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Locus Ecclesiae : passion du Christ et renouveaux ecclésistiques dans la peinture murale des Pyrénées françaises : les styles picturaux (XIIe s.)

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Academic year: 2021

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RESUME FRANCAIS

Le premier chapitre de la thèse prend en considération le style des peintures murales du XIIe siècle à Toulouse, en Comminges, en Couserans, en Carcassonnais et en Roussillon. Chaque œuvre est analysée de manière comparative avec les autres œuvres de la même région. Dans la conclusion, on propose de reconnaître l’existence d’au moins trois – peut-être quatre – centres de production de peinture murale, qui exercent leur influence sur la production de la région. La ville de Toulouse se présente comme une véritable capitale régionale en matière de peinture murale. La découverte d’une inscription qui permet de dater une partie des décors de Saint-Sernin à l’année près constitue l’acquis majeur de cette partie. Le deuxième chapitre est consacré à l’analyse de l’iconographie de la Passion du Christ dans les peintures de Saint-Sernin de Toulouse, Saint-Plancard et Montgauch. L’on étudie ici les valeurs ecclésiales et le thème de la renovatio dans l’iconographie de la Passion. L’étude explore aussi la notion de « lieu rituel » et la fonction spatiale des peintures dans l’édifice. Elle propose d’identifier des réaménagements du lieu selon l’exhibition d’un discours portant sur l’identité religieuse et l’autorité temporelle de l’Église, en coïncidence avec différentes facettes de la Réforme au XIIe siècle, dont l’étude a retrouvé certaines sources écrites. La troisième partie de la thèse est occupée par « le corpus des oeuvres », base documentaire de notre travail comportant les données historiques, architecturales, techniques, épigraphiques et bibliographiques de chaque œuvre.

RESUME ANGLAIS

The first chapter of the dissertation takes into consideration the style of mural painting in Toulouse, Comminges, Couserans, Carcassonnais and Roussillon. Each work is studied in a comparative way with the other paintings of the same region. In the conclusion, we propose to recognise the existence of at least three – maybe four – centres of production of mural painting, influencing the production of the region. The city of Toulouse represents a real capital for the region in terms of mural painting. The discovery of an inscription that dates a part of the paintings of Saint-Sernin is the major result of this part.

The second chapter is devoted to the analysis of the iconography of Christ’s Passion in the mural paintings of Saint-Sernin of Toulouse, Saint-Plancard and Montgauch. The enquiry explores the ecclesiastical values and the theme of renovatio in this iconography, as well as the notion of “ritual place” and the spatial function of the paintings in the building. It identifies the redevelopment of places according to the exhibition of a speech on the religious identity and the temporal authority of the Church. These meanings coincide with different aspects of the XIIth century Reform, evidenced by unpublished sources.

The third part of the dissertation is the “corpus”, a documentary base for the whole enquiry composed by information on the historical background, the architecture, the paintings’ techniques, and the epigraphic data of each work.

MOTS-CLES

1 Moyen Age 5 Iconographie

2 Histoire 6 Épigraphie

3 Peinture murale 7 Liturgie

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Locus Ecclesiae

.

Passion du Christ et renouveaux ecclésiastiques

dans la peinture murale des Pyrénées françaises.

(3)

TABLE DES MATIÈRES

Remerciements ... 5

I. INTRODUCTION ... 7

Problématiques et introduction... 7

Etat de la question historiographique ... 14

Le contexte historique pyrénéen... 19

II. LA PEINTURE MURALE ROMANE DES PYRÉNÉES FRANÇAISES : ÉTUDE STYLISTIQUE ... 33

Les décors peints de Saint-Sernin de Toulouse (XIIe s.)... 34

La peinture murale en Comminges et en Couserans... 67

Les traditions roussillonnaises... 107

La peinture murale dans le diocèse de Carcassonne... 132

Styles, ateliers et commanditaires dans la peinture monumentale du nord pyrénéen ... 141

La première moitié du XIIe siècle ... 141

Des langages picturaux entre koinè et particularismes locaux... 142

Les centres de production ... 147

La seconde moitié du XIIe siècle ... 157

La synthèse des styles dans les peintures tardives ... 157

Les centres de production ... 161

III. LA PASSION DU CHRIST DANS LES PEINTURES MURALES DE TOULOUSE, DU COMMINGES ET DU COUSERANS ... 167

La peinture murale à Saint-Sernin vers 1100-1100 ... 168

De nouvelles peintures dans la nef de Saint-Sernin vers 1117-1118... 180

Le décor peint de la travée de la Résurrection de Saint-Sernin ... 186

Les deux décors de Saint-Plancard... 217

Le programme peint de Montgauch... 241

Passion du Christ et lieux de renouveaux ... 264

La peinture de l’église et la naissance de l’Ecclesia... 266

Restauration picturale et réforme monastique ... 267

La travée peinte : une nouvelle procédure... 268

Peinture et Hagiographie en Comminges entre réforme et tradition ... 271

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IV. LE CORPUS DES OEUVRES... 277 Arles-sur-Tech... 278 Casenoves... 285 Estavar ... 290 Fenollar... 294 La Clusa... 305 Marcevol... 307 Montgauch... 309 Riquier ... 316 Saint-André de Sorède... 318 Saint-Genis-les-Fontaines... 320 Saint-Lizier... 322 Saint-Martin-des-Puits... 330 Saint-Plancard ... 335 Saint-Polycarpe ... 347 Saint-Sernin de Toulouse ... 355 Vals ... 372 V. ANNEXES ... 382

Index des personnes et des lieux... 383

Abréviations bibliographiques ... 387

Sources manuscrites ... 387

Sources imprimées ... 390

Etudes diverses ... 395

Liste des illustrations et crédits photographiques ... 441

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REMERCIEMENTS

Cette étude est le fruit d’un travail mené dans le cadre d’une recherche universitaire de type doctoral. Avant de m’engager dans l’exposition, je souhaiterais exprimer ma profonde gratitude envers tous ceux dont l’aide et la bienveillance ont rendu possible l’achèvement de ce travail.

Dans la sphère académique, ma reconnaissance va avant tout à Serena Romano (université de Lausanne) et Eric Palazzo (université de Poitiers), qui ont suivi et dirigé mes recherches en me faisant bénéficier de leur précieuses suggestions tout au long de ce parcours. Un vif remerciement est adressé également à Marcello Angheben, responsable du groupe « Peintures murales » de l’université de Poitiers, qui a accepté la tâche ingrate de lire les premières mises à l’écrit et m’a encouragée à m’engager dans l’étude de terrain en effectuant un stage au Centre d’Études Médiévales d’Auxerres. Ce stage m’a permis de m’introduire à la technique du relevé archéologique (sculptures et peintures murales), que j’ai pu ensuite pratiquer dans une campagne CNRS de relevés des peintures murales, dans la crypte de Saint-Nicolas de Tavant (Indre-et-Loire). Je souhaiterais également remercier Carlos Castillo, qui a guidé ce stage et mes activités dans la campagne de Tavant, et qui m’a fait bénéficier de ses précieux conseils dans l’examen des peintures de Saint-Sernin. Marcello Angheben m’a en outre facilité le contact avec les restaurateurs en charge du chantier de restauration des peintures de Saint-Savin-sur-Gartempe (printemps 2007). Je remercie tout particulièrement Brice Moulinier, restaurateur en chef, qui m’a permis une vue rapprochée des peintures de la voûte de Saint-Savin et m’a fait bénéficier de son savoir irremplaçable. Ces expériences « archéologiques » m’ont permis d’enrichir considérablement mes recherches.

C’est également dans ce sens que je souhaiterais remercier Jean-Marc Stouffs, auteur de la restauration des peintures de Notre-Dame de Vals (Ariège), qui m’a laissée monter à plusieurs reprises sur les échafaudages pour suivre le processus de restauration durant l’année 2006-2007. Les peintures de Vals font partie du corpus des œuvres du présent travail.

Lors de mes séjours au Centre d’Études Supérieures de Civilisation Médiévale à Poitiers, Aurélia Bolot, Cécile Voyer, Robert Favreau et Vincent Debiais m’ont apporté leur précieuse assistance.

A la Direction Régionale des Affaires Culturelles de Toulouse, Bertrand Doucourau, conservateur des Monuments Historiques, m’a été d’une aide irremplaçable pour

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l’étude des peintures toulousaines. Ses interventions bienveillantes ont été à l’origine de la mise en place de deux campagnes photographiques sur les peintures de Saint-Sernin. Elles m’ont en outre facilité l’accès aux tribunes de cette église.

Je remercie également le personnel du Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques, à Paris, Séverine Soubsol et Pierre Gastou, des Archives Municipaux de Toulouse, qui m’ont facilité l’accès à des documents essentiels, ainsi que Jane Baus, propriétaire de l’église du Mas Riquier, l’organiste Jean Spelle, le maire René Ala et l'Abbé Hennecart d’Arles-sur-Tech, qui m’ont autorisée à monter dans la tribune de l’abbaye afin d’effectuer une critique d’authenticité des peintures.

