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Les fondements du droit international privé européen de la famille

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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L E S F O N DE M E NT S D U DR O IT IN TER N A TI O N A L P R IVE E UR O P E E N DE L A F AM IL L E | d éc em b re 2 015

Université Panthéon-Assas

école doctorale de droit international

Thèse de doctorat en droit

soutenue le 3 décembre 2015

LES FONDEMENTS DU DROIT INTERNATIONAL

PRIVE EUROPEEN DE LA FAMILLE

Lukas Rass-Masson

Sous la direction de : Monsieur Yves LEQUETTE

Professeur à l’Université Panthéon-Assas

Membres du jury : Monsieur Bertrand ANCEL

Professeur émérite à l’Université Panthéon-Assas

Monsieur Hugues FULCHIRON

Professeur à l'Université de Lyon (Jean Moulin)

Monsieur Jeremy HEYMANN

Professeur à l'Université de Lyon (Lumière)

Monsieur Marc-Philippe WELLER

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Avertissement

La Faculté n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans cette thèse ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.

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A Rose, Louise & Leopold. A mes grands-parents.

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Remerciements

La fin de la thèse est l’aboutissement d’un long voyage intellectuel et humain dont jamais je n’aurais atteint la destination sans le soutien constant et l’aide précieuse de nombreuses personnes.

Je tiens dès lors à remercier, en tout premier lieu, mon directeur de thèse, Yves Lequette, qui par ses conseils avisés, sa disponibilité sans faille, sa patience, son regard critique, mais aussi par la liberté de pensée qu’il a su transmettre, a été un véritable pilier dans la conduite de ma recherche.

Je remercie également les membres du jury de soutenance, Bertrand Ancel, Hugues Fulchiron, Jeremy Heymann et Marc-Philippe Weller, d’avoir accepté de lire et d’évaluer mon travail et de lier ainsi, encore davantage, mon parcours scientifique au leur.

Mes remerciements vont aussi à l’ensemble des institutions et membres du personnel qui m’ont permis de bénéficier d’un cadre de travail toujours agréable et efficace, notamment Laurence Tacquard, au nom de l’ensemble de la « salle 102 », mais également le personnel des bibliothèques d’Assas et de Cujas, de l’Université libre de Bruxelles, du Palais de la Paix, de l’Université de Cologne et de l’Université d’Hong Kong.

Je veux remercier ensuite tous mes amis pour, parfois, avoir discuté avec moi de ma thèse – toujours de façon fructueuse -, mais surtout pour avoir, plus souvent, partagé avec moi d’indispensables moments de détente et de décontraction. Mes remerciements s’adressent spécialement à Auriane, Jonas, Kévin, Laure et Samuel pour leur très grande aide dans la dernière ligne droite de ma thèse.

Je remercie également Claude et Gerd, ainsi que mes grands-parents, mes parents, mes frères et sœurs et ma belle-famille, pour avoir toujours cru en moi et pour m’avoir constamment soutenu dans mon projet. Et aussi Rose, Louise et Leopold qui reconnaîtront sans doute un jour leur rôle dans l’élaboration de ma thèse.

Je remercie aussi toutes les autres personnes, collègues et amis qui ont contribué, bien des fois sans s’en rendre compte, à me permettre d’avancer continuellement dans mon travail.

Mais il y a surtout une personne dont l’importance est au-dessus de tout : mon épouse, Nathy. Lui dédier ce travail n’aurait pas été à la hauteur de son rôle. Sans sa présence à mes côtés, son soutien et son amour, il m’aurait été impossible d’arriver au terme de mon voyage. Tout comme je serais passé à côtés de toutes les étapes ayant fait de ce voyage une expérience unique et inestimablement précieuse qui mérite d’être racontée. C’est à elle que je dois tout.

Il ne m’appartient naturellement pas de me prononcer sur la valeur scientifique de mon travail. Je ressens cependant une fierté certaine de l’avoir terminé. Et j’espère que mon travail a du mérite au-delà de celui, déjà grand, d’être terminé. Mais je sais aussi que tout le mérite qu’il y a et qu’il peut y avoir dans mon travail, n’est pas le mien, mais est uniquement le sien.

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Résumé :

Les situations familiales européennes correspondent aujourd’hui à une réalité incontestable qui se traduit, juridiquement, par l’émergence d’un véritable droit international privé européen de la famille, entendu comme l’ensemble des règles de conflit de juridictions et de conflit de lois prévues par l’Union européenne pour s’appliquer aux relations familiales européennes. Face à la nouveauté de la matière et les incertitudes de ses concepts constitutifs, il est nécessaire de procéder à l’analyse des fondements du droit international privé européen de la famille, afin de mieux comprendre la matière et d’être capable de la faire progresser. L’étude de ces fondements révèle la nécessité de l’élaboration d’un droit international privé européen de la famille qui mobilise toutes les méthodes du droit international privé, en les articulant efficacement autour du rôle central de la règle de conflit de lois, véritable pierre angulaire du système Le droit de l’Union est actuellement loin d’un tel système d’ensemble. Il serait pourtant possible de surmonter la situation d’échec du droit de l’Union européenne par un droit international privé européen de la famille qui organise efficacement la pluralité des droits de la famille nationaux, tout en assurant l’effectivité des devoirs familiaux. Pour cela, le droit international privé européen doit intégrer la nécessité du respect des ordres juridiques nationaux et efficacement la mettre en œuvre par un système de droit international privé articulé autour d’une règle de conflit de lois conçue de façon à tenir compte de l’irréductible dimension nationale du droit de la famille. L’Union européenne, tout en proposant un droit international privé respectueux du concept de pluriel universel, pourrait ainsi (re-)découvrir l’identité pluraliste de l’unité dans la diversité. Et elle pourrait par-là faire émerger progressivement l’identité d’un véritable citoyen européen, qui s’épanouit et s’identifie dans la diversité des droits nationaux et dans la coordination harmonieuse de cette diversité, de façon, non seulement, à ce que chaque droit de la famille national soit le résultat d’un processus démocratique auquel les citoyens directement intéressés participent activement, mais aussi et surtout de façon à ce que chaque Etat membre puisse continuer à défendre ses valeurs nationales essentielles dans le contexte du fédéralisme européen.

Descripteurs :

droit international privé, droit de l’Union européenne, droit de la famille, histoire du droit international privé, droits de l’homme, fédéralisme européen, libre circulation des personnes, citoyenneté de l’Union, conflit de juridictions, conflit de lois, méthodes du droit international privé, reconnaissance, méthode de la reconnaissance, éléments de rattachement, résidence habituelle, nationalité, autonomie de la volonté, exception d’ordre public

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Title and Abstract :

The Foundations of European Private International Family Law

European families are nowadays an undeniable reality. This reality is taken into account through the emergence of a genuine European private international family law, understood as the set of rules of conflict of jurisdictions and conflict of laws provided by the European Union to apply to European family relationships. Given the novelty of the subject and the uncertainty of its constituent concepts, it is necessary to analyse the foundations of European private international family law, in order to be able to better understand it and to enhance its operation. The study of these foundations reveals the need to develop a European private international family law that mobilizes all methods of private international law, effectively articulating them around the central role of the rule of conflict of laws, the real cornerstone of the system. The European Union is currently far from realising such a comprehensive and coherent system. Nonetheless it would be possible to overcome the failure of the current situation through the development of a European private international family law that effectively organises the plurality of national family rights, while ensuring the effectiveness of family duties. The European private international law should therefore incorporate the need to respect the national legal systems and effectively implement this respect through the elaboration of a system of private international law that is conceived around a rule of conflict of laws designed to take account of the inevitable national dimension of family law. The European Union, while offering a private international law respectful of the concept of a “pluriel

universel”, could hence (re-)discover the identity of the pluralistic unity in diversity. Thus, it could

gradually let emerge the identity of a genuine European citizen, identifying herself and himself with the diversity of national laws and the harmonious coordination of this diversity, not only in order to protect the fact that each national family law is the result of a democratic process in which citizens directly concerned can actively participate, but especially in order to guarantee that each Member State can continue to defend its national core values in the context of European federalism.

