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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Savoir sauvage et savoir savant

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Academic year: 2021

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SAVOIR SAUVAGE ET SAVOIR SAVANT

Alain VERGNIOUX Université de Caen

MOTS-CLÉS: SAVOIR - SAUVAGE - VULGARISATION -IGNORANCE - CHEF

RÉSUMÉ: Le savoir sauvage se panage entre celui du chef et celui du chaman; par des voies différentes, ils assurent l'un et l'autre un principe d'ordre et de globalité sur la vie sociale. La science des modernesà l'inverse est fragmentée, technique, hypothétique. Ces deux formes de savoir entretiennent cependant des liens plus rapprochés qu'il n'y paraît de prime abord.

SUMMARY : The knowledge of primitives divides into two parts, the one of the chief and the one of the chaman; they both intend to ensure the whole arder of the society. The knowledge of modem scientists is more fragmented, technical, hypothetical. They are nevenheless nearer to each other than itcouId appear tirs!.

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1. INTRODUCTION

Rapprocher ainsi des notions venues de la didactique et de l'ethnologie, sans plus de précautions, relève-t-il de l'hypothèse savante ou de quelque barbarie spéculative? La suite seule pourra le dire. Si l'on veut marquer une première différence entre "savoir sauvage" et "savoir savant", le premier est de l'ordre de l'écrit, du texte et de l'intenextualité: il tisse entre eux des textes d"'âges" et de statuts différents; le second est essentiellement oral, ce qui ne veut pas dire qu'il ne soit pas stabilisé, voire inscrit dans des systèmes de normes relativement codifiés.

2. LE SAVOIR SAUVAGE

Le savoir sauvage est le savoir de la forêt (si/vaticus), il est celui des sociétés archaïques. Une première remarque: ce savoir se divise en deux, celui du chef, celui du chaman.

2.1 Celui du chef

Le rôle du chef consiste à dire la loi, i.e. les règles qui régissent les componements. De fait, il n'énonce rien que tout le monde ne sache déjà; il est à cet égard frappé d'un interdit, l'interdiction de modifier aucune règle; il n'est pas un législateur, il est un répétiteur de la loi. Sa compétence spécifique porte sur le choix du moment, des circonstances; il doit faire de son discours un événement et il sera jugé comme un bon ou un mauvais chef sur sa capacité à décider de la bonne opponunité de son discours. Toute société recherche l'ordre: les sources du désordre peuvent être externes (guerre) ou internes (conflit, discorde) : dans de tels contextes, le chef doit rappeler les règles, il "prévient" ou "corrige". L'imponant, c'est la forme de l'événement dans lequel le dire va prendre place; le chef doit mettre en œuvre des rites, des codes (par ailleurs connus de tous). Il a une fonction de "réflexion spéculaire" : il est le miroir du groupe social par rappon à un exigence d'ordre. Le savoir du chef consisteà :

i) savoir les règles,

ii) savoir maîtriser les formes de leur énonciation, iii) savoir représenter, figurer l'ordre social.

Même s'il ne dit rien, son silence doit garder la capacité à signifier le point de vue de l'ordre. 2.2 Celui du chaman

On devient chaman par hérédité ou par vocation spontanée (par la médiation d'un songe). Le savoir chamanique ne s'acquien pas par des voies ordinaires, son apprentissage est long et procède de l'initiation. C'est un savoir réservé à un petit nombre, voire à un seul et il ne peut être divulgué. Le chaman officie - comme le chef - àl'intérieur d'un protocole: transes, tambours, tout un éventail de formes strictement codifiées. Bien qu'on ne puisse élucider ni le contenu ni la raison du rituel, sa forme doit être respectée.

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Le chaman a un rôle de guérisseur, d'ensorceleur, etc. Il a le pouvoir de communiquer avec "les esprits" qui constituent deux types de menaces: il doit se concilier les puissances qui agissentà l'extérieur de la communauté (la nature, la forêt, les animaux sauvages) ; il doit se concilier les puissances qui agissent dans le monde des morts, les âmes revenantes des défunts.

2.3 Le partage

Le chef a pouvoir sur ce qui est de l'intérieur, le chaman a pouvoir sur ce qui est de l'extérieur. L'un et l'autre servent le désir d'ordre et le désir de sécurité de la collectivité. Il s'agit de maîtriser toutes les données de l'existence; il s'agit de répondre aussià un désir de totalité: maîtriser tout l'ordre du temps et de l'espace. Le savoir exotérique du chef porte sur le visible, le savoir ésotérique poTte sur l'invisible. L'un et l'autre travaillent à la totalisation. Leur savoir ne peut pas être partagé. L'autorité du chef relève de la reconnaissance, il agit dans la visibilité: il doit respecter les formes des interventions symboliques dévolues à sa fonction; les effets de ses interventions sont visibles: mettre fin à une querelle, organiser les opérations de guerre. L'autorité du chaman relève de la croyance; il agit dans l'invisible: nul ne peut entrer dans ses mystères. Tout se passe, en ce qui le concerne, comme si la collectivité concédait à l'un de ses membres de savoir sur et pour les autres. Le savoir du chaman est-il réel? La question n'a pas de sens. S'il doute, il est rejeté. La règle sociale est qu'il est supposé savoir et qu'il doit savoir tout ce qui est ignoré de la ·'communauté. Il y a en fait une double délégation de la communauté en direction du chaman: il détient le savoir sur l'extériorité (les forces menayames de la nature et de l'au-delà) , il détient le savoir de la totalisation (la place cosmique de l'homme).

