POUR CITER CET ARTICLE, UTILISER L’INFORMATION SUIVANTE :
Mimeault, Mario (2013). «La péninsule gaspésienne, 1530-1760» dans Yves Frenette, Étienne
Rivard et Marc St-Hilaire (dir.), La francophonie nord-américaine. Québec: Les Presses de
l'Université Laval (coll. «Atlas historique du Québec»). [En ligne]:
https://atlas.cieq.ca/la-francophonie-nord-americaine/la-peninsule-gaspesienne-1530-1760.pdf
Tous droits réservés. Centre interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ)
Dépôt légal (Québec et Canada), 2013.
ISBN 978-2-7637-8958-3
Par Mario Mimeault
La Gaspésie, un espace maritime
parfaitement adapté
La Gaspésie s’étend entre le f leuve
SaintLaurent au nord, le golfe du
même nom à son extrémité est et
la Baie des Chaleurs du côté sud.
Son littora l s’éta le sur 645 k m et
don ne accès à u ne cont rée i nté
r ieu re de 53 0 0 0 k m c a r ré s. Son
i ntérê t pou r le s pêcheu rs ré side
dans la possibilité de jeter l’ancre à
la bordure du continent. Les anses
profondes et les vallées échancrées
de MontSaintPierre, MontLouis
et L’AnsePleureuse présentent tout
particulièrement des facilités d’ins
tallations saisonnières. Le sud de la
Gaspésie, également favorable à l’im
plantation, sera cependant jugé trop
éloigné de la ressource halieutique.
Ajoutons que les bancs de sable accu
mulés à l’embouchure des rivières sont
pour les pêcheurs à la morue un lieu
propice au débarquement et à l’apprêt
du poisson. Les graves, ces plages
couvertes de galets sur lesquels il ne
restera qu’à étendre la morue évidée
pour la faire sécher, ne manquent pas.
À ces atouts s’ajoute la proximité des
bancs de pêche, comme ceux de Mis
cou, Parent et des Américains, situés à
20 kilomètres des côtes.
Premières mentions
Les marins européens ont d’abord
mis le pied à terre à l’extrémité est de
la Gaspésie, entre CapdesRosiers
et Capd’Espoir. Privilégiée tout au
cours du
xviesiècle par les armateurs
bayonnais, ceuxci l’identifient dans
les années 1570 à 1600 aux « îles de
Gachepé », certains diront « les îles
Percées ». Plus précisément, ils dési
gnaient de ce nom l ’ensemble des
terres et rochers émergés que forment
l’île Bonaventure, le Rocher Percé et
l’île Plate, tous regroupés à proximité
de Percé. On ne sait trop à l’époque
si la péninsule fait partie de Terre
Neuve, de l’Acadie ou du Canada.
« L’Acadie, écrivent les Jésuites dans
leur Journal de l’année 1659, est cette
pa r t ie de la Nouvel leFra nce qui
regarde la mer, et qui s’étend depuis la
NouvelleAngleterre jusqu’à Gaspé. »
En 1664, quand les armateurs du Noir
de Hollande envoient leur navire à
« la Grand Baye », comme au temps
de Jacques Cartier, celuici va en réa
lité jeter ses filets à Gaspé. Un autre
marin, Pierre Allaire, français celuilà
et capitaine de La Marguerite de La
Rochelle, part la même année « pêcher
au poisson sec à la côte d’Acadie en
la Grand Baye ». Encore en 1742, les
autorités françaises écriront que le
capitaine Foulque, de SaintJeande
Luz, a coutume d’envoyer tous les ans
un navire « à la pêche de la côte de
Terre Neuve dans les ports voisins du
Cap d’Espoir », en fait juste à l’entrée
de la Baie des Chaleurs.
Le golfe Saint-Laurent, un monde
hautement convoité
Le mandat de Jacques Cartier a été de
signifier l’implantation du fait français
sur les terres situées audelà de la Baie
desChâteaux (détroit de BelleIsle).
