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Concevoir la prévention des risques liés aux nanomatériaux à partir de l’activité des travailleurs et la discussion sur le travail : cas des laboratoires publics de recherche et du secteur industriel.

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Academic year: 2021

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HAL Id: hal-01548020

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01548020

Submitted on 27 Jun 2017

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Concevoir la prévention des risques liés aux

nanomatériaux à partir de l’activité des travailleurs et la

discussion sur le travail : cas des laboratoires publics de

recherche et du secteur industriel.

Sandrine Caroly, Eric Drais

To cite this version:

Sandrine Caroly, Eric Drais. Concevoir la prévention des risques liés aux nanomatériaux à partir de l’activité des travailleurs et la discussion sur le travail : cas des laboratoires publics de recherche et du secteur industriel.. [Rapport de recherche] Notes scientifiques et techniques NS 348, Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS). 2016, 89 p. �hal-01548020�

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NS ??? NOTE SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE

NS 348 NOTE SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE

Concevoir la prévention des risques liés

aux nanomatériaux à partir de l’activité

des travailleurs et la discussion sur

le travail : cas des laboratoires publics

de recherche et du secteur industriel

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Concevoir la prévention des risques liés

aux nanomatériaux à partir de l’activité

des travailleurs et la discussion sur

le travail : cas des laboratoires publics

de recherche et du secteur industriel

Sandrine Caroly*, Eric Drais**

* Université Grenoble Alpes, laboratoire Pacte ** INRS, département Homme au Travail, laboratoire Gestion

et Organisation pour la Santé et Sécurité au Travail Avec la collaboration de Catherine L’Allain, Hassan Skaïky,

Sarah Dubernet, Olivier Witschger, Myriam Ricaud

NS 348

novembre 2016

Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles Siège social : 65, boulevard Richard-Lenoir 75011 Paris • Tél. 01 40 44 30 00 Centre de Lorraine : 1, rue du Morvan CS 60027 54519 Vandœuvre-les-Nancy cedex • Tél. 03 83 50 20 00

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Résumé : Ce rapport présente les résultats de 4 ans de recherche en partenariat entre le

laboratoire PACTE et l’INRS sur la prévention des risques liés aux nanomatériaux. L’utilisation des nanomatériaux constitue aujourd’hui une innovation technologique majeure dans tous les secteurs d’activité. Ces nouveaux matériaux représentent des enjeux scientifiques et économiques importants et posent des questions quant à leurs effets sur la santé et sur l’environnement.

Il s’agit de comprendre les pratiques réelles de prévention mises en œuvre par rapport à ce risque émergent, en explorant les représentations du risque des salariés en lien avec leurs activités de travail. Il s’agit aussi d’explorer comment la mobilisation des acteurs de l’entreprise autour du dispositif de prévention et leur confrontation à l’action et à l’activité de travail transforment leurs représentations et créent du débat sur la prescription à construire. Les espaces de débat sur le travail apparaissent comme un instrument de prévention permettant la production collective de règles et la transformation des représentations du risque chez les salariés.

Mots clés : prévention, nanomatériaux, travail, représentation, espace de discussion, risque,

collectif.

Abstract: The aim of this report is to present the results of research during 4 years about

nanomaterials risk prevention, with partnership between Pacte laboratory and INRS.

The use of nanomaterials is today a major technological innovation in all business sectors. These new materials have important scientific and economic issues and ask questions about their effects on health and the environment.

This is to understand the real prevention practices implemented in relation to this emerging risk, exploring the risk representations of the workers in connection with their work activities. It is also to explore how the mobilization of corporate stakeholders around the prevention device and their confrontation to action and work activity transform their representations and create debate on the prescription to build.

We wish to question the discussion areas about work as a prevention tool that enable the transformation of risk representations among workers and the collective production of rules.

Key words: prevention, nanomaterials, representation, work, discussion area, risk, collective.

Remerciements : Cette recherche a pu se réaliser dans le cadre d’un partenariat avec l’INRS,

que nous remercions pour nous avoir facilité l’accès au terrain et donné les moyens de réalisation de cette recherche. Nous tenons également à remercier l’ensemble des membres du comité pilotage, qui nous ont permis de discuter nos productions scientifiques et d’interroger nos méthodologies, particulièrement C. Ferré, E. Gaffet, A. Garrigou, M. Riediker, C. Oillic-Tissier, D. Vinck. Nous remercions vivement toutes les entreprises ou laboratoires publics, ainsi que les salariés qui ont participé à cette recherche.

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Sommaire

Pages

Introduction………... 8

1. Le contexte de recherche en sciences sociales sur la prévention des risques liés aux nanomatériaux………... 10

1.1. Un contexte d’innovation perçue entre bénéfices et risques pour la société……….. 10 1.2. Des controverses sur les effets des nanomatériaux sur la santé……….. 13 1.3. Les questions de la prévention des risques professionnels liés aux nanomatériaux... 16 1.3.1. Les contradictions du principe de précaution dans un contexte d’incertitude……… 16

1.3.2. Les interrogations et les demandes des entreprises………... 18

2. Problématique de la prévention des risques liés aux nanomatériaux : entre perception et gestion du risque, une question d’activité de travail à débattre……... 21

3. Cadre théorique sur la perception des risques, l’activité et les espaces de débat.. 23

3.1. Les stratégies de prudence et la perception des risques………... 23

3.2. Théorie de l’activité et notion d’activité collective………. 24

3.3. Les espaces de débat sur le travail et la conduite de projet………. 26

4. Méthodologie de la recherche-action……….. 28

4.1. Approche descriptive des pratiques de prévention ou démarche d’intervention ergonomique visant la prévention des risques liés aux nanomatériaux……….. 28

4.2. Caractéristiques des données de terrains en entreprises industrielles et en laboratoires de recherche……… 30 4.3. Des séminaires de recherche avec un comité d’experts en SPI et SHS……….. 31

5. Résultats : de la perception des risques à la conception d’une prévention des risques liés aux nanomatériaux fondée sur l’activité de travail………... 33

5.1. Une perception du risque en laboratoire influencée par les enjeux d’innovation, les métiers et les équipements de travail……….. 33

5.1.1. Enjeux d’innovation et perception des risques……… 33

5.1.2. Effets du métier des travailleurs sur la perception des risques : chimiste versus physicien……… 36

5.1.3. En quoi l’équipement vient interroger la perception des risques des laboratins ?... 42

5.2. Des femmes à l’origine des demandes d’intervention sur la prévention des risques liés aux nanomatériaux : quelles questions sur la perception et la gestion des risques ?.. 47

5.3. Concevoir une démarche de prévention des risques liés aux nanomatériaux dans le milieu industriel, fondée sur l’articulation entre représentation et action……….. 53

5.3.1. Contexte de l’intervention dans l’entreprise A……… 53

5.3.2. La démarche d’intervention : des entretiens, des observations, des simulations……… 55

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5.3.3. Les effets de l’intervention sur les changements de représentations des

risques liés aux nanomatériaux et les actions de prévention……….. 57

5.3.4. Synthèse sur le cas d’intervention à propos des articulations entre action et représentation pour concevoir un dispositif de prévention des risques liés aux nanomatériaux………. 63

5.4. Des transformations des représentations et des actions de prévention des risques liés aux nanomatériaux dans le milieu industriel issues des espaces de discussion sur le travail………. 65

5.4.1. Contexte d’intervention de l’entreprise B……….. 65

5.4.2. La démarche d’intervention……… 66

5.4.3. Des espaces de débats sur le travail ayant des effets sur des changements de représentation du risque lié aux nanomatériaux……… 68

5.4.4. Des espaces de discussion sur le travail amenant à la production de règles collectives de protection vis-à-vis du risque lié aux nanomatériaux………. 70

