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La preuve par le journal intime

Magdi Sami Zaki

To cite this version:

Magdi Sami Zaki. La preuve par le journal intime. RTDCiv. : Revue trimestrielle de droit civil,

Dalloz, 1980, pp.2-38. �hal-01662129�

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LA PREUVE PAR LE JOURNAL INTIME

par Magdi Sami ZAKI

1. - Utilisées comme moyen de preuve, les lettres-missi v es n'en sont pas à leur première rencontre avec le droit. En effet, ce droit, elles le rencontrent souvent. Pendant leur acheminement et au-delà, elles se trouvent déjà entre les mains de la loi. Une loi protectrice de leur invio-labilité et qui voudrait l'être davantage si les besoins de preuve n'entraî-naient la levée des secrets qu'elles détiennent. Des contacts entre le droit et les missives, il y en a donc. Et même de la sympathie puisque l'on compte sur ces dernières pour échanger les idées et cultiver les amitiés. La situation est différente pour les notes personnelles prises au jour le jour. Acte de solitude, le journal intime n'établit pas, en pdncipe, des contacts, surtout pas avec le droit, ne crée pas des relations sociales, ne favorise pas les communications entre les personnes. Aussi intéresse-t-il plutôt les gens de lettres que les gens de robe (1). Le journal est cependant le dépôt des confidences, des épanchements de soi à soi, le registre du vécu quotidien, des souvenirs passés. De ce fait, il est suscep-tible de contenir des renseignements prop1·es à éclairer la justice et à l'instruire, des indications utiles à la manifestation de la vérité. Voilà qui peut intriguer et tenter le droit des preuves. La tentation est forte si l'on ne veut pas laisser échapper une activité humaine - fût-elle soli-taire - sans lui assigner quelque fonction sociale mais surtout si l'on veut éviter des enquêtes scabreuses (2) dans des domaines qui touchent à l'intimité, à la pudeur et à la conscience des individus, suppléer au défaut de témoignage (3) ou remédier à la défaillance de la mémoire à propos de détails lointains (chronologie des événements, etc ... ).

2. - Mais le journal pourrait-il sans difficulté assumer ce rôle proba-toire, représenter une pièce à conviction, soutenir une allégation judi-ciaire ? Ne serait-ce pas outrepasser son caractère strictement personnel ? Son contenu serait-il profané, son utilisation en justice n'en constituerait pas moins pour le diariste, un sacrilège, une grave atteinte à l'intimité de sa vie privée. Or, c'est justement le respect dù à la sphère intime (art. 259-2, C. civ.) qui élève une barrière difficilement franchissable à

(1) V. deux ouvrages d'une rare érudition : Georges Gusdorf : La découverte de soi, Paris 1948 ; Alain Girard : Le journal intime, Paris 1963 ; adde Michèle Leleu : Les journaux intimes, Paris 1952 ; Béatrice Didier : Le journal intime, Paris 1976.

(2) Rouen, 13 novembre 1878, D. 80. 2, p. 190.

(3) Paris, 17 avril 1961, G. P. 61. 2, p. 67 (cas de non-consommation du mariage).

LA PREUVE PAR LE JOURNAL INTIME 3 la liberté des preuves. C'est ainsi qu'un plaideur ne saurait verser aux débats des enregistrements clandestins, des photos prises au télé-objectif (art. 368, C. pén.), des documents obtenus par violation de domicile ou du secret professionnel. En serait-il de même pour le journal intime ? Ce dernier sera-t-il irrecevable dans le procès civil et éventuellement dans le procès pénal ? Il y a là une question que traitera la théorie des preuves interdites, théorie aujourd'hui en plein essor (4). Mais le sujet n'est pas d'ordre purement procédural. Il est beaucoup plus profond. Il s'agit en effet de savoir si l'individu possède en propre une zone qui lui est absolument, exclusivement réservée où nul n'a accès sous quelque prétexte que ce soit. Cette interrogation évoque la célèbre hypothèse du non-droit. Seulement le non-droit peut être saisi, envahi par le droit. Prenons le cas de res nullius. Il est situé à coup sûr dans le non-droit. Mais il ne l'est ainsi que provisoirement, le temps de la non-occupation et ne l'est de la sorte que grâce au droit puisque c'est ce dernier qui le définit et se trouve prêt à le récupérer. Les morceaux elu tableau jetés à la poubelle par un peintre mécontent de son œuvre peuvent-ils être ramassés, reconstitués et exposés par un amateur ? Là le droit intervient, constate et ordonne. Seuls seraient abandonnés la matière morcelée, les fragments de toile et non le droit artistique qui ne cesse d'appartenir au maître (5). Supposons maintenant que des lettres compromettantes soient découvertes dans une corbeille à papiers. Un plaideur est-il fondé d'en extraire des éléments de preuve ? Là encore le droit intervient. Les correspondances déchirées puis recollées peuvent être utilisées en justice bien que leur contenu intellectuel n'ait pas été abandonné par leur pro-priétaire (6). C'est dire que le droit ne se sépare pas du non-droit ; il le définit toujours, le protège parfois, ne se désintéresse de lui en aucun cas et cela d'autant plus que le non-droit n'est pas un néant juridique, une absence de normes. Il se trouve en effet régi par les mœurs qui prennent le relais des règles du droit, momentanément en retrait (7). Or, il importe de se demander si à côté du non-droit ainsi formulé, il n'existe pas un espace entièrement dégagé du droit, un secteur libre de toute règle juridique ou non juridique, un lieu ignorant totalement le contrôle, la contrainte et l'inquisition tel un asile, un refuge, un ultime retranchement pour l'individu, son petit univers à lui qui ne concerne et ne regarde que lui. Ce non-droit absolu et définitif est-il concevable ? Et jusqu'à quel point ? C'est la question que tranchent les tribunaux lorsqu'ils sc prononcent pour ou contre la preuve par le journal intime. 3. - Avant d'examiner les différentes positions de la jurisprudence à cet égard (2• partie), il convient de situer le journal intime par rapport aux autres écrits confidentiels (1 •• partie). La particularité du journal intime commande les limites de son usage en justice (3• partie).

(4) En droit civil, V. l.Jegeais : Les règles de preuve en droit civil, perma -nences et transformations, thèse Paris 1955, p. 68 et s. La théorie de la preuve est très développée en droit pénal, V. Merle et Vitu, Traité de droit criminel, t. 2, Procédure pénale n• 924, !p. 139 et s. (et les abondantes références).

(5) Seine, 15 novembre 1927, G. P. 1927. 2, p. 916.

(6) Paris, 20 janvier 1897, D. 97. 2, p. 429 ; Dax, 9 décembre 1897, G. P. 98. 1, p. 309.

(7) Carbonnier : L'hypothèse du non-droit in Flexible droit, Paris 1971, p. 34.

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MAGDI ZAKI

PREMIERE PARTIE

PARTICULARITE DU JOURNAL INTIME § 1. - Le journal et les lettres-missives

4. - Le journal est plus vulné1·able que les lettres-missives. Aucun texte ne réprime le fait de le lire sans l'accord de son auteur. Mais c'est là un point commun entre le journal et les correspondances qui se trans-mettent à découvert, telles les cartes postales. Or le journal n'a rien à voir avec la carte postale . (8). La dernière circule et le premier ne circule pas. Le journal est rédigé pour soi (9) alors que les lettres s'adressent à autrui (10). Les lettres s'intègrent parfois dans le journal et le journal peut être composé sous forme de lettres (ainsi celui d'Anne Franck). Cela ne modifie pas respectivement leurs caractères intrinsèques. Le journal ne se confond pas avec des projets de lettres où la fraude était plus facile (question qui avait de l'importance lorsque le divorce par consentement mutuel était prohibé (11)). En outre, les motifs qui empêchent l'envoi d'une lettre au destinataire varient : difficulté de la terminer, changement d'opinion, repentir, surprise et intervention de tiers (du conjoint trompé, par ex.). La prise en considération, dans un procès civil, des brouillons non envoyés, pourrait dépendre de ces différentes circonstances extérieures qui jouent beaucoup moins en cas de production d'un journal intime.

