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L'expression du fantastique dans Gaspard de la nuit.

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Academic year: 2021

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(1)

LIEXPRESSlmr DU FANTASTIQUE

DANS . ,

GASPARD DE LA NUIT D'ALOYSIUS BERTRAh'D .Département de Langue et Littérature françaises

li.A. RESUHE:

,Cette thèse se propose d'étudier le sentiment du fa~tastique

dans Ih~:pard de la !~\,;t: à l'aide des teChniques de la sty-listique.

Après un brei" rappel biogra.phique.» il est précisé où l'auteur se situe par rapport

à

la product~on littéraire de son épo-que.

Puis, le premier chapitre décrit l'univers fantastique de

Ga~p_ard de la !~t en s'attachant

à

son organisation p~~sique

et intérieure.

Le deuxiè~e chanitre exoliaue comment est réalisée la mise en scène du fantastique· ~ la composition de l'oeuvre et par les tons.

Le

troisième chapitre étudie la forme de l'oeuvre, la prose poétique, qu.i cheva:'..lche deu:c genres d' expression: la prose

et 2~ poés:"e.

La conclusion porte un juge::;ent de valeur sur 11 oeu~.rre en appuyant sur son originalité.

Enfin, nous tenons

à

remercier 1~. F. Furla.~, pour son aide précieuse tout au long de ce travail.

(2)

L'EXPRESSION DU FANTASTIQUE DANS GASPARD DE LA lIDIT

Gilles Drainvi11e, B.A.

A

thesis subrltted to

the Faculty of Graduate Studies and Research MCGill University,

in partial fulfilment of the requirement for the degree of

Master of Arts

Depertment oi" French La...'lguage

(3)

nlT.ROlJlJCT!ON •••••••••••••••••••••••••••••.••••••••••••••• pp. l

à

IX

CHAPITRB PREMIER

L'univers f'antastique de Gaspard de la Nuit •••••• '1' • • • • • • • • • : •. 1

1. L'espace ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••.• 1 2. Le temps ••••••••••••••••••••••••••..••••••••••••.•••••••. 5

3.

Les personnages ••••••••••••••••.••••••••••••••••••••••••

9

a) Les hOIlIlles • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 0 • • • •

10

b) Sorciers et magiciens

...

14

c) Fantômes~et vampires

...

~

.•...•....•...

16

d) Les démons •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••

18

e) Sat~ ••••••••••••••.•••••••••••••••••••••••••••••.••• 20 f') Di91.1 ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 22 CHAPITRE DEOxmiE

La mise en scène du fantastique •••••••••••••••••••••••••••• 26 1. La composition de l'oeuvre •••••••••••••••••••••••••••••• 26 a) Le prélude ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 26

b) Les premier et quatrième livres •••••••••••••••••••••• 29

c) Les deu.7d.è!:le et c::l.nqu.2eme

.

.' livres ••••••••••••••••••••• 32 d) Les troisiène et sua..eme

.

.' livres •••••••••••••••••••••• 34 2. Les tons • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • e • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •

36

a) La. dissonance •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• .36

b) Le burlesque ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• .39 c) L'ironie •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••

(4)

CHAPITRE· TROISm·IE

La forme •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••

1. Les procédés stylistiques empruntés

à

la prose ••••••••••

47

48

a). Le vocabu.la:ire •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••

48

b)

Le

matérie~ grammatical •••••••••••••••••••••••••••••• 52 2. Procédés stylistiques empnmtés

à

la poésie:

a) Les figures •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• i i i iii La métaphore L'antithèse ••••••••••••••••••••••••••••••••••• •••••••••••••••••••••••••••••••••••• L'énumération et la répétition ••••••••••••••••• 55 56 58 60 b) La ~ase et le rythme ••••••••••••••••••••••••••••••• 62 i i i La phrase - Le rythme •••••••••••••••••••••••••••••••••••••• •••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 62

67

CONCLUSION •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 71

BIBLIOGRAPHIE •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••

74

(5)

Comme son auteur, Gas~ard de la Nuit devait connaître pen-dant lODgatemps une destinée obscure. Dès le départ, l'oeuvre, qui devait paraître en 18.36 par l'intermédiaire de l'éditeur Renduel, ne parut :finalement qu'en 1842 chez l' éditeur Victor Pavie, alors que le pol3te était déjà. mort depuis plus d·un an. l·falgré les soins de Sain-te-Beuve, de Pavie et de David d'Angers, l'ouvrage ne fit pas de bruit: il semblait- destiné

à

l'ignorance du public.

D'ailleurs, l'auteur avait pressenti le sort qu'on allait réserver

à

"ces pages souffreteuses, h1l.luble labeur ignoré des jours présents" (A M. Sainte-Beuve). Dix jours encore avant sa mort, il écrivait à son ami et protecteur David d'Angers: IIGas~ard de la Nuit est un livre ébauché en beaucoup de ses parties, j'ai bien peur de

-mourir tout entier':. De plUS, Sainte-Beuve, au moment m~me de la pa-rution de l'oeuvre, était déjà conscient que le sort allait lui être injuste: Gaspard de la Nuit paraissait trop tard, alors que le goût romantique pour le l-!oyen Age pittoresque était passé de mode et que Bertrand avait quitté les milieux littéraires depuis dix ans. Il s'était donc laissé distancer et lui qui avait innové, avait "pres-que l'air d'un plagiairelf

à

sa mort.

Pourtant, GaSPard devait être tiré de sa nuit. L'honneur en revient d'abord à Baudelaire, qui écrit d~~s sa lettre

à

Arsène Houss~e:

(6)

I I

"C1est"en feuilletant pour la vingtième fois au moins le fameux

Gas-t§rd de la Nuit d'Aloysius Bertrand que llidée mlest venue de tenter quelque chose dlanalogue". Grâce

à

son obscur prédécesseur, Baudelai-re venal t d 1 avoir 11 idée de ses poèmes en prose.

Les s.ymbolistes aussi ont rendu hommage au poète bourguignon. Dans une lettre

à

Victor Pavie, datée du 30 décembre 1865, Stéphane Mallarmé lui demandait de Tournon un exemplaire de llouvrage: nJ1ai,

comme tous los poètes de notre jeune génération, !Iles amis, un culte profond pour 1 1 oeuvre de Louis Bertrand, de qui vous avez eu la rare

gloire d'être l'ami Il •

Finalement, c1est au tour de~ surréalistes de reconnaître dans Gasna!'d les tentatives de leur époque. Le plus grand d'antre eux, André Breton, écrit

à

son sujet: nBertrand est un surréaliste dans le passé ••• Dans la nuit de Gaspard, qu'importe Si il faut étendre la. main pour sentir

tomber une de ces pluies très fines qui vont donner naissance

à

une fon-taine enchantéeu •

Ainsi, peu

à

peu, lui est restituée une immortalité que IIla fé-lonie du sortU _11 e:;""Pression est du poète lui-même-, lui avait ravie.

"'

Hais qui fut donc Louis B-ertrand?"" Né le 20 a'T"!'i1 1807

à

Cava, -en Pié-mont, dlun père lorrain, capitaine dans· l'armée de Napoléon, et dlune mè-1. Pour la biographie de L. Bertrand2 cf. Cargill Sprietsraa, Lou-ï s Bert:i.~an4,

pit Aloysius Bertrand 1801-l84J.. •. Une vie romantiC!Ue, Paris, Champion, 1926.

(7)

re italienne, Louis Bertrand Vint s '-établir dès 1815

à

Dij on avec sa famille. Dans cette ville qu'il adopta pour sienne, i l devait mener une vie laborieuse et décevante, sans cesse harcelé par la misère et

tourmenté par l'appel vers 11 absolu en

art.

Par son f'rère Frédéric et un ancien camarade de COllège, Au.:,auste Petit, nous conservons le portrait d'un homme mélancolique et sombre, d'une humeur inquiète et sauvage, Jres-que farouche. En proie

à

des visions troubles, le jeune solitaire dessi-nai t parfois sur les murs de sa mansarde des pendus an charbon et

à

la sanguine ou passait des heures

à

contempler tout ce monde qui peuple un tableau de Callot: diables, gueux et pendus.

