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L'oeuvre d'art figurative : un espace de transfert

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Academic year: 2021

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HAL Id: hal-02862318

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02862318

Submitted on 24 Jun 2020

HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

L’oeuvre d’art figurative : un espace de transfert

Stéphane Lapoutge

To cite this version:

Stéphane Lapoutge. L’oeuvre d’art figurative : un espace de transfert. Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Beni Mellal - Maroc. Nouvelles Recherches en Sciences Humaines. Langage, Es-thétique et Représentations Culturelles, Association Art et Imageries pour la Culture et le Développe-ment, 2018, Littérature art et langue (ISSN : 2550-6412). �hal-02862318�

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HAL Id: hal-02862318

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L’oeuvre d’art figurative : un espace de transfert

Stéphane Lapoutge

To cite this version:

Stéphane Lapoutge. L’oeuvre d’art figurative : un espace de transfert. Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Beni Mellal - Maroc. Nouvelles Recherches en Sciences Humaines. Langage, Es-thétique et Représentations Culturelles, Association Art et Imageries pour la Culture et le Développe-ment, 2018, Littérature art et langue (ISSN : 2550-6412). �hal-02862318�

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Stéphane Lapoutge

Résumé :

Toute reproduction d’un objet du monde concret ou abstrait que l’artiste réduit sous une forme figurative, à l’instar d’une peinture ou d’une photographie, consiste en un transfert du réel redistribué dans un dérivé surréel à la suite d’une opération de transmutation d’éléments saillants. Ces éléments sont déplacés d’un territoire vers un autre, en fonction de modalités inhérentes au code graphique usité, au médium et à l’intentionnalité de l’artiste, dont l’œuvre n’existe que parce qu’elle est vue, et dès lors coconstruite. L’œuvre d’art serait alors à voir comme un nouvel espace cathartique capable de concaténer les rapports de l’Homme au Monde, les rapports intersubjectifs à partir des concepts qu’elle fait émerger, dans la mesure où elle modifie le réel en en offrant une nouvelle vision sans cesse mise à l’épreuve.

___________________________________________________________________________ Titre : « l’œuvre d’art figurative : un espace de transfert »

Le principe même de transfert véhicule bien des images associées à des domaines variés, contigus ou distants. Si le déplacement de l’objet semble bien s’opère d’un espace à un autre, que celui-ci soit réel ou non, sa dimension symbolique et l’impact que cela peut générer au niveau des imaginaires singulier et/ou collectif et des horizons d’attente ne sont pas toujours reçus ou vécus de la même manière selon les territoires, au sens concret et abstrait, irradiés. Nombreux sont en effet les transferts qui, tout au long de l’Histoire, ont considérablement modifié le cours des existences, des sociétés, des espaces, des modes de pensée, des pratiques, des représentations, etc., comme en a pu témoigner Fernando Ortiz1. Ce concept-action, largement identifié dans le domaine de la médiation (inter)culturelle, pourrait n’entraîner qu’une interrogation sur la notion d’éthique si l’on se limitait aux transferts associés aux déplacements de populations, d’infrastructures administratives ou économiques, de frontières…, à l’origine d’exodes à des niveaux centrés ou plus excentrés. Qu’ils aient été positifs ou négatifs, qu’ils soient en instance d’accréditation ou d’objection, tous les transferts semblent en revanche se dérouler selon un modèle qui relie sporadiquement - les notions de temps et d’espace sont précisément inscrites en filigrane dans l’affixe /trans-/ - des territoires dont l’un est tantôt l’embryon, tantôt le cannibale de l’autre. Et ce principe semble également valoir pour toutes les formes artistiques, parmi lesquelles les arts graphiques, objet de notre propos. Notre réflexion, pour l’essentiel épistémologique, tentera de décrire la genèse du transfert autour du phénomène artistique, plutôt que d’apporter des réponses définitives, en se fondant sur des éléments théoriques et concepts empruntés à quelques champs disciplinaires des Humanités.

Le principe de transfert renvoie à un mécanisme de déplacement d’un objet d’un espace vers un autre. Il est conditionné par un processus de transmutation inhérent aux modalités qu’il exploite et qui dépendent du médium qui le véhicule, mais aussi du système de signes, de la cible visée et de l’intentionnalité de l’émetteur : il s’agit là exactement du schéma de la communication décrit par Jakobson2. Ce mécanisme est donc constitué et constitutif d’une

dialectique nécessairement plurielle, comme le montre effectivement le principe même de commutativité entre les différents pôles qui organisent le dispositif communicationnel jakobsonien : toutes les fonctions de la communication sont actives à l’intérieur du phénomène artistique, dont la fonction poétique, comme nous le préciserons par la suite en abordant la

1Ortiz, Fernando, Controverse cubaine entre la tabac et le sucre, Montréal, Québec, éd. Mémoire d’encrier, coll.

