• Aucun résultat trouvé

Les mutations du KTT à Hanoï : réflexions sur les conditions d'existence d'un urbanisme de la négociation et sur la réactivation d'une typologie mal-aimée

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Les mutations du KTT à Hanoï : réflexions sur les conditions d'existence d'un urbanisme de la négociation et sur la réactivation d'une typologie mal-aimée"

Copied!
42
0
0

Texte intégral

(1)

HAL Id: dumas-01808191

https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01808191

Submitted on 5 Jun 2018

HAL is a multi-disciplinary open access

archive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

Copyright

Les mutations du KTT à Hanoï : réflexions sur les

conditions d’existence d’un urbanisme de la négociation

et sur la réactivation d’une typologie mal-aimée

Vincent Dietrich

To cite this version:

Vincent Dietrich. Les mutations du KTT à Hanoï : réflexions sur les conditions d’existence d’un urban-isme de la négociation et sur la réactivation d’une typologie mal-aimée. Architecture, aménagement de l’espace. 2017. �dumas-01808191�

(2)

Les Mutations du KTT à Hanoï

Réflexions sur les conditions d’existence d’un urbanisme de la négociation et sur la

réactivation d’une typologie mal-aimée.

étude réalisée dans le cadre du mémoire de mobilité

réalisée par Vincent Dietrich

pendant l’année de master I à Hanoi 20.08.14 - 15.07.15 Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Toulouse

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(3)

Quand l’Univers fut installé la ville royale fut bâtie

Ici se rassemblaient les mandarins bien chamarrés, résonnait la musique de Cour.

Culture et Honneur fleurissaient. L’air printanier emplit le ciel. L’Univers entier rayonne. Au sein de la nation prospère, S’érige tel un pilier solide la Capitale. Depuis les temps anciens

Nous sommes au coeur du territoire.

Faîte de la patrie

Au sud-ouest le mont Tan dresse sa cime où rugit le Tigre Au nord-est, le Dragon s’ébat dans les eaux du fleuve Rouge

Sur mille lieues s’étendent les monts et les eaux formant une position de clé […]

Les maisons succèdent aux marchés, on dirait une vaste fresque.

Les quartiers suivent les quartiers, le violet alterne avec le rouge vermeil.

Quelle joie !

Nous sommes à l’ère de la paix Les tributs de partout affluent. Le palais du Printemps s’illumine.

Les hommes connaissent une heureuse Longévité.

Des provinces lointaines, les convois arrivent apportant l’hommage du Peuple. Au trône innébranlable comme le mont Thai Son.

La Patrie solidement installée sur un socle d’or connait avec la ville royale l’Abondance.

C’est ainsi :

Ville royale, ville bien aimée, ville merveilleuse Où le printemps brille de toute sa beauté.

Saurait-on dissocier les couleurs printanières de la splendeur de la capitale ?

Des quatre points cardinaux tout converge vers le centre du pays. Chaque endroit est à sa place pour former une capitale […] Bien que des pays bâtissent leur puissance sur des citadelle. Faisons plutôt des vertus de Justice, d’Humanité nos remparts, Pour voir,

Génération après génération, Printemps après printemps

Nos enfants se transmettent mille, dix mille ans nos belles traditions !

« Printemps sur la ville royale » composé en 1508 par Nguyen Gian Thanh

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(4)

Table des Matières

Préambule 4

1. Origine & Définition 5

1.1 Contexte Politique 5

1.2 Histoire urbaine d’Hanoï 7

1.3 Les prémisse de l’habitat collectif au Vietnam 10

1.4 Les origines du KTT 11

1.5 L’Arrière plan communiste 13

2. Etude des typologies et de leur transformations 14

2.1 Les grandes époques de construction 15

2.2 L’Histoire des mutations des KTT 16

2.2.1 Introduction

2.2.2 Logique d’implantation 2.2.3 Un modèle urbain invariant 2.2.4 La victoire sur les américains

2.2.5 L’Exode rural et les prémisses du marché locatif 2.2.6 Libéralisation généralisée du marché de l’immobilier 2.2.7 Rétablissement du commerce privé

2.3 Les logiques de transformation 20

2.4 Etude de cas - Quatre typologies anachroniques 22 KTT - Trung Thu 1965 - 1975

KTT - Giang Vo 1972

KTT - Thanh Xuan 1981 - 1987 KTT - Bach Dang 1990

3. Avenir des KTT 28

3.1 Immeuble de grande hauteur et densité verticale face aux KTT 28 3.2 Le rapport des Vietnamiens à leur patrimoine de béton 29

3.3 Les KTT en chiffre 29

3.4 Commentaire et ouverture 30

4.Scénarii

4.1 Scénario 1 : Face au danger et à la pression foncière ils doivent être détruit 32 4.2 Scénario 2 : Prise en main de leur logement par les résidents 34 4.3 Scénario 3 : Conscientisation des nouvelles générations et les KTT 36 deviennent patrimoine

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(5)

Le « Pourquoi » de l’étude

Le KTT est une des typologies les plus répandues dans les quartiers populaires de la capitale. Il appa-raît dans des couleurs chaudes : un jaune ocre et sa façade est comme une modénature d’extensions ou d’annexes suspendues à des balcons invisible. C’est avant tout le caractère fourmillant et adaptable de la typologie qui m’a donné envie d’entreprendre cette étude. Par ailleurs, interroger les vietnamiens sur ce sujet précis, leur demander ce qu’ils pensent, ce qu’ils ressentent vis-à-vis de ces barres en béton insa-lubres est une entrée en matière particulièrement directe pour questionner leur rapport au patrimoine. C’est également un objet architectural inédit pour deux yeux européens qui donnent à imaginer une logique de la construction, du nécessaire radicalement distincte de celles qui nous sont familières. Sur le plan urbain, on voit clairement se confronter une approche planifiée, et une autre plus sauvage, ou plutôt plus naturelle et j’en suis rapidement venu à me demander à quel point cet état de fait est le fruit du hasard, et si ce modèle en est un !

La méthode

Ce mémoire est davantage un essai qu’un étude scientifique rigoureuse. Un essai nourrit à la fois la somme de ce que j’ai appris par l’observation, la lecture et l’ensemble des conversations et des moments vécus à Hanoi; mais aussi les projections personnelles, totalement subjectives, basées sur mon ressen-ti d’Hanoi. Dans la première parressen-tie, je fais à travers des rappels introducressen-tifs sur l’histoire récente du Vietnam, de la ville d’Hanoï et des idéologies d’alors afin de re-contextualiser la première génération de Khu Tap Thé. Dans une seconde partie, j’expose différent cas d’études, des KTT de générations diffé-rentes en essayant de qualifier ce qui les distingue et en s’appuyant sur des schémas souvent trouvés dans des ouvrages sur la question. La troisième et dernière partie s’appuie sur les deux précédente et se construit comme l’état des lieux ouvert de ma réflexion. J’y confronte mon point de vue et mon expé-rience avec des articles consacrés au sujet, je met le doigt sur les questions qui méritent une réponse que je n’ai pas trouvée, et j’essaye par tous les moyens de trouver un moyen de réhabiliter l’image, ou le souvenir des vieux KTT hannoiens aux yeux des habitants, en bricolant des scénarios plausibles de revalorisation de ces témoins de l’histoire de la ville.

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(6)

1.

Définitions et origines du KTT

1.1. Contexte

politique

Apres 70 ans d’occupation française, au terme de la guerre d’Indochine, la signature des accords de Genève le 20 Juillet 1954 marque la fin de la colonisation du Vietnam. Les accords séparent provisoi-rement le territoire Vietnamien : Le Nord dirigé par un régime communiste autoritaire soutenu par l’URSS et le Sud fermement anti-communiste et soutenu par les Etat-Unis. Les accords de Genève prévoyaient des élections en 1956, afin de former un gouvernement unifié pour tout le Viêt Nam1.