Keywords :

Private international law, Law of the European Union, Family law, History of private international law, Human rights, European federalism, Free movement of persons, Citizenship of the Union, conflict of jurisdictions, conflict of laws, methods of private international law, recognition, method of recognition, connecting factors, habitual residence, nationality, party autonomy, public policy exception, ordre public.

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Principales abréviations

Les abréviations utilisées sont les abréviations usuelles. Voy. notamment, pour identifier celles-ci :

- la liste d'abréviations en droit du Syndicat national de l'édition (SNE) ( http://www.u-paris2.fr/adminsite/objetspartages/liste_fichiergw.jsp?OBJET=DOCUMENT&CODE =1216212199178&LANGUE=0) ;

- la liste d’abréviations de la bibliothèque de l’Université Panthéon-Assas (

http://www.u-paris2.fr/45446059/0/fiche___pagelibre/&RH=1197362140617) ;

- la liste d’abréviations du Service Commun de Documentation de l'Université Toulouse 1 Capitole (http://ressscd.univ-tlse1.fr/scd/abrev/) ;

- la liste d’abréviations de la bibliothèque de droit de l'Université catholique de Louvain (https://www.uclouvain.be/abjur.html) ;

- la liste d’abréviations du Beck Verlag (« Verzeichnis juristischer Abkürzungen » ;

http://www.beck-shop.de/verzeichnis-juristischer-abkuerzungen/SucheAbkuerzung.aspx) ;

- le Code de rédaction interinstitutionnel, Annexe A4, Sigles et acronymes de l’Office des publications de l’Union européenne : ( http://publications.europa.eu/code/fr/fr-5000400.htm) ;

- H. Kirchner, Abkürzungen für Juristen: Alphabetisches Verzeichnis der Abkürzungen, 2° éd. revue, réimpression 2013, De Gruyter, Berlin, New York, 1992 ;

- l’application « Jurica » du Beck Verlag (disponible sur Google Play et le App Store).

Voy. également, plus généralement :

- la liste de sites proposant la traduction des abréviations et acronymes les plus couramment utilisés dans les références juridiques du site Jurisguide de l’Université Panthéon-Sorbonne (

http://jurisguide.univ-paris1.fr/ARTICLES/index.php?view=1&artid=136) ;

- le Guide des abréviations et des citations (Publié sous la direction de P. Vandernoot 5e édition, 2009, Wolters Kluwer, Waterloo ; accessible en ligne sous

http://www.legalworld.be/legalworld/guide-des-citations-et-references.html?LangType=2060).

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Sommaire

Introduction ... 1

Partie 1 Les présupposés du droit international privé européen de la famille ... 30

Titre 1 Le concept de droit international privé à travers l’Histoire : la quête du singulier universel et pluriel ... 33

Titre 2 Le concept de droit de la famille face aux enjeux contemporains ... 182

Partie 2 Les objectifs du droit international privé européen de la famille ... 238

Titre 1 L’objectif d’unité du statut familial ... 239

Titre 2 L’objectif de diversité des statuts familiaux ... 363

Partie 3 Concevoir le droit international privé européen de la famille à l’aune de ses fondements théoriques et politiques ... 479

Titre 1 Articuler le conflit de juridictions avec le conflit de lois ... 481

Titre 2 Assumer la dimension nationale du droit de la famille ... 613

Conclusion générale ... 747

Bibliographie ... 758

Table des annexes ... 811

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Introduction

1. « Identité, natalité, légalité. L’Europe ne retrouvera son rayonnement qu’en rallumant leurs phares, les phares de la conscience, de la vie et du droit. »1 C’est en des termes qui insistaient sur des enjeux majeurs du droit européen de la famille que Louise Weiss ouvrait la législature du premier Parlement européen élu au suffrage universel direct. En soulignant l’importance de la natalité et de la vie, deux phénomènes qui restent intrinsèquement liés à l’existence d’une famille, elle montrait déjà à quel point il était essentiel, pour la construction européenne, de s’intéresser au droit de la famille. L’idée était présente que la réalisation d’une union entre Etats européens, construite dorénavant sur la volonté du rapprochement des institutions européennes avec les peuples européens et la recherche de l’identification directe des citoyens nationaux au projet européen, passait nécessairement aussi par les familles européennes.

2. La réalité des relations familiales européennes. A cet égard, force est de constater

que les familles européennes correspondent aujourd’hui à une réalité incontestable. 13,7 millions de citoyens de l’Union résident dans un État membre dont ils n’ont pas la nationalité2, auxquels s’ajoutent les personnes ayant une double nationalité et les immigrés venant d’un Etat non membre de l’Union européenne. Il ne surprend dès lors guère qu’un nombre assez élevé des relations familiales a désormais une dimension européenne ou 1

L. WEISS, Discours prononcé lors de la séance d’ouverture du Parlement européen élu au suffrage universel

direct le 17 juillet 1979, en ligne :

<http://www.europarl.europa.eu/pdf/cardoc/0609/allocution_Mme_Weiss.pdf>.

2

Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions « L'agenda de l'UE en matière de justice pour 2020 - Améliorer la confiance, la mobilité et la croissance au sein de l'Union » (COM/2014/0144 final), p. 5 ; en référence aux données Eurostat. Sur l’ensemble de la population de l’Union européenne, ce chiffre est mesuré (estimation provisoire de 508 millions d’habitants pour 2015 pour l’UE 28, 503 millions sans la Croatie, ce qui serait un total d’environ 2,7% de la population totale (hors Croatie) ; voy. pour l’ensemble des statistiques : http://ec.europa.eu/eurostat/). La proportion bien plus élevée de familles internationales (c'est-à-dire comprenant les étrangers hors Union européenne, qui est d’environ 13 % des mariages et des divorces) montre cependant que la famille est aussi un des lieux privilégiés de l’intégration des étrangers, car si au moment de la création de la relation familiale, un nombre relativement élevé de personnes sont encore étrangères, par la suite elles acquièrent souvent la nationalité de l’Etat où s’installe la famille.

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internationale. A titre d’exemple, pour l’ensemble de l’Union européenne, pour l’année 2007, il était estimé que 13 % des mariages et des divorces comportaient un élément d’extranéité3. Les relations familiales internationales sont ainsi un phénomène qui depuis le XXe siècle connaît un essor indéniable, et il est assez naturel qu’au sein de l’Union européenne, la tendance des citoyens de l’Union à « se marier, faire des enfants, acquérir un bien, divorcer et décéder dans un État membre autre que celui où ils sont nés »4 soit renforcée, sur fond de libre circulation des personnes garanties par les traités fondateurs de l’Union européenne. Il est par ailleurs évident que cet essor entraîne la multiplication au sein de l’Union européenne des situations familiales qui présentent des liens de rattachement avec au moins deux Etats.

3. La prise en compte par le droit de l’Union. Ce phénomène ne pouvait évidemment

laisser indifférents les différents acteurs du droit en général, et du droit international privé en particulier. Les études sur le sujet fleurissent à une vitesse au moins aussi importante que ne se développent ces relations familiales européennes, les colloques se multiplient, législateurs européen et nationaux, juges, avocats et notaires apportent tous leur pierre à l’édifice d’un système permettant de trouver des solutions juridiques adéquates aux difficultés que peuvent rencontrer les familles dont les membres profitent de la faculté qui leur est offerte de s’installer dans un autre Etat de l’Union.

4. Le cadre normatif. Historique. Il n’en reste pas moins que le droit communautaire,

devenu droit de l’Union européenne, ne s’est intéressé que récemment au droit européen de la famille. Le Traité de Rome du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne ne prévoyait ainsi aucune réglementation particulière de droit international privé, et encore moins de droit de la famille5, et se contentait d’encourager la négociation entre les Etats membres en vue d’assurer « la simplification des formalités auxquelles sont

3

Voy. SEC(2011) 327 final, p. 12 et annexes IV et Voy. Il n’y a pas de données plus récentes à notre connaissance, et la Commission se réfère également à ces données dans sa communication précitée, « L'agenda de l'UE en matière de justice pour 2020 - Améliorer la confiance, la mobilité et la croissance au sein de l'Union » (COM/2014/0144 final).

