sr j'ttiilit 1~"#H,,"t@1J*r'JIl~<~\1J1"'~2 •
1." .. ~--" 'IJ
"'?
• ,~~-j' / ' " fi • ,,~~
~"
~
17le~ ~tt~~s 'D~rsan~,
au 'début du siècle,on~p~imê~i
toutela~né
rati,on des Lumi~res.'.Les lettres dè Voltaire où'l'on trouve une réflexion plus Ou
.
moins élaborée sur la capitale ou sur ses habitants sont fort nombreuses. Il s:agit de près de deux mille missives de longueur
fo~t
inég;lee~:
, 1 •
où Paris occupe aussi une place fort inégale. Mais si l'on y ajoute
<
toutes
le~
lettres oùVol~ire dis~ute dU~h~âtre
à
Paris,d~
sucoès ou de l'échec de ses pièces dans la capita ,de l'accueil de ses autres.
écrits par le public parisien, ou encore de la stupidité ou d~ l'absence,
de sens civi~ue et politique du parlement, léur no~bre devient vérità-L
blement prodigieux. Quelques cinq mille lettres traiteraient alors, direc-tement ou indirecdirec-tement, lapidai~ernent'ou longuement, sérieusement ou
'"
ironique~ent, de la capitale, ses moeurs, ses coutumes, ses habitants, leurJ goûts, leurs travers.
'.
_Il est évident que dans une telle ~sse, il y a bien des redites. Il est 'évident aussi Que l'on peut en tirer un glossaire des contradictions. ,
... ,~
Nous avons dit,que Vo~~aire réagissait souvent à son humeur du moment . •
~~us
le~e~;ons en~'espa~ques
jours fairé unél~ge ~ithyr~mbi~~e
de la capi tale'J' pûis la vilipender en termes furieux 'ou sarcastiques. Dans une correspondance quj s'étend (pour ce qui n~s intéresse). sur ~~s de soixante ans, i~ est pourtant possible de repérer quelques thernes
-'-
'constants, quelques idées-force qui varieront peu. Ce n'est pourtant pas assez pour savoir ce Que Voltal~e,pensait Vraiment de la capitale, car il est souvent difficile de départager le sentiment profond de
, c
,Voltaire de ce qui n'est que réflexion de circonstance, ou, politess~\l . l'égard du, correspondant. Il faut pourtant se résoudre à dégager de 'la
, " ' ,~._?rIR~--'-_--"''''''._----'---'---- " , 1 1 ~~ ,
.
.' , ,<, 1:: dt b 'Mil .... i j'Ii" c " , 4 ) ~."
o 1,.,.
,
~ o "" 1.,
;" 18..
~orre~ondan~ quelques conclusions.
~
Il faut ensuite aH,er confronter. ".cel1es-là. avec le 't"émoignagedes autres oeuvres, de Voltaire. Car, et..ceci est peut-être:moins'\onnu,
,
.
\ les Oeu~O~lète~ du philosophe abondent également en références e't réflexiQns ~ sur Paris. Vol taire nous, entretient de la Çapi tale dans
/ de très nom~r.euses pièces mineures, en vers ou en prose: pamphlets,
"
,épîtres, poésies légères. On rencontre égal~nt, dans les ouvrages historiques, à côté des dévelop,pements attendus sur'l'histoire de la citép maints commentaires sur le caractère des ParisienS. ' On découvr~
enfin, presque inconnus, trois' courts écrits complètement destinés ,
.
à discuter '~de l'urbanisme de la ville ou du financement d~, ses services. Pourtant,
~
dans les oeuvres, c'est le '(moignage des CQ~~S qui est central. Car, pour Voltaire, Paris n'est pas.s~ulement Parl\. Il s'appelle également Babylone, Memphis ,ou
per~épol~i,
ses habitants\~ont
des Assyrien3 ou de;Cachemirie~s,
ses archevêquesdes~desterhams\ou
des "chefs des.
