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Oeuvre construite, oeuvre décrite : Aalto, 34 000 mots pour 200 bâtiments

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R A I N I E R h o d d é

Œuvr e c on s t r ui t e , œuvr e d é c r i t e :

A a l t o , 34 0 0 0 m o t s p o u r 2 0 0 b â t i m e n t s

J

e me souviens du premier voyage en Finlande, qui s'apparentait à un rallye où n'auraient figuré que des bâtiments d'Aalto. I l faudra d'autres voyages pour com­ prendre le rôle du paysage dans cette architecture que j'ai d'abord perçu en référence à mes grilles de lecture et à elle même. J'étais émerveillé, ému par chaque bâtim ent et submergé par leur succession qui n'était alors que géogra­ phique. N'osant revenir immédiatement sur cette expérience, les diapositives sont restées quelques années dans leurs boîtes. Ce temps de latence révolu, je me suis risqué à en présenter quelques-unes aux étudiants. Dans un premier temps, il s'agissait de leur montrer des bâtiments d'Aalto dans leur singularité et pour leur exemplarité. I l fa lla it les décrire pour les partager. I l fa lla it organiser la succession des diapositives, ce qui supposait de réflé chir aux séquences et aux enchaînements possibles de chaque visite pour en arrêter une. Mais le passage de la table lumineuse à l'écran géant des amphis a lla it m'immerger de façon in a t­ tendue dans ces images pourtant familières et m'en faire redécouvrir échelles et détails, alors que la situation « en direct » m'amenait à dériver de l'exposé préparé. J'ai ainsi revisité ma compréhension des bâtiments d'Aalto, en partie à mon insu si l'on peut ainsi qualifier l'improvisation par­ tie lle liée à la situation pédagogique. Mais je n'étais pas au bout de mes découvertes et je devais encore me surprendre

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moi-même, la reprise des cours au f il des promotions d'étu­ diants m ettant à jo u r des liens que je n'avais pas vus entre les bâtiments d'Aalto. Ce texte porte sur ces liens, donc sur la lecture d'ensemble d'une œuvre, à laquelle l'écriture de la monographie d'Aalto m'a confronté 1. Car si l'appropriation par l'étudiant de bâtiments singuliers et exemplaires, ta nt au niveau d'une connaissance universitaire que comme réfé­ rence mobilisée dans une démarche de projet, soulève la question de leur sélection, de leur description et de leur interprétation pour l'enseignant2, l'appréhension et la leçon d'une œuvre d'architecte que sa mort rend « complète », a d'autres visées et exige d'autres outils. I l s'agit alors de montrer comment un architecte, prenant le temps pour allié, déploie son œuvre en affinant ses questions, ou en rendant ses réponses de plus en plus pertinentes, efficaces et éblouissantes sans jamais être répétitives. Autrement que l'exposé de bâtiments exemplaires, cette approche qui les met en relation peut intéresser des étudiants en les proje­ ta n t dans un avenir possible, voire souhaitable : elle donne sens à une pratique professionnelle de longue haleine.

Références

Une telle approche risque souvent, à force d'empirisme, d'aboutir à un classement thématique toujours instable ou de proposer des catégories hétérogènes jamais articulées. Le catalogue d'une exposition Aalto (Alvar Aalto 1898-1976, Musée d'architecture de Finlande, 1981, 168 p.) nous pro­ pose une vingtaine de « thèmes d'illustration » dont l'hété­ rogénéité arbitraire tra h it l'absence de questionnements méthodologiques : recherche avec du bois plié ; paysage et architecture ; la cour, espace extérieur architectonique ; l'amphithéâtre ; l'entrée ; meubles ; le hall d'entrée ; les esca­ liers ; la salle centrale en cour ; la bibliothèque enfouie ; la ligne ondulée ; l'espace ondulé ; l'auditorium asymétrique ; forme acoustique ; texture ; l'éventail ; articulation de la structure ; détails ; la façade ; la lumière. Tout connaisseur d'Aalto pourrait en ajouter quelques autres (les façades contradictoires, le repérage, l'intérieur/extérieur, etc.), constater leur hybridation possible (les meubles et la ligne ondulée, la lumière e t l'entrée, etc.), s'étonner que l'ap­ proche typologique ne soit pas séparée de l'approche des formes chez cet arch itecte crédité de 200 réalisations.

