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"Nous faisons chaque jour quelques pas vers le beau simple" : transformations de la mode française, 1770-1790

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« Nous faisons chaque jour quelques pas vers le beau simple» : transformations de la mode française, 1770-1790

August 2002

Julie Allard Department of History McGill University, Montréal

A thesis submitted to the Faculty of Graduate Studies and Research in partial fulfilment ofrequirements of the degree of

Master of Arts

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Résumé

Cette thèse analyse la simplification de la mode vestimentaire chez le beau monde français à la fin du XVIIIe siècle. Elle révèle que la mode simplifiée des décennies 1770 et 1780 est le résultat d'une sensibilité nouvelle pour la nature. L'émergence de nouvelles perceptions du corps amène les médecins à cautionner une mode plus respectueuse de la nature des corps. Sur le plan esthétique, la simplicité s'impose comme moyen privilégié pour retrouver une vérité et une énergie originelles. En outre, grâce à un processus d'emprunt amorcé par l'anglomanie, les modes anglaises, plus simples, sont naturalisées en France. Ce sentiment nouveau de la nature révèle enfin des changements sociaux profonds. L'idée de nature, définie en fonction des idéaux d'une bourgeoisie en ascension, devient alors le véhicule d'un esprit bourgeois qui ne se cantonne plus aux limites d'un groupe social encore restreint.

Abstract

This thesis analyses the simplification of fashion in the French "beau monde" at the end of the eighteenth century. It reveals that the simplified fashion of the 1770s and 1780s was the result of a new feeling for nature. New perceptions of the body led physicians to plead for a new fashion, more respectful of the natural characters of the body. On the aesthetic level, natural simplicity was meant to be the only way to recover original truth and energy. Moreover, anglomania, by way of sustained exchanges with England, contributed to the development of a simpler and more egalitarian fashion. This new feeling for nature reflects profound changes in the French society at the end of the century. The idea of nature, defined according to the values and ideals of a rising bourgeoisie, conveyed a bourgeois spirit no longer restricted to a narrow social group .

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Résumé/ Abstract Liste des figures Remerciements Introduction Chapitre un

Table des matières

1770-1790 : simplification et recherche d'aisance dans la mode

Les Modes enfantines Les Modes féminines Les Modes masculines

Les Cotonnades: petite chronique d'un mouvement de mode

Chapitre deux

Perceptions nouvelles du corps et raisons médicales de la mode

Une Écologie d'idées: les perceptions du corps au début du XVIIIe siècle La Fibre, une « nouvelle architecture intime»

La Critique des ligatures Un Corps poreux

Nouvelles perceptions, nouvelles pratiques

Chapitre trois

Concilier le cœur et la raison: l'esthétique et la mode

Le Néoclassicisme, un appel à la raison L'Exercice de la sensibilité, le préromantisme L'Antique et le pittoresque dans la mode

Chapitre quatre

L'Influence d'Albion, ou l'anglomanie en France

Tour d'horizon de l'anglomanie française

Égalitarisme et confort: arrière-plan de la simplification Portraits d'anglomanes français

Conclusion Bibliographie

I. Sources primaires II. Littérature secondaire Annexes 1 3 4 13 13 19 24

27

33 35 38 41 43

47

53 54 61 66 73 76

82

85 92 101 101 104 109

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Figure 1. Figure 2. Figure 3. Figure 4. Figure 5. Figure 6. Figure 7. Figure 8. Figure 9. Figure 10 .

Figure Il. Figure 12. Figure 13. Figure 14. Figure 15. Figure 16. Figure 17. Figure 18. Figure 19. Figure 20.

Figure 21.

Liste des figures

Antoine Raspal, Madame Privat et ses deuxjilles, vers 1775. Jean-Baptiste Chardin, La Toi/ette du matin, vers 1740. Jean-Baptiste Chardin, La Gouvernante, 1738.

François Watteau de Lille, La Saint-Nicolas, 1788. Gouvernante d'enfants, 1778.

Jeune gouvernante d'enfant, 1780.

Marguerite Gérard, Le Premier pas de l'enfant, vers 1785. Adolf-Ulrik Wertmüller, Marie-Antoinette et ses enfants, 1785. Jacques-Louis David, Les Lavoisier, 1788.

Antoine Watteau, L'Enseigne de Gersaint (détail), 1720.

François Boucher, Portrait de la Marquise de Pompadour, 1756. La Constante solitaire en robe à l'anglaise, 1784.

Demoiselle en caraco de taffetas, 1778. Jeune dame en Circassienne, vers 1776.

Autre lévite, lajupe de couleur différente, 1780.

Élisabeth Vigée Le Brun, La Reine Marie-Antoinette, 1783. Chemise à la Reine, 1784.

Jean Dumont, dit le Romain, Madame Mercier, nourrice de Louis XV et sa famille (détail), 1731.

Redingotte à trois colets, 1781. Fraque à coqueluchon, 1779.

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Figure 22 . Figure 23. Figure 24. Figure 25. Figure 26. Figure 27. Figure 28. Figure 29. Figure 30 .

Joseph-Marie Vien, Jeune Athénienne vertueuse, 1763. Joseph-Marie Vien, Jeune Corinthienne, 1763.

Mauzaisse, La princesse Adélaïde d'Orléans prenant une leçon de harpe, 1789.

Jeune élégant du Palais Royal, 1786. L'Agioteur du Palais Royal, 1787.

La Virtuose sensible en robe à l'anglaise, 1784. Jeune Dame prête à monter à cheval, 1787.

Louis Le Cœur, La Promenade du Palais Royal, 1787. Jacques-Louis David, Le Serment des Horaces, 1784.

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Remerciements

Je tiens à remerCIer tout particulièrement mon directeur, le professeur Pierre Boulle, pour son appui ainsi que pour son apport stimulant et perspicace à ma réflexion. l'ai trouvé en lui un lecteur disponible et attentif.

Pour mener à bien ce projet, j'ai bénéficié du Robert Vogel Memorial Award in History, accordé par le département d'histoire de l'université McGill. J'ai également eu la chance de travailler aux côtés des professeurs Faith Wallis et Elizabeth Elboume comme auxiliaire d'enseignement. Je les remercie toutes deux pour cette expérience enrichissante.

Au département d'histoire, je remercie Colleen Parish pour son aide constante. Merci à Claude Maire et Claudette Hould, à l'université du Québec à Montréal; Eileen Stack au Musée McCord; les participants du séminaire d'histoire du professeur Boulle: Emmanuelle Carle-Pelletier, Isabelle Carrier, Alexandre Dubé, Michel Ducharme, Sarah Gibson, Martin Nadeau, Marc Robichaud, Daviken Studnicki-Gizbert, Bram Rogers et Masarah Van Eyck; de tous, j'ai pu profiter de l'expérience, du soutien et de conseils judicieux.

Merci à ceux qui, par leur présence, ont rendu ce projet possible: Caroline, Roxanne et Marie-Pierre, pour leur enthousiasme; Jean-François, pour m'avoir accueillie lors de mes séjours à Québec; ma mère, pour tous les encouragements au bout du fil. Enfin, merci à François, pour sa patience et sa confiance ...

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Introduction

Au XVIIIe siècle, l'Encyclopédie affirme que «les modes se détruisent & se succedent continuellement, quelquefois sans la moindre apparence de raison, le bizarre étant le plus souvent préferé aux plus belles choses, par cela seul qu'il est plus nouveau. 1 » Sans vouloir nier l'attrait puissant de la nouveauté dans l'établissement d' une mode, selon moi, cette explication reste inc;Jmplète. La présente thèse repose en effet sur le postulat que la mode révèle plus sur une société que sa seule frivolité et que son étude permet de rejoindre les conduites sociales et les façons de penser d'une société et d'une période. En étudiant les objets que la mode transforme, le vêtement notamment, 1 'historien peut révéler les forces sociales et culturelles qui, à une certaine époque, ont inspiré leur création.

