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Le rôle de l'encadrement institutionnel et associatif pour l'insertion professionnelle des handicapés au Japon : points communs et divergences avec le système français

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UNIVERSITÉ PARIS DAUPHINE

École doctorale : EDOSSOC Laboratoire : IRISSO

N° attribué par la bibliothèque

Le rôle de l‘encadrement institutionnel et associatif pour l‘insertion

professionnelle des handicapés au Japon :

Points communs et divergences avec le système français

THESE

Pour l‘obtention du grade de DOCTEUR EN SOCIOLOGIE

(Arrêté du 07 août 2006)

Présentée et soutenue publiquement par Michaël DERVELOIS

Jury : Suffragant :

Rapporteur :

Rapporteur :

Directrice de thèse : Sylvaine TRINH

Professeur des Universités, Université Paris Dauphine

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Remerciements

Je tiens à remercier tous ceux qui m’ont apporté leur aide et leurs encouragements pour la réalisation de cette recherche. Tout d’abord, mes plus vifs remerciements aux interviewés qui se sont toujours montrés volontaires pour répondre à mes questions et dont la grande amabilité m'a beaucoup touché. Toute ma reconnaissance également à ma collègue de promotion, Madame Régine Boutrais pour son soutien administratif auprès de l’université de Paris Dauphine et à Monsieur le professeur Susumu Kase, de l’université Tōkyō Gakugei, qui m’a dirigé vers les responsables concernés par mon thème de recherche. J'aimerais également remercier les personnes suivantes :

- Monsieur Tetsuji Miyazaki, responsable du Centre pour l’emploi des personnes handicapées de Tōkyō (Tōkyō shōgaisha shokugyō sentaa), pour la formation des travailleurs sociaux et Monsieur Kōji Onoue, responsable de la branche japonaise de Handicap International (shōgaisha intaanashionaru nihon kaigi) qui ont eu l'amabilité de m'accueillir dans leurs services et me présenter aux personnes concernées par mon objet de recherche afin de me faire connaître au plus près les arcanes du fonctionnement de leurs services.

- Messieurs Tomotake Kinoshita, Kōji Hajime, Yō Kanda, Kōji Nakamura, étudiants et jeunes salariés handicapés ou en voie d’insertion professionnelle. Monsieur Atomu Sunada, acteur et comédien japonais, pour sa collaboration. Mesdemoiselles Akiko Nakagawa, Kiyoko Okamoto et Mesdames B. Bailly, G. C. et C. H. qui ont toujours eu l'obligeance de répondre à mes questions.

- Madame le professeur Tomoe Iwamoto et Messieurs les professeurs Sōichirō Hotani et Michiharu Kusumoto, ainsi que leurs nombreux collègues, pour leurs témoignages concernant leur rôle en tant que chargé de l’emploi (Shūrō tantō) auprès des lycées spécialisés pour les jeunes handicapés.

- Monsieur Kaoru Mizuno, responsable de la ligue pour la création d’établissements dédiés aux personnes handicapées malentendantes de la préfecture de Chiba (Chiba-ken roujūfuku shōgaisha shisetsu wo tsukuru kai) qui m’a ouvert de nombreuses portes et m’a aussi longuement entretenu sur les arcanes de l’aide à l’insertion professionnelle des personnes handicapées au Japon.

- Monsieur Shido Tsuneo, responsable des Ressources Humaines de la société Soran Pua, Madame Djamila Tedjani, responsable des Ressources Humaines de la société Veolia, Madame Laurence Bernard, responsable du service associatif de Arihm Conseil et son équipe pour leur accueil et leur disponibilité, ainsi que les membres de l’association Ohé Prométhée dont la grande gentillesse à mon égard n'a jamais failli.

- Madame Lecas, conseillère technique, et Madame Cahiaux, chargées de l'insertion professionnelle de la Maison Départementale de Beauvais (Oise) pour leur témoignage et leur assistance.

- Monsieur Katsuya Nozawa, chargé de cours à l’université Tōkyō Gakugei et membre de la Fédération des malentendants du Japon (Nihon zenpan roa renmei) qui m'a permis de participer aux nombreux séminaires organisés par celle-ci. Mademoiselle Noriko Yoshida qui m'a consacré le temps nécessaire pour m’expliquer les différentes arcanes et relations entre son université et les services associatifs et institutionnels français.

- Mademoiselle Ryūko Nakamura qui m’a assisté dans d'innombrables démarches, ainsi que pour le travail de compréhension et de traductions des entretiens.

- Je remercie tout particulièrement Madame Sylvaine Trinh d’avoir toujours su orienter mon travail. - Et enfin, à ma Mère et à tous ceux et celles dont l'affection, l'amitié et la patience m'ont permis de surmonter des moments parfois difficiles. Sachez que je vous en suis infiniment reconnaissant. Pour conclure, je tiens à dédier ce travail à mon père, Michel Dervelois, qui m’a sans relâche soutenu pendant tout le temps que m'a pris la rédaction de cette thèse, mais qui n’a pas pu, à mon plus grand regret, voir de son vivant le résultat final.

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SOMMAIRE

Introduction

3

Chapitre 1 :

Définition du handicap : la perception de l‘inadaptation

23

Chapitre 2 :

L‘état de la capacité d'insertion professionnelle des

personnes handicapées en France

49

Chapitre 3 :

L‘approche de la systémique et de l‘acteur appliquée au

problème d‘intervention sociale pour l‘embauche du

handicap

80

Chapitre 4 :

Critique du niveau d‘intervention administrative de soutien

à l‘embauche : dissimilitudes entre les systèmes français et

japonais

149

Chapitre 5 :

Le projet d‘insertion et l‘activation généralisée : l‘arme

stérilisante des motivations pour la maîtrise des carrières

face aux tentatives silencieuses et diverses sécurisant

l‘usager

221

Conclusion

333

Table des matières

359

Sources bibliographiques

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INTRODUCTION

La condition d‘une personne handicapée en demande d‘emploi nous permet d‘en apprendre beaucoup sur l‘état d‘un système de protection sociale. En se basant sur l‘observation de sa cohérence d‘acteur, les sciences sociales permettent d‘approcher de manière qualitative son aptitude à faire fléchir son environnement pour accroître son intégration sociale. Plus précisément, la sociologie de l‘action – qui se concentre sur l‘évolution des conflits et sur les changements de rapports de force – nous permet d‘analyser la qualité du soutien administratif qui a la possibilité d‘accroître cette aptitude de la personne handicapée. Nous pouvons apprendre ainsi beaucoup d‘un système de protection sociale par l‘observation de cet acteur public du soutien au handicap dans son interférence au sein du conflit social qu‘est l‘insertion du handicap. Il nous est alors possible d‘étudier, chez cet acteur public, d‘une part la manière dont il justifie sa présence sur cette question sociale, et d‘autre part l‘efficacité de sa politique visant à dynamiser l‘acteur handicapé.

La personne handicapée, sans être nécessairement dans l‘adversité financière et sociale, est amenée à assumer de manière autonome ses moyens de subsistance, en gagnant son propre salaire, et parce qu‘elle aspire, ainsi, à exprimer ses droits de citoyen en démocratie sociale. Si on lui reconnaît la pleine faculté de l‘exercice de ses droits, les régimes de tutelle ou de curatelle ne s‘appliquent pas à sa condition de handicap. Elle représente donc un acteur à part entière et en mesure d‘exiger sa participation au vaste projet de construction de la société civile. Elle sera alors soumise aux tensions et difficultés d‘intégration et elle mettra à l‘épreuve la capacité de la société à l‘intégrer, puisqu‘elle porte, dans son identité socialement et administrativement marquée, le poids de son stigmate. Lorsque d‘un côté, l‘administration décide d‘assumer la charge de protéger les personnes contre le stigmate et de les intégrer alors que de l‘autre, elle reconnaît officiellement le handicap, elle traite une cible d‘usagers à qui elle promet d‘améliorer des interactions qui, jusque-là, sont guidées pour beaucoup par son action. Elle a une grande part de responsabilité, puisqu‘elle s‘est engagée dans le soutien des handicapés en créant ce statut officiel, qui consacre un désavantage sur le « valide » lors de l‘entretien de recrutement.