Sur le versant espagnol, des remerciements touts particuliers sont adressés à Manuel &DVWLxeiras, ancien responsable du département d’art roman du Museu Nacional d’Art de Catalunya, qui a suivi mon travail avec compétence et discrétion, m’a fait bénéficier de suggestions stimulantes et m’a aidée à maintes reprises tout au long du stage effectué dans cet établissement durant l’année 2008-2009. Je remercie en outre chaleureusement les autres membres du département : Montserrat Pagès, spécialiste de la peinture murale romane catalane, pour sa disponibilité sans faille, son savoir et son aide précieuse ; Jordi Camps, spécialiste de la sculpture romane pyrénéenne ; Joan Duran, Cèsar Favà et Laia Perez. Je remercie également Milagros Guardia, professeur de l’université de Barcelone, spécialiste de la peinture murale catalane, pour sa disponibilité, ses conseils et son aide. J’adresse également des remerciements chaleureux à Marc Sureda, conservateur du Museu Episcopal de Vic, pour son aide amicale et pointue.

A mi-chemin entre le monde professionnel et la sphère privée, je remercie également Martine Boher pour son appui lors des Journées Romanes de Cuxa, ainsi que Marthe Dupuis, Serge et Chantal Alary (Association des Amis de Vals), qui ont facilité l’accès aux peintures de Montgauch et de Vals et qui ont mis à ma disposition des documents intéressants.

Enfin, mes remerciements vont également à mes parents et amis, sans qui ce travail n’aurait pas été possible : Arax, Annette, Teresa, Giovanni, Salvatore et Francesca Piano, Muriel Hernandez-Slatkine, Kevork et Gohar Akanessian, Clothilde et Jean-François Aleinick, Gebre Yemane, Taieb et Faiza Balti, Maruja Pardo-Caselles, Joanna Fronska, Barbara Tourniaire, Raoul Houssou, Yves Khatchadourian, Christiane Vivas, Emanuel Saldivar, Louise Kiffer-Sarian, Sevan Pearson et Stephan et Eva Mrosek.

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I. INTRODUCTION

PROBLÉMATIQUES ET INTRODUCTION

Ce travail est consacré à l’étude de la peinture murale romane dans les Pyrénées françaises. Il se propose deux objectifs distincts. Le premier consistera, à travers une analyse formelle d’ensemble, à regrouper les peintures étudiées afin de retrouver, en tenant compte des absences dues à la perte de nombreuses œuvres, les principaux courants de peinture murale romane qui ont pu parvenir jusqu’à nous de cette région. L’objectif visé a rendu indispensable une ouverture à des pistes d’approches multiples et adaptées, susceptibles de composer avec les spécificités du sujet traité. La peinture murale étant l’une des techniques artistiques les plus exposées aux ravages du temps, la production parvenue jusqu’à nous constitue une infime partie de ce qui dut exister. A l’exception des peintures de l’abbatiale de Saint-Sernin de Toulouse et de la cathédrale de Saint-Lizier, il s’agit pour la plupart de programmes peints relatifs à des églises rurales. La qualité de ces décors est inégale : certains reflètent de grands courants de peinture, alors que d’autres n’en sont qu’une pâle imitation. La perte de nombreuses œuvres fait en outre que le panorama artistique conservé se présente sous un aspect hétéroclite qui fausse sa vision d’ensemble et complique l’étude stylistique selon une perspective régionale. Chaque programme peint nous propose une manière stylistique propre et des répertoires iconographiques distincts.

A ceci s’ajoute la question de la rareté des repères chronologiques et des sources conservées. Très souvent, les édifices pour lesquels ces décors ont été faits ne sont attestés par aucun document contemporain. Par ailleurs, il est toujours délicat de reconnaître une coïncidence entre l’époque de la construction d’un édifice et celle de sa décoration, puisque la relation entre le décor peint et l’architecture ne dépasse pas le propre de cette technique qui est de faire corps avec son support mural. Les jalons chronologiques sûrs étant très rares dans le domaine de la peinture murale régionale, il demeure difficile d’intégrer les peintures dans leur contexte historique et d’avancer une date de réalisation précise. Dans la majorité des cas, l’on est réduit à proposer des cadres chronologiques ne pouvant être resserrées au-delà de vingt-cinq-trente ans, tout au mieux. Ne pouvant situer exactement les courants artistiques dans le temps, notre connaissance de leur rythme d’évolution demeure approximative.

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Tenant compte de ces limites, notre démarche s’est fondée sur les résultats d’une série d’études « monographiques » effectuées préalablement (le « corpus » des œuvres, regroupé à la fin de ce travail), où nos efforts se sont concentrés sur différents aspects essentiels pour la compréhension des peintures dans le cadre qui leur est propre. D’une part, un travail sur les sources historiques relatives aux édifices pour lesquels les décors ont été conçus : leur origine, leurs remaniements, l’identité de la communauté religieuse qui s’y trouvait, ses liens avec les autres sanctuaires régionaux et surtout avec l’évêché. D’autre part, un dépouillement systématique des dossiers de restauration conservés aux Archives des Monuments Historiques, relatifs aux peintures murales : la condition de leur découverte, les campagnes de restauration, les études spécifiques menées sur les pigments, la documentation visuelle (relevés et photographies anciennes). Cette enquête a été complétée par divers séjours sur place, qui nous ont permis d’effectuer des critiques d’authenticité et d’examiner les peintures plusieurs fois, au fur et à mesure que de nouveaux questionnements se présentaient à nous.

L’étude stylistique régionale qui fera l’objet du premier chapitre de ce travail prendra en considération l’ensemble des peintures murales romanes de Toulouse et des actuels départements de l’Ariège, de la Haute-Garonne, de l’Aude et du Roussillon. Ne figurent pas dans ce corpus les peintures murales de l’église de Saint-Aventin (Comminges, Haute-Garonne), en raison de leur très faible degré d’originalité et de l’absence de sources concernant l’étendue des restaurations. Nous avons également exclu les peintures de l’église d’Angoustrine pour des raisons de délimitation du champ de travail, parce que ces peintures appartiennent selon toute vraisemblance au XIIIe siècle avancé1. Toulouse étant le plus grand centre de la région, l’un des objectifs de ce travail a été de mesurer l’impact des œuvres toulousaines dans la peinture murale pyrénéenne. L’enquête s’est révélée d’autant plus intéressante qu’une importante inscription a pu être retrouvée dans le courant des recherches. Ce texte permet désormais de proposer, pour trois ensembles peints de Saint-Sernin, une datation ante quem à 1117-1118.

1

DURLIAT 1961, p. 11. OTTAWAY 1992, p. 41 et note 9 et OTTAWAY 1997, pp. 22-23. GARLAND 2000, pp. 596-599.

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Il a ainsi été possible de placer un solide jalon chronologique dans la problématique des datations. Cette remarque nous amène à préciser un important choix de méthode. En effet, l’analyse des décors peints de Saint-Sernin permet d’affiner la connaissance de la peinture murale romane du nord pyrénéen et de réviser un grand nombre de propositions avancées par John Ottaway, notamment au sujet de la datation des œuvres, qu’il avait soumises à un processus systématique de vieillissement. Son but semble avoir été de mettre en place un programme d’opérations visant à créer un réseau de cycles peints susceptibles d’entourer convenablement les peintures de l’absidiole nord de la cathédrale de Saint-Lizier, qu’il devait placer vers 1100 afin de ne pas trop éloigner chronologiquement des peintures absidales, qu’il ne faisait plus coïncider avec la consécration de l’église (1117), mais plaçait dans les années 1065-1078. La rétrodatation des œuvres des centres majeurs le poussait par ricochet à concevoir des dates plus hautes également pour les fresques de l’arrière-pays. Ainsi, celles de Vals pouvaient dépendre du modèle absidal licérois, mais leur datation « traditionnelle » vers 1104 ne convenait plus à la chronologie qu’il venait de mettre en place pour Saint-Lizier2. C’est ainsi que, dans un bref commentaire inséré sans étude préalable, l’impression d’une contemporanéité entre les peintures et le monument fraîchement construit le portait d’abord à rétrodater les peintures de Saint-Polycarpe, dans les Corbières3, de la seconde moitié du XIIe siècle au début du XIIe siècle. Puis, pour mieux soutenir l’opération, il vieillissait également les peintures de Saint-Martin de Fenollar4 et les fresques de l’abbaye d’Arles-sur-Tech, que l’on datait respectivement vers 1125-1150 et vers 1157, et en reportait la réalisation vers 1100-11205. L’opération pouvait en outre utilement soutenir la rétrodatation des peintures de Saint-Lizier puisque, ainsi que nous le verrons, l’historiographie traditionnelle percevait des liens entre les peintures de l’absidiole nord de Saint-Lizier et celles de Saint-Martin de Fenollar.