5. - De plus, dans le journal, l'auto-contrôle est moindre, la sincé-rité est plus grande, le ton suit la propre humeur de l'intimiste tandis que les lettres sont modulées sur Ia personne du destinataire (12). Mais la conséquence principale du fait d'écrire pour soi-même est celle-ci : les lettres peuvent représenter soit un moyen de preuve, soit le corpus delicti, le journal, lui, s'il pose un problème de preuve, ne saurait jamais constituer le corps du délit. Certes, il pèut contenir le récit d'actes préparatoires ou d'exécution d'un crime, être utilisé à l'occasion d'un délit ·ou d'un quasi-délit (comme un moyen de séduction, par exemple (13)) mais aucun délit n'est susceptible de s'incorporer à la matière d'un journal (14) : d'une part, la composition secrète des livres (8) Le délit d'ouverture des lettres n'est pas constitué par la seule lecture de la carte postale (crim. 21 nov. 1874, S. 75. 1, p. 234) encore faut-il en retarder - ne serait-ce que momentanément - la réception par le destinataire, Poitiers, 1 .. décembre 1877, D. 78. 2, p. 235.

(9) En ce sens, il n'est jamais anonyme, Didier, p. 168.

(10) Quoique. les auteurs des lettres pui,ssent être inconnus du destinataire. (11) Dax, 9 décembre 1897, précité.

(12) Alain Girard, p. 284.

(13) Amiel, pour attirer à lui ses amies, les invitait à prendre connaissance de son journal, v. Alain Girard, p. 441.

(14) Le journal serait délictueux si le fait d'écrire était en soi interdit. Mais on peut douter de la légitimité d'interdire, fftt-ce aux prisonniers, de rédiger leurs journaux. Un journal falsifié ou licencieux serait aussi délictueux s'il est

LA PREUVE PAR LE JOURNAL INTIME 5

intimes est absolument légitime alors que le fait, pour un époux, d'entre -tenir, des correspondances clandestines avec un tiers a pu recevoir l'éti -quette d'injure grave, cause de divorce (15), d'autre part, le contenu même du journal n'encourt aucun blâme contrairement à ce qui est admis pour les lettres licencieuses, injurieuses ou diffamatoires (16). Le Tribunal civil de la Seine l'affirme nettement : <<la confection d'un journal intime, contiendrait-il des appréciations de quelque nature qu'ell~s soient sur l'un des conjoints, n'a elle-même rien de blessant et ne saura~t être considérée comme une injure ... » (17). Pour que de telles appre -ciations soient retenues, il faut qu'elles soient accompagnées « de réflexions exprimées directement au conjoint ou à son entourage ». Nul ne saurait donc reprocher à autrui ses notes intimes ni s'appuyer sur elles comme sur des documents délictueux. Le délit doit découler des circonstances externes à l'ecriture elle-même. Il doit exister ailleurs. Ce n'est pas la même chose d'écrire dans ses carnets des propos injurieux et d'y faire état de scènes d'injures vécues. Le problème de preuve par le journal intime ne se pose que dans la seconde hypothèse.

G. - Cette hypothèse où le journal est invoqué comme moyen de preuve est rare comparé aux innombrables décisions relatives aux lettr~s confidentielles produites en justice. Cette rareté s'explique par le fait que souvent le journal ne se poursuit pas à l'âge adulte, qu'il peut demeu -rer inconnu ou inintelligible à l'entourage (en raison, par ex. de l'usage d'une lanaue étrangère, de symboles (18), etc ... ), qu'il est détruit par cet entoura ae5 après le décès de l'auteur pour préserver la paix familiale ... Il faut

~ussi

ajouter que les capacités de preuve des journaux intimes, pour grandes qu'elles soient, ne renferment pas les virtualités proba-toires quasiment infinies des lettres-missives. C'est que les lettres sont des moyens de communication entre les êtres et que le journal est un acte de solitude. On peut tout tirer des lettres même si elles n'existent pas. En effet l'absence de correspondance peut signifier des tas de choses : rupture,' abandon, défaut d'affection (19) alors que rien de juridiqueme_nt relevant ne saurait se dégager de l'absence de journal. Quant aux fa1~s intimes - notamment les rapports sexuels - dont le journal pourrait être l'unique révélateur, le législateur s'arrange souvent pour e~ avoir une connaissance assez indirecte, n'exigeant pas la preuve elle-meme de ces faits mais celle de situations les rendant vraisemblables (20).

publié Là encor.e le délit n'est pas dans l'acte d'écrire mais dans celui de publie~·. Et encore. Car, du moins pour le journal l~cencieux, la liberté d'expres -sion - voire l'intérêt historique - ·efface le déht. A propos du Journal des Goncourt, v. in fine, la note de M. le Doyen R. Savatier, Paris, 14 mars 1956, D. 57, p. 130 (134).

(15) Cass. c,iv., 12 juin 1963, B. 2, n• 434, p. 322.

(16) Trib. comm. d'Anvers, 18 juillet 1891, S. 92. 4, p. 12 ; Limoges, 12 février 1894, D. 95. 2, p. 537, note Valery, Lyon, 29 octobre 1901, D. 1902.

2, p. 465, note Legris.

(17) Seine, 3 décembre 1964, J. C. P. 65. IV. éd. G. 74. (18) Hugo désigne par une croix ses 'Prouesses amoureuses.

(19) Amiens, 20 décembre 1923, D. 1924. 2, p. 38. . . . (20) Sur la «réunion de fait» (art. 313-2, al. 2, C. civ.), qm rétabht la pré -somption de paternité légitime, v. Paris, 21 juin 1963, J. C. P. 1963. II. 13361, note Rouast, D. 1964, p. 434, note Ghestin.

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6 MAGDI ZAKI

7. - Ceci dit, il importe de savoir si les principes acquis à l'égard des lettres sont valables pour le journal. A cette question générale s'en ajoute une autre toute particulière. Nulle part, le Code civil ne parle expressément du journal "alors qu'en matière de divorce par exemple, l'article 259-1 mentionne les lettres échangées entre le conjoint et un tiers. Par contre, dans différents endroits, le législateur se réfère aux registres et papiers domestiques (v. art. 46, 194, 324, 341, 1331, 1402, C. civ.). Le journal serait-il un de ces papiers domestiques ou aurait-il un sens plus spécifique ?

§ 2. - Le journal et les papiers domestiques

8. - Le journal, comme mode d'expression et genre littéraire, est relativement jeune. Son histoire est encore mince, étant associée, comme l'individualisme, à la découverte tardive du moi tandis que l'histoire des registres domestiques est celle des recettes et dépenses qui se tiennent depuis toujours (21). Le journal est l'œuvre des adolescents, des n er-veux, des sentimentaux, des internés et... des femmes (22) ; chaque membre de la famille peut enfin écrire son journal ct donner aux évé -nements sa version personnelle. C'était une manie dans la famille de Tolstoï (23). Rien de cela n'est comparable au codex méthodique que tenait à Rome au sein du foyer, un seul personnage, le pater familias,

hom~e

sage et' raisonnable (Û). Cependant, à ses débuts, le journal a pu assurer certaines fonctions des registres familiaux. On y faisait des comptes et pas seulement le compte des dettes, on y comptait aussi ses péchés. De leur côté, les registres ont évolué, sc rapprochant davantage du journal. De livres de comptes qu'ils étaient (carnets de visite du médecin, par exemple ... ) ou de livres de raison (souvenirs d'opérations diverses : vente, succession, partage, « rendement de la récolte ou pro-duit d'une ferme» (25), ils sont enfin devenus de véritables annales domestiques, historique d'un foyer, annotation de ses joies et de ses peines, de ses naissances, ses baptêmes et ses entcnements. Dans leur dernière évolution, les registres domestiques rejoignent les premières périodes du journal. De nombreux écrits intimes en sont les témoins. Celui notamment de M'"" Lamartine qui comportait - d'après l'étude de M. Henri Guillemin - de « menus dédails domestiques ... , remarques sur chacune de ses filles, leur éducation, leurs fiançailles, leurs mariages, leurs grossesses, les circonstances de leurs accouchements, indications concernant sa propre santé, les catarrhes ou les rhumatismes de son mari, leurs difficultés d'argent, le soutirage ou la vente des vins, et jusqu'à des

recettes de médecine familière» (26).