L‘acteur administratif se charge également d‘une lourde tâche devant les attentes et méfiances des recruteurs et des professionnels qui cherchent, dans la collaboration, un collègue aussi performant qu‘eux, donc très similaire à eux-mêmes. Les négociations des services d‘aide sociale ont pour obstacle premier les obligations de marges de profits imposées par

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l‘entreprise. Nous comptons étudier, du point de vue sociologique, le dynamisme administratif vis-à-vis de la promesse d‘emploi envers la personne handicapée, dans un marché du travail que l‘on suppose assez fermé. Pour ce faire, nous optons pour l‘approche de la systémique et de l‘action sociale de manière à faire ressortir la cohérence du système

d’action concret, au sens de Michel Crozier, en se focalisant sur un acteur précis. Nous

abordons ce sujet du point de vue de l‘acteur administratif chargé de créer et de faire fonctionner le handicap au travail et nous souhaitons le présenter comme un acteur décisif de la position que la personne handicapée aura pu sauvegarder dans le conflit.

L‘acteur administratif représente, selon notre postulat, ce type d‘acteur de premier plan, capable d‘améliorer la flexibilité du marché du travail à l‘égard du handicap. Dans le contexte français plus que dans le contexte japonais, il intègre souvent le réseau associatif parce que l‘administration locale coordonne, dans la plupart des cas, son action avec celle de nombreuses associations. De surcroît, l‘institution est créatrice de la définition du handicap par le statut officiel qui désigne ses usagers. Ce faisant, l‘identité d‘une personne handicapée se trouve dans ce contact institutionnel propre à lui donner ses atouts sur le marché du travail. Sa perception du chômage et de sa position sociale dans le suivi du dispositif d‘insertion est donc grandement dépendante du regard de l‘institution sur sa capacité à trouver un emploi. L‘institution identifie le handicap et aussi sa gravité selon une échelle formellement établie. Cette démarche institutionnelle nous amène à chercher quelles sont ses intentions. Nous sommes tentés de nous interroger sur les motivations institutionnelles pour avoir décidé d‘occuper la place qu‘elle s‘est donnée dans le conflit d‘acteurs de l‘insertion professionnelle des handicapés. Nous soulevons, en même temps, la notion de difficulté, pour l‘acteur institutionnel, de rester indispensable en tant que participant à un conflit d‘acteurs et de le faire admettre par les autres participants. Le montage administratif qui aide à mesurer le handicap est prédominant pour cet objectif de justification du rôle de l‘administration vis-à-vis de l‘usager handicapé. Il s‘agit de convaincre l‘usager handicapé par la manière dont on lui conseille d‘établir son rapport à l‘entreprise par exemple. Cela nous démontre le rôle dominant de l‘administration, capable de devenir créatrice d‘interactions avec l‘usager handicapé ou même chef d‘orchestre de la confrontation lors du recrutement.

Dans cette approche de la sociologie, selon P. Bernoux1, les rapports d‘autorité et d‘acceptation des ordres conditionnent les règles. Suivant cette logique, l‘action de la personne handicapée est guidée par l‘institution qui use d‘autorité dans un rôle de coordination. Pour que l‘institution prenne le rôle autoritaire de désigner ce qu‘est le

1

P. Bernoux, Sociologie du changement, dans les entreprises et les organisations, Paris, éditions du Seuil, 1re édition : 2004, p. 26.

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handicap, il faut que la personne handicapée accepte de se reconnaître dans le modèle type du handicap qu‘elle reçoit des services sociaux. L‘étendue de cette autorité varie d‘un système social à un autre et reste de la volonté de l‘acteur institutionnel qui en est responsable. Ceci nous pousse à analyser le poids de son pouvoir dans un système social autre et de le discerner de l‘acteur institutionnel français, pour tirer de leur écart une analyse plus claire des particularités nationales.

L‘action administrative sur l‘insertion professionnelle prise en France aboutit à de profondes différences de voies stratégiques par rapport à celle qui est prise par d‘autres systèmes étatiques. Cela peut s‘observer, en premier lieu, au niveau de la capacité de l‘administration à avoir un effet sur le sentiment d‘accessibilité à l‘intégration par l‘emploi de son usager. En France, l‘administration a pris conscience de l‘importance du dynamisme d‘acteur, dynamisme qu‘elle essaie d‘insuffler chez l‘usager par son dispositif d‘insertion. Nous voudrions montrer que ses résultats ne sont pas aussi concluants que ceux du système social japonais, qui réussit l‘activation sur l‘usager de manière inconsciente. Nous en venons à considérer l‘idée selon laquelle la quête de l‘autonomie en entreprise est atteinte plus facilement lorsque l‘institution reste en retrait des intentions professionnelles de l‘usager. Selon notre idée prévalant dans cette recherche, l‘autonomie au travail est plus aisément acquise chez la personne handicapée lorsque l‘acteur administratif n‘a pas fait de l‘engagement professionnel dans une voie précise la condition de la poursuite de ses efforts auprès de son usager que lorsque ce n‘est pas le cas. Cette thèse sera démontrée au fil des hypothèses qui visitent le cadre d‘investigation japonais et en partant de ce qui va s‘avérer être le contre modèle français.

Cherchant à analyser les services japonais d‘aide à l‘insertion professionnelle du handicap, la nécessité de l‘exemple français est justifiée par l‘idée de confrontation des modèles contraires ; nous avons davantage le souci de mettre en perspective les acteurs du modèle japonais avec ceux du modèle français plutôt que de les comparer. La confrontation se distingue de la comparaison par le fait qu‘elle ne contraint pas à rechercher dans la même mesure l‘équivalence parfaite entre les deux systèmes de matériaux qualitatifs à analyser pour constater les rôles sociaux des services de l‘insertion du handicap. La confrontation appelle plutôt à nous interroger sur les capacités d‘activation et de mobilisation du modèle administratif japonais, par opposition aux capacités administratives françaises. Le modèle administratif japonais est mis en lumière par son contre-exemple, qui accentue alors ses caractéristiques. Dans les deux systèmes, nous visons à éloigner ces modèles, assez opposables dans la gestion de l‘insertion professionnelle, et à diagnostiquer la légitimité de

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leur présence dans leur système d’action concret respectif. Nous visons également à évaluer leurs qualités d‘activation des usagers handicapés ; c‘est-à-dire que nous essayerons de donner une appréciation de leurs techniques pour faire de l‘usager un acteur stimulé et prêt à réaliser spontanément son insertion professionnelle. La place occupée par l‘arsenal administratif et les effets par rapport au but visé d‘insertion professionnelle sont à mettre en évidence. Finalement, l‘écart constatable avec l‘administration française donne au lecteur une échelle d‘appréciation de la variabilité de l‘influence de l‘outil administratif.

Cette approche, qui passe au révélateur de la mise en perspective internationale, grossit les évidences aveuglantes que l‘on est moins en mesure de dépasser dans une observation purement nationale. Par la mise en lumière de la confrontation internationale, cette approche rend beaucoup moins évidente et universelle l‘action stratégique, et elle dévoile la mécanique mise au point par l‘institution qui a, de notre point de vue, un effet important sur la construction du handicap. Nous bénéficions d‘une objectivation du regard sociologique par la mise à distance des deux modèles. La visibilité de l‘effet des politiques administratives n‘en est que plus renforcée lorsque l‘on récolte en entretien un profil de personnes handicapées japonaises si éloigné du profil des handicapés français.

