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Le personnage arabe dans le cinéma français

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Academic year: 2021

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(2)

Le

personnage arabe dans le cinéma français

Par Fouad Sassi

Département d'histoire de l'art et d'études cinématographiques Faculté des arts et des sciences

Mémoire présenté à la faculté des études supérieures en vue de l'obtention du grade de maîtrise

en études cinématographiques

Avril 2008

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Université de Montréal Faculté des études supérieures

Ce mémoire intitulé

Le personnage arabe dans le cinéma français

Présenté par Fouad Sassi

a été évalué par unjury composés des personnes suivantes:

Edouard Mills-Afflf

...

Président-rapporteur Germain Lacasse Directeur de recherche Silvestra Marinello . Membre du jury

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RÉSUMÉ

Le but de ce mémoire est d'étudier la représentation du personnage franco-maghrébin dans le cinéma français. Pour cela, mon analyse portera sur les films de réalisateurs français - qui ne sont pas d'origines maghrébines - pour montrer que leur regard est différent de celui des quelques réalisateurs franco-maghrébin ou maghrébins que compte le cinéma français. Cette approche vise à apporter une perspective différente sur la représentation de l'Arabe, en s'appuyant sur l'histoire coloniale, économique et politique française. Ce mémoire se propose donc de dégager des constantes dans la représentation de 'l'Autre', l'étranger, l'arabe donc.

Le premier chapitre partira du cinéma colonial français pour arriver aux bouleversements économiques des années 70 en France qui feront passer l'Arabe au cinéma, du statut de colonisé à celui d'immigré. Le second chapitre s'intéressera au discours critique qui entoure les films étudiés dans notre corpus et nous verrons de quelle façon le climat politique, et le discours entourant les immigrés maghrébins et leurs enfants, se traduit sur les écrans français. La troisième partie montrera que des réalisateurs, avec un regard spécifique, peuvent dépasser les stéréotypes et offrir d'autres représentations du personnage franco-maghrébin.

MOTS-CLÉS

Colonialisme; représentation; stéréotype; étranger; immigré; Franco-maghrébin; banlieue; Saïd, Edward; Bourdieu, Pierre.

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ABSTRACT

The main objective of this Master' s thesis is to study the representation of the Franco-Maghrebi figure in French cinema. My study will foc us on feature ftlms made by French cinéastes, which are not of Maghrebi descent. This way, 1 want to show that their take on the subject is different from that of Franco-Maghrebi or Maghrebi filmmakers currently involved in the French film industry. This particular approach aims at offering a different perspective on the representation of the Arab by relying on the colonial, economic and political history of France. Thus, the present Master's thesis intends to locate and identify recurrent features in the representation of the Other, the Arab.

The first chapter will frrst put emphasis on French colonial cinema. It will then move on to the economic upheavals that ocurred in 1970s France. These, 1 will argue, contributed to the 'colonized' to immigrant shift of the Arab figure in French cinema. Chapter 2 will deal with the critical discourse that has accompanied the films included in my corpus. 1 will show in which ways the political context and the critical discourse accompanying Maghrebi immigrants and their children found an expression on French screens. In the third and fmal chapter, 1 will argue that, thanks to their specific sensibility, sorne filmmakers succeed in going beyond stereotypes and offering ~ltemative representations of the Franco-Maghrebi character.

KEYWORDS

Colonialism, representation, stereotype, foreigner, immigrant; Franco-Maghrebi; banlieue; Saïd, Edward; Bourdieu, Pierre.

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION Le personnage arabe dans le cinéma français ..•••.•••••••••••• 1

CHAPITRE 1 : DU COLONISÉ À L'IMMIGRÉ ... Il

1.1 L 'hérita.ge du cinéma colonial ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• I l

1.2 'L'immigré ou 'l'ennemi intérieur' ? .••••••••••••••••••••••••.•.•••••••.••••...•••..•• 21

CHAPITRE 2: 'BEURS', 'REUBEUS' ET AUTRES

'SAUVAGEONS' •••••.•• •• ••• ••• ••• •••••• ••••••••••••••• ••• ••••••••• •••••• •••••• ••• • ••••••••• 34 2.1 Du 'bougn.oul' au 'beur' •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 35 2.2 Arabes 'français' ou Français 'arabe'? la France 'black, blanc, beur'

..•.•.••.•...••...•...•...••.••.••••..•..•...••••••••••••••••..

~"

CHAPITRE 3: ARABE ET GA Y: UNE AUTRE VISION, . UN MÊME COMBAT? .••••••••••••••••••••••••••••..•.•..•.••••.•...••••••••...•.•....•••••••••• 61 3.1 Sortir de Paris, pour sortir des clichés? ...•...••••••••••••••...••••..••.•••••• 61 3.2 Une identité toujours en question ..•...•..•••••••••••••••••... ~ ....••••••••.•••••• 74

CONCLUSION et maintenant ..•••••••••••••••••..••••••••••••••••••••...•.••••.••••••••• 81

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Remerciements

Je tiens à exprimer ma reconnaissance à mon directeur Gennain Lacasse pour son intérêt et sa compréhension, à mon ami Florian Grandena pour son soutien

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« ( ... ) Déjà se forme l'image d'un univers où plus personne n'aura droit de cité. Dans tout citoyen d'aujourd'hui gît un métèque futur. » 1

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Ce mémoire porte sur le personnage arabe dans le cinéma français, pour une période couvrant essentiellement le milieu des années soixante-dix jusqu'aux années deux mille. Nous avons choisi de nous pencher spécifiquement sur les fùms réalisés par des réalisateurs français et non pas 'beur'. Cette dernière dénomination fait référence tout aussi bien à la 'seconde génération', comme on appelle les enfants d'immigrants, qu'aux réalisateurs venant des anciennes colonies du Maghreb. Comme l'a montré Abdlekader Benali dans Le cinéma colonial au Maghreb, 1

l'Arabe fait partie de l'imaginaire - on pourrait presque dire l'inconscient collectif - français. Du fait, bien entendu, de l'histoire qui lie la France à l'Algérie, mais aussi à la Tunisie et au Maroc. Son histoire coloniale a amené la France à donner de multiples représentations, aussi bien des pays cités plus haut, que de ses habitants. Dans cette relation de 'dominant' à 'dominé', ces représentations sont .donc encore plus révélatrices de l'idée que l'on se fait de soi et de l'autre, l'étranger, l'Arabe. C'est pourquoi, on comprendra aisément que nous nous soyons attachés au regard porté par des réalisateurs français et non pas 'beur'.

L'objectif global de ce mémoire est de montrer en quoi la représentation de l'Arabe dans les fùms français - que l'on parle de films commereiaux ou d'auteurs et dans des genres aussi différents que le polar, la comédie ou le drame - nous infonne sur la représentation que le cinéma français donne de son histoire coloniale, de la société française et d'une catégorie de citoyens qui la composent. Nous voulons identifier certaines figures récurrentes et tenter de définir et d'analyser leur portée historique, politique et esthétique.

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Pour cela nous étudierons un certain nombre de films, en opérant des recoupements et des comparaisons entre différents réalisateurs, à différentes époques. Nous montrerons justement que ces récurrences, même si elles partagent des points communs, ne disent pas la même chose selon l'époque. Bien après que l'aventure coloniale de la France au Maghreb se soit achevée, le personnage 'franco-maghrébin' s'est installé dans le cinéma français et bien qu'il ait eu de multiples avatars, il semble que le cinéma français lui ait réservé une place toute particulière.

