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Dans le présent chapitre, nous analysons le style des peintures murales pyrénéennes. Les œuvres du corpus sont analysées séparément à l'intérieur d'un regroupement par région géographique. Les cadres adoptés ne sont pas ceux d’aujourd’hui, mais correspondent aux divisions diocésaines de l’époque romane : Toulouse, Comminges, Couserans, Roussillon, Carcassonne. Fait exception le Roussillon, pour lequel nous avons adopté un terme faisant référence à la région géographique. Dans ce cas, en effet, les œuvres prises en considération se situent entre deux diocèses (Elne et Urgel), parce que la frontière franco-espagnole actuelle a séparé des territoires qui a l’époque étaient unifiés, en répercutant en France une partie du diocèse catalan d’Urgel.

L’exposition commencera par le centre le plus important de la région – Toulouse – et se poursuivra du nord au sud et d’ouest en est. Les peintures du diocèse de Carcassonne seront examinées à la fin. A l’intérieur de ce cadre, les œuvres ne seront pas présentées par ordre alphabétique, comme dans le corpus, mais selon une progression chronologique. On examinera donc, dans le cadre de chaque région, d’abord les œuvres de la première moitié du XIIe siècle, puis celles de la seconde moitié.

Les divers développements concernant l’identification des scènes, les questions techniques relatives aux enduits, aux pigments ou aux restaurations, la lecture des inscriptions, les détails de contextes historiques strictement locaux se feront de manière résumée, puisque toutes ces questions ont été étudiées dans les différentes fiches du corpus, auxquelles le lecteur sera renvoyé au fur et à mesure dans les notes.

LES DÉCORS PEINTS DE SAINT-SERNIN DE TOULOUSE (XIIE S.) La Crucifixion et les peintures de la nef

Dans ce paragraphe, nous analysons une partie des peintures murales réalisées au XIIe siècle pour décorer l’église de Saint-Sernin de Toulouse. Les ensembles pris en considération sont les peintures du Noli me tangere, de l’ange assis (figg. 3-4) et de la Crucifixion (figg. 5-7). Les deux premiers décors se trouvent sur deux piliers de la nef (première travée orientale, collatéral nord), tandis que la Crucifixion prend place à l'extrémité nord du transept (mur nord, travée occidentale, fig. 8). Ces différents décors ont fait l’objet de plusieurs commentaires de la part de Marcel Durliat69, mais jamais d'une étude approfondie, ce que nous nous proposons d'entreprendre dans ce paragraphe.

L'analyse comparée de ces peintures effectuée dans la fiche du corpus70 a permis de dégager des caractères communs laissant croire que les trois décors peuvent appartenir à une même campagne de travaux. Par exemple, on remarque dans les trois ensembles la même couleur beige claire dans les mains et le même ocre orangé dans les fonds et les vêtements. Des parentés se constatent également dans le dessin des anatomies : épaules bombées, cous épais, nimbes ronds coupés par les épaules, mains aux doigts effilés, légèrement coniques et écartés (figg. 3-4, 6-7). On observe le même procédé de hachures très fines dans le rendu des finitions des corps et des vêtements (figg. 12-13), et la même manière de diviser les ailes et les nuages en zones de couleur différente (figg. 4, 6, 11, 14). La position du mauvais larron, mort, avec sa tête appuyée sur ses épaules et son expression de souffrance, pourraient refléter l’évolution dans la représentation parallèle du Crucifié, qui apparaît plus souvent qu’auparavant mort, la tête penchée71. Enfin, le même motif a été utilisé pour délimiter l’espace de la composition : une grecque de forme complexe agrémentée de fines

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Pour les peintures des piliers de la nef, voir DURLIAT 1974, pp. 536-565. DURLIAT 1974a, pp. 8-23. DURLIAT 1978, pp. 47-136. DURLIAT 1980, pp. 49-51. DURLIAT 1983, pp. pp. 117-138. Pour la Crucifixion, voir DURLIAT 1951, p. 282. DURLIAT 1983, pp. 118-119 et surtout DURLIAT 1984, pp. 81-85.

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Voir ci-dessous la fiche du corpus pp. 360-363.