L‘origine du handicap français est, dans 76 % des cas, extérieure à une cause congénitale ou génétique2, car le handicap survient surtout par accident ou maladie, et touche bien sûr davantage les jeunes accidentés ou les minorités sociales qui sont exposées aux travaux à risques, en décalage avec le modèle du handicapé plus « classique » dont on se fait usuellement une idée. A cause de cela, le statut juridique de la personne handicapée est resté très flou ; la loi d‘orientation du 30 juin 1975 renvoie à une détermination par barème, où des commissions comme la COTOREP, avec des centres de pré-orientation institués par cette loi, sont chargées d‘évaluer le pourcentage de gravité du handicap. Les modes d‘aides seront donc appliqués selon la reconnaissance d‘un pourcentage d‘insuffisance que fixe ce type de barème. C‘est depuis le 9 décembre 1975 que la désignation « handicapé » est universellement établie par l‘ONU, à travers l‘adoption de la « Déclaration des droits des personnes handicapées ». Est alors reconnue comme handicapé toute personne dont les déficiences physiques ou mentales, congénitales ou non, l‘empêchent de vivre une « vie individuelle ou sociale normale »3. Cette déclaration encourage les pays à développer des aménagements et droits spécifiques aux handicapés, comme des formations et des services

2 Ministère de l‘Emploi et de la Solidarité, L’insertion professionnelle des travailleurs handicapés, Paris, éditions La documentation française, collection Transparences, septembre 1998.

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d‘aide visant l‘optimisation de leur capacité professionnelle et leur assurant un minimum de ressources économiques.

Selon la mission attribuée par l‘ONU, l‘institution nationale se doit de répondre à l‘épanouissement de la « vie individuelle et sociale4

». Les institutions japonaises établissent sur cette base des pôles de recherche et partent du concept de bien-être. A partir de ce concept, elles incluent l‘accès au travail comme l‘une des voies visant à la satisfaction dans la participation productive. L‘effort étatique français consiste à mettre en condition la personne handicapée, de sorte que la déficience causée par le handicap soit compensée intégralement. Nous suivons la perception de réseaux associatifs japonais du handicap, qui est celle de l‘insuffisance en situation de travail, c‘est-à-dire une insuffisance physique, intellectuelle, communicative qu‘il faut compenser pour rendre acceptable la personne handicapée auprès de collègues de travail valides. Le handicap se traduit aussi juridiquement, en France, par une insuffisance de compétitivité alimentée par le stigmate, et l‘aide étatique vise à combler ce retard causé par l‘insuffisance ou à préparer à annihiler les effets stigmatisant cette même insuffisance. Le principe suggéré est de mettre à égalité les chances de la personne handicapée d‘acquérir un emploi avec celles des personnes valides. L‘institution française développera ensuite inexorablement un dispositif donnant une place de plus en plus centrale à l‘idée d‘autonomie, en résonance avec les exigences onusiennes. Dans tous les cas, l‘enjeu pour la personne handicapée est de s‘imposer en tant qu‘acteur sur le marché du travail pour défendre le principe d‘égalité des chances, en vue de gommer les retards causés par le handicap et de développer une identité par le travail. Garantir que l‘insertion professionnelle réponde à ces nouveaux éléments d‘épanouissement social revient à se charger d‘une mission très idéalisée, une mission de renforcement de la capacité d‘action de la personne handicapée, une mission que l‘on attribue au travailleur social. L‘action attendue de ce dernier est de préparer un demandeur d‘emploi handicapé à mieux se défendre et de relancer le jeu du rapport de force entre les acteurs participant à l‘insertion professionnelle du handicap.

Pour P. Bernoux5, l‘autonomie réelle de l‘acteur est celle qui a besoin des contraintes de son environnement pour se construire. L‘acteur devient autonome grâce à la réaction des autres acteurs et à la marge de liberté qu‘il se donne aussi pour faire reculer cette contrainte. L‘autonomie de la personne handicapée est centrale, car elle est au cœur de nombreux dispositifs nationaux depuis que les administrations nationales ont officiellement reçu cette consigne par les instances de l‘ONU. En suivant cette vision de l‘autonomie née des

4 Ministère de l‘emploi et de la solidarité, idem. 5

P. Bernoux, Sociologie du changement, dans les entreprises et les organisations, Paris, éditions du Seuil, 1re édition : 2004, p. 22.

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contraintes vécues et des tentatives de s‘imposer, on peut observer que l‘acteur handicapé réagit de la manière suivante vis-à-vis de l‘administration : dans le cas français, l‘administration exige l‘autonomie, transformant la personne handicapée en acteur autonome. Cet appel sommatoire des personnes handicapées à l‘autonomie a un caractère contradictoire dans le fait que c‘est un ordre que l‘acteur qui cherche l‘autonomie ne pourra jamais obtenir en obéissant et en s‘exécutant. Le programme institutionnel ne peut offrir l‘autonomie s‘il tente d‘obliger son usager à l‘acquérir ; l‘usager handicapé contraint à l‘autonomie devrait alors refuser de la chercher, puisqu‘elle est l‘obligation de l‘institution. L‘autonomie assimilée à la contrainte par l‘acte institutionnel rend impossible à l‘usager de se chercher une marge de manœuvre face à la contrainte. Cette contrainte qui vise la limitation de sa liberté est donc nécessaire pour provoquer les réactions de mise à distance et de résistance face à elle, réactions qui sont les sources de l‘autonomie. En tant que tel, un ordre administratif exigeant la manifestation de l‘autonomie est de nature à anéantir toute réaction autonome chez l‘acteur. Cette obligation administrative à l‘autonomie qui annihile l‘activation empêche l‘accès à l‘insertion professionnelle.

Alors que les handicapés français connaissent un niveau de dépendance à l‘aide très élevé, l‘autonomie n‘a pourtant jamais été autant exigée. Nous observons par ailleurs une personne handicapée japonaise qui reconnaît sa condition de handicap suivant le seul critère de ses limites communicatives en milieu ordinaire de travail. Et comme dans le cas français, en bon élève des préceptes onusiens, l‘institution japonaise au niveau national voudra, elle aussi, orienter l‘aide vers l‘accès à l‘autonomie.

Pour découvrir la personne handicapée, nous l‘avons bien compris, il va falloir découvrir l‘acteur administratif. Nous essayerons de considérer ce dernier comme un système organisationnel « ouvert » au sens de P. Bernoux6, c‘est-à-dire dans sa capacité à s‘adapter ou à participer au changement en dressant le cadre sociétal propre à permettre l‘application des politiques sociales. Le rapport particulier que la personne handicapée entretient avec l‘institution sert de guide pour évaluer la capacité de ces systèmes organisationnels à disposer de la souplesse nécessaire au cours de leur fonctionnement. L‘institution est potentiellement très dynamique, de par ses progrès et innovations en systémique, relatifs à l‘instauration de nouvelles formes de liens avec l‘usager handicapé. L‘institution a pu utiliser des nouvelles combinaisons de collaborations grâce à l‘évolution des règles, règles que l‘acteur social vient tester pour un nouveau type de rapport. Le diagnostic d‘une administration qui fait évoluer ses projets s‘établit sur sa capacité à réintroduire, dans le conflit des acteurs de l‘insertion

6

P. Bernoux, Sociologie du changement, dans les entreprises et les organisations, Paris, éditions du Seuil, 1re édition : 2004, p. 315.

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professionnelle, des signaux de cohérence de son fonctionnement à un environnement convaincu. L‘institution sait faire imposer sa présence dans l‘état du rapport de force dans lequel il s‘inscrit. Les services d‘aide à l‘insertion des handicapés sont en mesure d‘imposer le changement ou la rupture, pour aboutir à une nouvelle forme systémique dont ils auront provoqué l‘apparition. Cet acteur du changement est ainsi observé au cours de cette étude, par exemple, dans le rôle d‘introducteur entre la personne handicapée et l‘entreprise, dans celui de coordinateur d‘un nouveau consensus entre la personne handicapée et l‘entreprise, dans celui encore de « coach du travail » pour le maintien à l‘emploi peut-être, voire dans celui de réformateur des ressources humaines de l‘entreprise, etc. Dans l‘hypothèse de voir se réaliser un tel changement venant de l‘acteur administratif, un système de règles nouvelles établira des coopérations originales entre le travailleur social et l‘usager handicapé7.