3. LE SAVOIR SA V ANT 3.1 Science el culture

Le discours de la science moderne marque une rupture vis-à-vis du savoir sauvage; elle n'a plus la prétention de la totalisation, des pans entiers du réel lui échappent; elle ne prétend plus détenir la réponse finaleàla question de la vérité; elle se contente du provisoire. Mais cela, c'est l'analyse théorique, axiomatique, épistémologique qui le pose; en pratique on fait comme si la totalisation était en cours, la vérité possible. Par ailleurs, son articulation à la culture globale passe par de multiples médiations, dont celle de la vulgarisation d'une quantité de connaissances de plus en plus considérable et d'applications techniques de plus en plus nombreuses et quotidiennes, de telle sorte qu'elle est à la fois cantonnée dans son champ et omniprésente dans la réalité sociale.

D'un autre côté, toute culture exige une vision du monde, un point de vue totalisant; on peut considérer que la science a ici besoin d'un "complément" que produit le "travail"de la culture: on peut distinguer ici deux mouvements: celui de la vulgarisation et celui de l'expertise, La "traduction" du savoir savant que propose la vulgarisation scientifique implique aussi que tout n'est pas traduit, que le savant est supposé en savoir "plus", ce qui lui confere plus de pouvoir dans la représentation sociale qu'il n'en a de fait. En un sens le savoir savant est toujours débordé par lui-même, tenté par

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la totalisation imaginaire; cette tentation est ponée par la demande sociale: la société veut savoir; à la limite mieux vaut du pseudo-savoir que pas de savoir du tout, et le savoir savant produit du pseudo-savoir. Évoquons deux questions: ce pseudo-savoir est-il produit et présent seulement sur les marges?Lesavoir "en plus" est-il un faux-savoir ou révèle-t-il sur un autre mode et comme son supplément, la "vérité" du savoir savant dans ce qui lui "manque"?

3.2 Savoir et ignorance

Si l'on accepte les rapides analyses qui précèdent, un certain nombre de questions se présentent. Quels sont les discours socialement tenus sur la science? Quelles relations le savoir scientifique entretient-il avec la société?

La vulgarisation (et l'enseignement qui en est une manifestation formalisée) laisse accroire au profane qu'il peut s'approprier le savoir savant et qu'en droit rien ne lui est étranger du monde de la science. Mais en même temps, la vulgarisation (l'école) maintient que l'individu ordinaire ne peut pas tout savoir et présente les savants, les expens, comme l'instance sociale qui domine et maîtrise la pratique sociale scientifique et technique. On a ainsi entre la société (les profanes), le politique (l'État dont le rôle est de maintenir la cohésion sociale) et les savants-expens (prévision ni stes, voyants de l'invisible) un dispositif symbolique dont la signification est la suivante: toute société aurait besoin d'éprouver dans son corps l'existence de personnes possédant la totalité du savoir et dont le panage avec le reste de la collectivité obéirait à la double règle de la divulgation et de la rétention. "Si on accepte l'hypothèse, la vulgarisation n'enseignerait rien sinon l'illusion (nécessaire) d'une totalisation possible (dans les lieux de la science) de la maîtrise de la pratique sociale" (Vergnioux, 1989, p.211).

On a là un premier panage entre savoir et ignorance, mais il en existe un second. Dans ce dispositif, par exemple dans le moment où le vide de la connaissance et de décision est confié aux commissions d'experts, le politique, l'État, se tait: il laisse parler. Pierre Clastres souligne celle étrangeté (Clastres, 1974) : le chef est un faiseur de paix, il doit modérer les querelles, apaiser les conflits. Il doit être un bon orateur, mais sa parole est vide, ses discours ne sont pas écoutés, ils doivent seulement être réussis formellement.Àl'inverse, le discours du chaman doit être assuré, sûr de lui et sa vérité; il doit se présenter comme discours plein. Si le chaman doute ou s'il est mis en doute, il est perdu. Son autorité se fonde sur un faire-semblant (nécessaire) et sur l'appareil social de croyance. Dans cet équilibre il resterait à définir les rôles de transmission et de renvois - peut-être circulaires - des différentes fonnes de ce que nous appelons la "médiation culturelle".

4. CONCLUSION

Que fait le peuple? Il se situe entre savoir et ignorance, plutôt ignorant cependant, d'une ignorance institutionnelle et assumée. Mais surtout, il juge: il poursuit le chef de ses quolibets s'il a été mauvais dans son palabre; il met le chaman en accusation et peut le châtier si ses interventions se révèlent inefficaces. L'acte fondateur du social est "méta-social" dit Pierre Clastres: c'est le

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dispositif institutionnel et symbolique que nous avons tenté de décrire, avec une étrange situation où la science ne peut remplir sa fonction que par J'injonction de se mettre hors d'elle-même: dans une sorte de sauvagerie.

BIBLIOGRAPHIE

CHEVALLARDY.,La transposition didactique, Grenoble: La Pensée sauvage, 1985. CLASTRES P.,Recherches d'anthropologie politique, Paris: Seuil, 1970.

CLASTRES P.,La société contre /' État, Paris: Éd. de Minuit, 1974.

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