L’H i s t o i r e d e L a f r a n c o p H o n i e n o r d-a m é r i c a i n e d é b u t e e n ga s p é s i e, c e t t e p é n i n s u L e s i t u é e e n t r e L e sa i n t- La u r e n t e t L’ at L a n t i q u e : u n e p o s i t i o n s t r a t é g i q u e, e t q u i, a s s o c i é e a u x r e s s o u r c e s H a L i e u t i q u e s a b o n d a n t e s, e x p L i q u e L’o c c u p a t i o n p r é c o c e d e L a r é g i o n 1 , 2.La péninsuLe gaspésienne,
1530-1760
Par Mario Mimeault
Le s p r e m i e r s f o y e r sd e p e u p L e m e n t, 16 0 4 -176 3 Ch a p i t r e 1
La pêcHeàL amoruedansLe gr and bance tLes côtesde terre-neuve, vers 1827 [dé taiL]
Paolo Fumagalli, d’après Giuseppe Bramani, d’après Nicolas de Fer. Musée national des beaux-arts du Québec, 1955-543
vuedeL abaiede gaspédansLegoLfe du saint-Laurent, 1760 [dé taiL]
Thomas Jeffery. Bibliothèque et Archives Canada, 1997-2-3
Source : Mimeault, 2002
Laf r a n c o p h o n i en o r d-a m é r i c a i n e 2 6
L’expédition de Giovanni Verrazano
en avait confirmé l’existence en 1524
et attachait à sa partie septentrionale
un toponyme sans équivoque quant
aux intentions du commanditaire, la
Nova Francia. Cartier mit à profit une
heureuse traversée de vingt jours pour
pénétrer plus avant dans la mer inté
rieure qui s’ouvrait devant lui, plantant
quelques semaines plus tard sa croix
à Gaspé, découvrant au passage que
d’autres marins l’avaient devancé. Les
quelque cinquante mots recueillis par
l’envoyé de François I
erne contiennent
ils pas trois ou quatre termes basques
bien identifiés ?
Plusieurs ports de mer européens
avaient envoyé leurs navires avant
cette expédition. Bartholémée de
Montauser, marchand de Bayonne,
ne demandetil pas la permission
d’armer ses bateaux pour le Nouveau
Monde dès 1527 ? Ces morutiers basques
se rendent sans doute à BlancSablon,
au x Isle t te s ou à But u s , d a n s le
détroit de BelleIsle, mais ils n’y sont
pas les seuls. En ce début de siècle, il
apparaît, en effet, que les marches du
golfe SaintLaurent sont partagées
par toutes les puissances maritimes
de l’Europe, les ressources halieu
tiques attirant les convoitises et la
concurrence, et tout particulièrement
la morue. C’est ainsi qu’Espagnols et
Portugais ont tenté, avec l’appui du
pape Alexandre VI, de se réserver en
Lesprincipauxé tabLissementsdepêcHedansLegoLfedu saint-Laurent, vers 1750Sur la côte de Gaspé, fréquentée
par les morutiers dès le premier quart
du
xviesiècle, la pêche sédentaire
conduit à la mise en place
d’établis-sements permanents sur tout le
littoral au
xviiesiècle. Situés dans
les anses bien abritées à proximité
des bancs de morues, ils reçoivent au
départ les équipages venus de France.
Des pêcheurs de la vallée du
Saint-Laurent se joignent à eux à partir de
la fin du
xviie, contribuant à asseoir
le peuplement de la péninsule avant
que l’armée britannique, en route vers
Québec, ne rase les établissements
existants en 1758.
Pratiquée au tournant du
xviesiècle, la pêche
hauturière dans le golfe amène annuellement son
contingent de vaisseaux portugais, espagnols,
anglais et français. Basques et Bretons installent
des premiers établissements de pêche sédentaire
dans le détroit de Belle-Isle dès les années 1520.
L a p é ninsule ga sp é sie nn e, 1530 -1760 2 7
1494 les richesses naturelles de ces
terres neuves. Les limites tracées par
le Traité de Tordésillas excluaient les
Français des bancs poissonneux de
l’Atlantique Nord, attribués à ses deux
voisins du sud.
Le poste de Brest, implanté depuis
peu dans le détroit de BelleIsle, tra
duit par sa dénomination le choix des
Bretons pour l’entrée nord du golfe
du SaintLaurent. Rappelons que ces
marins pêcheurs ne sont d’allégeance
française qu’à partir de 1532 et que,
par le fait même, ils ont précédé l’en
voyé de François I
er. Preuve de voyages
antérieurs aux années 1530, deux équi
pages, ceux de La Catherine de Bénic et
de La Marguerite de Pornic, réclament
de leurs armateurs des droits sur du
poisson capturé en Amérique pendant
la campagne de 1523. Ils s’y livraient
à une pêche nouvelle, dite côtière ou
« sédentaire », parce que faite à partir
d’un établissement fixe. Les Rochelais
les accompagnaient dans l’aventure :
Cartier en a croisés en 1534, et Jean
Le Moyne sillonnait ces eaux onze
ans auparavant. Les gens de Bordeaux
n’étaient pas en reste, montant plus de
deux cents expéditions de pêche entre
1560 et 1580.