4

COM/2014/0144, p. 5.

5

En dehors évidemment du débat sur la question de savoir si le traité de Rome comprenait des règles de conflit « cachées » à travers les principes dits du « pays d’origine » et de la « reconnaissance mutuelle » ; voy. sur ce

point p. ex. J. von HEIN, « Einleitung zum Internationalen Privatrecht », dans Franz Jürgen SÄCKER, Roland

RIXECKER et Hartmut OETKER (dir.), Münchener Kommentar zum Bürgerlichen Gesetzbuch, C. H. Beck,

München, 2015, nos 93‑ 95 ; et en matière de droit d’établissement des sociétés C. THOMALE, « Thomale : Die

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subordonnées la reconnaissance et l'exécution réciproques des décisions judiciaires »6, à travers la conclusion d’instruments interétatiques. A ce titre fut conclue une convention importante, la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale7, mais qui n’intéresse la matière familiale qu’à la marge8, l’état des personnes et les régimes matrimoniaux étant exclus de son champ d’application9. D’autres conventions furent élaborées et signées, mais n’ont jamais été ratifiées, dont notamment la Convention dite « Bruxelles II » du 28 mai 1998 sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière de nullité de mariage, de divorce et de séparation de corps10.

5. Le cadre général. Ces autres conventions n’ont pas été ratifiées, en raison de la

« communautarisation » du droit international privé intervenue entre-temps. Après une première modification par le traité sur l’Union européenne, signé à Maastricht le 7 février 1992 et entré en vigueur le 1er novembre 199311, qui introduit la notion de « citoyenneté européenne », et qui définit la coopération judiciaire en matière civile comme un domaine d’intérêt commun pour les États membres de l’Union européenne12, une étape supplémentaire et décisive fut franchie avec le traité d’Amsterdam, signé le 2 octobre 1997 et entré en vigueur le 1er mai 199913, qui « communautarise » la coopération judiciaire en matière civile en la transférant vers le premier « pilier », c'est-à-dire en l’insérant dans un nouveau titre IV relatif aux « politiques liées à la libre circulation des personnes »14. Ce traité prévoit également que l’« Union se donne pour objectif de maintenir et de développer l’Union en tant qu’espace de liberté, de sécurité et de justice au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes »15. A cet effet, le Conseil européen a adopté à Tampere en octobre 1999 un premier programme de travail dont la mise en œuvre s'est achevée en 200416. Le 6

Voy. l’article 220 du Traité instituant la Communauté économique européenne.

7

Voy. le texte consolidé in J.O.C.E., C 27, 26 janv. 1998, p. 1.

8

A travers notamment son article 5 : 2) sur la compétence en matière d’obligation alimentaire.

9

Voy. l’article 1 : 1) de la convention de Bruxelles.

10

Voy. J.O.C.E., C 221 du 16 juillet 1998.

11

Voy. J.O.C.E., C 191 du 29 juillet 1992.

12

Voy. l’article B, tirets 3 et 4 du traité de Maastricht.

13

J.O.C.E., C 340 du 10 Novembre 1997.

14

Voy. notamment les articles 61, 65 et 67 TCE.

15

Article 2 du traité, c’est nous qui soulignons.

16

Voy. les conclusions du Conseil européen de Tampere des 15 et 16 octobre 1999 ; et sur le bilan du programme de Tampere la Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen – » Espace de Liberté, de Sécurité et de Justice : bilan du programme de Tampere et futures orientations », Bruxelles, le 2.6.2004, COM (2004) 401 final.

(14)

4 novembre 2004, le Conseil a adopté un autre programme pluriannuel 2005-2010, dit « programme de La Haye »17, fixant les nouveaux objectifs dans le domaine de l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Ce programme fut suivi du « programme de Stockholm – Une Europe ouverte et sûre qui sert et protège les citoyens »18, couvrant la période 2010-2014, lui-même désormais suivi de deux documents de programmation, un premier élaboré sous l’égide de la Commission, « l'agenda de l'UE en matière de justice pour 2020 – Améliorer la confiance, la mobilité et la croissance au sein de l'Union »19, et un second, pris par le Conseil, sous forme très sommaire de « conclusions du Conseil européen des 26 et 27 juin 2014 concernant l’espace de liberté, de sécurité et de justice et certaines questions horizontales connexes »20. Les efforts pour construire l’espace judiciaire européen ont notamment débouché sur l’adoption des règlements dits « Bruxelles I », désormais « Bruxelles I bis »21, « Rome I »22 et « Rome II »23, qui constituent les « éléments constitutifs d’une partie générale 17

Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen du 10 mai 2005 – « Le programme de La Haye : dix priorités pour les cinq prochaines années. Un partenariat pour le renouveau européen dans le domaine de la liberté, de la sécurité et de la justice » (COM(2005) 184 final, JO C 236 du 24.9.2005). Ce programme a été assorti par le plan d’action du Conseil et de la Commission mettant en œuvre le programme de La Haye visant à renforcer la liberté, la sécurité et la justice au sein de l’Union européenne (JO C 198 du 12.8.2005).

18

« Le programme de Stockholm – une Europe ouverte et sûre qui sert et protège les citoyens » (JO C 115 du 4.5.2010, p. 1-38) ; accompagné du plan d’action « Mettre en place un espace de liberté, de sécurité et de justice au service des citoyens européens » – Plan d'action mettant en œuvre le programme de Stockholm (Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 20 avril 2010, COM(2010) 171 final du 20.4.2010, non publiée au Journal officiel).

19

COM/2014/0144 final, précité. Ce document peut être lu dans le contexte du programme de travail de la Commission pour l'année 2015, « Un nouvel élan » (COM(2014) 910 final) et les orientations politiques de M. Juncker pour la prochaine Commission européenne, « Un nouvel élan pour l’Europe : Mon programme pour l’Emploi, la Croissance, l’Équité et le Changement démocratique » (Discours d'ouverture de la session plénière du Parlement européen, Strasbourg, 15 juillet 2014 ; accessible sous : http://ec.europa.eu/priorities/docs/pg_fr.pdf).

20

2014/C 240/05, JOUE du 24.7.2014, C 240/13. A ce document, on peut ajouter le « Programme de dix-huit

mois du Conseil (1er juillet 2014 - 31 décembre 2015) », du 23 juin 2014, élaboré par les futures présidences

italienne, lettone et luxembourgeoise et par la Haute Représentante, présidente du Conseil des affaires étrangères (ST 11258/14). Celui-ci prévoit notamment que « sur les questions relatives au droit de la famille, une attention particulière sera accordée à la proposition de réexamen du règlement Bruxelles II bis concernant le divorce, la séparation de corps et la responsabilité parentale. Les trois présidences s'efforceront de faire avancer les travaux sur un règlement en matière de régimes matrimoniaux et sur les effets patrimoniaux des partenariats enregistrés » (p. 59).

21

Dans un premier temps, la convention de Bruxelles de 1968 fut transformée en règlement 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000, dit règlement « Bruxelles I » (JO L 12 du 16.1.2001, p. 1-23). Celui-ci a été refondu par le Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, « Bruxelles I bis », concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (refonte) (JO L 351 du 20.12.2012, p. 1-32).

22

Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (JO L 177 du 4.7.2008, p. 6-16).

23

Règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II) (JO L 199 du 31.7.2007, p. 40-49).

(15)

du droit international privé européen »24. A ces règlements s’ajoute un corpus désormais très compact de règlements de procédure civile qui accompagne et complète ces règles de « pur » droit international privé25. En sorte que, à l’instar du droit civil général26, la pertinence d’un « code européen de droit international privé »27 ou d’un « règlement Rome 0 »28 est désormais ouvertement discutée.