Très tôt, il entre

à

la Société d'Etudes de Dijon. C'est là qulil slintéresse avec ses camarades à l'histoire de la Bourgogne, entre en relation directe avec la vie littéraire et intellec~~elle de Paris, qulil présente la plupart de ses pièces: en 1S2S, sur 57 l:lOrceal.lX reçus par la Société, Bertrand en envoya 22. C' est encore grâce aux relations créées à cette époque que Bertrand collabore au Pro~~eial et à peine . âgé de vingt ans, il devient le premier gérant et directeur du j DUrnal. .

C'est là enfin qu'il se forme aux idées anticléricales et républicaines. Remarqué dans la Capitale, il.reçoit des lettres d1encouragement de

Vic-tor

Hugo,

de Charles Nodier, de Chateaubriand.

De 1828

à

1830, il vécut

à

Paris et figura aux soirées de Nodier

à

l'ATsenal, de DesC:.~a.mps

à.

la rue Ville-L'Evêqo..le, et même de Vic-tor Hugo, rue Notre-D~e-des-Gh~~ps, où il éprouva l~ aussi l·~~'~ation du maître. Frappé par ce caractère bizarre, Sainte-Beuve lui témoigne une amitié qui ne se démentira pas, malgré les a.bsences de plus en plus

(8)

IV fréquentes de Bertrand. Ctest à ce critique que le poète, apt"ès la

lecture de LI Agonie et la l-tort

du.

fiire de l-feaul)in, apporte ses ~

chadeslt arrangées envoluae au printemps de 1830.

Mais la misère et la maladie le jettent dans la solitude et le silence. De retour

à

Dijon en 1830, i l tente une expérience dans le journaliSl!1e politique au Patriote de la Côte-dIOr et devant son échec, il retourne

à

Paris au début de 1833. Après une autre malheureuse

tenta-tive, dans le théâtre celle-là, il consacre les dernières années de sa vie à construire et à retoucher son livre, puis à en attendre la publi-cation. Dès 1833, Sainte-Beuve l'avait mis en rapport avec Renduel, le bienveillant éditeur des ronantiques. :Vais finalement atteint de !htisie, traîné dlhôpital en hôpital, il laissa

à

David d'Angers, ce dernier ~

si fraternel, le soin de faire ·.pub:I.ier le recueil. Mais le poète JiiOD1"ilt le 29 avril 1841, sans connaître la joie de voir son oeuvre pttbliée.

La majeure partie de la production littéraire de Bertrand se _ situe autour des années 1830. COImllent cet auteur se situe-t-il lui-aê:le par rapport aux écrivains et au courant littéraire de son époque?

A part " ~r d e. 1820 , e 1 fr' ene~~que romanu~que '.1-" .1-" 2 se re~ ' ___ .:J. en ~--.~~e

règne de la terreur imaginaire. Il es~ vrai que les esprits étai.e!l~ tout disposés à ac~~eillir des histoires insolites, macabres ou ~-ue'les,

à

qui lion demandait la terreur de ltinconnu, la violence et le sang, ~~e 2. Marcel Schneider,

La

Littérature r&~tastigue en France, Paris, F~ard,

(9)

si les horreurs réelles des gUerres napoléoniennes n'avaient pas fourni une pâture suffisante aux instincts inavouables. Le roman noir anglais, avec Ann ~lif'fe, les installe" .. au pays de 11 horreur. Mais Le V..oine de Lelds , tout rayonnant de grandeur sinistre, et Mel!noth de Charles-Ro-bert 1-1aturin, jamais dépassé dans sa révolte lucif'érienne mêlée d rhor-reur sacrée et de désespoir, viennent patronner le f"rénétique en France. Et le b,yronis~e, qui se définit comme une attitude de révolte, d'agres-sivité, de noblesse et de mépris, vient encore ajouter an satanisme de

Helmoth~ C'est pourquoi,

à

leur suite, les champions du f"rénétique brandiront les arDes de la révolte et de la magie.

Victor"Hugo cède lui aussi au goût d~ j~. Avec Bug-Jargal, i l raconte une révolte de noirs

à

Saint-DoI!ling,~e. Il publie en 1823 un récit frénétique, Han dllslande, qui étale une sanvagerie et une

f'utau:: bestiales: Han d'Islande s'abreuve du sang de ses victimes dans un crâne d IhOI!lJJle. Balzac lui-même paie son tribt~t

à

cette mode littéraire:

~e Vicaire des Ardennes et Le Centenaire, oeuvres écrites en 1822, exal-tent. les pouvoirs terrifiants de vampires, de stryges et de sorciers. " Avec S.man-a ou les Démons de la nuit (1821), Charles liodier raconte une histoire de cauchemar et de vampires, après avoir reconnu en Byron 1111

in-terprète le plus puissamment inspiré de tous les sentiments, de toutes les passions, tranchons le mot, de toutes les frénésies".

Cependant,

à

partir de 1826, la mode du frénétique tend

à

se résorber. Tous les gr~~ds éc~ivains, Hugo, Balzac et ~ê~e Nodier, se libèrent de ce délire de destruction. Ils renient leu.rs oeuvres de j eu-nesse, quand ils ne les désavouent pas avec fracas

à

l'exemple de Balzac

(10)

VI

qui traite ses premières créations de Dcochanneries littéraires~.

Bientôt combattu et disc...-édité, le genre frénétique, qui cultivait 11 horreur pour elle-même, est parodié et 11 inspiration noire doit se renouveler si elle ne veut pas tomber dans la littérature de bas étage.

Llâne mort et la F~e guillotinée (1829) de Jules Janin in-trodui t cet élément nouveau: 11 humour. Hème Si il exploite 11 arsenal traditionnel du frénétique --il conduit le lecteur

à

la morgue, en place de Grèves, dans les prisons et les hôpitaux, et enfin au cimetiè-re-, i l affiche une attitude si sarcastique et si désinvolte qu'il in-vente un genre nouveau de frénésie. Après lui, les écrivains Jeune-Fran-ce et le groupe des Bousingo1:s arboreront Jeune-Fran-cet air de détachement pour camoufler leur angoisse et leur désespoir de vivre. Les Bousingots sont comms aussi sous le nom de "Petits Ror.tantiques frangais" et c' est jus-tement à ce groupe qu' appartie-I'lt Louis Ber""~and avec Borel, De Fontenay, 01 Neddy, Lefèvre-Deumier, Rabbe et quelques autres. Dans Les Cahiers du

~

(1949), p.-G. Castex leur a consacré une étude pénétrante3

il

cherche des caractéristiques connnunes du groupe. Notons que Bertrand sIest touj ours tenu

à

1 f écart du groupe et qu f il a, vécu en soli tP-l re

son aventure romantique.

La frénésie"qui se manifeste dans leurs oeuvres suffit-ellèà" les définir? l.f. Castex ne retient pis ce trait comme le seul critère distinc-tif, pas plus que leurs idées révolutionnaires et anticléricales. Leur attitude métaphysique et religieuse, qui traduit l~~ tentative désespérée 3. Pierre-Georges Castex. "Frénésie romantioueD dans Les Petits Ro~ti­

(11)

de dépasser la condition mzoajne, ne peut être retenue non plus comme critère distinctif. Et 1-1. CasteX de conclure: nIl apparaît nettenent que ce qui les caractérise, c'est leur révolte. Révolte contre le sort fait

à

l'homme, révolte contre le sort que la société assigne à l'écri-vain et

à

l'artiste. En somme, i l s'agit de poètes, d'écrivains qui ont voulu s'affirmer par la littérature et non pour la littératurel1

Cependant, dès 1828, les journaux commencent

à

répendre le non d'Hoffmann; puis une traduction de L-oève-Veimars en 18,30 suscite l'inté-rêt de Sainte-Beuve qui en place une étude dans Les Premie!"s Iundis. En novembre 1830, parait dans La Revue de Pax;s une étude de Charle~ ~lo­

dier, Du fantastioue en littérature. Cette étude fait aussi tôt figure de manifeste de la nouvelle tendance. L'expression elle~êcre, popularisée par Nodier, est étroi tenent rattachée au non de Hoffua.m.