(21) Gaston Monteil : Des registres et papiers domestiques, thèse, Paris 1889. (22) Comme moyen de preuve, la plupart des journaux invoqués en justice. appartiennent à des femmes.

(23) Alain Girard, p. 113 ; Didier, p. 80. (24) Monteil, p. 2.

(25) Ibid., p. 3.

(26) Henri Guillemin, Connaissance de Lamartine, Fribourg 1942, p. 23-24 cité par A. Girard, p. 78.

LA PREUVE PAR LE JOURNAL INTIME 7

9. - Journal et registres peuvent donc porle1· sur les mêmes faits. D'autres traits accentuent •leur parenté. Personne n'est obligé de tenir ni un journal ni un registre. Dans les deux cas, on écrit pour soi-même, sans formalisme, sans le concours d'autrui. Dans les deux cas également, on ne saurait considérer ses cahiers << comme des actes proprement dits, c'est-à-dire des écrits authentiques ou sous-seing privés» (27). Tout au plus, les tribunaux peuvent les prendre en considération (art. 1402, C. civ. s'agissant du renversement de la présomption d'acquêt), y puiser des renseignements ou des indices sans consentir à ce qu'ils fassent foi pour ceux qui les ont rédigés (la règle est nette dans l'art. 1331, C. civ. concernant la preuve des paiements par les registres domestiques (28)). En effet, l'utilité de ces registres, c'est précisément de jouer contre celui qui les a tenus, c'est de pouvoir être invoqués par un tiers. En sera-t-il de même pour le journal ? Ce dernier est-il un papier domestique comme un autt·e ?

10. Le problème est très délicat si l'on veut utiliser le journal contre le gré de son auteur dans un litige d'ordre purement patrimonial (art. 1402, 1331 précités). Mais le problème ne disparaît pas pour autant dans les autres cas où les registres domestiques sont prévus en matière d'état (art. 46, 194, C. civ.) ou dans le domaine de filiation légi-time (art. 324, C. civ.) et de maternité naturelle (art. 341, C. civ.). En effet, malgré leurs similitudes, des divergences subsistent encore entre le journal et les registres domestiques. Ces derniers ont un caractère familial prononcé alors que le journal est strictement individuel, essen-tiellement personnel. Souvenirs de famille, les registres sont grevés de servitudes inexistantes dans les carnets intimes. Le de cujus ne serait pas suivi s'il avait ordonné la destruction des m·chivcs familiales (29). Sa volonté devrait, au contraire, être respectée s'il avait prescrit à ses hér i-tiers de brûler tous ses papiers confidentiels, lettres et journaux (30). C'est déjà une résistance au droit des preuves. Un ape,·çu des décisions judiciaii·es révèle un autre point de divergence entre le journal et les papiers domestiques.

11. - Ces papiers ont reçu une interprétation très extensive. On y inclut les lettres (31) mais aussi les simples notes. Ainsi, par exemple, la note écrite de la main de la prétendue mère, attachée aux linges de l'enfant et sur laquelle elle avait marqué le nom qu'elle souhaitait donner au nouveau-né, cette note-là a pu être considérée comme un papier domes -tique (32). Cette note, il est vrai, peut également figurer dans un journal

(27) Monteil, p. 43.

(28) Rép. Merlin, Preuve, p. 49.

(29) Demogue, Les souvenirs de famille et leur condition juridique, Rev. tr.

dr. civ., 1928, p. 5. (30) Ibid., p. 51.

(31) Req. 17 juin 1907, D. 1908. 1, p. 161, note Ripert ; Req. 26 février 1912,

s.

1913. 1, p. 357.

(32) Req. 3 juillet 1850, S. 50. 1, p. 705 ; les registres domestiques englobent même les pièces administratives dressées sur la déclaration des intéressés, Agen, 28 mai 1901, D. 1902. 2, p. 78, l·e législateur a dft ~nser, dit-on, aux mères naturelles illettrées. Ces dernières ne rédigent pas de journaux intimes, elles tiennent, grâce à l'administration, des registres domestiques sans le savoir.

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8 MAGDI ZAKI

intime. Cependant, un journal ne serait pas tel s'il ne contenait. que ce genre d'inscriptions lapidaires. Le journal est, en réalité, fondamen -talement caractérisé par une constante recherche de soi, le moi y est

omniprésent, il y occupe la place centrale (33). Quant au récit

d'événe-ments, il traduirait plutôt le reflet de ceux-ci sur la conscience de l'individu.

12. - Cette préoccupation obsessionnelle de soi redoute fort

l'indis-crétion d'autrui. Elle explique que les journaux intimes soient beaucoup

moins invoqués volontairement par leurs auteurs que des registres de

comptabilité, par exemple. Mais cela explique aussi la méfiance instinc -tive des juges à l'égard du diariste exhibitionniste de sa prose. Les écrits

privés - on vient de le voir - ne font pas pleine foi pour ceux qui les

ont rédigés. Exceptionnellement cependant, un registre domestique peut emporter la conviction du juge. Il en est ainsi des carnets de visites d'un médecin, ce dernier étant dans l'impossibilité morale de se procurer une preuve littérale (34). Confiance ne sera jamais accordée à une personne imbue d'elle-même ou de sa propre vision du monde. On imagine difficilement un plaideur obtenir gain de cause rien qu'en s'appuyant sur ses feuilles intimes. Une décision judiciaire le montre : un homme avait reproché à sa femme l'adultère et l'inceste (et la naissance des enfants issus de cette relation) ; comme mode de preuve, il brandit son journal. Cette nrme s'est retournée contre lui. Dans les motifs avancés par Je Tribunal civil de Privas, on lit : «Attendu, enfin, dans la réalité plus particulière à l'espèce, que les imputations de P ... à sa femme d'incestes réitérés entre elle et son père, imputations dont le détail est

fourni dans un journal intime du demandeur versé aux débats, font

présumer une obsession imaginaire et maladive (35) bien plus qu'une

véracité douloureuse, non pas tant - l'expérience connaît les laideurs

humaines - en raison du caractère répugnant des faits considérés en

eux-mêmes qu'en raison du silence et de la résignation, dès lors psycho-logiquement inexpliquables, du mari pendant huit ans» (36).

13·. :._ Tout n'est cependant pas hallucination dans un journal. Pour -quoi le fait d'écrire sur soi doit-il être tellement suspect ? Dans les

moments de crise, cela peut avoir un effet salutaire. La réforme du divorce

de 1975 instaure le cahier des souvenirs, constat du passé, bilan d'une vie,

comme le prélude nécessaire à une action judiciaire. Ainsi dans le

divorce demandé pa1· un époux et accepté par l'autre (divorce sur aveux indivisibles) «la requête initiale n'est recevable que si elle est accom -pagnée d'un mémoire pe1·sonnel établi, daté et signé par celui qui le

(33) La prépondérance du moi dans le journal permet de distinguer les notes qu'il contient des autres notes éparses - simple aide-mémoire - fixées au hasard sur n'importe quelle feuille de papier à la portée de la main, v. Rouen 13 novembre 1878, D. 80. 2, p. 190 où il s'agissait, dans un procès en divorce, de papiers compromettants «dont un porte au verso un projet de liste municipale». (34) Rennes, 18 janvier 1909, D. 1909. 5. 17 ; Malinvaud, L'impossibilité de la preuve écrite, 1972. 1. 2468, n• 25.

(35) L'obsession peut être évidemment maladive mais jamais imaginaire. Elle est là, donc réelle. Seuls les faits peuvent être fictifs.

(36) Trib. civ. Privas, 5 décembre 1956. D. 58, 492 note R. SavaHer ; J. C. P. 1956. II. 9682, note signée J. B.

LA PREUVE PAR LE .JOURNAL INTIME 9

présente, (art. 58, Décr. n•• 75-1124 du 5 déc. 1975). Mais, il est ·vrai,: le mémoire personnel désigné pat: cet article ne se confond pas avec ·le journal intime.