( 1 ) Cf. Rainier Hoddé, Aalto, Paris, Hazan, 1998, 144 pages (e t 34 000 mots environ !).

( 2 ) Ou pour le critique . Cf. Bernard Huet, « Les enjeux de la critiq u e », Le

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A l'inverse, G. Baird (Alvar Aalto, Thames and Hudson, 1970) ne dégage que trois thèmes : ruines (bâtiments qui semblent être déjà vieux, qui sont envahis par la végéta­ tio n, qui se fragmentent), balustrades (tactiles, continues, emphatiques, diversifiées, etc.) et politique (de la p la n ifi­ cation au souci du « p e tit homme », sans oublier l'inscrip­ tion de la démocratie en l'architecture). Même Richard Weston (Alvar Aalto, Londres, Phaidon, 1995, 240 pages), a tte n tif connaisseur de l'œuvre d'Aalto, se trouve dans l'in ­ capacité de proposer une grille de lecture convaincante3. Tous ces exemples montrent qu’un regard trop superficiel sur l’œuvre, voire une approche trop empirique de la m u ltiplici­ té des bâtiments qui la composent est inopérante. La façon dont les bibliothèques de Seinajoki (1960-1965) et de Rovaniemi (1961-1968) sont le plus souvent présentées en apporte la preuve4.

( 3 ) Cf. Rainier Hoddé, B u lle tin de

l'In s titu t fra n ça is d'architecture, (oct.

96) : « (Weston) annonce une traversée de l'œuvre de l’a rchitecte selon plusieurs « thèmes ». Les premiers chapitres sont p o u rta n t chronologiques : les « fonde­ ments classiques » m o ntren t la face cachée de l'A lvar A a lto d'avant Paimio que tes œuvres com plètes qui fig u re n t dans toute s les biblioth èques des écoles d'architecture (Kart Fleig editor ) passaient sous silence, alors que le « dépassement du fonctionnalism e » in v ite à lire a tte n ­ tive m e n t Paimio, l'e xpositio n de 1929 à Turku e t Vipuri comme a u ta n t de projets- clés. Puis, curieusement, les « thèmes » se fo n t typologiques, avec la question du logem ent, les centres-ville e t les cam­ pus, ou encore les espaces de rassemble­ ment, ces derniers tra ita n t d'ailleurs à la fo is des théâtres e t des églises. À l'occa­ sion, de véritables thèm es sont évoqués, comme le sens du genius lo c i des projets d'A alto, ou son esp rit dém ocratique, l'im ­ pré g n a tio n d'im ages ita lie n n e s ou grecques, la quête d'un vocabulaire certes repéré de façon p e rtin e n te (séquences, mains courantes, éclairage z é n ith a l...), mais d o n t l'a ute ur dévelop­ pe peu l'agencem ent, d'une certaine façon, to u jo u rs recommencé. »

( 4 ) Rainier Hoddé, op. c it., p. 121-124.

B ib lio th è q u e m unicipale de Rovaniemi (19 6 1 -1 9 6 8 ), plan du rez-de-chaussée. Plan redessiné par Nicolas Druet pour les é d itio n s Hazan.

B ib lio th è q u e m unicipale de Seinajoki (1960-1965 ), plan du rez-de-chaussée. Plan redessiné par Nicolas Druet pour les é d itio n s Hazan.

