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Les enfants dans l'oeuvre d'Albert Laberge /

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LES ENFANTS DANS L'OEUVRE D'ALBERT LABERGE

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Samiha YASSA-GAO

A thes; s submi tted to the

Facul ty of Graduate StudiES and Research in parti al ful fi 11ment of the requi rements

for the degree of Master of Arts

He,Gi 11 Un; vers; ty February 1983

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les enfants dans l'oeuvre d'Albert Laberge

Vivant auprès d'un père peu édifiant, géniteur inlassable, paresseux, alcoolique et d'une mère, 'silencieuse, acceptant son lot de misère dans la ré-signation et subissant son homme sans la moindre plainte, que deviendront les enfants choisis par Albert Làberge? Quel sort leur réserve-t-il dans ses nou-ve lles?

De la naissance ct douze ou treize ans, ils auront une enfance malheu-reuse, soumise aux vicissitudes de la vie, en proie ct l'immoralité, ct la mala-die, ct l'injustice. A quatorze ans, ils quitteront le foyer en qu~te de tra-vail. N'ayant ni métier, ni instruction, ils vivront toutes sortes d'expé-riences. les unes pires que les autres. Leur vie d'adulte sera aussi désor-ganisée, ébranlée par les déplacements continuels, le~ épreuves sévères, la débandade et l'échec. Les uns refuseront de se marier, les autres, de pro-créer, d'autres encore fuiront cette vie de mis~re et de peine pour celle plus sécurisante du couvent. Quelques filles, poussées par le besoin, fini-ront par se débarrasser de bien des scrupules et dev; endron t des prostituées.

Laberge tient responsable de cette situation, le père de famille qui lan-ce en vrac dans la vie tant d'enfants, la crise économique et le gouvernement paternaliste qui. en promulguant la loi des allocations, a encouragé

l'~leva-ge du bétail humain et favorisé, par le fait même, la nonchalance et la pares-se. Il dénonce un autre bourreau: les religieux et les hommes d'Eglise qui travaillent

a

maintenir et

a

glorifier l'état de pauvreté prévalant dans la société. En prl!chant aux gens que l a mi sère pati emment soufferte est un capital pour l'autre monde, la mist!re ne fera QU'augme1er.

Entre la famille nombreuse vivant dans la pnvation et le couple sans enfant, menant une vie aisée, d l'abri de tout embarras pécuniaire, Laberge.

apr~s avoir établi la corrélation entre enfants et pauvreté, opte pour la solution idéale d'après lui: n'avoir qu'un seul enfant. Ce dernier, dira-t-il, sera (t la fois le garant du passé et l'assurance de l'avenir.

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LES ENFANTS DANS L'OEUVRE D'ALBERT LABERGE

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L.i,ying with an unedifying father, lazy, prolific, alcoholic and a silent, submissive mother, resignedly accepting her lot of m;sery, and

suffering her man without complaint, what will the children in Albert Laberge's short stories become? What is their fate in the short stories?

From the day they were barn ti 11 the age of twe l ve or thi rteen. they will live a miserable childhood, subjected to the vicissitudes of life, a prey to irTlllorality, illness, and injust;ce.O At the age of fourteen they leave thei r home in search of a jobl But, w;thout a trade or education they suffer great hardships. Their adJl1 lives will a1so prove disorganized, undermined by frequent moves, severe hardships, confusion and failure. Some will refuse marriage. others procreation. Still others, in an attempt to escape such a life of pain and misery, will take refuge in the security of the convent" A few girls, driven by need, will eventual1y rid themselves of their scruples and inhibitions and resort to prostitution.

Responsibility for this crisis. according to Laberge. rests with the father who heedlessly produces too many offspring, the economic crisis, and a paternal government who, by promulgating the law of family allowance,

encourages the multiplication of the human animal and thus fa vors nonchalance and idleness. He also blames the Church and the religious people who

endeavour to maintain and glorify the state of poverty prevailing in society. In preaching that people will capitalize on a better thereafter by patiently suffering their po vert y and hardships. they actually candemn an increasing mi sery.

In view of the parallel, the large family living in deprivation, and the childless couple leading a life of ease and comfort, Laberge establishes a corre lat; on between chil dren and poverty.

His solution: have a single child. "This child". he says, "will stand a guarantor of the past and an insurance for the future".

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TABLE DES MATI ERES

INTRODuctION

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CHAPITRE 1 - Le pAre ... ... ~.... ... 5

CHAP 1 TRE II - La ,..ere ... '... 35

CHAPITRE III - L'enfant CONCLUSION ... " 65 117 ANNEXE 1 ... . '. • • . . .. .. .. . . .. . . .. .. • . .. . . .. .. . . . .. .. .. . .. .. . • .. .. • . . . .... 131 BIBLIOGRAPHIE

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Auteur de deux cent trente nouveHès réparties dans sept recueils, d'un roman, La Scouine, de quatre livres de critique d'art, de deux recueils d'impressions et de souvènirs personnels, le tout publi~ en édition priv~e.

Albert Laberge s'est imposé dans l~ littérature grace! sa persévéranceet ! son désir de reproduire la réalité dans ses textes. Ce n'est cependant qu'a partir de 1960, date de sa mort. qu'il est sorti complètement de l'om-bre après l'éclipse imposée par les autorit~s religieuses qui avaient traité l'auteur de La

S~oui

ne de "pornographe" 1.

Depuis lors", les études sur l'auteur et sur son oeuvre voient le ':l

jour, jetant plus de lumière sur cette production. Différents sujets ont été abordés jusqu'ici: la mort, la'fatalité, l'argent, le rêve, la vision du monde de l'auteur ... 2 Toutefoi s aucune étude ne tra; te des enfants dans l'oeuvre de Laberge malgré leur nombrer;mposant. Dans l'oeuvre fictive, une étude statistique personnelle révèle la présence de huit cent cinquante et un enfants 'do~t l'age s' éche 1 onne entre zéro et quatorze ans, et ce chiffre ne tient pas compte des innombrables personnages de passage. Un nombre si élevé 3 justifie donc une étude approfondie de cette enfance.

1- Albert Laberge. Propos sur nos écrivains. Montréal, édition privée, 1954. 75 exemplai res,. p.

103.

2- Cf. Bibliographie.

0

3- Cf. Annexe 1, p. 1

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-1S/

d' une fami lle pral ifique, Albert Laberge a eu une pr~di1ection particuli~re pour les enfants qui ont gagn~ son amour et sa compassion. Son

mariage en 191() avec Eglantine Aubé, veuve de feu Augustin Desjardins en est une preuve. En l'épousant, il a adopté s,es quatre enfants, et jamais il n'a semblé regretter son geste. Lorsque dans les premiers textes de Quand

chan-,

tait la cigale il écrit: IlLeur sourire est comme un rayon de soleil et leur voix claire qui me souhaite le bonjour me met dans la joiell

4, le lecteùr découvre toute sa tendresse et son amour pour Pierre, son fils et pour Marcel, son beau-fils 5 . .Il en est de même pour celle qu'il a surnommée

"La cigalell

6, le boute-en-train de la famille. "Cécile

s~

promène, rit, chante ... flane, mange, dort et met dans la maison l'entrain et la gaieté." Ce n'est pas sans émotion qu'A la toute derniêre page de ce livre, il nous annonce la mort de celle qUl, naguère, chantait comme une cigale:

4- 5-

6-

7-Ses l~vres sont closes, son sourire s'est éteint

(..J. Elle est partie en pleine jeunesse. Elle laisse ~ .. ] des regrets que le temps ne peut adoucir. Pour mOli'l dédllrure s'est produite. L'être de beauté qui vait été notre joie était dlsparu A ja-mais, ~t' entré dans la nuit éternelle[ ... ] Des larmes lourdes coulent sur ma figure. 7

---Albert Laberge. Quand chantait la cigale. Montréal, édition privée, 1936,75 exemplaires, p. 32 - "Promenade au lac".