§ 3. - Le journal et le mémoire personnel

14. - Le mémoire personnel est une pièce essentielle de l'initiative unilatérale prise par un époux pour provoquer l'accord de l'autre en vue

de dissoudre le lien du mariage (37). Dans ce document, le demandeur fait état des difficultés du ménage, de la mésentente conjugale (38). C'est

une invitation au dialogue (39), une «offre de transaction» (40) qui s'adresse nécessairement à l'autre, l'époux destinataire étant libre d'ac-cepter l'offre ou de la refuser. En cas d'acceptation, il peut établir son propre mémoire " où sans contester la relation des faits, il en propose ... , sa version personnelle~ (art. 62, al. 2, Décr. précité). On s'éloigne

donc des journaux intimes qui ne sont destinés qu'à soi-même et qui se

cachent. D'autre part, ces mémoires personnels - comme tout mémoire

autobiographique (41) - sont établis après coup, longtemps après

l'évé-nement ; ils ne reflètent pas «l'existence telle qu'elle est vécue, au jour le jour» (42). Nous sommes en présence d'un travail de <~: reconstitu-tion» (43), d'arrangement, de montage. Des passages du journal intime peuvent certes y prendre place. Mais ce sont des morceaux choisis par le

demandeur. Ce dernier n'est d'ailleurs pas entièrement libre de la

compo-sition de son mémoire. Dans son anamnèse, il est tenu d'indiquer «un ensemble des faits, procédant de l'un et de l'autre, qui rendent intolé-rable le maintien de la vie commune» (art. 233,

c.

civ.). Il s'agit donc des faits et non des faits et des fautes, et des faits seulement et non des faits et des ressentiments, des faits enfin procédant de l'un et de l'autre des conjoints. Si le demandeur n'est pas un mémoraliste soumis à l'obligation de véracité (44), il doit tâcher d'être plus descriptif que critique, d'éviter,

par conséquent, la partialité, l'emportement de 'la passion et le ton

I'équi-sitoire. «Dans son mémoire, précise en effet l'article 59 du décr-et. pré-cité, l'époux s'efforce de décrire objectivement la situation conjugale,

sans chercher à qualifier les faits ni à les imputer à l'un. ou rautre conjoint >>. Il faut que l'évocation du passé, commente M. le .doyen Ç,Qrn.:u, soit « orientée, non vers la recherche des griefs et des reproches, mais

vers une analyse objective de la crise du ménage» (45). Rien de tout

cela n'est exigé dans le journal intime o~ la subjectivité, la libre imagi -(37) Marty et Reynaud, Droit Civil,_ t. 1, 2' volume, Les pers?nnes, 1976, n• 301, p 397 . . . ;. ; ·. . . . ~ . . '

. (38) · Carbonnier, La question du divorce, D. 1975, p. 119.

(39) Bertin, La procédure du qivorc~ .(D.écr. n• 75-1124 du 5 déc. 1975) à_ la

lumière du nouveau code de procédurè, J; C. P. 1976. 1. 2751, n• 47 ; Bra:uer,

Le nouveau droit du divorce, Paris, 1976, ip. 247.

(40) Jean Foyer, Ass. Nat. J.O., 1975, .P:. 4684. , . . . (41) :=Ex. les' ·confessions de saint Augustin, dé Rousseau, ies

·

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mém

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re~

1 de

Chateaubriand . . ,·. · L•::JJo: ··!

(42) Gusdorf, p. 34 ; Didier, p. 9.

(43) Gusdorf, ibid. . ! · 1.. 1. l {\ Ci!l·)

(44) Paris, 28 avril1971, G.P.1972. 1, p. 376. •·· ,, ·:,: ,.~ (l''' (45) Cornu, La réforme du diporce .(étw:l~ de .J.~ loi d11 11. juil~ .. ,197·~). ·H~s pQurs de droit, 1976, p. 24. ·1 '·· 1 :• •• !•:1 (·!1·1

(6)

10 MAGDI ZAKI

nation sont sans borne. Ne correspondant' avec personne, l'intimiste ne

connaît de r,ègle que sa propre fantaisie. Si les a'utres ne sont pas abs·ents dans ces notes prises au fil des jours, ils n'en sont pas le pivot, ces notes.

demeurent imprégnées sinon du narcissisme du moins des nombreux

«autismes», selon l'expression de M. Alain Girard (46).

15. - Un trait supplémentaire renforce la distinction entre ces deux

pièces. Chargé de l'examen des mémoires (art. 63, Décr. de 1975), le juge

des affaires matrimoniales n'a pas à contrôler le bien-fondé de leurs

énonciations (47), comme le ferait 'le Tribunal de grande instance, des

journaux susceptibles de lui être volontairement présentés dans un

débat en divorce pour faute ou pour rupture ·de la vie commune. Ne

l'oublions pas, les mémoires personnels sont des échanges de vue et non des instruments de preuve. Des instruments de preuve, ils ne le sont ni dans la procédure initiale du divorce, ni dans un quelconque autre

procès. A cet égard, l'article 236 du code civil est particulièrement

for-mel : « les déclarations faites par les époux ne peuvent être utilisées

comme moyen de preuve dans aucune autre action de justice». Une

lettre-confession (48) pourrait être versée aux débats mais jamais le

mémoire-confession. Celui-ci, même découvert au foyer familial, après

le décès de son auteur, ne saurait être considéré comme un papier

domestique. Ce document civil ne devrait pas non plus êti·e produit dans

un procès p'énal. Bref, ni l'autre conjoint, ni un tiers, n'est autorisé à

s'en servir à quelque titre et pour quelque motif que ce soit.

L'interdic-tion est générale, englobant le mémoire ct ses annexes, les fragments du

journal intime qui y sont joints, par exemple. L'interdiction serait même

absolue. On se croirait devant un super non-droit impossible à récupérer

par ·le droit. S'il en était autrement, affirme le Garde des Sceaux, lors

des travaux préparatoires «disparaîtrait l'expression spontanée ... » (49)

qu'il faut assurer aux parties. Ce raisonnement admis à propos du mémoire établi par un époux afin d'être lu par l'autre, ne vaudrait-il pas a fortiori pom· les monologues du journal qui ne sont connus que de leur auteur ? Ecrit-on pour soi spontanément avec l'idée que ses

carnets, une fois trouvés, la justice pourrait s'en emparer ? La preuve

par le mémoire personnel est rigoureusement interdite. Celle par le

journal intime serait-elle permise ?

: i

DEUXIEME PARTIE

LA POSITION DE LA JURISPRUDENCE ~

...

§ 1. - Tendance libérale

~- - P,qur une pm·tie de la jurisprudence; le journal intime ne

sou-lève aucun problème de preuve. C'est un document comme un autre,

(411) A. Girard, p. 505.

(47) Bertin, n• 47 ..

(48) Ci

v.

(:f0 ''juin 1966,

n.

66, 648, note Mo linier. (49) M. Jean Lecanuet, Sénat, J.O. 1975, p. 1534.

LA PREUVE PAR LE JOURNAL INTIME 11 parfaitement recevable en justice, sans le moindre souci de son caractère

confidentiel ni de la manière dont le plaideur se l'est procuré. ~ussi,

au cours d'une instance en divorce, le mari en p·ossession du journal de

sa femme d'où se dégageaient « une perversité précoce et un dév

ergon-dage plutôt morbide», a été admis à le produire pour éclairer le tribunal

sur «les sentiments et l'attitude de son épouse durant la vie

conju-gale.» (50). C'est également d'un carnet intime féminin qù'il s'agit· dans

un autre arrêt aussi indifférent que le précédent à la particularité de la

pièce produite (51). Cette indifférence réitérée ne serait pas un pur

hasard. Elle semblerait s'opposer à une pratique fort peu compatible

avec le bonheur des ménages. En effet, la plupart des intimistes étaient des célibataires. Le plus célèbre d'entre eux, Amie!, a renoncé au mariage pour rester fidèle à son entreprise. <<Bien des journaux ont dû s'int er-rompre dans la somptuosité des fiançailles ou le soir des noces» (52).

Rares sont les diaristes, comme Michelet, qui ont su concilier les

deux choses. Tolstoï a tenu deux journaux, «un que sa femme

pouvait lire ct un autre qu'il cachait dans ses bottes ». La Comtesse

Tolstoï rédigeait Je sien propre pour raconter les tristesses de sa vie

clans l'ombre du grand écrivain. Sa fille Sacha faisait de même (53). Cette guerre des journaux au sein du foyer serait stimulée, en garantissant à chacun l'inviolabilité de ses écrits face au droit des preuves. II est risqué d'écrire pour· soi quand on ne vit pas seul ! On n'écrit pour soi qu'à ses risques et périls.