Le décodage d'Aalto à travers ses bâtiments que tente Michael Trencher, ( The Alvar Aalto Guide, 1996, New York, Princeton Architectural Press, 243 p) nous entraîne plu tô t vers sept questions de l'ordre de la conception et situées à

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des niveaux très différents : Aalto et la nature (paysage, mais aussi saisons) ; Aalto, la culture et la société (sur l'hé­ ritage des pairs et les influences de l'Italie) ; Aalto et le Mouvement moderne (les apports conjugués du cubisme et l'avant-garde russe, et le rôle déterminant de Moholy-Nagy amèneront Aalto à rompre avec le bon usage euclidien pour se tourner vers « l'indéterminé et le complexe ») ; l'Aalto des années 30 et les transformations du modernisme (l'es­ thétique moderne n'interdisant pas un intérêt pour des thèmes que le Mouvement moderne néglige qui amène Aalto à fixer l'indéterm ination spatiale) ; après guerre, nouvelles « inventions » (la ruine, les tubes en porcelaine, et le pied de meuble en éventail) ; le moderne organique (« sa contri­ bution majeure à la culture architecturale » et urbaine) et pour fin ir, Aalto et la technologie. Philippe Boudon et Philippe Deshayes (Analyse des échelles dans la conception

« paysagère » d'Alvar Aalto, Paris, Ministère de l'urbanisme

et du logement, 1982, rapport de recherche pour la Mission de la recherche urbaine, 82 p.) engagent aussi leur lecture du côté de la conception. Poursuivant leur quête théorique d'une architecturologie, ils appliquent à l'œuvre d'Aalto les ving t « échelles » fondatrices de l'architecturologie et expo­ sées dans plusieurs ouvrages5. L'esprit de système et l'effort théorique donnent à cette recherche une place particulière et in v ite n t à poursuivre le travail d'organisation et de com­ préhension de ce que l'on voit. Mais ces questions de conception me semblaient alors moins prioritaires6 ; mes préoccupations se déplaçaient plu tô t vers la réception de l'architecture par tous mais aussi par des étudiants, et vers la clarification d'une posture critique qui saurait conjuguer l’esthétique e t le domestique. Le souci méthodologique pourrait, me semble-t-il, s'en trouver fo rtifié , et le ques­ tionnem ent des processus de conception se voir renouvelé.

I l faut donc partir en quête de quelques armes e t armatures théoriques pour avancer, c'est-à-dire d'une part remonter à des principes génératifs expliquant la diversité et l'inven­ tion la plus large, et d'autre part délaisser le terrain à la fois trop restreint et trop in fin i des formes architecturales pour se risquer aux dimensions anthropologiques qui devraient être consubstantielles à l'architecture, qu'Aalto destinait d'ailleurs à un « p e tit homme » dont les grands Modernes se souciaient peu. Les pistes ouvertes par Michel Conan à

( 5 ) Philippe Boudon, Richelieu, ville

nouvelle, essai d'architecturologie, Paris,

Dunod, 1978, ou P h ilip p e Boudon,

In tro d u ctio n à l'architecturologie, Paris,

Dunod, 1992, 258 p.

( 6 ) Cf. Les t r a v a u x re c e n s é s dans « Recherches sur la conception a rch i­ te c tu ra le . A ctio n s c o n d u ite s depuis 1986 par le m inistère de l'Equipem ent »,

Les cahiers de la recherche architecturale,

n ° 34, 4e trim estre 1993, p. 199-202 que j'a i mis en place e t suivi pou r le Plan C o nstruction au m in is tè re de l'Equipem ent. Voir aussi Rainier Hoddé, « Rencontres avec des architectes », Techniques e t Architecture, n ° 380, octobre-novem bre 1989, p .112-114.

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( 7 ) M ichel Conan, Frank Lloyd Wright et

ses clients. Essai su r la demande adres­ sée p a r des fa m ille s aux architectes,

Paris, M inistère de l'é q u ip e m e n t e t du lo g e m e n t - Plan C o n s tru c tio n e t Architecture (collection « Recherches »), 1988, 119 p.

( 8 ) M ichel Conan, op. r it . p. 21.

( 9 ) Christian Norberg-Schultz, La sig ni­

fic a tio n dans l'architecture occidentale

(tra d u it de l'ita lie n S ignificato n ell' archi-

te ttura occidentale), Bruxelles - Liège,

Mardaga, 1977, 447 p.