La représentation du Maghrébin, et en allant plus loin, des enfants de maghrébins -d'où ce terme 'franco-maghrébien', qui souligne une double appartenance qui est d'importance, on le verra - nous conduit vers différents questionnements. Bien sûr, l'utilisation du terme 'Arabe' renvoie à des stéréotypes et c'est aussi ce qui nous intéresse car il fait appel à une dialectique de l'image, du regard et de l'Histoire. Un terme qui fait ainsi écho à un imaginaire significatif. Aujourd'hui même si on les appelle les 'beurs', ils restent toujours, en fm de compte, des Arabes, pour une France qui a du mal à regarder son histoire coloniale en face. À cet égard, il est assez intéressant de noter que beaucoup de ces fils et filles d'immigrants ne s'identifient qu'occasionnellement avec le pays d'origine et la culture de leurs parents. Ce qui n'empêche pas la perception globale de la population française, qui les regroupe sous ce terme générique 'd'Arabe'.

L'Arabe

et

le cinéma frangtÎS ; un 'vieux' couple

De

nombreuses recherches, et travaux, ont été consacrées au cinéma 'beur',

c'est-à-dire aux films réalisés par ces enfants d'immigrés nés en France, ou ayant vécu la majorité de leur vie en France, ainsi qu'aux films réalisés en France par des cinéastes des anciennes colonies françaises que sont l'Algérie, le Maroc et la Tunisie.

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Les caractéristiques principales de ces films étant qu'ils mettent en scène, et centrent leur propos sur des personnages 'beurs'. Nombre de ces études ont montré, en comparant les films de ces cinéastes 'beurs', ou maghrébins, avec les films de cinéastes français mettant en scène des personnages 'beurs', la différence d'approche et de traitement. Une des plus complètes étant celle de la britannique Carrie Tarr - Reframing difference, beur and banlieue filmaking in France} -qui tout en ayant principalement pour intérêt le cinéma 'beur' et les films ayant pour cadre la banlieue, développe d'intéressantes analyses du personnage 'beur' selon que le réalisateur soit 'beur' , maghrébin ou français. Il faut cependant souligner que, dès son introduction, elle rappelle la réticence d'un certain cinéma grand public a interroger le passé colonial de la France, ainsi que la volonté de maintenir la fiCtion de la supériorité culturelle et de la cohésion d'une nation française, principalement blanche. Erifm, elle précise que c'est, selon elle, ce traitement du personnage 'beur' dans le cinéma français grand public qui a contribué à la stigmatisation de la première génération d'immigrants venant du Maghreb et de leurs descendants. 2

Nous pensons d'ailleurs que ce n'est pas un hasard si les études les plus développés sur le cinéma 'beur' et le 'banlieue-film' - terme apparu dans les années 1990 et forgé par . la critique française, à propos des films ayant pour cadre la banlieue française - ne sont pas originaires de France. La France a toujours eu un problème avec l'idée de cOlnmunautés ethniques et de 'genre sexuel' - dans le sens anglo-saxon que lui donne les 'gender studies'. Ce n'est que récemment que l'on a commencé

à

parler ouvertement, par exemple, du regard particulier que pouvaient avoir sur la société française des réalisateurs gays (comme on le montrera dans le troisième chapitre) mais cela n'est pas seulement vrai dans le domaine artistique.

1 Tarr, Carrie, Reframing Difference: Beur and Banlieue Filmmaking in France, Manchester, Manchester

University Press, 2005, p. 49. { 1

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The central myths of national identity were thus in place before the rise of large-scale immigration into France during the nineteenth century. Entranced by the spell of those myths, historians in France continued to pay titde if any attention to the contribution of immigrants to the national experience even when, by the middle of the twentieth century, sustained migratory inflows had for several generations been an integral part of French society. 1

À cet égard,. la critique française a montré particulièrement de la résistance à analyser les films à travers un prisme autre que celui hérité de la nouvelle vague. Pour le pays 'inventeur' de la cinéphilie, il ne fallait pas mêler au discours sur le cinéma des notions comme celle de stéréotype, relations de pouvoir hiérarchique, eurocentrisme, etc. Comme le rappelle Antoine de Baecque, « la cinéphilie a « inventé» un cinéma qu'elle a aimé, jusqu'à la folie parfois, qu'elle a défendu, y compris jusqu'à l'aveuglement.» 2 Il s'agira

donc, en quelque sorte,· de recouvrer la vue, tant il est vrai que comme le soulignait Otto Pâcht : « il n'y a pas de voir sans savoir et que l' œil n' est jamais innocent. » 3

Pourquoi, alors que c'est une des minorités les plus nombreuses et les plus visibles, les Français d'origines maghrébines sont sous-représentés dans le cinéma français et quand ils le sont, c'est le plus souvent sous la forme de stéréotypes récurrents? Voilà une question que l'on se garde bien d'aborder. Il suffit pourtant de traverser la Manche pour que le questionnement sur la représentation des Arabes dans le cinéma français soit plus approfondi. Ainsi c'est encore Carrie Tarr qui, dans French cinema in the 1990s, continuity and difference 4, note que les films des réalisateurs français, comme Mathieu

1 Hargreaves, Alec G., Immigration, 'race' an ethnicity in contemporary France, London, Routledge, 1995,

p.5

2 Baecque, Antoine de, La cinéphilie, invention d'un regard, histoire d'une culture 1944-1968. Paris, Fayard,

2003, p. 24-25. .

3 Pacht, Otto, Questions de méthode en histoire de l'art, Paris, Macula, 1994, p. 84-85.

4 Tarr, Carrie, « Ethnicity and identity in the cinéma de banlieue» in Powrie, Phil (ed.), French cinema in the 1990s, continuity and difference, Oxford, Oxford University Press, 1999, p. 183.

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Kassovitz ou Jean-François Richet, ayant pour cadre la banlieue, mettent en scène la confrontation avec la police et la violence des jeunes, là où des réalisateurs beurs portent l'accent sur les questions d'identité et d'intégration à la société française. Susan Hayward relève quant à elle, dans French national cinema,1 que les Français sont plus préoccupés par les contraintes économiques que par la représentation de leur histoire.

Pourtant, si l'on s'est intéressé au cinéma 'beur' et au 'banlieue-film', il reste que la question soulevée par Carrie Tarr n'a jamais vraiment été traitée en tant que telle. L'idée que, volontairement ou non, on a mis en scène pendant des décennies, ~e personnage arabe comme une espèce de repoussoir, - comme une version « inférieure et refoulée », selon les mots de Said dans L'orientalisme'- de l'identité française. Dans ce livre portant sur la construction de l'Orient faite par l'Occident, Edward Saïd interrogeait le faït que

Les domaines scientifiques, tout autant que les œuvres de l'artiste, même le plus original, subissent des contraintes et des pressions de la part de la société, des traditions culturelles, des circonstances extérieures et des influences stabilisatrices : écoles, bibliothèques, gouvernements. 2

C'est cependant son livre Culture et impérialisme qui ouvre une voie plus pertinente pour cette recherche. Il s'agira de replacer, comme le fait Saïd pour la littérature anglaise, le cinéma français et ses réalisateurs dans leur époque, et sortir ces derniers de 'l'art pour l'art', position dialectique qui se retrouve utilisée dès que l'on parle du passé colonial français.

Je ne crois pas que les auteurS soient mécaniquement déterminés par l'idéologie. l'appartenance de classe ou l'évolution économique. Mais ils sont ancrés en profondeur dans l'histoire de leur. société, ils façonnent cette histoire et sont modelés par elle, ainsi que par leur vécu social, à divers degrés. 3

1 Hayward, Susan, French national cinema, London, Routledge, 1993, p. 285 2 Said, Edward W., L'orientalisme, Paris, Seuil, 1980, p. 232.