17.- Une première restriction est cependant apparue clans le domaine

du divorce où l'aveu était irrecevable comme mode unique de preuve avant l'entrée en vigueur de la loi du 11 juillet 1975. Le cahier de con -fession, affirmait la Cour de cassation, ne peut être retenu que s'il est

éclairé et étayé par d'autres éléments tels des témoignages d'où il

ressor-tissait que le comportement elu mari, qui faisait fréquemment à sa

femme des scènes injurieuses, rendait la vie commune insupportable (54):

18. - En dépit de ladite restriction, la preuve par le journal demeu -rait très libre. Dans l'espèce, il ne s'agissait pas de faits intimes, impos

-sibles à prouver autrement mais de simples scènes de ménage pour

lesquelles d'ailleurs il existait· des témoignages. Cette intrusion extensive dans la sphère intime de la personne, on ne saurait la justifier par la seule référence à l'élément de durée illimitée inhérente aux relations du mariage et qui rend particulièrement intolérable le dissentiment entre

les époux (55). La durée est propre aux contrats du travail. Or, les tri -Jmnaux soucieux de protéger la vie privée, bien avant l'intervention du législateur, se sont montrés hostiles à l'usage des bandes magnétiques

pour détecter les fautes des employés sans s'arrêter au caractère durable

des liens qui attachent ces derniers à leur employeur (56). Suivre la 'juris·

(50) Cass. civ. 3 mars 1936, D. H. 1936, p. 234 ..

(51) Cass . . civ. 6 février 1975, D. 1975, p. 385, note Groslière. (52) Alain Girard, p. 114.

(53) Michèle Leleu, p. 248-249 ; Didier, p. 80.

(54) Cass. civ. 13 novembre 1952, B. 1952, 2", n• 14, p. 9.

(55} ·Cf. Arzt, Der Strafrechtliche Schutz der Intimsphüre, Tübingen, 1970,

p. 79. .

(51i) Paris, 9 novembre 1966, G. P. 1967. I, p. 135 ; Lyon, 21 décembre 19~7, D. 1969, p. 25, note G. Lyon-Caen.

(7)

12 MAGDI ZAKI

prudence libérale en matière de preuve par le journal permettra,· par

exemple, à chaque conjoint de faire la chasse aux papiers strictement

personnels à l'autre et de les produire en justice comme bon lui

semblera, c'est nier à l'intérieur de l'intimité conjugale ou à côté d'elle, la moindre place pour l'intimité individuelle. Cette tendance est contes-table. D'abord parce que l'intimité conjugale a de fortes chances de

cesser en cas de conflit (57). Le huis clos peut exister malgré la cohabi -tation (58). Comment, entre deux personnes qui s'ignorent mutuellement,

admettre que celle qui dissimule le mieux ses affaires puisse tout connaitre

de l'autre et mettre à profit cette connaissance. Ensuite parce que l' inti-mité individuelle subsiste au sein de la vie commune. Nombreuses en

sont les manifestations : chacun jouit dans le mariage d'un faisceau de

libertés (59), de celles notamment qui touchent à l'indépendance de l'esprit, au choix des convictions, aux options de conscience (60) («Même lit, rêves différents», observe M. le doyen Carbonnier (61)). Aucun conjoint n'est fondé à froisser la pudeur de l'autre. Et cela non

seulement dans le comportement extérieur - où la honte de l'un rejaillit sur l'autre (62) - mais aussi dans le cadre du foyer. La pratique du nudisme dans son propre intérieur a été jugée indécente (63). Maintes

fois, la jurisprudence a condamné l'excès sexuel (64), les rapports

anor-maux imposés à l'épouse (65). Le besoin de secret n'est pas moins pro-tégé. Chacun, dans le ménage, peut se rendre coupable de violation de

correspondances, délit prévu par l'article 187 du code pénal (66). Le médecin commettra l'infraction punissable par l'article 378 du code

pénal s'il révèle à la femme la maladie du mari (67), ou au mari la maladie de sa femme (68). Le droit au silence, à l'oubli, ne se perd pas en se

mariant. Il n'y a pas, dit-on, de «transparence conjugale» (69). L'obli-gation de sincérité n'exige pas de tout dire, n'entraine pas l'aliénation de tous les souvenirs (70). Enfin, la discrétion est un devoir qui impose

aux époux 1e respect à la fois de l'intimité commune - en particulier

des secrets d'alcôve (71) - et de leurs intimités personnelles respec

-(57) Debois, note sous Laval, 26 février 1941, J. C. P. 1942. 1. 1788. (58) Cornu, La réforme du divorce, op. cit., p. 177.

(59 Benabent, La liberté individuelle et le mariage, Rev. trim. dr. civ., 1973,

p. 440.

(60) Paris, 12 juillet 1973, G. P. 1973, G. P. 1974. 2. Som. p. 254.

(61) Carbonnier, Droit civil, t. II. 1972, p. 75. . , (62) Rouen,· 30 décembre 1840, Rép. de lég. Séparation de· corps et divorce, p. 913, n• 56-1.

(63) Seine, 23 juin 1932, S. 1932. 2. 192. (64) Dieppe, 20 juin 1970, G. P. 1970. 2, p. 243.

(65') · CasS. 'ci v~ 2 juillet f964, D. · 1964. 2~. no 529, p. 395. · ·· (66) Bordenn:x,: 15 mars 1929, D. 1930. 2, p. 129 ; ·Lyon, 11 février:l966, Dt ]:966,

Som 75 • . 'l · · .,.

(67) Cas~. ~i~. 13 juillet l897, S. 98. 1, · p. 220 ; Cass. civ. 27-juin 1967, J.C.P.

68. H. 15411, note R. Savatier. . . . 1ï•

(68) Seine, 4 janvie1· 1928, G. P. 1928 . .1, p. 101 ; J .. C. p, 1·92?,, p. 401,,_ :QOte Perraud-Cbarmantier. · · · .. ::., , _ '. 1;.·.

(69) Yves Guyon, De l'obligation de sincérité daJ:Is .le ma#~~:gç; .{lev. tri~. dr. civ., 1964, p. 490. . . ~ . .- .· r • : , :~ ..

(70) Même .·le1· gros mensonge. est ·pardonmlhl_e. si .le fait .dissiJ?.~l~ n'~s~1;,pas compatible avec 4: l'état' d'époux », ainsi dans la fausse prétention d'être homo-seX\lel, v. Créteil, 241.oçtobre 1974, G. P.· 75. I, som.· p. 105 .. , :.: •.' J (:',

(71) Encyc. Dalloz, Divorce, n• 247. · -, ·.: , -:,~;~

LA PREUVE PAR LE JOURNAL INTIME

13

tives (72). Est donc interdite la révélation des détails intimes propres à l'autre conjoint (73) ou la divulgation de son ... journal. Une décision

de la Cour de cassation l'affirme clairement. Il y a une injure grave

dans le fait par une femme de communiquer à des tiers des photocopies qu'elle avait tirées du carnet intime de son mari encore que cela se

soit produit après le début de l'instance en divorce (74).

Cette intimité individuelle devrait restreindre davantage l'usage du journal intime en justice.

19. - Ainsi dans un procès en divorce, la Cour de cassation a pris

soin de relever que le journal produit par le mari fut découvert dans les affaires communes (75). Le journal est assimilé à une lettre

confiden-tielle qu'un plaideur ne saurait présenter aux débats que s'il l'avait

obtenue d'une manière régulière. Mais il suffirait, selon certaines déci

-sions, que les papiers intimes aient été découverts dans un lieu accessible à l'autre conjoint (dans des cartons abandonnés par l'époux (76)).

Ce lieu pourrait être un bien propre, des vêtements par exemple (77). Le caractère propre des notes joint au caractère p-ropre de l'endroit où elles se trouvent , ne s'opposent pas à leur utilisation en justice. A plus

forte raison si les feuilles personnelles s'étalent ouvertement aux regards.