Cette thèse étudie la simplification de la mode vestimentaire dans les décennies 1770 et 1780 chez le beau monde français. Issu de la cour et de la ville, le beau monde réunit nobles, financiers, banquiers, négociants et grands marchands. Sans former une véritable catégorie sociale, c'est au moins une strate de la société. Ses membres ont en commun les grandes richesses, le prestige et une considération sociale comparable à celle de la noblesse.2 C'est le beau monde qui donne le ton et domine la vie mondaine au XVIIIe siècle. C'est encore lui qui affiche les dernières modes vestimentaires. Pour satisfaire son goût de la nouveauté, l'imagination des marchandes de modes se débride. Dans les années 1770 et au début de la décennie 1780 les coiffures atteignent des hauteurs

1 L'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers [cd-rom] (Marsanne: Redon, 1999), 4 cd-roms; 12 cm, article « Modes. »

2 La définition de cette strate sociale est en partie basée sur Jean de Viguerie, Histoire et dictionnaire du temps des Lumières: 1715-1789 (Paris: Robert Laffont, 1995), 242-249 et 451-461.

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inégalées et les ornements changent à un rythme effréné. Pourtant, une tendance née depuis quelques années déjà éclate dans la décennie 1780 : les élégants laissent tomber les coiffures et les habits contraignants et adoptent un costume beaucoup plus simple. C'est l'époque où la reine Marie-Antoinette, accompagnée de sa suite, s'amuse à jouer à la bergère au Petit Trianon, vêtue d'une simple robe de coton et d'un chapeau de paille.

L'argument développé dans cette thèse veut que la simplification de la mode des décennies 1770 et 1780 soit révélatrice du retour vers la nature qui s'amorce à la même période. Au-delà des calculs des designers et des caprices des consommateurs, la mode simplifiée de la fin du siècle révèle un sentiment nouveau de la nature.

Le marché de la mode est lui-même en pleine transformation au XVIIIe siècle. Une nouvelle culture commerciale émerge dans laquelle la cour de Versailles est en partie éclipsée par Paris, qui s'affirme comme le haut-lieu de la mode française. Les monarques doivent alors partager leur rôle d'arbitre de la mode avec les marchandes de modes, les artistes, et les jeunes élégants de la capitale. De privilège réservé à une élite, la mode devient accessible à un plus grand nombre de personnes au XVIIIe siècle. La capacité à suivre ses fantaisies reste encore, bien entendu, fortement limitée par les revenus et les niveaux de vie. Néanmoins, tous les Parisiens, du journalier à l'aristocrate, voient le nombre d'articles augmenter dans leurs armoires, en même temps que la valeur totale de leur garde-robe s'accroît et qu'elle gagne en diversité.3 L'extension du marché de la mode motive enfin la naissance de la presse de mode et le recours à de nouvelles formes de

3 Voir à ce sujet l'ouvrage de Daniel Roche, La Culture des apparences: une histoire du vêtement XVIIe-XVIIIe siècle (Paris: Fayard, 1989). Cette étude repose sur l'interrogation et la comparaison de deux stocks

d'inventaires après décès pris respectivement vers 1700 et vers 1789, composés d'échantillons provenant de différents groupes sociaux. D'autre part, cet enrichissement n'est pas exclusif à la population urbaine. À la même époque, on remarque le même phénomène chez une partie de la paysannerie et la constitution d'un nouveau groupe social, les « bourgeois ruraux. » À ce sujet, voir Pierre Goubert et Daniel Roche, Les

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publicité qui posent un défi aux anciennes pratiques de production et de distribution, modifiant le lien entre clientèles et fabricants.4

Indices d'une culture commerciale en pleine transformation, les gravures de mode se multiplient au XVIIIe siècle. Les deux tiers des recueils de gravures de mode et de costume produits sous l'ancien régime sont ainsi publiés après 1750. Parmi eux, la Gallerie des Modes et Costumes français constitue sans conteste la plus belle suite de gravures de mode françaises.5 Première publication périodique entièrement consacrée à la mode, elle étonne par sa longévité-la plupart de ces publications sont encore éphémères au XVIIIe siècle et durent l'espace de quelques années, voire de quelques mois.6 Les planches de la Gallerie des Modes, toujours datées, contiennent la plupart du temps une description des étoffes, de l'ornementation et du détail des habits représentés et sont ainsi une source privilégiée pour retracer l'évolution de la mode. Dans plusieurs cas, les brèves descriptions fournissent aussi des détails sur les endroits ou les circonstances dans lesquels les vêtements représentés peuvent être portés. Par ailleurs, comme la haute-couture aujourd'hui, ces images sont probablement adaptées dans les faits pour mieux correspondre à la réalité stylistique ou sociale. Les gravures demeurent des images idéalisées de la mode. Malgré cela, elles conservent l'avantage de leur périodicité et permettent de retracer l'évolution des canons de la mode.

Cette étude repose également sur des mémoires et des récits autobiographiques. Malgré les risques de distorsion, de romance ou d'exagération, ces sources offrent une perspective unique puisqu'elles permettent de reconstruire les pratiques individuelles et

4 Jennifer M. Jones, « Repackaging Rousseau: Femininity and Fashion in Old Regime France, » French

Historical Studies 18 (1994): 943.

5 Gallerie des Modes et des Costumes français, dessinés d'après nature, gravés par les plus Célèbres

Artistes en ce genre, et colorés avec le plus grand soin par Madame Le Beau (Paris: chez les Srs Esnauts et

Rapilly, 1778-1787). La collection originale contient plus de 400 planches.

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les significations culturelles reliées à la mode et au vêtement. Surtout, ces sources fournissent des informations précieuses sur les "vêtements en action;" elles sont riches en commentaires sur la réaction affective aux vêtements, sur le mouvement, le bruit et l'odeur des étoffes, sur les sensations issues du contact des vêtements et du corps ou encore sur l'effet des vêtements sur le COrpS.7

Les traités médicaux ou d'hygiène sont également une mine d'informations sur les vêtements en action. Au XVIIIe siècle, le corps humain reste encore intimement lié à son environneinent. La moindre variation de régime ou de climat peut altérer l'équilibre des humeurs et avoir des conséquences directes sur les qualités du corps ou son état de santé. Le vêtement, parce qu'il est la première couche de cet environnement, est un objet de préoccupation constant pour les médecins de l'époque. Nombreux sont ceux qui étudient et commentent les effets du costume sur le corps. Dans le cadre d'une étude qui, comme celle-ci, s'intéresse aux questions de confort et de commodité, ces données sont particulièrement signifiantes.8

Les œuvres littéraires, comme le théâtre ou le roman, placent également les vêtements en situation. Ces œuvres présentent un codage qui permet de retracer les significations culturelles attachées aux vêtements. Tout en cherchant parfois à dépasser le réel, les œuvres de fiction séduisent par les effets d'authenticité qu'elles produisent en donnant des descriptions proches de la vérité. Même s'il est virtuel, le vêtement littéraire

7 Lou Taylor, The Study of Dress History (Manchester: Manchester University Press, 2002), 102. 8 La littérature médicale reste encore mal exploitée par les historiens du costume et de la mode. Pour le

XVIIIe siècle, quelques études ont bien été publiées sur le sujet: Roche y consacre une douzaine de pages dans La Culture des apparences et l'article de Nicole Pellegrin, « L'Uniforme de la santé: les médecins et la réforme du costume, » Dix-huitième siècle 23 (1991) : 129-140, se veut un essai bibliographique des

sources imprimées sur le sujet. Pourtant, dans un ouvrage récent qui fait le point sur les approches théoriques et méthodologiques récentes en histoire du costume, Lou Taylor ne fait nulle part mention de la littérature médicale. Voir Lou Taylor, The Study of Dress History.