Toutefois, en parallèle de la conférence de Genève en juin 1954, l’empereur Bao Dai, chef de l’État du Viêt Nam a rappelé des États-Unis Ngô Dinh Diêm pour en faire son Premier ministre. À la suite des accords de Genève, dont l’État du Viêt Nam et les États-Unis n’avaient pas signé la déclaration finale, et ainsi libéré des obligations de respecter ces accords, Ngô Dinh Diêm, un fervent catholique qui haïs-sait le communisme, organisa avec l’aval des

États-Unis un référendum manifestement truqué, avec plus de voix favorables que d’électeurs, et créa la République du Viêt Nam le 26 octobre 1955, avec lui comme chef d’État. C’est contre cette dictature du régime de Diêm que s’est formé le Front national de libération du Sud Viêt Nam (dit également Viêt Cong) en 19562. Des éléments du Viêt

Minh résidents au Sud ont alors repris le combat contre ce gouvernement, menant alors à la deuxième guerre d’Indochine de réunification, plus communément appelée guerre du Viêt Nam, qui durera de 1954 à 1975.

1. Article Wikipedia Guerre d’Indochine

2. Heinz Dutel - La Legion et la bataille à Ðiên Biên Phú: La Légion est leur patrie p.29, Urheberrechtlich geschütztes Material

Portrait d’Ho Chi Minh sans date (probablement 1952)

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(7)

Le pays mena dès lors une politique communiste autoritaire qui le fit plonger dans la misère, si bien qu’en 1980, c’est l’un des pays les plus pauvres de la planète. La mort de Lê Duẩn en 1986 marque un tournant du communisme vietnamien puisque ce sera le début d’une ouverture du pays sur le monde et sur le marché. La nouvelle constitution déclare selon les termes suivants : « L’État développe une écono-mie marchande […] suivant le mécanisme de marché géré par l’État selon une orientation socialiste». Les sanctions de la communauté internationale (occidentale en réalité) seront levé dans le courant des années 90. Cependant la libération économique ne va pas de pair avec les libertés politiques et non seulement la nomenklatura du parti, se réserve la majeure partie de bénéfices liés à l’introduction du capitalisme, mais la liberté de la presse est tout à fait relative puisque contrôlée par les institutions au pouvoir. En 1997 une révolte paysanne dénonce la corruption et réclame une meilleure distribution des fruits de la croissance.

Encore aujourd’hui, le parti qui se réclame explicitement d’une économie de marché libérale et d’un état politique autoritaire socialiste; contrôle l’information, limite la liberté d’expression et partage par-tialement les bénéfices.

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(8)

1.2 Histoire urbaine d’Hanoi

1.2.1 Histoire

Hanoï fut fondée par le roi Ly Thai To en 1010 et s’appelait alors Thang Long. Au fil des siècles et des dynasties, elle devient une véritable cité impériale et connaît son âge d’or au XVe siècle sous la dynastie des Lê. C’est alors une capitale culturelle de l’Asie, et on y reçoit à la cour, les philosophes, les artistes, les lettres venus de toute l’Asie1. Au XVIIème les voyageurs venus d’Europe découvrent la vieille ville, son

quartier marchand partagé par les corporations, et la ville charme les occidentaux. Paradoxalement, des stratégies politique, de la mort des rois et de l’ascension des empereurs résultera la délocalisation de la capitale à la fin du XVIIIème siècle. Thang Long est renommée Hanoï et perd brutalement son statut de plus grande ville du Nord.

L’empereur Gia Long relance en 1805 le destin d’Hanoi, en reconstruisant depuis la capitale de l’époque Hué, la citadelle d’Hanoi selon des plans inspirés par Vauban2. Hanoi, concession française depuis 1875

devint en 1884 la capitale du Tonkin et en 1902, la capitale de l’Indochine française. C’est à partir de cette date qu’Hanoi, fut l’objet d’expérimentations urbaines des colons français, décidés à faire de la nouvelle capitale, une ville jardin, toute entière tournée vers les lacs qui marquent l’identité paysagère d’Hanoï

C’est au début du XXe siècle que réapparaissent les rues de métiers illustré à Hanoi par le quartier des 36 rues, qui pourrait être renommé « quartier des 36 guildes » puisque jusqu’à aujourd’hui chaque rue porte le nom d’une corporation et lui est entièrement dédiée: la ferronnerie, l’ameublement, le textile, le poulet, le cuir, ou encore les confiseries et cadeaux de mariage.

1. Philippe Papin, Histoire d’Hanoï, 2001 chez Fayard 2. Article Wikipédia, Hanoï, alinéa «Paysage Urbain»

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(9)

1.2.2 La Composition urbaine

Depuis sa fondation jusqu’à nos jours, ce sont les lacs, les marécages, les digues et la trame hydraulique serrée qui ordonne la structure patrimoniale de la ville.

Hanoi s’est construite comme un puzzle dont chaque pièce juxtaposée serait un bout de ville à part entière avec son histoire, et qui donnent aujourd’hui des quartier1: L’ancienne cité impériale autour de

la citadelle, la ville marchande (quartier des 36 rues et corporations), le quartier colonial avec ses cou-leurs jaunes et son plan en damier, le quartier hybride des années 30 qu’on retrouve aux abords du lac (mi-villas, mi-compartiments), ou encore les agrégats de KTT qui forment un typologie urbaine encore diff érente. Chacun de ses quartier possède sa mémoire culturelle propre, les codes de la politique qui les a installé. En réalité Hanoï est si bien conservée qu’on pourrait d’un coup de scooter visiter des

mor-Plan d’Hanoï réalisé par les colons français en 1901

1. Corrine Nacicovic, Trans-territorialité de l’architecture publique à Hanoï dans Hanoï, Les Cahiers de l’Ipraus, Editions Récherches/Ipraus, 2001

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(10)

ceaux entiers de ville et d’époque qui ont gardé leur urbanité inchangée.

Cependant, on ne peut comprendre les enjeux de l’urbanisme à Hanoï sans aborder la question du transport.

1.2.3 Le Traffic

Cette ville composée par quartier reliés entre eux par des petites routes, des ponts, des digues n’a pas connu de problème de traffic jusqu’à la fin des années 90. En ce temps là roulaient encore quatre lignes de tramway héritées de la présence française, et tout le monde roulait à vélo. Seuls quelques marchands enrichis utilisaient des motos ou des voitures. Ces dix dernières années Hanoï a vu sextupler le nombre de cyclomoteurs et multiplier par 30 le nombre d’automobile. C’est dans la précipitation qu’au début des années 2000 le gouvernement a drastiquement élargit et goudronné les axes principaux en ville, et il a fallut attendre près de dix pour que soit lancés le projet de deux lignes de métro dont la mise en service est respectivement prévue pour 2018 et 20191.

Alors que les axes routiers sont engorgés, que la ville connait ces cinq dernières années un taux de pollution record, la nouvelle tendance de vélos électriques venue de Saïgon (qui fait face aux mêmes problématiques) séduit la jeune généra-tion. Les nouveaux usagers frileux à l’idée d’ache-ter un scood’ache-ter cher et polluant se tournent vers les offres de locations de moyen et long terme de vélo électrique. Effet de mode ou réaction écologique ?… nous verrons.

Campagne de publicité de 2016 vantant tout le « cool » des vélos électriques

1. Article de presse écrit par Mai Huong et publié le 18/5/2011 dans Le Courrier du Vietnam

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(11)

1.3 Les prémisses de l’habitat collectif au Vietnam

Les premières tentatives de logements collectifs au Vietnam furent le fait d’architectes français qui construisirent dans les années 30 à Saigon les premiers immeubles vietnamiens d’abord destinés aux Français puis à la bourgeoisie autochtone. À Hanoï, ce n’est qu’en 1941 que Louis-Georges Pineau propose le premier immeuble construit à Hanoi: une construction sur quatre niveau en brique et toit de tuile avec une coursive intérieure au cœur de son projet de cité universitaire. Malgré les diffi cultés et les pénuries en Indochine dues à la guerre, Pineau continue ses travaux et son idée d’importer et d’inté-grer dans le modèle urbain vietnamien la modernité occidentale qui véhiculait ouvertement une vision sociale du logement pour le plus grand nombre. Pourtant son combat restera vain « La colonie n’a pas à se préoccuper de cela ».