20. - Car il appartient à chacun de se protéger de l'indiscrétion d'autrui. L'individu ne saurait se plaindre des investigations que sa propre négllgence a permis de réaliser ni écarter les preuves qui en

résultent alors que s'il avait intentionnellement divulgué des faits de sa vie privée, excité à dessein la presse à scandale, il serait toujours fondé de s'estimer victime de nouvelles divulgations n'ayant pas reçu son agrément (78). Contre des publications non autorisées, il peut encore se

rattraper même s'il avait antérieurement déclaré que sa vic privée était

un «livre ouvert» (79). Mais que son attention se relâche un seul instant, et voilà que son livre le plus secret, son journal intime, peut lui

échapper (80).

(72) Une exception est cependant admise pour les personnes ayant partagé la

vie d'un personnage célèbre notamment si ce dernier « s'est déjà livré lui-même pour une l:u·ge part en pâture au public», v. affair-e Picasso, Paris, 6 juillet 1965,

G. P. 1966. 1, p. 39 .

(73) Req. 9 février 1932, D. H. 1932, p. 163. (74) Cass. civ. 20 octobre 1955, J. C. P. 1955. II. 8982. (75) Cass. civ. 30 octobre 1957, B. 2, n• 587, p. 380.

(76) Amiens, 3 mars 1975, cette décision sera examinée plus loin, v. n• 29. (77) Req. 25 mars 1890, D. 91. 1, p. 311 ; Cass. civ. 11 octobre 1959, G. P. 59. 2,

p. 286.

(78) Seine, 24 novembre 1965 ; Paris, 27 février 1967, D. 67, p. 450, note J.

Fou-1on-Piganiol ; Paris, 15 nov. 1966, D. 67, p. 181 ; Cass. civ. 6 janvier 1971,

J. C. P. 1971. II. 16723, note R. L.

(79) Seine, 24 novembr.e 1965, J. C. P. 1966. II. 14521 (affaire Bardot). (80) Que la vie intime soit plus protégée contre les divulgations que contre

les investigations, cela semble se dégager de la comparaison de l'article 9 et de l'adicle 259-2 du code civil. Dans l'article 9, toute atteinte à l'intimité par voie

de presse ou autre moyen de publicité est intolérable, alors que seule l'atteinte illicite à l'intimité permet, dans l'art. 259-2, d'écarter des débats les constats d'huissier. Mais de l'autre côté, on peut observer que la ruse condamnée dans la recherche des preuves ne l'est pas concernant les journalistes à l'affût d'infor-mations, Aix-en-Provence, 16 octobr.e 1973, J. C. P. 1974. II .. 17623, note Lindon.

(8)

14 MAGDI ZAKI

21. - Plus cohérente est la doctrine théologique selon laquelle ni le juge ecclésiastique ni le juge séculier ne tiendront compte d'une lettre

ou d'un cahier de confession égaré (81). En droit, il est vrai, la prudence

s'impose à l'homme même chez lui, pour empêcher, par exemple, que

certains de ses actes, certains de ses propos ne soient aperçus par un

témoin involontaire (82), entendus par des tiers (83). Mais celui qui

découvre un journal et se met à le lire n'est pas un témoin involontaire,

ne se cantonne pas dans une attitude passive. Il agit, il empiète sur la

sphère de son prochain, il s'approprie le manuscrit le temps de sa

lec-ture, sans avoir l'excuse de l'erreur du faux correspondant qui prend acte des lettres-missives qui ne lui sont pas destinées (84).

22. - En dépit de ces objections, une partie de la doctrine serait

favorable à la jurisprudence commentée qui admet largement la preuve

par le journal intime. D'abord pour une raison simple : pourquoi craindre

la révélation des écrits intimes puisque le juge peut ordonner le huis clos

et assurer le secret des débats ? (art. 245, C. civ. et 435, C. pr. civ. (85)).

.Mais c'est oublier qu'un secret n'en absorbe pas un autre. « Les secrets

des justiciables)) ne disparaissent pas sous le seul prétexte qu'une fois

communiqués aux tribunaux, ils seraient aussitôt couverts par <<le secret

de la justice» (86). S'il en était autrement, les correspondances échangées

entre un avocat ct son client n'auraient plus, dans une poursuite pénale,

aucune raison d'être face au secret de l'instruction. Sur cette pente,

le délit de l'article 378 ne pourrait pas avoir lieu si la communication

était adressée « dans la st1·icte intimité » à une personne unique tenue à

son tour par le secret professionnel (87).

23. - En faveur de la liberté de preuve par journal intime, on invoque

également le principe : «pas d'interdiction sans texte» (88). Cet axiome

vaut certes pour tous écrits quels qu'ils soient « registres, notes, pièces,

documents de toute nature» (89), cependant la liberté - chacun en

convient - ne signifie pas que tout est permis (90). L'analogie peut être

faite avec les enregistrements clandestins qui, avant d'être expr essé-ment prohibés par le code pénal, étaient souvent écartés des débats (91).

24. - Le droit à la preuve (92), quant à lui, ne saurait étendre outre mesure le champ de la liberté dont jouissent les plaideurs sans armer

(81) Thomas d'Aquin.

(82) Vouin, Droit pénal spécial, Dalloz, 1971, n• 306, p. 366.

(83) Ibid., n• 223, p. 252.

(84) Cf. Hubmann, Das Personlichkeitsrecht, IGHn, 1953, p. 238.

(85) Mm• Mezghani, La protection civile de la vie privée, thèse Paris, 1976, p. 207.

(86) Merle, Le secret et la procédure en droit français, 7'rav. Ass. Capitant,

t. 25, 1974, D. 1976. p. 759 et s.

(87) Or cette solution est écartée par Paris, 1er mars 1935, D. H. 35, 'P· 256. (88) Cf. en matière de divorce, Cass. civ. 16 mars 1970, B. 70. 2, n• 100, p. 79.

(89) Riom, 8 janvier 1849, S. 49. 2, p. 460. (90) Legeais, p. 109.

(91) V. Seine, 28 juin 1939, G. P. 39. 2, p. 353 ; Seine, 16 février 1957, G. P.

57. 1, p. 309.

(92) Sur la primauté du droit A la preuve, Gény, Des droits sur les lettres missives, Sirey 1911, t. 2, p. 123.

LA PREUVE PAR LE JOURNAL INTIME

1

5

ces derniers de redoutables moyens de lutte et de contrainte. On se

souvient du débat classique et désormais clos sur l'analyse du sang (93). Il en reste l'angoisse partagée devant la violation de la sphère intime. L'individu n'est pas fondé de provoquer toutes les investigations qu'il désire (94). Sans doute ne lui est-il pas interdit de se servir des éléments de preuve que le hasard met sur son chemin. Mais là encore des

restric-tions. La connaissance que l'on a peut être licite mais pas son explo

i-tation en justice. Il en est ainsi des renseignements découverts dans une

lettre décachetée par erreur (95). Même dans son propre foyer, les pièces

trouvées sans recherches spéciales ou abusives, ne sont pas toujours

uti-lisables. L'infidélité d'un conjoint ne saurait, par exemple, être prouvée

par les brouillons de lettres tant qu'ils ne sont pas recopiés et envoyés

au destinataire (96). Si la jurisprudence écarte ces b1·ouillons alors

qu'ils matérialisent d'une manière non équivoque la pensée, c'est

parce qu'ils ne sont pas encore détachés de la personne de leur auteur (97).

Or, il s'agit là d'un élément commun avec le journal intime : Au fond, la jurisprudence assimile les brouillons aux journaux intimes en les

plaçant dans un domaine particulièrement réfractaire au droit des

preuves.

25. - Mais une telle résistance à la liberté des preuves serail-elle

encore légitime à notre époque où le souci de vérité semble dominer les objectifs de la justice ? L'évolution du droit ne va-t-elle pas jusqu'à di

s-puter la vérité à la pudeur:. ? (M• Roland Dumas.) Les réformes légis

-latives en matière de filiation (98), celles du divorce en sont les éloquents

témoins, «l'innocence, observe-t-on encore, ne redoute pas la

manifes-tation de la vérité» (99). Le droit ne peut cependant pas être plus

véri-dique que les sciences pures. Dans le conflit des paternités, par exemple,

(93) V. les notes de M. le doyen Carbonnier sous Trib. civ. Lille, 18 mars 1947. D. 47, p. 507 ; et sous Ca,ss. civ. 25 juillet 1949, D. 49, p. 585, adde M. Rouast, note sous Cass. civ. 29 juin 1965, D. 66, p. 20.

