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L'office du juge et la preuve dans le contentieux administratif à la lumière du droit français et du droit libanais

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Academic year: 2021

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Texte intégral

(1)

Pour l'obtention du grade de

DOCTEUR DE L'UNIVERSITÉ DE POITIERS UFR de droit et sciences sociales

Centre d'etude et de recherche sur les territoires et l'environnement (Poitiers) (Diplôme National - Arrêté du 7 août 2006)

École doctorale : Droit et science politique - Pierre Couvrat (Poitiers) Secteur de recherche : Droit public

Présentée par : Fadi Rabbat

L'office du juge et la preuve dans le contentieux administratif à la lumière du droit français et du droit libanais

Directeur(s) de Thèse : Christian Debouy

Soutenue le 11 juillet 2013 devant le jury

Jury :

Président Jean-François Brisson Professeur - université BORDEAUX 4

Doyen de la Faculté de Droit et Science politique de Bordeaux Rapporteur Jean-François Brisson Professeur - université BORDEAUX 4

Doyen de la Faculté de Droit et Science politique de Bordeaux

Rapporteur Albert Serhan Professeur à la Faculté de Droit de l’USEK – Université Saint-Esprit de Kaslik (Liban)

Président de la 5e Chambre du Conseil d’État libanais

Membre Christian Debouy Professeur des Universités

Directeur du CERETE

Responsable du Master 2 professionnel de droit de l’urbanisme et de la construction - Université de Poitiers

Pour citer cette thèse :

Fadi Rabbat. L'office du juge et la preuve dans le contentieux administratif à la lumière du droit français et du droit libanais [En ligne]. Thèse Droit public. Poitiers : Université de Poitiers, 2013. Disponible sur Internet

(2)

ÉCOLE

DOCTORALE

D

ROIT ET

S

CIENCE

P

OLITIQUE

– ED

088

L’

OFFICE DU JUGE ET LA PREUVE DANS LE CONTENTIEUX ADMINISTRATIF

ÀLALUMIÈREDUDROITFRANÇAISETDUDROITLIBANAIS

Thèse pour le doctorat en droit public

présentée et soutenue publiquement le 11 juillet 2013 par

Monsieur Fadi Rabbat

DIRECTEUR DE RECHERCHE

Christian DEBOUY

Professeur

Directeur du CERETE

Responsable du Master 2 professionnel de droit de l’urbanisme et de la construction Faculté de Droit et des Sciences sociales de l’Université de Poitiers

SUFFRAGANTS

Jean-François BRISSON

Professeur

Doyen de la Faculté de Droit et Science politique de Bordeaux

Albert SERHAN

Professeur à la Faculté de Droit de l’USEK – Université Saint-Esprit de Kaslik – Liban Président de la 5e Chambre du Conseil d’État libanais

(3)

L'université de Poitiers n'entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans les thèses ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.

(4)

Dédicace

Cette thèse est dédiée à mon Métropolite, Son Éminence Antoine CHEDRAOUI, archevêque de l’Église orthodoxe d’Antioche, au Mexique, au Venezuela, en Amérique centrale et aux îles des Caraïbes, qui a eu confiance en moi, qui m’a ordonné prêtre avec le grade d’Archimandrite, et avec qui je partage la même maison et les mêmes moments, emplis de sagesse et de joie.

« Sayyedna », merci pour votre générosité, votre compréhension ; et merci pour la grande patience dont vous avez su faire preuve.

(5)

Remerciements

Une thèse n’est pas seulement l’aboutissement du travail d’un doctorant. C’est également une charge pour le jury et les proches. Cette courte page de remerciements leur est dédiée.

En préambule à cette thèse, je souhaite adresser mes remerciements à mon directeur de thèse, le professeur Christian DEBOUY, pour l'aide compétente qu'il m'a apportée, pour sa patience et son encouragement à finir un travail commencé il y a longtemps, ainsi que pour l'inspiration, l'aide et le temps qu'il a bien voulu me consacrer ; sans lui, cette thèse n'aurait jamais vu le jour. Son œil critique m'a été très précieux pour structurer ce travail et pour améliorer la qualité des différentes sections. Il s'est toujours montré à l'écoute et très disponible tout au long de la réalisation de cette thèse.

Je remercie également mes rapporteurs, Monsieur le Professeur Jean-François

BRISSON, doyen de la faculté de droit et science politique de Bordeaux, et Monsieur le Professeur Albert SERHAN, professeur de droit public à la faculté de droit de l’université Saint-Esprit de Kaslik (Liban), président de la 5e chambre au Conseil d’État libanais, pour le soin qu’ils ont apporté à la lecture et à l’évaluation de ce manuscrit.

Puis, je tiens à remercier particulièrement mon professeur de contentieux administratif à la faculté de droit de l’université Saint-Esprit de Kaslik, le président Joseph CHAOUL, président honoraire du Conseil d’État libanais, ex-ministre de la Justice, pour m'avoir donné la possibilité de connaître profondément la procédure administrative contentieuse et pour m'avoir fait profiter de ses connaissances, aussi bien théoriques que pratiques, sur les analyses systémiques et juridiques en matière de droit administratif comparé.

Ensuite, j'exprime aussi ma gratitude à ma famille, et particulièrement à ma maman, pour l'amour qu'elle porte à quelqu'un qui travaille souvent tard le soir...

L'aboutissement de cette thèse a aussi été encouragé par de nombreuses discussions avec des collègues de disciplines variées. Je ne citerai pas de noms ici, pour ne pas en oublier certains.

(6)

D'autres personnes m'ont encouragé, par leurs manifestations d’amitié, à mener à bien cette recherche. Qu’elles soient assurées de ma profonde reconnaissance. À titre d'exemple, je citerai mon ami d’enfance, le Dr Jad KHALIFE, ma collègue, Madame le juge Dr Chantal Abou YAZBEK, ainsi que mes collègues, Messieurs les avocats Auguste BAKHOS et Alfred SERHAN.

Enfin, j'adresse mes plus sincères remerciements à tous mes proches et amis, qui m'ont toujours soutenu et encouragé au cours de la réalisation de cette thèse.

(7)

RÉSUMÉ

ET

MOTS-CLÉS

ABSTRACT

AND

KEYWORDS

(8)

Résumé en français

En matière de procédure administrative contentieuse, le pouvoir inquisitorial du juge administratif s’est, depuis peu, fortement développé. Partant, il est légitime de se poser la question suivante : au « juge-arbitre », ne s'est-il pas substitué un « juge-providence », dont la mission est de faire éclater la vérité aux yeux des « justiciables assistés » ?

Mais comment le juge établit-il la vérité ? Quid de la notion de preuve ? Telle est bien la problématique principale liée à l’office du juge administratif. Afin d’apporter des réponses pragmatiques à ces interrogations, nous avons pris en compte l’action du juge face à la preuve. C’est en se plaçant sous l’angle du juge que l’étude de la preuve doit être abordée. La raison réside dans l’indissociabilité entre l’étude de la preuve administrative, d’une part, et l’étude de l’aspect inquisitorial de la procédure, d’autre part. La preuve, qui à la base est un concept essentiellement objectif pour les parties au procès, devient subjective dès lors qu’elle fonde l’intime conviction du juge. Chacun peut donc avoir de la preuve une vision différente selon le point de vue adopté : celui des parties ou celui du juge. Ici, c’est le juge qui dirige le procès. C’est pourquoi, dans notre thèse, nous tentons de déterminer le rôle qu’il joue dans la recherche de la preuve. Nous essayons de décrypter ses modes de pensée et de découvrir ses méthodes de travail afin de mettre en avant ce qu’il fait, sa manière de le faire et les obstacles se dressant entre lui-même et sa quête de la vérité.