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fait donc appel au même codage que le vêtement réel. Cette logique, comprise par les lecteurs, est révélatrice de l'imaginaire et des formes de raisonnements de l'époque.9

Enfin, les traités d'esthétique, la critique d'art et les iconographies permettent d'entrevoir l'idée que cette société se fait du beau à l'époque. Les portraits, malgré le brouillage de significations auquel les conventions vestimentaires et esthétiques donnent lieu, présentent la façon dont on veut être vu et représenté. La naissance critique d'art révèle en outre la création d'un espace public autour de l'art. Cette transformation fait écho aux changements que connaît la culture commerciale à la même époque, à savoir l'entrée en scène de nouveaux joueurs qui brouillent la relation ancienne entre patrons et artistes et entre consommateurs et fabricants.

De nombreux historiens ont fait de la mode et du vêtement leur objet d'étude, à différents moments et selon différentes perspectives. Au 20c siècle, l'histoire du costume est jalonnée de grands noms comme François Boucher et Madeleine Delpierre.1o Leurs ouvrages sont utiles pour identifier les changements de mode et la terminologie propre à ce champ. Cependant, les raisons qu'ils proposent pour expliquer les changements de mode sont souvent insuffisantes. Leurs travaux relèvent d'une histoire traditionnelle du costume reposant sur l'examen minutieux de vêtements conservés dans les musées. Dans ces études, la description de l'artefact tient la première place et relègue souvent au second rang les conduites sociales et individuelles que l'analyse de l'objet devrait révéler. Enfin, ces ouvrages offrent peu de données précises en ce qui a trait à la production, à la distribution et à la consommation réelle des vêtements de même qu'à leur valeur

9 Roche, La Culture des apparences, 25.

IO François Boucher, Histoire du costume en Occident de l'Antiquité à nos jours (Paris: Flammarion,

1965); Madeleine Delpierre est l'auteure de plusieurs articles et a participé à la réalisation de plusieurs ouvrages sur le costume, pour le XVIIIe siècle elle est notamment l'auteure de Se vêtir au XVIIIe siècle

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significative. Essentiels pour connaître l'évolution de la mode, ces ouvrages doivent cependant être complétés par d'autres études afin d'en expliquer les changements.

Les ouvrages sur les textiles offrent une autre perspective pour l 'histoire du costume et de la mode. Souvent intéressés à mesurer l'effet de l'innovation technologique sur la production textile, leurs auteurs ont toutefois souvent échoué, par le passé, à mettre en relation de façon convaincante ces deux objets: les textiles d'une part, les vêtements et la mode de l'autre. Les études de Serge Chassagne contiennent ainsi des données précieuses sur l'industrie des cotonnades et des indiennes, mais très peu de références sont faites aux vêtements eux-mêmes, à l'évolution de leur coupe et de leur ornementation ou encore au phénomène de mode. Il Pourtant, certains auteurs ont montré

qu'il était possible et fructueux de réunir ce~ deux champs. L'ouvrage de Beverly Lemire, Fashion's Favourite: The Cotton Trade and the Consumer in Britain, 1660-1800, relie de façon convaincante les changements dans l'industrie textile, leurs effets sur le commerce et la consommation du coton et les changements de la mode britannique au XVIIIe siècle. 12

Le renouveau de l'histoire de la consommation et de la culture matérielle a, plus récemment, ouvert des voies intéressantes pour l'histoire de la mode et du costume. 13 Des

Il Chassagne est l'auteur d'études détaillées sur l'industrie du coton et de l'indiennage, en particulier sur la

manufacture d'Oberkampf à Jouy. Ses ouvrages sont, à ce titre, essentiels pour connaître les conditions de production, de distribution et de consommation de ces textiles. Serge Chassagne, Le Coton et ses patrons, France 1760-1840 (Paris: École des Hautes Études en Sciences Sociales, 1991) et Serge Chassagne et S.D. Chapman, European Textile Printers in the Eighteenth Century: A Study of Peel and Oberkampf(Londrcs : Heinemann Educational Books, The Pasold Fund, 19R 1).

12 Beverley Lemire, Fashion's Favourite: The Cotton Trade and the Consumer in Britain, 1660-/800 (Oxford: Paso Id Research Fund and Oxford University Press, 1991). Pour un aperçu plus détaillé de ce clivage entre histoire traditionnelle du costume et histoire des textiles voir Taylor, The Study of Dress History, 64-69.

13 Dès la décennie 1980, un renouveau se fait sentir avec la publication de l'ouvrage de Neil McKendrick, John Brewer et J.H. Plumb, The Birth of a Consumer Society: The Commercialization of Eighteenth-Century England (Bloomington : Indiana University Press, 1982). Cet ouvrage déplace l'objet d'étude de la production vers la consommation et s'intéresse déjà au rôle de la mode dans la consommation. Plus

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ouvrages comme celui de Daniel Roche mettent en relation les questions des matières premières, des procédés et des structures de transformation, de distribution et de mise en marché et des significations culturelles attachées aux biens de consommation. Puisant à même les archives notariales et les archives privées des commerçants ct des fabricants, cette étude fournit des informations précises sur la consommation réelle des vêtements. Roche réussit également à mieux y cerner la nature et le rôle des différents intervenants impliqués dans les processus de production, de diffusion et de commercialisation du vêtement et de la mode. Enfin, les ouvrages récents sur la consommation démontrent la diversité des significations attachées aux vêtements et à la mode. Au caractère ornemental ou utilitaire de la mode s'ajoutent des valeurs sentimentales et privées, elles-mêmes connectées à des notions d'identité et d'idéologie sociale.14

De 1770 à 1790, le costume des hommes perd de son ampleur et devient plus sobre. Ce changement laisse présager la « grande renonciation» des hommes à la mode au tournant du XI Xe siècle.15 La mode semble donc destinée, à la fin du XVIIIe siècle, à devenir l'apanage exclusif des femmes. Celles-ci semblent toutefois vouloir utiliser ce privilège avec retenue car la mode féminine est aussi marquée par la recherche d'aisance qui pousse les femmes à abandonner paniers et corps à baleines et à rédui~e l'ampleur de

récemment, l'ouvrage dirigé par John Brewer et Roy Porter, Consumption and the World ofGoods

(Londres: Routledge, 1993), atteste de la pluridisciplinarité de l'histoire de la consommation. Les études réunies dans cet ouvrage adoptent des perspectives et des méthodologies empruntées à la sociologie, à l'anthropologie et aux études culturelles et littéraires. Elles reposent sur le postulat qu'il est temps d'étudier

« one of the special features of Western Societies; notjust industrialisation or economic growth, but the capacity to crcatc and sustain a consumer economy, and the consumers to go with it. Modern Western economies have transformed the material world and thereby, it seems, stabilised the social and political. » Consumption and the World ofGoods, 1.

14 Lisa Tiersten suggère que le processus de construction d'identité d'un groupe peut être retracé à travers l'étude de sa consommation. Selon Tiersten, la consommation agit comme facteur d'identité au même titre que l'appartenance religieuse ou nationale, par exemple. Voir Lisa Tiersten, « Redefining Consumer Culture: Recent Literature on Consumption and the Bourgeoisie in Western Europe, » Radical HislOIy Review 54 (1993): 117-159.