, prêtres des étoile~"lDe cette confrontation entre l'oeuvre et la correspondance se dégage une vision cohérente de Paris. Il s'agit d'une vision qui englobe
/
plusieurs éléments: que pensait Vol~aire de la vie à'la ville, des questions d'urbanisme? Que pensait-il de la *civilisation urbaine dont Paris était . le prototype? Que pensait-il des Parisiens, ces rtWelches" très particuliers? Enfin, ,en contrepoint, comment voyait-il, comment sentait-il
l~
à
la ' campagne, par rapport à la vie à Paris?Avant de tenter de répondre à ces questions, il faut précïser
J
une fois pour toutes dans quelle mesure Voltaire a 'voulu
v\vre,~
Paris et en a été empêChé. Il faut égalementse
demander comment Voltairer • .«;._IID.fIIIi!'f;"llfjil/i!lllii''''_ .... iII ... --.-,_--~~_. ---_. _ _
-:---.r.-o . , PIT er1 ,') , , .' 1 . , ,\1
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",vivait dans la èaPitale: s'il s'y
sen~ait
heureux etpour~of1{':l~a
• • r
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--quittée si souvent (quoique ici le té~ignage de la correspondance soit
• r
beaucoup plus fra~ntaire, puisque'Voltaire écrivait beaucoup moins
• • j - •
de lettres chaque fois qu'il sé trouvait à Par.is}::' Nous, poU~ions ainsi
jet~r quelque éclairage sur l'homme Voltaire et s~ èet as~ct de sa
, • 1
personnalité qu'à la-suite de Ridgway il faut 'bien appeler sa sensibilité.
~
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CHAPITRE 1
",'
169.4-1729: PARISUN .OU "FAUNE"?
Depuis sa naissance et jusqu'à ~on départ
â
La Haye en 1713, comme secrét1re d~ lJambassadeur de France, Voltaire a vécu à Paris • . Ce fut sonp~us
long 'séjour dans la.. capitale et certainement celu;i qui a~- -- ~~
,.
exercé sur lui la plus forte inf~uence - qui lui a chevillé~à'l'âme' cette
""""'~ l'
fascination pour la vi~le dont tant de manifestations ja1onne«t ~on exis-tence. Les témoignages sur cette époque sont rares; il n'es~ pourtant pas sans intérêt de savoir que, déjà, il faisait des séjours à la campagne, comme il nous l'apprend en écrivant
à
son ami de ,collège Fyot de-î~ Marche ~ en mai 1711,1 et qu'il craint la, solitude! Et de que], ton déjà inimitable----.. -cet. ado1esçent de dix-sept ans persifle et badine tout à la foü~ -sur
----
....~-.
---."
cette réc1usfôn·d~huit jours qui
---.
---...
retraite au co1lege des Jésuites:
lui est imposée à l'occasion d'une
,,.,
"Car ;nlin, lorsqu'on est'seul, outre-, , l Best. 2. 21 .~. , 0 '!l •
.
,r_rryw"'II .• ,·,-, .
D'r' "r ~ " ~t • è' r-, ~, , ,', ~. t
.
:j; ~ f'" ~.'
i· -'C "f."
1:
"--'.
.
*1 ~.,~
~r''-~
,r, ; -j ~ 22qu'on est souvent en danger de trouver la compagnie ennuyeuse, il faut
\
quelqu'un à qui on puisse dire que lâ""'solitude est agréable.,,2
1 •
,.
se fait Voltaire d'une vie heureuse se dégage nettement de
~ ,
sa correspondance avec son premier amour, Olympe du Noyer. De retour à
(
Paris, à la fin de 1713, raprès sa tentative ratée d'enlever la jeune fille, . -il lui demande de revenir ~n France le rejoindre au 'plus vite: " ••• je me
représente ces moments heureux, comme la fin de tous nos chagrins, et conune le
commenceme~~
d'tune vie douce et' aimable, telle que vous devez la mener à Paris. ,,3"douce et aimable"
Pour le jeune ArOU~, il va donc de s~i qu'une vie s'écoule à ~aris. Mais pas à n'importe quelle, condition! , Il précise dans une lettre écrite un mois plus tard
à
Olympe: n ••. me voilà,
fixé à Paris pour longtemps: est il pos~ible que j'y serai sans vous!