Il faudra attendre la proclamation de la première république du Vietnam par Hô Chi Minh en 1945 pour que les autorités françaises déclarent en 1953, à force de défaites « La question du logement est actuellement un des plus graves problèmes à résoudre d’urgence ». En eff et, les habitants des campagnes affl uent vers Hanoi si bien que la population double en 10 ans. Malgré ces déclarations de bonne foi, l’eff ort français pour participer au relogement compte tout juste 785 nouveaux logements à comparti-ments (et pas sous la forme de quartier d’habitats collectif) pour les 160 000 nouveaux réfugiés.

Maquette des habitations bon marché présentée lors du conseil municipal de Hà Noi du 30/11/1936

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(12)

1.4 Les Origines du KTT

Le KTT ou Khu Tap thé désigne littéralement « quartier de logement collectif », Les premiers KTT ont été construits après l’indépendance du pays (1954) pour répondre à la forte demande de logements de la nouvelle République démocratique. À l’époque, Hanoi était composée en grande partie de mai-sonnettes aux toits imbriquées, jadis condamnées par l’Empereur à ne pas dépasser la hauteur d’un étage. De plus, les colons français vivant dans de confortables demeures ne se penchèrent jamais sur la pénurie de logements aggravée. En s’appuyant sur les écrits marxistes de Engels, le premier modèle de collectivisation des logements consiste d’une part à l’expropriation sans indemnités des villas coloniales françaises des colons ayant quitté le pays, mais se manifeste aussi par des campagnes de « sensibilisa-tion » adressées aux propriétaires restés sur place, afin de leur faire comprendre et adhérer de bonne grâce aux vertus du partage et de la collectivisation de leur logement et l’accueil de réfugiés sous leur toit. Les villas ainsi réquisitionnées sont ensuite partitionnées en appartements d’une ou deux pièces, chacun prêt à accueillir une famille pauvre. Les surfaces habitables sont ainsi devenues parfaitement égalitaires, mais avec des ratios de surfaces par familles pratiquement invivables (la réalité des surfaces construite en 1982 donnait un ratio de 2m2/hab). Quelques membres de l’aristocratie ainsi que cer-taines grandes familles patriotes échapperont à cette normalisation généralisée du logement à Hanoi1.

La crise du logement laissée par les colons français, ne sera pas adoucie par les événements. En effet, la ville fut la cible d’importants bombardements aériens pendant la guerre contre les américains. Entre 1965 et 1975, les attaques aériennes touchèrent les grandes infrastructures, les équipements de toute sorte mais également certains quartiers de la ville. Les autorités vietnamiennes estiment les dégâts à 15 000 maisons détruites durant la guerre américaine.

Il faut dès lors noter que c’est ce modèle très dur associé aux déracinements de la guerre, aux humilia-tions coloniales et aux migrahumilia-tions politiques qui fondera pour les décennies à venir l’image et l’expé-rience de l’habitat collectif à Hanoi.

1. Lisa Ros, Typologies de l’habitat dans leur rapport à l’espace urbain et péri-urbain dans Hanoï, Les Cahiers de l’Ipraus, Editions Récherches/Ipraus, 2001

2. Article Wikipédia: Guerre du Viêt Nam

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(13)

Dans ce modèle, la collectivisation des pièces de services (accès, escalier, salle de bains, toilettes, cui-sine) était tout indiquée. La collectivisation multifamiliale des habitations à l’origine monofamiliale les transformera en logement collectif. C’est ces villas partitionnées qui introduiront les caractéristiques spatiales qu’on retrouvera dans les KTT pour les vingt années à venir.

L’aide des pays frères principalement tournée vers l’armement pour les Russes et vers le ravitaillement pour les Chinois n’est dans un premier temps d’aucun secours pour la reconstruction, de plus la main-d’œuvre majoritaire à Hanoi est exclusivement rurale. Ainsi les KTT naissent au croisement de l’idéolo-gie moderne venue d’occident, d’une pénurie matérielle d’après-guerres entretenue par le communisme et d’un état arriéré des savoir-faire techniques.

Les typologies reprendront pendant l’entre-deux guerre cette organisation inspirée du socialisme. Le nouveau plan de développement d’Hanoi de 1954 participant à une future société urbaine socialiste, les concepteurs des KTT bénéficient de l’aide des Soviétiques, mais aussi de leurs voisins asiatiques coréens et chinois pour l’élaboration des nouvelles typologies d’habitats collectifs vietnamiens. Les mo-dèles dont sont issus les KTT sont chinois et soviétiques.

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(14)

1.5 l’Arrière plan communiste

Les instances gouvernementales initiant ces constructions selon le modèle communiste s’opposent à certaines conceptions et pratiques traditionnelles et rompent en particulier avec l’esthétique tradi-tionnelle du Vietnam. Une esthétique très infl uencée par la présence chinoise, puis française qui sous infl uence communiste étaient devenu l’héritage de la bourgeoisie, et il s’agissait de gommer ses formes et ses traces. Au-delà de cette conception de la rupture formelle en termes de « fi n de l’exploitation des propriétaires », une idéologie de la rationalité, plus proche du dénuement pour tous que de l’égalité. Sous le terme de modernisation de la société, l’institution vise la modifi cation des mœurs : un homme nouveau adapté à un mode de vie collectiviste tourné autour du travail.

Le but du communisme vietnamien consiste sans surprise à la suppression de la propriété privée pour organiser une économie planifi ée et développer l’industrialisation nationale.

1. Confi squer les moyens de production privés et les nationaliser.

2. Supprimer le libre marché et développer l’économie planifi ée: des conditions de travail identiques pour tous, le salaire unique, et l’absence de concurrence.

« La distance est grande mais nos coeurs sont proches !» - Affi che soviétique pour l’amitié URSS-Vietnam

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(15)

Dans cette conception planifiée, le gouvernement estime l’offre et la demande et impose des normes de production qui sera redivisée également dans toute la population. Les nouveaux logements du régime qui occupent notre étude ont pour mission d’adapter les hommes de la société moderne à un mode de vie socialisé dans lesquels les rapports individuels, à l’intérieur du noyau familial, sont remplacés par un mode de vie en communauté: cantines, sanitaires collectifs, etc. L’évolution des KTT montre que les habitants ont suivi le processus inverse, en adaptant leur logement à leur mode de vie1.

Le communisme fut un échec économique ponctué de révolte. Au milieu des années 80, le régime com-muniste à bout de souffle laisse le pays dans une misère noire.

Cependant, sur le plan urbain, le communisme vietnamien obéit à des règles singulières qui lui confèrent un certain caractère. Tout d’abord, contrairement au communisme soviétique (et surtout chinois) il n’y eut pas, à Hanoï, de campagne de destruction massive des édifices religieux, des palais, et des résidences bourgeoises. De plus, tout en procédant aux expropriations, au relogement, et à la construction massive de KTT, la municipalité contrôle strictement le flux des nouveaux arrivants, et même si l’offre ne se rapprochera jamais de la demande pendant toute la période, aucun grand bi-donville ne verra le jour à Hanoï. De plus l’application de cette politique globale ne se fera jamais de manière unilatérale. L’État vietnamien développe une mécanique au coup par coup; ce qui permet de faire des expériences et d’affiner petit à petit les typologies ce qui avait deux avantages: D’une part, tous les programmes dans leur implantation au moins et parfois dans leur offre sociale sont contextuels et adaptés pour leur environnement immédiat. D’autre part, ce programme de reconstruction au cas par cas, qui se nourrit d’échec et d’expériences évolue dans le temps, et chaque construction nouvelle est en théorie à la pointe de la technique et des savoirs accumulés.