D’autres morutiers, portugais et
espagnols, s’en tiennent à la pêche
hauturière. Ils font une morue dite
verte, à peine évidée et mise en sau
mure dans un boucault. Ils ne quittent
les grands bancs que pour réparer
leurs avaries. Le sieur JeanFrançois
de La Rocque de Rober val trouve
plusieurs de leurs équipages en rade à
SaintJean de TerreNeuve en 1542. Les
Anglais arrivent pour leur part dans
le premier quart de ce siècle. Moins
nombreux, leurs navires compensent
ce handicap par une capacité de charge
souvent importante. Plus tard, dans
les années 1590, ces mêmes marins se
heurtent à des équipages basques et
bretons installés sur les plages des Îles
de la Madeleine.
La sédentarisation
des pêcheurs français
On a pu établir grâce à des statistiques
colligées dans les archives des ports
de France que les marchands et bour
geois locaux ont, pour toute la durée
du Régime français, commandité plus
de huit cents voyages de pêche séden
taire à destination de la Gaspésie. De
ce nombre, 294 navires avaient leur
port d’attache en Normandie, 214 en
Bretagne et 124 au Pays basque. Loin
d’être exhaustive, la cueillette de ces
données se veut tout au plus indicative
d’un courant maritime tourné vers
la pêche à la morue depuis le milieu
du
x v iesiècle jusqu’au milieu du
xviiie
siècle. Elle présente cependant
Pour la préparation du poisson, on utilise des structures faites de billes de bois plantées dans le sol et couvertes
d’un plancher ajouré. L’ensemble de la structure est surmonté d’une toile afin de protéger les travailleurs du soleil.
Des étals placés au bout de l’échafaud permettront d’apprêter le poisson. S’ajoute, tout près, une salière où l’on
couvrira de sel la morue désossée, le temps de lui faire perdre son eau. Des appareils, ou ustensiles dans le langage
marin, sont aussi préparés pour laver le poisson, recevoir les foies de morue et en extraire l’huile.
La pêcHeàL amoruedansLe gr and bance tLes côtesde terre-neuve, vers 1827
Paolo Fumagalli, d’après Giuseppe Bramani, d’après Nicolas de Fer. Musée national des beaux-arts du Québec, 1955-543
Laf r a n c o p h o n i en o r d-a m é r i c a i n e 2 8
l’avantage d’attribuer un ordre de
grandeur correspondant à une pré
sence bien identifiée en région.
S elon c e t te l i ste, le s por t s qu i
envoient le plus de mor ut iers en
Gaspésie sont ceux de Granville et
de SaintMalo avec, respectivement,
280 et 214 navires connus. Les tra
versées de ces équipages ont surtout
lieu pendant les 40 dernières années
du Régime français. Ainsi, abordent
ils puis occupentils les principaux
havres de la « côte de Gaspé », un terme
générique pouvant tout aussi bien
signifier les baies de Gaspé, de Percé,
de GrandeRivière ou de Pabos. Pour
leur part, les capitaines de Bayonne
(55) et de SaintJeandeLuz (41),
mais aussi du Pays basque dans son
ensemble (28 voyages d’origine indé
terminée), concentrent à partir des
années 1720 leurs efforts à l’entrée de
la baie des Chaleurs. Il apparaît pour
tous ces ports que, après la signature
du traité d ’Utrecht en 1713, leurs
armateurs trouvent dans la pénin
sule tous les espaces voulus et une
tranquillité propice à leurs projets de
pêche sédentaire.
Chacun de ces équipages quitte ses
quartiers au printemps pour aborder
le littoral gaspésien au mois de mai,
et si possible avant. Plus d’hommes
sont impliqués ici que sur les bancs.