Marcel DesJardin, fils de feu Augustin Desjardin.

Albert Laberge. ~uand chantait la cigale. Montréal, édition priv~e, 1936,75 exernp aires, p.

22 -

"La cigale chante".

(8)

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, 4

Le"s enfal'lts .de son ami, l'artiste peintre Charles De Belle 8,. Polly et Nora, alors agêes respectivement de quatre et cinq ans ont bênéficiê A leur tour de l'attention particuli~re de Laberge. les voyant s'amuser dans la prairie~ ravi. il s'arrête, les contemple et dit:

Jamais peut-~tre parmi les milliards d'~tres qui ont paru

a

la surface de notre globe,. il n'y a eu deux enfants aussi jolies, aussi séduisantes. Elles ) sont d'une beauté de rêve. C'est la fleur des races qui s'épanouit dans toute sa gr3ce et tout son

char-me. 9

Treize ans plus tard, en 1949, évoquant le

merœ

tableau dans son re-cueil consacré ~ Charles De Belle, un pareil enchantement est cité:

~--La vue dé' ces deux ravissantes t~tes blondes aux yeux bleus, aux traits d'une extrême finesse, Hait 'une vision enchanteresse. On ne pouvait s'imaginer

que tant de charme, de grâce et de beauté fussent

ain~i réunis. Jamais de toute ma vie, je n'ai vu deux ~tres aussi franchement adorables. Cette mi-nute eSt restée ~ jamaiS gravée dans mon imagina-ti on. 0

Sensible

a

la beauté enfantine. Lab~ge admirera et comprendra ce "peintre de l'enfance, des figures angéliques" 11 son grand ami Charles De Belle. Devant un tableau de l'artiste, il note: "C'est une création de

8- Albert laberge. Charles De Belle, peintre-poète. Montrêal, édition privée, 1949,

75

exemplaires.

9-

10-

11-Albert Laberge. ~uand chantait la cigale. Montréal, édition priv~e,

1936,75 exemp aires. p. 27 - IiLe spectre aveugle".

Albert Laberge. Charles De Belle, peintre-poète. Montréal. édition ,. privée, 1949. 75 exemplaires, p. 34 - "Artiste au grand coeur". Ibid .• p. 5.

(9)

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4

-tendresse et d'amour, l'on peut dire que toute la gr3ce de l'enfance est dans cette tol1 e. Il 12

Mais cette sensibilit~ ! l'enfance ne $e limite pas! la simple con. templation du physique. L'auteur se penche aussi sur la situation bien réelle de l'enfant du d~but du siêcle, sur le contexte familial et social 00 il se

d~veloppe. Quel sort lui rêserve-t-il dans ses nouvelles? Afin de répondre

~ cette question. plusieurs êtudes s'imposent. Nous verrons tout d'abord le statut de la famille labergienne: l'état social du pêre, les responsabi. lités de la mêre et de l'enfant à l'intérieur de ce noyau cellulaire, les relations parents-enfants et leurs conséquences pour les jeunes. En con-clusion, nous tenterons de dégager l'idée essentielle de l'oeuvre: les

respon~ables de l'état de perdition de la jeunesse et la famille id~ale

d'après Laberge.

12-"

Albert Laberge. ~uand chantait la cigale. Montréal. édition priv~e,

1936, 75.exemp aires. p.

46 -

"['art en exil".

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" CHAPITRE 1 - Le pêre

Dès les premi~res nouvelles et jusqu'aux dernières, Laberge a bros-&~

un tableau inchangé du père de fami lle, A quelques rares exceptions près.

Dans la majorité des cas, c'~st un pauvre horrme qui ne fait pas for-tune avec son travail. Il est cependant un géniteur inlassable l - selon mes statistiques, sur les 252 familles relevées dans les nouvelles (les fa-milles dont le nombre d'enfants n'était pas précisé n'y figurent pas). 113 couples ont eu de trois ~ vingt-deux enfants par famille - , un paresseux

qui noie son oisiveté dans l'alcool au lieu de subveni r aux besoins de sa famille, un impulsif, un égo'ste caractérisé par des manies, des phobies, et une sévérité intraitable ~ l'égard des siens. L'avarice, l'appât du gain et la mauvaise administration complêtent l'image peu édifiante du père de fa-mille. Ce portrait contraste avec celui donné dans La Scouine en 1918, pre-mière oeuvre écrite par l'auteur 2. Le fermier Urgêle Deschamps et sa femme

1-

2-Statistiques faites: 252 familles relevées dans les nouvelles (les familles dont le nombre d'enfants n'Hait pas précisé n'y figurent pas)

-113 couples ont eu de 3 ~ 22 enfants par famille (première'généra-ti on d'enfants)

139 couples ont eu un ou deux enfants (deuxième et troisiême généra-tion s)

20 couples seulement sans enfants j>nt été retracés.

Albert Laberge,. La Scouine. Montréal, Imprimerie\Modèle, édition p r i v é e , 1 9 1 8 " , \

5

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6

-Maço peinent durement pour faire vivre leur progéniture, les trois fils et les "bessonnes" Caroline et Paulima. La terre est leur moyen de subsistance. Même si elle n'assure pas leur prospérit~ mat~rielle et engendre plutOt la mi-sêre la plus noire, le paysan s'acharne ct la travailler. Rien ne l'arr~te,

il subit les caprices des saisons, le froid engourdissant et la neige qui pa-ralyse tout. Il oeuvre machinalement et reste "patient et opiniatre". Il est satisfait de travailler toute sa vie, "pourvu qu'un jour il put réaliser

3 son ambition

t .. ]

acquérir de beaux deni~rs pour ses enfants"

Les temps ont changé depuis 1918~ date de la parution de La Scouine, la crise économique est déclenchée, le chOmage règne partout, l'inertie s'at-taque aux honmes. Le père de famille continue de procréer, de lancer en vrac des innocents dans ce monde cruel:

Et si les petits lancés aveuglément dans la vie

meu-rent dans leur jeune âge, les pameu-rents inconscients dé-clarent candidement que ce sont des anges de plus dans le ciel. 4

Laberge s' emp loi e à travers toute son oeuvre ~ ne décri re que des hOrTJnes gui-dés par leurs instincts. Réduits à l'état animal, ils végètent; leur raison semble, 1 es abandonner. A-t-e 11 e seul ement jamai s fonctionné: "Les organes sexuels et l'instinct animal leur tiennent lieu de jugement et de raison." 5

.3- A1Qert Laberge. La Scouine. Montréal, Imprimerie Modêl,e, édition privée, 1918, p. 6.

4-

5-A 1 oort Laberge. Hymnes ct 1 a terre. Montréal, ,édi ti on pri vée, 1955, "RéOexlons", p.

70.

Ibid., p. 71.

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7

-Une fois ce désir ressenti, l'être faible, malade, s'abandonne comme les per-son nages raciniens qui se laissent emporter par leurs passions en se disant 3 quoi bon lutter puisque la lutte est vaine. Au moins ceux-ci ont-ils l'avan-tage de se savoir lmpulssants devant l'épreuve mais les hommes labergiens sont . totalement inconscients de leur état de falblesse. La fami lle augmente, les

ressources manquent, mais le p~re sien soucie peu: "la fonction du m,Ile rem-plie, le père s'éloignait. Débrouille-toi comme tu pourras: lui, il buvait,

il paressait. Sa paternité ne le troublalt pas." 6 Quand bon lui semble, il retourne chez lui passer deux ou trois jours et comme conséquence de sa visite, la famille du vaurien augmente d'enfants non désires.