15 L'expression est de J. C. Flügel, Le Rêveur nu: de la parure vestimentaire, trad. Jean-Michel Denis

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leurs vêtements. Pour les enfants, la simplification passe par l'acquisition d'un costume spécifique et plus fonctionnel, qui révèle le processus d'individualisation de l'enfant dans la société moderne. Afin de prendre la mesure des changements à l'œuvre à l'époque, le premier chapitre trace un tableau de l'évolution la mode chez le beau monde dans les années 1770 et 1780 et retrace la naissance et le développement d'une sensibilité nouvelle, marquée par le goût du naturel, du simple et du spontané.

Cette thèse se veut une réflexion sur la simplification de la mode française à la fin de l'Ancien Régime. Les chapitres qui la composent doivent donc être appréhendés pour ce qu'ils sont: différentes avenues de réflexion qui ne sont pas nécessairement reliées les unes aux autres, malgré leur caractère synchronique. Le deuxième chapitre montre comment la mode simplifiée trouve un premier élan--et même une caution scientifique-dans le discours médical du XVIIIe siècle. Le siècle des Lumières voit le développement de nouvelles perceptions du corps qui redéfinissent les limites entre le corps et son environnement. À l'image d'un corps faible qu'il convient de former à l'aide de "tuteurs" se substitue l'image d'un corps mieux distingué de ses supports et mû par une force interne. Les corps à baleines et les maillots, supposés soutenir le corps, sont alors la cible principale des critiques des médecins. De façon plus générale, tous les vêtements contraignants sont jugés néfastes pour la santé. D'abord critique d'une mode jugée contre-nature, la littérature médicale se révèle être, par ricochet, un puissant levier pour la nouvelle mode simplifiée.

Le troisième chapitre montre que des considérations esthétiques expliquent aussi en partie le succès de cette mode simplifiée. Pour les artistes et les théoriciens de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, l'avenir et le succès des arts résident dans la simplicité. Mais simplicité ne signifie pas ici manque de moyens. Par sa polysémie, l'idée

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de simplicité donne plutôt lieu à toute une gamme de solutions artistiques. Les tenants du goût néoclassique y voient la possibilité, par une économie de moyens plastiques, d'imposer un art moralisateur susceptible de parler à l'esprit. Les précurseurs du romantisme y voient plutôt la marque de la spontanéité et de l'expression sans artifice des sentiments. En fait, ce chapitre montre qu'à la fin du XVIIIe siècle, la simplicité fait appel aux deux grands pôles de l'homme: la raison et le sentiment.

Le quatrième chapitre étudie les emprunts faits à l'Angleterre et leur influence sur la mode française. Dans la seconde moitié du siècle l'anglomanie est un puissant facteur de renouveau en France. La mode anglomane en France ne se limite pas aux seuls emprunts directs; elle participe à une transformation plus profonde de la société et de la culture. En explorant certains aspects du mécanisme de diffusion de la mode, ce chapitre révèle que des idées, comme le confort ou l'égalitarisme, intégrées et naturalisées en France, sont en partie un résultat de l'influence anglaise qui s'exerce dès la première moitié du siècle. Ces idées sont de toute première importance pour comprendre la mode simplifiée des dernières décennies de l'ancien régime .

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Chapitre un

1770-1790 : simplification et recherche d'aisance dans la mode

Au cours des décennies 1770 et 1780, la mode subit en France de profondes transformations. Quoique donnant parfois lieu à des contradictions, de façon générale, elle se simplifie et se fonde sur une recherche d'aisance et de confort. Les formes s'assouplissent et on note l'abandon graduel des vêtements contraignants. Le costume s'allège : les lignes s'étriquent et se raccourcissent, les silhouettes deviennent plus filiformes et la préférence va à des étoffes plus légères. Perruques, poudres et fards tendent à disparaître. Ces changements s'affirment d'abord à la ville, berceau des modes et de l'innovation, la cour restant plus fidèle à la tradition.) Le beau monde, plus susceptible de s'intéresser à la mode, se laisse emporter par son tourbillon.

Les Modes enfantines

Au début du XVIIIe siècle, l'enfant ne se distingue de l'adulte par son apparence vestimentaire qu'avant l'âge de "raison," atteint vers six ou sept ans. Au-delà de ce moment, les différences s'estompent puisqu'il adopte un costume en tout point semblable à celui de ses parents.

Après sa naissance, l'enfant est lavé puis emmailloté, c'est-à-dire étroitement enveloppé dans des linges serrés par des bandelettes dont seule la tête émerge, parfois les bras (fig. 1). Le maillot doit protéger l'enfant du froid, prévenir les chocs et les accidents et assurer la rectitude des membres. À sa naissance, le corps de l'enfant est considéré

1 Madeleine Delpierre, « Petite chronologie d'une révolution dans la mode, » dans Modes et Révolutions 1780-1804, éd. Musée de la mode et du costume (Paris: Musée de la mode et du costume, 1989), 11-12.

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comme inachevé; le maillot a une action proprement civilisatrice et doit façonner le corps du nourrisson afin de tenir en échec une animalité toujours prête à s'épanouir.2

Lorsqu'il quitte le maillot, l'enfant adopte une robe longue en une seule pièce, lacée dans le dos et adaptée aux deux sexes, appelée "fausse-robe" pour les filles et "jaquette" pour les garçons. Dans les familles aisées, la robe est portée avec un corps baleiné qui a pour but de redresser et de soutenir le corps de l'enfant, jouant ainsi un rôle similaire à celui du maillot. Peu de distinctions existent donc entre l'habit de l'enfant et celui de l'adulte, si ce n'est sa taille réduite. Néanmoins, comme l'a montré Philippe Ariès, le monde de l'enfance se crée lentement pendant la période moderne, rythmé par ses propres activités et meublé d'objets et d'habillements qui lui sont propres. Vers 1750, les distinctions signifiées par le costume entre l'enfance et l'âge adulte sont encore toutefois bien limitées. Deux signes, les rubans et les lisières, permettent alors de caractériser le premier âge de la vie. Les lisières, qui consistent en deux liens cousus dans le dos de la robe, ont une fonction précise et servent à garantir des chutes l'enfant qui apprend à marcher. Les rubans, deux larges bandes de tissu pendantes fixées dans le dos de la robe au niveau des épaules, n'ont quant à eux aucune utilité: ils semblent être les descendants atrophiés des fausses manches du XVIe siècle. Selon Ariès, « pour distinguer l'enfant qui s'habillait auparavant comme les adultes, on a conservé à son usage, et à son usage exclusif, des traits des costumes anciens que les grandes personnes avaient abandonnés, parfois depuis longtemps.3» Cette différenciation vestimentaire ne s'articulerait donc pas tant sur un souci d'adapter le costume aux nécessités de l'enfance,

2 Catherine Join-Diéterle et Françoise Tétart-Vittu, éd., La Mode et l'enfant: 1780-2000 (Paris: Somogy et

Paris Musées, 2001), 19; Nicole Pellegrin, Les Vêtements de la liberté: abécédaire des pratiques vestimentaires en France de 1780 à 1800 (Paris: Alinéa, 1989), article « Emmaillotage. » 3 Philippe Ariès, L'Enfant et la viefamiliale sous l'Ancien Régime (Paris: Seuil, 1973),50.

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mais relèverait plutôt d'un certain archaïsme vestimentaire. Le béguin, porté par tous les hommes au Moyen Age, mais réservé aux enfants depuis le XVIIe siècle, illustrerait le

~ h' , 4 meme p enomene.