Un navire de deux cents tonneaux,
raconte Nicolas Denys, entrepreneur
en pêche et seigneur de toutes les côtes
de la NouvelleFrance de 1653 à 1687,
exige vingtcinq pêcheurs en mer alors
qu’en pêche sédentaire il en transporte
cinquante. Le premier part pour six
mois environ, alors que le second res
tera à terre pendant huit à neuf mois.
Ce personnel et ce temps sont néces
saires parce qu’il faut préparer des
installations élaborées pour ce type de
pêche et que les opérations de trans
formation, plus complexes, demandent
une maind’œuvre spécialisée.
Dès le début de la saison, on s’at
taque à la construction de quais ou
échafauds pour assurer le débarque
ment et la préparation du poisson.
À terre, le capitaine fait construire
des logements pour ses officiers et
ses hommes. Le ma ît reva let, ou
cuisinier, supervise l’érection de ses
quartiers avec l’aide du chirurgien, qui
envoie les garçons de grave chercher
le bois nécessaire en forêt. La pré
paration des graves est aussi assurée
par les enfants. Pendant ce temps, les
charpentiers montent les chaloupes
amenées en pièces détachées ou bien
érigent des vigneaux sur les grèves. Les
pêcheurs préparent leurs agrès et font
provision d’appâts.
Chaque poste de pêche se voit ainsi
doté d’installations coûteuses et lon
gues à monter. Il se peut même que
deux ou trois équipages aient leur
propre site de transformation côte à
côte. Aussi, y laisseraton à l’automne
un ou deux équipiers pour surveil
ler le poste pendant l’hiver et s’en
assurer la propriété au printemps. Le
retour au travail pourra susciter des
rivalités voire même des accrochages
sérieux, comme il y en eut sur les
graves de Percé entre Bretons, Basques
et Normands dans les années 1680,
mais on a vite trouvé les ajustements
nécessaires. Le gouvernement français
détermine par une Ordonnance de la
Marine en 1681 des règles de partage
des graves et réserve une zone côtière
aux morutiers français de manière à
assurer un territoire suffisant à leurs
opérations. Celuici correspond en
gros à la côte dite de Gaspé. Le reste
de la péninsule peut être cédé aux
entrepreneurs et seigneurs canadiens
ou même loué de ces derniers moyen
nant des redevances préétablies. Cinq
ans plus tard, l’intendant Jacques De
Meulles, de passage à Percé, renforcera
les précédentes dispositions royales en
décrétant le premier code de travail du
monde halieutique canadien.
L’incidence sur le
peuplement gaspésien
La régularité et l’intensité de cette
migration de travailleurs ont eu des
incidences sur le peuplement de la
Gaspésie, comme pour celui de la
NouvelleFrance d’ailleurs. Nombre
d’immigrants ont traversé l’Atlan
tique à la faveur des activités de pêche,
que ce soit sur leur initiative ou par
le biais d’agents recruteurs. Une fois
leur passage acquitté en travaillant
comme garçons de grave, ces nou
veaux arrivants ont gagné en majorité
la vallée laurentienne. Par exemple,
les demandes de liberté au mariage
pour les années 1757 à 1763 montrent
que ceux venus au Canada par cette
filière, environ 6 % des requérants,
sont demeurés en Gaspésie pendant
huit à dix ans avant de se fondre à la
masse des coloniaux (Roy, 19511952 et
19521953). La Gaspésie a profité ainsi
d’une maind’œuvre jeune, apte à se
marier quand l’occasion se présentait,
et suffisamment stable pour poser les
bases d’une économie régionale.
Des Français antérieurement établis
à Louisbourg alimentent un second
courant d’immigration. Quand les
aires de pêche ne suffisent plus autour
de l’île Royale, les Joseph Caillabet,
Jean Barré, JeanFrançois Lefebvre
de Bellefeuille ou le sieur de Lasenne
remontent vers le banc des Orphelins
et rejoignent leurs compatriotes de la
côte de Gaspé. Les registres de bap
têmes, mariages et sépultures de la
Gaspésie ainsi que divers documents
notariés permettent de chiffrer dans
les années 1750, pour le seul secteur de
GrandeRivière, PortDaniel et Pabos,
le nombre de résidants à quelque
deux cents.
La pêche, industrie canadienne
À partir des années 1710, les Cana
diens se montrent de plus en plus
i ntéressés à la Ga spésie et à son
potent iel ha l ieut ique. Pêcheu rs ,
ma ît res de nav i re ou de ba rque,
marchandsprêteurs ou marchands
forains, entrepreneurs et seigneurs,
tous contribuent dans la mesure de
leurs possibilités à créer un espace
commercial maritime en continuité
avec leurs prédécesseurs européens.