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Nous proposons donc de nous écarter de la stricte vision cinéphilique, généralement pratiquée par la critique française, pour offrir une perspective plus large de la représentation de l'Arabe dans le cinéma français. Il est cependant difficile de parler de la représentation du personnage arabe dans les films des réalisateurs français car elle a été analysée uniquement en comparaison avec les films des réalisateurs beurs. C'est pourquoi, sans reprendre l'image convenue de l'œuvre d'art reflet de son temps et de son époque, force est de reconnaître qu'il est certaines choses dont on ne peut faire abstraction quand on veut comprendre celui qui filme, ou qui écrit, et ce qu'il met en scène. De quelle position sociale nous parle-t-il, dans quel contexte historique s'inscrit-il mais - de façon peut-être plus marquante encore - c'est aussi dans ce qui n'est pas montré, et pas dit, que l'on peut entrevoir des pistes, des réponses. Car ces films s'inscrivent dans un discours, dans une représentation de 'l'étranger' qui a sa cohérence. C'est ainsi que selon Said, on ne peut lire l'œuvre de Camus sans «resituer L'Étranger, dans le noeud géographique où prend naissance sa trajectoire narrative» et donc « voir en ce roman une forme épurée de l'expérience historique. »1

Suivant donc en cela Edward W. Said, j'avance l'hypothèse que comme Albert Camus «est un romancier dont les oeuvres ont laissé échapper les réalités impériales qui s'offraient si clairement à son attention

»,z

certains cinéastes français laissent échapper, à travers la façon de mettre en scène le personnage arabe dans leur film, par une esthétique et un discours, les réalités sociales et idéologiques de leur époque.

1 Said, Edward W., op. cit., 2000, p. 267. 2 Said, Edward W., op. cit., 2000, p. 251.

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Il n'est pas question ici de contester le travail qu'opère sur la réalité tout réalisateur, à partir du moment où il décide de porter à l'écran une fiction puisque c'est sur ces fIlms-là, et non sur des documentaires, que je compte m'arrêter. Il s'agira plutôt de ne pas oublier qu'il n'y a pas d'essence pure de l'œuvre d'art, débarrassée des contingences historiques et sociales.

C'est ce dernier point que développe Pierre Bourdieu dans Les règles de l'art. Cela

peut nous fournir une autre piste d'analyse, nous amener à questionner l'influence, esthétique et idéologique, du champ artistique dans lequel opèrent ces réalisateurs. L'absence de personnage franco-maghrébin, ou sa présence mais le plus souvent caricaturale, relèverait donc de choix esthétiques mais aussi politiques. Si la fiction française présente le plus souvent une vision commune de la société française, particulièrement concernant les franco-maghrébins qui la composent, cela ne nous dit-il rien sur ces réalisateurs et sur la société qui produit ces œuvres ? La question n'est donc plus de savoir si c'est le regard qui fait l'œuvre d'art ou l'œuvre d'art qui fait qu'on la regarde, car si le regard est en adéquation avec le champ qui s'est constitué tout autour de l'oeuvre, alors tout semble aller de soi et revêt le camouflage du 'naturel' pour celui qui regarde. Car il en va pour le cinéma comme pour les autres arts, là aussi le marquage social et l'espace hiérarchisé, dont parle Bourdieu pour la littérature, prévalent. 1

Comme le souligne Nicole Brenez, dans de la figure en général et du corps en particulier 2, le personnage de cinéma est souvent un personnage chargé de donner forme à

une idée, une fonction, il est significatifde quelque chose.

1 Bourdieu, Pierre, Les règles de l'art: genèse et structure du champ linéraire, Paris, Éditions du Seuil, 1998,

p.277.278. ,

2 Brenez, Nicole, De la figure en général et du corj,s en particulier, De Boeck Univèrsité, ParislBruxelles, 1998, p. 182.

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C'est pourquoi, il me semble intéressant, à partir de différents films, à différentes époques - des années 1970, où la situation économique se transforme en France, jusqu'aux années 2000 et l'apparition d'un autre personnage franco-maghrébin - d'essayer de montrer 'l'itinéraire' de ce personnage dans le cinéma français. Pourquoi franco-maghrébin et pas simplement franco-maghrébin ? Comme je l'ai dit plus haut, cette 'double appartenance', être né sur le sol français, être français, de parents maghrébins qui ont immigré dans ce pays, est une caractéristique remarquable de cette idée 'd'étranger'. Comment se retrouve-t-on 'étranger' dans son pays de naissance, et 'étranger' au pays d'origine de ces parents, une vingtaine d'année après la fm de l'idée coloniale française? «Comment la désignation du Maghrébin peut-elle s'effectuer parallèlement à son effacement ? Ou encore, comment le montrer sur le plan de la vision tout en annulant sa consistance en tant qu'être visible, donc existant ? » ,

Ainsi, c'est la manière dont cet 'étranger' - ce Français qui n'en est pas un - est mis en scène dans la fiction française qui m'intéresse. Une mise en scène préparée tout au long du XIXème siècle par la peinture, la photographie, jusqu'au roman nous expliquant, sous forme de compliment ambigu, pourquoi le peuple arabe n'a pas de grands artistes :

Je méprise ceux qui ne savent reconnaître la beauté que transcrite déjà et toute interprétée. Le peuple arabe a ceci d'admirable que, son art, il le vit, il le chante et le dissipe au jour le jour; il ne le fixe point et ne l'embaume en aucune œuvre. C'est la cause et l'effet de l'absence de grands artistes. 2

Le cinéma s'inscrivant alors dans une continuité où le Maghreb, puis les Maghrébins et enfin le personnage 'franco-maghrébin', sont présents d'emblée pour fournir des personnages stéréotypés, ayant déjà leur place dans l'imaginaire collectif.

l'

Benali, Abdelkader, op. cit., p. 1831

(18)

Du cinéma colonial jusqu'à nos jours, on verra donc apparaître sur l'écran : l'arabe fourbe à la sexualité ambiguë, l'immigré travailleur en butte au racisme de la société française, le petit revendeur de drogue, le proxénète, le chef de gang, le jeune délinquant de banlieue, le 'beur' ou 'reubeu' du trio 'black, blanc, beur' de la France des années 90. Toutes ces caractéristiques du personnage Arabe ne sont pas exclusives les unes des autres et, hormis leur récurrence, un même personnage peut en 'cumuler' plusieurs.

De toutes manières, le cinéma n'est ni un institut de sondages ni la tribune d'une idéologie politique. Et pourtant, s'il ne saurait livrer les résultats d'une enquête sociale ni proposer un programme de gouvernement, bref si on ne peut lui demander ni un diagnostic ni une thérapie car ce n'est pas non plus un examen médical, un film peut offrir autre chose, c'est-à-dire sans doute beaucoup plus, si l'auteur est un authentique artiste. N'oublions pas en effet que tous les théoriciens de l'art font de l'esthétique un véritable instrument de connaissance, celle des sens, complémentaire - et donc quelque part indissociable - de celle de l'esprit. 1

Si, effectivement, le cinéma n'est pas une tribune politique, il n'est pas non plus dégagé des contingences de son temps et « l'authentique artiste» dont nous parle René Prédal est aussi cet artiste intégré dans la culture idéologique de son époque. L'utilisation des éléments qui composent une fiction ne sont pas là par hasard, la place qu'ils occupent à l'intérieur de cette fiction peut avoir un sens, que nous allons essayer de montrer.

Positionnement Kénéral

J'ai donc choisi d'analyser des fùms comme Police (Maurice Pialat 1985), Un, deux, trois, soleil (Bertrand Blier, 1993) ou N'oublie pas que tu vas mourir (Xavier

Beauvois, 1996) non pas seulement en discutant du statut artistique du réalisateur mais en les replaçant dans le contexte de leur époque et en analysant la fiction de la représentation, derrière la fiction. Nous nous appliquerons à montrer que les films ne peuvent se prévaloir d'une autonomie qui serait propre aux œuvres d'art et, dans le même temps, se vouloir le

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reflet d'une réalité, quand bien même serait-elle reconstruite par la fiction. Nous ne nous sommes pas cantonnés à un type de réalisateur, ni à un type de films. Notre analyse va du film d'auteur, cité plus haut, à des œuvres considérées plus commerciales comme Dupont Lajoie (Yves Boisset 1975), Tchao pantin (Claude Berri, 1983) ou Raï (Thomas Gilou

1995). On montrera que la distinction film 'd'auteur' ou 'commercial', en ce qui concerne notre propos, n'en est plus vraiment une.