Lorsqu'ils atteignent l'âge de raison, les enfants quittent la robe pour prendre un costume en tout point semblable à celui de leurs aînés. À ce moment, le petit garçon adopte, en général, la culotte et les bas, assortis de la chemise, du justaucorps et de la veste. La fillette, quant à elle, endosse les mêmes vêtements que sa mère: corps étroit, lourdes coiffures et larges paniers. Dans La toilette du matin de Chardin, on note l'extrême ressemblance entre le costume de la fillette et celui de sa mère, toutes deux vêtues d'une robe du même modèle, d'une pélerine et d'un bonnet (fig. 2). D'autres tableaux du même artiste représentent également des petits garçons, occupés à leurs jeux

d'enfants, mais déjà vêtus comme des adultes. La gouvernante montre un jeune garçon vêtu d'un justaucorps aux basques amples à la mode des années 1740, dissimulant presque entièrement la culotte dont on n'aperçoit que la jarretière sous le genou (fig. 3). Son costume, complété par des bas, des souliers à boucle et un tricorne, a toute l'élégance de l'habit porté par les hommes de l'époque. Bien que le costume ne permette pas encore de le distinguer, l'enfant est déjà représenté dans un monde à part, en partie circonscrit par les jouets abandonnés sur le sol et reflète déjà une nouvelle image de l'enfance, qui se définit au fil du siècle.

Cette nouvelle conception de l'enfance mène, dans le dernier tiers siècle, à un profond renouvellement des modes enfantines. Conjuguée à l'idée nouvelle d'un corps actif, à modeler par des forces dynamiques,5 cette conception incite des gens, de plus en

4 Ibid., 47-51.

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plus nombreux, à s'élever contre le costume qui avait jusqu'alors été celui de l'enfant. Jean-Jacques Rousseau, avec la publication de L'Émile en 1762, se fait l'instigateur de ce renouveau. Dans son ouvrage, Rousseau se dresse notamment contre l 'habit à la française qui, « gênant et malsain pour les hommes, est pernicieux pour les enfants.6» Au contraire, « les membres d'un corps qui croît doivent être tous au large dans leur vêtement; rien ne doit gêner leur mouvement ni leur accroissement, rien de trop juste, rien qui colle au corps; point de ligatures.7 » Peu à peu, et bien que limité à une partie du beau monde parisien, on assiste à l'abandon progressif du maillot au profit de simples langes pour les nourrissons.

Ces nouvelles modes enfantines sont toutefois plus manifestes chez les garçons que chez les filles. Ariès l'a déjà montré en soulignant que les garçons sont les premiers à acquérir un vêtement distinctif.8 Encore en 1788, François Watteau de Lille montre une famille bien nantie où les enfants, à peu près tous du même âge, sont pourtant habillés très différemment (fig. 4). Alors que le garçon est vêtu « à la matelote,» un habit qui le distingue nettement de son père à l'arrière-plan, les fillettes sont quant à elles déjà vêtues comme leur mère et ce, même si elles sont encore occupées à jouer à la poupée. Bien adapté aux besoins des garçons en âge de se déplacer, le costume à la matelote est constitué d'un pantalon à pont long, boutonné sur une veste courte, et agrémenté d'une large ceinture nouée à la taille et d'un col rond. Souple, il procure une entière liberté de

6 Jean-Jacques Rousseau, Émile ou De L'Éducation (1762; réimpression, Paris: Garnier-Flammarion,

1966),159 .

7 Ibid., 158-159.

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mouvement à l'enfant et ne le tient pas trop chaud. Il a également l'avantage d'être d'entretien facile et de s'enlever aisément grâce au boutonnage du pantalon à pont.9

D'après les résultats obtenus par Anne Sanciaud-Azanza dans son étude de la représentation de l'enfance dans l'estampe française, ce sont d'abord les garçons des milieux aisés, éclairés et sensibles à la mode qui, à partir des années 1770, adoptent le costume à la matelote. 10 Son apparition y précède toutefois de peu les premières gravures de mode le montrant. Ainsi, il figure déjà dans les premières parutions de la Gallerie des modes qui commencent à paraître en 1778 (fig. 5). À partir de cette date, ce costume figurera régulièrement dans les gravures de mode mais également dans toutes les représentations d'enfants issus du beau monde. Lorsqu'elle fait la rencontre du Dauphin en 1784, la baronne d'Oberkirch ne manque pas de remarquer son habit à la matelote et note dans ses mémoires que « c'était la grande mode pour les petits garçons. Il » Plus

négligé que la jaquette ou l'habit à la française, il pénètre néanmoins les cercles devant observer la plus stricte étiquette et laisse sentir le petit vent de liberté qui souft1e dans les garde-robes de l'époque.

L'habit à la matelote lui-même se transforme pendant cette période. Une gravure faisant partie des livraisons de la Gallerie des modes pour l'année 1780 montre un petit garçon vêtu d'un habit à la matelote apprenant à marcher, soutenu par les lisières que tient sa gouvernante, et dont la tête est protégée par un bourrelet (fig. 6). Bien que libéré du corps rigide et de la jaquette encombrante, l'enfant représenté sur cette gravure est encore assujetti à certaines contraintes. Ces dernières entraves tombent peu à peu et il est 9 François Boucher, Histoire du costume en Occident de l'Antiquité à nos jours (Paris: Flammarion, 1965),

313.

10 Anne Sanciaud-Azanza, « L'Évolution du costume enfantin au XVIIIe siècle: un enjeu politique et

social, » Revue d'histoire moderne et contemporaine 46 (1999): 777-778.

Il Henriette-Louise von Waldner, baronne d'Oberkirch, Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de

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possible de voir des habits à la matelote sans lisières ni bourrelet. D'autres vont encore plus loin. Dans Le premier pas de l'enfant, le petit garçon au centre de la composition est vêtu simplement d'une camisole courte: il est tout à fait libre de tenter ses premiers pas, sous le regard émerveillé de sa mère et de sa gouvernante (fig. 7). Les choix en matière d 'habillement enfantin peuvent parfois différer; la tendance générale est toutefois à la recherche de liberté et d'aisance dans les mouvements.

Bien que pour elles le changement soit moins saisissant, les fillettes voient elles aussi leur costume se transformer au même moment. Vers le milieu du siècle, les fillettes du beau monde sont de plus en plus représentées en fourreau, une robe ajustée mais sans corps. Le portrait de Marie-Antoinette et de ses enfants exécuté par Wertmüller montre ainsi Madame Royale, en robe de mousseline les cheveux flottant librement (fig. 8). Selon Sanciaud-Azanza, la mode enfantine est alors un banc d'essai pour les modes féminines.12 L'influence de l'habillement des petites filles sur la mode féminine s'affirme dans la décennie 1780 alors que les fourreaux deviennent très populaires pour les tenues informelles. La ressemblance de ces robes blanches avec la tenue des petites filles ne passe pas inaperçue aux yeux des contemporains qui les nomment «chemises à l'enfant.» Mme Lavoisier, pour son portrait exécuté par David, porte une robe de ce genre. Le modèle, taillé de façon assez lâche, est retenu au cou et à la taille par une coulisse. La taille est marquée par un large ruban bleu. Le tout respire la simplicité et l'harmonie de l'intimité partagée par les époux Lavoisier (fig. 9). Cette robe est tout à fait semblable à celle portée par la marquise de La Tour du Pin lors de sa première rencontre avec son futur époux: «On portait alors des robes lacées par derrière qui marquaient

12 Sanciaud-Azanza, « L'Évolution du costume enfantin au XVIIIe siècle, » 782-783; voir aussi

Join-Diéterle et Tétart-Vittu, La Mode et l'enfant, 146 et Clare Rose, Children 's Clothes since 1750 (London:

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beaucoup la taille, et que l'on nommait des fourreaux. J'en avais une de gaze blanche, sans aucun ornement, et une ceinture gros bleu de beau ruban avec des bouts effilés de soie brillante, qui venait d'Angleterre. 13» La transformation du costume des fillettes laisse ainsi présager, avant l'heure, les changements qui surviennent quelques années plus tard chez les femmes.