Cet espace n’est pas seulement géo
graphique, mais aussi économique,
social et professionnel. Il s’agit pour
eu x non seu lement de cer ner u n
territoire, mais encore de l’habiter,
de l ’organiser et d ’en assurer une
exploitation rationnelle.
Les postes de pêche qu’ils érigent
un peu partout sur la ceinture gas
pésienne se veulent à l’exemple de
ceux antérieurement développés par
les pêcheurs venus d’Europe. Habi
tés à l’année, certains montrent une
grande vitalité, notamment celui des
Lefebvre de Bellefeuille à Pabos, dont
les trente années d’existence confir
ment par ellesmêmes sa rentabilité.
Commencée en 1729, seule la guerre
de la Conquête jettera cette entre
prise familiale par terre. Les critères
L a p é ninsule ga sp é sie nn e, 1530 -1760 2 9
qui déterminent l’établissement de
ces postes sont les mêmes que ceux
établis par les gens du Vieux Conti
nent et l’Ordonnance de la Marine
de 1681. La proximité du banc des
Orphelins et la disponibilité des lieux
de séchage entre GrandÉtang et Cap
desRosiers font de la partie nord du
littoral gaspésien un lieu privilégié par
les Canadiens. Ces derniers gagnent
aussi la Baie des Chaleurs où Pierre
Haimard, un marchand de Québec,
acquiert la seigneurie de Paspébiac.
Un Acadien, Jacques Cochu, se fait
concéder celle de GrandeRivière et
deux de ses beauxfrères, René Deneau
et Charles Morin, originaires comme
lui de Beaubassin, se font respective
ment accorder celles de PortDaniel et
de Cloridan.
Une société en gestation
Le bon fonctionnement d’un poste
de pêche dépend en outre de struc
tures bien établies, à commencer
par les échafauds, mais le cœur de
l ’ ét abl issement demeu re la rési
dence de l’entrepreneur. C’est une
construction plus imposante que les
autres. Il se peut que celle construite
par Denis R iverin au MontLouis
en 1699 ait été en pierre, puisqu’il y
avait des maçons parmi ses employés.
Selon une tradition orale, et trans
crite dans les registres de 1’endroit
après la Conquête, la demeure de
Michel Mahiet, le dernier seigneur de
l’endroit, était de briques. La maison
de Pierre Revol à Gaspé, telle que la
montre une gravure de 1758, se com
pare à toutes celles de la basseville de
Québec. Confortables, ces habitations
permettent au x entrepreneurs de
demeurer sur leur domaine avec leur
famille. À l’opposé, les conditions de
logement des travailleurs de la base
sont bien différentes. Ces derniers
disposent de maisons plus modestes,
faites de planches, mais habitables à
l’année, puisque déjà à cette époque
des familles ont pris souche sur les
côtes gaspésiennes.
L e s s e i g ne u r s g a s p é s ie n s s ont
l’exemple type d’entrepreneurs dont la
présence permanente sur les lieux de
travail est de nature à leur attirer plus
facilement une maind’œuvre, mais
ce n’est pas une condition nécessaire
au succès de l’entreprise. Dans un cas
comme dans l’autre, toute une gamme
d’emplois attend les travailleurs sur
place. Au sommet de la hiérarchie se
trouve un maître de grave, en quelque
sorte un gérant ou chef des opérations.
Son choix doit s’avérer judicieux, car
de cet homme dépend la qualité de la
morue et sa valeur marchande. Sous
ses ordres immédiats, un commis
assume la comptabilité du magasin,
note la production quotidienne des
pêcheurs et enregistre le départ des
s to c k s de mor ue . Pa r foi s , i l e s t
avantageux pour le seigneur ou l’entre
preneur d’installer un fermier sur son
fief. C’est que, dans un contexte où
la NouvelleFrance subit les assauts
répétés de disettes, l’autosuffisance
alimentaire revêt une importance
capitale. Sont aussi requis des char
pentiers pour construire ou réparer les
chaloupes, fabriquer des barils pour
récupérer l’huile de foie de morue et
entretenir les habitations. Les tâches
reliées à la transformation de la morue
occupent une population aux métiers
les plus divers, des trancheurs, des
décolleurs, des saleurs, des garçons de
grave, etc. Les entrepreneurs canadiens
retiennent leurs services sur une base
saisonnière (exceptionnellement pour
L apêcHeàL amorueà percé, L’é tabLissementde p. denysdeL a ronde e tLesinstaLL ationsdesmé tropoLitains, 1686L. J. de Meulles. Bibliothèque nationale de France, Département des cartes et plans, Service hydrographique, portefeuille 125, division 5, pièce 1, cliché C. 1598
Parmi les artefacts découverts lors
des fouilles sur le site de Pabos figure
une grande quantité d’hameçons et
de fragments de pots en terre cuite.