5.4.5. Synthèse des résultats sur la perception et la gestion des risques issues des espaces de débat sur le travail………. 71

6. Discussion sur les perspectives scientifiques et pratiques pour prévenir les risques liés aux nanomatériaux………... 72

6.1. Améliorer la perception des risques chez les salariés et les décideurs à partir de la compréhension de l’activité et la création de débats sur le travail……… 73

6.1.1. Des représentations qui dépendent de l’activité……….. 73

6.1.2. Des transformations des représentations qui viennent des espaces de discussion sur le travail……… 74

6.1.3. Une construction sociale de la prévention, résultat de la création de collectif de travail……… 75

6.1.4. De l’action aux représentations……… 76

6.2. Développer la sécurité réglée à travers des objets intermédiaires de discussion sur les risques : place des équipements et des procédures dans la gestion réelle des risques.. 77

6.3. Tenir compte du contexte d’incertitude et d’innovation dans la conception du dispositif de prévention des risques liés aux nanomatériaux……….. 79

Conclusion………. 82

Bibliographie………. 83

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Introduction

Ce rapport de recherche fait suite à un partenariat entre le laboratoire Pacte de l’université de Grenoble et l’INRS d’une durée de quatre ans, entre 2010 et 2014. Le programme de recherche intitulé « construction et gestion des risques professionnels liés aux nanoparticules » avait pour objectif de produire des connaissances sur les pratiques de prévention liée aux nanoparticules dans un contexte de prévention relativement mal défini (réglementation en cours d’élaboration, prévention des risque interpellée entre la mesure et la maîtrise des risques, effets médiatiques du débat sociétal, etc.). Peu d’études portent sur les pratiques réelles des travailleurs et des travailleuses manipulant des nanoparticules, et encore moins sur le lien entre leurs pratiques et leurs perceptions des risques et les actions mises en œuvre comme moyen de prévention. Notre postulat était, plutôt que d’attendre la production de connaissances stabilisées pour en déduire des moyens de prévention, de chercher à identifier comment les pratiques, issues de l’analyse du travail sur le terrain, peuvent contribuer à produire des connaissances sur la prévention des risques liés aux nanoparticules.

L’objectif de notre recherche était donc de saisir et décrire les activités réelles de travail des salariés des laboratoires de recherche et des entreprises industrielles, leurs expositions potentielles et leurs manières de se protéger ou de préserver leur santé selon la variabilité des situations de travail (produit/process, tâches, fonctionnements des machines, règles ou procédures, types d’outils ou d’équipement, nature du travail collectif, etc.). Plus exactement, il s’agissait de comprendre comment l’action est déterminée par les représentations des risques, mais également comment les changements de pratique contribuent à modifier les perceptions des risques.

Nos deux hypothèses principales de départ qui ont structuré ce projet étaient les suivantes : 1/ L’approche des risques liés aux nanoparticules ne se réduit pas à un « modèle » général

de risque comme le laissaient à penser la majorité des recommandations au début de la

recherche. Au contraire, plusieurs « modèles » s’agencent et cohabitent suivant les particules considérées, les secteurs d’activité et les acteurs en présence (chercheurs, préventeurs, utilisateurs, politiques, etc.).

2/ Les dispositifs de prévention se construisent et se recombinent régulièrement, au gré de l’intervention des divers acteurs ; le débat et la discussion sur le travail et ses risques potentiels permettent de construire des connaissances sur les risques, d’innover pour élaborer des outils techniques et construire des actions de prévention.

Ces hypothèses sont confirmées par nos résultats, qui nous permettent de montrer que les connaissances des travailleurs sur le risque liées aux nanoparticules sont lacunaires et associées à d’autres risques (notamment le risque chimique) et les questions sur les moyens de se protéger sont variables selon l’activité de travail, les caractéristiques des travailleurs, les métiers et le contexte de relations entre les partenaires sociaux ou les acteurs en présence. Il apparait indispensable, face à ce modèle instable de prévention qui varie en permanence et au cours du temps sur un axe entre deux pôles ‒ déni du risque et peurs exagérés ‒, de poser

l’activité de travail comme objet de débat entre les acteurs et comme lieu de production de

connaissances sur l’identification des risques et les formes de régulation des situations perçues comme critiques.

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Le rapport s’organise autour de l’apport de l’analyse de l’activité des travailleurs et travailleuses des laboratoires de recherche et des entreprises industrielles sur la construction de dispositifs de prévention des risques liés aux nanomatériaux par les acteurs. Nous élargissons ce rapport aux risques liés aux nanomatériaux1 car nos observations de terrain nous ont amenés à prendre en compte une portée plus étendue de ces objets que celles uniquement des nanoparticules.

L’intérêt de cette recherche était la collaboration entre des chercheurs en sciences

humaines et des chercheurs en sciences techniques, notamment en métrologie de l’INRS,

qui nous ont permis d’accéder à des terrains d’étude et d’interroger les représentations que pouvaient avoir les salariés et les acteurs des mesures d’exposition sur les risques potentiels et d’engager des interventions sur la conception de dispositif de prévention. Notre équipe pluridisciplinaire a pu également bénéficier de l’apport d’experts sur les nanosciences dans le cadre d’un comité de pilotage de la recherche, qui a contribué à étayer l’analyse et l’interprétation de nos résultats.

Le plan de ce rapport est composé de six parties : une première partie vise à positionner l’objet de la recherche sur la prévention des risques liés aux nanomatériaux dans les recherches en sciences sociales ‒ notamment la perception des innovations entre bénéfices et risques pour la société, les controverses des effets des nanomatériaux sur la santé dans un contexte d’innovation, les questions posées à la prévention des risques professionnels comme les contradictions entre principe de précaution et rapport à l’incertitude, et enfin les interrogations des entreprises. Cela permet de pouvoir énoncer dans une deuxième partie la problématique des liens entre perception et gestion des risques au regard de l’activité de travail. La troisième partie aborde le cadre théorique en ergonomie, psychologie du travail et en sociologie qui sous-tend cette problématique, à savoir les notions de perception des risques et de stratégies de prudence, le concept d’activité, l’approche de l’activité collective et les espaces de débat sur le travail participant à la conception de dispositifs de prévention. La méthodologie fondée sur l’analyse du travail, l’intervention ergonomique ou des approches qualitatives, est détaillée en quatrième partie. La cinquième partie porte sur l’analyse des résultats et s’organise autour de deux grands axes : la perception du risque nanomatériaux influencée par les enjeux d’innovation, les caractéristiques des travailleurs et les équipements de travail ; les transformations des représentations du risque lié aux nanomatériaux dans le milieu industriel comme résultats des espaces de discussion sur le travail. La sixième partie met en discussion la façon dont il est possible de concevoir des dispositifs et des actions de prévention à partir de la confrontation des acteurs sur le travail réel dans un contexte d’incertitude et d’innovation.

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Il existe deux grandes familles de nanomatériaux (INRS, 2012) :

• Les nano-objets (nanofeuillet, nanofibre et nanoparticule) qui sont des nanomatériaux dont une, deux ou trois dimensions externes se situent à l’échelle nanométrique, c’est-à-dire approximativement entre 1 et 100nm.

• Les matériaux nanostructurés qui sont des matériaux possédant une structure interne ou de surface à l’échelle nanométrique.

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1. Le contexte de recherche en sciences sociales sur la prévention des

risques liés aux nanomatériaux

1.1. Un contexte d’innovation perçue entre bénéfices et risques pour la société

L’émergence des nanomatériaux constitue aujourd’hui une innovation technologique majeure qui va influencer largement la production du monde industriel dans de multiples secteurs comme l’agroalimentaire, l’électronique, l’aéronautique, la cosmétique, le domaine médical, le textile, l’automobile, les matériaux de construction par exemple. Les propriétés chimiques, mécaniques, optiques ou biologiques inédites des nanomatériaux offrent une grande diversité de potentialités en termes d’applications nouvelles. Ces utilisations futures représentent des enjeux scientifiques et économiques importants pour nos entreprises.