Un autre axe de notre recherche a consisté à étudier les fonctions des peintures dans l’église, comprise à la fois comme lieu physique et comme entité spirituelle. Ce projet aux multiples domaines de recherche souhaite mettre en valeur des œuvres peu

2 M. DURLIAT 1983, p. 126. 3 OTTAWAY 1992, p. 46. 4

OTTAWAY 1994, pp. 163-164. PONSICH 1974, pp. 124-126. THIBOUT 1954, pp. 339-346. DURLIAT 1954, p. 22. DURLIAT 1958, pp. 103-108. Pour la rétrodatation de Saint-Lizier, voir ci-dessous, pp. 85-89 et 322-325.

5

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considérées par l’historiographie, en montrant la richesse polysémique et la profusion des réflexions qui surgissent des différents enjeux de la peinture murale : la question de l’adéquation de la peinture à son support architectural, la fonction du décor dans une représentation du sacré qui atteint bien souvent le degré de la théâtralisation, le rôle des commanditaires dans la construction d’un discours aux multiples facettes, où identité religieuse et autorité temporelle sont inextricablement entremêlées.

Ce projet implique une prise en considération des peintures dans l’ensemble d’un monument et à la lumière de ses structures liturgiques et des autres éléments qui le décorent. Il demande également qu’une grande attention soit portée sur les sources théologiques, en particulier exégétiques et liturgiques, si possible en relation avec le site étudié. La pauvreté de la documentation ne faisant pas illusion, nous serons amenés à suggérer plus qu'à prouver, à interroger plus qu'à répondre. C'est pourquoi ces données seront également confrontées avec l’histoire du site, de sa communauté et de ses liens avec les autres instances religieuses et politiques. De nombreuses églises pyrénéennes du XIIe siècle furent pourvues d’un décor peint monumental mettant à l’honneur une variété remarquable de thèmes iconographiques représentant différentes parties de la Bible. Les œuvres parvenues jusqu’à nous mettent en scène essentiellement des épisodes du Nouveau Testament, des évangiles jusqu’à l’Apocalypse. Compte-tenu de la variété et de l’étendue de la matière, nous avons donc opéré une sélection dans le vaste éventail de thèmes qui composent les œuvres du corpus et qui pouvaient tous se prêter à une étude de ce type.

Le premier objectif de notre recherche a été de se fonder sur les éléments le plus solides susceptibles d’être trouvés dans le corpus. Notre souhait était également de valoriser les peintures des sites peu étudiés, dont l’importance était de nature à apporter une contribution substantielle à la connaissance des principaux courants artistiques de la région pyrénéenne et de leurs centres de production, ainsi que des relations qui pouvaient lier les diverses traditions entre elles. Notre choix s’est porté naturellement sur les peintures de Saint-Sernin, un sanctuaire important appartenant au centre majeur de la région pyrénéenne – Toulouse (Tarn-et-Garonne) - qui conserve de nombreux décors peints du XIIe siècle très peu étudiés. Ces ensembles nous offrent la chance de suivre les progrès de l’art de la peinture murale dans un grand sanctuaire régional tout au long de cette époque. L’église conserve en outre un nombre appréciable de données documentaires. Enfin, la présence d’un important décor

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sculpté à Saint-Sernin même - autel, plaques sculptées, chapiteaux de l’église et du cloître, Porte Miégeville, portail occidental - offre, avec les sculptures de Moissac, de la Daurade et de la cathédrale Saint-Étienne de Toulouse, un important champ de contextualisation pour l’étude des peintures murales à Saint-Sernin et à Toulouse en général.

Aucune étude approfondie n’a jamais été menée sur ces décors afin de les situer dans l’histoire de la communauté canoniale qui préside l’église. En outre, malgré le rôle essentiel que celle-ci a tenu dans la production de l’arrière-pays, cette production n’a jamais été confrontée avec les autres peintures murales de la région, et ceci pour différentes raisons. Sa découverte tardive (1973) est postérieure à la parution de la plupart des études consacrées aux autres sites du versant nord des Pyrénées. Après 1974, les auteurs se sont attachés surtout à l’étude de certains aspects iconographiques des peintures. Seulement quelques rares commentaires se sont penchés sur des questions de style, sans toutefois les développer dans la perspective d’un contexte régional. De ce fait, en 1993, à l’époque de la monographie de Jean Rocacher, la peinture romane toulousaine posait toujours beaucoup de problèmes de par le manque d’études monographiques approfondies6.

Ces peintures étant en majeure partie consacrées au thème de la Passion et de la Résurrection du Christ, le choix de Saint-Sernin nous a amenés à sélectionner deux autres sanctuaires pyrénéens qui ont été ornés avec un programme présidé par cette même thématique : les deux cycles peints de Saint-Plancard et les peintures murales de Montgauch. L’étude d’un groupe de peintures monumentales consacrées au thème de la Passion et de la Résurrection du Christ permet ainsi d’explorer la fonction du décor d’un lieu physique dans la perspective d’un locus sacramental. Nous serons ainsi amenés à examiner les points communs et à dégager la variété des significations de chaque œuvre et la spécificité des solutions adoptées dans chaque site. Ce choix a enfin l’avantage de regrouper des sanctuaires appartenant à des régions limitrophes qui avaient en commun l’adoption de la règle canoniale augustinienne toulousaine.

En vertu de la perspective choisie – la fonction des peintures dans le lieu ecclésial – nous avons délibérément évité, tout au long de notre analyse, les comparaisons systématiques entre les sujets représentés et les structures architecturales tendant vers

6

Voir DURLIAT 1977, p. 28 et DURLIAT 1981, pp. 59-64 et DURLIAT 1983, pp. 117-138, DURLIAT 1969, pp. 37-41, 52-54, 59-60. Voir aussi BOURRET, 1995, pp. 217-220. Voir ROCACHER 1982, p. 78 et ROCACHER 1993, p. 114.

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le concept abstrait et construit de toute pièce d’« art de la Réforme »7. Nous n’entendons pas, par là, nier toute influence idéologique de la Réforme sur l’art. Mais le recours systématique à un procédé de cause à effet est artificiel et tendancieux. La Réforme devrait être considérée avant tout comme une toile de fond n’ayant, sauf preuve du contraire, d’autre influence sur les œuvres que celle de fournir l’impulsion nécessaire à leur réalisation et non pas à priori comme une source théologique répercutant dans les peintures un contenu ecclésiologique prétendument visible dans l’adéquation de la peinture à son support, des représentations d’architectures ou des « archaïsmes paléochrétiens » à la romaine. Seulement une convergence sensible d’éléments et des particularités spécifiques ou hautement significatives devraient nous conduire à reconnaître, dans la diffusion de certains thèmes, l’action de la Réforme, et à faire découler leur signification d’un aspect de la politique ecclésiastique de cette dernière8. Ainsi si la Réforme, en tant que phénomène largement répandu, se trouve effectivement à l’arrière-plan général des établissements religieux considérés, les peintures constituent avant tout une expression du cadre local, de ses aspirations spirituelles, de son contexte historique et social, bref, de la spécificité du sanctuaire qu’elles décorent.

La méthode adoptée pour l’étude des peintures a consisté à multiplier les analyses et à croiser diverses pistes d’approche, afin de bénéficier de la singularité de chacune. Cette méthode par angles d’attaque multiples présente l’avantage de vérifier la récurrence de certains phénomènes, d’éventuelles irrégularités ou, plus simplement, des pratiques consacrées par l’usage des peintres.

D’une part, nous avons cherché à replacer les différentes scènes représentées dans la tradition iconographique occidentale, toutes techniques confondues, afin de retrouver le schéma le plus proche d’un point de vue typologique des formules employées dans les ensembles peints pris en considération9. La fréquence des schémas, son degré de

7

Cette approche, lancée par Hélène Toubert, a été appliquée de manière systématique aux peintures du nord pyrénéen par John Ottaway. TOUBERT 1990, OTTAWAY 1992a, pp. 325-373. OTTAWAY 1994b, pp. 129-162. OTTAWAY 1994, OTTAWAY 1995, pp. 91-99.

8

Par exemple, la présence d’un style fortement antiquisant, ou d’images telles que celle de Simon le magicien sur la Porte Miégeville à Saint-Sernin de Toulouse (CAZES 2008, pp. 236-237), ou encore la scène du Christ expulsant les docteurs du temple ou le paiement de Juda dans les peintures murales de Chalivoy-Milon (KUPFER 1993, pp. 84-96et figg. 62-63).