Les Modes féminines

Apparue vers 1720, la robe à la française devient, entre 1740 et 1770, la toilette courante des grandes dames et la tenue de cérémonie des petites bourgeoises. Ce modèle est constitué de plis en double épaisseur qui partent du milieu de l'encolure et flottent librement dans le dos (fig. 10). Devant, le corsage ajusté se fixe de chaque côté d'une pièce d'estomac richement décorée et le manteau s'ouvre largement sur un jupon plus ou moins orné. Les manches plates s'arrêtent au coude et sont terminées par deux ou trois volants d'où sort l'engageante, une manchette de dentelle à plusieurs rangs. 14 Adoptée par

toutes les femmes, matière et richesse du tissu variant seules, cette robe connaît son heure de gloire sous le règne de Louis XV. Alors qu'elle impose les diktats de la mode, la marquise de Pompadour se fait représenter de nombreuses fois par François Boucher, toujours vêtue de robes à la française. Elle semble avoir porté de façon très régulière ce vêtement puisque même lorsque Boucher la peint dans des situations informelles, c'est toujours d'une robe à la française dont elle est vêtue (fig. Il).

13 Henriette-Lucy Dillon, marquise de La Tour du Pin Gouvernet, Journal d'unefemme de cinquante ans (1778-1815), éd. Christian de Liedekerke Beaufort (1979; réimpression, Paris: Mercure de France, 1989), 67-68.

14 Boucher, Histoire du costume en Occident, 296 ; François Alexandre Pierre de GarsauIt, L'Art du tailleur, contenant le tailleur d'habits d'hommes; les culottes de peau, le tailleur de corps de femmes et enfants, la couturière et la marchande de mode ([Paris] : L. F. Delatour, 1769), 49-51.

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Le modèle à la française est conçu pour être posé sur un panier, c'est-à-dire sur une Jupe de dessous tendue sur des baleines ou des cercles de jonc ou de métal. Pour le costume de cour, les paniers atteignent une ampleur étonnante: en 1728, les paniers des princesses du sang qui encadrent la reine dissimulent celle-ci à la vue du public.15 La quantité d'étoffe requise pour recouvrir une armature de ce type n'est pas moins étonnante: lorsqu'elle est présentée à la reine en 1784, la baronne d'Oberkirch doit soutenir le poids énorme des vingt-trois aunes de brocart d'or qui composent sa robe! 16

La robe à la française doit aussi être portée avec un corps à baleines. Le corps est un vêtement très rigide, armé d'un long busc en fer sur le devant et pourvu de baleines dans la doublure, qui affine la taille, hausse la poitrine et rejette les épaules en arrière.17 C'est, selon l'expression de François Alexandre de Garsault, une « cuirasse civile; car il ne doit pas plier, mais cependant avoir assez de liant pour se prêter aux mouvements du corps qu'il renferme, sans altérer sa forme, & en même tems le soutenir & l'empêcher de contracter de mauvaises situations.18 » Cet accessoire rend pénibles tous les mouvements. Bien des années plus tard, lorsqu'elle évoque les bals de l'époque, la comtesse Stéphanie de Genlis ne manque pas de mentionner les gênes imposées par la parure féminine:

Les dames de la cour n'y dansoient qu'en grands habits, avec d'énormes paniers; des grands corps dont les épaulettes, découvrant les épaules, permettoient à peine de lever les bras; des chaussures étroites et pointues, portées sur de hauts talons; des bas de robe d'une longueur immense; un habit d'une épaisse et riche étoffe brodée d'or; une coiffure d'une prodigieuse élévation et surchargée de pierreries; de lourdes girandoles de diamans suspendues aux oreilles complétaient ce costume, avec lequel il étoit difficile de danser lestement. 19

15 Boucher, Histoire du costume en Occident, 296.

16 Oberkirch, Mémoires, 335 ; 23 aunes équivalent à 27 mètres.

17 Delpierre, Se vêtir au XVIIIe siècle, 20-21.

18 Garsault, L'Art du tailleur, 38.

19 Stéphanie Félicité Ducrest, comtesse de Genlis, Dictionnaire critique et raisonné des étiquettes de la cour, des usages du monde, des amusemens, des modes, des mœurs, etc., des François, depuis la mort de Louis XlII jusqu'à nos jours, contenant le Tableau do la Cour, de la Société, et de la Littérature du

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dix-•

Quoique les occaSIOns officielles aient imposé des règles strictes aux femmes dans le choix de leur costume, celles-ci pouvaient néanmoins se permettre un peu plus de liberté pour l'ordinaire.

Dans le dernier tiers du siècle, la mode ne fait plus la sourde oreille à ce genre de désagréments. Les commerçants qui utilisent la rubrique consacrée aux modes dans le Journal de Paris en sont bien conscients lorsqu'ils tentent de faire la publicité de leurs produits?O Évidemment, la nouveauté et l'élégance des vêtements et des accessoires demeurent des qualités vantées par les commerçants. Mais, parallèlement, on tente également de rejoindre l'acheteur en louant la commodité et la légèreté des marchandises, l'économie de temps qu'elles occasionnent et même, quelquefois, leur modicité. Par exemple, un entrefilet annonce en 1784 une coiffure « qui réunit la grace à la légéreté, [qui] se place avec facilité & n'exige conséquemment que peu de soins & dépenses.21 » Bien que cette simplification annoncée soit loin de pouvoir toujours être vérifiée, c'est tout de même en partie sur cette base que se fait la commercialisation. Comme le souligne Madeleine Delpierre, la mode du temps ne va pas sans contradictions: alors que dans une recherche d'aisance et de liberté on dégage la taille, parfois les chevilles, on n'en continue pas moins de surcharger la tête par d'extraordinaires échafaudages.22 Pourtant, les innovations, la recherche de costumes plus souples et moins encombrants, s'accélèrent dans le dernier tiers du siècle. La simplification s'observe d'abord pour les toilettes composant le « négligé,» alors que le vêtement de cour, plus officiel, subit peu

huitième siècle: ou L'Esprit des étiquettes et des usages anciens comparés aux modernes, vol. 1 (Paris: P.

Mongie aîné, 1818), article « Bals parés et bals masqués, » 66.

20 Le Journal de Paris, publié quotidiennement, commence à paraître en 1777. On y retrouve, de façon

intermittente, une rubrique traitant des modes. Celle-ci sert généralement à faire de la réclame pour les marchands de la ville .

21 Journal de Paris, 3 février 1784.

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d'altérations. Le négligé n'a pas encore alors le sens péjoratif qu'il acquerra plus tard . Marqué par l'influence anglaise, il n'est pas compatible avec des formes élaborées et on l'oppose simplement au « costume de rigueur, » d' « étiquette, » ou de « parure.23» Cette recherche effrénée du négligé n'en est pas moins essentielle pour comprendre le phénomène de mode à l'époque puisque d'après Françoise Tétart-Vittu, il recouvre « tout l'habillement de fantaisie ou selon le goût propre de l'individu, ce qui en fait l'expression de la mode véritable?4» Un fossé se creuse, dans le dernier tiers du siècle, entre le costume prescrit à la cour et celui choisi à la ville. Même si la robe à la française demeure la toilette de parure des élégantes, elle est par contre détrônée à la ville. La mode, qui s'exprime d'abord dans le négligé, permet à ces dernières de choisir entre plusieurs nouveaux modèles qui gagnent rapidement leur faveur.25

Dans la seconde moitié du siècle, sous l'influence des modes anglaises notamment, des modèles nouveaux apparaissent. Ces tenues se caractérisent d'abord par leur corsage ajusté dans le dos qui dégage complètement la taille et se porte sans paniers. Les plis du dos qui constituaient l'espèce de manteau de la robe à la française disparaissent alors complètement (fig.12). Différentes variantes courtes, caracos, pierrots et justes, sont également confectionnées, donnant plus d'aisance dans les mouvements (fig. 13). Autre variante très populaire, la robe à la polonaise a l'avantage de permettre les transformations puisque les devants et le dos sont d'une pièce jusqu'au bas de la robe et

23 Dictionnaire de l'Académiefrançaise de 1762, dans L'Atelier historique de la langue française :

l'histoire des mots [cd-rom] (Marsanne: Redon, 1999), 1 cd-rom; 12 cm, article« Négligé.»

