Par Pr. Dr Geoffrey GRANDJEAN
Les énergies au XXIe siècle : entre réalités et potentialités |
Energievoorziening in de XXIste eeuw: tussen werkelijkheid en
mogelijkheid
En ce début du XXIe siècle, nous sommes résolument
tournés vers le futur dans le cadre du séminaire scientifique qui nous réunit cet après-midi au Sénat, grâce à la Fondation d’Arenberg.
Certains pourraient s’en réjouir car nous allons aborder la chaude problématique des énergies dans une perspective intergénérationnelle, tournée vers le futur.
En sortant de cet hémicycle, Mesdames et Messieurs, vous serez rassurés :
car le réchauffement climatique sera dernière nous, car de nouvelles possibilités énergétiques s’offriront à nous,
car des solutions pour moins polluer auront été trouvées,
car, tout simplement, nous aurons confiance dans le futur.
Mais si toutes ces pistes n’étaient qu’illusions voire un piège démocratique ? Peut-être [Silence]
En nous focalisant sur les réalités et les potentialités des
énergies au XXIe siècle, plusieurs problématiques seront
abordées. Le Professeur Ronnie BELMANS nous montrera
que, pour pouvoir réduire la demande en énergie et surtout limiter la consommation de CO2, il faut changer de paradigme et passer d’un système de production
énergétique centralisé à un système décentralisé. Le
Colonel en retraite Roger HOUSEN nous entretiendra sur les
conséquences de la pollution en insistant notamment sur la pollution de l’air comme la crise majeure en termes santé public et en nous montrant que l’augmentation globale de la température de 2° C suggère que le risque de guerre civile peut augmenter de plus de 50%. Ensuite,
le Professeur Samuel FURFARI nous prouvera que les
questions énergétiques sont indissociablement liées à la vie. Sans énergie, il n’y a pas de vie. À cet égard, l’abondance des énergies fossiles redistribue les cartes
géopolitiques mondiales. Le Professeur Damien ERNST nous
proposera quant à lui un réseau globalement interconnecté qui peut être technologiquement faisable et économiquement compétitif. Enfin, nous pourrons
compter sur l’incomparable talent de Philippe LAMBRECHT
pour conclure nos travaux et nous offrir des réflexions de nature à stimuler la discussion au-delà de l’événement de cet après-midi.
Mesdames et Messieurs vous ne sortirez pas rassurés de cet hémicycle.
Avant de laisser la parole aux intervenants, permettez-moi de vous proposer une double réflexion politologique.
Première réflexion
Je voudrais interroger avec vous la manière dont nous investissons le futur. Comme observateur de la vie politique, je perçois une tendance à mobiliser de nombreux indicateurs, chiffres, graphiques qui doivent nous permettre d’identifier l’évolution d’une série de variables dans le futur. C’est par exemple le cas du prix de l’électricité, du prix de l’essence, de l’évolution des températures sur la planète, entre autres. Nous finissons par produire des tendances futures qui orientent et déterminent nos comportements actuels.
Autrement dit, nous prédisons un futur pour mieux contraindre nos comportements présents. Cette façon de faire mérite d’être questionnée.
Pendant de nombreuses années, ce n’est pas le futur qui a déterminé le présent, c’est le passé qui nous a éclairé sur nos conduites présentes. L’objectif était ainsi d’éviter de commettre les mêmes erreurs que par le passé, avec un succès mitigé puisque l’être humain semble difficilement tirer les leçons du passé. D’ailleurs, le
philosophe français Jacques BOUVERESSE écrit que nous
excellerions « jusqu’à la virtuosité dans l’art de ne pas tirer de conséquences »…
À présent, et la problématique de ce séminaire le montre avec une certaine acuité, nous établissons des modèles
de prédictions pour mieux orienter nos actions présentes. Le futur détermine donc le présent.
Deuxième réflexion
Pourtant, et il s’agit là d’un paradoxe, avec les nombreux discours alarmistes que nous entendons sur les questions énergétiques, il semble que l’angoisse et la peur alimentent notre réflexion, comme si nous cherchions à nous faire peur. En effet, plusieurs indicateurs sont au rouge.
Autrement dit, nous nous faisons peur, nous nourrissons une angoisse, à travers des projections futures pour mieux déterminer nos comportements présents.
Mais la peur ou l’angoisse doivent-elles guider nos actions politiques ? Cette question est cruciale car elle place les émotions au cœur de l’action publique. Ainsi, un
politologue américain, Georges E. MARCUS, soutient que,
« pour que la démocratie puisse fonctionner […], la politique a besoin de l’émotion, car ce n’est qu’en étant passionnés [voire angoissés] que les citoyens feront usage de leur raison, laissant momentanément de côté leur propension à s’en remettre à l’habitude ». Mais accepter que les émotions soient le moteur d’une démocratie vivace n’est-il pas le plus sûr moyen de laisser triompher les forces de dissociation que suscitent l’égoïsme et l’aveuglement des membres d’une société ?
Plus fondamentalement, le modèle déterministe qui semble être le moteur de nos politiques publiques ne doit-il pas être remis en question ? Si on accepte que la démocratie est un régime politique qui est constamment remis en question, nous devons refuser toute forme de déterminisme économique, social, politique ou encore scientifique qui ne nous permet pas de prendre une décision en toute autonomie. De ce point de vue, la démocratie n’est en fait qu’un moment car elle implique d’être réinventée de manière perpétuelle.
Or, en proposant des actions présentes basées sur des prédictions futures, ne sommes-nous pas en train de déposséder à l’avance les générations futures du seul bien qui nous est commun ; c’est-à-dire la planète ?
Chers Collègues, à partir de cette question un brin polémique, je vous laisse développer vos visions et vos propositions en matière énergétiques en espérant que vous pourrez faire dialoguer raisonnablement les réalités
et les potentialités que nous offre le XXIe siècle.