Tous ces changements s‘observent par celui des politiques sociales. Les anciens dispositifs se bornaient à ne voir des liens se développer que dans un simple rapport unilatéral ; un acteur de l‘insertion professionnelle communiquait avec l‘institution et il ne s‘établissait qu‘une communication entre binômes. Les interactions entre l‘institution et la personne handicapée restaient juxtaposées à celles qui étaient effectuées entre l‘institution et l‘entreprise. L‘institution passait d‘un acteur à l‘autre sans faire que les acteurs se croisent ; nous sommes dans un modèle classique du décret ou de l‘ordonnance ministérielle. Un basculement s‘est effectué lorsque ces rapports bilatéraux ont évolué vers la logique du réseau ; l‘institution n‘est plus qu‘un intervenant vis-à-vis des autres acteurs mis en rapport l‘un à l‘autre. Une telle évolution rend possible un stade de coopérations nouvelles. Le basculement porteur d‘activation est celui qui aboutit à ce que l‘institution mette en contact la personne handicapée et l‘entreprise. Cet exemple de changement organisationnel déplace les rôles et fait apparaître de nouveaux réseaux, constitués des mêmes acteurs, mais au sein de coopérations nouvelles. Ce passage aux démarches concertées fait naître ainsi de nouvelles règles, dans un projet qui associe tous les acteurs à la fois. Un nouveau réseau clef voit le jour avec une nouvelle consistance. Comme les personnes handicapées et les entreprises évoluent à l‘origine dans des logiques qui s‘ignorent, leur mise en contact ajoute à la tâche de l‘administration un rôle de médiateur8 qui permet de fonder les premiers ponts du réseau.

7 P. Bernoux, Sociologie du changement, dans les entreprises et les organisations, Paris, éditions du Seuil, 1re édition : 2004, p. 322.

8

M. Crozier a, depuis son ouvrage intitulé La bureaucratie française, accordé une reconnaissance toute particulière au médiateur qui a la faculté de se positionner à l‘interface de deux systèmes en contact. Comme il se trouve à la frontière d‘un système, il donne l‘image de l‘institution qu‘il représente et peut en orienter à sa convenance la priorité des valeurs auprès des systèmes en contact et réinterpréter les interactions par son rôle de transmission en interne.

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L‘institution qui définit le handicap offre un support identitaire par le titre d‘« handicapé » qu‘elle délivre. Elle a ce pouvoir de fixer le statut de handicap par l‘octroi d‘un niveau de déficience et de prestations sociales correspondantes. Ces prestations concourent au processus identitaire et sont à exclure d‘une éventuelle logique d‘utilitarisation du statut de handicap, dans laquelle l‘usager chercherait à se complaire dans l‘assistanat. Devenir allocataire d‘une aide aboutit essentiellement à recevoir une reconnaissance publique. L‘aide publique donne accès à une place dans la société et cette place serait, dans l‘esprit de l‘usager, adaptée à un mode de vie qui trouve sa cohérence dans le cadre sociétal prévu pour lui. L‘identification de sa place dans la société par l‘aide se réalise selon ce mode de vie, conçu d‘abord suivant le handicap pour pouvoir faire partie intégrante de la société civile et permettant, de surcroît, de reconnaître comment gérer l‘usage quotidien de ses liens sociaux en tant qu‘assisté en voie d‘intégration. L‘intégration sociale est assurée par l‘aide sociale et l‘identité se lie à cette intégration. Cette identité donne la preuve au bénéficiaire qu‘il n‘a pas été oublié ou mis à l‘écart. Dans l‘idéal, cette aide sociale se couple avec le droit du citoyen pour lui faire savoir qu‘il reste en voie de réinsertion et pour lui offrir les moyens d‘accès à une place dans la société qui soit conforme au niveau du handicap reconnu. L‘évaluation du niveau de handicap est donc réclamée par l‘usager pour un besoin de repère concernant le niveau d‘intégration sociale qu‘on lui accorde. Il s‘agit d‘un cas similaire à celui d‘un mouvement gréviste, où l‘on manifeste dans le but de conserver ses acquis sociaux ; par la qualité d‘écoute et de prise en compte de son sort, le bénéficiaire est parvenu à justifier son statut auprès de la société civile et de l‘institution. Cette dernière reconnaît le citoyen derrière le bénéficiaire de prestations sociales et, pour cette raison, elle reste disponible aux demandes de droits acquis venant de ce citoyen ; il a su démontrer, par l‘obtention de ses droits, ses qualités à agir.

L‘État providence, qui représente l‘intervention institutionnelle, réévalue les prestations selon les évolutions du marché du travail pour préparer des formes d‘aides nouvelles, toujours plus en harmonie avec les changements de ce marché de l‘emploi. Cet État providence a donc besoin d‘une compréhension la plus fine possible de la réalité des besoins du handicap pour saisir l‘état des forces en présence et des ressources de son environnement et s‘y adapter. Par ailleurs, du côté de l‘usager, la reconnaissance administrative du niveau de gravité du handicap s‘apparente à une recherche d‘équité et de sauvegarde de son identité de personne handicapée. Il apparaît un besoin identitaire de faire admettre à la société civile la pénibilité de ses conditions d‘insertion professionnelle. De la sorte, l‘institution est en mesure de contribuer à un début de stabilisation de l‘identité de son usager par le simple octroi d‘un niveau de prestations sociales qu‘elle fixe lors de son évaluation. Cet enjeu identitaire est lié aux enjeux de recherche des droits acquis. La sauvegarde de l‘identité d‘une personne

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handicapée se situe aussi au niveau du maintien ou du réajustement constant des droits, selon une évaluation qui répond à des références officielles et objectives ; l‘essentiel est que la personne handicapée comprenne que l‘institution a bien perçu ses besoins et qu‘elle réalise un traitement de l‘usager à la hauteur du handicap. Cet enjeu identitaire entretient une pression de tout instant dans le but de sauvegarder une certaine accessibilité temporaire à l‘insertion professionnelle. Du point de vue de cette analyse, la quête identitaire de la personne handicapée se fonde donc sur le statut que l‘institution octroie.

L‘institution participe à l‘éveil de l‘identité de ses usagers par l‘évaluation du niveau de handicap et le réajustement des droits. Nous savons que sa capacité à fournir l‘insertion professionnelle en France est, pour beaucoup, conditionnée par le franchissement d‘un stade de construction de l‘identité. L‘institution française mobilise sa capacité de placement pour un usager qui sait prouver sa cohérence identitaire jusque dans son projet d‘insertion. Elle fait progresser son usager bien plus aisément dans son dispositif d‘aide à l‘emploi une fois qu‘elle a reçu la preuve d‘une cohérence entre d‘une part son mode de vie et son bilan de compétences et d‘autre part son projet de formation. La personne handicapée est avant tout en train de défendre au quotidien une identité construite grâce à la participation de l‘État providence9. L‘institution a aussi besoin de renouveler sa grille d‘évaluation par des correctifs qui sont basés sur l‘expression de cette identité par les personnes handicapées. L‘interdépendance systémique tient à cette nécessité de rester présent dans un conflit d‘acteurs sociaux, grâce aux ajustements qui justifieront devant la société civile la pérennité de sa présence et de sa cohérence.