Mots-clés en français

Acquiescement allégation appréciation archives argumentation authenticité -authentification - aveu - balance/charge des preuves - chose jugée - communication (des pièces) - comparution - compromis (sur la preuve) - conclusions (des parties) - confidentialité - constat - contradictoire - contre-expertise - contrôle - conviction - documents (administratifs) - dossier - doute - droits de la défense - échanges (des pièces) - écoutes - écrits - électronique (preuve) - enquête - enregistrement - exactitude matérielle des faits - expert - expertise - fait - faux (inscription de faux) - fichier - force probante - informatique (preuve) - inquisitoire - inscription de faux - instruction - intervention (du juge) - motivation - moyens - office du juge - notification - ordre public - partie - photocopie - pièces - présomption - privilèges - procédure - qualification (juridique) - rapporteur - référé - expertise - instruction - secrets (contre la preuve) - serment - signature - silence - supplément d’instruction - témoignage - urgence - vérification - visite des lieux.

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Abstract

In the contentious administrative procedures, the inquisitorial authority of the administrative judge, have been developed for a while. Hence, it is legitimate to ask the following question:” does a providence-judge substitute the “referee”, whose mission is to unveil the truth to the "assisted litigants “?

But how does the judge establish the truth? What about the notion of proof? This is the main problematic related to the office of the administrative judge. In order to bring pragmatic answers to these interrogations, we took into account a judge's action vis-a-vis the proof. Therefore the proof study must be approached by standing in the judge position. The reason lays in the indivisibility between the study of the administrative proof, on the one hand, and the study of the inquisitorial aspect of the procedure, on the other hand. The proof, that at the basis is an essentially objective concept for the parties, becomes subjective from the moment it founds the judge's intimate conviction. Therefore each one can have a different view of the proof according to the adopted point of view: the one of the parties or the judge. Here, it is the judge who directs the lawsuit. This is why, in our thesis, we tempt to determine the role that he plays in the quest of the proof. We try to decrypt its modes of thought and to discover its methods of work in order to introduce what he does, his way of doing it and the obstacles between him and his quest of the truth.

Keywords

Approval / agreement - citation / allegation - estimation / assessment - archives / records - argumentation - authenticity - authentication - confession - balance / change of proofs - by guess work - to communicate a document - appearance in court - to be compromised - conclusions - confidentiality - affidavit drawn up by a bailiff - contradictory / conflicting - second assessment - checking - conviction / belief - administrative document - file - doubt / uncertainty - defense low - exchange - listening - written - electronic - inquiry / enquiry - registration - exactness / exactitude - expert / skilled - valuation / assessment - fact - scythe - file - strength convincing -data processing - inquisitorial - inscription scythe -instruction - intervention - motivation - medium - office of judge - notification - public order - party - photocopy - pieces - presumption / assumption - privilege - procedure - qualify - telltale / sneak - summary proceedings - valuation / assessment - secret urgent - verification - visit of location.

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RÉSUMÉETMOTS-CLÉS–ABSTRACTANDKEYWORDS ... 6

SOMMAIRE ... 9

LISTEDESABRÉVIATIONS ... 11

INTRODUCTION ... 15

PARTIE I L’ÉTENDUEDUPOUVOIRDUJUGEADMINISTRATIFEN MATIÈREDEPREUVE ... 37

TITREI LEPOUVOIRDUJUGEDANSL’ADMINISTRATIONDELA PREUVE ... 39

CHAPITRE I LE POUVOIR DU JUGE DANS LE CONTRÔLE DES PREUVES ... 42

CHAPITRE II LE POUVOIR DU JUGE DANS LA RECHERCHE DES PREUVES ... 132

TITREII LEPOUVOIRDUJUGEDANSLACHARGEDELAPREUVE ... 251

CHAPITRE I LA CHARGE DE LA PREUVE DEVANT LES TRIBUNAUX JUDICIAIRES ET LES TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS ... 255

CHAPITRE II LA RÉPARTITION DE LA CHARGE DE LA PREUVE ... 345

PARTIEII LESLIMITESDUPOUVOIRDUJUGEADMINISTRATIFEN MATIÈREDEPREUVE ... 402

TITREILESLIMITESABSOLUESDUPOUVOIRDUJUGEADMINISTRATIF ENMATIÈREDEPREUVE... 405

CHAPITRE I LES LIMITES TENANT AUX PRINCIPES RÉGISSANT L’ACTION JURIDICTIONNELLE ... 408

CHAPITRE II LES LIMITES TENANT À L’INTERVENTION DU JUGE À LA RECHERCHE DES PREUVES ... 474

TITREII LESLIMITESRELATIVESDUPOUVOIRDUJUGE ADMINISTRATIFENMATIÈREDEPREUVE ... 530

CHAPITRE I LES LIMITES TENANT À L’INITIATIVE ANTE-JUDICIAIRE DU LITIGE ET À LA NATURE DU POUVOIR EXERCÉ PAR L’ADMINISTRATION ... 532

CHAPITRE II LES LIMITES TENANT À L’ÉTABLISSEMENT DE LA CONVICTION MÊME DU JUGE ... 600

CONCLUSIONGÉNÉRALE... 670

BIBLIOGRAPHIE ... 677

INDEX ... 707

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(13)

A.J.D.A ... Actualité juridique droit administratif. Art. ... Article.

Ass. ... Assemblée. Bull. ... Bulletin. Bull. civ. ... Bulletin civil. C. ... Code.

C.A.A. ... Cour administrative d’appel.

Cah. Jur. Elec. Gaz. ... Cahiers juridiques électricité et gaz. Cass. ... Cour de cassation.

C.E. ... Conseil d’État.

C.E.D.H. ... Cour européenne des droits de l’homme.

C.E.D.H. ... Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

C.E.L. ... Conseil d’État libanais. Cf. ... Confrontez.

Chron. ... Chronique.

Civ. ... Arrêt de la chambre civile de la cour de cassation. C.J.A. ... Code de la justice administrative.

Concl. ... Conclusions.

Com. ... Cour de cassation chambre commerciale. Cons. const. ... Conseil constitutionnel.

Crim. ... Cour de cassation chambre criminelle. C.P.C.F. ... Code de procédure civile français. D. ... Recueil Dalloz

D.H. ... Recueil Dalloz hebdomadaire. Doctr. ... Doctrine.

D.P. ... Recueil Dalloz périodique.

(14)

E.D.C.E. ... Études et documents du Conseil d’État.

Ency.Dalloz cont. adm.Encyclopédie Dalloz contentieux administratif. Fasc. ... Fascicule.

G.A. ... Les grands arrêts de la jurisprudence administrative. Gaz. Pal. ... Gazette du Palais.

J.C.P. ... Juris-Classeur périodique (Semaine Juridique). J.O. ... Journal officiel.

Juris-Class. adm. ... Juris-Classeur administratif.

L.G.D.J. ... Librairie générale de droit et de jurisprudence. L.P.F. ... Livre de procédure fiscale.

N.C.P.C. ... Nouveau code de procédure civile. Obs. ... Observations.

Op. cit. ... Ouvrage précité. Plén. ... Plénière.

P. ... Page. Pp. ... Pages.

R.A. ... Recueil administratif libanais.

R.C.E.L. ... Règlement du Conseil d’État libanais.

Rec. C.E. ... Recueil du Conseil d’État français ou Recueil Lebon. Rev. adm. ... Revue administrative.

Rev. droits. ... Revue Droits.

Rev. hist. fac. droit. .... Revue historique fascicule Droits. Rev. int. dr. comp. ... Revue internationale de droit comparé. Rev. trim. dr. civ. ... Revue trimestrielle de droit civil.

R.D.P. ... Revue de droit public et de la science politique en France et à l’étranger.