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Comme par exemple l’enluminure d’un missel de la région de la Loire réalisé vers 1100 ou au début du XIIe siècle (BNF n. a. l. 2659, fol. 1v), ainsi que les figures d’applique d’Anjou et de Bourgogne représentant le Crucifix et datant du second quart et du milieu du XIIe siècle. Pour des images, voir respectivement FRANCE ROMANE, pp. 259, 134- 135. On mentionnera aussi le Crucifix des peintures murales de la nef de Sant Pere de Sorpe (Catalogne), conservé au MNAC (inv. 113144) et daté vers le second quart ou le milieu du XIIe siècle et la Crucifixion des peintures d’Estaón, fragment conservé au Muséu Diocesà de la Seu de Urgell (EL ROMANICO, p.76 et fig. 56).

hachures caractéristiques (figg. 3-6, 9-10). On observe une différence d’épaisseur entre les bordures placées dans la partie supérieure des trois compositions. Tandis que la grecque peinte au-dessus de la Crucifixion est délimitée en haut et en bas par deux bandes dont l’une est de la même couleur que le fond, celles des piliers ne sont délimitées en haut que par le fond rouge. En outre, alors que la grecque du Noli me Tangere est doublée dans sa partie inférieure par trois bordures dont la première fait partie du fond rouge, celle qui délimite le pilier de l’ange, moins épaisse, est longée par une simple bande orange. Il en découle, pour la bordure de l’ange, une simplification de la bordure et une différence de mise en page de la composition, qui commence légèrement plus haut. Cette différenciation pourrait être due à une volonté de placer l'ange plus haut afin d’assurer suffisamment d’espace dans la partie inférieure. Mais elle pourrait aussi s'expliquer par le fait que la peinture a été réalisée par une autre main. Cette question fera l'objet d'autres commentaires au fil des pages72. Pour l'heure, nous nous contentons de mettre en évidence ces parentés qui plaident en faveur de l'appartenance des trois décors à une même campagne de travaux.

Jadis, prônant l’idée d’une contamination de procédés sculpturaux dans la peinture murale, le Noli me Tangere avait été rapproché des statues des apôtres de la cathédrale Saint-Etienne de Toulouse de l’époque de Gilabertus (figg. 15-17)73. Cette théorie reposait toutefois en grande partie sur des éléments courants et génériques, tels que les jambes croisées, le dos tourné en arrière, l’emphase des gestes, les plis arqués sur les bustes et les cuisses. Dans le domaine de la peinture, ces traits de style apparaissent aussi bien dans la peinture murale du centre de la France - notamment à Saint-Savin-sur-Gartempe ou au baptistère Saint-Jean à Poitiers (fig. 18) - que dans l’enluminure limousine des années 1100 – par exemple dans le sacramentaire de Saint- Martial de Limoges (1095-1105, fig. 19) et dans la seconde Bible de Saint-Martial (vers 1100)74. La comparaison avec ces œuvres a toutefois le mérite de nous montrer la

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Voir ci-dessous, pp. 37-43.

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DURLIAT 1974 a, pp. 19- 20, DURLIAT 1978, pp. 123-133, DURLIAT 1980, p. 50 ; DURLIAT 1983, pp. 117-121.

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Pour la date du sacramentaire de Limoges (BNF Lat. 9438, fol. 29 et 20), voir GABORIT-CHOPIN 1969, p. 211; pour une image, LAUER 1927, pl. LIII. On ajoutera une miniature de la Bible de Saint-Yrieux (mairie, Bible, fol. 93v) des premières années du XIIe siècle (GABORIT-CHOPIN 1969, fig. 168), dont le peintre était probablement en relation avec celui du sacramentaire de Limoges, une miniature de la seconde Bible de Saint-Martial, vers 1100 (BNF Lat. 82, fol. 41, LAUER 1927, pl. XXXVII, pour la date, voir GABORIT-CHOPIN 1969, p. 178) et un Commentaire sur

les Psaumes de Saint-Augustin (BNF Lat. 1987, fol. 217v, vers 1100, GABORIT-CHOPIN 1969, p. 191 et fig. 141). Le même style de plis dans les vêtements se rencontre dans l’Apocalypse de Saint-Sever, par exemple dans la représentation de l’église de Laodicée (fol. 83). LAUER 1927, pl. XXVII.

présence, dans les peintures toulousaines, de conventions typiquement picturales, comme les boules blanches finement radiées qui agrémentent les vêtements et que l’on voit dans la robe du Christ du Noli me tangere (figg. 13, 18-19).