La personne handicapée peut trouver en l‘institution un acteur qui exerce sur elle du pouvoir, mais aussi le guide qui mène à l‘insertion professionnelle. La variation entre ces deux images est entre les mains de l‘institution qui gère le handicap en s‘imposant ou non comme la seule source possible d‘insertion et en tolérant ou non des concurrents dans ce domaine. Nous pouvons imaginer que l‘acteur institutionnel a tendance à monnayer sa sur-présence dans ce

système d’action concret – concept de Michel Crozier – par l‘efficacité de sa politique d‘accès

au travail. Cette efficacité débute avec l‘octroi, par l‘administration, du statut de personne

9 A cela s‘ajoute le problème général de conjoncture du marché français, du fait des restructurations récentes du marché du travail qui imposent des spécialisations que ne sont pas prêts à fournir bon nombre de personnes handicapées souvent peu qualifiés. Ces spécialisations exigées forment aussi une ombre dans l‘identité de la personne qui devrait s‘orienter vers un marché du travail, complétant ainsi son profil professionnel. Au Japon, les crises successives des marchés boursiers asiatiques des années quatre-vingt-dix créent une quasi-psychose du renoncement supposé de l‘emploi à vie et du chômage, qui n‘a pourtant pas rejoint le niveau français. Les effets déstructurants sur l‘identité n‘en sont que plus aggravants. Ainsi, l‘État providence, japonais ou français, va devoir gérer cette population handicapée moins employable à double titre, par le handicap à reconnaître sans diminuer l‘activité productrice et par le manque de flexibilité aux mouvements du marché en restructuration.

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handicapée pour une identité sociale, avant de permettre l‘accès à l‘identité au travail, identité qui est vitale pour qu‘une personne handicapée puisse reconnaître ses intérêts et adversaires dans le cadre professionnel. L‘usager reçoit une identité de personne handicapée de la part de l‘institution, par ses droits et règles qui lui montrent sa marge de manœuvre et par les objectifs d‘intégration professionnelle qu‘il garde à l‘esprit. L‘identité au travail prend son relais et s‘exprime lorsque la personne handicapée réagit de manière clairvoyante compte tenu de sa condition au sein de l‘organisation. Sa potentialité à adapter une réponse satisfaisante aux attentes de l‘environnement est une constante dans un système d’action concret pour que l‘acteur y maintienne son rôle. L‘identité passe par la réputation de l‘acteur handicapé qui a convaincu les autres participants de tolérer sa présence. Renaud Sainsaulieu explique ce mécanisme nécessaire amenant à l‘éveil de l‘identité au poste de travail, car il croit à l‘implication et à la construction de soi dans l‘entreprise en tant que modèle général d‘insertion sociale. Il se rapproche de la psychologie pour le prouver.

La personne handicapée dispose d‘un soutien institutionnel qui impose au milieu ordinaire de travail de respecter la loi des quotas de salariés handicapés et de l‘accepter, elle, dans l‘unité syndicale. Ce faisant, pour Renaud Sainsaulieu10, les intérêts du handicap se fondent dans ceux du collectif de travail par le rapprochement des intérêts communs. L‘ajustement avec les collègues valides conduit à faire valoir ses droits de personne handicapée au cœur du dispositif de collusion syndicale. L‘identité au travail de la personne handicapée passe par les moyens de faire valoir sa condition auprès des collègues au cours des débats et de faire incorporer les intérêts qui en découlent aux revendications du collectif salarial. L‘accès au travail trouve son mérite dans l‘accès à une identité née des rapports de travail, par la place que la personne handicapée est en mesure de se construire et de faire reconnaître à ses collègues. Le cadre syndical est source de valorisation dans les relations de travail entretenues et il forme un cadre d‘expression de l‘acteur handicapé pour mobiliser l‘attention de la société civile sur sa condition et ses besoins. La construction de l‘identité de personne handicapée aboutit à une mise en valeur de soi au cœur des débats en cours dans la société civile. La définition administrative du statut « handicapé » a pour effet stigmatisant de dévaloriser, et l‘insertion en entreprise pousse à s‘agglomérer dans des groupes de résistance à l‘exécution. Ces deux effets conduisent l‘acteur handicapé à s‘empresser de faire partie du collectif de travail pour se prémunir contre la stigmatisation qui touche l‘identité sociale. Si l‘acteur handicapé ne faisait pas corps avec son collectif de travail, l‘image de soi risquerait alors

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Renaud Sainsaulieu, L’identité au travail, éditions Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, collection « Les effets culturels de l‘organisation », 1988.

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d‘affaiblir sa reconnaissance en tant que professionnel et son apport au travail, sources de valorisation identitaire.

Cette approche de Renaud Sainsaulieu11 paraît plaisante : la personne handicapée trouve des accroches pour se lier à ses collègues valides, pour faire bloc avec eux et pour entrer, pour ainsi dire, dans le moule syndical comme dans tout groupe de travail identifiable parce que connu jusque-là. L‘élément indéterminé que représente la personne handicapée isolée dans le corps salarial justifiait plus difficilement sa présence. Dans le moule salarial, elle retrouve sa cohérence et n‘est plus agglomérée de manière superficielle à l‘entreprise. La collusion dans un groupe d‘intérêts cohérent à l‘entreprise fait aussi progresser l‘identité au travail. Mais, la solubilité de l‘identité du salarié handicapé dans l‘identité syndicale nécessite un effort de dépassement des bases identitaires du handicap et de les redécouvrir sous l‘angle des intérêts de classes laborieuses. Cette évolution de l‘identité du handicap vers le travail fait penser, en définitive, que l‘identité du handicap a cédé le pas et est remplacée par l‘identité du syndiqué. Nous comprenons alors les enjeux et les risques de faire progresser l‘identité du handicap par cet éveil à l‘identité professionnelle qui pousse à communier dans un groupe aux statuts professionnels communs et que recommande Renaud Sainsaulieu12.

Par l‘identité au travail, la résistance face à la direction de l‘entreprise crée des liens entre la personne handicapée et les autres collègues valides. Mais sa qualité à s‘intégrer et à développer son identité au travail n‘est pas forcément assurée dans ce processus rapide. Le salarié handicapé qui se limite à ce processus s‘éloigne d‘un véhicule d‘insertion professionnelle et d‘accès à une identité au travail plus stable et longtemps mis en avant par les sociologues classiques. Ce véhicule est la maîtrise du procès complet de production ou la connaissance artisanale de son métier, de la matière première au produit fini. L‘épanouissement de l‘identité au travail y est plus abouti que l‘insertion dans un groupe aux intérêts solidaires pour l‘amélioration des conditions et des droits salariaux. Nous ne remettons pas en cause le fait que ces manifestations poussant la société civile à octroyer des droits restent essentielles pour éviter l‘exclusion. Mais, concernant le but d‘insertion professionnelle et, par là, celui d‘éveil de l‘identité au travail, l‘objectif de la reconnaissance de l‘expression de soi dans le produit réalisé reste davantage porteur de stabilité que la conquête, si vitale soit-elle, d‘avantages sur les conditions de travail dans l‘immédiat. Gardons tout de même à l‘idée que l‘employé qui se contente de la mobilisation des collègues pour toute insertion, sans faire partie des plus mobilisés, n‘a pas remis en cause pour autant sa

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Renaud Sainsaulieu, idem. 12 Renaud Sainsaulieu, idem.

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voie d‘identité au travail par la participation au mouvement syndical. Il lui reste la plus stable voie d‘identité au travail, par l‘accès à la maîtrise d‘un savoir professionnel.

Dans la stratégie de mobilisation salariale pour accéder à l‘identité au travail, nous pouvons simplement analyser que l‘activation entre collègues du mouvement syndical est une forme d‘accès à l‘identité au travail relativement moins ambitieuse par rapport à la réalisation de soi dans le produit fini. Il se joue, malgré tout, dans le mouvement syndical, un gain de temps manifeste dans l‘acquisition de l‘identité professionnelle. Sans nier la capacité à la réalisation de soi par l‘adoption des valeurs d‘un groupe professionnel, nous en discutons juste ses effets tout relatifs par rapport à d‘autres voies d‘accès à l‘identité au travail.