R.F.D.A. ... Revue française de droit administratif.

(15)

R.J.A. ... Revue de la justice administrative libanaise. R.P.D.A. ... Revue pratique de droit administratif. S. ... Recueil Sirey.

Sect. ... Section. T. ... Tome.

T.A. ... Tribunal administratif. T.C. ... Tribunal des conflits.

T.G.I. ... Tribunal de grande instance. U.S.E.K. ... Université Saint-Esprit de Kaslik.

(16)
(17)

1. Dans la Grèce antique, on distinguait trois niveaux de société : l'« Acropolis », où régnaient les dieux, l'« Aeropagos », où siégeaient les juges, et l'« Agora », où déambulaient les politiciens. Ainsi, les juges, qui ne sont ni dieux ni politiciens, ont pour seule fonction naturelle de « dire le droit et trancher les litiges »1.

2. L'accomplissement de cette mission emprunte toutefois des voies différentes selon les modalités de la procédure à laquelle les parties et les juges sont soumis. Il est classique de distinguer, de ce chef, les procédures accusatoires, dans lesquelles les parties ont un rôle prépondérant dans le déclenchement et la conduite du procès ainsi que dans la recherche des preuves ; et les procédures inquisitoriales, dans lesquelles la conduite de l'instruction et la recherche des preuves incombent au juge.

3. Le terme « inquisitorial » s’applique à une procédure qui est menée par le juge. Ainsi, dans une « procédure inquisitoriale », c’est le rôle du juge qui prédomine, tant dans la conduite de l'instance que dans la recherche des preuves.

4. Nous retrouvons cette opposition entre d’une part la procédure accusatoire et d’autre part la procédure inquisitoriale encore aujourd’hui, bien que teintée d’une forte superficialité. En effet, aucune forme de procédure ne peut être uniquement accusatoire ou inquisitoriale. La comparaison entre les différents systèmes processuels, selon les périodes, les nations voire aussi les matières, révèle plus souvent des différences que des antinomies totales.

5. Les solutions admises dans l'histoire, en droit comparé et dans les divers contentieux, dépendent néanmoins d'un choix entre deux conceptions possibles du procès, selon qu'il est perçu comme un instrument d'arbitrage entre des intérêts privés ou comme un instrument d'intérêt général, encore qu'il se situe toujours, à des degrés divers, au confluent du droit public et du droit privé, de l'intérêt général et de l'intérêt particulier.

6. La stratégie du procès est néanmoins dominée par les rôles respectifs dévolus au juge et aux parties, qu'il s'agisse de l'introduction de l'instance, de l'émission des prétentions des parties, de l'argumentation sur laquelle elles se fondent, de la conduite de l'instruction, de la production ou de la recherche des preuves.

1 Juris dictio.

(18)

7. En droit français comme en droit libanais, le principe dispositif selon lequel les parties ont seules le pouvoir de déclencher, de conduire et d'arrêter l'instance, ainsi que de déterminer la matière litigieuse, occupe une place de choix parmi « les principes directeurs

du procès ».

8. Certes, en matière civile, ce sont donc les parties qui déterminent l'objet du litige, l'office du juge étant limité, par le principe de l'immutabilité du procès, au domaine de la contestation circonscrit par les plaideurs. Mais c'est le juge qui a le pouvoir d'apprécier et même de modifier le fondement juridique des prétentions des parties, en restituant aux faits et actes litigieux leur exacte qualification, sans s'arrêter à la dénomination qu'elles en auraient proposée. Dans ce sens, son office est identique à celui du juge administratif.

9. Notons également que le juge civil, à l’instar du juge administratif, peut relever d'office les moyens de pur droit, quel que soit le fondement juridique invoqué par les plaideurs.

10. Nous constatons, en droit comparé, que ce soit en matière civile ou en matière administrative, une tendance très nette à un renforcement des pouvoirs du juge pour concilier les prérogatives des parties avec le souci d'une bonne justice et le fonctionnement du service public.

11. En France, c'est en ce sens qu'a évolué le droit processuel, au gré des réformes qui ont particulièrement affecté la procédure civile contemporaine qui, jadis essentiellement contradictoire, s'est maintenant largement teintée d'inquisitoriale. Le juge y a acquis un rôle actif dans la conduite du procès. Il lui appartient de veiller « au bon déroulement de

l'instance », d'impartir des délais, d'ordonner les mesures d'instruction nécessaires, de

garantir le respect du contradictoire... L'organisation, devant le Tribunal de grande instance et la Cour d'appel, d'une phase de « mise en état des causes » et, devant la plupart des autres juridictions, d'une pratique, même informelle, du même ordre permet au juge d'imposer son rythme au procès.

12. Devant les juridictions administratives, la procédure est traditionnellement inquisitoriale, ce qui permet d'atténuer l'inégalité entre l'administration et les particuliers. À des degrés divers, les procédures, bien qu'à la discrétion des parties, sont conduites sous l'autorité du juge. Elles se développent et se décantent tout au long d'une phase

(19)

d'instruction qui permet d'en tracer le cadre, qui fixe la matière à juger, puis se fige pour permettre à la phase de jugement de s'accomplir.

Délimitation du sujet

13. À partir de cette conception, l’office du juge semble revêtir une importance majeure. Toutefois, il convient d’expliquer l’expression « office du juge », qui a été et qui reste aujourd'hui largement étudiée en doctrine et qui fait l'objet d'une abondante jurisprudence.

14. En effet, l'expression « office du juge », utilisée par la doctrine bien avant la promulgation du code de procédure civile2, trouve sa source dans l'« officium judicis »,

expression venue de Justinien3. Le terme latin « officium » exprime « tout ce qui engage ou

oblige, qu'il s'agisse de morale, de serviabilité, de complaisance ou de respect dû à un supérieur »4.

15. L'expression suggère donc, dans son sens premier, que le juge doit faire ce que son devoir lui commande. Dans les textes juridiques, elle prend le sens de service, de charge ou de commandement5. Elle est employée par certains auteurs modernes lorsqu'ils évoquent

les pouvoirs d'intervention du juge dans le procès6.

2 Elle est abondamment utilisée par Monsieur NORMAND (Le juge et le litige, Bibl. Dr. Privé, T. 65, L.G.D.J., 1965), ainsi que par MOTULSKY (« L'office du juge et la loi étrangère », in Mélanges J.

MAURY, Dalloz Sirey, 1960, T. I, pp. 337 et suivantes, Écrits, T. III (« Études et notes de droit

international privé », pp. 87 et suivantes).

3 P. OURLIAC, « L'office du juge dans le droit canonique classique », in Mélanges P. HEBRAUD, 1981,

pp. 627 et suivantes.

4 « La procédure civile et l'ordre public », in Mélanges ROUBIER, T. II, Dalloz Sirey, 1961, pp. 303 et

suivantes, notamment n° 2. 5 P. OURLIAC, op. et loc. cit.

6 J. VINCENT et S. GUINCHARD, Procédure civile, 23e éd., Précis Dalloz, 1994, n° 536. En revanche,

d'autres auteurs préfèrent évoquer les « pouvoirs » (J. HÉRON, Droit judiciaire privé, coll. « Domat droit privé », Montchrestien, 1991, n° 229) ou le « rôle » (L. CADIET, Droit judiciaire privé, Litec, 1992, n° 897) du juge.

(20)

16. L'office du juge a pu ainsi être défini, de façon très générale, comme « l'ensemble

des pouvoirs et des devoirs qui sont attribués au juge et qui servent de cadre à son activité »7. L'étendue de l'office du juge dépend de la conception du procès civil retenue

dans un système juridique donné. À cet égard, les auteurs distinguent traditionnellement la procédure accusatoire de la procédure inquisitoriale8.