(94) Les juges ne sauraient ordonner l'audition d'un médecin pou1· constater l'affection syphilitique d'un conjoint, Cass. civ. 1•• mars 1972, D. 72, p. 439, ni imposer à une femme de se soumettre à des examens et des analyses destinés à

établir un éventuel état de grossesse, Corbeil (réf.) 5 juillet 1972, G. P. 1972. 2. 749 ; adde Vienne, 14 décembre 1967, G. P. et D. Tables 66-70, divorce n•• 99-100 (limites de la mission d'un huissier).

(95) Nantes, 2 mars 1911, G. P. T. Q. lettres-missives, 1907-1912, n• 39 ; Seine, 16 mars 1961, G. P. 61. 2, p. 168.

(96) Dax, 9 décembre 1897, G. P. 98. 1, p. 309 ; pour les brouillons envoyés au destinataire, v. Rouen, 13 novembre 1878, D. 80. 2, p. 190. Sur les brouillons qui dévoilent une correspondance antérieure entretenue avec un tiers, Civ. 12 juin 1963, B. n• 434, p. 322. Plus discuté le cas des lettres cachetées mais non encof\e envoyées, Nimes, 6 janvier 1880, D. 80. 2, p. 191. Certains brouillons échappent même au juge pénal, ainsi les brouillons de lettres adressées à l'avocat, Villey, note sous Cas s. ci v. 12 mars 1886, S. 87. 1, p. 89.

(97) Il est même jugé que le mari ne peut prétendre à la remise entre ses mains des projets de lettres rédigées à son intention et dépendant de la succession de ·sa femme, Seine, 13 ao1l.t 1881, G. P. 82. 1, p. 28.

(98) V. Pierre Reynaud, Droit civil des personnes et de la famille, la loi

du 3 janvier 1972 sur la filiation et la jurisprudence, Les cours de droit, 1976, p. 19 et s.

(99) Gebler, Le droit français de la filiation et la vérité, thèse Paris 1970,

(9)

16 MAGDI ZAKI

comme dans d'autres sujets, on pourrait dire avec Voltaire : «je vois clai -rement ce qui est faux et je connais très peu ce qui est vrai» (100).

26. - Bien plus, la vérité juridique est loin de ressembler à une pure

vérité scientifique (101). C'est souvent une vérité d'apparence, de vrai -semblance ou d'intime conviction (102) quand elle ne se trouve pas en

contradiction avec elle-même (103). Vérité dans la recherche de laquelle

le juge est lié par la volonté des parties (104) et obligé de taire ses

connaissances personnelles les plus directes (105). Ainsi les magistrats,

chargés de saisir la vérité, sont les premiers à ne pas avoir les mains entièrement libres de la faire éclater.

27.- Car la vérité en droit ne s'impose pas à tout prix et par n'importe quel moyen. Après la torture physique, la torture morale est à son tour proscrite. Si certaines preuves interdites le sont au service de la vérité (106), d'autres sont édictées pour satisfaire de multiples intérêts : sécurité, paix des familles, confiance dans l'exercice d'une profes-sion (107), etc ... La preuve n'est pas admise si elle entend, par exemple, mettre en cause un jugement ayant passé en force de la chose jugée

de sorte que les vérités juridiques absolues sont celles qui risquent le plus de recéler des contre-vérités irrécusables.

28. - La sphère privée ne rejette pas la preuve interdite. Elle en est, au contraire, un terrain d'élection. Ainsi l'exceptio veritatis est

irrece-vable lorsque les propos diffamatoires ont trait à la vie privée de la

victime (108). De même, à l'égard de la famille - monde clos, fermé et

intimiste - le législateur se garde souvent d'aller au fond des choses.

On comprend que, dans ces conditions, une liberté presque totale de preuve par le journal intime ne puisse recueillir tous les suffrages.

§ 2. - Tendance intermédiaire

29. - Du libéralisme précédent nous passons à une attitude

intermé-diaire. Des distinctions se font jour. Ainsi distingue-t-on selon le contenu

du journal, lequel comporte des faits et des sentiments. La preuve sera

libre à l'égard des sentiments, interdite concernant les faits. Telle est (100) Voltaire, Dictionnaire philosopltique, article : Nécessaire, éd. Garnier -Flammarion, p. 303.

(101) Sur l'oposition entre l'esprit scientifique et l'esprit juridique, v. Ripert,

Les forces créatrices du droit, Paris 1955, n• 15, p. 42 et s.

(102) V. Louis Lucas, Vérité matérielle et vérité juridique, in Mélanges,

R. Savatier, Paris 1965, notamment p. 587 et 893.

(103) Par exemple il y a plus d'une vérité en matière de simulation.

(104) Raynaud, Secret et procédure, Trav. Ass. Capitant, t. 25, 1974, D. 76,

p. 711 (713).

(105) Spendel, Jus. 1969, p. 467 ; NJW. 1966, p. 1103 ; Legeais, p. 184.

(106) Art. 205, alinéa 2 C. pr. civ. interdisant le témoignage des descendants

dans un procès en divorce ou de séparation de corps, Fontainebleau, 3 janv. 1977,

G.P., tor et 2 juin 1977, p. 17-18.

(107) Klug, 46 DJT. Bd. II. Teil F, p. 35.

(108) R. Pinto, La liberté d'opinion et d'information, contr6le juridictionnel et

contr6le administratif, Paris 1955, p. 154.

LA PREUVE PAR LE JOURNAL INTIME 17

la thèse adoptée par la Cour d'appel d'Amiens (109) (en sens inverse, nous le verrons, s'est prononcée la Cour fédérale allemande (110)). Voici le cas

présenté à la Cour française : un homme reproche à sa femme - dont il vit séparé - d'avoir cessé toute relation charnelle avec lui et cela depuis une vingtaine d'années. A l'appui, il invoque les aveux extra-judici.aires de l'épouse, les écrits intimes de cette dernière, écrits qu'il a

trouve_s dans des cartons abandonnés par elle au domicile conjugal où s'expnment une forte exaltation religieuse, une préférence pour la vir

-ginité, la chasteté, un détachement total du monde (111).

30. - Ce ne sont pas là les notes d'une simple solitaire mais d'une personne qui accentue sa solitude, qui la veut grande et absolue. Le

divorce que la Cour pt·ononçait, ne répondait-il pas à cet immense

besoin d'aller jusqu'au fond de la solitude ? L'épouse s'en était défendue,

en protestant contre la production de son journal en instance. Non en s'appuyant sur un quelconque secret. Mais au nom de la liberté de conscience. Les écrits produits, dit la défenderesse, ne touchent que sa vie spirituelle et ont donc un caractère confidentiel s'opposant à leur usage en justice. Telle ne fut pas la position de la Cour d'Amiens qui

s'est efforcée de distinguer les textes produits du journal intime. Ces textes affirme-t-elle, « .•. on peut les assimiler à un journal intime en ce

qu'ils livrent les pensées les plus secrètes de leur auteur, mais qu'ils en

diffèrent toutefois en ce qu'ils ne contiennent aucune référence aux menus

fai!s. de la vie courante et concernent uniquement la vie spirituelle et

rehgteuse de la dame ... ». Ce sont donc les faits plus que les sentiments qui

auraient permis aux écrits intimes d'échapper au droit, les menus faits quotidiens, les petits ennuis, le train-train journalier, l'insomnie, la constipation et les notes de blanchisseuse. On flaire là un paradoxe.

Certes, les sentiments, longtemps absents du code civil (112), en marge

du droit (113), tolérés tant qu'ils ne commandent pas (114), peuvent par -faitement servir de preuves. Ainsi, la paternité se déduit, par exemple,

de lettres (art. 340, C. civ.) dans lesquelles se manifeste l'affection du père pour l'enfant et la mère (115). On ne comprend pas pourquoi une

telle preuve serait retenue lorsque lesdits sentiments se trouvent exprimés

dans une lettre-missive et non dans un journal intime ? Mais d'un autre

(109) Amiens, 3 mars 1975, G. P. 75. 1. p. 276 ; D. 1975, p. 706 avec une note

critique de M. Yves Géraldy.

(110) V. infra,

n••

31 et s.

(111) V. Paris, 5 juin 1973, G. P. 1973, p. 465, note Barbier.