Dans le langage courant, le public ou les médias parlent de nanotechnologies pour désigner les nanomatériaux. Les nanotechnologies prennent une place de plus en plus importante dans notre vie quotidienne. Selon les études de consommation, il existe en 2014 plus de 700 produits de la vie quotidienne utilisant des nanoparticules, notamment les cosmétiques, les bétons de revêtement, les peintures, les pneus, les vitres, les composants électroniques. Dans le milieu médical, les nanotechnologies offriraient des propriétés innovantes améliorant le fonctionnement du corps humain (implantation de produits technologiques ou de médicaments à l’intérieur du corps) voire d’augmentation des capacités humaines posant des questions éthiques sur le transhumanisme. Le renouveau industriel en France et dans d’autres pays industrialisés vise à orienter les axes prioritaires de production et d’innovation sur la bionanotechnologie, la nanoélectronique, les produits intelligents, etc., c’est-à-dire tout ce qui relève des technologies de l’infiniment petit considérées comme une nouvelle révolution industrielle. Les enjeux économiques et politiques sont importants et guident les stratégies politiques et le développement industriel d’une offre et de produits nouveaux (Arousseau et coll., 2013).

La nanoscience se développe rapidement dans ce contexte d’innovation et ne relève pas seulement des domaines scientifiques relatifs à une technologie singulière ou aux domaines spécifiques de la biologie, de la chimie ou de la physique. La nanoscience n’est pas réductrice à une technologie et renouvelle les questions et les définitions des problèmes de la conception, de la production et de la prévention.

Les bénéfices de ces innovations perçus par le public ne seraient pas uniformes d’un pays à l’autre (OSHA, 2012). Aux Etats-Unis l’opinion générale est favorable puisqu’une majorité de gens sont convaincus que les bénéfices des nanotechnologies l’emportent sur les risques alors qu’en Europe, seulement 29 % du public pense que les nanotechnologies peuvent améliorer la façon de vivre (source, revue « Environnement, Risques & Santé » No.5 de septembre 2007). Cependant ces résultats un peu anciens sont à remettre dans notre contexte actuel. Il apparait que les résultats sur la perception du rapport bénéfice/coût des nanoparticules sont controversés entre les études, essentiellement du fait que la société civile connaisse finalement assez peu l’existence de nanomatériaux dans les produits de la vie quotidienne (cosmétique, électronique, alimentaire, etc.). Une étude de Siegrist et al. (2007) aux USA sur la perception des bénéfices de l’usage des nanotechnologies dans l’alimentaire et les emballages alimentaires montre que le public perçoit une variété d’applications différentes. Le croisement entre des variables de perception d’effet négatif et de contrôle explique la variation des perceptions des risques et des bénéfices.

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Plusieurs autres études montrent que le public n’est pas familier avec le terme nanotechnologie (Cobb & Macoubrie, 2004; Scheufele & Lewenstein, 2005). Du côté de la société civile, la connaissance sur les nanomatériaux est faible. Les travaux de Vinck (2009) permettent de décrire les représentations du public sur les nanomatériaux. Par exemple, il note une diversité de représentations du public : « les nanotechnologies c’est compliqué, on y comprend rien », « les nanotechnologies c’est l’affaire de quelques savants fous », « les nanotechnologies c’est l’affaire de quelques-uns qui tirent les ficelles », « avec les nanotechnologies, le bonheur est enfin pour demain », « le public et les opposants ont des peurs exagérées », « les nanotechnologies mettent en péril les générations futures », « si on ne le fait pas, les Chinois les feront ». Lorsque les nanomatériaux sont mieux connus par le public par le biais des médias, les questions sont nombreuses : qu’est-ce que les nanotechnologies ? A quoi servent-elles ? Sont-elles dangereuses ? Quelle peut-être l’action de la société civile dans une innovation responsable ?

Les études de Slovic ont déjà montré que la perception du bénéfice a un impact négatif sur la perception des risques (Slovic, 1987 ; Alhakami & Slovic, 1994). On retrouve ce résultat dans l’étude de Siegrist et al., les participants qui perçoivent plusieurs bénéfices associés aux applications nanotechnologiques alimentaires perçoivent peu de risques par rapport aux gens qui perçoivent peu de bénéfices. Il apparait ainsi, avec des travaux déjà anciens, que le risque choisi diminue davantage la perception des risques que le risque subi (Slovic, 1987). Le sentiment de maîtrise du risque dans l’action joue aussi un rôle important sur la perception du risque. Par exemple, dans l’étude de Siegrist et al., les participants de l’étude perçoivent les applications des « nano-inside » (dans l’alimentaire) comme relativement risqué et les applications des « nano-outside » (dans l’emballage alimentaire) comme peu risqué.

Selon un sondage IPSOS réalisé en 2011, la majorité des français se dit mal informée sur le sujet (69%). Cependant une très large majorité de sondés (88%) souhaite que l’on développe la recherche en nanotechnologies. Le risque lié aux nanoparticules est globalement peu perçu par les français selon le baromètre IRSN 2014. Les français ne classent pas ce risque dans leurs préoccupations actuelles parmi la liste des 33 situations à risque. Concernant la situation des nanoparticules, 13,5% ne savent pas répondre sur ce risque, 24,3% le considèrent comme faible, 38,6% comme moyennement élevé et seulement 23,6% comme élevé. Ils sont donc nombreux à ne pas connaitre le risque lié aux nanomatériaux. Les résultats du baromètre IRSN sur le risque nanoparticules entre 2009 et 2014 montrent que la perception de ce risque par les français n’a pas évolué en 5 ans (Drais, 2014). Parmi le public évaluant le risque nanoparticule comme élevé (23,6%), 12,9% ont confiance dans les autorités françaises pour les actions de protection des personnes. Ce sentiment de confiance n’évolue pas entre 2009 et 2014. La crédibilité du message (perception que la vérité est dite) concerne seulement 7,4% du public sur les nanoparticules, sans évolution en 5 ans. Ceci renforce l’idée que le public ne connait pas bien les nanomatériaux et leurs impacts possibles sur la santé.

Ceci nous amène à penser que les nanomatériaux sont assez peu connus du public. Ainsi, nous nous demandons si la perception des risques est plus élevée chez les travailleurs qui manipulent des nanomatériaux que dans le public, qui n’est pas en contact avec ces matériaux dans l’acte de fabrication mais qui est utilisateur. Autrement dit, le risque est-il mieux connu et perçu chez les experts (les travailleurs) que les profanes (les consommateurs) (OSHA 2012) ? Dans certaines études, il apparait que plus le niveau de connaissance est élevé en nanotechnologie, plus les bénéfices potentiels de ces recherches sont perçus (Kahan & al., 2009). Mais on peut penser également que plus le niveau de connaissances augmente, plus les

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questions sur les risques des nanotechnologies peuvent être nombreuses. Le conflit entre innovation et prévention peut alors être important.