Je pense qu’il ne faut pas ignorer que les conditions de possibilité pour que se créent et se transforment les KTT sont en grande part liées à l’application relativement intelligente du communisme vietnamien. D’après mes lectures croisées, l’État de l’époque, aussi tyrannique soit-il, il ne plaqua pas en masse des modèles hors-sol, et pris en compte le contexte, les populations déjà logées aux alentours dans un souci de ne pas défaire ce qui s’était fait naturellement. Nous verrons dans la troisième partie que la problé-matique du contexte est traitée fort différemment dans l’économie libérale actuelle.

1. KTT à Hanoï | du communisme au capitalisme, article du blog Laboratoire Urbanisme Insur rectionnel

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(16)

2. Étude des typologies et de leurs transformations

2.1. Introduction: Les grandes périodes du KTT

Entre 1954 et 1986, période qu’on pourrait qualifier d’âge d’or du KTT, on a construit 50% des édifices encore debout aujourd’hui. On distingue traditionnellement dans le cours de l’évolution des KTT trois périodes majeures durant ces trente années. La date de 1986 marque le début du Đổi mới, qu’on peut traduire par renouveau et qui désigne la réforme économique vietnamienne, soit l’autorisation et l’en-couragement de l’ économie de marché mondiale par le parti communiste vietnamien.

Entre 1954 et 1960, l’État pour faire face à une demande croissante construit massivement de l’habitat social, pour un faible coût, avec chantiers toujours plus courts. Ces logements sociaux premières géné-rations sont constitués d’une pièce unique. Les plans sont aujourd’hui quasiment introuvables, mais on sait que cet appartement monopièce font entre 25, et 35 m2, avec toutes les pièces servantes mises en commun.

Entre 1960 et 1975, la seconde génération de KTT est destinée à loger les nombreux fonctionnaires, ouvriers et militaires. C’est à partir de cette période qu’on voit apparaître la préfabrication pour la pre-mière fois au Vietnam, notamment grâce aux nombreuses influences extérieures importées d’occident par la Chine, la Corée du Nord ou encore l’URSS.

Ce n’est qu’avec 1986, et l’amorçage de libéralisation, qu’on assiste à une densification des parcelles et surtout l’appropriation des logements et des façades des logements qui ont rendu les KTT spectacu-laires et comme on peut encore les voir aujourd’hui.

NB. Le chapitre qui est développé dans les page suivantes intitulé Histoire des mutations des KTT relate à la fois l’historique de la législation Hanoien et cite plusieurs passage de l’article de Chris -tian Pédelahore de Loddis édité dans Hanoï, Les Cahiers de l’Ipraus, Editions Récherches/

Ipraus, 2001. Compte tenu de la rareté des contenus concernant l’histoire urbaine d’Hanoï, j’ai été contraint de n’aovir qu’une source bibliographique cette question précise

L’article est également inspiré de conversations avec les enseignants de l’Université d’Architec ture d’Hanoï, avec les responsables du musée de la ville rencontré à Hanoï, et avec les habitants francophones des KTT rencontrés sur place pendant les études de terrain.

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(17)

2.2. L’Histoire des mutations des KTT

2.2.1. Introduction

Comme nous l’avons vu dans le 1.4. «Ainsi les KTT naissent au croisement de l’idéologie moderne venue d’occident, d’une pénurie matérielle d’après-guerres entretenue par le communisme et d’un état arriéré des savoir-faire techniques de la construction.» 

Il n’est pas étonnant alors que ce soit développé une esthétique du bricolage qui au fil des années, à force d’ingéniosité et de négociation avec les pouvoirs publics, est devenue une curiosité pour quiconque tombe nez à nez avec un KTT Hanoien. En effet, il y a l’astuce, le fil de fer tendu, le grillage, le bout de tôle qui simplifie le quotidien, mais qui furent pendant des décennies autant de micros bras de fer avec les autorités municipales pour obtenir des autorisations de modifications. C’était alors un jeu de réseau professionnel, de liens de parenté à ramification multiples mis en branle afin d’exploiter les nombreux vides juridiques. Mais c’est l’ouverture progressive au capitalisme (une longue marche de 1954 à 1986) qui permettra très progressivement les « dérives » qui se lisent visuellement comme un chaos généralisé des droits du voisinage et de l’urbanisme et que jamais l’état socialiste n’aurait pu tolérer. C’est d’ailleurs après 1986, avec la corruption des fonctionnaires, le relâchement général du pouvoir de l’état et un droit de l’urbanisme à l’abandon qu’ont pu voir le jour les extensions les plus extravagantes qu’on peut encore observer aujourd’hui.

2.2.2. Implantation

À Hanoi, les opérations de logement collectif ont d’abord été construites à l’intérieur du périphérique des villes dans les espaces en attentes d’urbanisation, puis proches des périphéries urbaines et enfin de l’autre côté des digues aux limites de la ville. Ces logements sous forme de barres étaient implantés en groupe et aux abords des villages surpeuplés selon une logique urbaine qui se retrouve jusqu’au début des années 90.

2.2.3. Le modèle urbain invariant

Les barres, droites ou en U, laissent toujours un, ou plusieurs interstices assez vastes qui a un carac-tère tantôt d’espace public tantôt de copropriété. Ce grand espace « public» est protégé des bruits et de l’animation des rues, rares sont les gens qui y circulent à moto. Il y a quelques arbustes sur la périphérie

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(18)

de l’espace qui projette des ombres contre les fenêtres, ou un grand arbre parfois. Une importance est visiblement accordée aux espaces collectifs où sont supposés se rencontrer les résidents. À l’époque, les habitants bénéficiaient de tous les équipements publics de quartier construits en même temps que les logements. Ainsi, entre les barres de logement, des aménagements destinés aux loisirs, à la détente et aux jeux d’enfants prennent place. Avant la révolution capitaliste, pas de commerces particuliers privés, ou très peu, car l’activité commerciale était réservée à des coopératives d’état et il était interdit d’ouvrir un commerce, quel qu’il soit.

2.2.4. La Victoire sur les Américains

Peu après la guerre et les réjouissances, la population urbaine, après des décennies de soumission, de privation, de bombardements meurtriers, commence à revendiquer de meilleures conditions de vie. La première concerne la décollectivisation des espaces partagés, c’est-à-dire les cuisines et les salles de bains, lieux traditionnels de l’intimité domestique et familiale. Le modèle collectiviste disparaît progres-sivement des nouvelles constructions.

2.2.5. Exode rural et prémisses du marché locatif

1984 voient apparaître les premières mesures d’assouplissement des contrôles de résidence. Dans la foulée est appliquée une réforme autorisant les Vietnamiens à vivre où ils le souhaitent, et plus là où le souhaitaient les autorités. Cette réforme aura pour effet l’exode des populations rurales vers les villes. Les paysans arrivent en ville pour y faire une petite réussite, avec l’espoir de retourner avec l’argent au village. Ils sont habituellement logés par un parent proche citadin. La solidarité au sein des familles vietnamiennes semble avoir joué un grand rôle, pas seulement à cette période, mais tout au long de leur histoire-.

Avec l’assouplissement de l’obligation de résidence apparaît le marché privé de la location. Un marché « noir » où chacun relativement secrètement peut s’octroyer le droit de louer, sous-louer, ou même de co-louer un bien immobilier. L’inaction des autorités résultant de la corruption généralisée ainsi que l’état le manque absolu de logement dans la capitale autorise tacitement toute sorte de dérives. Ainsi, on assiste à une privatisation progressive du sol dit public au droit des appartements situés à

rez-de-chaus-ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(19)

sée, implantations depuis toujours les plus convoitées. D’abord figurées par quelques plantations, les appropriations se consolident progressivement, sous la forme d’espaces de prolongement extérieur.