9

Après un premier balayage dans des répertoires généraux (Reau, Schiller, le Dictionnaire de Cabrol et Leclerc, l’Enciclopedia dell’Arte Medievale) et des banques d’images (Index of Christian Art, Romane, Ars Picta), cette démarche s’est affinée par une étude d’une littérature plus ciblée sur les thèmes en étude, dont les références seront

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parenté avec ceux choisis dans le site en étude et le type de support sur lequel ils apparaissaient, donnent une mesure de la manière dont celles-ci se situent à l’intérieur d’une tradition. Cette confrontation permet de dégager la spécificité de la scène représentée et de formuler des hypothèses sur ses possibles significations. Parallèlement, suivant une méthode mise à profit dans diverses études iconographiques ou basées sur l’étude d’un monument particulier10, des incursions dans les sources exégétiques et liturgiques11 ont permis de rapprocher les peintures de certaines significations dogmatiques diffusées par les théologiens les plus importants du Moyen Age. La méthode adoptée a été choisie afin de maintenir dans la mesure du possible un niveau « spécifique » d’interprétation. En d’autres termes, chaque système d’analyse a été reconduit systématiquement à la peinture en étude. Lorsque l’absence de sources locales nous exposait au danger d’attribuer aux peintures un sens qui leur était étranger, nous nous sommes cantonnés aux grandes lignes de l’interprétation chez les théologiens les plus influents (les Pères de l’Église, certains Papes et les auteurs les plus actifs de l’époque) ou ceux susceptibles d’être connus dans le site.

D’autre part, chaque représentation a été considérée à la lumière de l’espace de la composition, c’est à dire de la manière dont elle est agencée sur le support mural, dans le réseau mis en place par les autres scènes qui l’entourent et selon la hiérarchie définie par les éléments ornementaux (frises, médaillons, bandes de délimitation, etc.). Cette approche se caractérise, plus que par une description du degré d’adaptation physique du décor à son support mural, par une prise en considération de la peinture en tant qu’élément spatial participant aux rituels, à l’instar des autres objets de culte. Elle a été associée à une réflexion sur le rôle de l’image en tant que marqueur d’un secteur spécifique de l’espace sacré, selon l’idée que les formes architecturales pouvaient être perçues suivant des idées symboliques et que leur décor figuré, investi de la même valeur sacrée que les objets liturgiques, rend compte de l’idée du lieu physique, métonymique d’un locus spirituel/sacramentel12. Cette démarche s’avère utile

indiquées au fut et à mesure dans les notes.

10 Nous pensons en particulier à THEREL 1966, THEREL 1984, dale 1997, christe 1973, christe 1996,

KATZENELLENBOGEN 1959, bruderer 1998, STODDARD 1973.

11

Les données de l’exégèse ou de la liturgie émergeant des inscriptions ou du caractère particulier d’un thème ont été recherchées principalement dans Patrologia Latina, systématiquement contrôlée sur les tables du Père Glorieux, ainsi que dans Corpus Christianorum, Corpus Antiphonalium et bien d’autres sources cités au fur et à mesure dans les notes.

12

Pour cette dicotomie, voir IOGNA-PRAT 2006, pp. 457-462. Parmi les auteurs médiévaux, nous citerons Paolino da Nola, qui assimile les trois portails de l’église à la Trinité (PL LXI, 337), ou Bruno d’Asti, qui en arrive à attribuer

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en ce qu’elle offre la possibilité de dépasser le sens de l’évènement représenté ou le niveau d’une signification plus profonde, répandue dans un contexte géographique vaste, pour cerner les particularités sémantiques de la représentation dans le contexte précis du site.

Cette enquête permet de mettre en lumière des niveaux de signification généraux et spécifiques susceptibles de révéler la trace d’une présence commanditaire responsable de la gestion de l’espace ecclésial et soucieuse d’orchestrer la mise en discours, sur les murs de l’édifice, de questions qui lui sont chères. Ce « créateur d’espace sacré » utilise une grande panoplie de moyens d’expression, allant de l’art de la peinture à l’épigraphie, et de la liturgie à la théâtralisation13. Dans une étape avancée de l’analyse, nous avons ainsi confronté les résultats des différentes approches avec la question de la relation « administrative » qui lie les thèmes du décor à leur cadre ecclésial, compris en tant qu’édifice et en tant que communauté comportant un statut (monastique, épiscopal, etc.), une fonction (paroissiale, funéraire, etc.) et une dédicace particuliers. Ainsi, après avoir mis en relief le sens de certains choix iconographiques dans la pensée théologique, ayant confronté cette signification avec les données documentaires relatives à l’histoire du site, l’étude de la relation entre les peintures et leur cadre sacré nous fait espérer jeter un peu de lumière sur les diverses facettes du projet du commanditaire. Émergent alors des problématiques à la fois spécifiques et complémentaires, offrant l’opportunité d’observer des situations de la vie spirituelle et politique typiques des principaux milieux qui forment la région : une capitale religieuse, un évêché secondaire et une paroisse rurale.

ETAT DE LA QUESTION HISTORIOGRAPHIQUE

Les premiers écrits dédiés aux édifices cultuels des Pyrénées françaises se sont penchés essentiellement sur des questions inhérentes à l’étude historique, archéologique et hagiographique des églises, consacrant aux peintures murales

des figures littéraires à chaque partie de l’édifice ecclésial (PL 165, 895-896). Ce type d’approche a été développé par de nombreux chercheurs : voir BASCHET 1990, pp. 551-563. BASCHET 1991. KLEIN 1992, pp. 89-102. PALAZZO 1992, pp. 45-56. SPIESER 1995, pp. 433-445. PALAZZO 2000, RUSSO 2000, pp. 57-80. RUSSO 2003, pp. 161-175.

13

Ce dernier concept a été récemment théorisé à propos de la culture byzantine. Voir la partie introductive de l’article de LIDOV 2007, pp. 135-141.

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seulement de brèves mentions14. En dehors de la monographie pionnière de Jean Laffargue et Georges Fouet sur les ensembles peints de Saint-Plancard, qui fait figure d’exception, les auteurs des quarante premières années du XXème siècle se sont cantonnés à quelques descriptions sommaires dans des études générales dédiées à la peinture catalane ou à la peinture française15.

Il faut attendre la décennie 1950-1960 pour voir un véritable éveil d’intérêt pour la peinture murale du Sud-ouest. Des études sur l’art du Comminges, de l’Ariège, de l’Aude et du Roussillon sont d’abord publiées dans des revues françaises locales16, puis, dans la vague historiographique des études de recensement et d’inventaire inaugurée par Paul Deschamps et Marc Thibout, paraît la première monographie dédiée à la peinture murale romane des Pyrénées françaises17. C’est aussi l’époque où Marcel Durliat commence à marquer cette littérature de son empreinte fondatrice18. Ces recherches portent leurs fruits durant la décennie 1970-1980, lorsque des articles monographiques et des écrits de synthèse publiés dans des revues à plus large diffusion donnent une plus ample résonance à ce domaine d’étude.

Ces quatre décennies de travaux ont enraciné une histoire de la peinture pyrénéenne qui pose la problématique de la parenté avec les œuvres espagnoles, se mettant au diapason de la recherche effectuée en Catalogne. Dans cette région, la politique particulière de conservation des peintures murales romanes mise en place par la Junta de Museus durant les deux premières décennies du XXe siècle, débouche sur le transfert systématique des œuvres dans l’espace muséal, en suscitant l’émergence d’une intense activité de recherche19. Face au manque général de jalons chronologiques20, imputables aux lacunes du temps mais aussi au manque de

14

DE CASTELLANE 1832, pp. 237-251. DE DION 1877, pp. 92-94. DE LAURIÈRE 1884, pp. 563-590, 638-681, 771-821. MATHIEU 1913.

15

LAFFARGUE-FOUET 1948. KUHN 1930, p. 81, PIJOAN 1907-1921, pp. 17-18, fig. 15, GUDIOL i CUNILL, 1927, pp. 331-335 et 492, DUPRAT 1942-1944, 101-102, pp. 220-222. M. SABARTHÈS donne quelques renseignements concernant les peintures de Saint-Martin-des-Puits et de Saint-Polycarpe dans le Dictionnaire topographique du

département de l’Aude comprenant les noms de lieu anciens et modernes, Paris, Imprimerie Nationale, 1912, pp.

404-405 et p. 416.

16

Nous citerons à titre indicatif BARRAU DE LORDE 1951, pp. 1-8. DURAND 1957, pp. 109-114 et DURAND 1960-1961, sans no de pages. GUITARD 1958. DURLIAT 1956, pp. 27-32. CAZENAVE 1962, GIROU 1965, pp. 15-19.

17

MESURET 1967.

18

DURLIAT 1958 et DURLIAT1969.

19

PIJOAN 1907-1921, GUDIOL 1927, POST 1970, PIJOAN 1948, COOK 1950, GUDIOL 1956, BARRAL I ALTET 1994, pp. 821-847 et en dernier lieu CAMPS-PAGES-CATALA 2001 avec renvois bibliographiques et EL ROMANICO, pp. 89-91.