Après la maladie du frénétique, importée d'Angleterre, la France allait connaître l'épidémie du fantastique,4 importée d'AlleI!lagne. Aussi-tôt on cherche

à

le déf;n;r en l'opposant au frénétique: il ne se carac-térise pas par les fantômes et la diablerie -quoiqu'il ne les exclut pas entièrement- ni même par le surnaturel. A l'opposé du merveilleux méca-nique d' Ann Radcliffe, le véritable fantasti~e est intérieur: i l explore l'espace du dedans, rêves, hantises, délires, qui introduisent brutalement dans le cadre de la vie réelle le mystère, l'insolite et l'inhabituel. . L'auteur des Elixirs du Diable _(1815) et de La Princesse BrœlbiDa (1822)

vient justeaent éclairer ces régions obscures de l'être hUDP~n: la folie, 4. l~cel Schneider, oD.cit., Chapitre VII, pp. 143

à

16.3.

(12)

VIII la puissance du mal, l'illusion et l'humour.

La. voie ouverte, ils sont plusieurs à se précipiter sur les traces de Hoffmann: Nodier, Balzac, Gautier, Nerval, pour ne citer que les plus célèbres. Comme beaucoup de ses contemporains, Bertrand, ins-tallé à Paris depuis 1828, n'échappe pas à cette inf'luence. La. fièvre fantastique trouve chez lui un esprit disposé

à

la recevoir.

Gaspard de la llui t est digne d'intérêt, même s'il faut affron.-ter l'ironie de l'auteur qui nous atteint encore après plus d1un siècle:

t'Mon livre, le voilà tel que je l'aï fait et tel qu'on doit le lire

avant que les commentateurs ne l'obscurcissent de leurs écla:i:rcissementsR

CA

M.

Sainte-Beuve). Osant relever le défi, nous aborderons l'oeuvre sous l'angle de la stylistique. l-fais une étude de style est touj ours placée devant une contradiction.

Dans

une première phase, elle est nécessairement objective et rationnelle. Elle dresse un inventaire des matériaux utilisés par l'usager et les c1àsse en catégories B,Ystématiques. CepoJldant, une telle attitude ne rendrait pas justice à l'oeuvre: elle la viderait de toute substance et la réduirait à une statistique abstraite. Elle ne doit pas aboutir non plus à des jugeIilents pureI:!ent subj ectifs et

sensibles. 5 C'est pourquoi l'attitude que nous avons adoptée ici s'appuie sur le fait linguistique et cherche

à

'la fois

à

en transcender les catégo-ries étroites. Selon les techniques de la stylistique, nous nous proposons de

procéder du fait linguistique pour rechercher l'inten-tion qui s'y est associée, stinquiéter des raisons.pro-fondes qui justifient cette association, montrer à la lu-mière dtautres faits

6vagueoent équivalents, la nuance qui a entreiné ce choix.

5.

Pierre Guiraud, La Stylistique, Paris, P.U.F.,

1967,

p.

117.

(13)

Ix ::

Une telle attitude débouche donc sur une compréhension plus intuitiYe de l'oeuvre, car "au niveau de la conpréhension et de l'appréciation des textes, l'intuition, le goût restent seuls juges,,7.

Mais une oeuvre ne dévoile pas dès le Il' emier contact toute sa richesse et sa conplexité. Par des lectures successives, on peut arriver

à

reconstituer les étapes par lesquelles elle se découvre au lecteur. D'abord, le plus apparent: dans quel cadre physique cet uni-vers fantastique est-il situé?' Quels sont les êtres qui y évoluent? Selon quelles lois? Puis d'une façon plus fouillée, comment l'auteur a-t-il organisé la mise en scène du fantastiqUe? En. d'autres termes, comnent la structure de l'oeuvre répond-elle au souci dlor~estrer la progression du fantastique? Les tons ne sont-ils IR s un autre indice

qu'à

la réalité familière se substitue un autre univers? Finalement, la forme retiendra notre attention, car sa contribution n'est pas négli-geable pour fixer les émotions dans un moment de grande intensité. Ainsi, nous espérons jeter quelque lumière sur le mystère de Gaspard de la N~ll.

(14)

e'

OHAPITRE PREl-UER Llunivers fantastique de

Gas~ de la lluit

Bien qulil emprunte plusieurs de ses éléments

à

la réalité géographique ou historique, un univers fantastique présente des struo-tures fortement altérées par une imagination inquiète. Une première exploration nous permettra d 1 identifier et de décrire le cadre physique,

extérieur, de cet univers; une deuxième reconnaissance, d'éclairer les lois et les puissances qui le régissent, lui et ses personnages. Bref, i l Slacait d'abord de signaler les différents motifs fantastiques, puis de dégager les thèmes8 au cours dtun examen plus détaillé.

1. Llespace

LI espace dans lequel st inscrit 11 univers fantastique de Gaspard

de la

Nuit

semble manquer d'unité géographique. Tour

à

tour, Bertrand évoque les Flandres, llEspagne et l'Italie, le vieUL~ Paris 'et Dijon. De plus, ces lieux sont plutôt esquissés que décrits et le poète n'en retient que quelques traits caractéristiques. Sauf pour Dijon, car la prose du Prélude9 peint avec force détails la ville adoptive du poète 8. lIous emp...""UD.tons la distinction entre motif et thème à Nax l>1ilner dans

son ouvrage sur Le piabl:..~_Èans la l i ttérature fr~Ji!:. de Cazotte ~ Baudelaire (1772-lBOD ~ Paris, J. Gorti, 19~ro!le II, p. 292.

9. Pour la commodité de cette étude, nous avons désigné sous le nom de 'Préluden les quelque vingt pages de prose qui précèdent les poèmes.

Outre sa connotation musicale, ce titre annonce que les grands thèmes de l'oeuvre sont abordés dans ces pages.

(15)

qulil chérit Dcomme l'enfant sa nourrice ·dont il a sucé le laitn •

Mais l'auteur a pris soin de dissimuler l'aspect insolite de cet uni-vers sous un goût romantique pour ·le passé pittoresque. Sous prétexte d'exotisme géographique, i l lui fait subir une première altération et les charmes du Dijon d'autrefois, ~ emprunte 11~ fnnilier de la réa-lité objective, ne sont ressuscités que pour mieux séduire et convaincre du mystère qui en j ailliralO • Le pittoresque de la description, avec

son enchevêtrement de géométries, de lignes et de formes, se double d'une autre intention et produit une impression persistante de bizarre et d'insolite: Dijon, avec

son branle de dix-huit tours, de huit portes et de quatre poternes, avec ses maisons de torchis

à

pi-gnons pointus comme le bonnet d'un fou,

à

façades berrées de croix de Saint-André; avec ses hôtels embastillés à étroites barbacanes, à doubles gui-chets,

à

préaux pavés de hallebardes; avec ses égli-ses, sa sainte chapelle, ses abbayes, ses monastères, qui faisaient des processions dë clochers, de flèches, d'aiguilles.

Ainsi s'opère la confusion entre le réel et l'imaginaire. Dijon dresse le profil aigu d'une ville menagante ou menacée par des puissances hos-tiles. Et la description des environs de la ville et de la campagne di-jonnaise viennent renforcer cette impression d'insolite:

Que de fois irai hurlé de la corne, sur les rocs per-p;mdiculaires de Chèvre-l·forte, la diligence gravissant péniblement le chemin à trois cents pieds au-dessous de

mOll trône de brouilla.rds! EJ~ les nuits mêlüe, les nuits

d'été, balsamiques et dia.phanes, que de fois j'ai gigué comme un lycanthrope autour d'un feu allumé dans le Val herbu et désert, jusqu'à ce que les premiers coups de cognée du bÛcheron ébranlassent les chênes!

. 10. Sur l'altération de l'espace et du temps, cf. Louis Vax, La Séduction de l'étrange, Paris, P.U.F., 1965, pp. 103 et saq.

(16)

Cette v;i.sion toute· souriante de la camPSocue réveille du même coup des puissances endormies et celles-ci exercent leurs effets sur le poète d'abord. Mais ces lieux hantés ne tarderont pas

à

répandre leur influen-ce: aLes bords de la Suzon, les gués des Tilles, les halliers mal hantés de la fontaine de Jouvence et de 11ermitage de Notre-Dame de llEtang,

la fontaine des Esprits et des Fées, llermitage du Diableu • Lieux peu-p1és de présences qui bientôt se manifestent ouvertement: un monstre de pierre éclate de rire, une vierge noire saute en bas de sa chaire et traverse par bonds les nefs profondes de la cathédrale, et finalement, le personnage énigmatique de Gaspard de la Nuit, par un saut prodigieux, surgit du J.1oyen Age dans le présent.