17. Dans la procédure accusatoire, le litige est « la chose des parties » et le juge joue le rôle effacé d'un arbitre qui les départagera, le moment venu, en se fondant sur les « matériaux » fournis par elles mais sans participer à la recherche d'une vérité objective. Il est alors le « juge des prétentions »9 et « le spectateur impassible du débat judiciaire »10,

dont l'intervention vise à l'apaisement du conflit. Dans une telle conception du procès civil, les pouvoirs du juge sont relativement limités, car les parties peuvent disposer de la matière litigieuse.

18. Au contraire, dans une procédure inquisitoriale, comme c’est le cas en matière de procédure administrative contentieuse, la mission essentielle dévolue au juge est l'application de la loi. À cette fin, il dispose de pouvoirs étendus dans la recherche de la vérité objective11. Il devient alors juge des faits et non plus des seules prétentions des

parties. Il mène l'instruction ainsi que l’ensemble des investigations qu'il considère utiles au dévoilement de la vérité, en respectant toutefois le principe du contradictoire.

19. Cependant, il n'est pas certain que la distinction des deux types de procédure, transposée du procès administratif, soit réellement adaptée et utile au procès civil12. Il ne

7 P. MAYER, « L'office du juge dans le règlement des conflits de lois », Travaux du Comité français de

droit international privé, 1977, pp. 133 et suivantes.

8 Voir, à cet égard, H. SOLUS et R. PERROT, Droit judiciaire privé, T. III, Procédure de première

instance, Sirey, 1991, n° 77.

9 H. CROZE et C. MOREL, Procédure civile, P.U.F., 1988, n° 194.

10 J. NORMAND, Le juge et le litige, n° 40.

11 Voir, à cet égard, M. CARATINI, « Vérité judiciaire et vérité objective en matière civile », G.P. 1986, II, doctrine, pp. 405 et suivantes. ; J.-M. LE MASSON, La recherche de la vérité dans le procès civil, thèse, Nantes, 1991.

12 En ce sens, J. HÉRON, op. cit., n° 207 : « Si l'on peut dire que telle prérogative reconnue aux parties

relève plutôt d'un esprit accusatoire ou qu'à l'inverse, tel pouvoir du juge revêt un caractère inquisitoire, dans la plupart des cas, la recherche se révèle artificielle et inutile. On peut même penser qu'elle est parfois nuisible : par son simplisme quelque peu manichéen, l'opposition de l'accusatoire et de l'inquisitoire risque de détourner des données véritables du procès civil, qui sont seules à même d'inspirer le législateur. » Dans le même sens, L. CADIET, op. cit., n° 870, pour qui la procédure civile

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saurait, en tout cas, être question de soumettre intégralement le procès civil au dirigisme judiciaire, des intérêts purement privés étant exclusivement en jeu. Inversement, il est impossible d'abandonner l'instance à la discrétion des litigants, le juge devant jouer un rôle régulateur. Tout au plus, nous pouvons observer, selon les époques et les pays, tantôt une « dominante accusatoire », tantôt une « dominante inquisitoire »13.

20. Le choix de l'une ou de l'autre n'est pas, comme nous pourrions le croire, purement technique. Il dépend, en grande partie, des options politiques et économiques prises dans un pays14.

21. Tient-on, dans un système dirigiste, à ce que certains principes et règles fondamentaux pour l'organisation de la société soient appliqués, éventuellement à l'encontre des intérêts privés des plaideurs eux-mêmes ? Il faut alors conférer au juge des pouvoirs d'intervention importants. Souhaite-t-on, au contraire, dans une société libérale, que les individus restent entièrement maîtres de leurs droits subjectifs et de la sanction de ceux-ci ? Les pouvoirs du juge doivent alors être restreints.

22. Chacun des systèmes a ses inconvénients et ses avantages. La procédure « à

dominante accusatoire » prévient tout risque d'arbitraire15 mais ses inconvénients ont été

soulignés, notamment dans l'hypothèse où l'une des parties se défend mal ou est mal défendue, le juge ne pouvant alors y suppléer. En outre, il a été fait valoir que, lorsque le procès est porté devant le juge, il ne peut plus être tout à fait la chose des parties16.

23. Dans une procédure « à dominante inquisitoriale », le juge n'est plus à la merci des erreurs ou des manœuvres des parties. Cependant, le système n'est pas exempt de tout

« par essence est tout à la fois la chose des parties et celle du juge », et R. MARTIN, Répertoire

procédure civile, Dalloz, v° « Principes directeurs du procès », 1992, n° 14.

13 Sur ce point, voir H. SOLUS et R. PERROT, op. cit., n° 77.

14 C'est pourquoi il est dommage que le débat relatif à ce choix n'ait plus lieu au Parlement, la matière étant de la compétence du pouvoir exécutif sous la Cinquième République.

15 Voir, pour une défense du procès accusatoire, R. MARTIN, « Un autre procès possible ou est-il interdit de rêver ? », Rev. Trim. Dr. Civ., 1994, p. 507.

16 A. TISSIER, « Le centenaire du code de procédure civile et les projets de réforme », Rev. Trim. Dr.

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reproche, car il porte en lui le germe de l'arbitraire et devient, tout naturellement, le serviteur zélé des idéologies totalitaires17.

24. L'histoire nous montre qu'il n'est pas toujours aisé de concilier les intérêts privés des parties au procès et les impératifs de la recherche de la vérité. Le droit canonique a tenté cette conciliation en élaborant une théorie très complète de l'office du juge18.

25. Celui-ci a la maîtrise du droit applicable et dispose donc de pouvoirs importants : « officium judicis latissimum est ». Il lui est ainsi possible de relever d'office les moyens tenant à « l'utilité publique »19 ainsi que les moyens de pur droit20. On s'éloigne d'une

procédure purement accusatoire.

26. Dans le code de procédure civile de la Cité du Vatican, entré en vigueur en 1946, la « dominante inquisitoire » est fortement marquée. Le juge n'est pas seulement chargé de résoudre des conflits privés, il doit faire apparaître la vérité objective21. C'est pourquoi la

maîtrise du droit et l'initiative du déroulement de l'instance lui sont conférées à partir du moment où il est saisi.

27. En France, les légistes royaux s'inspirent de principes analogues et fondent sur ceux-ci le gouvernement des juges des derniers siècles de l'Ancien Régime. En réaction contre cette toute-puissance génératrice d'abus, les révolutionnaires vont chercher à museler le pouvoir judiciaire. Ainsi, ROBESPIERRE, devant l'Assemblée constituante, le

17 Cette théorie, poussée à l'extrême, fut reçue dans les droits nationaux-socialistes et soviétiques, où la procédure inquisitoire fut appliquée avec une telle rigueur qu'on en arrivait à la négation de tout droit subjectif. À ce propos, le professeur BRULLIARD (« Le code de procédure civile de la Cité du Vatican », R.I.D.C., 1948, 237) remarquait : « On tendait sous le régime nazi et on y est arrivé sous le

régime soviétique, à une organisation du procès dans laquelle le rôle des parties disparaît presque complètement. Le juge est maître de la marche du procès, il est maître de décider s'il y a lieu ou non de législation, la jurisprudence n'est autre chose que la loi. »

18 Dans ce sens, les points de convergence entre le droit canonique classique et moderne et le droit processuel contemporain sont intéressants à analyser, par exemple concernant l’administration de la preuve.

19 C'est-à-dire lorsque l'intérêt général est intéressé.

20 Les deux catégories de moyens ne sont pas toujours très clairement distinguées par les canonistes ; à propos de la distinction en droit positif, voir infra, n° 57 et suivants.