6. Les résultats des programmes pluriannuels en matière familiale. En ce qui

concerne plus spécifiquement la matière familiale, le programme de Tampere a donné lieu à deux règlements, à savoir le règlement n° 1347/2000 du Conseil du 29 mai 2000, dit « Bruxelles II », relatif à « la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale des enfants communs »29, qui reprend très largement le texte de la convention Bruxelles II, et le règlement n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003, dit « Bruxelles II bis »30, qui remplace le précédent règlement et élargit son domaine d’application aux questions de responsabilité parentale, tout en laissant les règles sur la désunion du couple pratiquement inchangées. Les programmes de La Haye et de Stockholm se sont ensuite voulus très ambitieux au regard des objectifs relevant du droit 24

U. MAGNUS, « Artikel 19 Rom I-VO », dans J. von Staudingers Kommentar zum Bürgerlichen Gesetzbuch :

Staudinger BGB - EGBGB/IPR Einführungsgesetz zum Bürgerlichen Gesetzbuche/IPR IPR. Art 11-29 Rom I-VO ; Art 46 b, c EGBGB (Internationales Vertragsrecht 2), 14e éd., tome VIII, Sellier - de Gruyter, Berlin, 2011,

spéc. p. 769, no 6. C’est nous qui traduisons. Ce droit international privé européen se prolonge en droit des

affaires, notamment par la Société européenne et le règlement insolvabilité.

25

Constitué notamment par le règlement « signification », le titre exécutoire européen, la procédure européenne d’injonction de payer, le règlement « petits litiges », obtention des preuves et, à partir de 2017, la procédure européenne de saisie conservatoire des comptes bancaires. Ce corpus est tellement dense que des manuels de procédure civile envisagent désormais ensemble le droit interne et le droit de l’Union européenne ; voy. p. ex. S. GUINCHARD, C. CHAINAIS et F. FERRAND, Procédure civile. Droit interne et droit de l’Union européenne, 32e éd., coll. Précis, Dalloz, Paris, 2014.

26

Voy. sur cette question, parmi beaucoup d’autres, Franz WERRO (dir.), L’européanisation du droit privé : vers

un Code civil européen ?, Ed. universitaires, Fribourg (Suisse), 1998 ; H. COLLINS, The European Civil Code :

The Way Forward, Cambridge University Press, Cambridge, 2008 ; S. NADAUD, Codifier le droit civil européen,

Larcier, Bruxelles, 2008 ; Y. LEQUETTE, « Vers un code civil européen ? », (2003) n° 107-4 Pouvoirs 97‑ 126 ;

Y. LEQUETTE, « Le code européen est de retour », Revue des contrats 2011.3.1028 et s. (en réponse à la

consultation publique suite au livre vert relatif aux actions envisageables en vue de la création d’un droit européen des contrats pour les consommateurs et les entreprises (ensemble des réponses consultables sous : http://ec.europa.eu/justice/newsroom/contract/opinion/100701_en.htm)).

27

Marc FALLON, Paul LAGARDE et Sylvaine POILLOT-PERUZZETTO (dir.), La matière civile et commerciale,

socle d’un code européen de droit international privé ?, Textes issus des actes du colloque organisé à Toulouse,

le 17 octobre 2008 par l’Institut de recherche en droit européen, international et comparé, Dalloz, Paris, 2009 ;

Marc FALLON, Paul LAGARDE et Sylvaine POILLOT-PERUZZETTO (dir.), Quelle architecture pour un code

européen de droit international privé ?, Ouvrage reprenant les actes du colloque organisé à Toulouse les 17 et 18

mars 2011 par l’Institut de recherche en droit européen, international et comparé, coll. Euroclio, Peter Lang, Bruxelles et a., 2011.

28

Stefan LEIBLE et Hannes UNBERATH (dir.), Brauchen wir eine Rom 0-Verordnung? : Überlegungen zu einem

Allgemeinen Teil des europäischen IPR, sellier european law publishers, Jena, 2013. 29

(16)

international privé européen de la famille. Autour de l’idée que « l’achèvement du programme de reconnaissance mutuelle des décisions en matière civile et commerciale est d’une importance primordiale »31, ils ont cherché à étendre « la reconnaissance mutuelle […] à des domaines encore non couverts mais essentiels pour la vie quotidienne, tels que les successions et les testaments, les régimes matrimoniaux et les conséquences patrimoniales de la séparation des couples »32, tout en ouvrant la réflexion de façon plus générale « sur la reconnaissance mutuelle dans les matières liées à l’état civil »33 et la promotion de « la reconnaissance mutuelle des effets attachés aux actes d'état civil »34. Ces programmes ont vu proliférer les projets de règlements touchant au droit international privé européen de la famille. Ont ainsi été adoptés le règlement sur la loi applicable au divorce, également appelé règlement « Rome III »35, le règlement n° 4/2009 sur les obligations alimentaires36 et le règlement n° 650/2012 sur les successions37. Face aux retards pris dans la réalisation des autres projets relevant du droit international privé européen de la famille, retards qui révèlent d’importantes difficultés politiques pour trouver un consensus au sein du Conseil, le programme « post-Stockholm » a renoncé à lancer de nouvelles initiatives. L’objectif est désormais plus modestement de faire aboutir les projets encore en cours et de consolider la législation déjà adoptée38.

7. Le cadre international. Aux règlements européens s’ajoutent en outre certaines

conventions de La Haye applicables à tous les Etats membres de l’Union européenne, ou presque. Il s’agit en premier lieu des conventions du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants, du 23 novembre 2007 sur le

30

J.O.C.E., n° L 338 du 23 décembre 2003, p. 1-29.

31

Point 9 du programme de La Haye.

32

Point 3.1.2. du programme de Stockholm.

33

Par l’annonce pour l’année 2008 d’un livre vert sur la reconnaissance mutuelle dans les matières liées à l’état civil (voy. point 4.3 de l’annexe au programme de La Haye). Ce livre vert a finalement été publié le 12 décembre 2010 (COM(2010) 747 final).

34

Point 3.1.2. du programme de Stockholm.

35

Règlement (UE) n° 1259/2010 du Conseil du 20 décembre 2010 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps (JO L 343 du 29.12.2010, p. 10-16).

36

Règlement (CE) n° 4/2009 sur les obligations alimentaires du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires (JO L 7 du 10.1.2009, p. 1-79).

37

Règlement (UE) n ° 650/2012 sur les successions du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen (JO L 201 du 27.7.2012, p. 107-134).

(17)

recouvrement international des aliments destinés aux enfants et à d'autres membres de la famille et du protocole du 23 novembre 2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires, auxquels il faut également ajouter, parmi les conventions plus anciennes les plus importantes, les conventions du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants et du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale39. Et en matière d’état civil, il faut évidemment tenir compte des conventions pertinentes de la Commission internationale de l’état civil40.

8. Les projets en cours. Si les textes du droit international privé européen de la famille

sont déjà nombreux, ils n’empêchent que certains projets sont encore en cours d’adoption. Il en va notamment ainsi des propositions de règlements sur les régimes matrimoniaux41, les effets patrimoniaux des partenariats enregistrés42 et la libre circulation des documents publics et actes d’état civil43. Le règlement Bruxelles II bis44 est également engagé dans un processus de révision, lancé par un rapport sur l’application du règlement45, suivi d’une consultation publique46 et assisté par un comité d’experts47. L’achèvement de ce processus est programmé, de façon peu réaliste, pour la fin de l’année 201548.

38

Le Conseil affirmant sans ambiguïté que « la priorité générale est désormais d'assurer la transposition cohérente, la mise en œuvre effective et la consolidation des instruments juridiques et des mesures existant » (point 3 des conclusions du Conseil européen des 26 et 27 juin 2014 (2014/C 240/05)).

39

Sur tous ces instruments et leur état présent, voy. le site Internet, régulièrement mis à jour, de la Conférence de La Haye de droit international privé (www.hcch.net).