( 1 0 ) M ichel Conan, op. r it . p. 12.

l'occasion de son ouvrage sur les interactions entre Wright et ses clien ts7 semblaient fructueuses en m ettant en rela­ tion le social et l'architecture, le langage formel de l'archi­ tecte et ses résonances culturelles, les formes et le sens. Pour mobiliser des concepts ou des notions pertinentes et opérationnelles, l’auteur nous in v ita it en outre à quitte r les catégories familières du style et du vocabulaire et à rompre avec les apparences afin d'instruire et de construire des relations à la fois répétitives et innovantes entre les bâti­ ments. Le mur comme surface laissant passer la lumière, l'auvent fila n t, mais surtout la cheminée, qui est certes un espace où se réchauffer et voir le feu confortablement, mais aussi un symbole de la vie familiale visible de partout parce que situé au centre8, sont autant d'exemples de ces thèmes architecturaux que l'auteur identifie chez Wright : « I l s'agit bien de thèmes et non pas de problèmes au sens usuel, en effet les dispositifs architecturaux en cause visent autant un effet symbolique qu'un effet fonctionnel » et derrière lesquels i l vo it des « intentions profondes » qui articulent solutions pratiques et idéal philosophique, projet de bâti­ ment et projet de vie. On est loin de la conception plus

réductrice du thème architectural chez Christian Norberg- 135 Schultz9, pour qui Aalto « opère également avec des thèmes

qui engendrent des schémas spatiaux. Ses thèmes sont, le plus souvent, déterminés fonctionnellem ent dans un sens « organique » », ce qu'il étaie en prenant l'exemple de l'on­ dulation du MIT pour donner la vue à chaque résident sur la rivière, de l'immeuble de Brême pour s'ouvrir vers la lumière ou de l'église d'Imatra pour des raisons acoustiques.

Le programme proposé par Michel Conan ne se lim ite pas à l'exploration de thèmes architecturaux construits et problématisés. L'auteur poursuit un propos plus large : « En regardant les plans et les photographies des maisons construites durant toute cette période (1893-1910), on ne peut manquer d'être frappé par l'impression de progression dans l'exploration d'un certain nombre de thèmes architec­ turaux qui semblent s'emboîter les uns dans les autres jusqu'à fournir une sorte de programme m atriciel d'où sur­ gira une grande partie de son œuvre ultérieure. » 10. Cette séduisante hypothèse nous permet de situer l'œuvre proli­ fique d'Aalto dans une perspective généalogique, et nous incite à chercher en quoi le travail d'identification puis de

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développement de (quelques) thèmes architecturaux est consubstantiel à l'élaboration d'une oeuvre to u t au long d'une carrière. Cette hypothèse n'est pas sans résonance avec la notion de « forces formatrices de formes » que Pierre Bourdieu évoque au sujet des apports théoriques des tra­ vaux d'Erwin Panofsky11.

Vers d e s p r in c ip e s e x p l ic a t if s de l a d iv e r s it é c o n s t r u it e

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En confrontant les pistes ouvertes par Michel Conan sur les maisons de Wright à l'ensemble de l'œuvre d'Aalto, toute typologie confondue et sur une cinquantaine d'années, et en pensant aux recherches d'Erwin Panofsky, on est effecti­ vement amené à préciser moins ce que pourraient être ces thèmes architecturaux que ce qui en amont, dans les inten ­ tions e t les routines, semble les générer. On met ainsi en relation le monde diversifié des thèmes architecturaux avec des préoccupations de conception ou des engagements personnels plus larges. Ainsi se construit (les opérations de cette construction-interprétation restent à clarifier) une compréhension de l'œuvre qui dépasse l'anecdote et le sentiment d'instabilité que nous avons en lisant des listes de thèmes architecturaux. Car si Aalto travaille les mains courantes dans leur différence et leur ta c tilité , le plafond comme un élément qui participe à l'architecture autant qu'il l'anticipe, e t les lanterneaux pour que le dehors entre autre­ ment que par les vues dans le bâtiment, s'il oppose les matières, les façades ou les volumes entre eux, s 'il brouille les lim ites e t dilue les intérieurs, s'il oblige son architec­ ture à se jou er du paysage suivant les différentes saisons, s'il nous invite à jouer avec les règles admises de la perspec­ tive, et bien d'autres choses encore12 qui touchent au sym­ bolique autant qu'au fonctionnel, cela peut peut-être se ramener à quelques principes génératifs qui prendront des formes particulières selon la typologie, la position chrono­ logique du bâtim ent et plus largement les circonstances et les contextes qui le cadrent. La liste toujours enrichie et jamais fin ie de ces thèmes, que mes propres diapositives ou une nouvelle lecture pouvaient me suggérer, me semblait ainsi esquisser trois « programmes matriciels », que je pré­ fère appeler « matrices architecturales », pour faire écho aux thèmes architecturaux.