Un détail intéressant est celui des bras du mauvais larron de la Crucifixion pris dans les traverses de la croix, selon un schéma que l’on rencontre en Angleterre, dans le Midi de la France et dans le nord de l’Espagne (figg. 12, 20)75. Or, ce même répertoire insulaire a été constaté dans l’enluminure du Midi, en particulier dans celle du scriptorium de Moissac, ainsi que dans les contextes touchés par son influence, en Catalogne et en Aragon76. Cette présence de modèles communs à l’art du Midi et à celui du centre de la France a été reconnue également dans la sculpture toulousaine77. Dans l’étude des peintures murales pyrénéennes, elle constitue toutefois une donnée secondaire, ainsi qu’on le constatera à maintes reprises dans le courant de ce travail. Ces analogies avec l’enluminure sont en revanche significatives en ce qu’elles constituent le reflet probable d’une tradition locale de peinture murale appartenant à la même culture visuelle que les grands courants toulousains de sculpture, une culture locale, forte et prestigieuse, bien affirmée à Toulouse. Mais à ce sujet, la comparaison avec les sculptures de la cathédrale ne peut être comprise de manière directe, dans la mesure où peinture et sculpture possèdent leur propres conventions expressives et suivent des formes de propagation indépendantes l’une de l’autre. Les comparaisons qui seront proposées dans les pages qui suivent n’entendent en effet pas faire coïncider deux techniques différentes, mais seulement utiliser la sculpture comme un cadre de référence – le seul disponible, en l’absence d’autres œuvres de peinture murale à Toulouse – qui puisse nous permettre d’établir des comparaisons et situer la place du décor au sein de la culture visuelle toulousaine.

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On retrouve cette particularité dans les peintures de Baguës (Aragon), sur le tympan droit de l’abbatiale de Saint- Pons de Thômières, dans les peintures murales de Saint-Sulpice de Vaiges (Loire) et dans une miniature d’un livre d’heures de la région d’Oxford (British Library, ms. Add 49999, fol. 47v). MORGAN 1982, pp. 119-121, fig. 243. DURLIAT 1951, p. 282. DURLIAT 1983, pp. 118-119. DURLIAT 1984, p. 81. HARRIS 1995, p. 90. DAVY 1997, p. 302. DAVY 1999, p. 132.

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Dans un article paru récemment, Chantal Fraisse met en évidence ces caractères dans l’enluminure de Moissac (style des pages-tapis irlandais dans les Homélies d’Origène, BNF Lat. 1631), dans celle du diocèse de Vic (influence irlandaise dans le livre de Grégoire, ms. XIV, 36 des archives capitulaires de la cathédrale de Vic provenant de l’église de Centelles et daté de la seconde moitié du XIIe siècle) et dans celles de l’Aragon (paléographie franco saxonne dans un hymnaire de Huesca daté vers 1075-1100). FRAISSE 2008, pp. 206-207. L’auteur effectue des renvois à des études similaires étendues à d’autres enluminures du Midi. On retrouve un détail très proche dans la lutte des anges de l’Apocalypse de Saint-Sever (dernier quart du XIe siècle, BNF La. 8878, fol. 159. Pour une image, voir LAUER 1927, pl. XXIV).

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Premièrement, il nous faut spécifier que l'analogie avec les apôtres de Saint-Étienne est possible surtout à partir de la peinture du Noli me Tangere. On constate effectivement dans cette représentation, ainsi que chez les apôtres de la cathédrale, la référence à des modèles communs largement répandus dans la région toulousaine et moissagaise (sculptures du porche de Moissac et du portail de Souillac, chapiteaux du deuxième atelier de la Daurade, figg. 21-22)78.

Mais ces analogies, trop génériques, nous renvoient à un cadre de référence large qui ne nous permet pas de véritablement cerner le style du décor en étude et de le situer précisément dans le panorama artistique toulousain. Il nous faut pour cela affiner davantage l’analyse stylistique de notre peinture. En quoi exactement le Noli me Tangere se rapproche-il des apôtres de Gilabertus ?