21 Voir, à cet égard, G. BRULLIARD, article précité, spécialement p. 245 : « Lorsqu'une personne a

prétendu que la loi était violée, elle met en jeu à côté de son propre intérêt à obtenir satisfaction, un intérêt public qui est de savoir si la loi a bien été transgressée ou non. »

(23)

10 novembre 1790, déclare-t-il : « Le mot de "jurisprudence" doit être effacé de notre

langue.»

28. Il va sans dire que, dans ces législations, le respect des droits de la défense et du principe du contradictoire n'était pas assuré.

29. Par crainte du retour au gouvernement des juges, est étouffée dans l'œuf toute initiative des magistrats. En rendant sa décision, le juge doit rendre à chacun son dû, en faisant preuve d'une neutralité absolue. Il doit jeter dans la balance les moyens des parties, apprécier le poids des arguments produits et se prononcer dans le sens indiqué par le fléau22. Le magistrat doit faire preuve de « sagacité et de prudence »23 et écouter en silence

le « double monologue émanant des parties »24.

30. La mission du juge n'est pas, en matière civile, de protéger la société, mais seulement de départager deux individus qui s'opposent sur un terrain purement privé. En conséquence, il ne peut trancher le litige que sur le fondement des faits et des règles de droit invoqués par les plaideurs. Une telle conception est, bien sûr, le reflet du libéralisme ambiant et du triomphe de l'autonomie de la volonté25. Cette conception du rôle du juge fut

consacrée par le code de procédure civile pendant plus d'un siècle.

31. Cependant, dès le milieu du dix-neuvième siècle, la Cour de cassation affirme déjà : « ...le juge saisi de la connaissance d'une contestation ne peut la juger que

conformément aux lois qui régissent la matière lors même que l'application de ces lois n'aurait pas été formellement requise par les parties... »26

22 P. OURLIAC, op. cit., p. 629.

23 Exposé des motifs de TREILHARD au corps législatif sur la première partie du code de procédure civile, séance du 4 avril 1806.

24 H. MOTULSKY, « La réforme du code de procédure civile par le décret du 13 octobre 1965 et les principes directeurs du procès », J.C.P., 1966, I, 1996, Écrits, T. I (« Études et notes de procédure civile »), Dalloz, 1973, pp. 130 et suivantes.

25 Le recours à la notion de « contrat judiciaire » le montre ; voir, à cet égard, H. SOLUS et R. PERROT,

op. cit., T. III, n° 8.

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32. La Haute Juridiction manifeste ainsi, à plusieurs reprises, son intention de redonner au juge un rôle important dans le procès civil27. Consacrant cette jurisprudence, le

décret du 13 octobre 196528 institue le juge de la mise en état et amorce une redistribution

des rôles entre le juge et les parties pendant la phase d'instruction du procès. L'article 82 dispose : « Aucun moyen, même d'ordre public, non soulevé par les parties, ne pourra être

examiné d'office sans que celles-ci aient été appelées à présenter leurs observations. »

33. Est donc conféré au juge le pouvoir d'introduire dans le débat un moyen non soulevé par les parties, à condition de respecter le principe du contradictoire.

34. Le législateur29, en 1971, parachève cette évolution en octroyant au juge des

pouvoirs plus étendus dans la direction du procès, sous l'impulsion de MOTULSKY, inspirateur de la réforme et convaincu de la nécessité « de prendre conscience de la part

active qui revient au juge dans la recherche commune d'une solution qui certes consiste à trancher des conflits d'intérêts privés, mais à laquelle... l'idéal de justice ne saurait demeurer étranger »30.

35. Il n'a pas voulu, cependant, opérer un choix entre les deux conceptions du procès civil. Il s'agit d'un système original, hybride, qui « s'efforce d'assurer la suprématie du juge

dans l'application de la règle de droit, sans négliger pour autant la volonté formelle des parties »31.

27 Civ., 27 juin 1876, D. 1877, I, 121 : Req. 19 juillet 1888, D. 1889, I, 345 : « ...Lorsque le point de fait

est bien déterminé... il appartient aux tribunaux de faire l'application des règles de droit dans le sens le plus juridique... »

28 Pour un commentaire de ce décret, voir H. MOTULSKY, «La réforme du code de procédure civile par

le décret du 13 octobre 1965 et les principes directeurs du procès », précité ; R. MARTIN, « Réflexion sur l'instruction du procès civil », Rev. Trim. Dr. Civ., 1971, pp. 279 et suivantes.

29 Le terme « législateur » est utilisé ici, ainsi que dans la suite des développements, pour désigner les urs des décrets constituant le nouveau code de procédure civile.

30 Voir, à cet égard, « La cause de la demande dans la délimitation de l'office du juge », D., 1964, chronique pp. 235 et suivantes, n° 37 ; voir également, « Prolégomènes pour un futur code de procédure civile : la consécration des principes directeurs du procès civil par le décret du 9 septembre 1971 », D. 1972, chron., pp. 91 et suivantes.

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36. Les nouveaux textes sont donc des textes de compromis32. Certes, il pourrait

paraître paradoxal de conférer davantage de pouvoirs au juge et de laisser les parties maîtresses du litige. En effet, celles-ci, maîtresses de leurs droits et de la mise en mouvement de l'instance, ne doivent-elles pas en garder l'entière direction ?

37. En réalité, comme l'a montré Monsieur NORMAND33, les deux exigences peuvent

être conciliées : « Il est parfaitement concevable que, tout en laissant aux particuliers la

libre disposition de leurs droits substantiels, voire même la faculté de ne dévoiler au juge que l'existence des faits qu'ils veulent bien lui faire connaître, il leur soit imposé de se plier au rythme que le juge estimera opportun ou sera tenu par les dispositions légales d'imprimer au procès. »

38. Il est ainsi possible de distinguer la question de la direction du procès de celle de la maîtrise de la matière litigieuse34. Le législateur a mis en œuvre cette distinction. Si le

juge s'est vu attribuer un pouvoir d'initiative plus grand, il ne peut se saisir d'office d'un litige ou d'une violation de la loi35, et ce, même s'il s'agit d'une règle d'ordre public36.

39. Les parties fixent elles-mêmes l'objet du litige, et l'article 4 interdit au juge de le modifier37. Elles peuvent donc, en principe, décider de ce qui sera débattu, en toute liberté.

En outre, le juge ne peut toucher, en principe, à l'édifice de fait bâti par les parties en introduisant de nouveaux éléments factuels dans le débat.

32 Le recul du système accusatoire est souligné par Monsieur PERROT (Cours de droit judiciaire privé,

Tome I, p. 293) : « Sans doute serait-il excessif de prétendre que le législateur moderne a consacré un

système purement inquisitorial : les plaideurs conservent encore une part d'initiative. Mais, en dépit de cette réserve, on doit constater que la marge d'initiative qui leur est laissée se restreint sans cesse, et l'on ne peut plus dire aujourd'hui que "le litige est la chose des parties" » ; voir, cependant, C.

PARODI, « L'esprit général et les innovations du nouveau code de procédure civile », Répertoire

Defrénois, 1976, art. 31120, n° 27 : « C'est précisément le plus grand mérite de cette partie liminaire que d'avoir su délimiter le rôle du juge pour en faire un juge actif sans que la procédure ne devienne inquisitoriale pour autant. » Comp. R. MARTIN, « Un autre procès possible ou est-il interdit de

rêver ? », précité, n° 4, pour qui le nouveau code de procédure civile « est incontestablement

d'inspiration autoritaire ». Il est intéressant de comparer, à cet égard, le point de vue du magistrat et

celui de l'avocat ! 33 Op. cit., n° 28.

34 En ce sens, G. BOLARD, « Les principes directeurs du procès civil : Le droit positif depuis Henri MOTULSKY », J.C.P., 1993, I, 3693, n° 4.