Une vie douce et tranquille à Paris nJest elle pas préférable
à
la compagnie de madame votre mère, et des biens considérables dans une belle ville,4
ne valent ils pas mieux que la pauvreté à la Haye?" Tant d'ingénuité est presque désarmant~: voilà exposé un programme de vie, ,que Voltaire mettra un extraordin~~re acharnement à réaliser pendant les soixante-cinq ans qu'il lui reste à vivre. Il réussira au-delà de toute mesure à
.
atteindre le premier objectif, celui de l'acquisition de "biens
con~idé-rables"! Quant au second, la vie dans une "belle ville", il sera soumis
à
maintes' fluctuations. Voltaire, sans jamais l'abandonner complètement, apprendra à le mesurer à sa vraie valeur.2 Best. 3.
-....
3 Best. 20. 4 Best. 22. ~"". r ... ~~~ ... l; ~ ~._ p:f r~,,,=t't\~~j.I_.l yi. - '-,,~ ---~ ; " ~,'-, ( \ ~ 23
On aur~~t tort d"ai11eurs d'imaginer la vie de Voltaire, sous
1
~e rapport, comme obéi~ant à une linéarité parfaite: une existence de
...
mondain et de courtisan qui, rassasié~ assagi par l'âge, accepte à la fin de sa vie une retraite -dorée à Ferney. Nous l'avons vu, en 1713-1714,
ébaucher prosa~quemen~ .~es grandes lignes d'un bonheur tout bourgeois
à
Paris. Deux ans p~~s tard, autre son de clochej il se trouve à la campagne,
- ... ~1 _\
et i l affirme:
Avec l'abbé Courtin, je vis ici tranquille Sans aucun regret pour la ville, 5
.
,S'agit-il d'une conversion so~daine aux charmes bucoliques de la nature? Non, car dans la même lettre,
-,(~ qui cornrne~te' les d~~S
à
Paris du Système de Law, Voltaire précise: "Il est beau, mon cher ami, de venir.
a la campagne tandis que Plutus tourne toutes les têtes à la ~ville. Etes vous reellement\
devenus tous fous à Paris?' Je n'entends parler que de millions." S'éloi-gner de Paris c'est donc, déjà, s'éloiS'éloi-gner des tracas et des ennuis de Paris. D'ailleurs, cette année 1716 est exemplaire, car elle est comme un raccourci de ce que répétera inlassablement plus tard la C2rre~pdance,
It·
chaque'fois que l'évocation de la calitale viendra sous la plume du philosophe. Il est bon de rappeler,'tout d'abord, que Voltaire est alors
exilé, à la suite d'~pertinences qu'on le soupçonne d'avoir écrites, contre le Régent. Exilé, interdit de séjour
à
Paris, ou, plus subtilement.'en~ore, non désiré dans la capitale, voilà une situation que Voltaire vivra maintes fois. L'exil, ~ Sully-sur-Loire, est peut~tre doré, mais Voltaire le perçoit d'abord
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une atteinte~
sa vanité, une satisfaction5 Sesto 38._ ,
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donnée à ses adversaires prêts à se réjouir de ses mésaventures: "Il y a peut-être quelque,sl g~ns qui s'imaginent que je suis exilé, mais la vérité est que m. le régent m'a donné ordre d'aller passer quelques mois d~s
une campagne
dél~cieuse
..• ".6 Drôle de "vérité"1 Nous verrons néanmoinso
combien souvent Voltaire s'acharnera à prouver que sqn exil n'en est pas un. Toujours est~i1 que Voltaire est conscient des séductions
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qu'il abandonne en s'éloignant de Paris: "Jouissez mon cher monsieur des
...
plaisirs de Paris •.. ", 6 écrit-il à un correspondant anonyme. Et à un M. de la Faye qui lui avoue être tenté par la carrière diplomatique:
Non cètte brillante folie N'a point enchaîné vos esprits, Vous connaissez trop bien le prix Des douceurs de l'aimable vie Qu'on vous voit mener à Paris
Eh assez bonne c,ompagnie; 7
L'envers de cette "aimable vie" et de cette "bonne compagnie", c'est l'ennui que l'on peut éprouver loin de la capitale. Dans la même lettre, il confesse: "Je commence à m'ennuyer beaucoup ici.' Or il faut que je
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vous dise ce que c'est que l'annui.
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...
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.,..