( I l ) Pierre Bourdieu, postface à l'ouvra­ ge d'E rw in Panofsky, A rchitecture gothique et pensée scolastique (tra d u it

de l'anglais par Pierre Bourdieu), Paris, M in u it, 1967, p. 166.

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La première touche à l'a tte n tio n d'Aalto à l'usage. L'architecture est chaque fois prévenante, elle fa cilite notre vie quotidienne, rend notre rapport à elle toujours évident. On imagine ce qu'il faut comme ténacité pour ne jamais oublier, to u t au long de la conception et où que l'on soit dans le bâtiment, les questions liées à la flu id ité des dépla­ cements, au repérage ou à l'orientation, au confort visuel, acoustique, ou climatique, sans oublier le sentiment de sécurité, les détails ergonomiques et tactiles, ou enfin la possibilité d'usages différenciés et d'appropriation. Je ne reviendrai pas sur ces aspects, qui ont constitué pour moi le point de départ de mon intérêt pour Aalto, et qui ont été exposés ailleurs13. On est loin d'un fonctionnalisme déshu­ manisé et on s'approche de ces « exigences sociales » dont parle Léonardo Mosso à propos d'Aalto14 ou de la convention chère à Bernard H ue t15, qui permettent de retravailler un programme. Même sans client, pour revenir à la lecture de Wright par Michel Conan, Aalto poursuit la quête d'une architecture que chacun de nous peut habiter et investir, respectueuse de l'autre et conforme à sa vision politique d'une démocratie où chacun pourrait s'exprimer. I l nous offre une attention que nous n'attendions pas et en ce sens dépasse la demande initiale. I l ne se départira pas de cette matrice architecturale, que ce soit dans de modestes cités ouvrières ou pour des équipements et des bureaux prestigieux.

(1 3 ) Rainier Hoddé, « A rc h ite c tu re e t prévenance », à pa ra ître en 2002 dans l'o u vra g e co rd o n n é pa r D o m in iq u e Beaux à l'occasion du colloque A. A a lto organisé par les services c u ltu re ls de l'ambassade de Finlande, Paris, 17 décembre 1998. Sur ces que stions, v o ir aussi R. Hoddé, « L'espace des b ib lio th è q u e s en p ra tiq u e »,

Techniques e t A rch itecture, n ° 436, fé v rie r 1998, p. 8 4 -8 8 .

(1 4) Léonardo Mosso, A lvar Aalto by

Leonardo Mosso, Turin, S tudio forma, 1981, n.p.

(1 5) Bernard Huet, Anachroniques d'archi­

tecture, Bruxelles, Archives d’Architecture Moderne, 1981, 179 p.

La seconde matrice architecturale touche la relation entre l'architecture et son contexte, que celui-ci soit végétal ou minéral e t urbain. Les modalités ici encore en sont très variées ; la maison expérimentale de l'architecte à Muuratsalo (1952-1953) v o it sa rigoureuse géométrie de brique se diluer dans le paysage en adoptant le bois de la forêt alentour pour les volumes qui altèrent (ou complètent ?) la boîte initiale. La villa Mairea (1938-1939), telle un camé­ léon, semble recomposer ses volumes et adapter son enveloppe pour répondre, visuellement, à la succession des saisons : la verdure gagne son soubassement au printemps, ses murs blancs prolongent la neige en hiver et ses volumes de bois jouent les cabanes dans des arbres du parc en automne, alors que les troncs d'arbres semblent envahir l'intérieur et y organiser un espace in é d it plus par son caractère indécis et « anarchitectural » que dans sa flu id ité architecturale « moderne ». L'usine de Sunila (1936-1938)

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Le « tre illa g e » en soubassement de la v illa Mairea (Finlande), 1938-1939, organise un rapport d iffé re n t entre la villa e t le sol selon les saisons et m odifie en conséquence la proportion de la v illa .