Laberge est furieux contre cet être vil:

Cette brute répugnante qui, pour sa satisfaction d'un moment, lance dix, douze, quinze, vingt enfants dans la vie, décide aussitôt que ceux-ci commencent

a

gagner, qu'il a assez travaillé, qu'il a fait sa part. Avec un aplomb inconcevable, il déclare que c'est maintenant aux siens de le nourrir et de l'en-treteni r. Il a accomp li son devoi r. 0' un geste de satisfaction béate, il se pose sur la tête une imagi-naire couronne, la glorieuse couronne des pères de nombreuses familles. Désormais il mène une vie de fai-néantise et eXlge qu'on prenne soin de lui. Un écoeu-rant, que ses enfants devraient mettre dehors ct grands coups de pieds au derrière pour l'envoyer se chercher une job. 7

Aussi n'a-t-il aucune pitié pour ce père de quatorze enfants qui meurt aprês

6- Albert Laberge. La Fin du voyage. Montréal, édition privée, 1942, "La Maison", p.

150.

7- Albert Laberge. Hymnes

a

la terre. "Réflexions", p.

72.

Montréal, édition privée, 1955,

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aVllir reçu une ruade de son cheval: "Mieu~ vaut pour lui, dira-t-il, de mou-ri r que de procréer conti nuellement." 8

Aux yeux de Laberge, la mort est souhaitable puur des gens de cette espèce. C'est le seul moyen, ~ ses yeux, d'arrêter "l'élevage" des enfants puisque, même handicapés, ils continuent de procréer:

En battant son grain, un jeune habitant a eu les deux mains arrachées par le cylindre de sa machine. Il sera dêsormals incapable de travailler. L'acci-dènt ne l'a toutefois pas rendu impuissant et, même sans bras, il pourra faire l'élevage des enfants et recevoir les allocations familiales. A~nsl il trou-vera des compensations ~ son malheur.

Laberge multiplie les exemples afin de dénoncer ce zèle intempestif.

Il nous transmet sa haine envers ce monde crapuleux qui précipite sa propre décadence. Dans la nouvelle lntltulée "Une belle famille" 10, titre p'ro-metteur, le lecteur est confronté avec une autre réalité plus décevante encore. La mère est paralytique depuis vlngt ans, depuls son premler accou-chement, donc invalide, incapable de se mouvoir, de pourvoir aux besoins des siens et de la malsonnée, mais elle continue de procréer. Elle subit son "bougre de mari" 11 qui ne pense

qu'~

satisfaire ses lnstlncts bestiaux.

8- Albert Laberge. Hymnes ~ la terre. Montréal, édition privée, 1955,

"Réflexions", p.

78.

9- Ibid ..

10-

11-Albert Laberge. Sc~nes de chaque gour. Montréal, édition privée,

1942, "Une belle

fami

lleii

, p.

l 4.

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-Quatorze enfants sont nés, les uns apr~s les autres:. IIQuatre sont des infir-mes et deux sont muets. Il 12 Laberge pose alors deux questions: "Pourquoi

un nombre d'enfants S1 grand et pour quelle raison tant de déficients

physi-ques et mentaux voient-ils le Jour?" 13\.. Il donne une double réponse: ,';-gnorance et la soumission ~ l'Eglise:

Quand le bon Dieu vous envoie un enfant, faut bien le garder. On peut pas emp~cher ça hein? Bien certain qu'on aimerait mieux avoir des petits bien faits, bien portants mais que voulez-vous, on n'a pas le choix, 14

dira un p~re de famille nombreuse. La haine et l'animosité de l'auteur êcla-tent a lors:

Au lieu de lapider cet etre malfaisant, ce fou crimi-nel, les bonnes gens le plaignent, compatissent

a

ses malheurs, lui donnent de l'argent, des provisions pour qu'il continue ~ procréer des malheureux, des infirmes, des ; di ots . 15

Comme s'il avait un compte ~ régler, Laberge ne lâche pas prise et prê-sente des personnages qui abusent non seulement de leur femme mais aussi de l'ignorance des jeunes filles. Ce refrain se répHe par exemple dans "L'enfant adoptif" 16 Le protagoniste est "un etre misérable, ignoble" qui, pour un

12- 13-

14-

15-

16-Albert Laberge. Scènes de chaque iour. Montréal, édition pr~vée,

1942, "Une belle famille", p. ,

4.

Ibid ..

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lb; d ••

-Ibid ..

1.!?.i.2.:..,

"L'enfant adoptifll

, p. 198.

,

(15)

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10

-moment de satisfaction ~goTste, fait un enfant à une adolescente et l'aban-donne par la suite. Peu de temps après, l 'homme se marie, élève une famille et oublie totalement le fils qu'il a lancé dans ,l'univers: "Le fils conçu en un moment de délire, est abandonné, adopté par un couple sans enfant,

t.J

ils l'ont élevé, l'ont fait instruire et lUl ont donné un bon départ dans la vie." 17 Mais cette chance, ce sort heureux n'est pas commun dans l'oeuvre de Laberge qui ne crolt pas au bonheur pour ces Jeunes. Les autres sont lais-sês à eux-mêmes et,leur destln n'est pas difflcile ct imaginer.

Ce géniteur acharné, cet être lnfatlgable, manlfeste par contre une répugnance au travall. L'homme de Laberge préfère en effet à la vie ordonnée et au gain sOr, l'état de nomade et la paresse. Seule une existence misérable et précaire semble lui convenir.

Il vit aisément du blêtre social et profite du salaire de ses en-fants plutOt que de se chercher du travai 1. Prenons corrrne exemple Siméon Rabeau, dans Le Derm er souper, "ce grand fl anc mou qUl puai t l a paresse à un mille

t.J

ne se faisalt pas mounr ct chercher du travail" 18. Il aurait pu ensemencer le terraln qUl cntouralt sa maison mais, "cette besogne, la culture d'un jardln potager ne l' intéressalt pas [ ...

J

elle le répugnait" 19 Il ne consent ct aucun sacrlfice pour nourrir les siens ce qui pousse ses enfants A

17- 18-

19-Albert Laberge. Scènes de chague ~our. Montréal, édition priv~e,

1942, "L'enfant adoptif", p.

20 .

Albert Laberge. Le Dernier souper. Montréal, édition privée, 1953, p. 10.

(16)

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11

-partir pour fuir ainsi la pauvreté. Ils quittent le toit paternel très jeunes,

a

quatorze ou quinze ans,

a

l'age 00 ils ont le plus besoin de cette chaleur familiale, d'une bonne alimentation qui les aidera

a

s'épanouir:

Le cadet, ~g~ de quatorze ans était parti un matin après un maigre déjeOner. Il n'Hait pas revenu. Puis, l'atnê, un'an plus agê, avait pris

a

son tour les routes incertaines qUl conduisent on ne sait où. Il avait dis-paru. 20

La famille se disperse peu

a

peu, par la seule faute du père ..

. Rares seront les pères de fami lle qui correspondent

a

l'image de

Deschamps, attelés au travail continu. Certes Francis Lauzon dans "La Rouille" sera "réaliste, dHerminê, volontaire, sobre, laboneux, profondément attaché A la terre.

a

la lignée" 21 Mais Laberge ne crolt plus au dévouement gra-tuit,

a

l'amour du travail, au sacrlfice; c'est l'ambition de Lauzon, le défi qu'il se lance qui le poussent ~ agir de la sorte. L'auteur multiplie dans

les nouvelles les scènes où le père de famille flane ~ longueur de Journée, fu-mant sa clgarette, prenant ses aises et maudissant les travailleurs qui mènent

"une vie de chlens" 22. Lui, il fait la grasse matinée, il ne reçoit d'ordres de personne. Dans "L'art de se la couler douce", c'est avec un humour noir que Laberge lève le rldeau sur ce qu'il y a de plus triste et de plus dégradant: une famille vivant dans le vice et la paresse, oubliant les principes et la

20- Albert Laberge. Le Dernier souper. Montréal, édition privée, 1953,

21-

22-p. 10

Gérard Bessette. Anthologie d'Albert Laberge. Montréal, le Cercle du livre dt France, 2e édition,

1972,

cf. p. xxiv.