Essai, 2011, traduit de l’espagnol par Jean-François Bonaldi.

2 Jakobson, Roman, Essais de linguistique générale, Paris, éd. de Minuit, coll. Points, 1963. L'oeuvre d'art figurative : un espace de transfert

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métaphore. En outre, le phénomène de transfert est parfaitement identifiable à l’intérieur d’une même forme langagière, ce que Gérard Genette3 explicite autour du concept de transtextualité

- décliné en sous-catégories en fonction des types de rapports - , selon lequel, pour le paraphraser ici, certains éléments d’un texte signalent la présence d’un autre texte au moins en son sein, ce qui suppose, comme il le précise autrement, que le texte n’est pas en soi un matériau premier, mais clairement les réseaux qu’il crée et qui fondent alors toute sa poétique. Mais ce phénomène est aussi visible d’une forme langagière à une autre, à l’instar du roman que l’on adapte au cinéma : ainsi, pour exemple, Moderato Cantabile (1958), de Marguerite Duras, adapté par Peter Brook en 1960, et répondant aux codes esthétiques de la Nouvelle Vague, mouvement cinématographique de rupture, influencé par les élans de liberté de la société de l’époque, comme Duras rompt avec les codes du roman classique, tout en (se) refusant une inscription dans le Nouveau Roman. Dans le cas de la représentation graphique, c’est-à-dire du rapport entre le réel et sa forme dérivée, autrement nommée surréalité, un procédé rend également possible la conversion de l’univers référentiel dans une forme figurative. Ce cheminement vacillerait presque entre éthique et esthétique s’il se limitait à cristalliser le seul principe de ressemblance. Platon4, d’ailleurs, critiquant la peinture, la considérait déjà comme une simple imitation de la réalité, mais totalement dépourvue de son essence. Ce point, qui soutient notre propos, nous signale que le principe de ressemblance est à dépasser pour des raisons supplémentaires à celles mentionnées par Platon, car toute production figurative induit aussi une réflexion sur l’intention de l’artiste et sur les rapports qu’il entretient au monde, rapports exprimés par le biais de son œuvre qui ne saurait être pleinement identique à ce qu’elle présentifie. En effet, les arts graphiques, en tant que substituts, que modes de représentation, que formes langagières, sont des lieux de transmutation du réel : le représenté devient autre chose que lui-même et le représentant possède des qualités qui lui sont propres, et qui font de lui un objet à part entière, c’est-à-dire autonome, donc possédant une vie, notamment sociale : « La transmutation, […], signifie que quelque chose est d’un coup et en totalité autre chose et que cette autre chose, qu’il est en vertu de la transmutation, est son être vrai, au regard duquel son être antérieur est nul et non avenu. […]. Ainsi l’expression employée, celle de « transmutation en figure » signifie que ce qui existait auparavant n’existe plus, mais aussi que ce qui existe maintenant, ce qui se présente dans le jeu de l’art, est le vrai qui subsiste »5. En ce

sens, les arts graphiques relèvent justement de la notion de transfert, qui consiste à passer d’un territoire à l’autre, de celui du réel vers celui du surréel : toute création artistique est en effet une surréalité, en tant qu’elle se situe au-delà du réel, en tant qu’elle n’est pas le réel, mais qu’elle en propose une certaine figuration qui sera divulguée dans la sphère de la sociabilité et recomposée, précisément coconstruite par des publics qui se reconnaîtront en elle, parce qu’elle fera sens à un moment donné, dans un certain espace-temps. De ce fait, « Ce que nous appelons œuvre d’art, et dont nous faisons une expérience esthétique, repose donc sur la réalisation d’une abstraction »6, l’expérience esthétique étant une expérience de nature sociale, voire sociologique, et non directement liée au Beau, entre un objet et des sujets, ou entre des sujets, comme nous le rappelle autrement Jean Caune7. Conséquemment, et en tant que formes langagières non verbales, les arts graphiques procèdent selon les mêmes modalités que les signes linguistiques : ils sont des objets qui représentent ; ils sont mis pour autre chose qu’eux-mêmes puisqu’ils sont les abstractions conventionnelles de ce qu’ils remplacent. Ce principe nous renvoie alors aux théories du signe et aux concepts qui l’alimentent, notamment ceux décrits par le structuralisme, grâce à Saussure, et élargis par d’autres dans son sillage, tels 3 Genette, Gérard, Palimpsestes : La littérature au second degré, Paris, Seuil, 1982.