2.2.6. Libéralisation généralisée du marché de l’immobilier

En 1985, une nouvelle réforme allant vers une libéralisation accrue autorise les habitants qui s’étaient vu attribuer un logement sous l’autorité de l’État communiste, à racheter les mètres carrés qu’ils occupent. La mesure est une manifestation explicite de la volonté de l’état de se dégager des affaires immobilières privées, et notamment d’un patrimoine de piètre qualité, parfois insalubre, coûteux à entretenir et qu’il ne peut pas surveiller. Alors, enfin, les logement s’achètent et se vendent, se transmettent aux enfants, se louent comme n’importe quel bien dans une société capitaliste. Mais il y’a toujours une certaine pu-deur et une crainte vis-à-vis d’un état qui n’a pas changé de statut et qui mena une politique autoritaire pendant les décennies précédentes, et ce marché noir reste officieux et sera basé surtout pendant les premiers temps sur l’échange et le troc.

Pour les KTT, c’est le début des transformations intérieures, avec une recomposition des espaces à vivre et un redécoupage intérieur en fonction des voisins, des rachats, ou des ventes. Ainsi apparaissent des appartements plus grands, traversants, et même une typologie inattendue en « duplex » qui pour ne pas fragiliser les structures empruntent les escaliers communs pour rejoindre la seconde partie de l’appar-tement, qui pourra être mise en location, ou en sous-location. C’est à partir de cette détente des insti-tutions et de ces « nouveaux usages » que se généraliseront les excroissances, qui resteront relativement timides jusqu’en 1986.

2.2.7 Rétablissement du commerce privé

L’économie socialiste, la planification de la production tournée vers l’économie de guerre, le rationne-ment, et les reconstructions ayant eu lieu après les bombardements eurent pour conséquence majeure l’élimination du commerce privé et la mise en place de coopératives d’État. Avant 1988, les boutiques étaient rares et les pratiques commerciales privées occasionnellement tolérées. La police était alors très vigilante et les habitants guidaient toujours les paysans nouveaux venus en ville vers les magasins d’État. Deux réformes vont provoquer le retour des commerces privés. En 1986, la suppression des tickets de

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(20)

rationnement, et en 1989 le démantèlement des coopératives d’État. Ces deux lois autorisèrent implici-tement la libéralisation du commerce et c’est alors qu’on voit poindre mixité nouvelle aux rez-de-chaus-sée de nos KTT, qui bousculent jusqu’à aujourd’hui les intentions des typologies originales.

Il faudra attendre trois ans après la fi n des coopératives pour que soient légalisées en 1992 la possession et l’exploitation d’espace de commerce pour les particuliers. C’est alors que certains appartements en rez-de-chaussée des immeubles des quartiers sociaux sont vidés des familles qu’ils accueillaient pour accueillir des boutiques de première nécessitées dans un premier temps puis des services de proximité classiques dans les villes. Souvent, les familles (et jusqu’à aujourd’hui) choisissaient de se priver d’une partie plus ou moins grande de cet espace de vie pour ouvrir des commerces.

Chacun menant ses projets, d’extension, de rénovation, de bri-colage, d’achat, ou de location; les KTT passent progressivement de quartier presque exclusivement résidentiel à un véritable village dans la ville avec une plus grande mixité de population, d’activités, de fonctions… Les appartements de RDC sous forme de lanières commerciales devenues pour partie espace de vente ressemblent de plus en plus aux maisons tubes compartimentés. Ainsi on peut voir que le découpage parcellaire historique se lit en façade, sur des bâtiments qui avaient pour projet d’abolir les anciennes traditions. A fortiori, il arrive (à Kim Lien en particu-lier) que les commerces d’un KTT se regroupent par corporation et produisent une dominante commerciale à une rue… N’est-ce pas familier ?

Il existe aujourd’hui dans le quartier de Kim Lien une rue sur-nommée « rue de la mode »

Plan logement RDC avec boutique au KTT de Giang Vo

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(21)

2.3. La logique de transformation

Le KTT s’est toujours développé vers l’extérieur –le plus loin possible du noyau collectif- et les pre-mières excroissances consistaient à l’aménagement d’une cuisine privée permise par l’adjonction d’un grillage léger a quelques centimètres de la fenêtre chevillée au mur. La cuisine se faisait sur l’appui de fenêtre et le grillage servait à l’accrochage d’ustensiles de cuisine et ne nécessitait pas de savoir-faire technique ou d’outillage particulier. On voit encore sur certaines fenêtres la vaisselle de la famille posée sur ce grillage en porte-à-faux aussi utilisée comme égouttoir.

L’aménagement le plus courant qu’on retrouve aujourd’hui sur toutes les façades des KTT de logements est la fermeture d’un balcon : une ossature légère en acier et grillage très modulable et aménagé tantôt avec de la tôle ondulée pour couper le vent, des madriers en guise de plancher, des stores en bambous pour masquer le soleil. Mais l’aménagement phare, celui qui rend pour de bon nos KTT in reconnais-sables c’est la pièce à vivre ou à louer, souvent un salon suspendu à cheval sur la trame permettant de passer d’un appartement à un autre. Cette extension semble atteindre un porte-à-faux limite d’environ 2,5 mètres (au-delà de la structure inférieure). Par ailleurs, on observe aujourd’hui en se promenant que cette « pièce supplémentaire » n’est plus seulement une solution de fortune au manque de place, ou un supplément de confort, mais que ces balcons suspendus accueillent des jardins, des vérandas, des ateliers d’artistes. Je ne connais pas la législation actuelle, mais il semble que les droits sont devenus à force de négociation particulièrement larges. Toutefois, le dénominateur commun à toutes ces inter-ventions ponctuelles en hauteur est le respect à la fois des espaces de vie communs (pas d’extensions en RDC qui ne soit des espaces commerciaux accessibles à tous, on des garages partagés), et le respect des extensions, où des prises d’air de lumière des voisins (et pas de l’appartement voisin, qui quand il semble aveugle appartient souvent au même propriétaire).

Cet urbanisme de négociation à trois voix entre le propriétaire privé, le chef de quartier, et les autorités publiques municipales est sur le plan relationnel, sur le plan créatif, et sur l’adaptabilité une véritable réussite urbaine qui ne ressemble à rien de connu en occident.

De plus, ce sont les habitants qui par le seul jeu des relations, de solidarité, et de bricolages inventés copiés et améliorés sont devenus les architectes (et les urbanistes !) en intervenant, petit à petit sur le monolithe orthogonal qui les enfermait. C’est à mon sens un objet d’étude idéal pour se poser la fa-meuse question de la nécessité de l’architecte…

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(22)

Photo prise en Juin 2015 à Giang Vo, avec en rouge « la part de l’architecte »

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(23)

Étude de cas -

quatre typologies anachroniques

KTT - Trung Th u 1965 - 1975

Accolé au KTT de Kim Lien au sud de la première couronne d’Hanoi, cet ensemble de neuf barres parallèles est un excellent exemple de la première génération de logement collectif Hanoien. Les barres comptent toutes cinq étages totalisant une surface habitable d’environ 70.000 m², en 1994 un recen-sement de l’îlot annonce une population de 11.500 résidents, soit un peu moins de 7m²/hab. Dans un premier temps, ne se détachent de la façade en béton préfabriqué que les cages d’escalier. Aujourd’hui, la façade est animée d’extension, de balcons suspendus. Bien que le quartier était entièrement dédié à l’habitat, quasiment tous les rez-de-chaussée sont devenus des commerces traversants ouverts sur la rue principale Pham Ngoc Th ach. Caractéristique des KTT anciens : les logements sont desservis par une coursive extérieure fi lant contre la façade sur cour. Les habitants se sont depuis longtemps approprié les coursives pour y ranger vélos, motos, oiseaux. Les toits des commerces en RDC deviennent des ter-rasses au-delà des coursives.