Les sculptures des apôtres de la cathédrale ont été rattachées à deux groupes différents, le premier encore dépendant des procédés de la sculpture antérieure (fig. 17), le second empreint des nouveautés de l’art de Gilabertus (figg. 15-16). D’une part, la peinture du Noli me Tangere partage avec la sculpture de Gilabertus et de ses élèves (premier groupe) les mêmes poses raffinées, la même minutie ouvragée et le même goût pour les effets de préciosité (figg. 3, 16). Les figures, quelques peu oblongues se distinguent par une vigueur plastique inédite (comparer les figg. 3, 13, 20 et 15-17, 22)79. Les spécialistes de la sculpture ont pressenti à l’arrière-plan la présence de nouveaux modèles investissant l’ensemble de la production toulousaine et que l’on a présumé être à l'origine des procédés de la sculpture plus tardive (fig. 15), notamment celle des ateliers de sculpteurs postérieurs qui travaillèrent à la Daurade et dont il sera question plus bas (figg. 62-64). En effet, ces œuvres renouvellent en profondeur les productions précédentes des années 1090-1110 – celle de Gilduin à Saint-Sernin, des chapiteaux de Moissac et des deux premiers ateliers de sculpture de la Daurade (figg. 21-23, 132, 137, 357-359, 366-367)80.

Or, on ne peut pas en dire autant de la peinture du Noli me Tangere. En effet, celle-ci partage également des analogies avec les apôtres du groupe plus archaïsant de la cathédrale. Comme ces derniers, les personnages peints à Saint-Sernin se distinguent par la vivacité de leurs gestes et le dynamisme de leurs vêtements, dont les pans

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Pour des images, voir SHAPIRO 1987, fig. 127, p. 116 et fig. 118, p. 103.

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Du point de vue de la technique de la sculpture, l’on a mis en valeur la taille du bloc de pierre par l’arête et la diagonale, plutôt que par le plan, ce qui permet un important développement volumétrique et spatial. MILHAU 1978, troisième page.

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inférieurs se soulèvent en forme de cloche (figg. 3, 13, 17). En effet, les tissus moulants, structurés par un réseau serré de petits plis doubles et concentriques, si caractéristiques des personnages de Gilabertus et de ceux du deuxième atelier de la Daurade, sont ici beaucoup moins développés. L’état de conservation de la partie basse de la robe de Marie-Madeleine (figg. 3, 314) ne permet pas de savoir si l’on aurait à faire à un procédé similaire. Mais même si cela était le cas, ce procédé resterait fortement minoritaire. En effet, ce qui s’impose à l’œil, dans la peinture du Noli me Tangere, est le caractère lisse des drapés, interrompus par quelques rares lignes courbes laissant voir de larges pans de tissu (figg. 3, 13, 17). Ces remarques portent à éloigner le Noli me Tangere des sculptures du groupe de Gilabertus pour le rapprocher des apôtres archaïsants.

Or, ces derniers ont été mis en relations avec l’art du premier atelier de la Daurade, de la Porte Miégeville de Saint-Sernin et des chapiteaux de son cloître81, et les peintures de la Crucifixion, de l’ange et du Noli me Tangere entretiennent elles aussi d'évidentes analogies avec la sculpture de la même église. C’est en effet à Saint-Sernin même – et non pas chez les apôtres de Saint-Etienne – que l’on retrouve le style mou des vêtements de l'ange peint sur le pilier, avec ses plis larges et tombants à l'aspect repassé. La même souplesse se constate dans les autres peintures à travers des détails caractéristiques. Par exemple, les plis bouffants derrière les genoux, prolongés de lignes divergentes (figg. 13, 24), l'épaisseur tubulaire des bordures des robes lorsqu’elles remontent d’une jambe à l’autre (figg. 13, 14, 24), ou la forme festonnée des cuisses des personnages, qui laisse voir des surfaces de tissu relativement amples et lisses (figg. 13, 24). En outre, le dynamisme des figures et de leurs vêtements se retrouve également chez les personnages de la Porte Miégeville.