Ainsi, il apparait nécessaire de faire la distinction entre les profanes et les experts sur les risques liés aux nanomatériaux. On pourrait penser que les experts ont une perception des risques plus élevée que les profanes, qui ne connaissent pas les produits, ni les risques associés. En réalité, les mécanismes psychologiques défensifs face à un risque, les biais cognitifs ou les croyances amènent parfois les experts a moins percevoir le risque que les profanes. Dans le cadre d’un risque non visible et difficilement évaluable, ces processus psychologiques agissant sur la perception des risques pourraient être utiles comme outil d’analyse pour comprendre des écarts entre des populations (public et expert) et concevoir des messages de prévention adaptés aux croyances. Dans le cas des nanomatériaux, cette question de la perception des risques est compliquée du fait de l’incertitude des effets des nanomatériaux sur la santé. Comment cette incertitude joue-t-elle sur la perception des risques pour les experts et les profanes ? Les études sur le sujet sont controversées avec des résultats contradictoires. Par exemple, une étude traitant plus spécifiquement du risque pour la santé (notamment inhalation de nanoparticules) pour le public et les travailleurs, indique que les experts perçoivent plus les risques que le public (Scheufele et al., 2007 ; Cheng et al., 2009). Dans le cadre d’une étude sur bénéfices et risques des nanomatériaux dans l’alimentaire, Siegrist et al. montrent des résultats inverses : les profanes ont un niveau de risque perçu plus élevé que les experts. Cette perception pour les profanes est influencée par la confiance, les avantages perçus, et les attitudes générales à l'égard de la technologie, alors que pour les experts, elle est davantage influencée par la confiance dans les agences gouvernementales.

Il semble impossible de dégager des régularités dans le modèle des risques liés aux nanomatériaux. L’évaluation des risques pour un expert et un novice semble dépendre du contexte des nanomatériaux dans lequel se construit la perception du risque, mais nous pensons aussi que l’action possible de l’acteur sur l’incertitude et ses propres caractéristiques dans l’activité sont importantes à considérer. Par exemple, les risques issus de l’industrie (produits chimiques, nucléaire, pesticides, OGM, produits alimentaires, pollution environnementale) sont jugés plus importants par les femmes que les hommes selon l’enquête PERPLEX de l’IRSN (et autres partenaires) de juillet 2006 (échantillon 1978 personnes, dont la moitié femmes et l’autre moitié hommes). Cette différence apparait aussi bien dans le public que dans une population d’experts. Mais ici rien n’est dit de leur connaissance des risques, sur leurs expositions potentielles, et encore moins de l’activité qu’ils réalisent dans leur situation de travail ou leur sphère domestique.

La plupart des études sur la perception des risques liés aux nanomatériaux ne sont pas assez précises sur les pratiques réelles des salariés dans leur travail et leurs stratégies de prudence pour se protéger de risques potentiels liées aux nanomatériaux. Les études s’appuient en général sur des enquêtes empruntant à des méthodologies quantitatives sur la base de questionnaires. Ces études tendent à insister sur la prise en compte dans la perception du risque de la gouvernance des risques liés à des nanomatériaux mais ne décrivent pas de façon fine les relations dans l’entreprise entre les salariés, les représentants du personnel, les spécialistes de la prévention, ni même le rapport au risque du salarié dans ses activités de travail, qui pourrait jouer un rôle important dans la perception des risques et la gestion de l’incertitude.

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1.2. Des controverses scientifiques sur les effets des nanomatériaux sur la santé

Toutes ces questions ou représentations portées par le public posent aujourd’hui la question du rôle de la société civile dans la gouvernance des risques. On observe plus particulièrement un changement de paradigme sur la gestion de l’incertitude, où la société interroge les industriels et les politiques. La prise en compte de phénomènes d’endogénéisation du débat public dans les entreprises ou laboratoires de recherche est à prendre en considération. On constate que le débats publics français est parfois internalisé dans les entreprises ou laboratoires, par les salariés eux-mêmes, et le fait que ce débat public « rentre » dans l’entreprise produit des effets internes, des passages à l’action, en matière de prévention par exemple (Skaiky, 2010). Même si l’organisation de débat public en France reste difficile, le public demande à être mieux informé et davantage consulté (Lacour, 2009), notamment depuis les précédents de l’amiante et des Organismes Génétiquement Modifiés (OGM). Dans le cas des nanomatériaux, l’incertitude sur les risques n’est pas seulement cantonné aux travailleurs de l’entreprises, elle touche aussi la sphère domestique et public, comme d’autres risques (exemple, exposition à des agents chimiques, ou radiation par onde électromagnétique). Nous détaillerons dans ce chapitre les controverses scientifiques sur les effets des nanomatériaux sur la santé.

Les connaissances sur la toxicité des nanomatériaux montrent au travers de nombreuses études toxicologiques que certains nano-objets ont des effets toxiques plus importants que les mêmes objets à l’échelle micro- ou macroscopique, notamment du fait de leur taille, leur réactivité de surface ou encore leur bio-persistance (INRS, 2012 ; Gaffet, 2011). Les nanoparticules inhalées ou ingérées peuvent franchir certaines barrières biologiques (nasale, bronchique, alvéolaire, cutanée) et migrer vers différents sites de l’organisme via le sang et la lymphe (processus de translocation) (cf. figure 1).

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Si les connaissances sur la nanotoxicité sont en cours de construction, les controverses existent sur les effets des nanomatériaux sur la santé pour plusieurs raisons :

• Les études pratiquées sont essentiellement réalisées in vitro ou in vivo sur des rats et leurs transpositions à l’homme posent des questions ;

• Les études sont spécialisées sur certains types de nanomatériaux (par exemple TiO2, nanotubes de carbone, etc.). Or dans la réalité, l’usage des nanomatériaux correspond à des mélanges de poudres ou des matériaux pris dans une structure. Plus exactement, les phénomènes rapides d’agglomération des nanoparticules peuvent rendre difficile la prévision de leurs comportements dans l’air mais également dans l’organisme. De plus leurs propriétés se modifient selon le process utilisé, le cycle de vie et le média sur lequel les nanomatériaux sont incorporés ;

• Les nanoparticules manufacturées se trouvent dans l’ambiance atmosphérique avec des nanoparticules naturelles, qui créent un bruit de fond, parfois très important, rendant difficile l’évaluation des expositions.

Aujourd’hui, les stratégies de mesures d’exposition aux nanomatériaux sont en cours de construction. En effet, « en ce qui concerne les nanoparticules et nanomatériaux, il s’avère que la masse est un élément de caractérisation si ce n’est totalement inutile pour le moins grandement insuffisant. Les effets de taille, de forme et de surface (…) comptent en effet bien autant que la masse dans l’évaluation d’une particule à cette échelle » (Lacour, 2009).

En 2008, la norme ISO/TS 27687 évolue vers une définition élargie : « la nanotechnologie est la compréhension et le contrôle de la matière et des processus à l’échelle nanométrique, typiquement, mais non exclusivement, au-dessous de 100 nanomètres, dans une ou plusieurs dimensions quand l’apparition de phénomènes liés à la dimension permet en général de nouvelles applications » (AFNOR, 2008). En octobre 2011, la commission européenne a quant à elle rendu publique sa définition des nanomatériaux : « un matériau naturel, formé accidentellement ou manufacturé contenant des particules libres, sous forme d’agrégat ou sous forme d’agglomérat, dont au moins 50 % des particules, dans la répartition numérique par taille, présentent une ou plusieurs dimensions externes se situant entre 1 nm et 100 nm », excluant ainsi les nanoparticules supérieures à 100 nm, particules pouvant pourtant présenter des risques pour la santé ou l’environnement. En France, dans le cadre du décret relatif à la déclaration annuelle des nanomatériaux, le terme de « substances à l’état nanoparticulaire » est préféré. La recherche d’une harmonisation dans les définitions est pourtant nécessaire à la fois pour la régulation de la fabrication et de la manipulation des nanomatériaux et pour mieux caractériser les expositions possibles.