24 Françoise Tétart-Vittu, « 1780-1804 ou vingt ans de "révolution des têtes françaises," » dans Modes et révolutions, 1780-1804 (Paris: Musée de la mode et du costume, Palais Galliéra, 1989),44.

25 Cette diversité de choix ne relève pas seulement de la norme présentée par la gravure ou la publicité, mais

est également attestée par les travaux réalisés d'après les inventaires après décès, voir Daniel Roche, La Culture des apparences: une histoire du vêtement XVlle-XVllle siècle (Paris: Fayard, 1989), 142-146.

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peuvent à volonté se retrousser pour former les ailes et la queue.26 Plus courte que la robe à la française et rendant la marche plus aisée, elle détrône cette dernière comme tenue courante (fig. 14). Enfin, la lévite, une robe à grand col châle nouée à la taille par un ruban, est en fait une robe de chambre et manifeste ce désir évident de simplification et de liberté (fig. 15).27 Les gravures des périodiques de modes qui commencent à paraître confirment ce changement puisqu'une large part de celles-ci sont consacrées à ces nouvelles tenues pour le négligé.

Dans les années 1780, les paniers disparaissent complètement à la ville et le corps à baleines s'assouplit. On lui substitue souvent un corset, ou corsage de dessous, en toile robuste mais non baleiné.28 Le goût pour la mousseline, une étoffe de coton fine et légère, se développe et donne lieu à différentes tenues pour le négligé. Sous ces robes transparentes, les femmes portent souvent un corset et un jupon de couleur, le plus souvent bleu ou rose.29 En 1783, la reine choisit de se faire représenter dans une de ces robes pour un portrait exécuté par Élisabeth Vigée Le Brun (fig. 16). Exposé au Salon la même année, le portrait cause un scandale, assurant du même coup la popularité de ce vêtement. Les « chemises à la reine» font dès lors fureur et figurent dans les livraisons de la Gallerie des Modes l'année suivante (fig. 17). Souvent confectionnée de gaze ou de coton, cette espèce de tunique illustre probablement de la façon la plus saisissante le changement alors en cours.30 La chemise à la reine partage avec les fourreaux, ou chemises à l'enfant, la simplicité de la coupe et le blanc comme couleur dominante.

26 Delpierre, Se vêtir au XV111e siècle, 32.

27 Delpierre, « Petite chronologie d'une révolution dans la mode,» 12.

28 Ibid., 35; ce changement est également confirmé pilr l'étude des inventaires après décès de Daniel Roche,

La Culture des apparences, 141.

29 Comte de Reiset, Modes et usages au temps de Marie-Antoinette: livre-journal de Madame Éloffe. marchande de modes, couturière lingère ordinaire de la reine et des dames de sa cour, vol. 1, 1787-1790,

(Paris: Firmin-Didot, 1885),242 et planche 57.

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':-O-.

Confectionnées dans des étoffes légères, elles sont de plus en plus favorisées pour le négligé. Lorsqu'elle se marie en 1787, le trousseau offert à la marquise de La Tour du Pin ne se compose « que de linge, de dentelles et de robes de mousseline. Il n'y avait pas une seule robe de soie.3l » La simplicité du négligé a conquis sa place dans le cœur des femmes à la mode.

Les Modes masculines

Le costume masculin créé à la fin du règne de Louis XIV est conservé tout au long du XVIIIe siècle, sans toutefois être exempt de modifications qui en simplifient les lignes. Malgré ces transformations, le justaucorps, la veste et la culotte demeurent les trois pièces essentielles de l'habit complet.32

Sous la Régence, le justaucorps a beaucoup d'ampleur et possède des basques longues, qui vont jusqu'au genou, à la manière du vêtement porté par le personnage qui figure à l'extrême-gauche du tableau de Jean Dumont, dit le Romain (fig. 18). Pour en assurer la tenue, il n'est pas alors inhabituel d'y ajouter un entoilage de crin.33 Le justaucorps, porté ouvert sur la veste, est pourvu de manches garnies de larges parements et de dentelles qui s'arrêtent à la saignée du coude pour laisser dépasser celles de la veste. La veste possède également des basques, souvent de la même longueur que celles du justaucorps. Garnie de boutons sur toute sa longueur, seuls trois ou quatre servent vraiment car elle est portée ouverte pour laisser apparaître la chemise et son jabot. La

31 La Tour du Pin, Journal d'unefemme de cinquante ans, 72.

32 L'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers [cd-rom] (Marsanne: Redon, 1999),4 cd-roms; 12 cm, article « Tailleur. »

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culotte, enfin, est le plus souvent invisible puisqu'elle s'arrête au genou et est presque entièrement recouverte par le justaucorps et la veste.

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, l'évolution de l'habit à la française est principalement marquée par la perte d'ampleur et la simplification des lignes. Selon Delpierre, en vingt ans, de 1750 à 1770, l'habit à la française perd le tiers de son étoffe.34 Les plis sont graduellement repoussés vers l'arrière et la silhouette devient de plus en plus effilée. Les basques raccourcissent et les manches s'ajustent sur les bras. Celles de la veste disparaissent complètement vers 1763 et celle-ci, sans basques, commence à être appelée gilet. La veste se porte plus souvent fermée et le jabot voit sa popularité diminuer au profit de la cravate.

La garde-robe masculine subit une évolution similaire à celle des femmes alors que de nouveaux éléments viennent s'y ajouter, surtout dans la seconde moitié du siècle . Les recherches de Daniel Roche sur les inventaires après décès attestent de ce changement et révèlent que ces nouveautés concernent avant tout le négligé puisque, comme le rappelle la marquise de La Tour du Pin, « on n'avait pas encore adopté l'usage d'être en frac et en chapeau rond à dîner, surtout à Versailles. Jamais un homme comme il faut n'aurait voulu y être vu autrement qu'avec son épée et habillé.35 » Le divorce entre la garde-robe de cour et celle de la ville se manifeste particulièrement entre 1770 et 1790 puisque la redingote et le frac deviennent les favoris du négligé.36 La redingote, cet ample vêtement de drap à collets superposés est introduite vers 1725 sous l'influence anglaise du riding-coat (fig. 19).37 La recherche de nouveautés pour le négligé mène également à

34 Delpierre, Se vêtir au XVIIIe siècle, 40.

35 La Tour du Pin, Journal d'une femme de cinquante ans, 68 . 36 Roche, La Culture des apparences, 135.

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l'apparition, vers 1766-1767, du frac, un justaucorps léger (fig. 20). Plus négligé que l'habit à la française, le frac se porte sans épée et supplante ce dernier à la ville. Caraccioli, dans son Dictionnaire critique, rend compte de la transformation en cours : « Les jeunes gens ont maintenant la plus grande partie de leur garde-robe en déshabillés; ils trouvent les fracs plus commodes et plus élégants que les habits.38 » Pour Caraccioli comme pour ses contemporains, « commode, » alors entendu au sens de ce qui convient ou est adapté à l'homme, a une signification très proche de la notion moderne de confort.39 Pour beaucoup, le confort vestimentaire passe à l'époque par la simplification de l'habit telle que proposée par la mode.