Plan type logement de Trung Th u

Coupe longitudinale

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(24)

KTT - Giang Vo 1972

Construit sur les remblais du lac artifi ciel du même nom, le KTT Giang Vo défi nit davantage un secteur d’habitat collectif qu’un îlot délimité. C’est le cas d’étude que j’ai pu approfondir le plus par plusieurs visites y compris chez l’habitant. Sur le plan urbain, le KTT est très protégé, et les accès hiérarchisés : le cœur d’îlot est strictement piéton, et les longues barres isolent des bruits de moteur, des fumées d’échappement. Quatre sous-quartiers s’organisent autour de l’îlot central regroupant les équipements, sportifs, culturels, scolaires. Les commerces présents sur environ deux tiers des rez-de-chaussée sont ouverts sur rue, mais leur manifestation en cœur d’îlot n’est pas intrusive. Encore une fois, les loge-ments sont desservis par la coursive extérieure. Ils sont en général constitués de trois pièces de tailles semblables, l’une sur cour, l’autre sur rue, et la troisième (souvent la chambre des enfants) aveugle. Dans la pratique les appartements de RDC notamment ont pratiquement doublé la surface d’origine de 30m² à force d’extensions ce qui a induit une réorganisation des parties commerces/logements. Comme à Trung Th u, les espaces servants sont partagés, en l’occurrence: des bandes servantes étroites regroupent cuisine partagée et sanitaires, et sont disposés de part et d’autre de chaque cage d’escalier (ou plutôt rampe d’escalier puisque les marches ont partiellement été comblées pour former un plan incliné).

Plan logement type de Giang Vo

Plan logement RDC avec boutique

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(25)

KTT – Th anh Xuan 1981 - 1987

Plus tardif, ce quartier compte encore aujourd’hui 20.000 habitants pour une surface approximative de 110.000 m² soit environ 5,5m²/hab soit une situation de surpopulation très préoccupante.

Il est caractérisé par son épaisseur qui donne en rez-de-chaussée des longues bandes divisées en 4 pièces qui n’ont pas été modifi ées, et les deux pièces restées aveugles, et sont assez angoissantes.

Croquis de Th an Xuan datant du début des années 2000 issu du livre: Hanoï, le cycle des métamorphoses

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(26)

KTT – Bach Dang 1990

Le KTT de Bach Dang est le plus récent et sa destination est diff érente des précédents. En eff et, il s’agit d’un ensemble de trois barres en U, construit à l’extrême sud de la ville (en zone inondable) pour loger des militaires. La typologie diff ère fondamentalement de celles présentées précédemment puisqu’il n’y a plus de parties communes. Toutes les pièces servantes ont été intégrées aux logements de fonction et sont dorénavant privées. De même, les surfaces des appartements n’ont plus aucun rapport avec celles des anciennes typologies puisque pour un couple avec quatre enfants on dispose de presque 100 m², tandis que pour une famille de 4, les appartements dédiés avoisinent les 60 m². Par ailleurs chaque pièce est éclairée et ventilée naturellement. Comparés aux autres modèles de logement collectifs plus anciens, ces logements prennent visiblement en compte les caractéristiques du mode de vie vietnamien et des standards de conforts attendus, ou même nécessaires. Bien qu’il s’agisse de logements de fonc-tion, l’espace n’a subi aucune modifi cation ou extension ce qui témoigne du caractère suffi sant de ces appartements.

Façade Bach Dang en U

Plan appartement type

Plan appartement d’angle

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(27)

KTT Kim Lien

À Kim Lien, comme souvent, les espaces de RDC sont respectés et appropriables, et les enfants en ren-trant de l’école peuvent jouer entre les barres, surveillés par les voisins et les grands parents.

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(28)

Giang Vo

À Giang Vo dans la barre récemment restauré, de nombreuses extensiosn sont des balcons améliorés, jardins suspendus pour boir du thé: comme une pièce interieure/extérieure très lumineuse et ventilée

donant sur l’espace partagé en bas.

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(29)

3. Avenir des KTT

3.1 L’immeuble de grande hauteur et la densité verticale face au KTT

Depuis 1993 et la loi de la réforme foncière, les terres constructibles d’Hanoï font l’objet de spéculation des investisseurs étrangers qui visent essentiellement la construction de programme à forte rentabi-lité commerciale, hôtelière, résidentielle, bureaux et centre commerciaux. Ces investisseurs visant de manière prioritaire la quantité de surface de plancher construite favorisent unilatéralement le recyclage de plans types correspondant en général à la seule typologie de la tour sur son socle1. C’est une

pre-mière dans l’urbanisme vietnamien, et ce malgré la planification, que des projets de si grandes ampleurs soient construits en ignorant leur environnement bâti et les formes urbaines préexistantes.

1. Emmanuel Cerise, Hanoï à l’heure du libéralisme, Hanoï, Les Cahiers de l’Ipraus, Editions Récherches/Ipraus, 2001

La fin du chantier de la LOTTE tower (272 m), au milieu d’une constellation de tours. 2013

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(30)

Plusieurs alternatives existent pourtant. La meilleure prise en compte des besoins des utilisateurs pourrait par exemple augmenter le taux de remplissage (la course au mètre carré est telle qu’au pied des tours vides se forment des villages aux aspects de bidonville), optimiser l’emprise au sol parcellaire per-mettrait à la fois de diminuer les dents creuses en sauvegardant les continuités urbaines tout en provo-quant un enrichissement typologique nourrit par le découpage parcellaire préexistant (ce qui renforce l’identité par quartier). Un autre outil, qui appartient cette fois au Vietnam et qui pourrait être recon-voqué, c’est celui de la conciliation urbaine entre les acteurs ou aménagements concertés (terme qui rappelle dangereusement notre ZAC ; ça n’est pas le sujet ici). Cependant pour qu’une concertation soit mise en place et que l’outil urbain ne reste pas un vœu pieux, il faudrait que de telles initiatives soient prises par le pouvoir en place. Or, il semble que pour ce qui est de l’aménagement des quartiers, les autorités municipales font vœu de silence et laissent au plus offrant l’initiative de l’innovation urbaine ; mais je sors ici du domaine d’étude et du champ de ma compétence.

3.2 Le rapport des Vietnamiens à leur patrimoine de béton

Les KTT furent des années soixante à quatre-vingts des laboratoires d’expérimentation techniques et architecturaux nourris non seulement par la volonté d’industrialiser le secteur de la construction, mais aussi par le fantasme socialiste de l’homme nouveau. On pourrait ainsi imaginer, considérant l’histoire du KTT, son développement sur la longue durée particulièrement à Hanoi, que ces vestiges du passé soient considérés soit avec nostalgie, ou comme un emblème de la reconstruction de la ville. Or il n’en est rien.

En effet, les vieux KTT qui nous fascinent (nous les Occidentaux ou au moins les Français) sont totale-ment absents de la mémoire Hannoïenne qui est pourtant très vivace ! Il n’en est jamais fait référence, ni au musée de la guerre, ni au musée de la culture vietnamienne et même pas au musée de la ville d’Hanoi que j’ai pu parcourir deux fois pendant mon séjour. En demandant des plans de KTT, plu-sieurs fois, à des camarades, ces derniers m’envoyaient des références d’habitats collectifs neufs qui ne portent aucun des stigmates du Khu Tap Teh traditionnel, et même de manière générale la littérature vietnamienne consacrée à ces géants du passé, est pratiquement inexistante, alors qu’il existe un certain nombre d’ouvrages en français et en Anglais qui évoquent ce sujet. Et les premiers chercheurs.

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(31)

Je propose alors plusieurs hypothèses du désamour des Hanoiens pour les KTT

1. Le passage à la société de consommation qui rend tous les objets obsolètes a rendu les KTT aussi attractifs aux citoyens qu’une cassette audio pour un mélomane aussi nostalgique soit-il

2. C’est un défaut bien humain de renier aujourd’hui ce que l’on adorait hier en occultant dans le même mouvement ce que les expériences ont à nous apprendre.