C'est un gros dieu lourd et pesant D'un entretien froid et glaçant Qui -ne rit jamais, toujours baille, 7
Ou encore, i l confie, toujours en vers, ,et toujours sur un ton badin,
à un corresp~ant an~~e: I,
,
\ 6 Best. 43. 7 Best. 40. 1Mais la tranquillité que j'éprouve aujourd'hui,
Le bien pur et parfait où je n'osais prétendre Est parfois, entre nous; si semblable à l'ennui,
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---~---~---_ _ ~, ... s 25 Que l'on pourrait bien s 'y méprendre. 8,,
La dOuble équation semble donc très claire. Paris égale la
1
vie douce et les plaisirs. L'exil signifie le "gros dieu lourd" de l'ennui. Voltaire se dirige-t-il tout droit vers une tmpasse7 Va-t-il,
~
bougon, se réfugier dans des imprécations de misanthrope? Il choisit la seule solution qui puisse répondre
à
son naturel optimiste e~ heureux. 11 affronte gaiment l 'exi1, i l ~saie d'en savourer les moindres bonsmoments, il transforme ce qui pourrait être une pénible épreuve en une expérience bénéfique:
Sous les ombrages toujours cois,
De
Sully, ce séjour tranquille, Je suis plus heureux mille fois Que le grand prince qui m'exile Ne l'est'près du trône dès rois....
"... .
L'exil assez souvent nous donne
Le repos, le loisir, ce bonheur précieux ,
.
Qu'à bien peu de mortels ont accordé les dieux,Et qui n'est connu de personne Dans le 'i!~jour tumultueux De la ville que j'abandonne. 8
Il s'agit là d,'une dialectique du bonheur. Voltaire le cherchera ~ partout: à Paris, bien entendu, ~is le poursuivra aussi résolument hors de la capitale, quand on le force à la quitter'I~Cette attitude durera
i _
quelque vingt ans, quand Voltaire commencera à se rendre compte qu'être dans ou hors la capitale n'est pas indifférent au genre de bonheur qu'il recherche, et au rôle qu'il veut' jouer dans la société. &1 attendant,
,
une réflexion qui .échappe à sa plume j et1~ un éclairage étonnant sur sa vie
à
veni~, et notamment sur les septiments ambivaléDts qu'ilent~e-.
8 Best. 43.'.
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26 tiendra à l'égard de Paris: "Il serait délicieux pour moi de rester
à Sully s'il m'était permis d'en sortir.,,9 On peut sûrement inverser la proposition et affirmer qu'il lui serait délicieux, ou du moins indif-férent de rester hors de Paris, s'il lui était permis 'd'y rentrer libre-ment. Par ailleurs, cette vue pénétrante qu'il a de son moi in~ime, ne pourrait-on pas la'mattre en exergue à son aventure de Berlin?
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sentir libre, et surtout libre de
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déplace-st un trait fondamental du caractère de Voltaire, seraillus-,L'année précédente, Voltaire, accusé d'être l'auteur d'un écrit infâme contre le Régentf le ~erQ. Rç,mSlntst,
est arrêté, mi~ à la Sastille. Libéré en mai 1718, il est exilé\ à
châ-...
tenay. ~l commence imméqiatement une impressionnante série de 'missives aux personnages importants à Paris, et surtout au marquis de La Vrillière, pour demander son retour dans la capitale. Il supplie, mais ne s'abaisse
,
pas: il affirme qu'il est innocent, et que c'est.seulem~t fort de son bon droit qu'il demande de revenir; mais un cri du coeur lui échappe:
.
"Vous concevez bien ce que c'est que le supplice d'un honane qui voit Paris de sa maison de campagne et qui n'a pas la liberté d 'y aller." '.
En une série de courts billets, La ~rillière lui permet de reveni~ à Paris pour "24' heures seulement", pui.s poUr "8 jours", puis pour "un mois se1;11ement" et enfin, le 12 octobre: "Permission au S. Arrouët de Voltaire de venir à Paris quand ·'t:R>Q,,)uy
semblera.I~O
9 Best. 44.
10 Sur ces~lettres de Voltaire aux responsables à Paris, et sur cet
échange avec le marquis de La Vrillière, consulter Best. 59, 60, 61, 63, 64, 65, 66 et 67.