40

Sur ces conventions, voy. le site Internet de la Commission internationale de l’état civil (www.ciec1.org).

41

Proposition de règlement du Conseil relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux du 16 mars 2011 (COM(2011)0126).

42

Proposition de règlement du Conseil relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière d'effets patrimoniaux des partenariats enregistrés du 16 mars 2011 (COM(2011)0127).

43

Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil visant à favoriser la libre circulation des citoyens et des entreprises en simplifiant l’acceptation de certains documents publics dans l’Union européenne, et modifiant le règlement (UE) n° 1024/2012 du 24 avril 2013 (COM/2013/0228).

44

Règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000 (JO L 338 du 23/12/2003 p. 1-29).

45

Rapport de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen sur l'application du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000 du 15 avril 2014 (COM(2014)225 final).

46

« Consultation on the functioning of the Brussels IIa Regulation (EC 2201/2003) », questionnaire et informations pertinentes publiés sous : http://ec.europa.eu/justice/newsroom/civil/opinion/140415_en.htm ; réponses publiées sous : https ://ec.europa.eu/eusurvey/publication/BXLIIA.

47

Groupe « Brussels IIa », (E03294), dont l’activité peut être suivie sur le Registre des groupes d'experts et autres entités similaires (http://ec.europa.eu/transparency/regexpert/).

48

Conformément à l’appel à manifestation d’intérêt (« Call for expressions of interest with a view to setting up a group of experts on Brussels IIA Regulation (Council Regulation No. 2201/2003) »), accessible sous : http://ec.europa.eu/justice/newsroom/contracts/2015_brussels_iia_en.htm.

(18)

9. La jurisprudence. A ce droit textuel s’ajoute une jurisprudence quelque peu

contrastée de la Cour de justice. Deux arrêts de principe sont véritablement fondateurs d’une ébauche de droit international privé jurisprudentiel que la Cour de justice déduit des exigences des traités. Il s’agit des arrêts Grunkin et Paul49 et Sayn Wittgenstein50. Mais ces arrêts laissent une large marge d’appréciation aux autorités européennes et nationales pour façonner le droit international privé. Ils n’ont pas été suivis non plus par des arrêts qui généraliseraient la solution au-delà de la seule question de la reconnaissance du nom, élément qui relève, strictement parlant, du statut personnel et non du statut familial. Ainsi, leur portée au regard du droit international privé de la famille est pour le moins incertaine. Tout comme pour un principe général de reconnaissance en droit international privé qui se dégagerait de l’article 8 de la Conv. EDH51, on attend ainsi encore une confirmation de la portée générale des solutions particulières énoncées jusqu’ici. A côté de ce droit jurisprudentiel général aux contours encore vagues existe cependant, en ce qui concerne l’interprétation et l’application du droit dérivé, une véritable jurisprudence naissante de droit international privé européen de la famille. Bien aidée par la procédure préjudicielle d'urgence, spécialement mise en place pour les questions les plus sensibles relatives à l'espace de liberté, de sécurité et de justice52, la Cour de justice a ainsi pu commencer une activité d’interprétation régulière, notamment du règlement Bruxelles II bis. La précision des contours de la notion de résidence habituelle est un exemple parmi d’autres de la formation indéniable d’une jurisprudence européenne de droit international privé de la famille53. A l’instar de la matière civile et commerciale internationale, dans laquelle les arrêts de la Cour de justice sont depuis longtemps une des 49

Cour de justice, 14 oct. 2008, aff. C-353/06, Grunkin et Paul (AJDA 2008. 2327, chron. E. BROUSSY, F.

DONNAT et C. LAMBERT ; D. 2009. 845 , note F. BOULANGER ; AJ fam. 2008. 481, obs. A. BOICHE ; Rev. crit.

DIP 2009. 80, note P. LAGARDE ; JDI 2009. 203, note L. D'AVOUT).

50

Cour de justice, 22 déc. 2010, aff. C-208/09, Sayn-Wittgenstein (AJDA 2011. 264, chron. M. AUBERT, E.

BROUSSY et F. DONNAT ; Constitutions 2011. 332, obs. A. LEVADE ; RTD civ. 2011. 98, obs. J. HAUSER ; RTD

eur. 2011. 571, obs. E. PATAUT).

51

Qui se dégagerait notamment des arrêts de principe Wagner (CEDH, 28 juin 2007, n° 76240/01, Wagner c.

Luxembourg, AJDA 2007. 1918, chron. J.-F. FLAUSS ; D. 2007. 2700, note F. MARCHADIER ; ibid. 2008. 1507,

obs. P. COURBE et F. JAULT-SESEKE ; Rev. crit. DIP 2007. 807, note P. KINSCH ; RTD civ. 2007. 738, obs. J.-P.

MARGUENAUD ; JDI, 2008. 183, note D'AVOUT) et Negreptontis (CEDH 3 mai 2011, n° 56759/08,

Negrepontis-Giannisis c/ Grèce, D. 2012. 1228, obs. H. GAUDEMET-TALLON et F. JAULT-SESEKE ; Rev. crit. DIP 2011. 817,

étude P. KINSCH), mais auxquels la CEDH a elle-même refusé la généralité en écartant expressément, dans

l’affaire Paradiso, les principes qui s’en dégagent à l’égard de la reconnaissance de la filiation d’un enfant né à l’étranger par recours à une mère porteuse (CEDH 27 janv. 2015, n° 25358/12, Paradiso et Campanelli c/ Italie,

D. 2015. 702, obs. F. GRANET-LAMBRECHTS ; ibid. 755, obs. J.-C. GALLOUX et H. GAUMONT-PRAT ; AJ fam.

2015. 165, obs. E. VIGANOTTI ; ibid. 77, obs. A. DIONISI-PEYRUSSE).

52

Voy. les articles 107 et s. du règlement de procédure de la Cour de justice du 29 septembre 2012 (J.O.U.E. L 265 du 29.9.2012).

53

Et notamment les arrêts A du 2 avr. 2009, n° C-523/07, Mercredi du 22 déc. 2010, aff. C-497/10 PPU, et C du 9 oct. 2014, n° C-376/14 PPU.

(19)

sources essentielles de la matière54, la cour de Luxembourg est et sera un des acteurs institutionnels primordiaux du droit international privé européen de la famille.

10. Le cadre normatif. Résumé. Il est donc indéniable qu’« il existe aujourd’hui un droit

international privé européen de la famille »55. Et même si l’adoption de certains règlements est en retard par rapport aux objectifs initiaux, il est possible d’esquisser ce à quoi ressemblera probablement dans un futur proche l’environnement normatif de la famille européenne. En ce qui concerne les règles de conflit de lois et de conflit de juridictions trouveront à s’appliquer les règlements Bruxelles II bis, probablement révisé, Rome III, n° 4/2009 sur les obligations alimentaires, n° 650/2012 sur les successions et, à la condition assez probable qu’un accord soit trouvé au Conseil, les règlements sur les régimes matrimoniaux et sur les effets patrimoniaux des partenariats enregistrés. A ces règlements s’ajoutent des conventions internationales applicables au sein de l’Union européenne y compris pour les relations familiales purement européennes, au premier rang desquelles figurent les conventions de La Haye pertinentes. Ces textes devront être complétés pour certaines questions annexes relevant du droit civil commun, telles les questions d’une réparation civile ou des effets d’un contrat ou quasi-contrat, avec les règlements Bruxelles I, Rome I et Rome II. Pour la procédure, il faudra en outre appliquer les règlements pertinents relatifs à la procédure civile européenne ou internationale. Les droits nationaux enfin garderont une importance capitale en fixant, d’un côté, l’ensemble du droit matériel de la famille et la très grande majorité des règles de droit international privé relatives à l’établissement et la validité des relations familiales, et, de l’autre côté, l’ensemble des règles nécessaires pour combler les lacunes laissées par le droit de l’Union et pour sa mise en œuvre concrète par les autorités nationales.