35 Sauf cas exceptionnels, en matière de faillite par exemple. 36 J. GHESTIN, Le contrat, n° 750-1.

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40. Cependant, l'article 3 du code de procédure civile affirme qu'il a la direction de l'instance, et l'article 12 dispose : « Le juge tranche le litige conformément aux règles de

droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. Il peut relever d'office les moyens de pur droit quel que soit le fondement juridique invoqué par les parties. Toutefois, il ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d'un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l'ont lié par les qualifications et points de droits auxquels elles entendent limiter le débat. Le litige né, les parties peuvent aussi, dans les mêmes matières et sous la même condition, conférer au juge mission de statuer comme amiable compositeur, sous réserve d'appel si elles n'y ont pas spécialement renoncé. »

41. La recherche de la vérité objective et de la solution juridique à donner au litige est donc placée sous sa responsabilité. Pour parvenir à la manifestation de cette vérité, il dispose du pouvoir qui lui est conféré par l'article 10 d'ordonner toute mesure d'instruction38.

42. Ainsi, les anciennes maximes romaines « jura novit curia » et « da mihi factum,

dabo tibi jus »39, qui avaient survécu dans les droits d'inspiration germanique40 mais aussi

la tradition canoniste, trouvent un nouvel écho dans le droit judiciaire français moderne. 43. Il s'agit donc d'une rupture avec la conception purement « privatiste » du procès civil et d'un élargissement du caractère d'ordre public de la procédure au domaine de l'instance, domaine qui, jusqu'à présent, était resté étranger41.

38 « Le juge a le pouvoir d'ordonner d'office toutes les mesures d'instruction légalement admissibles. »

39 À propos de ces adages, voir H. ROLAND et L. BOYER, Adages du droit français, 3e éd., Litec, 1992,

n° 71 et n° 179.

40 Voir, à cet égard, R. MARTIN, « Un autre procès possible », préc., n° 3, soulignant l'influence du code de procédure civile de « l'Allemagne unifiée par Guillaume II et Bismarck » sur les idées de MOTULSKY. En effet, le code, entré en vigueur en 1877, est fortement teinté d'inquisitoire. C'est le cas également des droits d'inspiration germanique, tel le droit judiciaire privé suisse ; voir, à cet égard, J.W. HABSCHEID, « Droit judiciaire privé suisse », Mémoires publiés par la faculté de droit de GENÈVE, § 55 : le principe dispositif (« Dispositiongrundsatz ») est tempéré par les facultés d'intervention du juge ; l'application de la règle de droit adéquate (« Richterliche Rechtsanwendung ») est du ressort du juge qui n'est pas lié par les règles invoquées par les parties.

41 Voir, à cet égard, les développements de Monsieur VINCENT, in La procédure civile et l'ordre public, préc., spéc., n° 4 et suiv. Traditionnellement, c'était le domaine de la juridiction (et, notamment, de la

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44. La justice est alors conçue comme un service public, régi par des règles impératives, auquel tout individu peut avoir recours pour obtenir l'application de la règle de droit substantielle adéquate. Ce dirigisme accru de l'instance est une conséquence directe du déclin de l'autonomie de la volonté et d'une organisation plus autoritaire des rapports juridiques, économiques et sociaux, dans les années soixante et soixante-dix.

45. Ce qui est certain, c’est que les rédacteurs du code de procédure civile ont, incontestablement, repoussé la conception du « juge-arbitre ». Ils ont ainsi permis au juge de prendre une part active, aux côtés des parties, dans la recherche de la solution juridique adéquate à donner au litige.

46. À cet égard, la question qui se pose est la suivante : au « juge-arbitre », n'est-il pas alors substitué un « juge-providence »42, chargé de dévoiler la vérité aux « justiciables

assistés »43 ?

47. Mais le juge peut-il faire, d'office, apparaître cette vérité au grand jour, nonobstant la volonté des litigants ? Comment procède-t-il à l’établissement de la vérité ? Qu’en est-il de la preuve ? Nous sommes, ici, au cœur du problème de son office44, posé à tout juge

étatique45, dans la juridiction contentieuse ou gracieuse46, de droit commun ou d'exception.

48. C’est à partir du point de vue du juge qu’il faut analyser la preuve dans sa fonction. C’est ce qu’a déjà fait M. COLSON ; ainsi qu’il l’a affirmé : « À travers le

processus dialectique du procès, la thèse et de l’antithèse des parties, vers la synthèse élaborée par le juge, se réalise l’unité paradoxale de la preuve. Notion essentiellement objective pour les parties en litige, la preuve devient subjective dès lors qu’elle aboutit à

compétence) qui était fortement imprégné par l'ordre public, la direction de l'instance restant aux parties.

42 Selon l'expression de Monsieur NORMAND (op. cit., n° 110).

43 Voir, sur ce point, J.-M. LE MASSON, thèse précitée, n° 347.

44 Voir M. CARATINI, art. préc., affirmant que « ...le juge doit rechercher ce qui est derrière ce que les

parties lui présentent et ne pas s'en tenir au profil de l'affaire tel qu'il est tracé par elles » ; contra, H.

SOLUS et R. PERROT, op. cit., T. III, n° 79 : « Dans un contexte qui se veut libéral, on ne saurait

admettre, en effet, que le juge se fasse le prophète d'une vérité objective que personne ne lui demande. »

45 Ne sont pas concernées les autorités administratives dotées d'une fonction juridictionnelle qui sont soumises à des règles procédurales particulières (par exemple, le Conseil de la concurrence, dont les pouvoirs sont déterminés par l'ordonnance du 1er décembre 1986).

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une conviction chez le juge. La vision qu’on en peut avoir n’est pas donc la même selon qu’on l’observe du point de vue des parties ou de celui du juge. »47

49. Ceci tient à ce que « l’étude de la preuve administrative est inséparable de celle du

caractère inquisitorial de la procédure »48.

50. C’est dire qu’en matière administrative contentieuse, il faut bien prendre en considération l’action du juge face à la preuve : c’est du point de vue du juge que l’étude de la preuve doit être tentée.

51. Pourquoi la preuve ? C’est parce que, en guise de principe, la preuve est « au

centre même de toute procédure… Un droit ne présente pour son titulaire d’utilité véritable que pour autant qu’il peut être établi en justice : un droit qui ne peut être prouvé est un droit pratiquement inexistant. Ce qui revient à dire que si la preuve permet de distinguer le fond du droit de son apparence, c’est pour affirmer l’importance de cette dernière. La théorie de la preuve constitue la clé de tout système procédural. » 49

52. En fait, « la preuve est la rançon des droits », a déclaré, à bon droit, IHERING50.

Elle est primordiale et inhérente à la procédure contentieuse, tant judiciaire qu’administrative.

53. C’est une notion qui fait parfois obstacle ; sa difficulté puise sa source de son unité paradoxale : la preuve, qui est une simple notion objective a priori, devient subjective a

posteriori, dès lors qu’elle aboutit à l’intervention du juge et des parties afin d’établir son

intime conviction.

54. Il s’agit donc de l’objectivité et de la subjectivité de la preuve, ces deux électrons qui se repoussent et se combinent en même temps dans « l’institution de la preuve ».