Albert Laberge. La Fin du voya~e. Montréal, édition privée, 1942,

(17)

(

morale. Il dédicace d'ailleurs la nouvelle à "toutes les punaises de la

ter~e,

avec mon mépris et mon

dégoOt~

23

Tancrède, père d'une famille de sept enfants, se plaisait dans sa vie d'oisiveté et de paresse. Il accepte, puisque

l'oc'~sion

s'offre

a

lui, de céder sa place auprès de sa femme, ~ Michel, un ami, en échange du salaire

12

-que ce dernier rapportait ct chaque quinzalne. Lui, préférait chOmer. et se mettre "sous le secours direct qu'on venait d'Hablir pour les sans-travail" 24 L'argent rentrait et tout le monde était heureux. L'auteur continue tout au long de la nouvelle ct dévoiler les dessous de ce monde "crapuleux" où les va-leurs sont renversees, où les "vermines de la terre pour leur plaisir et leur satisfaction personnelle sont prêtes ~ tout sacrifier, à faire bien des

con-25

cessions pourvu que l'abondance règne autour d'elles" . Les enfants nais-sent dans "cette ordure", on ne sai t exactement de qUl, du man ou de l'amant, qu'importe. A la mort de sa femme, Tancrède pensera épouser sa belle-soeur qui vient de perdre son marl, puisqu'avec ses sept enfants et les six de la belle Ad~le. il pourra retirer beaucoup plus des allocatlOns familiales. L'a-mant retrouvera aussi sa place; quant d lui, il continuera ct fumer ses

ciga-rettes et ct "se la couler douce".

23-

24-

25-..

Comme Tancrède, Daniel Dlgnalais, dans "La fin du voyage", trouve que

Albert Laberge. La Fin du voya~e. Montréal, édition privée, 1942, "L'art de se la couler douce. p. 173.

Ibid., p. 177. Ibid., p. 178.

(18)

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le secours di rect est "une magnifique affaire" 26 Après avoir

ét~ employ~

pendant cinq ans aux filatures de coton de Valleyfield, il vint s'établir en ville pour profiter co~ne les autres du don gratuit du gouvernement. Avec ses

vingt enfants, dont deux garçons mariés qui demeuraient avec lui, il recevait beaucoup plus des allocations qu',l n'aurait jamèis gagné en travaillant: "Un

27

bel héritage" qUl l'encourage à rester chômeur lui et ses enfants, jusqu'~

la mort. "A quoi bon se démener", lui fera di re l'auteur, "quand on est bien nourri, chauffé et quand on reçoit gratuitement les soins du médecin" 28. La

13

-ferrme et les brus "étaient grosses" et Laberge les compare 3 "des vaches dans l'étable, au printemps et qui vont bientOt vêler" 29. Ce seraient, ajouta-t-il, "troi s autres peti ts chOmeurs qui augmenterai ent la fami 11 e et gross iraient l'a 11 oca t i on Il 30

,

31

Toute la rage de l'auteur éclate contre cette "race de parasites" qui reçoit tranquillement les chèques de secours et n'a "ni ~ peiner ni

a

se

32 '{

morfondre" ,et contre ces p~res de famille qui usent d'astuces pour vivre aux crochets de 1 a soci été en procl amant tout haut: "On serait ben bête de ne

pas en profiter conme 1 es autres." 33

26- Albert Laberge. La Fin du voya~e. Montréal, ~dit;on privée. 1942,

"L'art de se la couler douce, p. 41. 27- Ibid .. 28- Ibid .. 29- Ibid., p. 42. 30- 31- 32-Ibid ..

Albert laberge. Visages de la vie et de la mort. Montréal, édition privée, 1936, "Un horrme heureux", p.

189.

Ibid ..

(19)

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Devant tant d'immoralité et d'inconscience, Laberge se demande si ces pères ont fait le compte des jeunes qui naissent et s'ils ont pensé ~ leur éducation et aux principes qu'ils devraient leur inculquer. Ils se conten-tent de prendre leurs trois repas, de vider des bouteilles de bière. de fumer des cigarettes, de v~géter comme des animaux dans cette belle vie de fainéan-tise. Un personnage labergien semblable ~ Tancr~de et à Daniel dira:

A quoi te sert ton instruction? Ca vaut pas grand' chose. Tu travailles pis tu paies toutes sortes de taxes. Moé, j'sais rien. Nous autres, on est des 19norants, mais la manne nous arrive. Elle tombe pour nous. Pis, on n'a pas la peine de travailler. On mange, on fume, on se croi se les bras, on joue aux cartes, on dort (: ..

J .

Peux-tu en dire autant? 34

Ainsi ces pères, chômeurs, se moquent des ambitieux qui veulent deve-nir riches, qui travaillent dur pour changer de statut mais qui sont écrasés

14

-par l'inflation, comme les propriétaires des maisons qui "vivent dans l'ap- \ préhension de nouvelles taxes", et les cOlTlllerçants qUl VOlent se dresser

"le spectre menaçant de la faillite et qui dans un moment de découragement se suicident" 35

Cette situation réapparatt dans presque toutes les nouvelles. Comme un leitmotiv, les ~mes qualificatifs revienn~nt indiquant le degré de non-chalance du chef de la famille qui désire amasser le plus d'argent possible en ·ne fournissant aucun effort ni physique, ni mental. Tancrède, Daniel, ont

34-

35-Albert Laberge. Visa~~ de la vie et de la mort. privée, 1936, p.tLi

4.

Ibid., "Un homme heureux", p. 189.

,.

(20)

,

~(

15

-donc des frères et des

demi-f~êres

dans l'oeuvre de Laberge: René Rabatte 36, Denis Ploche 37, le donneur de tuyaux, dit "le tout" 38, et tant d'autres qui

préf~rent chômer que trdvil i 11er honnêtement et pour qui les enfants sont une source de revenus intére~sante.

Pour ces chômeurs invétérés, l'auteur a choisi une compagne Fidele:

la bouteille. En effet, tous flânent ct longueur de journée, une bi~re en main. Dans les nouvelles, l'alcool est 1ntirnement 11é il la paresse. Ce besoin de

bai re dev; en t vi te pas si on et l' homme sombre dans l'a l cao li sme. Aucun ges te

n'est alors contrôlé. Rendu il l'état quasi animal, 11 bat femme, enfants avec

ou sans raison. Il reste ~ la charge de sa famille qui finit par se passer de ses services et par ne plus compter sur sa présence pour sa subsistance.

Il n' accas i on ne que des ennui s d son entourage; sa mort es t bi en Vl te

souhai-tée par tous: "Magloire Restaire n'avait causé que des désappointements, des

chagrins et de la honte." 39 La femme <;'llctlllrnera ~ trôvd111er, il quHer pour nourrir les petits, cc dont il n'a cure. Oans "Le Portrait", alors que

la femme peine jour et nui t depui s vi ngt ans il servi r des étrangers, il "fa; re

de la mangeaille, laver de ld vaisselle, balayer des chambres" 40, le mari,

"un vaurien", un ivrogne, se permet de "boire le peu d'argent" qU'll gagne

3637

-

38-

39-

40-Albert Laberge. Visa,es de la vie et de la mort. privée, 1936, p. 1 9.

Montréal, édition

Albert Laberge. La Fin du voyage. Montréal, éditlon privée, 1942,

"Lorsque revient le printemps". p. 354.

Ibid. , p. 156.