Dans le premier chapitre de ce texte, nous reviendrons sur la façon dont s'est constituée la figure de l'Arabe dans la société française dès le début du 20ème siècle avec l'expansion des colonies. Nous verrons qu'aussi bien la littérature que la peinture ont participé à l'élaboration de cette image. À travers l'analyse d'un classique du cinéma colonial, nous montrerons la constitution des stéréotypes que nous retrouverons, sous diverses formes, tout au long de notre analyse. Enfin, l'analyse d'un film à 'succès' du milieu des années 1970, période ou la France repense sa politique d'immigration - face aux contrecoups de la crise économique mondiale - nous permettra de faire le lien entre la réalité et la représentation de cette réalité par le cinéma. Le second chapitre, tout en continuant à situer les films dans le contexte politique, économique et social de l'époque, tentera de montrer - à travers l'analyse de films appartenant à des réalisateurs de générations différentes et de genres très variés - comment l'Arabe, et sa communauté, est récupéré pour incarner un rôle bien précis dans le cinéma français, ainsi que la naissance d'un nouveau genre: le 'banlieue-film'. Enfin, le troisième chapitre montrera, à travers l'analyse de deux films en particulier, comment des réalisateurs portant un regard original sur la société française, peuvent sortir le personnage arabe de la place que l'on a été tenté de lui assigner, tout en se demandant si une 'mauvaise représentation' n'est pas préférable à 'pas de représentation' du tout?

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assignée d'office aux Arabes dans la production coloniale maghrébine. Quelque part en Afrique du Nord, un Européen se rend dans un commissariat pour déclarer un accident dont il a été le témoin. Al' agent qui lui demande combien de victimes sont à déplorer, l'Européen répond en toute innocence: un homme et deux Arabes. 1

Chapitre li Du colonisé à l'immi&ré

Le but de ce chapitre est de sitUer la relation entre la France et le Maghreb, à travers un aperçu historique, tout en mettant en perspective l'influence qu'à eu la 'mission civilisatrice' que la France s'était fIxée, sur son cinéma. Dans ce dessein, nous nous appuierons sur un fIlm emblématique du cinéma colonial des années 30, Pépé le Moko, et sur sa réception critique. Avec la fIn de l'empire Français, et l'indépendance dès pays de Maghreb, nous soulignerons la substitution de l'arabe colonisé par l'ouvrier maghrébin à la fm des années 60 et au début des années 70, à travers le ftlm d'Yves Boisset: Dupont Lajoie. Pour cela, un rappel de la politique d'immigration de l'État français, ainsi que du contexte social et économique de l'époque, nous a paru nécessaire. Comme pour Pépé le Moko, nous reviendrons sur l'accueil que le public, et particulièrement la critique, réserva à

Dupont Lajoii!. Nous montrerons dans les chapitres suivants l'influence que ce discours critique - apparu dans Les Cahiers du Cinéma à la fm des années 60 et défmissant ce que doit être un mm politique et la façon d'aborder les thèmes sociaux dans les ftlms - aura dans les décennies suivantes.

1.1 L'héritaa=e du cinéma colonial

Quand Georges Méliès réalisa, en 1897, une vue s'intitulant Le musulman rigolo cela faisait pourtant déjà plusieurs années que la politique coloniale de la illème république au Maghreb se caractérisait par la brutalité et la violence. Le 'musulman' ne faisait plus rire

1 Boulanger, Pierre, Le cinlma colonial. paris. Éditions Seghers, 1975, p. 6_7.

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personne et le moment était arrivé où il allait devoir remettre son 'costume' de barbare, que lui avait déjà confectionné l'Europe au temps des croisades, mais retaillé pour le 20è

mt:

siècle.

Le

chantre De la démocratie en Amérique avait déjà ouvert les yeux de ses concitoyens :

L'expérience a déjà montré mille fois que, quels que soient le fanatisme et l'esprit national des Arabes, l'ambition personnel et la cupidité avaient souvent encore plus de puissance dans leur cœur et leur faisait prendre accidentellement les résolutions les plus opposées à leurs tendances habituelles.

Le

même phénomè,ne s'est toujours vu chez les hommes à moitié civilisés.

Le

cœur du sauvage est comme une mer perpétuellement agitée, mais où le vent ne souffle pas toujours du même côté. 1

Quelques années après la parution des deux volumes qui suivirent son séjour en Amérique du Nord, et après un séjour en Algérie, Alexis de Tocqueville se faisait, dans son Travail

sur l'Algérie, le défenseur d'une colonisation impitoyable de l'Algérie. La défaite de la

France, dans cette mission civilisatrice qui lui incombait, «serait aux yeux du monde l'annonce certaine de sa décadence. » 2

Comme le souligrie Olivier le Cour Grandmaison, lire les textes de l'historien français, c'est découvrir « le Tocqueville, apôtre de la « domination totale» en Algérie et du « ravage du payS» ».3 Il note aussi que ce type de discours est généralement ignoré des spécialistes français, qui préfèrent s'attarder sur ses prises de positions humanistes vis-à-vis des Indiens et des Noirs d'Amérique. Tzvetan Todorov consacre cependant plusieurs pages, dans son livre Nous et les autres, la réflexion française sur la diversité humaine, 4 à

relever les contradictions de Tocqueville.

1 Tocqueville, Alexis de, Sur l'Algérie, Paris, Flammarion, 2003, p. 110. 2 Ibid., p. 97.

3 Le Cour Grandmaison Olivier, «Tocqueville, apôtre de la colonisation », Manière de voir, «Pages

d'histoire occultées », n082, aoOt-septembre 2005, p. 40.

4 Todorov, Tzvetan, Nous et' les autres, la réflexion française sur la diversité humaine, Paris, Seuil, 1989, p. 231.

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Pourtant, le discours sur la civilisation arabe était loin d'être unanime même si, une vingtaine d'années auparavant, Stendhal arrivait à la même conclusion que Tocqueville, selon laquelle

1

Le siècle héroïque des Arabes, celui où ces âmes généreuses brillèrent pures de toute affectation de bel esprit ou de sentiment raffiné, fVt celui qui précéda Mohammed et qui correspond au Vème siècle de notre ère, à la fondation de Venise et au règne de Clovis. 1

Pour Chateaubriand, comme le rappelle Edward Said, l'Arabe oriental était

« l'homme civilisé retombé dans l'état sauvage ».2 Cependant, l'historien et psychologue social Gustave Le Bon était, lui, plutôt partisan de l'union des deux civilisations au Maghreb, juste retour des choses selon lui:

Par leur influence morale, ils ont policé les peuples barbares qui avaient détruit l'empire romain; par leur influence intellectuelle, ils ont ouvert à l'Europe le monde des connaissances scientifiques, littéraires et ph)losophiques qu'elle ignorait, et ont été nos civilisateurs et nos maîtres pendant six cent ans. 3

Telles étaient les conclusions de son chapitre sur l'influence des Arabes en Occident.

Mais en ce début de 20ème siècle, ce qui marque l'opinion publique française, c'est la résistance farouche qu'offrent les nationalistes marocains, particulièrement ceux dirigée par Abd el-Krim pendant la guerre du Rif, durant les années 1920. Loin d'apparaître comme la lutte de patriotes pour l'indépendance de leur pays, elle dote le vocabulaire français d'une nouvelle injure, « salopard », employée à l'origine par les troupes coloniales françaises, comme les auteurs du Paris Arabe nous le rappelle.4

1 Stendhal, De l'amour, Paris, Gallimard, 1980, p. 198.

2 Said, Edward W., op. cit., 1980, p. 198.

3 Le Bon, Gustave, La civilisation des Arabes, Paris, Le Sycomore, 1980, p. 461.

4 Blanchard, Pascal, Eric Deroo, Driss El Yazami, Pierre Foumié et Gilles Manceron, Le Paris Arabe, Paris, LaDécouverte,2003.p.42.