Dijon devient donc le lieu privilégié, le centre

à

partir du-quel s'organise ce nouvel univers. Dijon, tout le troisième livre lui est consacré et ce lieu maudit diffuse son maléfice comme le feu sa

lu-....

mere. Hais 10 centre véritable, Cl est la chambre même du poète, car sur les onze poèmes qui const! tuent le livra, dix ont comme scène ce lieu de prédilection. De là, COühile du coeur d'un fruit, jaillit le ma-laise d'une conscience qui gagne l'univers entier en le pourrissant.

Là,

un gnôme se. saoule de l' huile de sa lam!Je, un bisaleul vient le vi-si ter, Scarbo naît dans l'om,bre de ses courtin.es et la tourmente sans

relâ~~e, des rêves le torturent ainsi que la voix épouvantable de douze magiciens. IlLa nuit, !!la chambre est p1eLTle de diables", de s'écrier le . poète assailli par les ~Jissfuîces obSCUl·es.

Aïnsi révélé

à

la conscience, le mal pousse ses noires efflo-rescences en d'autres lieu.."'C. De Dijon, il gagne Le Vi~ Paris,

(17)

rapide-ment esquissé en quelques traits. Tan"tôt, c'est la tour de Nesle qui est évoquée, toute rougeoyante d'u.'l feu allumé par des gueux de nuit, et la tour du Louvre qui lui fait face. Tantôt, ce sont les rues du vieux Paris qui sont envahies la nuit par un peuple d'êtres inquiétants et peut-être inquiets, foule d~ gueux, de turlupins et de œquillards, équivoques

à

la façon d'une Cour des Miracles.

Le livre des Chrqnigu~~ pré sente une di versi té de lieux

à

peine esquissés: Paris, Bruges, un monastère, une maladrerie, une chasse

à

courre par les champs et les bois, quelques maraudeurs égarés dans les bois. Le mal a gagné toute la Franco et déborde bientôt ses frontières pour corrompre les Flandres, l'Espagne et l'Italie. 11ais encore une fois, aucu-'l de ces lieux n'est décrit de façon précise. Pour les Flandres, le poète se limite

à

peindre Ille canal où l'eau bleue tremble, et l'église où le vitrage d'or flamboie, et le stoBl où sèche le linge au soleil, et les toits, verts de houblon" (Harlem). Un deuxième poème, Le 1-~on, décrit une cathédrale lIaux trente arcs-boutants et 11 abîme confus des galeries,

des fenêtres, des pendentifs, des clochetons, des tourelles, des toits . et des charpentes". Ces deux poèmes sont les seuls

à

décrire de façon pré-cise; ailleurs c'est la boutique d'un usurier, une s.ynagogue, l'atelier d'un alchimiste. Hême remarque pour l'Espagne. Sur les cinq poèmes qui lui sont cons~cr~s, quatre ~ëttent en scèna des bri~ands qui patrouillent les routes ensoleillées du p~s,

à

l'affût de rapines et de meu1'tres; le cinquième nous montre un moine, fils de gitans, qui rêve de q~tter la cellule 'd'un couvent de Grenade. Guant

à

l'Italie, elle est vigoureuse-ment peinte en deu:< poèmes. Padre Pugnacc~o a pour cadre S~~t-Pierre de

(18)

5 Rome, bourdonnante de prières et de sonneries de cloches. La. Chanson du MasQUe décrit une foule en liesse sur la place Saint"}Iarc

à

Venise.

En quoi ces lieux sont-ils fantastiques? Plutôt que leur con-figuration pqysique, c'est la fonction

à

laquelle on les a destinés qui est inhabituelle et insolite. En voici quelques ex~pJss: le palais royal n'est plus ce lieu de prestige dl

où.

le pouvoir absolu rayonne

sur

tout le pays, mais il abrite plutôt des monarques impuissants à réprimer le désordre social; les églises ne sont plus le lieu d'un culte rendu

à

Dieu, mais plutôt

à

Sat3.ll, et dans leur cloitre, les moines peuvent se livrer en tonte quiétude à leurs passions secrètes; les guerres saintes sont peut-être entreprises au no~ de Dieu, mais elles dévient rapidement en rapines et en carnages injustifiés. Final~ent, dans une accélération soudaine, c'est l'univers entier qui est livré aux puissances du mal et le dernier livre, 'Les Silves, nous montre.la création qui retourne au chaos originel

à

cause de sa perversion.

2. Le temps_

A cette première altération de l'espace, slajoute celle du tenps ou de l'exotisme historique. Tributaire du goût romantique pour le passé pittoresque, Bertrand s'est lui aussi laissé séduire par "les histoires vermoulues et poudreuses du lloyen Age, lorsque la Chevalerie s'en est allée pour toujours, accompagnée des concerts de ses ménestrels, des en-chante!!lents de aes rées et de la gloire de ses preux" (A un D;blio'Oni).e). Il n'a même jamais cessé de manifester un intérêt marqué pour l'histoire, surtout pour l'histoire de Dijon et de la Bourgogne. Il"n'est donc pas étonnant qU'il ait ~ ressusciter avec tant de précision et de poésie lé

(19)

e-Dijon des XIVe et XIIe siècles, DIe e-Dijon de Philippe-le-Hardi, de Jean-sans-Peur, de Philipp~-le-Bon et de Charles-le-Téméraire" (Prélude). Parée du glorieux prestige des chevaliers et des preux, cette époque est toute- pleine des rumeurs d'une guerre incessante. C'est le temps

la ville na endossé le haubert, coiffé le morion, brandi la pertuisanne, dégainé l'épée, amorcé l'arquebuse, braqué le canon sur ses remparts, couru les champs tambour battant et enseignes déchiréesn(Prélude). Ce temps, semble-t-il, est évoqué pTùr le seul plaisir. Mais du même coup, c'est un mode de vivre qui est restitué, le mode élémentaire et violent d'un l-foyen Age livré

à

l'insécurité, secoué ~ des guerres con-tinuelles, menacé ~...r la famine. Et les malheurs écono!lli.ques -pestes, épizooties, disettes-, et politiques -guerres civiles au invasions enne-mies-, font renaître des âges anciens les ~~s sécu~aires et favorisent l'éclosion du fantastique .11 Il n'est pas un poèI:le du quatrième livre

-qui ne rappelle quelque bataille sanglante ou quelque néau comme la lè-pre, qui a tourmenté le ~Ioyen Age. Le deuxième livre évoque plutôt les victimes de cette société, misérables quI assaillent tous les maux. Pour

sa part, le cinquième livre raconte de quelle terrible façon les manants et les truands assurent leur subsistance.

Suffit-il de situer cet univers fantastique dans une époque? Peintre méticuleux, Bertrand pousse plus loin le souci du détail. Tout en évoquant le l-foyen Age par les -moe"ù!s et les faits de l'époque, il précise encore ce te~ps fantastique ~~ le choix d'une he~e privilégiée. - Il. Jean Palou, La Sorcelle~ie, Paris, P.U.F., 1960, p. 21.

(20)

.'1

Le fantastique social, lui, peut s'étaler à la lumière du gréind j 01U",

puisque ce sont les structures de la société elle~ême qui suintent la misère et le mal, puisqu'il s'assimile à l'ordre établi: c'est le cas des deux livres, Les Chroniaues et Esœgne et Italie. Inspirées de l'instinct de puissance et de meurtre, ou tout simpletl.ent de la

mi-'1

sère sociale, la violence et l'oppression s'exercent par l'intermédiai-re des forces au pouvoir et de brigands harcelés par le soleil méditer-ranéen et une justice impuissante. Par ailleurs,. les miséreux et les persécutés, comme les juifs et les gueux du Vi ellX Pari ~, sont réduits

à

mener une vie clandestine et nocturne,

à

cause précisément de leur opposition au pouvoir.