55. Mais la question logique qui en découle est celle de savoir ce qu’est la preuve. 56. L’étymologie peut servir d’indicateur. Le mot preuve vient du latin, qui veut dire « pousser droit » et a le sens de preuve et d’épreuve. Il y a l’idée d’éprouver les faits pour

47 J.-Ph. COLSON, L’office du juge et la preuve dans le contentieux administratif, L.G.D.J., 1970, p. 9. 48 Idem., p. 9.

49 P. PACTET, Essai d’une théorie de la preuve devant la juridiction administrative, Pedone, 1952, p. 3. 50 Cf. RIPERT, Traité élémentaire de droit civil, T. II, n° 2155, cité par P. PACTET, in Essai d’une

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dégager la vérité. Il veut dire le fait ou l’action qui montre la vérité d'une chose. Il renferme plusieurs synonymes comme : affirmation, argument, caution, certificat, démonstration, document, gage, illustration, indice, marque, signe, témoignage…

57. En matière judicaire, les choses se compliquent davantage. À cet égard, M. PACTET a considéré à bon droit qu’« il est difficile de donner de la preuve une définition

simple et satisfaisante. La plupart des auteurs du droit privé en signalent trois acceptions différentes. Ils distinguent sous ce terme : 1° le fait de produire devant le juge des éléments de conviction susceptibles d’établir la vérité d’une allégation ; on dit en ce sens que le demandeur supporte la charge de la preuve ; 2° les éléments de conviction considérés eux-mêmes ; on dit en ce sens que l’expertise est un mode de preuve ; 3° le résultat de la production de ces éléments sur l’intime conviction du juge ; on dit en ce sens que la preuve est faite »51.

58. M. PACTET a vu dans les deux premiers sens « un support matériel du

raisonnement judiciaire », avec lesquels se confond un troisième qui constitue un caractère

« spéculatif et abstrait, intérieur à l’esprit du juge ».

59. Afin de définir la preuve, M. PACTET s’est basé sur les deux premiers sens ; ainsi qu’il l’a écrit : « La preuve, c’est l’effort à accomplir, une fois l’instance engagée, pour

obtenir la confirmation judiciaire d’une allégation relative à un point de fait. »52

60. Cette définition peut susciter quelques difficultés liées à l’unité paradoxale de la preuve. En réalité, ce concept objectif a priori qu’est la preuve se mue en concept subjectif

a posteriori, car nécessitant l’intervention du juge et des parties pour que se déploie le

principe de l’intime conviction.

61. Nous parlons donc ici de l’objectivité et de la subjectivité de la preuve, deux concepts qui, en matière d’institution de la preuve, sont tout à la fois antinomiques et complémentaires.

51 P. PACTET, op. cit., p. 4. 52 Idem.

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62. Ceci nous amène à dire que la vision que l’on peut en avoir est radicalement différente selon que l’on se place sous l’angle des parties, d’une part, ou de l’office du juge civil ou administratif, de l’autre.

Problématique

63. Il semblerait que cette définition que nous venons de présenter, et qui a d’ailleurs la faveur de M. PACTET, ait été produite par les privatistes. Ceci tient à ce que les règles de la procédure civile en vigueur ne peuvent aucunement laisser indifférents les publicistes, trouvant en elle un noyau de réflexion, d’étude ou même d’application.

64. Il en résulte une influence réciproque, de la part des deux ordres de juridiction, sur l’office de chacun des deux juges en matière de preuve. Il en est ainsi du pouvoir d’initiative et d’intervention active accordé au juge civil au cours de l’instance, qui rompt nettement avec l’opposition traditionnelle selon laquelle la procédure civile est qualifiée « d’accusatoire », tandis que la procédure contentieuse administrative est interprétée comme étant « inquisitoriale ».

65. Quoi qu’il en soit, s’agissant du droit positif applicable, la solution la plus appropriée réside dans le respect des règles relatives à l’institution juridique substantielle à l’action judiciaire et administrative qu’est la preuve.

66. Ainsi, pour le motif de remédier aux manœuvres dilatoires des parties bloquant, quelque part, une bonne administration, voire un bon fonctionnement du service public de la justice, l’office du juge civil a été aménagé. Le juge civil a été doté d’un pouvoir d’affranchissement à l’égard de la façon dont les litiges lui sont saisis.

67. En droit français, jusqu’en 1972, les principes de la recherche de la preuve en matière civile voulaient que le procès en reste aux armes préparées par les parties pour le duel judiciaire. Il était impossible, pour une partie, de contraindre l’autre partie à produire les pièces qu’elle détenait. L’adage de l’ancien droit nemo tenetur edere contra se signifiant qu’une partie n’était jamais tenue de produire une pièce susceptible de lui nuire,

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une partie était exposée à perdre son procès au seul motif que l’élément de preuve indispensable était détenu par l’autre partie.

68. L’article 10 du Code civil dispose désormais que chacun est tenu d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité et que celui qui, sans motif légitime, se soustrait à cette obligation lorsqu’il en a été légalement requis, peut être contraint d’y satisfaire. L’article 133 du code de procédure civile permet à une partie de demander au juge d’enjoindre une communication de pièces, au besoin à peine d’astreinte, à condition que cette demande soit motivée et détermine les pièces recherchées.

69. Par là même, l’office du juge civil interfère avec celui du juge administratif : « L’esprit de la justice civile rejoint celui qui anime la justice administrative. » C’est dire que « l’une et l’autre doivent, dans chaque affaire et autant que possible, tendre à consacrer dans les meilleurs délais la solution la plus juste, au regard du droit objectivement applicable et conformément aux exigences de l’intérêt général qui, même dans les clauses privées, ne saurait être méconnue. C’est là finalement, que se situe désormais le fondement commun de l’office des juges administratif et civil ».

70. Cependant, dans ce contexte, le fait qu’il n’y a plus opposition, au sens classique du terme, entre l’office des deux juges, signifiera-t-il qu’il n’y aura plus de différenciation ?

71. La France, comme le Liban, se caractérise par une organisation juridictionnelle originale. Les juridictions se divisent en deux grandes catégories : d’un côté, des juridictions judiciaires, qui tranchent les litiges entre personnes privées ou opposant l’État aux personnes privées dans le domaine pénal ; de l’autre, des juridictions administratives, qui jugent les affaires opposant les administrations aux administrés, ou encore différentes personnes publiques entre elles. Ce système trouve sa raison d’être dans l’histoire, mais constitue depuis longtemps l’objet de critiques.

72. L’autonomie de la juridiction administrative trouve ses origines dans l’Ancien Régime, à l’époque où le roi tentait d’affirmer son autorité et celle de ses intendants face au pouvoir judiciaire des anciens parlements provinciaux. Ainsi, déjà en 1641, l’édit de Saint-Germain interdisait aux juges de se mêler des affaires de l’État, de l’administration ou du gouvernement, organe collégial composé du Premier ministre, des ministres et des

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secrétaires d’État, chargé de l’exécution des lois et de la direction de la politique nationale. Mais, cet édit n’eut que peu d’effets.

73. Les révolutionnaires, attachés au pouvoir des autorités élues, réagissent contre ce pouvoir judiciaire. Ils s’en méfient car ils gardent le souvenir des parlements de l’Ancien Régime et de leur réticence aux tentatives de réforme. Ils développent donc une approche originale de la séparation des pouvoirs, qui implique la séparation des autorités administratives et judiciaires. En effet, pour eux, il est plus essentiel de soustraire le contentieux administratif aux tribunaux judiciaires53 qu’à l’administration active, comme

c’est le cas dans les pays anglo-saxons54. Cette conception trouve sa traduction dans la

fameuse loi des 16 et 24 août 1790 : « Les fonctions judiciaires sont distinctes et

demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions. »

Mais encore une fois, le respect très relatif du texte oblige les pouvoirs publics à rappeler la règle dans le décret du 16 fructidor an III : « Défenses itératives sont faites aux

tribunaux de connaître des actes d’administration, de quelque espèce qu’ils soient, aux peines de droit. »

74. Toutefois, ce système était pour le moins étrange car, s’il interdisait aux juges « judiciaires » de se mêler des affaires de l’administration, il n’existait pas pour autant de « juge administratif ». On se trouvait dans un système dit de « ministre-juge », le ministre étant juge des litiges impliquant son administration. On pouvait à l’évidence douter de son impartialité, puisqu’il était à la fois juge et partie. C’est pourquoi la Constitution du 22 frimaire an VIII prévoit, en son article 52, la création du Conseil d’État, chargé à la fois de préparer les textes du gouvernement et de régler55 les litiges « s’élevant en matière

administrative ». On se trouve alors dans un système de « justice retenue »56. Il faut

attendre la loi du 24 mai 1872 pour passer à un système de « justice déléguée », dans lequel le Conseil d’État devient un vrai juge, et l’arrêt Cadot du Conseil d’État du 13

53 Indépendance.

54 Spécialisation.

55 En proposant une solution au chef de l’État. 56 C’est le chef de l’État qui prend la décision.

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décembre 188957, pour voir totalement disparaître le système du « ministre-juge » qui avait

partiellement continué d’exister en parallèle.