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Cette injure est d'ailleurs encore en vigueur de nos jours mais l'origine s'en est perdue, comme d'ailleurs beaucoup de mots dérivés de la langue arabe, ou 'inspirés', comme ici, par les Arabes. Cet Arabe qui, comme le rappelle très jùstement Mohamed Kacimi dans Arabe, vous avez dit Arabe? J, n'a pas toujours été désigné comme tel.

Selon les lieux et le temps où il apparaissait, il pouvait être Maure en Espagne, Sarrazin dans le midi, Barbaresque en Méditerranée. Toujours le même et toujours un autre, il était grand temps que le cinéma le fIxe sur la pellicule - et dans les esprits - dans un rôle que le public Français était préparé, depuis des décennies, à lui attribuer - l'Arabe étant, selon Alain Ruscio, « incontestablement, la bête noire de la pensée coloniale. »2

Les empires coloniaux ne se sont donc pas seulement bâti en conquérant des pays et des territoires mais aussi en 'colonisant' l'imaginaire des peuples. Le cinéma a donc participé à cette tentative de maîtrise, et de modelage, du territoire Maghrébin par la France, en s'inscrivant dans un paysage déjà balisé par la peinture (Delacroix), le roman (Haubert) ou encore la photographie: «En ce sens, le Maghreb en tant qu'ensemble de lieux d'un récit, constitue un réservoir de motifs dramatiques et de valeurs imaginaires qui sont constamment réinvestis dans l'activité narrative des fIlms.» 3

C'est donc pendant le 20~e siècle que vont se mettre en place des thèmes, des fIgures (presque au sens littéral), qui imposeront leur pennanence dans le cinéma de fIction français. C'est pourquoi notre propos dans ce chapitre sera l'étude - à travers une mise en contexte du climat politique de l'époque - de deux fIlms que nous jugeons représentatifs mais aussi particulièrement intéressant, en regard de leur esthétique et de la réception critique qui les entoura, dans leur approche du personnage Arabe.

1 Kacimi, Mohamed, « Comment peut-on être Arabe? » in Dagron, Chantal, Kacimi, Mohamed, Arabe, vous avez dit Arabe ?, Paris, Balland, 1990, p. 15.

2 Ruscio, Alain, Le credo de l'homme blanc, Bruxelles, Editions Complexe, 2002, p. ~. 3 Benali, Abdelkader, op. cit., p. 18.

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En 1931, un an après le centenaire de la conquête de l'Algérie par La France, se tenait l'exposition coloniale à Paris, apogée du colonialisme français. L'exposition reconstituait l'habitat et les traditions folkloriques, tout en 's'intéressant' aux aspects commerciaux et culturels, aussi bien de l'Afrique du Nord et de l'Ouest que de l'Indochine et autres colonies. L'idée- étant d'inspirer aux visiteurs l'idée de la grandeur et de l'importance de cet empire colonial, à travers l'expansion du génie national et l'accomplissement de sa mission civilisatrice.

Six ans plus tard sortait sur les écrans français Pépé le Moko, de Julien Duvivier. Film emblématique, s'il en est, de cette 'schizophrénie' dans laquelle semblait s'être installée la France - ce conflit entre le fantasme et la réalité - dans son rapport avec ses colonies au Maghreb, particulièrement l'Algérie. Pépé le Moko apparaît ainsi comme une

passerelle entre 'l'esprit' colonial français passé et présent car on y retrouve, en germe ou tel quel, ce qui quelques décennies plus tard représentera une sorte de norme quand à la représentation du personnage arabe. Pépé est un cambrioleur traqué par la police française. Réfugié, et tout à la fois 'prisonnier' dans la Casbah d'Alger (à l'origine, les parties hautes et fortifiées d'une ville arabe, qui protègent donc mais enferment aussi), seul endroit où il est relativement à l'abri de la police, il y mène une existence de caïd au milieu des indigènes. L'amour pour une Parisienne de passage, mais plus encore la nostalgie de son Paris natal, le mèneront à la mort.

Le terme de 'caïd' était aussi dérivé de l'arabe.

n

désignait à l'origine, en Afrique du Nord, un notable cumulant des fonctions administratives, judiciaires, financières et de chef de tribu. Ce terme est passé dans le langage courant en France mais avec l'idée d'un homme qui s'impose avec dureté, voire brutalité, et de manière plutôt illégale.

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L'acteur français (d'origine roumaine) Lucas Gridoux incarne Slimane, un inspecteur Algérien et figure ambiguë d'ennemi, face au truand Pépé. Ce type maghrébin, assez intelligent pour mystifier son adversaire mais apparaissaIit comme essentiellement sadique, traître et à la sexualité équivoque, peut se voir comme le prototype du personnage Maghrébin évoluant sur les écrans des cinémas français. avec des variantes et 'améliorations' au cours des décennies, comme on le montrera. La figure féminine, ou les attributs féminins, sont au centre du film de Duvivier, sous les traits, maquillés, de Slimane mais aussi sous ceux de Pierrot, jeune homme qui semble particulièrement émotif et fragile, en regard de sa confrérie de truand.

Les femmes entourent Pépé, le caïd français régnant sur la Casbah, alors que les hommes arabes apparaissent en toile de fond, voire pas du tout. Pourtant Pépé, comme tout 'colon' qui se respecte, ne peut s'empêcher, fmalement, de mépriser ces indigènes qui l'entourent et le servent, particulièrement les femmes: « De sorte que, si tout colonialiste n'est pas un médiocre, tout colonisateur doit accepter en quelque mesure la médiocrité de la vie coloniale, doit composer avec la médiocrité de la majorité des hommes de la colonisation. » 1 Les personnages féminins de la Casbah semblent proposer une vision de la

femme comme 'animal' de 'compagnie, surtout en regard de la sophistication de la femme française incarnée par Gaby (Mireille Balin), qui causera la mort de Pépé.

Dans Pépé le Moko, les éclairages chatoyants qui font ressortir ses yeux clairs, ainsi que son foulard et les satins, fourrures blanches et bijoux de Mireille Balin ont une fonction érotique mais contribuent aussi à démarquer les deux stars des gens de couleur de la Casbah; l'opposition est renforcée par la rivalité de Gaby (Mireille Balin) - Inès (Une Noro « noircie» pour l'occasion). 2.

1 Memmi, Albert, Portrait du colonisé, Portrait du colonisateur, Paris, Gallimard, 1995, p. 72.

2 Vincendeau Ginette & Claude Gauteur, Jean Gabin, Anatomie d'un mythe, Paris, Éditions Nouveau Monde,

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Mais Pépé le Moka, peut aussi se lire comme la déchéance d'un ouvrier, ancien ébéniste, qui tourne mal et se voit obligé de quitter son pays. Où peut-il aller se cacher sinon parmi les indigènes du Maghreb, ces citoyens de seconde zone dans leur propre pays? La critique de l'époque, ne fut pas très enthousiaste, contrairement au public, comme le souligne Marcel Achard: «Tous les soirs, les étonnantes passes d'armes des protagonistes de "Pépé Le Moko" sont applaudies. Plus de dix fois, au cours de la représentation, le public hache le texte de ses bravos ... »1. Elle ne porte d'ailleurs pas vraiment attention au cadre colonial, ce qui donne une idée de son acceptation.

The pervasiveness of the colonial genre made its ideology, to some extent, invisible to contemporaries. Right-wing film historians such as Maurice Bardèche and Robert Brasillach criticised Pépé le Moko's celebration of crime, not its colonialism. More surprisingly, communist historian Georges Sadoul, who in 1931

signed a petition urging 'Do not visit the Colonial Exhibition!', did not object to

Pépé le Moka on those grounds either. 2

Pourtant, ce cinéma racontait aussi autre chose à son public. Comme Pierre Boulanger le souligne, jusqu'aux indépendances - en 1956 pour le Maroc et la Tunisie, en 1962 pour l'Algérie - l'illustration à l'écran de la réalité sociale des pays du Maghreb a donc été le fait exclusif des cinéastes occidentaux, le plus souvent français.