La mode est également marquée, dans les décennies 1770 et 1780, d'un goût très fort pour le naturel, illustré notamment par les changements successifs qui affectent la coiffure masculine. Sous la Régence, les lourdes perruques du temps de Louis XIV sont peu à peu délaissées: seuls quelques hommes âgés ou exerçant des professions libérales continuent de les porter.40 Elles sont remplacées par les perruques à ailes de pigeon, à bourses ou à catogan. D'ampleur plus modeste, ces dernières respectent mieux les proportions normales du corps. Dans le dernier tiers du siècle, le souci pour le naturel est encore plus manifeste, lançant de nouveaux défis aux perruquiers:

Les hommes ont contracté depuis quelques années un attachement pour leurs cheveux, qu'ils n'avoient pas il y a un demi-siècle; aussi les perruques deviennent elles journellement plus rares. Quand le front s'agrandit trop, au lieu de sacrifier le reste de ses cheveux, on a recours a des faux toupets. Le grand art du Perruquier est alors de les faire & de les appliquer de manière qu'ils aient l'air de se confondre avec la chevelure & de sortir, comme elle, de la peau de celui qui les porte.41

38 Louis-Antoine Caraccioli, Dictionnaire critique, cité dans Pellegrin, Les Vêtements de la liberté, article « Déshabillé. »

39 Witold Rybscynski, Le Confort: cinq siècles d'habitation, trad. Claire Dupond (Montréal: Du Roseau,

1989), 102 ; Dictionnaire de l'Académie française, article « Commode. » 40 Delpierre et Ruppert, Le Costume français, 143.

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Vers 1780, l'abandon progressif des perruques permet à toute une série de nouveaux chapeaux de venir orner la tête des hommes, cantonnant quelque peu le tricorne au costume d'étiquette. Pendant un temps, les perruques et la poudre avaient obligé les hommes à porter leur chapeau sous le bras. Vers 1780, la poudre tombant des têtes à la mode et les jeunes gens ayant pris l'habitude de porter leurs cheveux naturels, le chapeau retrouve sa place d'origine sur la tête tout en multipliant ses formes pour le négligé.42

Les Cotonnades: petite chronique d'un mouvement de mode

Arrivées sur le continent européen au XVIIe siècle comme tissu d'ameublement, les cotonnades font rapidement le saut vers le costume puisqu'elles offrent un toucher inédit et l'avantage d'être plus propres et confortables que les étoffes traditionnelles, ne sentant ni le suint ni l'urine.43

L'avance de ce textile se vérifie également dans les garde-robes des particuliers et s'explique en partie par ce que Daniel Roche définit comme étant l'invention du linge.44 Selon lui, il est juste de parler d'un tel phénomène au XVIIIe siècle car, à cette époque, l'usage ordinaire du linge se généralise dans toutes les couches sociales de même qu'il s'améliore, en qualité et en quantité, dans les couches supérieures de la société. Bien qu'elle ne puisse y être réduite, cette invention s'explique par des transformations liées à l'hygiène. À partir du XVIe siècle, le linge blanc devient un signe de politesse et de distinction. Cette norme se maintient dans la première moitié du XVIIIe siècle, alors que la propreté du linge vaut, pour un temps encore, pour la propreté du corps entier. La

42 Delpierre et Ruppert, Le Costume français, 171-172.

43 ' ,

Serge Chassagne, Le Coton et ses patrons, France 1760-1840 (Paris: Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1991), 23 ; Catherine Join-Diéterle et Pascale Gorguet Ballesteros, éd., Le Coton et la

mode: 1000 ans d'aventures (Paris: Somogy et Paris Musées, 2000), 50-51.

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diversité du linge et la capacité d'en changer fréquemment permet d'afficher sa propreté aux yeux des autres.45 Cette norme est conservée même lorsque, dans la seconde moitié du siècle, la propreté change de sens et n'est plus uniquement attachée à l'habillement mais concerne plutôt le corps en tant que tel. Même si elles relèvent dorénavant d'une hygiène nouvelle, la possession et la propreté du linge demeurent des éléments de distinction.46 Le travail de Roche sur les inventaires après décès montre qu'au début du XVIIIe siècle, en ce qui concerne le linge, le nécessaire est acquis pour tous, dans les couches moyennes et supérieures de la société française, mais que le superflu n'est gagné que par une petite minorité. En 1789, la situation a beaucoup évolué: les éléments nécessaires se sont généralisés et les possessions se sont diversifiées par la multiplication des pièces, des accessoires et des façons. Cette invention du linge va de pair avec une progression du coton puisque, de plus en plus, cette matière vient remplacer les textiles traditionnels-le chanvre, le lin et leurs mélanges-dans la fabrication des étoffes. L'Encyclopédie, largement inspirée sur cette question du traité de L'Art de la lingère de Garsault, rend compte de cette transformation. Les pièces qui sont décrites à l'article « lingère» vont bien au-delà de la simple chemise puisqu'on y retrouve des coiffures, peignoirs, mantelets, fichus, camisoles, tabliers, manchettes et garnitures de toutes sortes et de toutes façons. Les mousselines et les basins, toiles de coton très fines, les cretonnes et les futaines, plus robustes, tiennent une place de choix parmi des étoffes plus traditionnelles.47 Les tissus doux et légers gagnent en popularité dans la seconde moitié du siècle, alors que la technologie permet une diversification grandissante des étoffes et

45 George Vigarello démontre, dans la seconde partie de son ouvrage, l'instauration graduelle de cette

nonne hygiénique. George Vigarello, Le Propre et le sale: l'hygiène du corps depuis le Moyen Age

(Paris: Seuil, 1985).

46 Ibid., 149-150.

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de leurs usages. La mode des cotonnades ne se limite pas à son emploi dans la confection du linge puisque le goût pour les robes de percale ou de mousseline blanches dans les décennies 1770-1780 permet également à ces étoffes de faire leur chemin dans les armoires de l'époque.

Le XVIIIe siècle voit ainsi l'importation et la progression de la mise en marché de ces étoffes, attestée par la multiplication et la spécialisation des points de vente. En 1777, une vingtaine d'années après la levée de l'interdiction pesant dans le royaume contre les indiennes, ou toiles de coton peintes, on ne retrouve à Paris, selon l'Almanach Dauphin, que deux magasins spécialisés dans la ve'1te de ces étoffes. Les autres commerces se répartissent principalement en magasins de soieries et lainages et en marchands de toiles. En 1789, l'Almanach général recense vingt-quatre magasins d'indiennes et autres toiles imprimées, auxquels s'ajoutent les merceries spécialisées. De même sont alors recensés deux cent quatre marchands de toiles, incluant les lingères, et dix-huit magasins de mousselines.48 Bien que la totalité du commerce des cotonnades ne puisse être reconstruit à partir de ces seuls indicateurs, ceux-ci démontrent néanmoins sa progression dans l'économie de la mode française.

L'engouement pour les toiles peintes dans la seconde moitié du siècle révèle également la progression de ces textiles dans les armoires françaises. Arrivées sur le marché au XVIIe siècle, les indiennes sont rapidement prohibées. Le 26 octobre 1686, un arrêt du gouvernement proclame l' « interdiction de porter, vendre, acheter des "toiles peintes" » et de « peindre des toiles blanches.49 » La politique protectionniste de Colbert

48 Almanach dauphin ou tablettes royales, Paris, 1777 et Almanach général des marchands, négociants,

armateurs de la France, Paris, 1789, cités dans Join-Diéterle et Gorguet Ballesteros, Le Coton et la mode,

141-142.

Figure

Figure  J.  Antoine Raspal, Madame Privat et ses deux filles,  vers  1775.
Figure 2.  Jean-Baptiste Chardin,  La Toilette du matin,  vers 1740.
Figure 3.  Jean-Baptiste Chardin,  fJa  Gouvernante,  1738.
Figure 4.  François Watteau de Lille, La Saint-Nicolas,  1788.
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Références

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