Il n’existe actuellement pas de réglementation spécifique applicable aux nanomatériaux, seulement des bonnes pratiques (IRSST, 2014 ; Ponce Del Castillo ETUI, 2013 ; UIC, 2009). Les nanomatériaux étant des substances chimiques, les règles relatives à la prévention du risque chimique sont pour l’instant celles qui sont appliquées. Par exemple, les nanoparticules à l’état de poudre présentent plus de risque que si elles sont dans un état liquide. Les nanoparticules insérées dans une structure ne comportent a priori pas de risque. La manipulation de poudre doit se réaliser sous une hotte comme pour les produits chimiques CMR. Mais la mise en œuvre de ces règles issues de la prévention des risques chimiques ou de bonnes pratiques émergentes pour les nanomatériaux pose les mêmes questions sur les modèles d’évaluation et de gestion des risques, sur les méthodes de caractérisation et de mesurage des expositions professionnelles, que l’on rencontre dans le risque chimique : problème des valeurs limites d’exposition (est-ce le bon seuil ?), invisibilité du produit pour le salarié rendant difficile la perception du risque, problème de l’efficacité des EPI. Ce qui

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pourrait différencier la prévention des risques liés aux nanomatériaux de celle des risques chimiques est que les propriétés des nanomatériaux rendent plus invisible le risque ou plus incertaine la prise de risque du fait de sa nouveauté.

Les méthodes existantes pour mesurer le risque lié aux nanomatériaux sont :

• la caractérisation des propriétés de nanotechnologies (taille, forme, type) qui emprunte à la métrologie physique et à la toxicologie (ANSES 2015) ;

• les études menées in vitro ou in vivo (sur des rats ou des poissons). Elles tentent de montrer le lien entre les expositions et les dommages sur le cerveau, le rein, les poumons ou d’autres organes mais les résultats de ces études en laboratoire sont parfois contradictoires sur les facteurs déterminants du fait de la réactivité variable des nanomatériaux en termes de surface, de volume, de composition chimique et d’agrégation des particules ;

• d’autres méthodologies fondées sur une évaluation qualitative de gestion graduée des risques, qui consistent à associer chaque nanomatériau produit ou utilisé à une bande de maîtrise de risque (« control banding ») définie en fonction d’une bande de danger et d’un potentiel d’émission (ANSES, 2010). Ces méthodes permettent de prendre des décisions sur des mesures de prévention à implanter sans avoir toutes les informations sur les dangers et les expositions. Cependant, le recours à cette méthodologie nécessite une expertise reconnue dans le domaine de la prévention des risques chimiques ; • l’approche Safe by design est prônée actuellement comme une autre voie à l’approche

au cas par cas (Maynard et al., 2006 ; Revue environnement et Technique, 2013 ; Book of abstracts of congress Nanosafe 2014). Il s’agit de limiter les risques des nanomatériaux dès la conception des produits de type nanomatériau ou la conception du process de fabrication et de manipulation des nanomatériaux. Ainsi il est proposé de concevoir, dès les premières étapes de l’élaboration et de la mise en œuvre, des nanoparticules ou des nanoproduits présentant le moins de risques possibles pour la santé de l’homme et l’environnement. Il s’agit donc d’intégrer la maîtrise des risques des nanomatériaux dès l’élaboration, la mise en œuvre, ou encore la conception / le design. Il s’agit de prendre en compte le SAFER : S pour « size, surface and structure », A pour « Alternative materials », F pour « Functionalization », E pour « Encapsulation » et R pour « Reduce the quantity » (Morose, 2010) et de permettre un développement industriel responsable et durable, encore appelé « safer by design » ou « safer by process », prenant en compte les propriétés spécifiques des nanomatériaux et de leur évolution tout au long de leur cycle de vie.

Cependant ces différentes approches pour évaluer le risque lié aux nanomatériaux et concevoir la prévention tiennent faiblement compte de la compréhension de l’activité réelle de travail, qui nous intéresse et que prônent l’ergotoxicologie (Garrigou, 2011) et l’ergonomie de conception. Contrairement à ces dernières, elles se caractérisent par une absence de prise en compte de l’activité de travail, voire du travail.

Elles ne tiennent pas compte non plus du fait que la prévention ne se construit pas seulement sur une approche probabiliste et rationnelle fondée sur les relations quantifiées entre niveaux d’exposition et effets pathologiques. En sciences sociales, les principes qui guident l’action et les décisions de prévention relèvent de la gouvernance des risques. Ils s’inscrivent dans les stratégies politiques, les intérêts des industriels et le débat public. La prise en compte des risques par la société et sa présence dans le débat politique et public viennent interférer de plus en plus dans les pratiques des travailleurs et notamment dans le travail des scientifiques en laboratoire (Jouvenet, 2011, 2012). La définition des nanomatériaux par rapport à une

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échelle nanométrique correspond plus à une construction sociale (Vinck, 2009) qu’à une science exacte, d’autant que le comportement de chaque nanomatériau est variable et ne dépend pas seulement de sa taille et de sa forme.

1.3. Les questions de la prévention des risques professionnels liés aux nanomatériaux

Dans ce chapitre, nous souhaitons mieux identifier les questions portant sur la prévention des risques professionnels dans un contexte de controverse sur les effets de nanomatériaux sur la santé des risques, notamment sur les contradictions possibles entre principe de précaution et rapport à l’incertitude et les interrogations des entreprises qui font émerger des demandes d’intervention sur le terrain.

1.3.1. Les contradictions du principe de précaution dans un contexte d’incertitude

Le principe de précaution qui engage les pouvoirs publics s’applique, de manière générale, dans les contextes où « l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable » (Loi Barnier 95-101, 1995).

L’affirmation d’un principe de précaution dans la société du risque (Beck, 1992) est une façon de lutter contre les menaces (OGM, biotechnologies, nanotechnologies, etc.) en utilisant dans le débat une rationalité scientifique face à l’incertitude. Le calcul est au fondement des modèles de rationalité technique et scientifique face à l’incertain. Il s’appuie sur l’économie, qui distingue le risque et l’incertitude : le risque est mesurable tandis que l’incertitude repose sur des croyances et des attitudes dont l’occurrence est difficilement vérifiable. Les calculs élaborés dans une logique déterministe tentent de prouver le lien entre les expositions et les effets pour proposer des recommandations. Or dans le cas des nanoparticules, les caractéristiques des nanomatériaux rendent difficiles l’évaluation des risques ou la recherche de valeurs seuil pour garantir une protection (Drais, 2009). Sans compter que même si cela était possible, il n’est pas évident que les connaissances produites puissent définir précisément les niveaux de risques aux nanomatériaux. En situation d’information imparfaite, les décisions face aux risques potentiels des nanoparticules ne peuvent suivre des principes de rationalité. Autrement dit, la rationalité limitée amène à des décisions négociées, contextuées, subjectives, qui ne sont que le reflet de processus collectifs de décision. Les biais sociaux, cognitifs et psychologiques sont nombreux et comme nous le montrent les recherches en psychologie et en sociologie, les attitudes et les croyances des individus et des acteurs influencent la perception des risques dans un contexte social donné.

Certaines décisions des décideurs politiques et industriels sur les actions à mener dans le sens de la protection de la santé ne sont pas établies sur des connaissances scientifiques établies. Le principe de précaution appliqué aux risques des nanomatériaux invite pourtant à procéder à des « itérations entre action et connaissance et de se soucier de façon précoce des risques hypothétiques de dommages graves afin de les prévenir. Il n’impose aucunement ni d’arrêter des développements en cours, ni de devenir précautionneux, mais seulement de se pencher de façon précoce sur les risques potentiels » (Vinck, 2009). Dans ce sens, le principe de précaution est une reconnaissance d’un déficit de connaissance temporaire, permettant de maintenir le développement de ces connaissances et de l’activité, tout en adoptant certaines mesures visant à se prémunir d’éventuelles atteintes à la santé humaine. La précaution est, selon Peretti-Watel (2003), inséparable d'un effort visant à produire de nouvelles

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connaissances, qui devront permettre à terme de basculer à nouveau dans l'univers risqué et la prévention.