4 Platon, La République, Livre X, Paris, ed. Gallimard, coll. Folio, 1993, traduction de Pierre Pachet. 5 Gadamer, Hans-Georg, Vérité et méthode, Paris, éd. du Seuil pour la trad. française, 1996, p.129. 6 Idem, p.102.

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Jakobson, Benveniste, Eco ou encore Pierce, pour ne citer qu’eux : le signifiant, le signifié, le référent, auxquels sont corrélées les notions intrinsèques d’arbitraire et de motivation du signe. A la manière du signe linguistique, les arts graphiques jouent une fonction de mise en substitution reposant sur la dichotomie territorialisation/déterritorialisation ; et en tant que transfiguration du réel, ils peuvent être vus comme une description de ce dernier, c’est-à-dire comme des objets empreints de la subjectivité de ceux qui les produisent : il s’agit donc bien là d’une expérience esthétique construite par référence entre un sujet et un objet, l’artiste et le monde, expérience qui se renouvellera par inférence entre un objet et un sujet, à savoir l’œuvre et son regardeur. L’œuvre figurative, description du réel dans une forme surréelle, serait alors le produit d’actes figuratifs identiques aux actes de langage dits constatifs, mais ici réduits, si l’on peut dire, non plus dans des signes linguistiques, mais dans des signes iconiques pour l’essentiel, et agrémentés, entre autres, de signes indexicaux - plastiques et/ou esthétiques -, l’ensemble ayant par nature, en fait par culture, une valeur symbolique. Et comme tout acte de langage, à partir du moment où l’œuvre est reconnue comme forme langagière faisant sens, c’est-à-dire comme une parole sur le monde, elle découle de l’activité de pensée de son créateur. Comme l’a dit Charles Sanders Peirce8 en d’autres termes, l’activité de pensée n’est réalisable qu’à partir des signes ; pour aller plus loin et illustrer notre propos au regard des arts graphiques, sans détourner la pensée de l’auteur, nous dirons que l’activité de dire le monde dans un espace littéral figuratif fonctionne selon le même principe. Rappelons que pour Pierce, un signe est une abstraction formée de trois éléments : « un signe, ou Representamen, est un Premier, qui

entretient avec un Second, appelé Objet, une telle véritable relation triadique qu’il est capable de déterminer un Troisième, appelé son Interprétant, pour que celui-ci assure la même relation triadique à l’égard du dit Objet que celle entre le Signe et l’Objet »9. Le representamen est un

signe matériel ; ce dernier dénote un objet de la pensée et du dire grâce à un interprétant, c’est-à-dire une représentation mentale de la relation engendrée entre le representamen et l’objet. L’interprétant est donc un élément essentiel de cette relation puisqu’il est le déclencheur de la relation de signification. L’interprétant est lui-même un signe que l’on pourra mobiliser à l’infini grâce au rapport de proximité qu’il entretient avec d’autres signes, comme c’est le cas dans l’œuvre d’art graphique. Il s’agit d’un « rapport pragmatique entre un signe et un autre :

l’interprétant est donc toujours aussi un signe, qui aura son interprétant »10. Ainsi, deux

processus se confondent dans une relation symbiotique : celui de la pensée et celui de la signification pour introduire celui de la sémiosis. Ce processus, auquel on doit l’émergence du sens parce qu’il met en présence un objet et un sujet, des sujets - destinateur et destinataires -, constitue en outre un des éléments de la sémiotique de la culture : l’objet artistique est un donné matériel - signe - qui, une fois décodé, du moins interprété par des publics, se transforme en un

objet de pensée construit par la représentation mentale que se font les publics de la relation

entre ce même objet artistique et l’objet de leur pensée. Ce va-et-vient est quasi inépuisable : la variété des significations qui en résultent est rapport à la variété des contextes d’actualisation dans la sphère de la réception, comme en atteste cette phrase de Marcel Duchamp, prononcée lors d’une conférence en 1914 : « Ce sont les regardeurs qui font les tableaux ».