(112) La réforme du divorce du 11 juillet 1975 tient compte des sentiments

de l'enfant (art. 290 C. civ.), introduit la clause de dureté (ex. art. 238, al. 2, ·art.

240, 273, C. civ.).

(113) V. G. Cornu, Du sentiment en droit civil, Annales de la Faculté de Droit

de Liège, 1963.

. (114) V. ~as~. civ. 2 février 1972, D. 72, p. 295 (dans le mariage, le droit

Impose la fidélité et non l'amour) ; Gebler, op. cit., p. 315 : il n'y a pas de faute

à rompre des fiançailles n'ayant pas pour son partenaire des sentiments

suffi-samment forts.

(115) Cass. req. 28 avril 1938, D. H. 38, p. 436 ; Gebler, op. cit., p. 336 dans

la recherche de paternité naturelle, on a pu cependant attacher plus de 'crédit

à des lettres relatant des faits intimes (Montpellier, 31 oct. 1951, D. 51, p. 776)

qu'aux lettres de sentiments tendant à consoler la mère, à la conforter en lui

(10)

18

MAGDI ZAKI

côté, il peut y avoir dans la vie des hommes « des sentiments, des affec -tions, des épanchements que le respect de soi-même et des autres leur fait ensevelir dans le mystère» (116). Ce sont précisément des confi-dences d'ordre religieux adressées par un conjoint, dans une lettre, à un

prêtre, qui ont été rejetées des débats (11 7). Pourquoi écarter pareille

lettre et non le journal qui n'est destiné à personne ?

31.-En sens diamétralement opposé s'est prononcée la Cour fédérale

dans un arrêt célèbre (118). La preuve par le journal intime est interdite

à l'égard des sentiments et même à l'égard des faits. D'ailleurs, les pre -miers peuvent-ils exister sans les seconds ? «J'éprouve bien, dit Stendhal, que ce qui est sentiment pur ne laisse pas de souvenir» (119).

De cette interdiction fondamentale seraient exceptionnellement exclues les notes concernant des faits extérieurs, sans rapport avec la sphère de la

personnalité, les notes d'affaires, par exemple, ainsi que celles portant sur des délits et leurs victimes. Et encore ... Car dans un procès pénal, le jo ur-nal ne serait utilisable comme moyen de preuve que dans les cas extrêmes

de criminalité grave. A cet égard, l'arrêt allemand, loin d'être libéral, se range dans la tendance prohibitive, très prohibitive, de l'usage forcé en justice du journal intime.

§ 3. - Tendance prohibitive

32. - Aux journaux intimes, la Cour d'outre-Rhin a voulu assurer le maximum de protection en se fondant sur les articles 1"' et 2• de la

Constitution allemande qui garantissent l'inviolabilité de la dignité humaine et le droit au libre épanouissement de la personnalité. Ces

principes qui permettent d'écarter les bandes magnétiques des débats judiciaires doivent valoir à plus forte raison pour les notes intimes. La

preuve par le journal ne sera recevable que dans des cas limites, légitime

défense, poursuite d'un intérêt supérieur ou pour confondre de dange -reux criminels. Car, précise la Cour, ce qui est protégé par la Cons ti-tution, « c'est l'épanouissement et non la déchéance de la personnalité ». En dehors de ce cadre, la preuve par le journal intime est interdite, ainsi pour établir un délit sans gravité, un faux serment, par exemple.

33. - L'accueil de cette jurisprudence par la doctrine fut mitigé (120).

On en visait plutôt les motifs que les conclusions. Le BGH oppose la

(116) Paris, 10 décembre 1850, S. 50, 2. p. 625.

(117) Poitiers, 24 mars 1964, J. C. P. 64. IV. Ed. G. p. 108, Prieur, Juris. class.

civ. art. 245-247, n• 55.

(118) BGH, 21 février 1964, NJW. 1964, p. 1139 et s. avec une note de

M. Handel ; Heinitz, Die Verwertung von Tagebüchern als Beweismittel im Strafprozess JR. 1964, p. 441 et s. ; Dünnebier, zur Tagebzwhentscheidung des

Bundesgerichtshofs, M'DR. 1964, p. 965 et s. ; Sax, Uber die Zulassigkeit der

prozessualen Verwertung privater Tagebuchaufzeichnungen als Beweismittel, JZ. 1965, p. 1 et s. ; le rllipport de M. Karl Peters ·aux 46• DJT. Bd. 1. Teil 3,

A, p. 153 et s.

(119) Stendhal, Ecrits intimes, éd. Rencontre, Lausanne 1962, p. 424.

(120) V. Jescheck, 46• DJT. Berlin 1966, p. 50 (impression à part) et 46 DJT,

Bd. Il, Teil F, Berlin 1967, p. 171.

LA PREUVE PAR LE JOURNAL INTIME 19 déchéance à l'épanouissement de la personne. Mais alors où situer les

fleurs du mal, les chants de Maldoror ? Dans son œuvre, Sade s'est-il épanoui ou déchu ? (121) Et puis, si la légitimité de l'ingérence dans la

sphère intime dépend de la gravité du délit, il faudrait désormais admettre

que l'intérêt de l'Etat à poursuivre 'les délinquants est moindre dans les

petites infractions que dans les crimes (122). Enfin, il n'est pas sûr que

de l'interdiction des enregistrements clandestins comme moyen de

preuve, on puisse déduire celle du journal par un raisonnement a for

-tiori (123). L'enregistrement clandestin, dit-on, est en soi un acte déloyal

alors que le journal peut être trouvé sans fraude : la parole est faite pour

s'envoler, ce n'est pas le cas de la pensée écrite (124). Une conversation

retenue sur une bande peut être écoutée par un nombre illimité de

per-sonnes avec une intervention humaine minime, la simple pression sur un bouton suffit, cette intervention est plus grande dans la divulgation

d'un écrit : lecture à haute voix, tirage de photocopies, publications,

etc ... (125).

34. - Ceci étant, il n'en reste pas moins qu'à travers la décision

commentée, le BGH aspire à renforcer l'idée de la personne et la liberté

individuelle, la quête de la vérité dût-elle en souffrir.

35. - En France, est-on jamais allé aussi loin ? Il faut remonter jus -qu'au début du xrx• siècle, peu après le code civil. Là nous retrouvons un arrêt de la Cour d'appel d'Agen qui nous renseigne sur la jurispru -dence de l'époque (126). Voici les faits : Le sieur Tissèdre avait conclu avec son fils un contrat de vente portant sur différents immeubles. Après son décès, ses filles demandèrent l'annulation de la vente comme conte -nant une donàtion déguisée. A l'appui de leur prétention, elles invo -quèrent des lettres adressées par le père au fils et des notes écrites par

ce dernier sur un carnet lui appartenant. Ces documents ayant été

trouvés dans la rnaison familiale où Tissèdre fils les avaient laissés avant

son départ pour l'armée. La Cour d'Agen - npprouvant en cela un

premier jugement - écarte les lettres mais aussi et à plus forte raison le << carnet ou le livre journal qui étant écrit en entier de la main de Tissèdre, est l'expression de ses pensées, et conséquemment sa pro

-priété la plus sacrée ».

36. - Selon la Cour, les notes personnelles ne sauraient jamais être

utilisées contre leur auteur, «de quelque façon qu'elles soient parvenues

entre les mains de ses adversaires ». Voilà une interdiction de preuve

énergique, interdiction qui est générale et absolue. Elle est absolue puisque les textes ne peuvent en aucun cas être produits sans le consente

-(121) Dünnebier, op. cil., p. 968 ; Sax, op. cit., p. 2. (122) Sax, ibid., p. 3.

(123) Spendel, NJW. 1966, p. 1107, cf. la note de M. Handel, op. cit., p. 1140

et la réponse de Dunnebier, op. cit., p. 966.

(124) BGH, 20 mai 1958, NJW. 1958, p. 1344.

(125) Kühne, Strafprozessuale Beweisverbote und Art. 1, 1 Grundgeselz,

Saarbrücken 1969, p. 63, on v•erra plus tard (v. n• 54) que d'autres points de dissemblance entre le journal et l'enregistrement rendent l'interdiction de

preuve plus intense à l'égard du premier qu'à l'égard du second.

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