Ce cinéma-là véhicula quelques mythes dont le plus méprisable fut celui de l'agression.

n

fit l'apologie de la conquête, du meurtre, engendra l'ignorance, la bêtise et la haine.

n

ignora les populations autochtones ou les dépeignit, à quelques exceptions près, sous les traits les plus malveillants. 3

Même si les «chleuhs» d'hier (terme provenant de l'Arabe et utilisé par les militaires français affrontant les populations berbères de l'atlas marocain) ne sont pas forcément ceux d'aujourd'hui. L'occupant allemand remplaçant, momentanément, dans l'esprit des français 'l'éternel barbare' maghrébin.

1 http://cinema.duviyier.biti.fr consulté le Il septembre 2007.

2 Vincendeau Ginette, Pépé le Moka, London. British Film institute, 1998, p. 55.

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Une fois de plus, l'origine arabe du terme se perdra et «chleuh» restera associé de manière péjorative, bien après la seconde guerre mondiale, aux Allemands. 1 Revenir, même brièvement, sur cette période du cinéma colonial c'est donc montrer que. l'on peut voir les films sur un plan artistique mais aussi les analyser dans le contexte économique et politique de l'époque car comme le pointe Martine Astier Loutfi, «The weight of the political control is obvious in the fact that during the 1950s. when anticolonial movements dominated nationallife, French films totally avoided the subject. »2

C'est dans cette période d'après-guerre, de reconstruction, où le besoin en main d'œuvre est particulièrement important, où l'on fait appel à ces même maghrébins qui se sont battus pour la France pendant la seconde guerre mondiale, que va se former, se constituer, l'image de l'Autre. Une image de l'Autre imprégné du colonialisme français, descendant en droite ligne des thèses universalistes françaises, de la mission civilisatrice que la France s'était attribuée. Une 'mission civilisatrice' qui se sera aussi faite dans le sang, avec des conséquences durables sur la société française, comme l'explique Yves Benot.3 L'indépendance des pays du Maghreb qui était pour beaucoup synonyme de défaite -tant « Le maintien de la domination coloniale semblait naturel à l'opinion française pour qui la Tunisie et le Maroc (au même titre que l'Algérie) n'étaient que le prolongement de la métropole au-delà de la Méditerranée.» 4 - était pourtant bien réelle, tout comme l'arrivée d'une immigration de plus en plus nombreuse.

1 Blanchard, Pascal, Eric Deroo, Driss El Yazami, Pierre Foumié et Gilles Manceron, op. cit .• p.42.

2 Astier Loutfi, Martine, « Imperial Frame Film industry and colonial representation» in Sherzer, Dina (ed.),

Cinema, colonialism. postcolonialism. Perspectives from the French and Francophone worlds. Austin,

University of Texas Press, 1996, p. 25.

3 Benot, Yves, Massacres coloniaux. 1944-1950: La IVe république et la mise au pas des colonies françaises. p. 34.

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Celle-ci bien qu'organisée par les pouvoirs publics, car nécessaire à l'économie française, va rallumer un ressentiment anti-arabe, qui ne s'était d'ailleurs jamais vraiment éteint, et la fin de l'immigration de travail - décidée en juillet 1974 - loin de calmer ce sentiment va, au contraire, lui donner une autre dimension. Dans la France de la crise pétrolière et de la fm des 'trente glorieuses' -l'expression fut créée par l'économiste Jean Fourastié pour désigner cette période de forte croissance économique entre 1945 et 1973 -une peur diffuse commence à s'installer. La reconstruction est passée, elle est effective, mais que fait-on de cette population qui y a participé: sont-ils français, veulent-ils le devenir, le peuvent-ils, est-ce que l'on veut qu'ils le deviennent?

Le cinéma colonial avait esquivé la question de l'injustice fondamentale de ce système, en le travestissant dans un exotisme souvent de pacotille. Le cinéma des années 70 reflétera l'état d'esprit d'une société qui sent confusément que des changements' s'opèrent au sein même de sa population, sans pouvoir mesurer à quel point ils modifieront le visage de la France - et le regard que la société française porte sur elle-même, pour les décennies à venir. Sur fond de crise politique et sociale - le chômage et la précarisation du salariat s'installent - il faut trouver un, ou des responsables. Si la réalité est complexe, et semble donc confuse, le cinéma va se charger de la 'clarifier'. Pour rendre donc cette réalité plus simple à lire, il faut typer, voire stéréotyper, la figure du Maghrébin. Là encore, ce travail avait été effectué pendant le XIXe siècle et le cinéma colonial l'illustrait parfaitement.

Trois composantes fondamentales constituent la thématisation du rapport au Maghreb tout au long du XIXe siècle ( ... ) La première concerne l'instauration d'une structure de dualité qui oppose le Maghreb (Orient) à la France (Occident). C'est ce que Jacques Berque a appelé les «fausses réciprocités». La deuxième porte sur la considération des Maghrébins avant tout d'un point de vue racial, ce qui signifie que leur différence n'est pas formulée sous l'angle culturel, social ou politique, mais sous celui du typage physique et morphologique. Enfin, la troisième érige la religion comme seul critère, keule sphère déterminant l'identité

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maghrébine. Ces trois constantes, à la base de la constitution d'un cadre imaginaire de l'infériorité de l'autre, sont utilisées et remodelées par les films dans leur organisation de l'espace colonial proprement dit. 1

En passant de l'indigène et du colonisé, à l'ouvrier, le Maghrébin va réactualiser l'ancienne peur de la bourgeoisie du XIXe siècle, face à l'arrivée d'un nouveau prolétariat dans les villes, et qui voyait dans la classe ouvrière, des criminels en puissance. Faire le lien entre le crime et l'origine ethnique allait alors de soi, ainsi que le rappelle Louis Chevalier: «Non seulement la condition ouvrière et le genre de vie sont décrits par analogie avec la condition sauvage, mais les divers aspects de la révolte ouvrière et les conflits de classe sont exposés en tenne de race ».2 La proximité physique dans les quartiers populaires des criminels et des prolétaires faisant le reste, tandis que la guerre d'Algérie, et ses répercussions en métropole. diffusait cette peur à l'ensemble de la classe sociale:

... Mais que fait la police? Voir un de ces types-là s'asseoir à vos côtés, dans un endroit convenable où vous avez donné rendez-vous à quelque belle fille que vous raccompagnerez dans votre voiture garée tout près de là, voir un Arabe accompagné d'une Française! - elle est française et boniche assurément, ça se devine à son allure. On est en guerre avec ces gens-là ... Que fait la police? Non, pas les faire souffrir, nous sommes humain. fi y a des camps, des résidences où les assigner. NET-TO-YER Paris. Celui-ci a peut-être une arme dans sa poche. Ils en onttous ... 3

Si à l'époque du cinéma colonial, le compagnon des protagonistes, et fmalement le vrai 'héros' des films, semblait être le soleil du Maghreb - comme en littérature où Meursault, le personnage principal de L'étranger d'Albert Camus, en est l'exemple définitif - le cinéma français des années 1970, va accorder au personnage maghrébin une toute autre place.

1 Benali, Abdelkader, op. cit., p. 31-32.

2 Chevalier, Louis, Classes laborieuses et classes dangereuses à Paris, pendant la première moitié du XlXe

siècle, Paris! Librairie Générale Française, 1978, p. 595.

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1.2 L'immigré ou« l'ennemi intérieur» ?