La métamorphose du réel en un surréel pensé figuré dans une représentation de nature graphique est donc une opération double, à la fois référentielle et inférentielle : référentielle, en ce sens que le monde, réel ou imaginaire, en est le substrat, telle Gala, épouse et muse de Dali, visible de dos dans Personnage à la fenêtre (1925), vue de face dans L’Angélus de Gala (1935) ou dans des représentations à la Vierge, telle La Madone de Port Lligat (1950) ; 8 Peirce, Charles Sanders, Ecrits sur le signe, Paris, éd. du Seuil, G. Deledalle pour le trad. française, 1978. 9 Ducrot, Oswald, Todorov, Tzvetan, Dictionnaire encyclopédique des Sciences du Langage, Paris, éd. du Seuil,

1972, p.114.

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inférentielle, en ce sens que tout regardeur opère, par une sorte de traduction, une transmutation par le biais du transfert, pour recomposer l’univers source de l’artiste. Par conséquent, la matière brute qu’est l’univers référentiel naturel ou imaginaire dans lequel l’artiste puise, et qui se présente alors comme un environnement d’influence, comme un primo texte, est convertie en signes plastiques et/ou esthétiques pour être communiquée. L’œuvre d’art graphique est ainsi la communication d’une expérimentation du monde rendue possible par une mise en scène iconique, iconologique et iconographique d’espaces expérimentés par l’artiste, des environnements d’influence, physiques ou psychiques, qu’il éprouve dans des espaces expérimentant constitutifs de sa création et du rapport qui s’instaurera par la suite dans la sphère de la réception par le truchement de sa création. Ainsi, le monde, préalable à toute création artistique - à tout, d’ailleurs -, agit de manière coercitive sur l’artiste et l’enjoint à dénouer, par et dans sa production, un ensemble d’apories qui se libèrent selon le principe de territorialisation/déterritorialisation évoqué ci-avant ; certaines de ces apories concernent l’échelle (réduction du modèle pour des effets de réalisme/vraisemblance), d’autres la gamme chromatique pour des effets stylistiques, d’autres encore touchent la forme elle-même, comme en témoigne le cubisme, par exemple. Cette transmutation première consiste en un transfert du donné, vu comme primo texte, vers l’imaginé, c’est-à-dire la figuration produite. La substance des référents, ou objets du monde réel ou imaginaire, est métamorphosée dans la substance du système de signes que l’artiste affectionne, et au regard du mouvement auquel il adhère ; à leur tour, ces signes sont actualisés dans la mémoire des signifiés : la réalité devient ainsi surréalité, et ces deux entités se renseignent l’une l’autre dans la réciprocité, dans une circularité, comme cela apparaît entre tous les éléments qui composent le schéma de la communication jakobsonien. De fait, toute œuvre d’art de nature figurative, comme elles le sont toutes in fine, transfère en elle un certain univers qu’elle transmute dans un contenu qui recèle toutes les vérités sur le monde perçu et reçu : l’œuvre d’art est donc bel et bien une création collective, exécutée par la fusion d’horizons distincts comme l’atteste Gadamer [1996], cité notamment par Jean Caune : « L’émergence de l’œuvre se réalise dans la fusion de deux horizons : celui de l’auteur qui donne forme et sens, celui du public qui interprète cette forme et ce sens en fonction de l’instance du présent qui est la sienne »11. L’univers extralinguistique, primo texte ou

proto-texte de tout artefact, insuffle à l’œuvre d’art, par le principe du transfert, une mémorialité, que l’on peut définir comme la capacité à faire mémoire, qui permet d’accéder à la référence, ce qui suppose donc que l’artiste ne peut en aucun cas créer en dehors de toute réalité, qu’aucune création artistique n’est à considérer comme un objet ex nihilo. L’on peut, pour exemple, songer à nouveau à Dali dont certaines toiles contiennent des « indicateurs picturaux d’espace à valeur déictique »12 qui « […] orientent la démarche du regardeur vers une stabilité physique matérialisée par les rochers de Cadaques […] »13. Le réel, ici les rochers, sont présents dans des

œuvres comme Venus et amour (1925), Objet surréaliste indicateur de la mémoire instantanée (1932), ou encore Le spectre du sex-appeal (1932) : ils sont des actes graphiques constatifs.

Figurer le monde dans une représentation graphique, c’est donc inventer une pensée sur lui grâce au transfert, en en faisant disparaître certaines qualités au profit d’autres. C’est le transformer en autre chose que lui-même pour le communiquer dans une forme répondant aux canons et codes esthétiques d’une époque, d’un courant donné, ou en vue d’opérer une rupture qui conduit à un renouveau : « La couleur de la chose, le son de la chose, l’odeur et le goût de la chose, etc., toutes ces qualités auraient beau apparaître « corporellement » adhérentes à la 11 Caune, jean, Pour une éthique de la médiation, Grenoble, PUG, 1999, p.p. 89, 90.