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est à La fois fragmentée et linéaire selon qu'elle dialogue avec les rochers ou avec le lac. Et les toits, peut-être la réponse la plus inventive du vingtième siècle à l'indigente platitude des terrasses obligées du Mouvement moderne, m ultiplie nt les illusions et les dialogues : marbre gris sur fond de cieux couverts ou mirage d'un ciel plus clément dans les vitres du bâtiment principal de l'école normale d'instituteurs de Jyvâskyla (1955), moutonnement des to its que notre déplacement rend mouvant et qui évoque collines parcourues ou nuages en mouvement à la Maison de la Laponie (1969-1976). Les toitures construisent aussi chez Aalto des relations entre le paysage et l'architecture. Mais si l'on abandonne le point de vue éloigné et panoramique, pour arriver à la lim ite entre l'architecture et son environ­ nement e t y poser notre regard et notre pas, force est de constater que nous sommes dans la même matrice architec­ turale, déclinée à une autre échelle. Ici encore, c'est un monde incertain, brouillé ou mobile (que l'on songe à ces portes dans des parois elles-même coulissantes, à ces sup­ ports de plantes offerts à la nature ou aux matériaux variés mis en œuvre) qui dilue autant que faire se peut la lim ite 140 de l'architecture. Mais derrière cette extrême diversité des dispositifs, des échelles de perception ou des relations aux environnements donnés autant que révélés, on peut ide nti­ fie r une même matrice qui conjuguerait l'exigence de liens visuels, voire d'échanges vivants, entre l'architecture et ses environnements, ou le souci d'amortir le choc de l'architec­ ture dans la nature et dans la ville.

Ainsi l'architecture d'Aalto sem ble-t-elle générée et contrainte par l'attention tenace aux usages et par le souci de relations aux paysages. Redevable de ce qui lui préexiste, que ce soit plastique ou culturel, elle est pourtant profon­ dément novatrice et identifiable en ta n t qu'objet construit. Chaque fois qu'il le peut et où qu'il le puisse, Aalto ouvre des pistes contradictoires... pour immédiatement les mettre en rapport e t les unir. I l produit ainsi des objets aux volumes opposés mais reliés (comme au siège du parti com­ muniste en 1952), des façades sans point commun mais pourtant communes à un même bâtiment (comme à la cité universitaire du MIT en 1946-1949 ou à l'hôtel de ville de Saynatsalo en 1949-1952) ou des liens entre des forces contraires (comme à la villa Mairea, où par exemple

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(1 6) Rainier Hoddé, op. d t . p. 64 e t 82.

(1 7) Le biographe fin la n d a is e t ami d'A alto, lorsqu’i l évoque Aalto décou­ vra n t que les « espaces in té rie u rs pou­ vaient être tra ité s en a rchitecture de la même manière que l'espace du dehors, t e l q u 'il a été p e in t par Cézanne, c'est-à- dire dépourvus de form e cla irem e nt d é fi­ nie e t continue, car constitués d’élé­ ments qui ne sont ja m a is achevés e t quelquefois co n tradictoires » parle alors de l'anti-systém atism e comme d'un p rin ­ cipe aaltien, ce qui e st proche de nos constatations. Voir G. S ch ild t, The Eariy

Years, New-York, Rizzoli, 1984, p. 109.