Albert Laberge. Images de la vie. Montréal, édition privée, 1952,

"Le Pendu", p.

'4.

Albert Laberge. Visages de la vie et de la mort. M~ntréal, édition pri vée, '936. ilLe Port ra it il, p. 148.

,.

(21)

16

-quand il lui arrive de travailler. Un homme qui a toujours bu, dira l'auteur. "un sans-coeur", un paresseux, ne laisse que des souvenirs désagr~ables

a

sa famille. La famille Botillon s'est vue forcée de fuir la famine, de s'en aller ailleurs où le sort lui serait peut-~tre plus clément. L'atnée des sept enfants, une f,llette de quatorze ans, évoque les souvenirs de son en-fance:

De vrais beaux souvenirs en vérité. De ces souvenirs que l'on enchctsse pour ainsi dire afin de se réconforter dans les mauvais jours. ~.J, des souvenirs de misêre. de saleté et d'estomac crlant famine. Le père paresseux, ivrogne et la mère insouciante et sans dessein qui, cha-que année, mettait un petit ~tre au monde sans jamais songer ~ ce qu'il deviendrait plus tard. 41

Laberge consid~re l'alcool comme une maladie qui avilit l'etre humain ~

.1

en le rendant esclave, lnapte Cl l'action. Il désapprouve par le fait même les alcooliques, montrant ainsi qu'une société composée d'une grande majorité "d'ivrognes" est une société qui ne peut évoluer normalement. Par contre, il

s'éleva contre la prohlbition, "cette loi stupide, vexatoire et hypocrite pro-mulguée aux Etats-Unis, interdisant toute vente d'alcool" 42. Il la consiM-rait comme "une farce ridicule, une loi qUl allait à l'encontre du sentiment populaire, le peuple consommait plus d'alcool par le commerce illicite, qu'au temps on la vente Hait autorisée" 43, Il nous rév~le aussi qu'il ne fait pas usage d'alcool. Parlant de lui-même, il écrit:

41- Albert Laberge. Fin de roman. Montréal, édition privée. 1952,

"Une belle jeunesse il , p.

99.

42- Albert Lab~rge. Images de la vie. Montréal, édition privée,

1952, "Exit al Capon~i1, p.

109.

(22)

r .. ]

il ne l'a ime pas. Toutefoi s, il ne croi t avoir aucun mérite ~ cela et il ne s'en targue pas. Ses parents non plus n'en faisaient pas usage et si cette hérédité qu'il leur doit était le seul héritage qu'il aurajt reçu d'eux, il leur en serait encore reconnaissant, ma; s de ce qu'il est tempérant de nature, il ne saurait s'en

préva-loir pour condamner ceux qui aiment la bière et le whiskey. 44

Cet état d'apathie dans lequel vit l'honme de Laberge l'empêche de

- 17 ~

faire usage de son imagination et de sa raison. Quand vient le moment d'agir, il sera impulsif, brusque. Comme un bélier en furie, il fonce devant lui et ne se rétracte pas. S'il commet une erreur, il ne se repentira jamais

puis-qu'il ne se donne pas la peine de réfléchir. Dans les nouvelles, les dêci-sions, m~me les plus sérieuses, se prennent hativement, les problèmes ne sont jamais cernés et étudiés sous toutes leurs faces. Un mariage, par exemple, se dêcide très vite. Voici un cas parmi d'autres. Un jour, une fille d'environ dix-huit ans prit place dans "la barlouche" de Treffé Oigna1ais pour se ren-dre chez son oncle.

44-

45-Ils causèrent. Elle lui plaisait. 11 prenait vite une décision.

Ecoute, dit-il, après une pause et la tutoyant soudain, - qulest-ce que tu dirais de nous marier? ( ..• ]

't·

.J

Tu vas me marier ou je te tue, prononça-t-il, rude, ener-gique.

(..J

Alors, craintive, subjuguée par la menace, soumise comme les femmes des lointains millénaires devant le male redoutable.

C'est bon, r~pondit-elle d'un ton résignée, on se mariera. 45

Albert Laberge. Images de la vie. Montréal, édition privée, 1952,

"Ex it a l Capone", p. ,

09.

jIi'

Albert Laberge. La Fin du voyage. Montréal, édition privée, 1942, "La fin du voyage", p. 18.

(23)

(

Le mariage fut célébré aussi rapidement que la décision avait éte prise. Laberge révèle par la suite que cette situation grave, mettant en peril la vie de deux inconnus, punlt les enfants qui naîtront. En moraliste, il dé-duit que le mariage, s'il n'est pas basé sur la connaissance approfondie du partenai re, risque tôt ou tard l'échec. Il estime que le dévouement, le désin-téressement de soi mais aussi la ferme volonté "de rendre le conjoint heureux, et ,plus particuli~rement les enfants" 46, doivent être les fondements sur les-quels reposera toute union et non le caprice de certaines gens.

Bien d'autres décisions graves se prennent suite

a

des flambées sou-daines. Cela entraîne le plus souvent la misère de la famille, les déplace-ments, l'instabilité: "On va vendre" dlt un jour Dignalais, devenu pêre de

famille 47. Il n'avait pas l'amour du sol. Pdr manque de talent et de goOt, il négligeait son champ. Rien ne lui réussissait. Découragé, il estima qu'il avait suffisamment travaillé

et

qu'il lui fallalt changer d'alr. 0 Un esprit

de nomade le poussait ~ partir.

L'homme s'en allait allleurs où il espérait avoir plus de chance car, de sa nature, l'homme est instable, changeant, presque jamais satisfait de ce qu'il a, s'i-maginant qu'ailleurs le sort lui sera plus favorable. 48

La fell1T1e et les enfants, au même titre que les lnstrurnents aratoi~s, suivent l'homme partout où il va, résignés comme toujours. Les coups de tête font que Dignalais subit échec apr~s échec jusqu'a ld rln de sa Vle.

46- Alb~rt Laberge. La Fin du voyage. Montréal, édition privée, 1942, "La· ... fjn du voyage". p. 19.

. 47-

48-1 bi d., p. 20 .

Albert Laberge. Le Dernier sou~er.

1953, "Le vieil orme", p. 10 .

(24)

-(

,

, .

Si 1 1 homme de Laberge agit ainsi ~ sa guise, sans jamais penser aux

conséquences de ses actes, c'est qu'il est doté d'une nature égoTste. La pitié et le dévouement lui font défaut. Il est inhumain, dépourvu de sensi-bilité. L'attitude d'Isidore Tamareau 49 l'atteste bien. Celui-ci perd trois filles emportées par la tuberculose. Il voit dépérir la quatrième et il sait qu'il ne lui reste que deux ou trois mois

a

vivre. Peut-etre l'aime-t-il, peut-~tre le fait de voir son enfant 's'en aller l'attriste-t-il, mais en horrme pratique, il songe

a

tout l'argent qu'il aura ~ dépenser. "Oui, ,le docteur, le cercueil, le service

a

l'église, la mangeaille, les frais divers,

ça se montait facilement

a

cinq cent piastres. Pas moyen de s'en tirer

a

moins." 50 Alors, pour réa1iser le rêve de sa vie, posséder une automobile. se promener les fins de semaine hors de la cité, respirer l'air frais, en homme égoTste et inhumain, il pense marier sa fille pour que le mari se char-ge des frais de l'enterrement.

le père seul a pris cette décision grave alors que la mère, comme

a

l'accoutumée, s'est inclinée, a étouffé ses sentiments et la tristesse qui la déchire. Il choisit son horrme, "un cOlTlT1is idiot, bonasse, timide, sans volon-té,\.-.J, une bonne poire" 51 Le mariage fut décidé, la cérémonie s'en sui-vit et, dix jours après, la fille fut hospitalisée. Tous les traitements donnés furent vains, on la ramena chez ses parents où elle s'êteignit une

semaine plus tard. le mari, dut "emprunter pour payer la pension au sanatorium,

49-

50-

51-Albert Laberge. La Fin du vo~age. Montrêal, édition privêe, 1942, Il Il marie sa filleii, p.