Le cadre théorique de la gestion de l’incertitude, qui intéresse l’ergonomie et la sociologie dans les processus de prise de décision, nous semble particulièrement important à mobiliser sur les questions que posent les nanomatériaux dans la prévention professionnelle des risques, notamment sur le rôle de l’incertitude dans la construction du problème, en particulier l’identification des risques de nanomatériaux.

Les travaux de l’ergonomie cognitive dans l’analyse des activités de planification dans les environnements dynamiques (Hoc, Mebarki et Cegarra, 2004) montrent qu’une façon de gérer l’incertitude dans la prise de décision relève de stratégies visant sa réduction. Il peut s’agir de prendre des décisions précises à court terme et de moins en moins précises à long terme. Les opérateurs peuvent également simuler mentalement le déroulement de la situation pour se construire une représentation de l’état futur, même si cela peut impliquer un coût cognitif important (Cegarra & Hoc, 2008). La réduction peut être menée simplement par la recherche d’informations complémentaires.

L’absence ou l’ambigüité des informations, les objectifs contradictoires et l’incapacité de pouvoir mesurer les conséquences liées à une prise de décision sont des sources d’incertitude. Endsley & Jones (2004) ont identifié quatre niveaux possibles d’incertitude : 1/ Incertitude portant sur les données : manque d’information, crédibilité d’information, incongruence/conflit de l’information, mise à jour des données, ambiguïté des données ; 2/ Incertitude portant sur la compréhension de la situation ; 3/ Incertitude portant sur l’état futur (projection), 4/ Incertitude portant sur les conséquences de sa décision. Dans le cas de nanomatériaux, il nous semble que l’incertitude relève principalement des premier et deuxième niveaux, à savoir manque d’information et de compréhension de la situation.

D’autres stratégies de gestion de l’incertitude ont été décrites par (Lipshitz et Strauss, 1997) : • Raisonnement à partir d’une hypothèse. L’opérateur réalise un choix parmi plusieurs

options. Par exemple dans le pilotage d’avions de chasse, en cas d’incertitude, le pilote peut prendre l’hypothèse la plus défavorable (Cohen, Tolcott & McIntyre, 1987). • Peser le pour et le contre. Dans le cas où plusieurs solutions sont envisageables, un

opérateur peut essayer d’évaluer les solutions. Les sujets privilégient généralement les solutions qui minimisent par la suite l’incertitude (Bruner, Goodnow et Austin, 1953). • Préparation. Les opérateurs peuvent considérer l’événement incertain comme s’il

pouvait réellement se réaliser et se préparer à la situation en conséquence. Il s’agit, par exemple, des anesthésistes qui anticipent les évènements indésirables au bloc et organisent l’opération avec le chirurgien en fonction de ces évènements potentiels (Xiao, Milgram & Doyle, 1997, Cuvelier, 2013).

• Suppression. Une dernière stratégie consiste à ignorer l’incertitude. Il peut également s’agir de l’occurrence d’un événement qui peut être ignorée, notamment si les conséquences sont récupérables.

Toutes ces stratégies sont intéressantes à explorer dans l’analyse de nos résultats mais il n’est pas évident que les travailleurs et travailleuses perçoivent le risque et donc l’incertitude entre les expositions et les effets sur leur santé. Nous regarderons néanmoins quand ils ont le sentiment d’incertitude sur le risque lié aux nanomatériaux, la façon dont ils développent dans leurs pratiques professionnelles, des moyens ou des stratégies pour réduire cette incertitude.

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Gasser, Fischer et Wäfler (2011) ont répertorié plusieurs variables qui pouvaient jouer un rôle sur la gestion de l’incertitude : l’expertise, la pression temporelle, l’impact émotionnel, l’ambiguïté ou l’incompatibilité des différents objectifs, le manque partiel ou l’absence de certaines informations et enfin la difficulté de mesurer les risques liés à la prise d’une décision.

Il nous semble important maintenant pour préciser notre problématique de recherche de partir des questions posées par les entreprises sur la prévention des risques liés aux nanomatériaux pour comprendre la « fabrication sociale » de ce risque.

1.3.2. Les interrogations et les demandes des entreprises

Une majorité d’entreprises rapporte le manque d’information comme un obstacle à la mise en œuvre de la santé et la sécurité, et ne prennent pas en compte les documents gouvernementaux pourtant disponibles (Engeman et al., 2012).

Nous avons recueilli plusieurs questions posées par les industriels au fil de nos rencontres avec eux :

• Les nouveaux matériaux utilisés dans les produits sont-ils des nanomatériaux (difficulté de la traçabilité sur les produits des fournisseurs et pas de réglementation sur l’étiquetage) ?

• Si oui, comment les caractériser (appel à des experts) ?

• La forme des produits (liquide, incorporé dans une matrice) comporte-t-elle des risques ? • Comment séparer l’impact des nanoparticules naturelles de celles industrialisées

(L’ambiance atmosphérique comportant des nanoparticules naturelles crée un brouillard)

• Quels sont les impacts des produits nanomatériaux manufacturés ou manipulés sur la santé ?

• Comment protéger les salariés?

• Les équipements de protection collective ou individuelle existants sont-ils efficaces ? • Quelle est ma responsabilité en tant qu’employeur dans un contexte d’incertitude ?

Face à ces questions, les attitudes des industriels sont variables. Cependant elles relèvent plutôt de la crainte à s’engager dans une démarche de prévention tant que les connaissances sur le risque ne sont pas plus stabilisées. Autrement dit il n’y a pas de consensus dans les entreprises sur l’action ou les stratégies de gestion de l’incertitude. Les entreprises sont sensibles aux questions posées par les salariés, aux attentes sociétales (en termes de valeurs et y compris aux aspects commerciaux) et sont plutôt démunies sur la façon de poser le problème avant même de se poser la question de le gérer. Plusieurs explications données par les entreprises peuvent être reprises ici pour rendre compte de leur crainte à poser le problème :

• Des contextes économiques difficiles rendent impossible l’engagement de l’entreprise sur des missions de prévention, jugées secondaires.

• Les mesures d’exposition indiquent de faibles doses et l’entreprise ne s’engage pas face à un risque jugé faible.

• Les mesures indiquent un risque potentiel et l’entreprise tend à évoluer vers une situation de déni du risque.

• Le manque de connaissances scientifiques en toxicologie sur les expositions et leurs effets sur la santé n’incite pas les entreprises à agir en prévention. Les services de

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prévention ont un temps et des moyens limités en prévention et préfèrent se concentrer sur les risques représentant déjà un coût pour l’entreprise, ce qui légitime souvent leur action auprès de l’employeur.

• La crainte du côté des directions d’entreprise de déclencher des peurs et des réactions émotionnelles non maitrisables de la part des salariés (droit de retrait, conflit social,…) peut engendrer des difficultés sur la production ou gêner l’innovation. Le rapport coût/bénéfice tend plutôt l’entreprise à ne pas mettre en exergue le risque potentiel des nanomatériaux.

• La plupart des salariés ne savent pas qu’ils utilisent des nanomatériaux dans les procédés de fabrication ou ne connaissent pas les risques encourus liés à la manipulation de ces produits. En l’absence de connaissances des salariés, les entreprises ne sont pas interpellées, ni amenées à se positionner sur des moyens à mettre en œuvre sur ce risque.

Ces premiers retours du terrain nous indiquent que nous sommes encore très loin d’une construction sociale du problème du risque lié aux nanomatériaux dans les entreprises, notamment dans les relations d’échange entre les employeurs et les salariés.