Laf r a n c o p h o n i en o r d-a m é r i c a i n e 3 0
En résumé, l’occupation du territoire gaspésien s’est faite en trois temps. Il
y a d’abord eu, de 1530 à 1672, une occupation saisonnière des pêcheurs
européens marquée par le retour des intéressés à leur port d’attache, en
Europe. Puis, peu à peu, de 1672 à 1713 environ, certains d’entre eux ont pris
racine en Amérique et mis sur pied des entreprises appuyées à moitié sur une
main-d’œuvre européenne et à moitié sur une main-d’œuvre coloniale. Suit la
troisième phase d’occupation, de 1713 à 1758, où les habitants de la
Nouvelle-France créent leurs propres entreprises. S’appuyant souvent encore sur une
expertise européenne pour encadrer leur personnel, ils posent quand même
les bases d’une industrie nettement canadienne, donnant du même coup une
impulsion à un peuplement en train de prendre forme.
En 1760, l’ensemble de la population établie en Gaspésie devait avoisiner les
mille individus, éparpillés entre Mont-Louis, Gaspé et le fond de la baie des
Chaleurs. D’origines diverses, tant canadiennes, bretonnes, normandes que
basques, ils seront les premières victimes de la Conquête. à ceux-là,
s’ajou-teront les quelque trois cents ressortissants acadiens réfugiés à Ristigouche
en 1760.
une année complète) et scellent leur
engagement devant un notaire.
La population résidante peut se pro
curer ses agrès de pêche et ses vivres
aux magasins des seigneurs locaux
« à un prix qui a cours sur la côte de
Gaspé ». Les achats à crédit, comptabi
lisés pendant toute la saison de pêche,
sont acquittés à la f in de 1’été en
morue « bonne, loyale et marchande »,
un poisson de première qualité. Dans
les établissements de moindre enver
gure, les pêcheurs s’approvisionnent à
des conditions semblables auprès des
marchands forains.
Dans les postes les mieux établis,
on retrouve également des mission
naires résidents et des lieux de culte.
Dans les années 1740, les habitations,
le magasin, la chapelle, les bâtiments
utilitaires, les échafauds, toutes ces
constructions donnent à cer tains
points de la côte gaspésienne une allure
de petits villages. N’y vivent que des
gens impliqués directement dans les
pêches. L’entreprise de Michel Mahiet
au MontLouis en 1758 fournit une
bonne idée du personnel requis par un
tel poste. On pourrait citer aussi le cas
des Lefebvre de Bellefeuille à Pabos.
vuese tartefac tsdesfouiLLessurLesite arcHéoLogiquede pabos
Site historique et archéologique de Pabos
CI-DESSuS
un puit servant à fournir
de l’eau douce aux pêcheurs mis au jour
dans la baie du Grand Pabos.
à DROITE
Sur l’île Beau Séjour furent
retrouvées les fondations empierrées du
foyer de la maison seigneuriale.
N O T E S
La péninsule gaspésienne,
1530-1760
1. Cet article s’appuie sur les travaux de l’auteur et ceux de plusieurs autres dont Auger, Fitzgerald et Turgeon (1992), Biggar (1911), Blanchard (1935), Desjardins, Frenette
et al. (1999), Laverdière et Casgrain (1871),
Le Blant et Baudry (1967), Leclercq (1999), D’Entremont (1982), Innis (1954), et Roy (19511953).
2. L’auteur tient à souligner l’aide appor tée par Yolaine Sirois dans la rédaction de ce travail et lui fait part sa reconnaissance. Il a imera it aussi ex primer sa g rat itude envers Yves Frenette dont les observations ont permis de donner au contenu de cet article toute la rigueur qui convient à une telle présentation.
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