20 .

Ibid ..

Ibid., p. 208.

19

(25)

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.(

L :

recourir aux usuriers pour le cercueil et le service religieux. Il est pris dans un terrible engrenage. Il n'en sortira

peut-~tre

jamais" 52. Le père, en honnête criminel, se prépare

a

partir dans son automobile, question de se

changer les idées. :i

Pour convaincre son lecteur, Laberge accumule les exemples relatant l'égo'sme sordide de ses personnages" Dans "Oraisons funèbres" ,53 un mari re-fusera de faire donner les soins nécessaires ~ sa femme malade, s'abstiendra

.

de venir en aide

a

ses enfants et dêpo~illera sa famille au profit d'une mat-tresse qui a flatté sa personne.

Alors, au lieu de recevoir un héritage qui leur eOt permis de vivre confortablement, les enfants vont avoir

a

lutter péniblement pour gagner leur vie et ils 54

seront en'outre obligés de prendre soin de leur mêre • . Toute la haine de la mère éclate contre ce mari brutal:

Ils vous ont fait souffrir pendant qu'ils étaient vi-vants et maintenant qu'ils sont disparus, ils continuent et m~me c'est pire. Ils seraient

a

mille pieds sous terre que leur souvenir maudit vous harcelerait. 55

N'est-ce pas aussi par égo'sme et par vanité que ce mari et père, voyant sa femme condamnée, se dépêchera de lui chercher une remplaçante:

52- 53-. 54-

55-Albert Laberge. La Fin du vo~age. MO,ntréal, édition privée, 1942,

"Il marie sa fille", p.

21 .

Albert Laberge. Scènes de chaque 1our. Montréal, édition privée,

1942, "Oraisons funèbres", p.

1 O

,'Ibid., p. 11l.

lb i d~

P.

113.

20

(26)

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..

"Tet' aurai 5 pu a ttendre que je soi s morte Il 56, 1 ui di ra sa femne, et c' es t 1 e

coeur meurtri qu'elle disparattra peu de temps après.

Les manies et les tics alimentent souvent cet égo'sme sordide. Les phobies, différentes d'un individu à l'autre, sont acceptables tant qu'elles impliquent leur seul auteur mais lorsque le destin de la famille en dépend, elles deviennent dangereuses. "L~e\Co1osseli 57, une nouvelle présente dans Le Destin des hommes, rév~le une fois de plus l'esprit chimérique, fantai-siste et dés~quilibré du père de famille. M. Isidore Lafleur rencontre un colosse de six pieds, un mineur de charbon, qu';l admire spontanément. Il décide d'en faire un boxeur, un champion, ce qui leur rapportera gros à eux deux. Ce ne sont que r~ves et illusions: le père de famille s'endette pour réaliser ses ambitions, refuse les conseils de sa femme et de ses enfants. Il est sOr de réaliser un gros profit. Absorbé par ses chimères, il néglige son travail. Sa femme se lamente, prévoit le ma)heur qui arrive

a

grands pas: IIAh! mes pauvres enfants, votre vi eux fou de père nous fera, fi n~ r nos jours dans la misère!" 58 La fami lle est délaissée au profit du colosse qui profite de l'occasion sans rien donner en échange. La mésentente règne

a

la maison, le père est ridiculisé, méprisé, bafoué par tous. La faillite

~rive à grands pas. IIAccab1ê de reproches ~.J il eut une crise 1 de

dépres-sion nerveuse et la tète lui déménagea. On dut alors l'interner dans un

56- Albert Laberge. Fin de roman. Montréal, édition privée, 1952, "Le bienheureux M. Frigon", p. 79.

57-

58-Albert Laberge. Le Destin des hommes. Montréal, édition privée,

1950, ilLe COlosseh , p.

140.

Ibid., p. 146. 21 -,

1

1

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(27)

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asile d'aliênês où il mourut au bout de peu de temps" 59 Face ~ cette di

s-pariti~~ite, le lecteur n'~prouve aucune pitié car cette mort entratne non la douleur mais un soulagement irrrn~dlat de la part de la famille.

D'une nouvelle ~ l'autre, Laberge ne rate pas une occasion pour dé-noncer la sévérité exceSSlve du père de famille. Il le rend responsable de tous les malheurs qUl accablent les Slens. L'ignorance, le manque d'instruc-tian, l'~troitesse d'esprit, joints aux traditions ancestrales, font du père "un bourreau" 60 dépourvu de jugement et de compréhension. Le fermier Vital Desmoines refuse ~ son fils Martlal le droit de rencontrer et par le fait

même d'~pouser une fille de "mauvaise vie, Emma Giroux, mêre de deux

en-fants" 61, évi tant ainsi "le scandale" et "le déshonneur". Voulant peut-être bien faïre, "êlo;gner le fils d'un danger", il n'a fait que prêcipiter sa chute dans une'voie plus dangereuse et plus triste encore, celle de l'alcool, de la ruine de la santé et de la mort. L'auteur soulève ici le problème de l'ingérence du père dans les affaires intimes du fils, l'empêchant ainsi de vivre comme bon lui semble et lui refusant toute libertl! individuelle. Il llaccus€ solennellement de la perte du jeune:

C'est la faute du père, clest lui qui est ~ blamer ~ .. ] Le vieux était buté comme une mule. On aurait pu croire qu'il ~raversalt la vie avec une bride sur la tete. ayant un garde-vue de chaque cOt(~ des yeux. Il ne voyait rien, suivait les autres, faisai~ comme les autres. Sa raison,

59- Alber,t Laberge. Le Destin des hOl11lJes. Montréal, édition privée, 1950, ilLe Colosse", p.

169.

60- Albert Laberge. Images de la vie. Montréal, êdition privée, 1952,

"Lib~t,on au cimetière", p.

16.

61- Ibid ..

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(28)

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slil en avait, ne lui a jamais servi. Et il aurait voulu que Martial fasse comme lui, mais celui-ci était différent de son pêre. Il Hait lui-m~me et n'était pas emprisonné par le qu'en dira-t-on du voisin. Le vieux est venu se jeter en travers des amours de son fil s ~.

J

il a g1ité toute l' affa ire, il a empoi sonné la vie de son garçon. 62

Nous apprenons par 1 a suite que l 1 auteur ne se seral t pas opposé ~ un mari age

par.eil avec une fille de mauvaises moeurs qui lia corrmis des erreurs, corrme tant d'autres, et est mère de deux enfants" 63 A son avis, une fois mariée,

elle "pouvalt être une femme respectable". N'y alt-il pas, ajoute-t-il, "d es veuves avec eux ou trolS marmots d . , , 6 4 . qUl se trouvent es marlS e Vl-d ' t . vent heureuses. Ceux-ci prennent la fenrne et les enfants et font "bon ménage". Fait-il ic, allusion

a

son propre ménage 65 ou

a

celui de son frère Léonidas, surnommé Arthur Laberge, qui épousa la veuve Laura Chapleau, m~re de quatre enfants 66, et de qui il eut huit enfants? Laberge termine la nouvelle "Libation au cimeti~re" par cette inculpation: "Sans le stupide ent~tement

67

du père. Marti al serait aujourd' hui un horrme heureux ... Il

62- Albert Laberge. Images de la vie. Montréal, édition privée, 1952, "Li bati on au ci meti ère li, p.

22.

63- Ibid ..

-64- Ibid ..

65- Anna Laberge. GénéalO~ie des familles Boursier-Reid. Montr~a1,

édition privée,

195 ,

p.