Confronté au problème de maintien de l‘emploi, l‘entretien de cette identité au travail prend toute son importance ; nous jugeons essentiel pour le salarié handicapé le fait de réintroduire l‘opportunité de transposer son identité dans le produit fini en tant que relais urgent de la collusion dans le collectif salarial. Partant de ces deux logiques d‘accès à l‘identité au travail, celle, plus pragmatique, de la collusion dans le collectif syndical et celle, plus solide, de la réalisation de soi dans le produit fini, nous pouvons déceler les facettes intéressantes de l‘acteur stratégique. Il se révèle faire preuve de dualité dans ses démarches de maintien à l‘emploi, puisqu‘il est en mesure d‘avoir recours à l‘un, puis à l‘autre de ces deux moyens d‘accès à l‘identité au travail et de faire un choix avisé pour pondérer leur usage. Le dualisme de l‘acteur s‘exprime par le recours du salarié handicapé de changer de registre de stratégies pour adopter une logique de repli. Il décide d‘avoir recours à des moyens secondaires lorsqu‘il s‘aperçoit de l‘investissement trop grand pour réaliser le but d‘origine ; au renforcement de l‘identité au travail, il se contentera d‘un moyen d‘accès secondaire de cette identité au travail qui lui fait gagner du temps.

Partant de cet exemple de logique de repli sur des objectifs seconds plus facilement réalisables, nous proposons de dégager les potentialités d‘acteurs handicapés au travail à se donner les moyens de garantir leur insertion de manière stable. Nous aborderons ainsi des acteurs qui, au-delà de cet exemple théorique mettant en scène l‘enjeu de l‘identité au travail comme preuve de l‘insertion, vont renoncer à un idéal premier pour rester seulement présents dans les prises de décisions polémiques les concernant. La motivation de rester présent dans le conflit d‘acteurs de l‘insertion des personnes handicapées vient du fait qu‘il s‘agit de la condition à remplir pour que le propre dynamisme de l‘acteur reste intact ; cette condition se traduit par l‘obtention de l‘attention de la société civile, comprenant les détenteurs d‘un pouvoir de décision sur l‘acteur comme source de protection contre l‘exclusion. Cette

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approche nous est donnée par Amartya Sen. Ce dernier introduit l‘importance de la société civile à être réceptive aux efforts de l‘acteur pour lui reconnaître une potentialité à l‘insertion plutôt que l‘insertion de l‘acteur handicapé. La stratégie de s‘assurer de sa propre protection grâce aux recours devant la société civile représente un moyen imparable de convaincre sur les chances de l‘acteur d‘aboutir à son projet. Une telle démarche stratégique vise à être protégé par la société civile et à faire prolonger le soutien public. Mais cela n‘offre guère davantage que de gagner du temps. Les garanties de rester sous la protection des débats de l‘agora consolent malgré tout par une sécurité du délai. Elles permettent de traverser certains ralentissements tout au long d‘une carrière professionnelle. Il s‘agit donc de mettre l‘insertion professionnelle momentanément entre parenthèses pour s‘assurer d‘obtenir, des membres décideurs dans l‘agora de la société civile, le droit de continuer à être entendu et soutenu. En nous basant sur les effets de cette protection dans l‘immédiateté face à l‘objectif idéal d‘origine, nous analyserons, selon les cas présentés, la perte de dynamisme de l‘acteur. Nous attacherons de l‘importance à aborder comment les acteurs utilisent ce sursis du second registre stratégique et quelquefois le gâchent pour finir précarisés ou en perte de crédibilité. Nous essayerons de voir également si le recours au registre stratégique second n‘est vraiment dévolu qu‘aux acteurs acculés à battre en retraite, loin des prétentions premières de l‘insertion. Même si on peut s‘imaginer l‘acteur en perte de soutien et trop facilement attaché à sa stratégie de repli, nous ne pouvons exclure le cas d‘un acteur dynamique sans problème de sursis ni besoin de gagner du temps devant la société civile, et qui pratique tout de même ce type de démarche stratégique de repli en même temps que son objectif stratégique principal. Nous supposons que la personne handicapée en voie de précarisation n‘est pas le seul acteur qui ait recours à ce dualisme de registres de stratégies. Tout acteur est potentiellement apte à jouer sur deux registres de stratégies et, même si cet usage concomitant de stratégies s‘avère néfaste aux buts initiaux, bien dosé, il pourrait offrir une mobilisation constante de la société civile à son égard. Ce second registre stratégique pourrait permettre de fuir une situation dans l‘impasse. L‘acteur qui est mis en échec dans un rapport de force se recadre sur une autre question d‘ordre civil, où il est sûr de sa victoire. L‘acteur pourrait s‘absenter momentanément d‘un premier débat où il dispose d‘une avance confortable sur ses adversaires. Il serait alors en mesure de pratiquer une certaine gestion de sa marge en tirant profit d‘un enjeu secondaire. Ainsi, d‘un côté, le travailleur handicapé s‘intègre par la maîtrise de son travail, et de l‘autre, il améliore ses droits de personne handicapée au travail. La présence de ces deux objectifs impose d‘user de registres de stratégies de manière concomitante, dans le but de chercher une voie de consolation de l‘échec premier ou alors selon une gestion de l‘optimisation de ses interventions dans les deux thèmes conflictuels.

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Pour R. Sainsaulieu13, comme le cadre professionnel est un lieu de tremplin et de potentialités de réussite, l‘implication au travail offre une identité valorisante au salarié handicapé. Cette identité professionnelle doit essentiellement épouser les valeurs apprises au fil des interactions avec la hiérarchie et s‘accommoder de l‘engagement du salarié handicapé en un projet professionnel au sein de l‘entreprise. Ces deux points sont décisifs, aux yeux de R. Sainsaulieu14, pour l‘éveil de l‘identité au travail. Il nous est ainsi donné de suivre son approche pour jauger de la potentialité des systèmes français et japonais à permettre l‘épanouissement de l‘identité professionnelle de la personne handicapée. Pour répondre à ces voies de l‘identité au travail, nous concentrerons nos efforts sur l‘observation du projet professionnel, par l‘analyse de la cohérence du projet voulu par l‘institution. Nous savons que le projet de l‘usager handicapé français ne peut pas naître des opportunités du cadre professionnel, du fait de l‘antériorité de son projet par rapport à son accès au travail. Ce point de distinction avec les projets établis au Japon est à garder toujours en mémoire pour confronter l‘analyse des deux modèles.

Nous nous concentrerons aussi, dans notre analyse, sur la politique d‘activation des usagers handicapés, qui leur impose continuellement de prouver leur adaptabilité aux normes relationnelles et aux valeurs compatibles pour leur poste. Cette approche de l‘activation fait intervenir également le travailleur social, qui est censé préparer et pousser l‘usager handicapé à la mise en contact du milieu professionnel. Elle impose aussi que, pour l‘expérience d‘affirmation de son identité, l‘usager soit tenu de faire ses démarches de manière autonome. Les usagers français sont encouragés à se confronter et à s‘adapter aux normes usuelles entre collègues partageant les mêmes fonctions, à des fins d‘insertion par l‘identité au travail. Nous observons deux modèles de politique sociale selon ce rapport à l‘identité au travail. Le premier modèle – français – promeut la capacité d‘action de la personne handicapée dans son autonomie d‘action, en la laissant s‘habituer à la réalité du poste et réaliser l‘expérience d‘une démarche d‘embauche vers le milieu ordinaire de travail. Le second modèle – japonais – permet aussi l‘expérience du travail mais offre directement une ouverture à des réseaux dynamiques forts d‘accès à l‘emploi. Nous observons un tâtonnement décisif entre ces deux systèmes qui approchent, selon des démarches différentes, le chômeur handicapé pour guider son insertion dans le milieu ordinaire de travail.

13 Renaud Sainsaulieu, L’identité au travail, éditions Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, collection « Les effets culturels de l‘organisation », 1988.