A ce fantastique social, répond un fantastique plus intime' qui a· besoin, lui, des ténèbres et de la nuit pour se révéler. Pour rendre ces moments privilégiés, le poète, attentif aux leçons de Rembrandt

à

qui il fait allusion dans le Prélude, fait appel à des "procédés nouveaux d'harmonie et de couleurs: ce manuscrit vous dira combien de pinceaux j'ai usés sur la toile avant d'y voir naitre la vao~e aurore du clair-obscur". Le pinceau du poète se réduit donc

à

quelques couleurs plus a.ptes

à

pro-duire une impression fantastique. C'est d'abord l'ombre nqui tourne a:u.tour des piliers ndes monastères(Le l.1açon); .llombre que. promènent des lé!>re~:tx dolents "entre les ,!uatre r!!ll!'~.illes d'u!"! cloitre, ha.utes et blanches, l'oeil ~~ le cadran solaire dont l'aiguille hâtai~ la fuite de leur vien (Les Lé'Dreux); l'oabre cOr:lplice d'un moine qui " s 'écha.ppera de sa cellule

à

pas furtifs n (La Cellule).

(21)

consacre plus du tiers de son oeuvre

à

célébrer la nuit, dont le troi-sième l i vre ~ entier, La. Nuit et ses Prestiges. Placés sous le signe de la nuit, la plupart de ces poèmes constituent une étrange symphonie en rouge- et noir. C'est la nuit, mais une nuit trouée de feux parfois singuliers et où s'B.caîte tout un peuple de miséreux, de persécutés,

'-)

de larrons qui assaillent le logis clos. D'abord ce sont "trois reîtres noirs, troussés chacun d'uœBohémienne, (qui) essayent, vers minuit, de s'introduire au monastère" (Les Re~tres). Puis, c'est

l'horizon, un village incendié par des gens de guerre, qui flambe co~e une comète dans

.

l'azur" (Le.Nacon). Tantôt, "un bateau de guelTe brûle en Seine et l'incen-die, ~t lui qui n'était d'abord qu1un innocent follet égaré dans les brouil-lards, fut bientôt un diable

à

quatre tirant le canonR et dont les flammes

"rougeO'Jaient la tour de rlesle et la tour du Louvreu (la Tour de nesle). Tantôt, Uquelques maraudeurs se chauffaient

à

un feu de veille autour du-quel s'épaississaient la ramée, les ténèbres et les fantômes" (Les Gran-des COffi:lagnies). Ailleurs, clest encore une "effrayante lueur (qui peint) des roU€es f1e~ïes du purgatoire et de l'enfer les murailles de la gothique église net qui projette sur les maisons environnantes de gigantesques

colorations"(ta. Ro!1de .so~s la gJ.oche). Et ces J'uifs qui doivent attendre la nuit pour se réunir dans nIa synagogue, ténébreusement étoilée de lampes d'argent" (~ Bjœ~n6jntue) ou pour se li~Ter

à

leur conventionnel métier d'usurier. Ainsi s'explique la devise "Aux .Juifs, le jour, au."'{ truands,

La. nuit, c'est fina16lJent l'heure où s'éveille tout un monde imaginaire enfanté par la peur conme cette "larve monstrueuse et difforme

- à

tête- hllneine qui éclot d'un rais de la lune ou d'~e goutte de rosée" (Le

(22)

.9 gothioue), c'est encore l'heure où "le roi Pialus mène boire son palefroi de vapeurs au Rhinll (La. Pluie). l~inuit, clest l'heure du Sabbat "où une foule se rassemble innonbrable qu'en entend et ne voit pas", et où, près d'un gibet, l' on voit "parai tre dans la brume un Juif qui cherche quelque chose parmi l'herbe mouil:.lée, à l'éclat doré d'une main de gloiren (~'Heu­

re du Sabbat). Minuit où, finaleI!lent, ndouze magiciens dansent une ronde sous la grosse cloche de Saint-Jean" (La. Ronde sous la Cloche).

l-fais les feux qui trouent La Uui t e..i..§..~_ Prestige.§ sont frères des feux de gueux et des nuits sabbatiques. La misère sociale qui afflige la conscience collective est soeur de la misèr~ spirituelle qui torture la conscience individuelle. L'une et l'autre ess~eront d'échapper

à

leur condition par les mêmes tentatives désespérées. En ce sens, le rouge et le noir, qui selJblent jaillir non plus de l'imagination, mais des objets et des êtres eux-mêmes, a quelque chose de visionnaire. Colorations sataniques, ils sont le signe qulun~ autre vie, avec d'autres lois, a supplanté le réel dont il prend les apparences pour mieux induire en erreur.

:3. Les personnages.

C'est dans ce cadre qu'évOluent les êtres fantastiques de Gaspard de la Nuit, êtres réel~ ou ima~....naires pâJ.e~ comme des nuits d' inso1!lIlie ou,

et i:lso~:!:te.

avec un être 'fantastique a lieu. dès le .!!'kl~de, lorsqu'une gargouille de l'église Notre-Déw.e de Dijon éclate de rire, "d lun rire grimaçant, effroya-ble, infernal -mais sarcastique- incisif, pittoresque.... Cette figure de pierre ayant donné le signal, toute une troupe d'animaux et dl êtres

(23)

étran-ges se .bousculent dans la brèche entr'ouverte et viennent se mêler à la vie des humains.

a) Les homnes.

'-..

--

.. -

----C'est alors que se révèlent au grand j our les lois auxquelles les hOl!lmes obéissent. Fidèle aux

l~ons

de

Horfmann~

Bertrand avait la conviction que le mal se cache toujours sous le bien dont il se sert de paravent pour s'afficher sans crainte d'être combattu. Arborant le masque du bien, le mal se p.' ésente successivement sous la forme du désir

charnel, de l'instinct de puissance et de l'instinct meurtrier.

Une grande daae assiste à l'Office du ~oir. Assise, elle sem-ble absorbée par la lecture de quelque livre pieux. trEst-ce lt~ation

de Jésus Gue vous lisez, madame? -!fon, c'est le Brelan dl!mour et de

Gslanteri~n. Et se levant de sa chaise, elle suit l'officier qui lui avait pos.é cette question. Si un prieur refuse l'hospitalité

à

trois reîtres noin?, "troussés chacun d'une Bohémienne", ce n'est surtout pas parce que ces filles du mensonge sont des paIennes ou des schismatiques, mais bien parce que lime Aliénor et sa nièce attendent là-haut pour se

confesser (I&§. Reitr~...§). De mê.rne, cet autre moine qui "aimerait mieux faire l'amour dans le camp des bohémiens qu~ prier Dieu dans le couvent"

lul.~) • .Ailleurs, un fiancé coule à son -doigt trIa bague du marquis dl ;,xoca, qU'il a tué d1tLî coup de carabine dans sa chaise de poste, et pend à ses 12. Albert Bégib, L'Ame roma.l1t;cue et le rêve, Paris;J. Corti, 1946, p. 300.

(24)

e-11 . oreilles les améthystes taillées en forme de gouttes de sang" achetées

à un pendu quelques minutes avant son exécution (Henriouez). A cet amour teinté du sang des rapin~s et du brigandage, répond en écho l'en-nui des patriciens qui jouent d'un coup de cartes leurs mattresse~

(La Chanson du 11asaue). C'est encore une jeune dévote qui, durant une :"1

procession solennelle

à

Saint-Pierre de Rome, reçoit d'un officier des gardes du pape, un billet doux musqué et en rougit de plaisir (Padre Pugnaccio). Un seul amour véritable dans ces poèmes, mais il coûte la Vie

à

l'amante, dédaignée par son chevalier (Hadame de l.fontQ~~.

L'homme, "frêle jouet, gambadant suspendu aux fils des passions"

(1.