3. Ou alors, ce désamour sans équivoque serait l’occasion de se questionner sur les conditions concrètes du réel urbain, et de leur incapacité systématique a être aimés.

À travers cette étude sur les KTT, l’appropriation de la typologie par les habitants, et le rapport qu’en-tretiennent de nos jours les Vietnamiens avec cette tranche de patrimoine, j’ai essayé de réfléchir à la réhabilitation du KTT tant sur le plan architectural que sur le plan de la conscience collective popu-laire. Difficile de comprendre la qualité de la relation au patrimoine des Vietnamiens. Tantôt purement spirituelle, tantôt matérialiste. Néanmoins, la jeune génération ne semble pas prendre le passé comme un fardeau. La colonisation française n’est pas ressentie comme une période humiliante ou infantili-sante, et même lorsque j’ai pu évoquer avec mes camarades la guerre du Vietnam il n’y avait ni esprit de revanche ni affliction dans leur discours.

3.3 Les KTT en chiffre

Aujourd’hui les autorités communales, estiment que seuls 30 % des besoins nouveaux en logement sont couverts sachant qu’Hanoi compte 12 millions de mètres carrés dont cinq appartiennent encore au domaine public. Le logement à est redevenu depuis les années 2000 une priorité pour la municipalité d’Hanoi. Un programme décennal a été mis sur pied entre 2000 et 2010 souhaitant valoriser un urba-nisme plus harmonieux, et l’intégration des nouvelles constructions avec les anciennes. De même, le programme visait à rénover les KTT les plus anciens du centre-ville (le programme comptait la réha-bilitation de 450.000m2 de plancher, dont tous les étages du bâtiment A6 de Giang Vo, j’ai pu en 2015 constater en effet qu’un des bâtiments de ce KTT avait été remis à neuf et ne portait aucun aménage-ment « extension ».

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(32)

3.4 Commentaire et ouverture

« Commencés avec l’indépendance, dans la pénurie et l’autarcie, puis adaptés, transformés, incorporés puis

métamorphosés par la population, les KTT ont fini par se constituer en mode d’une urbanité

contempo-raine spécifique. L’analyse interprétative de ces mutations permet d’identifier l’étonnante vivacité

adapta-tive d’une civilisation rurale qui a su investir les villes et pratiquer l’actualisation des schèmes d’une solide

culture spatiale et technique d’origine populaire. Par delà un contexte historique particulier, ces évolutions

interrogent directement les faiblesses d’un urbanisme réglementaire devenu international.

Ces transformations semblent ainsi indiquer partir d’expériences hanoïennes, pétries de pragmatisme et

d’inventions contextuelles, les chemins d’un « urbanisme dialogique » qui saurait mieux marier les

res-sources savantes de professionnels attentifs aux lieux et aux pratiques sociales une plus grande liberté

d’intervention des acteurs finaux : les habitants. Hanoï, connue et reconnue aujourd’hui en tant que ville

historique deviendrait également, ce faisant un terrain d’illustration de très nouvelles et très anciennes

façons de faire la ville. »

Christian Pédelahore de Loddis dans Les Cahiers de l’Ipraus n° 3 : Les KTT transformés, un modèle ?

Cette citation qui fait plus l’apologie de la démarche urbaine empirique hanoïenne qu’elle ne fait l’éloge des typologies en place, nous montre bien que la valeur du KTT et de l’urbanisme de conciliation n’est pas en béton, mais en intelligence collective articulée avec une certaine idée du rôle de l’état.

Ainsi malgré le désamour visible que subissent les vieux KTT, les conditions nécessaires et suffisantes à une approche qui amènerait la réactivation des barres sont avant tout humaines, et sont contenues dans le terreau culturel profond hanoïen.

Cette perspective peut certes nous redonner un certain optimisme quant au futur des KTT, mais l’uni-vers des possibles est vaste, et tous les scénarii ne sont pas également vraisemblables. Nous allons voir avant de conclure trois scénarii probables à moyen et long terme.

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(33)

4. Scénarii

4.1. Scénario 1

Les KTT sont trop vétustes pour qu’une restauration soit rentable. Cependant l’aspiration de la jeune génération à l’indépendance couplée à la culture du bricolage encore vivace pourrait donner lieu à la construction de KTT neuf, mis aux normes de sécurité en vigueur, mais excessivement dépouillé et très low cost. Une offre d’appel faite aux primo accédants, et adressés aux jeunes qui sont de plus en plus désireux de quitter le foyer familial avant le mariage, et qui n’ont ni la volonté ni les moyens d’acquérir un appartement à l’occidentale dans une tour de 30 étages.

Ce qui le rend probable :

Les KTT dans leur état actuel de vétustés sont condamnés à la destruction à moyen terme. Comme dans les pays de l’ex Union soviétique, ce sont des châteaux de cartes sans cesse rafistolés par les habi-tants qui sont année après année plus accidentogènes et insalubres.

Cependant, les typologies en place sont fascinantes et elles sont responsables du succès des KTT. De plus, ce sont des typologies connues et pratiquées : les règles de vie autour des espaces communs sont ancrées dans les têtes et on ne veut pas casser une forme urbaine qui marche. Les gens connaissent les contraintes et les défauts de ses logements, mais les techniques pour y parer foisonnent. C’est pourquoi je pense que la construction d’un KTT revisité, débarrassé de ses défauts historiques (isolation acous-tique quasi inexistante, étanchéité inatteignable, réseau d’eau et d’électricité à repenser), mais toujours aussi dépouillé pourrait être une solution pour relancer les dès de cette typologie.

Il y a en effet une esthétique du bricolage, et les jeunes, même venus de la classe moyenne, sont très déliés quant aux bricolages architecturaux. On le voit notamment dans des cafés ou des bars à Hanoi, ou les toits et les terrasses suspendus en cagettes abondent. The Kafe sur la rue Diên Biên Phu, assume cette esthétique à mi-chemin entre l’optimisation et la débrouillardise des Vietnamiens avec des tables en bois recyclées, des lampes bricolées ; et l’esthétique industrielle à l’américaine, inspirée à la fois des ateliers d’artiste et du courant DIY (Do It Yourself)

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(34)

Enfin, les jeunes Vietnamiens bien qu’ils soient séduits par les mœurs occidentales, ne sont pas tous tentés par l’idée de vivre dans une tour au cœur d’un quartier moderne à Ba Dinh ou même un quartier vert comme Ecopark, mais veulent rester proches de leur quartier et de leur village.

Je ne pense pas qu’on puisse faire aimer aux Vietnamiens la typologie qui a accompagné la période la plus traumatisante qu’a traversé leur pays et dont elle sort tout juste. Fin du conflit il y a 41 ans : Tous les grands parents ont vécu la guerre.

En revanche, créer des logements neufs accessibles au plus grand nombre, avec des typologies modi-fiées, sous un nom nouveau, qui encourage et propose l’esthétique du balcon décoratif, ou de plaisance : j’imagine que cela pourrait marcher.

Trill Rooftop Kafe

Terrasse aménagée par l’équipe du bar avec du bois de cagette, des poteaux de parasols et des bancs soudés avec de l’acier recyclé.

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(35)

4.2. Scénario 2

Dans ce scénario d’anticipation à court terme, les KTT sont vieux, insalubres, les gens qui les peuplent vivent là par défaut. Dans une telle conception des choses, le témoignage de l’histoire politique et ur-baine que constitue le KTT est mis dans la balance avec la rentabilité des travaux nécessaires pour dras-tiquement ralentir le vieillissement de ces édifices. De plus, il est difficile d’effectuer des restaurations sans démonter toutes les extensions, qui certes empêchent l’accès aux façades, mais qui font surtout tout le caractère de ces bâtiments. Ce scénario catastrophe pourrait mener à une démission totale de la municipalité laissant à la discrétion des seuls habitants la responsabilité de l’entretien.