Cette comparaison fait ressortir l'appartenance des peintures de Saint-Sernin (piliers de la nef et Crucifixion) à un horizon artistique encore très proche de celui des sculptures de la Porte Miégeville. En effet, si le sens prononcé du modelé annonce déjà l'évolution qui donnera lieu à la sculpture gilabertienne de la cathédrale, d'autre part, la souplesse moulante des vêtements indique la référence au même renouveau antiquisant auquel se rattachent les sculptures de la Porte Miégeville. En définitive, seule la peinture du Noli me Tangere arbore un style dont le caractère dur et anguleux évoquerait celui des sculptures de la cathédrale, tout en contenant encore des éléments typiques des

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MILHAU 1971, pp. 32 et suivantes. SEIDEL 1977, p. 108 ; MILHAU 1978, troisième page ; CAZES 2008a, pp. 69- 79. BERNE 2006, p. 84 ;

sculptures de la Porte Miégeville. Ceci pourrait s'expliquer par une diversité de main entre l'ange et le Noli me Tangere, en supposant que l'auteur de cette peinture avait intégré plus que les autres des nouveautés qui devaient apporter un changement profond dans l'art toulousain quelques décennies plus tard. Cette remarque rejoint l'hypothèse formulée plus haut concernant la différence de mise en page constatée dans l’emploi de la grecque qui délimite la partie haute de la composition.

D’un point de vue plus général, l'on peut affirmer que ce qui lie les peintures de la nef de Saint-Sernin aux groupe de sculptures archaïques de la cathédrale c’est une relation commune avec l'art toulousain du début du XIIe siècle. Plus particulièrement, si rien ne permet d’envisager que l’art de Saint-Sernin a pu constituer une source d’inspiration pour les apôtres de Saint-Étienne, ce qui a été dit jusqu’ici porterait à dégager le style des peintures des piliers d’une dépendance trop stricte vis-à-vis du décor de la cathédrale, pour l’inscrire de manière plus générale dans l’art toulousain, à une époque précise de son évolution. Ce moment particulier correspondrait avec une phase artistique intermédiaire entre le style antiquisant de la Porte Miégeville82 et la tridimensionnalité et l'exacerbation du détail qui caractérisent les apôtres de Saint- Étienne. Nos peintures semblent donc représenter l’une des premières manifestations d’une évolution qui porterait, à travers une production intermédiaire comme celle du groupe sculpté archaïsant de la cathédrale, à l’élaboration d’un langage inédit : celui de Gilabertus. Encore enraciné dans le renouveau antiquisant des traditions artistiques précédentes, nos peintures tendent cependant déjà vers un style nouveau qui trouvera une expression originale dans l’art gilabertien.

La comparaison avec les apôtres archaïsants de Saint-Étienne permet en outre de valoriser le haut niveau technique et le raffinement des peintures de Saint-Sernin. Ces qualités transparaissent dans l’exactitude du dessin et l’équilibre des formes, tendant à un rendu exact du corps humain, du drapé qui l’entoure voluptueusement et du mouvement équilibré de la pose des corps. La grille noire qui servait de dessin préparatoire pour la figure du mauvais larron (figg. 12, 20) montre le soin avec lequel la peinture avait été préparée83.

On remarque en outre que le peintre utilise des pigments rares dans la peinture murale romane de la région - un jaune orangé, du rose, ainsi que différentes tonalités de vert,

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Pour les relations de la Porte Miégeville avec l’art antique, voir en dernier lieu CAZES 2008, pp. 225-289.

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toutes intenses et chantantes (figg. 4, 9, 11, 13). Leur subtile juxtaposition génère des contrastes actifs aptes à détacher les figures de leur fond et à souligner leur présence dans l’espace. Le raffinement de cette tradition de peinture murale se constate également dans la délicatesse des finitions, visible par exemple dans les fines lignes tracées par-dessus les aplats, qui rehaussent la richesse ouvragée des vêtements et accentuent le volume corporel de manière très raffinée (figg. 13, 20). La faible utilisation de pigments noirs dans les plis et les anatomies montre que le peintre pratiquait une définition chromatique des formes qui lui permettait de conserver les valeurs volumétriques sans durcir les figures. Cette haute qualité d’exécution fait de ces peintures l’œuvre d'un artiste ou, plus probablement, d'artistes formés sans aucun doute dans les milieux artistiques les plus recherchés de la ville. Là où le peintre du Noli me Tangere a su opérer un mariage harmonieux entre l’idéal antiquisant de la Porte Miégeville, point culminant d’une culture artistique portée à sa plus grande perfection, et les nouvelles tendances artistiques, le sculpteur des apôtres archaïsants de Saint-Etienne semble mal maîtriser les anciennes formules autant qu'il assimilant

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