M .. David, Statuaire), n'arrête pas là sa perversité, car Satan remue d'autres fils et non moins furieusement. Démuni, impuissant devant le mal, l'homme cède

à

l'appétit du lucre et

à

l'instinct de puissance. Messire Blasius, avec sa mine méfiante et honnête, a surtout l'air d'un voleur et d'un usurier quand il examine les p~èces dlor "avec son petit oeil gris, équivoque et louche, qui fune comme un lampion mal éteintU

(L'écolier de ~). De même, ces deux juifs qui soupèsent le fruit de leur usure (Les Deu."'C Juif's). Ou bien, c'est le poète qui rêve dans sa misère de ducats et florins, "jetons du diable", monnaie de la puissance (Scarbo). . CI est l'argent qui permet

à

messire Bertrand du Guesclin dl em-ployer à sa solde pom.. une gu.erre sainte en Espagne, quelques maraudeurs qui, tout

à

1l heure, se disputeront un butin de guerre encore sanglant

(Les Grandes Compagnies). Clest encore par appétit du gain et du pouvoir qulun comte boute le. f'eu à Bruges et qu'il exige une rançon de cent mille écus dior- (Les Flamands). Voici l'aVide Padre Pugnaccio qui calcule mille piastres ~. douze pour cent dl intérêt pOUl" une rer:1ise de

ché; ou encore,

(25)

des patriciens qui jouent d'un coup de cartes leurs Palais (La Chanson du MasOue) ou qui,. comme d'effrontés passereaux, picorent la vigne de leur seigneur (l-aaitre Orler). Mais Rpour en finir, le diable rafle joueurs, dés et tapis vert" (A M. Sainte-Beuve).

Après avoir succombé aux mirages de la puissance et de l'obses-sion de l'or, les hommes doivent obéir

à

d'autres passions furieuses: l'instinct meurtrier. Chez ces hommes, on retrouve la férocité des ta-bleaux de Brueghel ou de Bosch. Ainsi Regnault, sire de 1'Aubépine, par ivresse du pouvoir, tue son cousin Hubert, sire de }//.8.ugiron, après avoir signé avec lui un traité de paix (La Chasse). Puis c'est un archer et un Juif qui se chicanent un pourpoint de velours sanglant (Les Grat'ldes Compa-gnies). Sans cesse pourchassés par la justice, des guérillas se mettent en émoi pour la corne d'un vacher, crOtJant entendre les trotlpettes des dragons jaunes (L'Alerte). Et cet Henriqu~z a sans doute pillé nombre de châteaux et de monastères pour avoir comme trésor des nvases sacrés, des quadruples, une pluie de perles et une rivière de diamants". Ce pour-rait être étonnant de voir ces gens pour la plupart impunis de leurs cri-mes. Mais ceux qui vivent la cOnscience tranquille dans leurs châteaux sont eux-mêmes l~ justice et quant aux ladres qui hantent les rues et

les routes, s'ils sont poursui~~s, c'est souvent par plus eriminel# qu'eux! L'on sait de quelle façon le bas-peuple était exploité et l'on sait aussi les sentiments qu'entretenait cette classe de la société

à

. l 1 égard du pouvoir. L'exergue du poème Maitre Ogier nous le r~ppel1e:

le dit roy Charles sixieSI!le du nOI!l fut très

débon-naire et moult aimé; et le populaire n'avait en grand'haine les ducs d'Orléans et de Bourgogne, qui imposaient des tailles excessives

par

tout le rqyaume.

(26)

Ainsi peu de rois ou de seigneurs corrigeaient ces abus; loin de ré-prlJ!ler le mal, ils le .favorisaient trop souvent, comme ce sire Hubert qui tue son cousin au cours de La. Chasse pour s'emparer de ses terres, ou comme ce comte qui assaille Bruges pour la déposséder de son or (Les Flamands). Et si, comme le souligne ce même poème, le maître de l' heure prisait parfois une leçon de sagesse politique de la part de quelque maître Ogier, il se trouvait impuissant

à

llappliquer. Ce sont ensuite des gueax qui paient de ~e"cJr vie les frais d'une guerre de reli-gion (Les Gra!ldes COil~=aniesJ. C'est un peuple dl hOI!lIlles qui meurent 11 é-pée

à

la main et livrent leurs corps aux loups et aux oiseaux de proie, achetant ainsi ftde leur vie la gloire et le sàlut de ceux qui bientôt les auront oubliés" (Cette Nuit d'après la bataille). Et

La

Citadelle de

Yolga~t offre des s,ectacles aussi désolants qultù, ~acre de Scio. S'il ne maintient l'ordre établi au prix de son argent ou de sa Vie, s'il ne regagne ses ta.-res ou son atelier saccagés par la guerre, le peuple

s"'

abandonnera

à

quelque brigandage par goût ou par nécessité. C'est de cette manière qu'ont décidé de gagner leur vie l'infernal Gil Puebla (w Huletier§.)et le s';nistre Henriquez qui partage avec ses com-pagnons un trésor de vases sac...-és, de perles et de diamants. Hoins heu-reux, ces larrons, surpris par Le 1·.iarou;s dlAroca

à

qui ils avaient dérobé la montre et la mule, "et ces bandits pourchassés par les dragons jaunes

(~rte). S'ils ne h:mtent les routes, les truands envahissent Je s rues de Paris ét les feux autour desq'.lels ils se rassemblent couvent une sourde révolte envers le pouvoir établi. Prison d'état, la Tour de ~~esle, COIW-ae plus tard la Bastille, apparait C~3De le s.7mbole de ce pouvoir absolu dont les abus ont lassé. "De la tour du Louvre, le roi et la reine contemplent

(27)

une ~oule innombrable de turlupins, de béquillards, de gueux de nuit n, que menace une troupe de soldats, Pl r escarpolette

mu:

l'épaulen• b) Sorciers et magiciens

Les éléments empruntés

à

l'arsenal de la sorcellerie tradition-nelle se rencontrent en nombre plutôt restreint dans ~d de la Nuit. L'évocation des sabbats, moins terrifiante que les textes de Jean Bodin13 dans sa Démonomanie des Sorcières (15Sa) ou que ceux de son triste con-frère Nicolas Rémy (1530-1612) -ce dernier a envoyé au bûcher environ trois mille sorciers et sorcières-, n'est pas sans rappeler le tableau de David Teniers,14 Sorcières Darte.nj; pour le Si3.,bbat. Dans la pièce Départ DOur le Sabbat, nous retrouvons

à

peu près les mêmes éléments:

"la cheminée rouge de braise, les chandelles champignonnant dans la fumée", une douzaine de sorciers et de sorcières mangeant "la soupe

à

la bière",

chacun =d r..ew( ayant "pour cuillère 1'os de l' !3:vant-bras d'un mort", sans oublier "le soudard (qui) étale. diaboliquement sur la table un grimoire" mystérieux et leur envol burlesque par le. cheminée, "qui sur le balai,

qui sur les pincettes et Maribas sur la queue de la poêle". Plus

impressionnante est L'Heure du Sabbat. Moins précise dans sa description, cette pièce, pleine "de cris confus, lugubres, ef~ayantsn, évoque avec beaucoup plus de force l'angoisse du "vieux bûcheron attardé par les sentiers" qui entend et ne voit pas ilIa foule innombrable se rassemblant dans les bois". La troisième pièce, :Le Ch§.Y?Lmp.r!, qui évoque le départ

13. J. Tondriau et R. Villeneuve, DictionnaJ-re du Diable et de l~ono­

lotie, Coll. ''!{arabout Université", Ver·ders,C-érard et Cie, 1968, p.255.

(28)

15 d'une sorcière éperonnant un cheval mort, même si elle ne correspond

à

15

aucune donnée de la sorcellerie traditionnelle, offre des ressemblan-ces étranges avec un dessin de J • Martin-Bontoux qui représente ~eux

sorcières, l'une montée sur un crapaud volant, lIautre sur un oeuf gro-tesque

à

pattes d'aigle, mais accompagnées dans les airs de deux che-vaux piaffants. Comme ndes sorcières inquiétantes qui rôdent autour des gibets où poussent les Handragores de Achim von Arnin:.U,Jh voici paraître, dans L'Heure qu Sabbat, nun Juif qui cherche quelque chose autour d'un gibet, parmi l'herbe mouillée,

à

l'éclat doré d'une main de gloire". La dernière pièce consacrée

à

la magie et

à

la sorcellerie,

La

Ronde sous la Cloch~, est toute illuninée des bûchers que le Noyen Age finissant· et la Renaissance ont allumés trop fréquemment: Douze magiciens sont frap-pés

à

mort par la feudre sous la grosse de Saint-Jean,

à

Dijon, et "leurs livres de magie (brûlent) comme. une torche dans le noir clocher". Les flam0es projettent d'efrr~antes colorations sur les murailles de l'église et sur les maisons voisines.