12 Lapoutge, Stéphane, « Le contemporain ou la conjonction des ego, hic et nunc », dans Bernadette Rey

Mimoso-Ruiz (Dir.), Automne 2012, (D)écrire le contemporain, Toulouse, Institut catholique, Revue Inter-Lignes, 2012, pp.11-24.

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chose et comme appartenant à son essence, elles ne seraient pas la chose elle-même et, sous la forme où elles apparaissent alors, elles ne seraient pas réelles, mais de simples « signes » à l’égard de certaines qualités premières »14. Par l’interprétation qui en est faite au travers de la

figuration, le monde subit une transfiguration sous l’effet d’une transmutation, deux étapes constitutives du transfert, ce que Danto nomme esthétisation. Il rajoute en d’autres termes que le but de cette esthétisation n’est pas de rendre beau, mais qu’elle consiste exactement en une mise en rhétorique, notamment par l’emploi de tropes, dont la métaphore. En effet, pour Danto, « la structure de l’œuvre d’art est identique ou semblable à celle de la métaphore15 ». Si l’on adopte ce point de vue, que l’on admet donc que l’œuvre d’art graphique est une mise en rhétorique d’un certain réel, celle-ci est alors indubitablement un artefact constitué par une série de signes constatifs, signes pour l’essentiel iconiques. Si enfin l’on admet que l’œuvre d’art est une métamorphose de la réalité, on peut alors la considérer comme une métaphore, c’est-à-dire un nouveau texte fondé à partir d’un proto-texte qui s’offre comme un déjà-là, qu’il soit le réel concret - géographique, historique, social, psychologique, etc. -, ou qu’il soit déjà le résultat d’un premier transfert, tel le roman - dont l’appellation même de fiction résume à elle seule l’ensemble du phénomène et de notre débat - adapté au cinéma. Cette idée générale, voire générique, si ce n’est génétique en certains lieux, se trouve renforcée par la définition que donne Grassi de la métaphore, permettant de l’entrevoir au-delà du seul champ linguistique : « […] le terme « transfert » (metapherein) n’a pas à l’origine une signification linguistique et encore moins littéraire ; le terme metapherein indique le transfert d’un objet d’un lieu vers un autre lieu, et ceci présuppose un « passage », un « transit », un « pont16 » ». La parole métaphorique, quelle qu’en soit la forme, s’avère alors productrice d’images, fonds même de la poésie. Ainsi, toute communication serait une métaphore exprimée dans un mode figuratif, dans un système de signes, linguistiques ou iconiques, entre autres. Dès lors, il semblerait que toute communication soit, au bout du compte, vouée à son propre recommencement, à celui évidemment de l’artiste toujours enclin à poétiser encore davantage la parole-image qu’il produit pour rendre compte de l’expérience qu’il a du monde : l’on peut ici faire référence aux multiples variations de Baigneuses de Paul Cézanne ou d’Henri Matisse, mais aussi à celles de Pablo Picasso, Raoul Dufy ou Paul Gauguin, peintres influencés par des mondes artistiques leur préexistant, ceux de Raphael, Rubens ou encore Botticelli. Ainsi, l’art serait, semblablement à la parole, une manière d'accéder à la connaissance, grâce à l’individualisation, en tant qu’il est une métamorphose de l’idée, elle-même métaphore du réel. Et seuls demeureraient les concepts qu’il transmet et que chacun peut éprouver à travers l’expérience esthétique au sens où l’entendent Gadamer, Jauss ou Caune. L’œuvre d’art serait donc essentiellement du domaine de la pensée conceptuelle, comme la plupart des signes linguistiques.

Lorsqu’un artiste qui pratique un art graphique dit quelque chose sur un objet, comprenons ici le reproduit dans une forme figurée, comme le fait le langue, exactement la langue, ledit objet deviendrait un objet saisi. Saisir l’objet, c’est dans un premier temps l’observer, et l’observer, c’est déjà anticiper sa transmutation, c’est-à-dire le penser pour en proposer une métaphore, une subjectivisation, fruit d’un transfert opéré à partir d’éléments considérés saillants par l’artiste. Ainsi, il faut sans aucun doute considérer toute œuvre d’art comme un objet intentionnel, comme une objectivation, et : « Grâce à cette objectivation, nous faisons face, dans l’attitude naturelle et donc en tant que membre du monde naturel, non à de 14 Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie, Paris, éd. Gallimard, coll. Tel, Paul Ricoeur pour la trad.,

1950, p.128.