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coïncidence systématique entre l’époque de la construction d’un édifice de celle de sa décoration, l’étude de la peinture catalane se développe autour de la tendance à une classification « attributionniste » et stylistique des œuvres, ainsi que l’écrit Xavier Barral21. En suivant les tendances développées par la recherche catalane, l’historiographie française passe à son tour d’une enquête stylistique visant à mettre en évidence les liens entre les peintures de Catalogne et celles du Roussillon - méthode qui caractérise également la somme d’Otto Demus22 - à un type d’approche plus ciblée, où la reconnaissance de thèmes iconographiques communs aux deux versants du massif montagneux permet d’élargir les termes de la comparaison aux sites de l’Ariège, de la Haute Garonne et de l’Aude. A la fin des années 1980, cette littérature aboutit à une première synthèse critique publiée par Marcel Durliat. Ses contributions à la connaissance de l’art du Midi de la France et du nord de l’Espagne constituent à ce jour un point de référence incontournable pour l’étude de ce domaine artistique23.

De par le manque d’études monographiques, l’enquête comparative est demeurée ponctuelle et générique et, ne prenant en compte que des aspects isolés, elle n’a jamais envisagé la possibilité d’une enquête approfondie de type régional. Les peintures de l’Ariège, de la Haute-Garonne, de l’Aude et du Roussillon ont donc souvent été comparées individuellement avec certaines œuvres catalanes mais n’ont jamais été confrontées les unes avec les autres. Mis à part quelques vagues suggestions, les spécialistes ne les ont pas non plus rapprochées des peintures de Saint-Sernin de Toulouse et, de ce fait, l’étendue de l’influence de la capitale artistique de la région en matière de peinture murale demeure lamentablement mal connue. Avant les années 1990-1995, quelques auteurs seulement font allusion à la nécessité d’entreprendre une enquête comparative de ces œuvres24. Enfin, les spécialistes ont pour la plupart délaissé l’analyse archéologique des peintures, l’étude du monument ou

Taull (1123 ?), celles de Sainte-Marie d’Arles sur Tech (1157) et, avec quelques réserve, celles de Sant Pere de Burgal (1081) et de Terrasa (vers 1180). DURLIAT 1962, pp. 44-50 et DURLIAT 1963, pp. 156-163.

21

BARRAL I ALTET 1994, pp. 821-847

22

¨DEMUS 1970.

23

DURLIAT 1971, pp. 659-682. DURLIAT 1974b, DURLIAT 1979, pp., 153-174 ; DURLIAT 1973, pp. 140-147 ; DURLIAT 1974, pp. 536-565 ; DURLIAT 1977, pp. 24-30, DURLIAT 1983, pp. 117-138. Voir aussi BOUSQUET 1974, pp. 7-27.

24

Pour être plus précis, il conviendrait de mieux connaître la peinture contemporaine du Languedoc […]. Les belles découvertes de l’abbé Laffargue à Saint-Plancard et à Bezens-Garraux, les peintures d’Esperaza, qui viennent s’ajouter aux vestiges de Saint-Sernin de Toulouse, d’Alet et de Saint-Aventin, nous laissent entrevoir le jour prochain où s’éclairera l’étroite communauté de destin de ces deux pays voisins : la Catalogne et le Midi français. DURLIAT 1977, p. 30. MICHEL, 1961, pp. 24-25, 61, 152, 155.

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l’approche historico-culturelle ciblée à un niveau local, des démarches potentiellement riches d’informations pour l’histoire de l’art.

Ce fut le souci de John Ottaway, dans un projet de recherche C.N.R.S. conduit dans les années 1990. Son ouvrage sur les peintures de Saint-Lizier25, fruit de presqu’une décennie d’investigations, développe une méthode d’enquête basée sur la considération du contexte architectural et sur la prise en compte des données historiques, sociales, religieuses et culturelles du site. De par la création d’un réseau de correspondances régionales, cette démarche s’insère tout naturellement dans le cadre des études catalanes. L’enquête de John Ottaway a apporté des éclairages nouveaux et a contribué à éclaircir la nébuleuse des méthodes d’approche traditionnelles. Son projet d’étude portait sur les peintures murales de Saint-Lizier, mais les mentions faites dans ses publications, ainsi que l'ample campagne photographique dont les clichés sont conservés à la photothèque du CESCM de Poitiers, montrent qu'il englobait également les peintures de Vals, Montgauch (Ariège), Saint-Plancard (Haute-Garonne), Arles-sur-Tech, La Clusa, Estavar (Pyrénées Orientales), Polycarpe et Saint-Martin des Puits (Aude)26.

Ainsi que nous l'avons vu dans l’introduction, cet auteur est à l’origine d’un grand bouleversement dans les datations des peintures murales romanes du nord Pyrénéen. Cette opération est compréhensible. En amont de cette insistance, nous retrouvons en effet deux approches omniprésentes. D’une part, sa fascination pour le lien physique entre la peinture et son support architectural, qui l’amène à faire coïncider la date de construction de l’édifice avec celle de la réalisation des peintures. D’autre part, son penchant pour les définitions d’une « ecclésiologie en images de la Réforme », qu'il exprime par la référence à un prétendu lien symbolique entre la peinture et son support. En effet, un chapitre important de son ouvrage sur Saint-Lizier est la reconnaissance de plusieurs liens existant entre les instances locales et la réforme de l'Église dans la région tout au long du XIIe siècle. Si le contexte historique envisagé pour les peintures licéroises à la seconde moitié du XIe siècle pourrait apparaître tout aussi valable que celui des années 1117, l’argument architectural avancé par l’auteur est en revanche bien moins convainquant. Le fait que des peintures murales puissent paraître

25 OTTAWAY, 1994. 26 OTTAWAY 1992, pp. 37-54. OTTAWAY 1994, pp. 102-103, 160, 177, 209-210, 212, 219, 221, 226, 234-235, 237, 242, 244, 251, 277, 281-282.

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intimement liées à l’architecture27 n’implique pas que la construction ait été prévue en même temps, surtout pas dans le but d’exprimer un discours ecclésiologique. C’est même plutôt le contraire qui est vrai, le propre des peintures murales étant justement de s’adapter à l’architecture préalablement existante, qui leur sert de support.

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LE CONTEXTE HISTORIQUE PYRÉNÉEN

Le haut Moyen-âge dans les Pyrénées (IIe-XIe siècles)

Ce paragraphe constitue une présentation du contexte historique général qui a vu naître les œuvres en étude et les a influencées dans une certaine mesure. Ce commentaire prendra en considération les régions situées entre Toulouse, Narbonne, Carcassonne et Bagnères de Luchon durant les XIe et XIIe siècles. Ces régions sont, d’ouest en est, le toulousain, les diocèses de Comminges et de Couserans, le pays de Foix et les comtés roussillonnais de l’ancienne Gallia Narbonensis (figg. 1-2)28.

Une des données les plus importantes pour comprendre l’histoire et les arts de ces régions à l’époque romane est le caractère conservateur de la culture pyrénéenne. Dans cet univers attaché à ses traditions, la montagne, loin de constituer une frontière comme cela sera le cas plus tard, est le lieu privilégié de rapports étroits unissant les peuples du nord pyrénéen entre eux et avec les voisins du versant méridional. Grâce au décalage climatique existant entre les deux versants, qui offre à chaque saison des conditions de travail optimales, l’élevage est le lien le plus naturel et le moyen de communication le plus ancien. Ainsi, la mise à disposition des pâturages respectifs aux bergers de l’autre versant permet de prolonger au maximum la saison, qui commence en avance sur le versant sud, et se termine en retard dans les hautes vallées du nord, qui offrent encore de verts pâturages à la fin de l’été. Cette collaboration économique des hautes vallées se répercute dans les marchés des plaines respectives tout au long de l’année. Durant des siècles, les caractères généraux des reliefs, la morphologie du pays et l’équilibre interne de ce contexte socio-économique, avec leurs relations ancestrales entre des milieux économiquement complémentaires, ont préparé la région à devenir le cadre de multiples alliances politiques entre petites communautés territoriales29.

Ainsi que nous le verrons au fil des pages, cette problématique se répercute dans les diverses facettes de l’histoire et de la culture pyrénéennes. La conservation d’une

28

Cette carte montre l’état des comtés pyrénéens autour de l’an 1000. Les frontières ayant peu évolué durant les deux siècles suivants, nous la montrons seulement dans le but de localiser géographiquement les différentes régions. Cette carte est tirée de l’étude de Pierre Bonnassie. BONNASSIE 1974, fig. 7.

29

L’on a constaté que la majorité des alliances féodales s’établirent entre des régions qui étaient préalablement apparentées par un lien économique. Voir HIGOUNET 1949, I, pp. 9-11.