Avec ces pouvoirs nouveaux, l'homme tremblant devant les forces hostiles tente de conj~er le mal en essayant de les dominer et de se les asservir. Tentative désespérée qui se noie dans les chimères de la bella-done absorbée

à

forte dose. Voici les adeptes d'une hérésie nouvelle et les initiés aux grands mystères qui commandoot au.."'{ forces du mal par ]a

magie et l'alchimie. Hais c'est en vain que l'AJshimiste feuillette . pendant tro:'s jours et trois nuits, aux blafardes lueurs de la lampe,

les livres hermétiques de Raymond Lullell Dérisoires, ces sabbats que

15. J'. Palou, "Introduction" à Gaspard d,!=!. J-~_ Ntii:t, Paris,La Colombe, 1962, p. ·.28.

(29)

remémol'ent Départ pour le Sabba~ _e~ l'Heure du. Sabbat. Dérisoires et vains puisqu 1 ils ne changent pas la réalité immédiatement. lofais sont-ils totalement inefficaces? Les esprits ont changé, eux, slsont-ils par-viennent

à

condamner sans retour 11 ordre établi qui est assimilé au mal.

C) Fantômes et vampires

Livré aux rêveries amères, confronté

à

une réalité trop mes-quin.e et trop brutale, le poète traduit son désaccord avec le monde ambiant par des images énigmatiques. La Cha'!lbre goth:'-RY&. met en scène une nourrice et son chant monotone, et le squelette d1un lansquenet em-prisonné dans la boiserie. 1-ion Bi§a!eul reprend le même motif du reve-nant, et, de la tapisserie gothique, se détache un personnage mort

de-puis quatre-viJlgts ans qui, agenouillé sur un prie-Dieu, marmotte des oraisons la nuit durant. l·fais Cl est surtout son aspect qui inspire l'effroi: "Ses yeu.'"<: étaient vides, bien qu'il parût lire, -ses lèvres étaient immobiles, bien, que je l'entendisse prier, -ses doigts étaient décharnés, bien qu'ils scintillassent de pierreries". A ce motif du re-venant, s'ajoute une teinte de vampirisme avec le nain Scarbo, figure obsédante qui fait son apparition dans quatre pièces distinétes. D'a-bord esquissé dès le début de Gasnard de la :fui t, c'est lui que 11 auteur aborde dans la rue Sain-FelebaI-, "nabot et bossu, carré sur sa porte, riant de son embarras". C'est lui encore, dans La P..9ternEL du Louvre, . sous le masque grimaçant du nain. du Roi, "tirant la langue d'un enpan et

pirouettant deux tours sur un pied'! en s'écriant: "Hon père est le roi Nacbuc et ma mère la reine ~~acbu.ca. loup! loup! Ioup!" Vision de cauchemarj~il surgit dans La ChaI:lbre got~oue sous la ·forme d'un dgnôme

(30)

e-17

qui se saoule de l'huile de la lampe". Cessant tout

à

coup de transpo;:. ser ce vampirisme déguisé, il le "mord au cou et pour cautériser la blessure sanglante, y plonge ::·son doigt de fer rougi

à

la fournaise". Le Nain et les deux pièces intitulées §carbo justifient avec plus de précision encore le vampirisme du personnage. Le Nain '~ présente l'é-closion "d'un rais de la lune ou d'une goutte de roséen , puis la méta-morphose en "une larve monstrueuse et difforme

à

tête humaine" qui s'a-dresse ainsi à l'auteur:

"Où

est ton âme, que je chevauche!" Et le nain poursuit l'âme qui se sauve, en se roulant "come un fuseau dans les quenouillées de sa blanche crinièrell Le Scarbo du troisième livre

sem-ble même avoir mai trisé l'âme fuyante du poète, car le nain railleur lui offre "pour linceul une toile d'araignée", l'araignée ensevelie avec lui, ou bien le donne en pâture

à

un escarbot, ou bien l' emmaillotte dans une peau de serpent. Pour sa part, la pièce détachée offre une

ima-ge beaucoup plus évanescente du personnaima-ge. Mais ce que le poème perd en précision, il le gagne en force de suggestion. C'est son rire qui bourdonne dans l' o1!lbre ou son ongle qui grince sur la soie des courtines du lit; ou bien, il pirou~tte sur un pied et roule par la chambre comtle le fuseau d'une sorcière; il grandit encore entre la lune et le veilleur . COIn.'le le clocher d'une cathédrale gothique et finalement, s'évanouit,

bleuissant et blêmiss~~t comne la cire d'un lumignon.

A la suite de cette analyse, il ser~t difficile dè croire à la victoire du Bien, car tous ces poèmes chantent le triomphe du 1·:aJ.. Cette conscience de la déchéance humaine est une constaute chez Bertrand. Déchéance universelle et individuelle. Cette vérité ne peut être perçue.

(31)

.. sans malaise par la con.science qui cesse âl.nrs dl avoir prise sur elle-même, car ni le repentir, ni la volonté de réparer ses :fautes et de

mieux faire nI ont de place dans le :fantastique. Il reste seulement Ilhor-reur de la :faute et ie tourment du remords. et ce sentiment de culpabili té17 existe

à

llétat pur, sans que la justifie une :fante précise, comme dans

La

Nuit et ses Prestiges.

Bertrand

rejoint ainsi l'intUition essentielle de ceux qui se préoccupent de la destinée humaine: le mythe de 1 1 Uni té

antérieure rompue. Dans ces imagesbatlucinantes, lIon sent palpiter llan-goisse d lun être humain pourchassé par le regret d lune harmonie irréraédia-blement perdue.

18

Car devant ces :figures de monstres, de :fantômes et de vampires, f'aut-il croire que llauteur se soit amusé au simple jeu de dis-traire des esprits en proie

à

llennui? Il nlest pas nécessaire de pra-tiquer longtemps cet auteur pour se rendre compte quI i l Y a chez lui peu de gr~tuit, que les spectres et les vampires ne sont jamais pour lui autre chose que l'incarnation de certaines hantises personnelles très profondes. d) Les démons

Parmi les figures de démons ou génies qui habitent le monde des humains pour leur mal..l}eur, voici d'abord la sala!lalldre, esprit du feu. On pourrait être tenté de la rapprocher du follet de Nodier, Le Tri lbt1:, esprit maléfique amoureux de Jenny. l·lais elle ne s 17 apparente en rien et diffère même de l'esprit traditio~~el. Le poème raconte ici le monologue éploré dtune salamandre, symbole du feu, llaux changeantes couleurs rose, bleue,

rou~e, jaune, bl~~che et violette", qui re~~erche les paroles affectueuses

17. l.farcel Brion, 1.!,!rt fantastioue, Coll .• llMarabout. Universita";·Verviérs,

Gér~d

&

Cie,

1968;

·Chapitre III, pp.

75

à

111. 18. Albert Béguin, 0'0. c:t,t. , p. 301.

(32)

19

du grillon, symbole du ~oyer. lofais le grillon, qui chantait sa "chanson de chaque soir dans (sa) logette de cendre et de suien, reste sourd aux

supplications de sa compagne et bientôt, puisque le grillon ét~t mort, "la salamandre mO~ùt d'inanitionn • Pure cré~tion ~antaisiste, La Sala-- mandre n'en constitue pas moins

un

chant

à

la gloire du, ~eu et,

à

ce

titre, le poème cadre bien dans le troisième livre consacré

à

La Nuit et ses ~est.; qe:?