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Selon R. Sainsaulieu15, adopter un modèle de valeurs communes entre les salariés d‘un même type de poste permet de disposer d‘une identité qui instaure une connivence en guise d‘insertion professionnelle. Cette défense des intérêts dans un sous-groupe productif remplace peu à peu l‘insertion au travail, car elle permet simplement de pousser la personne handicapée à devenir un salarié sans créer un besoin de progresser dans l‘apprentissage du savoir-faire professionnel. Cette cohésion de salariés mobilisés vers un intérêt commun est d‘ailleurs plus productive encore que celle qui met un rapport entre l‘employé et sa qualification. Ce principe est admis dans le modèle français, au point de dépasser les limites des améliorations productives du modèle fordiste-tayloriste. L‘enjeu est de profiter des tensions pour améliorer le fonctionnement de l‘ensemble organisationnel. Dans cette logique correctrice de l‘organisation du travail, on sous-entend que l‘expression des tensions, qui améliore la production et actualise l‘organisation, peut être dynamisée par l‘autonomie des acteurs. Nous avons justement l‘intention de mettre à l‘épreuve cette autonomie, de voir comment elle se formalise dans les procédures et si elle apporte bien les effets escomptés à la personne handicapée.

Ce raisonnement en réaction à l‘environnement s‘exprime par la communion d‘orientation des demandes des collègues dans l‘affirmation de l‘identité. Cette coordination des avis des salariés uniformise et coordonne. L‘utilité de l‘autonomie devient alors une question pertinente, car cette autonomie ne concerne pas uniquement le stade de la préparation à l‘embauche, mais se manifeste encore par la suite pour le maintien à l‘emploi. Des risques de dérives fortes sont possibles dans l‘idée d‘encourager à l‘autonomie, un soutien administratif qui change beaucoup d‘un modèle de mesures sociales à un autre. Par les démarches d‘insertion – côté français – ou par l‘accès à un mode de vie normalisé dans la vie professionnelle – côté japonais –, l‘autonomie semble occuper une part importante du soutien des travailleurs sociaux, malgré sa variété d‘applications.

15 Renaud Sainsaulieu, idem.

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Problématique : Dans quelle mesure le rôle des acteurs institutionnels et associatifs de l’insertion professionnelle et de l’employabilité peut-il provoquer une fluctuation du sentiment d’intégration par l’emploi chez l'usager handicapé en France et au Japon ? Hypothèses de recherche :

1 – Même lorsque l'institution souhaite adapter des mesures issues d'un modèle étranger, les politiques administratives relatives au soutien à l‘emploi s'appliquent parfois de manière originale. Ces politiques révèlent une présence institutionnelle à forte spécificité et trouvent leur application dans un environnement hétérogène. Elles conduisent également à une évolution du rapport de force avec l‘acteur institutionnel, ce qui génère des effets propres au territoire national. Cependant, elles s‘inscrivent aussi dans un certain nombre de tendances qui permettent de comparer l‘influence des institutions d'un pays à l'autre, et ce, au travers de modèles globaux. Pour ce qui est des politiques japonaises et françaises, la réponse administrative inhérente à chacun des deux systèmes sociaux est adaptée au dispositif d‘accès à l‘emploi ; celui-ci est un besoin social découlant en droite ligne du « statut handicapé », dont la paternité revient intégralement à l'institution. En effet, c‘est à cette dernière que la société civile doit la création de ce statut, auquel a été rattaché le régime social qu‘elle estime le plus approprié à la situation des personnes handicapées. Il est donc normal que les cas français et japonais présentent des divergences car une institution fournit une réponse officielle à un environnement d‘usagers dont elle a désigné les caractéristiques de manière originale en toute souveraineté : elle apporte une réponse correspondante aux usagers qu‘elle s‘est donnée pour cible après les avoir créés dans l‘idée de rendre nécessaire le traitement administratif proposé. Partant de cette logique de création du besoin citoyen qui favorise l‘originalité des dispositifs nationaux, nous avançons l'hypothèse selon laquelle les infrastructures et systèmes institutionnels liés à l'insertion professionnelle des personnes handicapées ont un impact majeur et influent largement sur la marge de manœuvre laissée aux usagers handicapés en recherche d‘emploi. Par rapport à l‘exemple français, le modèle proposé par le Japon affecte, à notre avis, la position des usagers handicapés, dans un sens bien différent, certes, mais néanmoins en profondeur. Cette première hypothèse permet de mettre en évidence les logiques conceptuelles des différentes formes d'aides à l'emploi, et de souligner la responsabilité prépondérante de l'action administrative dans l‘émergence du rapport de force entre les acteurs de l'insertion professionnelle des personnes handicapées.

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2 – Notre seconde hypothèse sera la suivante : la liberté de l‘acteur est de plus grande ampleur lorsque peuvent être appliqués des correctifs et des réorientations au niveau de la voie professionnelle choisie, une fois que l'embauche a été concrétisée. Pour le travailleur handicapé, les options professionnelles proposées sur le marché de l‘emploi s‘élargissent significativement au fil des confrontations dans un milieu ordinaire de travail et aussi grâce aux relations qu‘il entretient avec ses collègues. Cette liberté dans l‘augmentation de l‘éventail de choix devrait donc trouver son effervescence par la profusion des options qui s‘offrent au salarié handicapé en aval, dans le milieu de travail et les interactions professionnelles, plutôt qu‘en amont, dans le cadre d‘une préparation à l‘intégration en entreprise. Immergé tout entier dans un environnement professionnel, le salarié handicapé se voit, par exemple, offrir davantage d‘opportunités de postes ou de tâches qui augmentent les alternatives à sa disposition pour agir en se garantissant du retour à l‘exclusion professionnelle. Cette situation implique que la variété de choix dans la prise de décision stratégique s‘améliore à mesure que progresse l'installation dans la vie professionnelle. En effet, la multiplicité des choix permet une réflexion plus approfondie et une prise de position plus affinée, quant aux attentes professionnelles de la personne handicapée, et à sa gestion des confrontations quotidiennes qu‘elle a à mener sur le lieu de travail ; les ateliers de préparation à l'embauche ne permettent pas de se forger de telles occasions d‘affirmation de soi qui construisent une carrière. La prise de décision stratégique se trouve améliorée dans l'expérience même du travail, parce que l'augmentation des choix que l‘on peut y rencontrer favorise une intention mûrie que l'on laisse se préciser. Si le dispositif institutionnel de soutien à l‘emploi se concentre quasi exclusivement sur la préparation à l'embauche, incluant une phase de dégagement d‘un choix stratégique clair et réalisable d‘engagement de carrière, il est fort à parier qu‘à plus ou moins court terme, un sentiment de découragement impliquant des problèmes identitaires envahira l‘usager handicapé, contraint dans un état de latence à la résolution d‘une carrière. Notre hypothèse laisse donc la part belle à la liberté offerte à l'acteur – au sens de Michel Crozier – déjà confronté au milieu ordinaire de travail et ayant par conséquent dépassé le stade du projet de préparation à l‘emploi. En revanche, nous émettons des réserves vis-à-vis des dispositifs qui tentent d‘imposer à l'usager handicapé de mobiliser l'essentiel de ses ressources dans des démarches de recherche d‘emploi. La personne handicapée constitue un système au sein d'un environnement professionnel et, dans cet espace de communication, elle est en mesure de trouver les ressources pour se défendre et conserver un emploi ; elle porte en elle une véritable dynamique d'acteur qui optimise son sens stratégique. Ainsi, sa capacité à se responsabiliser et sa réactivité sont bien supérieures à celles de la personne handicapée à la recherche d‘un emploi qu'elle ne peut pas encore s‘approprier et identifier comme lui appartenant. Dans un contexte systémique tel que le

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monde de l‘entreprise, les conditions de sécurité et les possibilités d‘implication permettent au salarié handicapé de conforter et d‘affiner son choix en matière de perspectives professionnelles ; il lui est plus facile de mobiliser ses ressources. Par contre, les démarches d‘embauche ne permettent pas, à elles seules, de faire du chômeur handicapé un acteur d'un système qui ne le tolère pas encore.