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multitude de paroisses rurales, que l’isolement dans les hautes vallées met à l’abri durant les périodes de troubles, en est une preuve manifeste. Petites et robustes, assises sur de légères éminences, elles s’intègrent parfaitement au paysage environnant.

La géopolitique pyrénéenne est mise en place à l’époque romaine avec la création de deux grandes provinces. A l’est, le Roussillon, conquis par Rome entre 154 et 121 et inclus dans la Provincia (future Gallia Narbonensis), devient la civitas Ruscinonensis (Roussillon)30. A l’ouest, les Pyrénées centrales et occidentales romaines, réunies à la Provincia Novempopulana (32 av. Christ)31. Cette division se renforce au Ve siècle avec la domination wisigothique : le royaume goth d’Aquitaine, centré à Toulouse, est repris par les Francs en 507, tandis que la Septimanie (Languedoc-Roussillon et l’ancienne Provincia Tarraconensis) reste aux mains des Goths de Tolède jusqu’en 719, date de la prise de Narbonne par les Musulmans. De ce fait, le secteur côtier est particulièrement marqué par cette culture mi-germanique, mi-orientale, qui prolonge la civilisation antique jusqu'au Moyen Age32.

En créant la Marca Hispanica en 759 et en la plaçant sous le contrôle de Guillaume comte de Toulouse, l’offensive carolingienne sur les Musulmans restaure l’unité pyrénéenne selon les nouvelles bases du système féodal germanique. Se met ainsi en place l’unité comtale, le lien vassalique et la propriété foncière. Ce nouvel ordre administratif reprend les limites des anciennes cités romaines, avec un lien féodal qui engendre un processus de morcellement territorial. Celui-ci s’accélère avec le déclin de

30

La cité comprenait les quatre pagi Ruscinonensis, Vallis Asperi (Vallespir), Confluentis (Conflent) et Liviensis (Cerdagne). CALMETTE-VIDAL, p. 21, DURLIAT 1962a, pp. 14-17.

31

Celle-ci comprenait les cités d’Elusatium (Eauzes), Ausciorum (Auch), Aquensium (Acqs), Lactorensium (Lectoure), Convaenarum (Saint-Bertrand de Comminges), Consorannorum (Couserans), Boatium (Bayone),

Benarnensium (Lescar), Aturensium (Aire), Vasatica (Bazas), Tarba (Tarbes) et Elloronensium (Oloron). Toute la

région située sur la rive droite de la Garonne, se trouva incorporée dans la première province romaine de la Gaule, la

Provincia, désignée plus tard sous le nom de Narbonnaise. Les territoires situés à gauche appartenaient à l'ancienne

et primitive Aquitaine. On retrouve encore aujourd'hui, dans l'idiome populaire, d'une rive à l'autre de la Garonne, des différences de dialecte qui trahissent l'ancienne division des races. LIZOP 1931, pp. XXXXI, 102-104, 213. CONTRASTY 1940, p. 6.

32

Les coutumes funéraires découvertes dans des fouilles archéologiques menées en Ariège et dans les Pyrénées Orientales (l’enclouage des cadavres et leur disposition par rangées vers le soleil levant, les feux rituels) révèlent l’ascendance germanique et l’évolution plus marquée de leur culture par rapport à celle des Francs, du fait de leur éducation dans l’Empire d’Orient (Dacie et Thrace). Paradoxalement, les Wisigoths achevèrent l’œuvre de romanisation de l’Espagne : en Cerdagne et dans le Pallars, le latin s’imposa vraiment seulement à cette époque, et le Liber Iudicum du roi Receswinthe, de 654, implanta une législation toute pénétrée de droit romain. BONNASSIE 1974, pp. 104-106, DURLIAT 1962a, pp. 19-20.

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l’empire et débouche, au XIe siècle, sur une multiplication des comtés et des vicomtés, où la vie politique s’effrite de plus en plus dans les intérêts locaux. Les régions du nord-est et du sud-nord-est des montagnes partagent à nouveau une véritable communauté de destin, avec le pouvoir comtal comme principal phénomène sociopolitique de toute la moitié orientale du territoire pyrénéen33.

Durant les XIe et XIIe siècles, les Pyrénées sont façonnées par le mouvement de la Reconquista, ce long refoulement de la frontière musulmane et de repeuplement de territoires nouvellement conquis. Ce processus s’effectue grâce à l’effort conjoint des forces féodales locales et des instances ecclésiastiques qui encouragent l’engagement des forces armées à coups des bulles d’exemption et d’« indulgences de guerre » pour la libération des territoires de la riche vallée de l’Ebre. Reconquête et repeuplement sont plus actifs et précoces dans le sud de la chaîne à cause de la proximité de la frontière musulmane. Après le pillage de Cordoue en 1010, la Reconquista marque ses heures de gloire au siège de Barbastro (1064), Tolède (1085) et Huesca (1096).

De manière significative, la Reconquista coïncide avec le réveil économique de la région. Les peuples pyrénéens, associés tout au long du XIIe siècle, s’enrichissent en imposant aux provinces musulmanes protectorat et tributs. Cette guerre amorce une expansion prodigieuse, dont l’un des signes révélateurs est l’immense mouvement de construction qui commence autour de l’an 1000. Sur le plan social, elle provoque une revitalisation de l’antique commerce des esclaves (mancipia), même dans les monastères, jusqu’au XIe siècle Les musulmans exportent des produits de luxe - broderies, fourrures, tapis et mancusos (pièces d’or) - qu’ils utilisent pour solder les importations et équilibrer la balance commerciale. Les échanges nord-sud l’emportent en effet nettement en valeur marchande, puisque la montagne détient le monopole de la production textile (exportation des draps), céréalière et l’extraction du fer, exploité pour la fabrication des armes et des outils agricoles. Le col du Puymorens, nommé en 925 et en 1052 via merchaderia, nous parle de l’afflux de nouvelles richesses à travers ces péages marchands. C’est également durant les Xe et XIe siècles qu’on enregistre l’aménagement de nombreux cours d’eau et le développement de l’agriculture : céréales dans les basses plaines de Comminges et Couserans – orge, froment, seigle, blé, millet, avoine – vigne et oliviers en Roussillon et dans les Corbières (au sud de Carcassonne) - pour la fabrication de l’huile, du savon et de l’éclairage ; les

33

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constitutions de paix interdisaient de les incendier. La production des fromages et l’élevage des porcs du pays renouent avec l’excellence que leur attribuaient déjà les gourmets de Rome, au témoignage de Strabon et Martial. Enfin, les marchés sont mentionnés en Roussillon dès la fin du XIe siècle34.

Géopolitique pyrénéenne aux XIe et XIIe siècles

Dans ce cadre général de croissance, le tissu social pyrénéen devient, au XIIe siècle, un vaste réseau en mouvance autour de deux pôles de pouvoir. L’ancienne cité dirigeante toulousaine, dont l’autorité s’étend sur une grande partie des territoires pyrénéens35, et l’émergeante dynastie barcelonaise. Enrichi par la Reconquista, ayant annexé par mariage le royaume d’Aragon en 1137, ayant mené une politique d’expansion et d’alliances diplomatiques, le comté de Barcelone élargit ses limites territoriales au-delà des Pyrénées jusqu’en Provence occidentale36, si bien que, autour de 1140, ce petit état d’origine montagnarde occupe un poste de premier plan sur la scène politique régionale. Digne pendant du pouvoir toulousain au XIIe siècle, il en devient ainsi le pire ennemi37. L’expansion barcelonaise provoque un changement des rapports politiques et dessine ainsi une nouvelle géographie politique. Ainsi, pendant que les Trencavel, seigneurs de Béziers, s’éloignent de la dynastie toulousaine pour entrer dans l’orbite d’influence catalane, Comminges et pays de Foix, placés au centre de ces évènements, s’insèrent dans la mouvance de Toulouse et dans le réseau des relations transpyrénéennes avec le roi de Castille, en guerre contre l’Aragon38.

34

Pour ces aspects de la Reconquista, nous renvoyons à CALMETTE-VIDAL 1923, p. 134-139 ; LIZOP 1931, pp. 285-290 ; HIGOUNET 1949, I, pp. 4-5, p. 38 ; DURLIAT 1962a, pp. 16, 20, 41 ; COL I ALENTORN 1973, pp. 9-18 ; BONNASSIE 1974, pp. 103-163 ; DURLIAT 1979, pp. 153-154 ; De LASARTE 1989, p. 9 ; OURLIAC 1994, pp. 57-72, 81-87 ; BOURRET 1995, pp. 50-52 ; COLOMER 1997, pp. 32-34. CR VII, p. 28.