11. Définitions. Dresser l’inventaire des textes constitutifs du corpus du droit international

privé européen de la famille ne permet évidemment pas de considérer que l’on en a donné une définition. Pour partir d’une définition très large, le droit international privé européen de la famille est constitué de l’ensemble des règles de droit international privé permettant de résoudre les difficultés soulevées par l’existence d’au moins un élément d’extranéité dans la relation familiale européenne. Mais cette définition doit être précisée.

54

(20)

12. Droit international privé. Le droit international privé, dans l’acception française

traditionnelle de la matière, couvre l’étude de quatre questions, à savoir le conflit de lois, le conflit de juridictions, la nationalité et la condition des étrangers. Inutile de dire que le champ de la matière est très vaste et que la question de sa limitation, en vue de proposer des résultats cohérents et compréhensibles, se pose inévitablement.

13. Inclusions. Conflit de lois et conflit de juridictions. Il convient dès lors d’emblée de

limiter l’étude du droit international privé européen de la famille aux questions de conflit de lois et de juridictions56. Le conflit de lois concerne l’ensemble de règles et de méthodes relatives à la détermination de la loi applicable à un rapport de droit pourvu d’un élément d’extranéité. Il constitue traditionnellement le cœur de la matière du droit international privé57 et il serait inconcevable de mener une étude du droit international privé européen de la famille sans y inclure le conflit de lois. La question ne se pose en outre plus réellement, puisque les règlements les plus récents portent aussi sur « la loi applicable » et incluent donc des dispositions relatives au conflit de lois58. Est-ce à dire qu’il aurait été possible de se limiter au conflit de lois et d’exclure le conflit de juridictions ? Le conflit de juridictions, auquel il faut désormais ajouter le conflit d’autorités – mais nous le considérerons comme inclus dans le concept de conflit de juridictions pour les besoins de notre étude59 – concerne deux hypothèses en réalités bien distinctes. Il couvre ainsi à la fois les règles relatives à la détermination de la compétence internationale directe des tribunaux ou des autorités d’un Etat, ainsi que les règles relatives aux effets dans un Etat des décisions rendues par les tribunaux ou autorités d’autres Etats. L’Union européenne évoque à l’égard de la compétence internationale directe tout simplement « la compétence »60, tandis qu’elle vise la question des effets des décisions étrangères sous les termes de « reconnaissance et [d]'exécution des 55

P. LAGARDE, « Réflexions conclusives », dans Hugues FULCHIRON et Christine BIDAUD-GARON (dir.), Vers un

statut européen de la famille, Dalloz, 2014, Paris, 2014, spéc. p. 267‑ 276 à la page 267. 56

Choix qui a également été effectué par Dominique Bureau et Horatia Muir Watt dans leur manuel et dont ils

s’expliquent dans l’introduction générale ; voy. D. BUREAU et H. MUIR WATT, Droit international privé.

Tome 1, 3e édition, PUF, Paris, 2014, spéc. p. 1‑ 25. 57

D’autant que certains systèmes juridiques limitent le droit international privé à cette question, ce qui est notamment le cas des systèmes de common law, qui tiennent le terme de « conflict of laws » pour synonyme de

« private international law » ; voy. not. L. COLLINS, Dicey, Morris and Collins on the Conflict of Laws, Sweet &

Maxwell, London, 2012, par. 1‑ 087 et s.

58

Règlements n° 4/2009 sur les obligations alimentaires, n° 650/2012 sur les successions et Rome III.

59

Choix qui se justifie au regard des profondes parentés méthodologiques entre ces deux méthodes ; sur la

notion de conflit d’autorités, voy. not. P. CALLE, L’acte public en droit international privé, Economica, Paris,

2004.

60

Voy. les règlements Bruxelles II bis, n° 4/2009 sur les obligations alimentaires et n° 650/2012 sur les successions.

(21)

décisions »61 et, au sujet de certains actes publics, d’« acceptation et [d]'exécution des actes »62. A ces règles, il convient d’ajouter le cas échéant des techniques de coopération internationale dont le but est de faciliter la mise en œuvre des règles de conflit de lois et de conflit de juridictions63. Face à l’importance prise par les règles de compétence et de reconnaissance et d’exécution dans les règlements européens, il ne serait donc pas justifiable d’exclure le conflit de juridictions. Le conflit de juridictions constitue en outre un élément clé de la mise en œuvre du droit international privé, que ce soit par les règles de l’instance directe ou de l’instance indirecte. Son influence sur la détermination de la loi applicable, c'est-à-dire le conflit de lois, ne saurait donc être négligée. L’étude du droit international privé européen inclut dès lors nécessairement les questions de conflit de lois et de conflit de juridictions, ainsi que la question de leurs rôles respectifs au sein du système commun.

14. Exclusions. Nationalité et condition des étrangers. L’exclusion des questions

relatives à la nationalité et à la condition des étrangers se justifie plus aisément, ces deux matières n’étant pas considérées comme arbitrant des questions de méthodes fondamentales du droit international privé64. De nombreux droits étrangers n’entendent d’ailleurs pas le droit international privé comme incluant ces questions. Et de façon encore plus déterminante, les règlements européens de droit international privé de la famille y sont toujours indifférents. La question de la nationalité relève en effet de la seule compétence des Etats membres, sous la réserve que « les États membres doivent exercer leur compétence en matière de nationalité dans le respect du droit de l’Union »65. Mais cette réserve ne saurait avoir pour conséquence d’attribuer une compétence à l’Union européenne dont elle ne dispose pas en vertu des traités. Si la question de « l'émergence d'un droit de l'Union européenne en matière de nationalité » a été légitimement posée66, la compétence d’attribution et de retrait de la nationalité reste une 61

Voy. les règlements Bruxelles II bis, n° 4/2009 sur les obligations alimentaires et n° 650/2012 sur les successions.

62

Voy. le règlement n° 650/2012 sur les successions.

63

Voy. not. le règlement n° 4/2009 sur les obligations alimentaires.

64

D. BUREAU et H. MUIR WATT, Droit international privé. Tome 1, préc., note 56, spéc. p. 1.

65

Voy. les arrêts Micheletti (CJCE, 7 juill. 1992, Micheletti, aff. C-369/90, Rec. I. 4239) et Rottmann (CJUE 2

mars 2010, Janko Rottman c. Freistaat Bayern, C-135/08 ; et sur ce dernier AJDA 2010. 937, chron. M. AUBERT,

E. BROUSSY et F. DONNAT ; D. 2010. 2868, obs. O. BOSKOVIC, S. CORNELOUP, F. JAULT-SESEKE, N. JOUBERT et

K. PARROT ; Europe. juin 2010. Étude 7. p. 5, note HEYMANN ; Rev. crit. DIP 2010. 540, note P. LAGARDE ;

RSC 2010. 709, chron. L. IDOT ; RTD eur. 2010. 599, chron. L. COUTRON ; ibid. 617, chron. E. PATAUT ; JTDE

2010, n° 172, p. 245, N. CARIAT) ; voy. égal. S. CORNELOUP, « Réflexion sur l’émergence d’un droit de l’Union

européenne en matière de nationalité », JDI 2011.491 et s.

66

S. CORNELOUP, « Réflexion sur l’émergence d’un droit de l’Union européenne en matière de nationalité »,

(22)

compétence exclusive, quoique « non discrétionnaire »67, des Etats membres de l’Union européenne68. A supposer qu’il y ait un « droit européen de la nationalité »69, celui-ci émanerait du Conseil de l’Europe70 et trouverait sa source notamment dans la Convention du Conseil de l’Europe du 6 novembre 1997 sur la nationalité71. C’est donc ici l’absence de règles émanant de l’Union européenne qui justifie l’exclusion du droit de la nationalité du champ de notre étude. La question de la condition des étrangers quant à elle constitue une branche importante du droit matériel de l’Union européenne et l’Union européenne couvre ce domaine par un abondant corpus de droit dérivé qui est à la fois trop vaste et dont l’objet et les finalités sont trop éloignés des enjeux traditionnels du droit international privé pour pouvoir être intégré dans notre étude72. Il ne faut cependant pas négliger que les questions de nationalité et de condition des étrangers peuvent avoir une influence sur l’acception et le fonctionnement des mécanismes de conflit de lois et de conflit de juridictions, voire du droit de la famille en général, et que, à ce titre, une prise en compte de questions relevant à titre principal de la condition des étrangers ou de la nationalité s’imposera parfois.