15 Danto, Arthur, La transfiguration du banal : une philosophie de l’art, Paris, éd. du Seuil, J.M. Schaeffer pour

la trad., 1989, p.273.

16 Grassi, Ernesto, La métaphore inouïe, Paris, éd. Quai Voltaire, coll. La République des Lettres, M. Raiola pour

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simples choses naturelles, mais à des valeurs et à des objets pratiques de toute espèce, villes, routes avec leurs installations d’éclairage, habitations, meubles, œuvres d’art, livres, outils, etc. 17». En outre, et selon le processus de mise en forme, c’est-à-dire de mise en rhétorique opérée par l’artiste, se réalise effectivement un passage entre l’acte de perception et le résultat de celle-ci, rendu dans le perçu. On peut donc admettre sans réserve que « […] le perçu est un vécu intentionnel18 » et que ce perçu est simultanément un rendu objectivable, saisi, organisateur de dialectiques, comme nous l’avons signalé précédemment. Si tel est le cas, et si toute notre relation à l’art, et donc à la connaissance, s’organise selon ce que nous venons d’explorer, à savoir ce concept-action qu’est le transfert, alors toute forme de transmutation d’un objet du monde en une création figurative aurait des effets identiques à ceux des actes de langage performatifs si bien que, comme le déclare Gadamer : « La métamorphose en œuvre n’est pas simple transfert dans un autre monde19 », mais que ses effets sont à rechercher dans

d’autres lieux, d’autres activités, notamment cognitives, mais aussi symboliques, mémorielles, de transmission, etc. C’est là a priori ce qui fonde également tout l’éclectisme culturel et civilisationnel, et lorsque différentes cultures se rencontrent, qu’elles inventent ensemble de nouveaux territoires dans une dynamique interculturelle, elles créent des dialectiques novatrices parce qu’il existe, pour qui sait les voir, des zones poreuses entre les espaces auxquelles chacune appartient qui permettent le transfert d’informations en tous genres : ce principe suppose alors que chaque partie en présence ait conscience de l’existence d’une culture de l’interculturalité, réalité connue de la société des arts.

Bibliographie :

Caune, Jean, Esthétique de la communication, Paris, PUF, coll. Que sais-je, n°3259, 1998. Caune, jean, Pour une éthique de la médiation, Grenoble, PUG, 1999.

Danto, Arthur, La transfiguration du banal : une philosophie de l’art, Paris, éd. du Seuil, J.M. Schaeffer pour la traduction française, 1989.

Ducrot, Oswald, Todorov, Tzvetan, Dictionnaire encyclopédique des Sciences du Langage, Paris, éd. du Seuil, 1972, p.114.

Gadamer, Hans-Georg, Vérité et méthode, Paris, éd. du Seuil pour la trad. française, 1996. Genette, Gérard, Palimpsestes : La littérature au second degré, Paris, éd. du Seuil, 1982.

17 Husserl, op. cit., p. 121. 18 Husserl, op. cit., p. 123.

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Grassi, Ernesto, La métaphore inouïe, Paris, éd. Quai Voltaire, coll. La République des Lettres, M. Raiola pour la traduction française, 1991.

Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie, Paris, éd. Gallimard, coll. Tel, Paul Ricoeur pour la traduction française, 1950.

Jakobson, Roman, Essais de linguistique générale, Paris, éd. de Minuit, coll. Points, 1963. Lapoutge, Stéphane, « Le contemporain ou la conjonction des ego, hic et nunc », dans Bernadette Rey Mimoso-Ruiz (Dir.), Automne 2012, (D)écrire le contemporain, Toulouse, Institut catholique, Revue Inter-Lignes, 2012, pp.11-24.

Ortiz, Fernando, Controverse cubaine entre la tabac et le sucre, Montréal, Québec, éd. Mémoire d’encrier, coll. Essai, 2011, traduit de l’espagnol par Jean-François Bonaldi.

Peirce, Charles Sanders, Ecrits sur le signe, Paris, éd. du Seuil, G. Deledalle pour la traduction française, 1978.

Platon, La République, Livre X, Paris, ed. Gallimard, coll. Folio, 1993, traduction de Pierre Pachet.

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