culaire et moderne sont imbriqués). I l manie encore la rigueur et la liberté du geste architectural (comme à la bibliothèque de Seinajoki en 1960-1965 ou à l'église construite à Imatra en 1956-1959), l'accumulation et l'épurement (comme avec le bâtiment principal de l'Ecole normale d'ins­ tituteurs de Jyvaskyla en 1951-1954), le fragmentaire et l'unitaire (comme au peu connu centre culturel allemand de Wolfsburg en 1958-1962). Venturi est fasciné par les contra­ dictions qu'Aalto semble laisser naître, foisonner et se ren­ forcer avant d'être dénouées (c'est-à-dire à la fois domptées et mises en scène) dans le bâtiment, comme on a pu voir dans certains bâtiments une mise en espace de la figure de rhétorique qu'est le chiasme16. Aucun architecte n'a autant su nous donner à lire des architectures aussi dialectiques, même dans « l'autre tradition moderne » dont Hugo Haring e t Hans Scharoun (plus polymorphes et libres peut-être, pour ne pas dire organiques) sont avec Aalto les représentants. C'est là que réside la dernière matrice de cet architecte qui semble manier un crayon qui serait à la fois libre et curieux, mais aussi précis e t contrôlé, ou encore professionnel et d ile t­ ta n te 17. C’est cette culture de la contradiction, appliquée à

toutes les typologies et jouée à toutes les échelles, que les 141 bâtiments d'Aalto inventent avec fierté et cu ltive nt avec

jalousie, qui constitue la troisième matrice architecturale que l’on peut repérer dans l’œuvre.

Ces trois matrices architecturales sont ainsi, en l'é ta t actuel de mes connaissances sur l'œuvre d'Aalto, explicatives des thèmes architecturaux nombreux et spécifiques q u'il décline to u t au long d'un demi-siècle de travail et de 200 bâtiments réalisés. La question des thèmes architecturaux est ainsi relayée par celle des matrices architecturales qui ont pour ambition de les contenir tous et d'aider à les classer. On peut maintenant relire les ouvrages que j'évoquais en com­ mençant cet article ainsi que mon propre travail sur Aalto : les thèmes architecturaux qu'on y trouve, et d'autres que l'on peut apprendre au fur et à mesure de notre approfon­ dissement d'Aalto, pourraient trouver leur genèse dans ces trois matrices architecturales. On pourrait même probable­ ment constituer de nouveaux thèmes architecturaux à partir de ces matrices. A contrario, cette notion de matrice archi­ tecturale interroge l’œuvre post mortem, ou en to u t cas per­ met d'en comprendre les effets et les méfaits : cantonnée à

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la reproduction et à la copie, elle ne peut produire que des réponses figées et fermées alors que, précisément, l'auteur aurait su en créer de nouvelles à partir de ces génératrices.

Dé p l a c e m e n t s et e n j e u x

L'investigation que nous avons engagée vers les matrices architecturales nous a détournés à la fois du champ strict de la réception qui était notre point de départ, et de travaux plus spécifiques à la conception architecturale qui nous sont familiers 18. I l nous faut reconsidérer l'opposition entre conception et réception, nécessaire i l y a un quart de siècle pour y voir plus clair, ce qui n'est pas sans analogie avec une certaine sociologie française contemporaine lorsqu'elle reprend, par exemple, le lien individu/société à la lumière de concepts comme l'habitus, ou lorsqu'elle tente plus générale­ ment de penser autrement les oppositions les plus admises. Par ailleurs, de nouvelles hypothèses, parfois en relation avec les intentions de l'architecte, s'ouvrent à partir d'un faisceau de preuves ancrées dans la lecture des bâtiments pris dans leur série chronologique et leur to ta lité phénoménologique. On se présente donc dans l'univers de la conception armé de cette connaissance de l'œuvre perçue, et l'exploration de bâtiments singuliers y compte autant que les relations que l'on peut établir entre eux. On imagine le travail qui pourrait s'engager, dans lequel les traces seraient reconstituées et interprétées, à la manière de Pierre-Marc de Biasi interro­ geant Flaubert19, ou l'auteur tancé dans des entretiens itéra­ tifs, à la manière de François Truffaut interrogeant Hitchcok20, avec la mise en garde que nous adressent Panofsky et Bourdieu lorsqu'ils évoquent la distance à garder face à ce qui est ignoré de l'auteur lui-même. Ainsi se dessine une approche de l'œuvre d'un architecte qui, appuyée sur des notions qui sont autant d'interprétations réticulées (le thème architectural relie des formes, des dispositifs, voire des typo­ logies, alors que la matrice architecturale relie les thèmes entre eux en construisant des principes fédératifs et généra- tifs), étab lit des rapports d'une part entre les questionne­ ments qui se situent dans l'univers de la conception et ceux qui concernent celui de la perception, et d'autre part entre chaque bâtiment et l'œuvre. I l s'agit probablement d'un pro­ gramme de recherche ambitieux et collectif qui interrogerait l'architecte et ceux qui ont permis la réalisation du bâtiment,