En effet, il faudrait être cynique, pour laisser se dégrader, et pour finir péricliter, ces témoignages architecturaux majeurs de la ville d’Hanoi. Mais, il faudrait être plus cynique encore, pour ne pas agir compte tenu des personnes mises en danger par la vétusté avancée de leur logement et dont elles ne sont pas toujours averties puisque j’ai pu moi même voir des détails démontrant la fragilité des constructions.

On peut d’ailleurs, sur la page suivante, constater par des images prises dans le KTT matriculé H36 dans le quartier de Tay Hồ le danger permanent qui menace les 61 familles (400 individus) qui y vivent, dans des conditions inacceptables d’ailleurs (30m2/appartement/famille). Le cas de ce KTT a

récem-ment fait les gros titres puisqu’une commission populaire s’est réunie pour faire pression sur la munici-palité dans le but d’être relogés le temps d’une restauration ou reconstruction. Le comité des habitants a obtenu gain de cause et a publiquement encouragé via internet et les journaux locaux à en faire de même.

Le cas de ce KTT pourrait en effet devenir un modèle pour tous les autres menacés de s’effondrer alors qu’ils sont encore pleins. L’approche occidentale qui pourrait consister à ne voir la valeur des KTT que dans la logique des extensions bricolées que nous avons longuement décrites, ne tient pas la comparai-son aux yeux des habitants qui craignent pour leur propre vie. Par ailleurs, l’exemple des résidents réu-nis en comité pour défendre les intérêts du groupe est dans la filiation directe de l’urbaréu-nisme empirique de la négociation si caractéristique à la ville.

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(36)

Images tirées de l’article du 15.07.2015 du journal vietnamien Baomoi consacré au KTT H36

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(37)

4.3. Scénario 3

Les KTT ont de vraies qualités architecturales, que ce soit en termes d’accès, de ventilation, de prise de lumière, et surtout de vie en commun. Dans ce scénario, on imagine que, les années passant, les KTT soient réinvestis par la classe moyenne et bourgeoise vietnamienne, nos-talgique non pas de l’histoire urbaine du Vietnam, mais d’une certaine vie de proximité, de village, où les générations cohabitent et où les voisins s’entraident, le tout dans un décor qui a un sens et une histoire.

Ce qui le rend probable :

Tout d’abord, le Vietnam se développe rapidement et le niveau culturel et intellectuel de la po-pulation monte à mesure que l’école fait son travail pour l’épanouissement et l’instruction des esprits. Aussi, peut-on imaginer que les prochaines générations de la classe moyenne émer-gente armée d’un bagage culturel aient un regain d’intérêt, spécialement pour les plus vieux KTT. Au même titre que la cité radieuse de Le Corbusier à Marseille qui eut droit à un désa-mour populaire unanime (les classes modestes étant pourtant les destinataires du projet d’après l’architecte), et qui est aujourd’hui habitée et entretenue par des familles de classe moyenne instruites. D’ailleurs, chaque année, la cité radieuse connaît un nombre de visiteurs croissant.

Les chances réelles:

Les KTT ne seront jamais réactivés par le seul désir consumériste de vintage pour une seule et bonne raison: la rentabilité. À moins d’un miracle individuel, aucun entrepreneur n’investira massivement dans ces édifices passablement dégradés, pour les remettre en état, en espérant trouver une clientèle. Ne croyons donc pas aux miracles.

Ce qui pourrait effectivement réactiver les KTT, c’est-à-dire voir venir des nouveaux arrivants volontaires, c’est la conscience populaire (ici, peuple ne désigne pas seulement les pauvres) du patrimoine qu’ils représentent et que des citoyens se rassemblent pour restaurer et réinvestir les lieux dans une démarche qui combinerait restauration et une certaine forme d’habitat parti-cipatif.

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(38)

Chateau ambulant ou KTT volant ?

image du film d’animation d’Hayao Miyazaki Le Chateau ambulant, 2004, Studio Ghibli

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(39)

Conclusion

Les Khu tập thể ne sont pas des ruines désertes, et les qualifier de bidonvilles verticaux relève plus d’une vision coloniale ignorante que d’un constat sociologique et architectural sérieux. Bien qu’ils soient usés par le temps, et paraissent sales, ils hébergent encore plusieurs centaines de milliers de personnes à Hanoï parmi les plus démunies.

Les KTT de première et de deuxième génération sont des témoins majeurs de l’architecture viet-namienne, et ils ont été le théâtre de transformations spectaculaires. L’aspect des KTT de nos jours raconte l’élaboration progressive d’un urbanisme de la négociation. Nous avons décrit quelques cas d’étude puis tenté d’envisager le futur des KTT dans un environnement plus faste certes, mais aussi rendu plus dur par la concurrence du marché qui s’est déjà largement imposée. Puis j’ai développé trois scénarii envisageables en considérant leur probabilité respective et les conséquences produites sur notre typologie d’étude.

Pour cet essai, j’ai dû convoquer beaucoup de lectures et me cultiver après mon année de mobilité. Par chance, le KTT fascine les observateurs et chercheurs occidentaux, mais malgré cela les publications universitaires n’abondent pas sur le sujet. J’ai choisi de me fier autant à mes lectures (franco et anglo-phones, notamment pour les parties historiques sur lesquelles je n’ai aucune compétence) qu’à mes ressentis sur place, et aux conversations que j’ai pu avoir avec des camarades et amis vietnamiens.

Cette étude m’a permis de revenir sur mon année de mobilité, et je dirais même, de la prolonger. Mon intérêt pour les KTT a grandi à mesure de mon travail, et l’affection qu’on peut ressentir pour la ty-pologie naît à mon sens dans la connaissance du contexte historique qui est le leur. Ils sont à la fois théâtre de la misère et lueur d’espoir. J’aimerais dans quelque temps pouvoir retourner au Vietnam pour confronter l’idée que je me suis construite, à mes souvenirs, et à la réalité de cette ville en passe d’être profondément transformée. 46.000 signes

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

(40)

Remerciements

Hùng Nguyen Manh - pour son aide à trouver les pièces graphiques et traduire le vietnamien Ny Nguyễn - pour m’avoir fait visité les KTT où vivaient ses parents

Bùi Hòa Ngọc - pour son aide à trouver les pièces graphiques et traduire le vietnamien Mi Tran- pour m’avoir expliqué le rapport des vietnamiens aux KTT et l’aide à la rédaction des

scénarii

Alex Salini, mon colocataire français à Hanoï

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE

TOULOUSE

DOCUMENT

SOUMIS

AU

DROIT

D'AUTEUR

Références

Documents relatifs

5./.La figure 4 montre les séparations obtenues pour ces trois isomères de position en chromatographie en phase liquide en utilisant comme phase mobile le tampon phosphate déjà

Ils sont ensuite émis sans vitesse par la source S, puis accélérés par un champ électrostatique uniforme qui règne entre S et P tel que.. U sp

(1985) étudient 53 enfants hémiplégiques divisés en 3 groupes selon que la lésion est survenue dans la période prénatale, dans les 2 premiers mois de vie ou après 5 ans

marge brute – remise – prix d’achat net – prix de vente hors taxe – coût d’achat prix de vente toute taxe comprise – prix d’achat net – frais d’achat – prix

[r]

* Détermination de la graduation 100 : on plonge le réservoir du thermomètre dans de l’eau en ébullition sous la pression atmosphérique normale.. Le liquide dans le capillaire

L’événement « manger une salade verte et une pizza aux quatre fromages » a une probabilité de 1/6. L’événement «manger une salade verte, une pizza végétarienne et une

C'est vrai mais alors il faudrait renoncer à la moitié (voire davantage) des notions géographiques que nous utilisons couramment- Une chose est sûre, le mot