75. Mais cette organisation a fait et fait toujours objet de critiques. La critique majeure est que l’existence d’un juge spécifique pour l’administration est source de complexité pour les justiciables. Ces derniers risquent de se méprendre sur le juge compétent.

76. Par ailleurs, il existe un risque de ralentissement de la procédure : en effet, le juge judiciaire peut être amené à saisir le juge administratif d’une « question préjudicielle », c’est-à-dire à lui demander de régler un point de droit qui n’est pas de sa compétence et qui commande l’issue du procès judiciaire. Il en est de même dans l’autre sens ou lorsque des questions de compétence obligent le juge judiciaire ou le juge administratif à saisir le Tribunal des conflits58.

77. Cependant, nous pensons qu’il est nécessaire de relativiser cette critique. En effet, la majorité des dossiers ne donne pas lieu à des difficultés de compétence. À titre d’exemple, on peut souligner qu’alors même que plusieurs centaines de milliers de décisions juridictionnelles sont rendues chaque année, le Tribunal des conflits n’est saisi qu’une cinquantaine de fois par an.

78. La coopération des deux ordres de juridiction pourrait néanmoins être améliorée. Ainsi, on pourrait imaginer qu’un juge, se considérant incompétent sur un point de droit, puisse saisir lui-même le juge compétent pour traiter la question, alors qu’aujourd’hui, il revient aux parties elles-mêmes59 de le faire, avec les risques d’erreur que cela comporte.

79. La seconde critique repose sur le fait que l’administration dispose d’un « privilège

de juridiction », ce qui ferait du droit administratif un droit inégalitaire au détriment du

justiciable. Ce dernier est jugé selon des règles différentes et supposées moins avantageuses pour lui. Là encore, cette critique mérite d’être nuancée. D’une part, la jurisprudence administrative démontre que, grâce à son caractère inquisitorial, la procédure administrative est inégalitaire au profit des administrés. D’autre part, nous constatons que,

57 Publié dans le Recueil, disponible sur le site gouvernemental : www.gouv.fr.

58 Sur une réduction des questions préjudicielles, voir : T.C., 17 octobre 2011, SCEA du Cheneau :

R.F.D.A, 2012, p. 1122, concl., SARCELET ; T.C 12 décembre 2011, Sté Green Yellow : A.J.D.A,

2012, chron. juris, p. 27. 59 Exemple : les administrés.

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dans tous les pays dotés d’une unité de juridiction, où l’administration est en principe traitée comme un justiciable normal, des contentieux administratifs et des juridictions ou quasi-juridictions administratives s’y sont développés. Cette évolution semble démontrer la nécessité de faire une place à part à l’administration en raison de ses caractéristiques essentielles60.

80. Reste alors une critique majeure : les juges administratifs ne seraient pas indépendants. Il s’agit d’une critique particulièrement sévère, et ce, pour plusieurs raisons. D’abord, l’indépendance des juges administratifs a valeur constitutionnelle61, et le prestige

du Conseil d’État le protège relativement bien de toute velléité d’intrusion. Quant aux membres des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, leur statut leur garantit l’inamovibilité, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent être révoqués sans une procédure spéciale ou déplacés sans leur consentement.

81. En outre, il est intéressant voire fort utile que les magistrats62 qui jugent

l’administration connaissent son mode de fonctionnement. Historiquement, en France comme au Liban, c’est au Conseil d’État que l’on doit l’élaboration de la théorie de la preuve ; une théorie qui est au coeur de toute procédure et qui représente le « principe actif » de toute action en justice.

82. Concernant la procédure contentieuse administrative, selon M. PACTET, l’étude de la preuve permet, plus que toute autre matière, de mettre en évidence son originalité profonde. « La théorie de la preuve est tout entière imprégnée de l’esprit propre au droit

administratif. Parmi les traits caractéristiques de ce dernier qui l’ont plus particulièrement marquée de leur empreinte, il nous faut d’ores et déjà en citer trois qui présentent une importance spéciale. Il est nécessaire de signaler, en premier lieu, que le Conseil d’État joue en notre matière un rôle d’une importance capitale, à la mesure de la position qu’il occupe dans l’organisation de la juridiction administrative et qui est sans équivalent parmi les tribunaux judiciaires… En second lieu, il convient de ne jamais perdre de vue la

60 Pouvoir d’action unilatérale, poursuite de l’intérêt général.

61 Conseil constitutionnel, 22 juillet 1980, décision validation d’actes administratifs, publiée au Recueil, disponible sur le site gouvernemental : www.gouv.fr.

62 S’agissant des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, voir : C.J.A, article L. 231-1 (L. n° 2012-347, 12 mars 2012).

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personnalité des parties en présence… Enfin, il faut souligner, en dernier lieu, que les règles en usage devant les tribunaux administratifs sont généralement beaucoup plus souples que celles en vigueur devant les tribunaux judiciaires »63, dit-il.

83. Nous pouvons conclure que l’étude de M. PACTET prend en compte, d’une part, l’aspect essentiellement pratique que présente le problème de la preuve pour les parties à l’instance et, d’autre part, le souci de satisfaire aux exigences de toute construction théorique. En quelques mots, M. PACTET a répondu aux trois questions suivantes : qui peut prouver ? Qui doit prouver ? Comment prouver ?

84. Dans cette thèse, nous souhaitons également répondre à ces trois questions, aussi bien en droit français qu’en droit libanais. Précisons dès à présent que lorsque nous ne ferons pas mention du droit libanais, cela impliquera que notre état de droit est le même que celui du droit français.

85. Cependant, pour répondre correctement à la troisième question et analyser la preuve dans sa fonction actuelle, il convient de se placer sous l’optique des juges français et libanais ; ainsi que l’a noté M. COLSON : « À la fonction classique et mécaniste de la

preuve, qui est de convaincre le juge en vue de trancher une contestation de droit ou de fait, tend à s’ajouter maintenant une fonction nouvelle, plus dynamique, dans laquelle la preuve devient également pour le juge un moyen de doser le contrôle qu’il désire exercer sur l’activité administrative. »64

86. Donner une réponse claire à cette question nécessite de mettre en exergue la manière dont le juge agit lorsqu’il est à la recherche de la preuve. Même si nous allons traiter, parfois, de l’office du juge dans la procédure civile, nos développements viseront essentiellement l’office du juge dans le contentieux administratif, du fait du caractère public de notre sujet de thèse. Il s’agit d’une exposition à la fois globale et méticuleuse, voire minutieuse, de la procédure contentieuse administrative française et libanaise, toutefois en rapport avec la preuve dans les différentes étapes du procès, s’il est jugé nécessaire.

63 P. PACTET, Essai d’une théorie de la preuve devant la juridiction administrative, Pedone, 1952, pp. 5-6.

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