3 – Notre troisième hypothèse vise à démontrer que les acteurs de l'insertion professionnelle des personnes handicapées ont la possibilité de faire appel à deux registres de stratégies en même temps. Mais paradoxalement, ces registres sont incompatibles l‘un avec l‘autre, car leurs buts sont bien distincts et leurs effets antinomiques. Ce double recours – en apparence totalement illogique – à ces registres stratégiques contradictoires révèle que ces acteurs exploitent au mieux les ressources que leur confère leur position : ils se situent au cœur du rapport de force ayant pour objet l'insertion professionnelle des personnes handicapées, avec tout ce que cela implique en termes d‘évolution et d‘aléas. L'usage concomitant de ces deux registres stratégiques laisse entrevoir une véritable pluralité d‘objectifs du stratège. Nous tenterons donc, dans le cadre de notre troisième hypothèse, de prouver l'existence de cette pratique, et pour réaliser ce projet, nous analyserons la posture de quelques acteurs sociaux concernés par notre thématique. Tout acteur social ayant une légitimité à travailler sur la question de l'emploi des personnes handicapées dispose de divers moyens pour orienter, en sa faveur et en suivant son objectif principal, le rapport de force des individus concernés par cette problématique. Mais il est également prêt à y renoncer, du moins temporairement, pour adopter un second but qui lui permettra de prendre une autre tangente dans le rapport de force, à la condition toutefois que la réussite de ce second objectif soit évaluée à moindre coût – ou, à tout le moins, à un coût plus accessible – compte tenu des moyens à sa disposition. L'essentiel reste que l‘acteur social continue de recevoir le crédit des autres acteurs concernés afin de préserver son espace d'expression au sein des débats portant sur la question sociale ; une question qui l'a amené à trouver dans la société civile une oreille attentive. Dans cette logique de réorientation des buts, il s'agit pour lui d'obtenir, au minimum, le soutien de la société civile dans le maintien de sa position à l‘intérieur du rapport de force, même si le but principal n'a pu être assuré. Cette hypothèse est le nœud du problème lié à la recherche d'identité au travail. En effet, cette capacité à composer avec deux niveaux de stratégies valide l'existence d‘un sentiment identitaire confiné dans l‘activité professionnelle.

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4 – Dès lors qu‘elle vise la dynamique d'action des individus concernés par l‘insertion professionnelle des handicapés, l‘action administrative produit bien plus d‘effets si, au préalable, sont négociés et entretenus des liens avec l‘ensemble des acteurs de l‘emploi. Ce type de démarche est certainement plus efficace que lorsqu‘elle encourage ces mêmes acteurs à effectuer de manière autonome la démarche de se confronter l‘un à l‘autre pour amorcer ces liens. L'institution peut effectivement donner une impulsion à la création de réseaux et aider à l‘émergence de formes de partenariat qui seront forcément plus performantes et pérennes si un accompagnement administratif est proposé tant au recruteur qu‘à la personne handicapée. A contrario, les effets de cette politique d'accompagnement seront moins aboutis si l‘acteur institutionnel se contente d‘encourager les deux parties à nouer des contacts de manière isolée. À l‘instar des réseaux de placement en entreprise, le soutien exercé par le service public à l‘adresse des différents partenaires de l‘insertion professionnelle ne peut mener de stimulations significatives de ces partenaires qu‘au travers de mesures privilégiant et maintenant les rapports précédemment engagés entre le recruteur et le demandeur d‘emploi handicapé. La stimulation est réduite quand l'institution veut stimuler ces deux partenaires de l‘insertion professionnelle à tisser, chacun de leur côté, ces liens de coopération pour l'emploi. Cette quatrième hypothèse défend donc l‘idée selon laquelle entretenir des liens de fidélisation entre les différents acteurs du recrutement est une action plus productive que la démarche administrative consistant à sensibiliser les entreprises à la question de l‘embauche des personnes handicapées. Cette théorie s‘inscrit, d‘un côté, dans la continuité de la première hypothèse, puisqu‘elle permet de cerner le cadre sociétal des politiques sociales, et, d‘un autre côté, dans la logique de notre seconde hypothèse, puisqu‘elle soutient que les effets de l'aide publique sont plus efficaces à partir du moment où les principaux partenaires de l‘insertion se retrouvent face à face. Il s‘agit d‘une politique qui favorise l‘apparition des réseaux d‘insertion, qui sont incontournables en termes de recherche et de création d‘emplois. En revanche, ce type de stratégie s'oppose aux mesures publiques de sensibilisation telle que la sensibilisation à la démarche de prise de contact entre les acteurs de l‘insertion professionnelle ou encore leur sensibilisation au respect vis-à-vis de la personne handicapée et à l‘amélioration du mode langagier. De telles mesures ne peuvent que donner naissance à des réseaux de médiocre qualité.

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PREMIER CHAPITRE- Vers une définition du handicap : la perception de l’inadaptation

A -La représentation sociale du handicap

1- L‘influence de la dénomination de la personne handicapée

Afin de mieux appréhender la notion de handicap, nous allons tout d‘abord nous intéresser aux références linguistiques qui sont rattachées à cette dénomination. Celles-ci nous apprennent que l‘appellation « personne handicapée » – que l‘on a raccourcie ensuite pour employer plus couramment celle de « handicapé » – a subi un lent mécanisme dérivatif qui puise sa source dans les règles d‘un jeu séculaire : le golf. Le terme « handicap » est donc associé à une « accumulation de difficultés ». Dans son acception plus moderne, l‘expression est étroitement corrélée au marché du travail actuel. Issue d‘une phrase subordonnée – « La personne qui est handicapée » –, elle est aujourd‘hui simplifiée à outrance suite à une paresse de langage qui la résume en deux mots : « l‘handicapé ». Le processus sémantique d‘occlusion transforme l‘adjectif ou le participe passé en nom commun, selon la tendance bien connue de la dérivation impropre qui, en linguistique, est responsable de nombreuses créations lexicales récentes. Conséquence majeure de cette pratique de basculement d‘éléments grammaticaux, le caractère passif du terme est mis en avant précisément par l‘emploi du nom commun. Mais dans la réalité, comment ceci se traduit-il pour la personne elle-même ? D‘un côté, il est demandé au sujet « handicapé » de devenir acteur de son insertion sociale, alors que de l‘autre, cette passivité sous-jacente exprime l‘idée qu‘il est dépourvu de toute faculté d‘action ; l‘expression porte donc en elle un stigmate linguistique qui en quelque sorte « s‘acharne » sur la personne. La forme passive que revêt ce terme laisse à penser que l‘administration offre au public handicapé une activation nécessaire. Elle fige l‘image de la personne handicapée ainsi que son orientation professionnelle. Dès lors, la stigmatisation du sujet handicapé se concentre sur sa soi-disant absence de réactivité individuelle. Le handicap est perçu comme un manque de participation aux interactions ; par conséquent, la personne doit déployer une énergie accrue pour parvenir à ses fins. Le terme « handicapé », déjà connoté négativement, l‘est doublement dès lors qu‘il évoque à la fois deux notions tout autant chargées négativement : échec dans l‘accès à l‘emploi et passivité de l‘individu.

Pour Nicolas Duvoux16, en France, le handicap est lié au fait qu‘une personne est incapable de justifier sa candidature à un poste. Si l‘on suit cette idée, la définition du handicap que donne l‘auteur offre la vision d‘un individu assisté et totalement dépendant du soutien de l‘État . Pris

16

N. Duvoux, L’autonomie des assistés, Sociologie des politiques d’insertion, Paris, éditions PUF, Collection Le lien social, Septembre 2009. Cf. p.106, p.122 et p.115.

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