15. Limité aux conflits de lois et de juridictions, le champ de l’étude n’en reste pas moins

considérable. Si ce champ ne peut être suffisamment limité par les méthodes de droit international privé qu’il convient d’analyser, il faut alors se demander s’il ne pourrait éventuellement être limité matériellement.

16. De la famille. Une définition du concept de famille semble en l’état actuel de la

société et du droit de la famille une chose très difficile, voire impossible. Les changements sociologiques contemporains sont tellement profonds que l’une des rares certitudes est celle que « la famille [est] en mutation »73. Ces mutations contemporaines du concept de famille rejaillissent alors nécessairement sur le concept de droit de la famille, et par voie de 67

S. CORNELOUP, F. JAULT-SESEKE et S. BARBOU DES PLACES, Droit de la nationalité et des étrangers, 1re éd.,

coll. Thémis., Presses universitaires de France, Paris, 2015, spéc. p. 64.

68

Ibid., spéc. p. 63‑ 67.

69

C. DAADOUCH, « Vers un droit européen de la nationalité ? », (2001) n° 49-2 Plein droit 18.

70

Sur les activités, normatives et non normatives, du Conseil de l’Europe en matière de nationalité, voy. le site Internet du Conseil de l’Europe (www.coe.int/nationality).

71

Convention du Conseil de l’Europe STE n° 166 (accessible sous http://conventions.coe.int/Treaty/FR/Treaties/Html/166.htm) ; en vigueur dans vingt Etats membres du Conseil de l'Europe (Source : Bureau des Traités sur : http://conventions.coe.int).

72

Voy sur ces questions, vis-à-vis du droit des étrangers, p. ex. S. CORNELOUP, F. JAULT-SESEKE et S. BARBOU

DES PLACES, Droit de la nationalité et des étrangers, préc., note 67, spéc. p. 269‑ 282.

73

René SEVE et Dominique LASZLO-FENOUILLET (dir.), La famille en mutation, coll. Archives de philosophie du

(23)

conséquence sur le droit international privé de la famille. Le droit de la famille doit ainsi composer avec le fait que la famille est désormais une « notion incertaine »74. Cette incertitude a par ailleurs provoqué « une crise de la famille »75 qui risque de conduire à une véritable « anomie de la famille »76. Face à cette situation il est évident qu’il y a un enjeu majeur dans la question de la définition du droit de la famille si l’on veut que celui-ci soit conçu comme un droit ayant un sens particulier vis-à-vis des autres branches du droit civil. Mais il n’est guère possible de répondre à une telle question sans un véritable effort de réflexion. Et, compte tenu de l’importance fondamentale de cette question et de son inévitable influence sur la conception des règles de droit international privé européen de la famille, il ne serait pas justifié d’exclure la question du sens du droit de la famille de l’objet de la présente étude. Il ne nous paraît donc pas possible de définir la famille à ce stade-ci de la réflexion. Et cela d’autant plus que la notion de famille est désormais concurrencée par celle de « vie familiale »77 et que cette dernière peut reposer simplement sur une vie familiale « de fait »78. L’aspiration individuelle à voir reconnu un lien interindividuel peut ainsi suffire à caractériser une situation, pourtant non prévue par le droit de la famille, comme étant de nature familiale. Il n’est donc pas possible de procéder autrement que de se contenter ici d’une vague description de la famille, d’après laquelle celle-ci renvoie à cette idée incertaine d’un « groupe de personnes unies par des liens interindividuels »79, ces liens étant constitués par « des rapports de parenté et d’alliance »80 qui reposent sur des concepts de filiation et d’union eux-mêmes incertains et en profonde mutation. Le droit de la famille est alors le droit applicable à ces « liens interindividuels de famille »81, sans que l’on puisse dire avec précision, faute de véritable « cadre de référence »82, ce que sont ces liens familiaux.

17. Inclusions. Relations patrimoniales et extrapatrimoniales. La tentative de

définition du droit de la famille se prolonge par la question de savoir si l’élément caractéristique de la famille ne serait pas la nature extrapatrimoniale des liens interindividuels en cause. L’étude pourrait ainsi être limitée à ces seules relations extrapatrimoniales. D’autant 74

D. FENOUILLET, Droit de la famille, 3e édition, coll. Cours Dalloz., Dalloz, Paris, 2013, spéc. p. 11.

75

P. MALAURIE et H. FULCHIRON, Droit civil, la famille, 4e édition, Répertoire Defrénois, Paris, 2011, no 95.

76

Ibid.

77

Voy. l’art. 8 de la Conv. EDH.

78

Notion désormais constamment utilisée par la CEDH, comme p. ex. dans l’affaire Paradiso et Campanelli c.

Italie (requête n° 25358/12), précitée. 79

D. FENOUILLET, Droit de la famille, préc., note 74, no 12.

80

P. MALAURIE et H. FULCHIRON, Droit civil, la famille, préc., note 75, no 4.

81

(24)

que le législateur européen a cherché à imposer une telle acception purement personnelle de la notion de droit de la famille. Pour le règlement n° 650/2012 sur les successions, il a en effet considéré qu’en raison de la nature particulière de la matière et sa dimension essentiellement patrimoniale, la base juridique des traités à retenir n’était pas celle relative aux aspects touchant le droit de la famille, mais la base juridique générale de la matière civile et commerciale83. Sans pouvoir entrer dans le détail ici, ce choix est pourtant pour le moins surprenant. Premièrement, en ce qui concerne la matière même du droit des successions, parce que « la famille est un des termes incontournables de la discussion relative aux fondements du droit des successions »84 et parce qu’« il est avéré que la famille est un fondement nécessaire du droit de successions »85. C’est ainsi que l’on a traditionnellement toujours considéré que le droit des successions est « en quelque sorte, un droit de famille prolongé »86 et que les matières qui en relèvent « ont un lien si étroit avec les droits de la famille, qu’elles peuvent en être considérées comme l’émanation »87. Le caractère familial des successions est d’ailleurs tellement évident qu’il n’échappe à personne88, y compris la Commission elle-même, qui sur son site Internet ne traite pas des successions au titre des « questions civiles et commerciales », mais ensemble avec les « questions familiales »89… Deuxièmement, il serait injustifiable d’interpréter la notion de « mesures relatives au droit de la famille »90 dans le but principal d’échapper à la règle de l’unanimité prévue par les traités91. La Commission avait 82

P. MALAURIE et H. FULCHIRON, Droit civil, la famille, préc., note 75, no 95.

83

C'est-à-dire l'article 81, paragraphe 2, point c), du TFUE, mais en ignorant le paragraphe 3 du même article applicable aux « mesures relatives au droit de la famille ». L’instrumentalisation de la base juridique est évidente, puisque de cette façon il n’était plus nécessaire d’obtenir l’unanimité au Conseil. Il en va de même pour la proposition circulation actes d’état civil, avec le choix pour cette proposition de l’article 20 TFUE comme base juridique.

84

S. BILLARANT, Le caractère substantiel de la réglementation française des successions internationales :

réflexions sur la méthode conflictuelle, Dalloz, Paris, 2004, spéc. p. 37. 85

Ibid., même si « les fondements [du droit des successions] sont à rechercher tout autant du côté de la famille que de celui de la propriété » (ibid., spéc. p. 144).

86

A. F. SCHNITZER, De la diversité et de l’unification du droit : aspects juridiques et sociologiques, Verlag für

Recht und Gesellschaft, Bâle, 1946, spéc. p. 46.