Un exercice de prospective mené par l’INRS en 2014 (cf. INRS HST 2015) permet de dégager quatre scénarios possibles dans le futur sur les risques liés aux nanomatériaux et les positionnements possibles des entreprises et des politiques dans la gestion de la prévention de ces risques :

• Hypothèse 1: Survenue d’effets sanitaires graves non anticipés

Cette hypothèse suppose une faible prédictivité des outils relatifs à l’évaluation des dangers (santé) et des expositions (mesure). Certains nanomatériaux (très répandus ou relargage accidentel) dont les dangers potentiels auront été sous-évalués ou ignorés induisent au terme de plusieurs années la survenue d’effets sanitaires et environnementaux graves et très médiatisés (scénario « Amiante »). Dans ce scénario, il y aura développement de la construction de la connaissance sur les effets des nanomatériaux sur la santé et la recherche d’une maitrise des risques.

• Hypothèse 2: Les effets sur la santé ne sont pas spécifiques par rapport aux autres agents chimiques (pas de crise)

Cette hypothèse suppose une bonne prédictivité des outils relatifs à l’évaluation des dangers (santé) et des expositions (mesure). Les risques sanitaires, évalués a priori (avant commercialisation) sont établis comme très différents d’un nanomatériau à l’autre et, globalement, les nanomatériaux ne représentent pas un risque global pour la santé ou l’environnement spécifiquement plus élevé par rapport aux autres agents chimiques. Chaque nanomatériau se place entre les intervalles d’un continuum d’effets anticipés par la recherche en toxicologie : du plus grave au plus « anodin ». Dans ce scénario, il pourra y avoir des prises de positions de la société civile et l’entreprise se placera dans une approche techniciste des risques.

• Hypothèse 3: Des effets sanitaires éventuels sans crise déclarée

Restrictions catégorielles de l’usage de certains nanomatériaux utilisés au plus près du consommateur (alimentation, cosmétique) car, même en l’absence d’effets sur la santé objectivés, il aura été prouvé que ces nanomatériaux se diffusent dans l’organisme et s’y accumulent. Dans ce scénario, il pourrait y avoir un désengagement de l’Etat et une prise en charge des risques par les industriels avec des développements spécifiques des nanomatériaux selon les secteurs d’activité.

• Hypothèse 4: Les risques sanitaires restent difficilement évaluables

Actuellement, l'écart de connaissances entre le progrès technologique et la recherche en nanosécurité est estimé à 10-20 ans. En effet, les recherches visent essentiellement à

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développer de nouveaux nanomatériaux et nanotechnologies, alors que les moyens alloués (tous secteurs confondus, public ou privé) aux recherches sur leurs effets potentiels sur la santé sont insuffisants. Dans le cas où n’émergerait pas d’outil à haut débit d’évaluation des dangers (toxicologie…), cet écart se maintiendra ou sera susceptible de croître. Dans ce scénario, il pourrait y avoir une gestion plus ou moins maitrisée des risques suivant un développement régionalisé selon l’allocation de moyens sur le territoire, avec de fortes disparités selon la taille de l’entreprise (groupe versus PME).

Dans ces différentes hypothèses des scénarios futurs de la production des nanomatériaux et de la gestion des risques, il apparait que les questions de prévention restent relativement fragiles. Il reste encore beaucoup de choses à comprendre sur l’exposition au risque, le cycle de vie des produits, etc. Il apparait néanmoins que « plus l’incertitude est grande, plus elle doit être débattue » comme le disait William DAB à la journée de l’INRS en 2014 (cf. INRS HST 2015).

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2. Problématique de la prévention des risques liés aux nanomatériaux :

entre perception et gestion du risque, une question d’activité de travail à

débattre

Les questions en sciences sociales sur les risques liés aux nanomatériaux, tant du côté de la société civile, que de leurs effets controversés sur la santé et enfin de la prévention professionnelle de ce risque, nous ont amenés à définir la problématique de cette recherche autour de l’interaction entre la perception et la gestion des risques. La production de connaissances dans ce domaine s’oriente principalement autour de deux axes d’étude :

• L’action transforme les représentations.

• Les représentations sont le résultat d’une construction sociale et de régulations entre les acteurs (direction, préventeur, opérateur) sur la prévention des risques professionnels.

Ces études s’inscrivent plus exactement dans la problématique de mise en visibilité et en débat de l’activité réelle de travail, pour amener les acteurs à prendre conscience des risques potentiellement encourus et à se poser des questions sur les moyens d’y faire face du point de vue de l’efficacité du travail et de la préservation de la santé. L’approche ergonomique du travail a l’intérêt de poser la question du travail dans la sécurité gérée, en l’absence de sécurité réglée stabilisée dans le monde des risques liés aux nanomatériaux. Les pratiques réelles de gestion de la sécurité et de la santé sont à saisir en fonction des contextes de travail, des métiers, des collectifs de travail et des conditions de réalisation du travail.

Deux hypothèses principales structurent ce projet :

1/ L’approche des risques liés aux nanomatériaux ne se réduit pas à un « modèle » général de risque comme le laissaient à penser la majorité des recommandations au début de la recherche. Au contraire, plusieurs « modèles » s’agencent et cohabitent suivant les nanomatériaux considérés, les secteurs d’activité et les acteurs en présence (chercheurs, préventeurs, utilisateurs, politiques, etc.).

2/ Les dispositifs de prévention se construisent et se recombinent régulièrement, au gré de l’intervention des divers acteurs ; le débat et la discussion sur le travail, ses risques potentiels permettent de construire des connaissances sur les risques, d’innover dans l’élaboration d’outils techniques et de construire des actions de prévention.

Nos hypothèses opérationnelles orientées vers la compréhension de l’activité réelle de travail et sa mise en débat dans la conduite de projet de prévention des risques liés aux nanomatériaux sont les suivantes :

1/ La perception des risques liés aux nanomatériaux est différente selon le métier, le genre et l’ancienneté. Cette hypothèse sera explorée essentiellement dans le secteur des laboratoires, notamment à partir de l’analyse d’une trentaine d’entretiens avec des chimistes et des physiciens, de sexe et d’anciennetés variés. Plus exactement, les chimistes ont une perception des risques liés aux nanomatériaux accrue par rapport aux physiciens, les femmes plus que les hommes, les jeunes plus que les anciens. Cette hypothèse s’appuie sur les théories de la perception des risques et des stratégies de prudence. Mais nous souhaiterions démontrer à travers nos résultats que ces différences de perception des risques liés à la variabilité inter-individuelle, ne sont pas seulement liées aux caractéristiques de la population, mais plutôt aux assignations à des tâches ou des postes différents selon la variabilité, c’est-à-dire à des activités différentes, avec des expositions potentielles différentes.

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2/ Les espaces de discussion sur le travail réel sont des instruments pour transformer les représentations du risque lié aux nanomatériaux. Cette hypothèse2 sera explorée dans le milieu industriel, notamment en s’appuyant sur les résultats d’intervention dans deux entreprises. Plus exactement, plus les opérateurs échangent entre eux sur les difficultés rencontrées dans l’activité réelle, plus les interrogations liées aux risques des nanomatériaux sont nombreuses, plus elles participent à faire évoluer les représentations, voire à davantage partager des représentations communes des risques. Cette hypothèse s’appuie sur les théories de l’activité, de l’activité collective et notamment le triptyque entre « pouvoir penser, pouvoir agir, pouvoir débattre » que l’on retrouve dans les espaces de discussion sur le travail. Les limitations de l’action entraînent des limitations de la pensée, le changement de représentation n’est donc pas suffisant pour agir, tout comme l’absence de débat sur le travail réel empêche l’ouverture de marges de manœuvre des acteurs sur l’action.