337.

66- Ibid .• p. 350.

67- Albert Laberge. Images de la vie. Montréal, édition privée, 1952. "Libation au cimetlère". p.

22.

(29)

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Outre leur égoTsme et leur vanité, l'auteur accuse ensuite les pères de familles d'avarice. Il leur en veut d'être abrutis par les principes erronés, transmlS de génération en génération, malS aussi aveuglés par leur religiosité placée sous le signe de l'égocentrisme. Pour faire bonne impres-sion, pour leur propre salut, ces p~res, simples d'esprit, seront généreux

pour les bonnes oeuvres, les religieux qui sollicitent des fonds, les mis-sionnaires qUl vont évangéliser les petits Chinols, mais, par avarlce,

refu-seront le moindre argent ~ leur famille. La m/;!re Maço et ses enfants dans La Scouine se contenteront de prendre "le pain sOr et amer marqué d'une

croix" 68 que leur offre le p~re Deschamps. Dans "La Fin du voyage" 69 c'est par avarice que le mari refuse un vlngt-cinq sous ct sa femme pour aller se ' faire extra 1re la dent qUl la rendait folle, sous prétexte d'éviter le gas-r.. pi 11 age: "Faut pas jeter son argent, il es t bien dur ct gagner et c'est com-mode d'en avoir." 70 Il confond volontiers économle et avarice parce que de l'une ct l'autre, le pas est vite franchl. La fenme se trouve alors dans l'ob li gatl on de se l'arracher pour en fl ni r: "Trei ze dents en hui tannées qu'elle s'était arrachées en brOlant la genclve avec un fer rouge" 71, puis-que come elle nous l'avoue: "Il aurait cné, hurlé, et lUl aurait refusé l'argent." Et dans Le Dermer souper, le héros de la nouvelle intitulée "Contrat de manage", Trefflé Dupras, n'a-t-ll pas renoncé 11 son mariage avec Dêlima Trudeau qu'il fréquentait depuis huit mois et qu'il aimait, pour

68-

69-Albert Laberge. La Scouine. Montréal, Imprimerie Modèle, édition privée, 1918, p.

6.

Albert Laberge. La Fin du voyage. Montréal, édition privée, 1942, "La fin du voyage", p.

22.

70- Ibid .. 71- Ibid., p. 36. - 24 - 1

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1 1 !

(30)

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25

-éviter simplement de subir l'avarice du père? Le beau-père avait refusé de lui pr~ter ~ chaque automne sa machine ~ battre le grain: liNon, non, dira-t-il, le vieux est trop avare, trop têtu, trop malcommode et je ne veux pas d'un beau-père comme ça." 72 Ai ns i, cons ci ent ou non de ses agi s sements, le père sera la cause directe ou indirecte du malheur de son entourage, de tant de larmes vers~es et de tant d'espoirs démolis: "Délima baisse la

t~te et se met A pleurer silencieusement." 73

Le comportement du père de famille n'a pas cessé d'étonner le lecteur qui reste perplexe devant des contradi ctions d~routantes. Il peut !!tre avare mais l'appat du gain bouillonne en lui. Il spéculera comme tout le monde, aveuglé par une réussite certaine. A aucun moment, le sort de sa famille ne freinera ses gestes impulsifs; "l'épidémie" qui court fera en lui des ravages irréparables. M. Rapin, père de famille, croit qu'il serait bien sot de laisser dormir ses capitaux dans un coffre-fort quand il pouvait les faire fructi fi er:

Faire fortune, c'était simple. Il s'imaginait qu'il n'y avait qu'une chose ~ faire: acheter par exemple une ferme, la subdiviser en lots, les vendre, acheter une nouvelle ferme, la subdiviser en d'autres lots et les vendre. Et réaliser des bénéfices de deux cents pour cent, devenir millionnaire. 74

72- Albert Laberge. Le Dernier souper. Montréal, édition privée, 1953, "Contrat de mariage", p. 97.

73- Ibid., p. 100.

74- Albert Laberge. La Fin du voyag~ Montréal, édition privée, 1942, "La penSl0n Rapln", pp. 2-63.

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(31)

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Ainsi M. Rapin se lança dans les affaires sans étude approfondie du projet, ignorant totalement les pièges du marché. Il achetait et revendait des ter-rains. Il amassait de l'argent. Mais brusquement tout s'effondra; tout le monde avait des lots, tous avaient spéculé, tous voulaient gagner de l'argent facilement, devenir riches. Quoi faire ~ présent avec ces lots?

M. Rapi n, et tant d'autres, ava i ent acheté des fermes, ne pouvant les payer, se faisaient déposséder par les anciens propriétaires, après aMoir déboursé des montants très élevés pour acq uéri r 1 a terre. 75

La déch~ance est complète: "Ce fut corrme lorsque la glace se brise soudain

sous vos pieds et que vous etes préci pités dans le courant ~ .. ] M. Rapin

76

alla au fond." Il perdit tous ses avoirs en peu de temps. Après avoir vécu pendant quelque temps dans l'opulence, il était bien difficile pour tous de vi vre pauvrement. Le père doi t se trouver d'autres sources de reve-nus sinon c'est "la misère noire" et l'exil obligatoire de la famille

a

la recherche du gagne-pain. Les années passent. Le père semble avoir oublié cet app~t du gai n qui lui a fa it perdre presque un demi -mi 11 ion. Il se con-tente

a

présent de "glaner la pltance de la;f.amille" 77. Les nécessités de la vie font que Madame Rapin décide d'agir, d'ouvrir une pension pour l'été, "de mener la barque" sur le point de couler et d'éviter la perte de la fa-mille. M. Rapin ne put que s'incllner: "Il baissa tristement la tete. Oui,

75- Albert Laberge. La Fin du voya~e. Montréal, édition privée, 1942, . "La pension Rapinii• pp.

62-6.

76- Ibid ..

77- Ibid., p. 66.

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(32)

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c'est vrai- qu'i'l n'apportait pas beaucoup d'argent

a

la maison" 78 Laberge a ainsi voulu que la délivrance des enfants soit l'oeuvre non du pêre chimê-rique mais de la mère qui fournit sans relache un travail exceptionnel. Il ne put non plus contenir son aversion pour cet horrnne qu'il traite de "cr;_ minelll

• Il fera dire

a

la bru: liOn n'a pas idée d'un home qui perd une fortune de près d'un demi-million et qui n'en sauve pas un peu pour ses en-fants. C'est criminel." 79

Il arrive que le père slent~te à gérer seul ses affaires,

a

jouer au mattre absolu, tel le cas de TreffH! Dignalais. La situation devient alors fatale. Il s'avêre un mauvais administrateur, incapable de faire face aux événements quels qulils soient. Il peut aimer le commerce et c'est dans' l'agriculture qu'on le trouve; mais ni dans l'un ni dans l'autre, il ne pour-ra faire fortune. Marié depuis quatre ans et père de deux enfants, Dignalais

-s'était mis de cOté, quelques centaines de piastres tout en continuant d'a-grandir son champ chaque automne par ses dHrichements. Voil~ qu'en dynami-tant des grosses pierres nuisibles sur son terrain, "il remarqua parmi les êclats de roc, de petites taches rouges, de la grosseur d'un grain de blê" 80

Quand il s'enquit auprès du dêpartement des mines

a

Ottawa, il apprit que ,

81 c'était des grenats, "pierres précieuses employées dans la bijouteriell

78- Albert Laberge. La Fin du vo~a!i!e. Montréal. édition pri vée • 1942, "La pension Rapinll, p.

67.