35

Les familles à la tête des comtés et des diocèses de Comminges, Couserans, Foix, Carcassonne, Narbonne, Conflent, Roussillon-Empuries et Barcelone en étaient toutes issues. Cette origine remonte à l’époque carolingienne lorsque, à partir de 826, Gaucelme et Bernard, fils de Guillaume de Gellone, comte de Toulouse et cousin de Charlemagne, avaient pris la tête des comtés catalans entre Carcassonne et Barcelone. PONSICH 1954-1955, pp. 72-74 ; DURLIAT 1962a, p. 25.

36

En 1077, les filles de Roger le Vieux, comte de Carcassonne, vendent des droits au comte Raymond Bérenger Ier de Barcelone probablement pour soustraire Carcassonne aux prétentions des comtes de Foix. Le comte de Barcelone avait ainsi une certaine main mise dans le Carcassès. OURLIAC 1996, p. 61.

37

A cette époque, le comté de Barcelone possédait les vallées de part et d’autre des montagnes: le Besalù, avec le Fenouillèdes et le Vallespir, depuis 1111, la Cerdagne, avec le Conflent, le Castellnou, le Ripollès et le Capcir, depuis 1117. Pour l’histoire des comtés pyrénéens, voir PONSICH 1954, pp. 348-349. DURLIAT 1962a, p. 29-31. COL I ALENTORN 1973, pp. 9-18. BONNASSIE 1974, pp. 103-163. DURLIAT 1962a, pp. 31 et 36.DURLIAT 1978, pp. 16-17. DURLIAt 1979, pp. 153-154. JUNYENT 1960, pp. 17-44 et la belle monographie BOURRET, 1995. DE LASARTE 1989, p. 11.

38

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Plus en profondeur, à l’intérieur de ce cadre, de plus petits comtés forment un tissu géopolitique et social « secondaire ». Les divisions administratives apportées par les conquêtes romaine et wisigothique, creusées par l’apport féodal du monde carolingien, multipliées par le démembrement du pouvoir central à la fin du Xe siècle, se morcèlent en une myriade de petites entités comtales et vicomtales. Les liens économiques séculaires qui liaient certaines vallées entre elles se renforcent même, forgeant leur fonctionnement des siècles durant. Le cas du Val d’Aran, relié au comté de Comminges jusque vers 1130, est un exemple emblématique où une communauté politique vient renforcer des liens économiques ancestraux à l’intérieur d’un système fermé. Mais parfois, les nouvelles unités politiques sont tributaires d’alliances éphémères, de guerres et de transactions féodales. Si la pénurie avait été auparavant le meilleur garant de la solidarité et de la paix civile, l’augmentation des profits ébranle rapidement ce climat d’entente éveillant la cupidité et la discorde39 et les alliances se font fluctuantes et éphémères. Tout ceci ne fait qu’accentuer la fragmentation géopolitique du pays40. Au commencement de l’époque romane, la société pyrénéenne est divisée par de multiples frontières qui ne font que perpétuer l’ancien esprit de vallée. De manière symptomatique, à partir du XIe siècle, les communautés de vallée apparaissent, une nouvelle forme territoriale s’identifiant de plus en plus souvent au comté. Ceci caractérise aussi bien les territoires occidentaux (vallées de la haute Garonne-Comminges et Val d’Aran, vallée du haut Salat-Couserans, de la haute Ariège-Foix, d’Aure-Aure et d’Aude-Razès), que la zone orientale (fig. 1), au nord comme au sud de la chaîne de montagne (vallées de la Têt-Conflent, du haut Sègre-Cerdagne, du Sègre moyen-Urgel, de la haute Ter-Ripoll, du haut Llobregat-Berga, de

cette seigneurie envers les vicomtes de Carcassonne. Dans les années 1130-1140, il apparaît souvent dans l’entourage immédiat du comte de Toulouse, Alphonse Jourdain, et vers 1150 il marie son fils Dodon à la fille de ce dernier. En 1135, il assiste les comtes de Toulouse et de Foix, de Montpellier, d’Urgell et de Pallars à Saragosse auprès d’Alphonse VII de Castille, contre les Aragonais et le duc d’Aquitaine. Bernard prit part à la donation de l’évêque du Puy aux Templiers de Toulouse (1134), ainsi qu’au couronnement impérial d’Alphonse VII de Castille (1135), à la messe matinale où Alphonse Jourdain renonça aux dépouilles des évêques de sa ville (1138) et on eut recours à son jugement pour mettre un terme à la querelle avec les seigneurs de Carcassonne en 1142-1143. HIGOUNET 1949, I, pp. 30-31, 40-43 et 46-47. BOURRET 1995, pp. 45-51.

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Le vicomte de Cerdagne Bernard Seniofred se leva contre son comte Raymond Guifred, les barons Valfarrera de Pallars contre le comte de Barcelone, Raymond Bérenger IV. Le XIe siècle pyrénéen est émaillé de révoltes nobiliaires. On se battait pour un péage, des cens et des dîmes. BONNASSIE 1974, p. 146.

40

Par exemple, pour l’éphémère vicomté de Couserans, il nous est très difficile de connaître la sphère d’influence dans laquelle elle gravitait durant les premières décennies du XIIe siècle. Cet état était peut-être resté dans l’orbite de la famille de Foix ou de celle de Comminges, puisqu’en 1125 Roger III comte de Foix et arrière petit-fils de Roger le Vieux de Carcassonne en était propriétaire et qu’à partir de 1150 le Couserans devint une vicomté vassalle du Comminges. HIGOUNET 1949, I, pp. 25-26, 31-33, 35-40, 43-44. BOURRET 1995, pp. 45-51.

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Noguera Pallaresa-Pallars, Noguera Ribagorzana-Ribagorza). Ici, les biens sont localisés tout aussi souvent in cominatu que in valle, et les hommes les plus puissants, forgerons, prêtres et petits seigneurs, défendent leur communauté auprès des autorités, en jouant le rôle de régulateurs bénévoles de la vie sociale41. A travers les lacunes que nous a légué le temps, nous entrevoyons par endroits cette situation, dans la partie occidentale de ces régions - comtés de Foix, Couserans et Comminges. Les démêlées locales se déroulent presqu’à « huit clos », et c’est seulement pour des questions importantes ou de dernier recours que l’on fait appel aux grands hommes de pouvoir42. Nous verrons que cet « esprit de clocher » - ou de vallée – caractérisera le mode de vie des habitants jusque dans ses manifestations artistiques.

La culture religieuse pyrénéenne aux XIe et XIIe siècles

Le même attachement aux structures anciennes concerne ces régions également dans le domaine religieux. Bien que géographiquement excentrées, les Pyrénées connaissent le Christianisme dès la première moitié du IVe siècle. Le concile d’Agde en 506 nous montre une région organisée en cinq diocèses: Oloron, Beneharmum (Béarn), Bigorre, Comminges et Couserans. En Comminges et en Couserans leurs limites reprennent probablement celles des civitates gallo-romaines (fig. 1). En Roussillon, l’immense évêché de Narbonne est démembré en 550 avec la création des sièges d’Elne (Roussillon, Vallespir et Conflent) et de Carcassonne (Carcassès et Razès). Perpétuant des liens immémoriaux avec la Catalogne, la Cerdagne relève de l’évêché d’Urgel, situé à cheval sur les deux versants des Pyrénées, de même que le diocèse de Comminges, qui se prolonge jusque dans le Val d’Aran catalan43.

C’est à l’époque carolingienne que les limites diocésaines se fixent de manière permanente : en 812-813, un décret impérial crée le royaume d’Aquitaine et une nouvelle province ecclésiastique regroupant les sièges d’Auch, Narbonne, Bordeaux et Bourges. L’Aquitaine première a Bourges pour capitale ; l’Aquitaine seconde, Poitiers ;

41

BONNASSIE 1974, pp. 119-121.

42

Il nous suffira de mentionner la querelle interminable qui eut lieu à partir de 1118 entre Centulle II et Sanche-Garcie, comtes de Bigorre et d’Aure (deux contrées situées vers l’ouest de la chaîne), au sujet de l’hommage que le second refusait de rendre au premier. Les comtes de Comminges, cousins de Sanche-Garcie, demandèrent l’arbitrage de Roger II, comte de Foix, qui décida d’un duel singulier, mais comme Sanche-Garcie ne voulait pas combattre, on porta l’affaire devant Raimond-Guilhem de Villemur et d’autres juges de Toulouse. HIGOUNET 1949, I, pp. 25-26, 31-33, 35-40. OURLIAC 1994, pp. 61-64 et 67; DURLIAT, 1962, p. 29; J. OTTAWAY 1994, pp. 67-70.

43

Pour l’histoire religieuse des Pyrénées, voir LIZOP 1931, pp. XXXIII-XXXVI et 341-346, CONTRASTY 1940, pp. 10-11. AD ARIÈGE, PAILHÈS, pp. 173-174, CHADUC 2006, p. 79, BONNASSIE 1974, p. 128, COL I ALENTORN 1973, p. 43.