(1 8 ) Outre les action s de recherche du Plan urbanism e, co n stru ctio n , a rc h ite c ­ tu re évoquées ci-dessus, on peut faire référence aux trava ux de M ichel Callon. Cf. « Le tra v a il de la conce p tio n en a r c h ite c tu re », Les Cahiers de la

recherche architecturale, n °3 7 , l ' t r i m .

1996, S itu ations, p. 25-35,

(1 9) Cf. Le Monde, 19-20 décembre 1999. L'article évoque en outre les tra ­ vaux c o lle c tifs e ffe c tu é s par les membres de l’I n s titu t des textes e t m anuscrits modernes depuis 1992.

(2 0) François Truffaut, Hitchcock, Paris, Ramsay, 1983.

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lieux communs n ° 6 | 2002 | Rainier Hoddé

les traces matérielles, les organisations et les mentalités. La pédagogie n'en n'est pas absente.

Ces notions de thème architectural et de matrice architec­ turale permettent en effet de proposer aux étudiants de lire l'architecture autrement. On interrogera transversalement chaque bâtiment à partir d'autres bâtiments d'un même architecte et on approfondira en s'obligeant à questionner chaque bâtiment de près. Cette connaissance intim e débou­ chera à son tour sur quelques hypothèses concernant les ressorts de conception de l'œuvre et de son auteur. Cette double dialectique entre bâtiment et œuvre et entre le bâti­ ment réalisé et le bâtiment en conception, que la notion de matrices architecturales permet de mettre en œuvre, apprend à voir autant qu'à juger autrement. On s'autorise ainsi le retour sur les questions déjà posées et les constats acceptés, on reconsidère les apports des uns et des autres, on rompt avec la temporalité immédiate des revues d'archi­ tecture autant qu'avec l'idéologie de l'innovation qui domi­ ne l'architecture au profit d'une vision plus ancrée dans la ténacité d'un travail qui s'approfondit avec le temps et autour de quelques sillons lim ité s 21.

(2 1 ) V oir R a in ie r Hoddé e t Jean - M ich e l Léger « A rc h ite c tu re s s in g u ­ liè re s, q u a lité s p lu rie lle s (G o ld s te in , L ion, Paurd) », Q u a lité a rc h ite c tu ra le

e t in n o v a tio n , t . 2 Etudes de cas,

Paris, Plan u rbanism e , c o n s tru c tio n , a rc h ite c tu re , 1 99 9, p. 9 9 -1 1 9 .

Confrontés à la double relation de l'approfondissement syn­ chronique et diachronique, situés dans l'univers de la per­ ception autant que dans celui de la conception, les étu­ diants retrouvent une in itia tiv e critique inédite. Leur regard n'est plus neutre ou déconnecté, mais ité ra tif parce que comparatif. I l se déplace en permanence de l'œuvre au bâtiment, de l'objet au projet. C'est dans ce mouvement qu'il s'éprouve et se fonde. I l existe probablement d'autres voies pour développer cette aptitude à lire en profondeur l'archi­ tecture pour mieux la situer de façon théorique comme pour mieux en user dans la pratique. Celle, esquissée ici, me semble être, aujourd'hui, une des plus fructueuses.

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Rainier Hoddé,

Maître-assistant à l'Ecole d'architecture de Paris Malaquais, chercheur à l'IPRAUS (Ecole d'architecture de Paris- Belleville, U MR CNRS n ° 7543) et chercheur associé au LAUA (Ecole d'architecture de Nantes)

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