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LeqS novembre, à peine un mois après son retour, c'~st le triomphe dfOed~. 'Voltaire, ~u coup, gort du cercle étroit de ses amis haut placési c'est, en quelque~ jours, la célébrité. Libre, de plus en plus riche, heureux en amour, i l a tout pour jouir enfin de cette vie "douce et aimable" à Paris. Et pourtant ... 'q"
,
Et pourtant', sa correspondance; de ylS à 1726, au moment de son départ en Angle1;erre, inaugure une séri,/ de thèmes que Vol taire ne
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cessera de ressasser toute sa vie
quand>_~parlera
de Paris.' Les termes1
qu'il utilise alors pourront changer, mais déjà quelq~es idées-force sont pe~ues, quelques mots-clés sont forgés. Avant de les examiner, une parenthèse s'impose ici sur la sincérité (ou le degré exact de sincé-rité) de Voltaire dans ses lettres.
On sait comment le philosophe savait couler sa pensée et son
expre~sion dans le moule qui plaisait et flattait le plus son correspondant.
Or nous ignorons souvent le dessous des t s , en ce qui concerne le tissu affectif,réel entre Voltaire et ses amis, ses collègues, ses
ma1-tresses. Bien des allusions ne nous sont pas claires, et telle pLrase~, .
qui est un clin d'oeil amusé-à son correspondant risque d~ nous lancer sur une fausse piste. Plus tard, quand Voltaire sera devenu un personnage important, dont le courrier
s~a
systématiquement espionné, il aurarecours avec ses amis à un code absolument déroutant pour qui n'en possède
,
pas la clef; l'interprétation de ses lettres nten sera que plus difficile.ll11 Théodore Besterman l'a abondanunent illustré dans "Le vrai Voltaire par ses lettres". 'Cet essai, d tabord paru dans le volwye' X des Studies
~D Voltiire and the ~hte~b CentMrr, pp. 9-4S, a ensuite été repris dans Voltaire ~sa~ ~d anQthe~, London, Toronto, New-York, 1962.
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28Pour ne prendre ou'un e~emple dans la période oui nous occupe, il est certain oue les lettres à Mme de Bernières doivent
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utilisées avec précaution; sûrement'avec plus de précautions oue les missives à Thiériot. Avec sa !lIaltresse, Voltaire doit prendre des gants; Quand elle est à~a maison de campagne, ou'elle presse son amant de la rejoind~e et que celui-ci s~ défile tout en prétendànt Qu'il ,reste à Paris parce que ses affaires l~y forcent, on peut se d~mander à juste titre dans quelle mesure
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les soucis ~e~a vie dans la capitale ne font pas les frais d'une dérobade
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sentimental~. 'Avec Thiériot, le factotum-homme d'affaires, les~hbses
sont certainement plus claires: 'Voltaire n'a pas de raison qui nous soit ~onnue pour déguiser ses sentiments avec celui qui était alors son meilleur ami.
Qu'est-ce à 'dire7 Nous sera-t~il impossible, en ce domaine, de savoir ce Que pensait exactement Voltaire: Il faut simpleme,nt scruter attentivement toute la Corre~Qndance, juger chaque lettre, chaque phrase, en fonction de l'humeur de Voltaire au moment où il l'écrit, en fonction'
égalemen~ de son corres'ondant. En ce domaine plus qu'en tout autre, nous ne pourrons cerner l$~ai Que par approximations suc~essives,
~ f'..- .,
la marge possible d'e~reur se rétrécissa~t au, fur et à mesure que les documents augmentent.
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De 1719 jusou'à son aventure avec Rohan, Voltaire vivra à Paris, \
tdut en faisant de nombreux séjours à la campagne, dans une infinité de châteaux plus séduisants les \UlS que les autres: Saint-Ange" Sceaux,_ La Rivière-Bourdet, Bruel, Maisons, etc. C'est de 1 i~e" de ces risi~ences que coup sur coup, en 1721, il éc~i~ , à deux reprises à Thiériot pour
l'!Ji affirmer Qu'il "t-rû1e de revenir à Paris" et qu'il n'attend "qu'une