Ces deux hypothèses opérationnelles seront discutées en fonction des résultats produits et seront mises en perspective pour la recherche, notamment sur la façon de concevoir la prévention des risques liés aux nanomatériaux dans un contexte d’innovation et d’incertitude. Dans cette conception, l’intervention en prévention des risques professionnels n’est pas à envisager comme la réponse à un problème (produisant un diagnostic et des recommandations, classiquement décrites en ergonomie dans comprendre le travail pour le transformer) mais plutôt comme une conduite de projet (qui part de la volonté de changement et s’appuie notamment sur la simulation de l’activité future). Cette discussion vise à réinterroger les apports théoriques de la conduite de changement avec des démarches participatives en ergonomie et dans les disciplines voisines (sociologie, psychologie) par rapport à un risque émergent, ici la prévention des risques liés aux nanomatériaux.

2 Cette hypothèse fait référence et s’appuie sur les travaux de doctorat de Rouani Rocha (2014), directeur François Daniellou

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3. Cadre théorique sur la perception des risques, l’activité et les espaces de

débat

Le cadre théorique de cette recherche portant sur la problématique des liens entre perception et gestion des risques du point de vue de l’activité, s’appuie sur trois concepts fondamentaux : les stratégies de prudence et la perception des risques ; la théorie de l’activité et l’activité collective ; la conduite de projet de changement et les espaces de débat. Ces différents concepts sont détaillés ci-dessous afin d’en préciser le cadre théorique, les modèles sous-jacents qui nous permettront dans la partie suivante de justifier de notre méthodologie de recherche et qui nous seront utiles pour analyser les résultats.

3.1. Les stratégies de prudence et la perception des risques

Dans une approche écologique de la sécurité, Faverge (1966) parle de pratiques de « sécurité informelle » et Cru (1995) avance la notion de « savoir-faire de prudence » qui se caractérise dans un métier par une sécurité au cœur même de la situation de travail. « La prise en compte de l’activité concrète de travail, avec sa part d’exposition au danger, la peur (…), la nécessité de contenir cette peur pour pouvoir y travailler durablement » (Cru, 1995, p.25) permet de comprendre comment les aspects relevant de la prise de risque par les opérateurs correspond aussi du point de vue des opérateurs à la « prise en main » de la situation professionnelle. Ainsi on comprend que la sécurité se construit dans l’action. L’opérateur dans la gestion d’activité à risque cherche à concilier la gestion des contraintes, l’adaptation aux variations et l’optimisation du fonctionnement du système (Valot, Weill-Fassina, Guyot, Amalberti, 1995). La gestion du risque se met aussi en jeu dans le collectif de travail, qui définit des règles de métier sur les façons et les manières d’accomplir les gestes techniques visant un travail de qualité, tout en préservant la santé (Caroly, 2010). Elle s’inscrit également dans un réseau social caractérisé par des articulations entre des régulations verticales (structurelles élaborées par l’encadrement) et des régulations horizontales (collaboration entre pairs pour faire face aux variabilités et aléas des situations) (De la Garza, Weill-Fassina, 2000). Les savoir-faire de prudence sont donc une construction individuelle et collective de la gestion de l’activité à risque.

L’approche psychologique des risques tend à comprendre le rôle des représentations et des croyances dans les comportements. On est ici assez éloigné d’une approche ergonomique des risques, mais cette approche peut être intéressante pour analyser une partie de nos résultats de recherche. La manière dont l’individu va percevoir une situation ou un environnement est en relation avec la façon dont il perçoit ses propres capacités à y faire face, avec ses valeurs, qui sont plus ou moins influencées par des normes sociales, et avec le sens qu’il donne à la situation. Dans un contexte d’incertitude sur des situations à risque, les croyances sont nombreuses et peuvent conduire à des biais cognitifs ou motivationnels dans la façon d’évaluer la situation et de se comporter (Kouabenan, 2007). Les croyances permettent de compenser l’absence d’explication rationnelle, de donner du sens aux événements, de faire des liens entre les événements et les possibilités de les contrer, de prévenir leurs effets néfastes et de retrouver un certain sens du contrôle (Kouabenan, 2009). Les croyances interviennent donc dans l’évaluation de sa propre exposition au risque et dans les décisions de s’en protéger ou non.

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Dans cette approche psychologique de la perception des risques, R.Kouabenan, dans ses travaux de recherche, insiste sur deux dimensions à prendre en compte, à savoir :

• la structuration de la prise de risque selon les caractéristiques du risque lui-même : fréquence ou probabilité d’occurrence, potentiel de gravité, nature du risque, contrôlabilité, familiarité, utilité perçue, volontaire/subi, médiatisation ;

• la structuration de la prise de risque selon les caractéristiques du sujet percevant le risque : niveau d’expertise, variables sociodémographiques et psychologiques, normes sociales, degré de vulnérabilité au risque (soi, autrui, société), sentiment de contrôle et de compétences.

Dans notre recherche, il s’agira de comprendre comment l’action, c’est-à-dire les pratiques professionnelles de gestion des risques dans l’activité de travail, participe à la construction des représentations de risques et non l’inverse (c’est-à-dire la façon dont les perceptions et les croyances influencent l’action). Mais nous sommes intéressés par le « rapport sensible au travail » (Böhle & Milkau, 1998), notamment quand le conflit ou la dissonance cognitive sont présents dans la situation de travail et qu’il n’est pas possible pour l’opérateur d’agir conformément à ses représentations et qu’il est amené à une évolution de ses représentations visant à justifier ce qu’il est contraint de faire.

Nos résultats auront pour objectif de dévoiler les différentes formes de perception des risques selon les caractéristiques des travailleurs et des travailleuses, leurs stratégies de prudence qui sont en réalité plus liées à leur activité de travail qu’à leurs propres caractéristiques.

3.2. Théorie de l’activité et notion d’activité collective

L’ergonomie de l’activité est marquée de la distinction fondatrice entre travail réel et travail prescrit (Guérin et al, 1991 ; Falzon, 2004), qui se décline en un double niveau, la tâche et l’activité. La tâche est constituée par l’ensemble des objectifs plus ou moins prescrits, qui ont été définis par les organisateurs du travail, et qui sont assignés à la personne qui travaille. Pour une tâche donnée, des moyens techniques et organisationnels sont mis à la disposition des opérateurs. L’activité est la mobilisation de l’ensemble de la personne humaine et de ses facultés pour réaliser les tâches et les objectifs qu’elle se fixe à partir de ceux qui sont fixés, et ce en fonction des moyens techniques et organisationnels qui ont été mis à sa disposition. L’activité est toujours singulière et est l’œuvre d’inventivité (Wisner, 1995). Cette activité n’est pas neutre, elle engage et transforme en retour celui (ou celle) qui l’accomplit (Teiger, 1993).

L’opérateur met en œuvre des régulations pour faire face à des variations, des aléas ou des dysfonctionnements (variabilités des matières premières, des outils, des équipements, des clients) avec des conséquences de ces régulations sur la performance et la santé (Leplat, Cuny, 1977). L’observation ergonomique est indispensable pour accéder au travail réalisé, mais l’activité ne se résume pas à ce qui est visible et observable.

En effet, les évolutions du concept d’activité issu de l’ergonomie francophone ont été liées à la prise en compte de déterminants de plus en plus larges, dépassant les seuls déterminants de l’activité réalisée issue de l’observation (rôle des autres systèmes d’activité, de l’histoire du sujet et de la subjectivité, de l’expérience, etc.).

Le modèle de l’activité proposé par Nicole Vézina (2001) montre un ensemble de déterminants (conditions et moyens offerts par l’entreprise ‒ dispositif technique, environnement, organisation du travail,…‒ ; exigences de la production‒ quantité, qualité, consignes, procédures‒ ; attentes des différents interlocuteurs ‒ collègues, client,…‒) qui joue

Figure

Figure 1 : Biocinétique des nanoparticules - ANSES (2014, p.41)
Figure 2 : Déroulement de l’intervention dans les 2 entreprises
Tableau 1 : Synthèse des observations ouvertes et systématiques réalisées dans l’entreprise B
Tableau 3 : Solutions de prévention proposées par le comité opérationnel
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