« Je m'habituai aux hallucinations simples: je voyais très franchement une mosquée à la place d'une usine ... » 1

Le 19 septembre 1973, un an avant la France, le gouvernement algérien décidait de suspendre l'émigration algérienne vers la France. Quelques jours plus tôt, dans une interview publié dans Le Monde, le président algérien Houari Boumediène avait prévenu:

Nous avons observé la plus grande modération quand des Algériens ont été assassinés, pour ne pas attiser la haine. Mais il est des situations qu'il est difficile d'accepter. C'est un problème de dignité. Je le dis franchement: si le gouvernement français ne veut pas de nos travailleurs, qu'il le dise. Nous les reprendrons. Cela nous posera sans doute quelques problèmes, mais nous avons sunnonté des situations beaucoup plus difficiles. Si, en revanche, la France a besoin de nos travailleurs, son gouvernement a alors le devoir de les protéger. 2

Trois ans plus tôt, Michel Drach adaptait à l'écran le roman de Claire Etcherelli,

Élise ou la vraie vie, mettant en scène les amours d'une française et d'un militant algérien en pleine guerre d'Algérie, sur fond d'exploitation sociale et de montée du racisme. L'année suivante René Vautier - après avoir été poursuivi pour atteinte à la sûreté intérieure de l'Etat pour une phrase de son film Une nation. l'Algérie (1954) -«L'Algérie sera de toute façon indépendante» - réalise Avoir vingt ans dans les Aurès (1971). Alors que, dix ans après les accords d'Evian, la tenninologie officielle est encore en vigueur qui maintient que de 1954 à 1958, l'armée française menait sur le territoire algérien des 'opérations de maintien de l'ordre', et de 1958 à 1962 elle poursuivait une 'entreprise de pacification', le film, partant de faits réels, de lettres adressées par les appelés à leurs proches, met publiquement en question la torture, le viol et le pillage pratiqués par les 1 Rimbaud, Arthur, Une saison en enfer, Paris, Flammarion, 1989, p. 127.

2 Giudice, Fausto, Arabicides. une chronique française 1970-1991, Paris, Éditions La Découverte, 1992, p. 102-103.

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troupes françaises. La guerre d'Algérie est aussi le sujet principal du film d'Yves Boisset

RA.S. qui sort en France au cours de l'été 1973. Boisset met en scène le désarroi et la révolte de jeunes conscrits - expédiés comme renfort en Algérie dans une armée française qui n'arrive pas à contenir le soulèvement de la population - face aux méthodes utilisés par les militaires français. Comme René Vautier, Yves Boisset put apprécier la liberté d'expression de l'époque sur ce sujet: le film fut censuré à cause du sujet traité, la guerre d'Algérie, et fut interdit aux moins de 16 ans lors de sa sortie en salle.

Le bougnoul de Daniel Moosmann passa relativement inapercu du grand public, même s'il fut salué par les critiques de l'époque comme plus nuancé que le film d'Yves Boisset, Dupont Lajoie, sorti deux mois avant (en février 1975), sur lequel nous reviendrons. Inspiré du roman Ligne 12 de l'écrivain Raymond Jean, qui disait l'avoir écrit après avoir assisté à ce type de scène , Le bougnoul abordait le racisme non pas sous l'angle du fait divers, comme Boisset, mais sous celui de la vie quotidienne, à travers le comportement d'un chauffeur de bus parisien, et ses conséquences. Le cas du film d'Yves Boisset est plus intéressant pour nous, au regard de son succès public et de la postérité critique qu'il a connu. Il pose ainsi la question de la façon dont une oeuvre est reçue, comprise et analysée dans le contexte français. Comme le souligne Susan Hayward :

Yet, France has produced a substantial body of filnis of both social and aesthetic value and high audience appeal which has been largely overlooked aild inadequately represented by existing works. Whereas the emphasis on auteurs or movements is often justified in terms of the excellence of the works concemed, what is lacking is their proper historical contextualisation within wider cultural considerations. 1

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Dans le cas de Dupont Lajoie, le discours critique l'a souvent classé dans la catégorie des films 'plaidoyers', pour reprendre l'expression forgée par Jean-Michel Frodon. Il faut entendre cette expression dans un sens péjoratif car pour Frodon, comme beaucoup de critiques de sa génération, mais pas seulement, la nouvelle vague, et le discours critique qui l'accompagna, reste la référence incontournable. Ainsi de sa distinction, qu'il reprend de Jean-Luc Godard, sur les «films politiques» et les films « filmés politiquement» :

Les premiers se veulent une représentation de la société, qui peut aller de la description au pamphlet. Les seconds tentent d'inventer de nouvelles manières de faire du cinéma, cohérente avec la volonté de rupture idéologique de leurs auteurs. Cette rupture concerne aussi bien les méthodes de production et de diffusion des films que leurs systèmes de narration et de représentation; elle tend à introduire soit une parole collective, soit, au contraire, radicalement individualiste. 1

Pour Jean-Michel Frodon, actuel directeur de la rédaction des Cahiers du' cinéma, et responsable de la rubrique cinéma du journal Le Monde quand il rédige L'âge moderne du

cinéma français, de la nouvelle vague à nos jours, ce sont les seconds qui sont dignes d'intérêt. La même idée sous-tend le discours de Claude-Marie Trémois, qui dirigea pendant 17 ans la rubrique cinéma du magazine culturel de référence Télérama, quand elle rappelle que

Depuis le début des années 70, sans même prendre le temps d'un nouveau classicisme, le cinéma français lorgne à nouveau vers l'académisme. ( ... )

Que s'est-il donc passé? Bien sûr, Truffaut, Rohmer, Rivette, Resnais, Rozier, Varda, Demy continuent d'œuvrer dans le même esprit. Mais la« qualité FraiJ.ce »a refait surface avec Claude Sautet, Yves Boisset, Robert Enrico ... 2

Là encore, la nouvelle vague est la référence, à l'aune duquel se mesure tout le cinéma qui le suit. Que reproche-t-on exactement à ces cinéastes, et plus particulièrement à Boisset?

1 Frodon, Jean-Michel, L'âge moderne du cinéma français, de la nouvelle vague à nos jours, Paris,

Flanunarion, 1995,~.245. ~

2 Tremois, Claude-Marie, Les enfants de la liberté, le jeune cinéma français des années 90, Paris, Seuil,

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Dupont-Lajoie est sans doute l'archétype du cinéma plaidoyer tel que le conçoit Yves Boisset. Avec sa caractérisation tellement simpliste et méprisante des personnages qu'elle ne risque jamais de troubler les spectateurs, sa succession de scènes « exemplaires» qui ne laissent place à aucune réflexion ni à aucun doute, un goût prononcé pour les séquences à effet, le film est une caricature du divorce entre les intentions et la mise en scène. 1

Voilà la « qualité France », dont parlait Claude-Marie Trémois, dûment circonscrite. Sorti en février 1975, Dupont Lajoie se passe sur le terrain qui va nous occuper, celui de la métropole. Boisset ne s'intéresse pas ici aux conflits moraux de jeunes appelés face à l'absurdité de la guerre, coloniale ou non, mais plus prosaïquement à une 'chronique du racisme ordinaire', dans un camping du sud de la France, qui dégénère en meurtre. Le

climat social de l'époque, particulièrement tendu pour les Maghrébins, lui fournit la trame de son fùm.

Le nombre des agressions violentes, parfois avec issue mortelle, contre des Arabes, du seul fait de leur qualité visible d'Arabes, peut-être évalué à environ 350 pour les années 1971-1974. La principale caractéristique commune à ces actes de violence, c'est qu'ils connaissent rarement des épilogues judiciaires autres que des non-lieux ou des relaxes et acquittements. 2·

Comme chaque année, Georges Lajoie, un cafetier parisien, part avec sa femme et son fùs dans un camping de la côte d'Azur. Il y retrouve ses amis, parmi eux les Colin, qui ont une fille adolescente dont les charmes ne laissent pas le cafetier insensible. Lajoie se retrouve seul avec elle, lors de la fête du village. et ce qui commence comme un jeu, se termine en viol et en meurtre. Il se débarrasse alors du corps dans un chantier voisin, où travaillent et vivent des ouvriers maghrébins, qui se trouveront être des suspects évidents quand il s'agira de trouver un coupable.