A

côté de cet esprit du feu, Ondine évoque un autre démon, es-prit de l'eau, les deux poèmes se succédant dans 11 oeuvre. Ces esprits, qui comptent &trtout des fe3mes, sont dlune beauté de loin supérieure

à

celle des plus jolies mortelles, sont aussi séduisant,s que les sirènes et beaucoup plUS amoureu~~. L'Ondine se présente ici sous forme de pluie nqui frôle de ces gouttes d'eau les losanges sonores de la fenêtre illumi-née par les mornes rayons de la lune" ou bien sous "forme d'une dame châ-telaine qui, "en robe de moire, contemple à son balcon la belle nuit étoi-lée et le beau lac endormi". L'ondin est "~haque flot qui nage dans le courant, chaque courant est un sentier qui serpentelt vers le palais de la Reine des Eaux, l'Ondine. Et ce "palais est bâti fluide, au fond du lac, dans le Triangle du feu, de la terre et de l'air". Bientôt apparaît sous la séduction le caractère malé~ique de cet esprit qui attire ses victimes ·ver,;:; lé.. felie ou la. i:i'.ort: ":::Ile ~~ supplia de r~cevoir son arùlcail ... a mon doigt, pour être le roi des l~cs". ~ais co~~e souvent cllez Bertrand le poème se termine cl 'une faç;on 'burlesque et fantaisiste: "Co~e je lui ré-pondais que jlaimais une cortelle, boud~ùSe et dépitée, elle ple~a quel-_ ques larmes, poussa un éclat de rire, et s 1 évanouit en giboulées qui

(33)

-e) Satan

Apr~s les serviteurs, le maître. Sa présence dans l'oeuvre

est plutôt diffuse que précise, le début du livre et un seul poème, Padre Pugnaccio, l'évoquant sous ses apparences· pqysiques. Mais sa présence n'en est pas moins constante, car n1est-ce pas tout le livre

qui est placé sous son signe, le titre même de Gaspard de

la

Nuit asso-ciant Satan et la nuit? La. première apparition du diable se situe au tout début de l'ouvrage, alors que le poète, "assis

à

Pécart dans le jardin de l'Arquebuse" était

à

la quête de quelque rêve. Il se présente sous les traits dlun

pauvre diable dont l'extérieur n'annonçait que misères et souffrances, (avec) sa redingote râpée qui se bou-tonnait jusqu'au menton, son feutre déformé que jamais brosse n'avait brossé, ses cheveux, longs co~e un saule, et peignés comme des broussailles, ses mains décharnées, pareilles

à

des ossuaires, sa pqysionomie narquoise, cha-t'ouine et maladive quteffilait une barbe nazaréenne; et mes conjonctures l'avaient charitablement rangé parmi ces artistes au petit pied, joueurs de violon et peintres de portraits, qu'une fa.im irrassasiable et une soif inex-tinguible condamnent

à

courir le monde sur la trace du Juif errant.

On ne peut manquer dtassocier cette figure malicieuse et bi-zarre, mais riche de quelque étrange secret,

à

la Fée aux l-1iettes de Nodier. Elle aussi se présente sous un dehors repoussant: c'est une très vieille mendiante qui, avec sa béquill~ en bois du Liban lui ser-vant de baguette, se prétend la reine de Sebe. Co~e cette rée ~l~

initie un jeune et beau charpentier, l-fiChel, aux secrets des compagnons dont la confrérie "a été inst~tuée par Salomon en personne, Gaspard de la Nuit initie aux secrets de Part son jeune interlocuteur, un peu fou lui aussi, qui, d'abord amusé, se laisse bientôt séduire par les propos de Satan.

(34)

21

La

con~eption de l'art telle qu'exposée par.Gaspard de la Nuit, peut paraître simpliste dans sa formule manichéenne, cOIllI:le le· souligne. Jean Palou: "Puisque Dieu et l'amour (sont) les premières conditions de

l'Art, ce qui dans l'Art est sentiment, -Satan po1L""Tait bien être la seconde de ces conditions, ce qui dans l'Art est idéert .- Il y a là sans doute une hésitation quant ~ son option esthétique: romàntique ou baroque par son inspiration, il n'en demeure pas moins épris dt ordre et de clarté et son oeuvre est sans cesse soumise

à

son intelligence critique. l~s l'élément le plus nouveau, c'est que, mise

à

p~t la beauté, la science soit le princiPil attribut du génie du mal. A ce titre, l'art de Ber-trand, qui puise atL~ sèves généreuses du mal, porte le sceau du

romanti3-~ le plus authentique. DI ailleurs, sur ce suj et, nous aurons

à

revenir plus longuement.

Dans un seul autre poème, Padre Pugnaccio, le Diable apparaît "en cornes et en queue" et c'est

à

Saint-Pierre de Rome, au cours d'une procession, alors que "l'on entendait les cloches et les anges se quereller dans la rue". S'il surgit ainsi, "tapi dans la gra.'1de manche de Padre Pu-gnaccio", et ricane "coI!lllle Polichinellell

, c'est que le péché a. envahi l'âme

de ces faux dévots:

·La pécheresse essuyait quelques l~es; l'ingénue rougissait de plaisir, le moine calculait mille piastres à·douze pour cent d'intérêt, et l'offi-cier retroussatt sa moustache dans un miroir de poche '.

Il n'est pas inutile de pours~ivre cette quête du diable

représè~-tée selon les concè)tions neives et pittoresques du 1·!oye~ .Age, comue ces gargouilles grimaçantes qui "tirent la l-?ngue, grincent des dents et se tordent les mai.ns". Sa présence est ailleurs plus discrète, plus diffuse,

(35)

et tout aussi agissante car on le voit ~...:rtout: lIil pérore à la Chambre, i l plaide au Palais, il agiote

à

la BourseD A cet avertissement du

dé-but, font écho presque tous les poèmes où Satan prend la figure multiforme du ~~, invisible et railleur. C'est sous son emprise, (que) le pape a-dresse des bulles

à

la chrétienté et (que) le fou éCA.-it un livre"

CA

U. Sainte-Beuve). C'est lui qUi mène nce jeu de la vie

nous perdons coup sur coup et où le diable, pour en finir, rafle joueurs, dés et tapis vert" (A H. Sainte-Beuve). C'est lui dont tous les hommes sont sujets; ivrognes, voleurs, meurtriers, rois, empereurs, papes, sages et fous, tous les

bannis du paradis terrestre. Et 1 t homme n'est plus qu 'llun frêle jouet,

gambadant suspendu aux fils des passions, un pantin qu'use la vie et que brise la mortll (A N, .Dav;id~t~"tug.:'re). Plus tard, une voix fraternelle,

celle de Baudelaire, viendra confirmer l'intuition de ce poète mélancoli-que et désabusé. Dès la première pièce des Fleurs du Y~l, c'est la même Satan qui apparaîtra au premier plan, comme la source qui baigne toutes les fleurs vénéneuses:

f) Dieu.

sUr

l'oreiller du mal, c'est Satan Trismégiste, Qui berce longuement notre esprit enchanté; Et le riche métal .de notre volonté

Est tout vaporisé par ce savant chimiste.

C'est le Diable qui tient les fils qui nous remuent!

Donc, pas de rémission ni individuelle, ni universelle. La

déc~éance est totale et conduit l'univers'à sa perte. C.~ Bertrand ne croit ~s

à

la conquête progressive du salut· par la collectivité humaille.

Puisque Dieu et ses saints n'apportent plus aux hommes leur secourable assistance, puisqu'ils sont absents dans un ciel' sourd., les hO[!lIl!es se

(36)

tourneront vers d1autres intercesseurs e~ seul Satan consentira

à

les visiter. Dans un geste de révolte, ils lanceront leur ultime appel au Diable et aux puissances du mal.19

Pourtant la révolte est vouée

à

un échec: elle est impuissante

à

fonder un autre ordre de valeurs. Avant d'être esthétique, cette am-biguité se situe au plan métaphysique. Nême si Dieu est rarement nommé dans cette oeuvre, il est quand même possible d'en dégager une conception assez précise. Clest dans les premières pages qu'il en est le plus ques-tion, alors que Gaspard raconte

à

son interlocuteur sa quête de l'art absolu.

Nous ne sommes, nous, monsieur, que les copisteE du Créa.teur. La plus magnifique, la plus triomphante, la plus glorieuse de nos oeuvres n'est jamais q.~e l'indigne contrefaçon, que le rayonnement éteint de la moindre de ses oeuvres immortelles. Toute origi-nalité est un aiglon qui ne brise la coquille de son

oeuf que dans les aires sublimes et foudroyantes du Sina!.

Pour l'arf.bste, mais avant tout pour le simple humain, Dieu, en tant que pre~~er Créateur, apparai~ d'abord comme le Tout-Puissant, l'être terrible qu'une distance infinie sépare de sa créature. Vidé de sa présence, l'univers n'est plus qu'un IIdésert que' n'habitent plus ni les ermites ni les coloobes" (Chèvr§-mo.!i§.). Face

à.

la perfection, l'hoIil!:le et l'artiste sont frappés d'impuissance. Ce ne sont plus que d'indignes copistes. Il n'est pas ét'onnant d' enten~e dans le même poê-me le poète se pl<:'.~ndre que son géniE: s'est éteint:

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