L'ÉVOLUTION BIOLOGIQUE : CONCEPTIONS
ET RAPPORT AU SAVOIR D'ÉLÈVES TUNISIENS
Saida AROUA*, Fathi MATOUSSI*, Salem ABBES*, Maryline COQUIDÉ** * ISEFC. EDIPS. Tunis, **GHDSO/LIREST, Uni. Paris-Sud, Orsay
MOTS-CLÉS : CONCEPTIONS - RAPPORT AU SAVOIR - RÉFÉRENTIELS
RÉSUMÉ : En post-enseignement de l'évolution biologique, les apprenants tunisiens ont exprimé des conceptions évolutionniste, déterministe, anti-évolutionniste, et une conception dualiste. Plusieurs ont montré une confusion des référentiels et un rapport conjoncturel à l'évolution.
ABSTRACT : After learning biology evolution, Tunisian pupils express evolutionist, determinist, anti-evolutionist conceptions, as well as a dualist conception. Two registers, scientific and non-scientific, are used simultaneously by pupils. Knowledge relationship is situated.
1. INTRODUCTION
En Tunisie, la culture est certes, fondamentalement, arabo-musulmane, mais elle est plus ou moins ouverte sur la culture occidentale. L'enseignement de l'évolution biologique n'intervient qu'en fin de cursus secondaire. Par rapport à ces deux constats, la présente recherche prospective propose de considérer les apprenants tunisiens par rapport à leurs dimensions cognitive et identitaire vis-à-vis de cet enseignement. Le problème posé est celui de l'impact d'un tel apprentissage sur les conceptions des élèves tunisiens de l'évolution biologique et leur rapport à cet objet de savoir.
2. L'ÉTUDE EMPIRIQUE
Au premier temps de l'étude empirique, nous avons recueilli les conceptions de 29 élèves d'une Terminale Sciences Expérimentales grâce à une question ouverte en post-enseignement de l'évolution biologique. Les élèves ont produit chacun un texte écrit en réponse à la question : "comment expliques-tu la diversité du vivant ?". Grâce à l’analyse de contenu des productions écrites, nous avons conçu des grilles d'analyse et une typologie (inspirées des travaux de FORTIN, 1993) des conceptions des élèves. Dans un second temps, nous avons tenté de repérer les attitudes des élèves de deux sous-groupes de classes terminales sciences expérimentales issues de deux régions de niveaux socioculturels différents, l’une du Nord (ville de Bizerte) et l’autre du Sud (ville de Douz). Nous avons suscité un discours conflictuel par la lecture de deux textes contradictoires (l’un évolutionniste, l’autre anti-évolutionniste). Les élèves avaient à argumenter l’explication qu’ils retenaient vis-à-vis de la diversité du vivant. Le discours entièrement enregistré et transcrit à fait l'objet d'une analyse de contenu (selon la grille des attitudes, CHABCHOUB, 2000), ce qui nous a permis de caractériser l'évolution de leurs attitudes respectives au fur et à mesure de l'entretien semi-directif.
3. LES RÉSULTATS
3.1 Conceptions
Les élèves tunisiens sujets de la recherche ont manifesté, comme les lycéens français étudiés par FORTIN (1993) des conceptions évolutionniste, déterministe, adaptationniste, anti-évolutionniste (FORTIN, 1993), mais certains d'entre eux se sont distingués par des conceptions dualistes. Ces dernières font apparaître une confusion des registres référentiels scientifique et non-scientifique
(théologique) chez les apprenants. En effet, les élèves présentent deux conceptions du vivant (AROUA, 2001). Pour certains, le vivant inclut l'espèce humaine, pour d'autres, le vivant ne peut inclure cette espèce. Ces derniers conçoivent la diversité du vivant suivant le modèle scientifique de l'évolution pour l'ensemble des vivants à part l'Homme ; pour eux, l'espèce humaine est le résultat d'une création et ne peut être sujette à des transformations (cf. tableau ci-dessous).
Typologie des conceptions Conception du vivant Nombre de sujets Conception anti-évolutionniste "fixiste" Le vivant dans son ensemble 2/29
Conception dualiste Le vivant sans l'Homme 2/29
Conception déterministe, adaptationniste Le vivant dans son ensemble 11/29 Conception évolutionniste "gradualiste" Le vivant dans son ensemble 1/29
Aucune conception ? 7/29
Répartition des sujets de la classe
suivant leurs conceptions de l'évolution biologique et celles du vivant.
3.2 Rapport au savoir
L'analyse des propos des élèves (selon la grille des attitudes, CHABCHOUB, 2000) centrée sur l'argumentation a montré qu'en début de discussion et après lecture des textes l'attitude dominante était une implication au savoir scientifique (Bizerte : 11 sujets/13, Douz : 4 sujets/10). Au fur et à mesure de l'interaction, certains élèves ont changé de posture. Ils passaient d'un rapport d'implication à un rapport de déchirement ou un rapport de rejet. En fin de discussion, l'attitude dominante a été le rejet du savoir biologique (Bizerte : 9 sujets/13, Douz : 5 sujets/10). Ainsi nous remarquons une mobilité des postures. Ce constat montre que, quel que soit leur niveau socioculturel, les apprenants traitent à parts égales le savoir scientifique et le savoir non scientifique.
4. CONCLUSIONS
Nous concluons que la conceptualisation du modèle enseigné de l’évolution biologique chez l’élève tunisien est confrontée à plusieurs obstacles tels la métamorphose, le finalisme, le mécanisme. Cependant, nous avons repéré un nouvel obstacle : la confusion des référentiels. L’élève se réfère aux deux registres (scientifique et non scientifique) simultanément et sans distinction. En conséquence, le rapport au savoir paraît conjoncturel. Ainsi, la culture d'origine du pays semble
influencer fortement l'apprentissage de l'évolution biologique. Il serait pertinent de considérer ce facteur dans cet enseignement. Il y aurait à prendre en compte la dimension épistémique et la dimension identitaire des sujets apprenants.
BIBLIOGRAPHIE
AROUA S., Les rapports d'élèves tunisiens à l'évolution du vivant et leurs référentiels d'argumentations, in Actes des Rencontres Scientifiques de l'ARDIST. Actualité de la recherche en
didactique des sciences et des techniques, Cahiers de la recherche et du développement, Skholê,
numéro hors série, 2001, 177-187.
CHABCHOUB A., Rapports au(x) savoirs(s), didactique des sciences et anthropologie, in Actes du
Colloque Rapports aux savoirs et apprentissage des sciences, Faculté des Sciences de Sfax et
ATED, 2000, 37-46.
CHARLOT B., Du rapport au savoir. Élément pour une théorie, Paris : Anthropos, 1997.
CHARLOT B., BAUTIER E., ROCHEX J.-Y., École et savoir dans les banlieues et ailleurs, Paris : Armand Colin, 1999.
CLÉMENT P., La difficile évolution des conceptions sur les rapports entre cerveau, idées et âme, in GIORDAN A., GIRAULT Y., CLÉMENT P. (ss. dir.), Conceptions et connaissances, Berne : Peter Lang, 1994.
FORTIN C., L'Évolution : Du mot aux concepts. Études épistémologiques sur la construction des
concepts évolutionnistes, et les difficultés d'une transposition didactique adéquate, Thèse de
doctorat Université Paris VII, 1993.
GOULD S. J., Et Dieu dit : " Que Darwin soit ! ", Paris : Éditions du Seuil, 2000.
MAYR E., Histoire de la biologie, Diversité, évolution et hérédité, Paris : Fayard, 1982, trad. fr. 1989.