87

Voy. déjà P. S. MANCINI, « De l’utilité de rendre obligatoire pour tous les États, sous la forme d’un ou de

plusieurs traités internationaux, un certain nombre de règles générales de Droit international privé pour assurer la décision uniforme des conflits entre les différentes législations civiles et criminelles », Journal du Droit

International 1874.221-239 et 285-304, spéc. p. 295. Il vise « le droit de succession légitime, l’ordre de

succession et les personnes capables de succéder, les limites de la quotité disponible et les conditions de validité intrinsèque des actes de dernière volonté ».

88

Pour ne prendre qu’un exemple, un auteur a accueilli le règlement en affirmant que « le temps où l’on pouvait

affirmer que l’Union européenne ne s’intéressait pas au droit de la famille est définitivement révolu » ; L. IDOT,

« Un nouvel exemple d’incursion du droit de l’Union européenne en droit international de la famille  : le régime des successions transfrontières », Europe 2012.Focus 46.

89

Voy. les rubriques listées sous http://ec.europa.eu/justice/civil/family-matters/index_fr.htm.

90

Art. 81, para. 3 TFUE.

91

(25)

déjà entrepris une telle tentative de contournement des traités pour le règlement n° 4/2009 sur les obligations alimentaires92, mais sans succès dans ce domaine. Outre le caractère injustifiable d’une violation manifeste des stipulations très claires du TFUE, une telle approche du droit de la famille conduirait en effet à un morcellement de la matière qui risquerait de mettre à mal la cohérence de l’ensemble de la matière93. D’autant qu’il serait, comme un auteur l’a très justement souligné, « pour le moins paradoxal que le droit international privé de la famille puisse prendre son essor... à condition de ne pas être considéré comme du "droit de la famille" »94. Le droit patrimonial de la famille doit donc être considéré comme relevant du droit international privé européen de la famille. S’il en allait autrement, celui-ci se limiterait à un champ d’étude particulièrement étroit, seuls étant concernés, vis-à-vis du droit de l’Union européenne, les règlements Bruxelles II bis et Rome III. Ce champ d’étude serait en outre en décalage avec le contexte normatif européen, qui s’étend également au règlement n° 4/2009 sur les obligations alimentaires, au règlement n° 650/2012 sur les successions et aux propositions de règlements sur les régimes matrimoniaux et sur les effets patrimoniaux des partenariats enregistrés. Il ne correspondrait pas non plus aux enjeux de la matière, car il est évident que les relations familiales comportent une dimension patrimoniale qui est essentielle pour les personnes concernées. Le législateur européen semble en avoir pris conscience, l’ensemble des textes susmentionnés, à l’exception du règlement n° 650/2012 sur les successions, se fondant sur la base juridique de l’article 81 TFUE qui concerne les « aspects touchant au droit de la famille ». Cela n’a cependant pas empêché la Commission de proposer une base juridique novatrice en matière de droit international privé pour la proposition sur la libre circulation des documents publics95, en ne fondant pas celle-ci sur l’article 81 TFUE96, ni même un autre article relevant de l’espace de liberté, de sécurité et de justice97, mais sur l’article 20 TFUE98. La nécessité de

92

Communication de la Commission au Conseil invitant le Conseil à rendre l'article 251 du Traité instituant la Communauté européenne applicable aux mesures prises en vertu de l'article 65 du Traité en matière d'obligations

alimentaires, COM (2005) 648 final, 15 décembre 2005. Voy. égal. C. NOURISSAT, « Droit civil de l’Union

européenne  : panorama 2005 », D 2006.1259, no

3.

93

P. GUEZ, « L’avenir du droit européen  : le droit de la famille. Chronique de droit européen n° IX », Petites

affiches 2006.221.13 et s., no 4.

94

Ibid.

95

COM/2013/0228, précité. Encore que le contenu tellement limité de cette proposition permettrait de soutenir qu’elle ne relève pas du droit international privé, mais la base juridique limiterait alors le contenu et les ambitions du texte…

96

Qui concerne la « coopération judiciaire en matière civile ».

97

Tel p.ex. l’article 67 TFUE qui introduit le titre V du TFUE sur l’espace de liberté, de sécurité et de justice ou l’article 74 TFUE en vertu duquel « le Conseil adopte des mesures pour assurer une coopération administrative

(26)

garder une vision d’ensemble cohérente de la matière requiert pourtant d’y intégrer toutes les règles qui pourraient avoir une incidence directe sur la validité et les effets patrimoniaux ou extrapatrimoniaux des relations familiales européennes99. Cette nécessité implique donc d’inclure la question de la circulation et de la reconnaissance des actes d’état civil, indépendamment de la base juridique choisie par la Commission, tout comme doivent être traités le droit extrapatrimonial et le droit patrimonial de la famille.

18. Même restreint au droit international privé de la famille, le champ matériel de l’étude

reste donc particulièrement vaste. Ce qui soulève la question de la pertinence d’une limitation géographique du champ de l’étude.

19. Européen. Pour les besoins de l’étude du droit international privé européen de la

famille, l’adjectif « européen » vise tout ce qui est relatif à l’Union européenne. Il intervient donc en substitution du terme « communautaire » qui était encore utilisé avant le traité de Lisbonne. En toute rigueur, il aurait certes fallu remplacer le terme « communautaire » par « de l’Union »100, mais un tel choix aurait rendu le titre presqu’illisible. Il n’est pas possible non plus de créer un adjectif correspondant à cette nouvelle terminologie, contrairement à d’autres langues, comme par exemple en allemand par le recours à l’adjectif « unionsrechtlich »101. Dans le prolongement de Georges Scelle, qui par l’adjectif

entre les services compétents des États membres dans les domaines visés par le présent titre [de l’espace de liberté, de sécurité et de justice], ainsi qu'entre ces services et la Commission ».

98

Qui constitue l’article fondamental instituant la citoyenneté de l’Union.

99

Même si certaines exclusions du champ du droit international privé européen de la famille peuvent être justifiées, notamment pour les questions de droit social ou de droit fiscal, puisque ces questions relèvent principalement du droit public. Sur les aspects de fiscalité internationale, voyez notamment de façon sommaire,

H. PEROZ et É. FONGARO, Droit international privé patrimonial de la famille, Litec, Paris, 2010, spéc.

p. 377‑ 400.

100

Voy. l’article 2., 2) a) du traité de Lisbonne : « Dans tout le traité […] les mots « la Communauté" ou « la Communauté européenne" sont remplacés par « l'Union", les mots "des Communautés européennes" ou "de la CEE" sont remplacés par "de l'Union européenne" et l'adjectif "communautaire" est remplacé par "de l'Union"

[…] » ; voy. égal. Guide de legistique, n° 4.1.3  : Rédaction des textes de transposition des directives de l’Union

européenne, Annexe 1  : Terminologie, point 1  : Changements intervenus à la suite de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre 2009, en ligne :

<http://www.legifrance.gouv.fr/Droit-francais/Guide-de- legistique/IV.-Regles-propres-a-certaines-categories-de-textes/4.1.-Textes-internationaux-et-de-l-Union-

europeenne/4.1.3.-Redaction-des-textes-de-transposition-des-directives-de-l-Union-europeenne#ancre19582_0_10_1_1>.

101

Voy. pour quelques exemples A. DUTTA, « Vorbemerkung zu Art. 1 EuErbVO », dans Münchener

Kommentar zum Bürgerlichen Gesetzbuch, Bd. 10, Internationales Privatrecht, 6e éd., C.H. Beck, Munich,

sect. 8 qui évoque la « Unionsrechtliche Kompetenzgrundlage » ; Voy. LIPP, « Art. 10 EGBGB Name », dans

Münchener Kommentar zum Bürgerlichen Gesetzbuch, 6e éd., Bd. 10, Internationales Privatrecht, C.H. Beck, Munich, 2015, sect. 204, qui évoque la "unionsrechtliche Pflicht zur « Anerkennung» eines ausländischen

Namens" » ; M. ZOPPEL, Europäische Diskriminierungsverbote und Privatrecht. Unionsrechtliche Vorgaben und

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