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la Narbonnaise première, Toulouse ; la Novempopulanie et le Gascogne, Auch44. Charlemagne cautionne également la fondation de monastères bénédictins dans toutes les régions45.

Les documents des Xe et XIe siècles font état d’une certaine persistance des cultes païens, dû principalement à l’isolement et à l’Islam qui avaient provoqué une désorganisation des évêchés et des vastes mouvements de population, qui cherchent refuge dans la montagne. Ainsi, dans les hautes vallées du Pallars, l’évangélisation des masses paysannes se réalise bien tard, et cela tarda encore plus dans les contrées septentrionales46.

Durant les Xe et XIIe siècles, l'Église pyrénéenne connaît, comme ailleurs en Occident après l’effondrement de la monarchie carolingienne, le mouvement de la Réforme de l’Église. La nécessité est exprimée partout de redresser les mœurs religieuses : simonie, cumul de charges, ingérence massive dans les affaires ecclésiastiques et usurpations des biens ecclésiastiques par la société féodale, venue suppléer le patronage impérial sur le secteur ecclésiastique47. Or, le renouveau de la vie spirituelle se concrétise tour à tour par la réforme de nombreux établissements monastiques et canoniaux, par la création de nouveaux ordres et la diffusion de mouvements religieux en marge de l’orthodoxie.

La Réforme se diffuse dès la première moitié du XIe siècle suite aux conciles d’Auch et de Toulouse (1031 et 1050). C’est à Toulouse que l’on condamne la simonie en 1056, sous la présidence d’évêques nommés par le légat Hildbrand et l’impulsion du pape Victor II. La seconde série de conciles convoquée par l'abbé Hughes de Cluny, légat du pape, voit la montée en puissance de l'ordre bénédictin dans la région : Nogaro et Avignon (1060), Auch et Toulouse (1068, 1075); le concile de Toulouse de 1077, où l’on obtient la restitution des églises aux monastères sous peine d’excommunion, et le

44

CONTRASTY 1940, pp. 72-73, 76.

45

Ainsi, dans l’Aude (Saint-Pierre et Saint-Paul de Caunes en 794, Notre-Dame de Lagrasse et Saint-Polycarpe à la fin du VIIIe s.), dans le Razès (Notre-Dame d’Alet, avant 813), dans le Narbonnais (Saint-Chinian, avant 826) et dans le Roussillon (Arles-sur-Tech, Saint-Genis-les-Fontaines, Saint-André-de-Sorède et Saint-Michel-de-Cuxa, respectivement en 817, 819, 823 et 840-841). GRIFFE 1933, pp. 194-195,198, 200 et 210. DURLIAT 1962a, p. 24.

46

Ainsi, si l’évêque Nantigis d’Urgell doit se rendre à La Quar, village du haut Berguedà, pour consacrer « les temples des idoles » en l’an 900, le pauvre Oger II de Montfaucon, évêque de Couserans, se voit obligé d’utiliser, en plein XIe siècle, une partie de ses statuts synodaux afin d’interdire aux femmes d’aller « la nuit à cheval avec Diane, déesse des païens, Hérodiade ou Benzozia », divinité pyrénéenne dénaturée liée au Sabbat. BONNASSIE 1974, pp. 128-131. LIZOP 1931, pp. 359-360.

47

Les comtes manipulant les élections épiscopales, et occupaient les sièges les plus intéressants avec des membres de leur famille. Ce sera le cas, par exemple, des fils du comte Suniaire II de Roussillon, Almerade et Wadalde (916-947), ainsi que de leur petit-neveu Suniaire, tous élevés au trône épiscopal d’Elne. DURLIAT 1962a, p. 29.

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concile de Toulouse 1080, qui interdit aux laïcs la possession des dîmes. A la suite de ces conciles, des légués papaux sont dépêchés dans les chapitres et les monastères afin de les réformer à l’idéal apostolique, de veiller à l’orthodoxie des nominations et présider aux divers rituels réformateurs – déguerpissement, donation de terres, etc.48. La réforme canoniale, sous l'influence des écrits d'Augustin, insiste sur le rétablissement du pouvoir épiscopal et la régularisation des chapitres conformément à un idéal de vita apostolica qui s’appuie sur la règle augustinienne49. Présente dans le Ripollès et le Pallars-Ribagorza et accessoirement en Roussillon, elle est très prononcée dans le centre toulousain, d'où elle rayonne dans les régions voisines - Comminges et pays de Foix (figg. 1-2)50.

La réforme monastique menée par Cluny eut une diffusion plus importante et un cheminement inverse, du nord vers le sud51. Les clunisiens des Pyrénées entretiennent des liens avec l’Italie : Garin, abbé de Lézat, est en contact avec des monastères d’Italie du nord et entreprend plusieurs voyages à Rome (en 963, 978 et 993) et à Venise52. Le doge Pietro Orseolo se retire à Cuxa en 988, là même où avait séjourné le

48

Pour les conciles réformateurs en Midi-Pyrénées et les restitutions des biens ecclésiastiques, voir CONTRASTY 1940, pp. 89-97. HIGOUNET 1949, I, pp. 29-49. WOLFF 1983, pp. 38-39, 45.

49

En particulier le De celibatu sacerdotum, texte très répandu en Occident sur lequel se basa l’initiateur de la réforme augustinienne, Pierre Damien. Son engagement profond et ses relations avec Rome firent adopter ce programme par Nicolas II au concile de Rome de 1059, qui imposa aux clercs la vie commune et le célibat. DELARUELLE-HIGOUNET 1948, p. 148.

50

Elle débuta au sud, dans l’évêché d’Urgell (1010) et le chapitre de Saint-Ruf d’Avignon (1039), puis s’accéléra après les conciles de Narbonne et de Toulouse (1054 et 1061), en s’étendant successivement au Comminges, au toulousain et au pays de Foix avec la réforme de Saint-Gaudens (1056-1063), Saint-Sernin et Saint-Étienne de Toulouse (1073 et 1077), Saint-Bertrand-de-Comminges (1076), Foix (1104) et Pamiers (fin du XIe-début du XIIe s.). L’abbaye de Fredelas, qui deviendra Pamiers, est connue dès 961. AD ARIÈGE, PAILHÈS, p. 201. OTTAWAY 1994, pp. 201-206. Pour la réforme de Saint-Gaudens, voir Charles Higounet et E. Delaruelle. DELARUELLE-HIGOUNET 1948, pp. 150-152. En Roussillon, la Réforme toucha les chapitres de Saint-Jean-le-Vieux à Perpignan (1074-1102) et de Sainte-Marie de Corneilla de Conflent (1097).COLOMER 1997, pp. 30 et 32.

51

Elle commença au Xe siècle en Toulousain avec l’affiliation de Saint-Ybars (944), Muret (945), Saverdun (1031-1060), Moissac (1053), Saint Orens d’Auch (1068), La Daurade à Toulouse (1077) et Lézat, en pays de Foix (1073). Sous l’impulsion de l’abbé Garin, cette dernière abbaye regroupa à son tour dans le giron clunisien près de cent quatre-vingt églises et prieurés du Toulousain, Comminges et pays de Foix. L’abbaye de Lézat fut réformée sur demande de Roger II, comte de Comminges, sans doute à cause des nombreuses possessions qu’elle avait dans son comté et peut-être aussi pour la soustraire à Bernard-Guillaume et Béranger d’Auterive, seigneurs du comté de Cerdagne qui avaient acquis, avec le château d’Alet, le droit de nommer les évêques de Lézat. On sent ici l’entremêlement des intérêts locaux avec l’esprit de la Réforme. HIGOUNET 1949, I, pp. 30 et 51. LANIE 1828-1850, III, DE VILLEMUR, p. 10. DELARUELLE-HIGOUNET 1948, p. 148. OTTAWAY 1994, p. 200. DURLIAT 1978, p. 19. L’œuvre de Garin est comparable à celle d’Oliba en Catalogne. Frère du comte de Cerdagne, abbé de Ripoll et de Cuxa (1008), puis évêque de Vic (1018), il rompit les liens entre le Languedoc et l’Ariège pour créer un nouvel axe clunisien nord-sud à l’est, visible dans l’essor d’importantes congrégations roussillonnaises.COLOMER 1997, p. 31. JUNYENT 19682,,p. 195. BOURRET 1995, p. 49.

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Parmi les établissements inclus dans la sphère clunisienne, nous mentionnerons les abbayes de Carcassonne et d’Alet (Aude), d’Arles-sur-Tech (1078), Saint-Paul-de-Fenouillet (1078) et du Mont-Garnier, dans les Pyrénées Orientales, et surtout l’abbaye de Saint-Michel-de-Cuxa, fondation impériale (840-841) d’emblée soustraite au pouvoir

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