1 Frodon, Jean-Michel, op. cit., p. 256.

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Mettant en scène des acteurs connus et appréciés, aussi bien à la ville qu'à la scène, pour la sympathie que le public éprouve à leur égard, Yves Boisset distribue Jean Carmet (Georges Lajoie) en tueur et Victor Lanoux en ancien d'Algérie. Pierre Tornade (Colin) est le père de la victime qui se laisse entraîner dans la 'ratonnade', Jean-Pierre Marielle (Leo Tartaffione), est un animateur prêt à tout pour une apparition à la télévision et Jean Bouise (Boulard), en commissaire honnête mais réaliste, complète ce tableau d'une certaine France des années 70. Quand on revoit le film aujourd'hui, il apparaît beaucoup moins monolithique que l'analyse de Jean-Michel Frodon le laisserait supposer. Effectivement, on serait bien en peine de comparer son travail à celui d'un Godard, mais est-ce bien nécessaire ?

Dupont Lajoie s'inscrit dans le cadre d'un cinéma commercial, conçu pour toucher

un large public mais ce qui le différencie est son sujet. TI importe donc de le juger à partir. de critères esthétiques, bien entendu, mais aussi idéologiques p~ rapport au but que le cinéaste semble s'être fixé. La vision du film laisse peu de doute quand à l'intention de l'auteur. Ces personnages principaux, des Français, sont ouvertement racistes mais, chacun à leur façon, ils illustrent les propos de Todorov sur ce qui différencie, et lie, nationalisme et racisme :

La notion d'étranger, cependant, ne dit rien des caractéristiques physiques de l'individu incriminé: sont étrangers, simplement tous ceux qui ne sont pas

citoyens. Le raciste, en revanche, voit l'homme, non le citoyen ( ... ). On peut changer de nation, non de race (la prenùère notion est morale, la seconde physique). Le nationalisme se meut sur un seul plan, même s'il change de secteur: ·il attache des jugements moraux aux différences de statut politique et d'appartenance culturelle. Le raciste, lui, met en relation deux plans, en assinùlant le moral au physique. Ces différences conceptuelles sont importantes même si, sur le plan affectif et évaluatif, nationalisme et racisme vont souvent de pair. 1

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Boisset est ainsi beaucoup moins simpliste et méprisant que ce qu'écrit Frodon. Le mépris ne se situerait-il pas plutôt du côté du discours critique qui s'est constitué autour de ces « fictions de gauche» ?

The fictions de gauche refer to the 1970s trend of French mainstream fùms that provided criticism of dysfunctional institutions. Most of these cinema works took scandalous fait divers as their startÎng point: political machinations, the role of the media and the police, for example, were often central to fictions de gauche. There were also characterised by a renewed interest in the working class and marginalised groups as weil as the disappearanee of class solidarity, giving way to a new individualism. 1

Dupont Lajoie correspond parfaitement à cette définition - le concept de « fictions de gauche» était apparu dans Les Cahiers du Cinéma à la fin des anriées 60 - ce qui explique le mépris des tenants de « la politique des auteurs ». L'idée de mêler 'divertissement' et 'conscientisation' du public équivalant, en fait, à de la manipulation:

Toubiana condemns the attempt of the fictions to subordinate the political to fictional needs and entertainment. Not only do fictions de gauche relegate the political to the periphery of the narrative, they also manipulate viewers. In effect, the fictions make the audience believe that what is shown on screen is something that they did not know and of which they need to be informed. 2

Effectivement, si Dupont Lajoie, à travers ces personnages, donne à voir les différentes facettes du rapport que les français entretiennent avec les Maghrébins, récemment émancipés de la tutelle coloniale, il le fait en se concentrant sur le scénario au détriment d'une esthétique très peu élaborée - que l'on ne qualifiait pas encore de télévisuelle - qui deviendra d'ailleurs coutumière des soirées à 'thèmes' (<< Les dossiers de l'écran ») de la télévision française des années 1980.

IGrandena, Florian, Political fictions in contemporary French cinema, PhD thesis, Nottingham Trent

University, 2005, p. 25.

i

~

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Le film débute par un flash-forward : on suit Mohamed Zinet qui se rend au café de Georges Lajoie puis on découvre Lajoie dans son café avec sa clientèle d'habituées. 11 évoque les Arabes pour la première fois quand il s'inquiète "« des voleurs, des Arabes et tout ce qui traîne ... », auprès d'un policier, à propos de sa caravane qui passe la nuit dehors, la veille du départ pour le Camping Caravaning Beau Soleil, dans le Sud de la France. Georges Lajoie est un obsessionnel, oscillant entre ses pulsions sexuelles et sa haine des Arabes. Ce que montre Boisset, c'est que cette haine n'a pas besoin de raison 'objective' pour s'alimenter. C'est un état d'esprit ambiant, qui s'exprime à travers ce type d'échanges, entre Lajoie et un de ses clients:

-Lajoie: «y viennent bouffer chez nous pis par dessus le marché y se foutent de notre gueule ... est-ce qu'on va travailler chez eux nous, hein?»

-Un habitué: «T'as raison, d'abord si y étaient capables, y seraient pas balayeur ... »

L'interprétation de Jean Carmet apporte des nuances, des zones d'ombres, à son personnage. Lajoie est un homme frustré, qui trouve dans l'époque une cible pour sa rancœur. Ses amis, qu'il retrouve comme chaque année au camping, nous montrent différentes facettes du rapport à l'étranger, à l'Arabe. Colin, le représentant en lingerie, parle de 'bicot' quand il s'agit des Arabes mais il l'utilise sans animosité, comme un terme générique pour désigner cet 'Autre', qui pour lui est encore 'exotique'. Après l'assaSsinat de sa fille, sa participation à la 'ratonnade' n'obéit pas au désir de 'casser' de l'Arabe qui anime ses acolytes, c'est pourquoi il se dénoncera à la police, sans conséquence d'ailleurs. Albert Schumacher (Michel Peyrelon) l'huissier de justice, est une figure de petit-bourgeois qui, sous une allure très policée, semble avoir un ressentiment à l'égard des Arabes comparable à celui de Lajoie.

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Cependant, si on peut avancer que celui de Lajoie ressort d'une 'mécanique' de frustration personnelle, Schumacher semble dirigé par une idée de supériorité intrinsèque, faisant référence, par exemple, aux «lois de la nature» qui expliqueraient que l'on travaille plus au nord qu'au sud, «un allemand, y fait en deux heures, ce que trente bicots sont pas foutu de foutre ... en six mois» dixit Colin. Tout ceci après que Lajoie a fait remarquer que « les Italiens, pour le bâtiment, c'est ce qui y a de meilleurs ... si y s'étaient plus courageux. » C'est Sergio Vigorelli (Pino Caruso), le chef de chantier Italien installé près du groupe au camping, qui est à l'origine de cette multitude de stéréotypes, qui marque les retrouvailles des trois couples. C'est Madame Colin (Pascale Robert) qui fait judicieusement remarquer que ce nouvel arrivant du camping est Italien mais installé depuis longtemps en France. D'emblée, on établit le distinguo entre les étrangers qui sont fréquentables ou non et ce sont les stéréotypes qui permettent à ce groupe d' alnis, de maintenir sa cohésion.

The paradoxical violence of stereotypes uttered in public is that they are often presented as a chance to make us prove our loyalty to the speaker but also as an opportunity to be accepted as part of a group. Here is an open invitation to belong, to be welcomed by a supposed1y unanimous community. Here is a chance to dec1are your allegiance, as if that moment of decision itself constitued sorne powerful moment of ecstatic communion. In the presence of a stereotype, you are asked implicitly or explicitly to approve, to agree, to nod, and to feel understood and properly positioned as a legitimate member of a group whose identity is weIl defined and legitimately celebrated. 1

Le chef de chantier Italien en fera d'ailleurs l'expérience, quand il sera rejeté du groupe, avec violence, en s'opposant au ,discours sur les Arabes. C'est d'ailleurs par lui que l'on fait la connaissance des Arabes, ce qui permet à Yves Boisset de montrer que ce sont les étrangers qui construisent les lieux de villégiatures des Français.

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