79- lbi d. _ 80- lb id., p. 19. 81- Ibi d. , p. 20. 27

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Alors rapi dement, sa déc; sion fut prise; sans aucune étude du marché,

;.1

fi t appel aux experts pour faire les excavations nécessaires

a

l 1 extraction du minerai: lI(j!ela coOtait cher, mais il était certain d'~tre riche bientOt, et

il hypothéqua sa ferme. Il 82 Trefflé perdit dans cette entreprise, ses

éco-nomies et sa terre, les petits grains rouges que les ouvriers trouvèrent ne suffirent même pas ~ faire un dizain de chapelet. Il dut alors se déplacer avec les siens ~ la recherche dl un autre gagne-pain. liA chacune de ces éta-pes de son existence, la famille augmentaitll

83, et le drame pour les petits innocents ne faisait que slaggraver avec le temps. Les années passèrent. La fàmille s'Hablit une fois de plus dans un centre industriel 00 les garçons furent "attelés ~ des taches aux usines ...

t.

J '

les fi lles fi rent partie du troupeau des filatures de cotonll

84 Les salaires entraient intacts dans la poche du pere, jamai s un sou

a

la ferrme, aux ga rçons, aux fi 11 es. Quand IItroi s ou quatre salai res entrent régul i êrement dans une mai son ça mi note. Mais malgré cela, on n'avançait guère, on ne devenait pas riche, car le pere était un bien mauvais administrateur" 85 Il se fait voler par les colpor-teurs et par le notaire: "Maladroit, imprudent et malchanceux" 86, ne tirant jamais profit de ses erreurs, tel Hait Dignalais et tels sont tant d'autres, dêcri ts dans les nouvelles de Laberge.

82- Albert Laberge. La Fin du voyage. Montréal, édition privée, 1942, IILa pension Rapin", p.

24.

83- Ibid., p. 25. 84- 85- 86-Ibid., p. 24. Ibid .• p. 25. Ibi d ..

(34)

(

29

-Ainsi lutte, mis~re, famine puis mort composent les diffêrentes éta-pes de la vie de la felTlTle et des jeunes vivant auprès de cet etre "crapuleux" qui nia jamais gagné l'estime de l'auteur. Pauvre ou riche, les memes quali-ficatifs lui sont attribués: clest un géniteur inlassable, un paresseux qui noie son oisiveté dans l'alcool au lieu de pourvoir aux besoins de sa famille, un impulsif, un égofste qui satisfait simplement ses caprices, ses manies, .~I

ses phobies et qui sera d'une sévérité sans pareille

a

l'égard des siens. L'avarice, mais aussi l lappat du gain et la mauvaise administration complè-tent 1 limage peu édifiante du père de famille choisi par Laberge.

Ce tableau pessimiste influence le lecteur qui éprouve un' certain dégoOt face A cet "ignoblell

qui nia pu assumer ses responsabilitês. Il est regrettable alors de remarquer que les scènes heureuses, traitant d'un autre ... homme jusque-la inconnu, bon père, mari idêal, ami sincère, slestompent et passent inaperçues tellement l 'esprit est saturé par l limage noircie gominan-te. Par contre, ces mêmes scènes, présentêes dans un tout autre contexte, auraient Hé fort appréciées. Il suffit de lire "La Veillée au mort" 87, dans Visages de la vie et de la mort, pour êvaluer comment un personnage comme le vieux Baptiste Verrouche peut être regretté après sa mort. 'C 1 était un hOlTllle plein d'humour et de gatté, dêbrouillard et intelligent qui réussissait

a

coup sOr toutes ses entreprises, et c'était aussi un père idéal qui a veillé A l'éducation de ses enfants et au maintien des liens familiaux solides. Ayant été juste envers les siens et envers tous, ayant surtout travaillê au bonheur

87- Albert Laberge. Visages de la vie et de la mort. Montr~al, édition pri vêe. 1936,

"La

vei" êe au mort il. p.

228.

\

(35)

de son entourage, il ne laissera que des souvenirs gais, que se remémorent parents, amis et tous ceux qui l'ont connu: "Il en vient pas au monde tous

1 es Jours es ommes cOlTlT1e . d h l ' Ul Il 88 • lsal d . . t un VOlSln en par an . ' 1 t d u Vleux. .

Mais le ,lecteur n'est pas si crédule. Il a tôt noté que cette ima-ge sporadique du père parfait, différent des autres, n'est qu'un alibi pour éviter 3. l'auteur toute accusation d'irréalisme. Ce n'est sorem~nt pas celle qu'il voudra i t qu'on reti enne de son personnage. Une foi s ce portrait amor-cé, Laberge, regrettant de s'~tre engagé dans une voie qui lui dépla'tt, se retourne contre son homme et l'accable de tous les vices. Dans "La Tenta-tion mauvaise" 89 l'auteur relate l'histoire de M. Ledoux. Né d'une famille riche,

~vait

reçu une bonne instruction. Il exerçait avec succès sa pro-fession de notaire dans la petite ville de Beauvoir. Homme três considéré,

il lui a été facile d'épouser la fille du gérant de la banque de la localité. Une délicieuse "enfant blonde aux grands yeux bleus, rieuse, aimable, en-jouée" 90 leur était née pour combler leur bonheur. M. Ledoux était bon mari et père exemplaire pour cette enfant. Malheureusement sa felTllle tomba gra-vement malade et mourut après beaucoup d'années de souffrance malgré toute l'attention du mari et les soins requis. C'est la fille Ernestine qui fit

par la suite la jOie du père. Depuis l'age de six ans, elle avait commencé ses Hudes et le père était fier de ses succès scolaires. Il était plus heureux quand arrivait le temps des vacances car il avait sa petite toute ~

88- Albert laberge. Visages de la vie et de la mort. Montréal. édition privée, 1936, fila veinée au mortli

, p.

229.

89-

90-Albert Laberge. Le Dernier sou~er. Montréal, édition privée, 1953, "La tentation mauvaise, p. 56.

Ibid ..

30

(36)

(

- 31 - •

lui ~ longueur de journée.

Elle Hait le soleil qui illuminait 'sa vie, qui chassait les nuages noirs caus~s par la maladie de sa felTllle. Et la fille chérissait son p~re si tendre,

si affectueux, si rempli de délicats égards pour elle. 91

Le père b~tissait des rêves d'avenir pour elle. Sa femme morte, il ne vécut que pour cette adorable fille. Il savait qu'étant "jolie demoiselle", in-telligente, elle se marierait et sOrement "qu'elle aurait le choix parmi les jeunes gens" 92, et elle continuerait d'habi ter sa maison paternelle. La

destin~e en avait décidé autrement. La fille se maria mais dut suivre son

(

mari

a

la ville 00 il occupait "un emploi de confiance".

A ce moment du récit, Laberge, qui jusque lA s'était tenu A l'écart de ses personnages, se manifeste pour dévoiler les vices cachés de ce père idéal. La nouvelle qui a si joliment débuté, sur des pages pleines de ten-dresse et de dévouement, prend la tournure habituelle. Sur le conseil de sa fille, M. Ledoux engagea pour le servi r, Madame Peti pas, "une veuve courtaude, munie d'une abondante poitrine. d'une large croupe et dotée de deux yeux noirs très vifs" 93. La veuve nota sans peine que son ma'ttre "était un ~tre faible,~ sans volonté, sans contrOle de lui-même" 94 Elle profita de l'occasion et

91- Albert Laberge. Le Dernier SOUter. Montréal. édition privée, 1953, .

;1

"La tentation mauvaise", p.

6.

~

92- Ibid .. 93- 94-Ibid. , p. 61. Ibid .. , , , ,~

(37)

(

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l

travaill a si bien que "le pauvre Vleux, dont le cerveau enfi~vr~ étai~

C: .. )

hant~, obs~dé par l'image du sexe" fi n; t par lui céder et l'~poûser, Aussi-tOt, Laberge enragé contre cet etre faible, trouve que "l'acte était blama-ble, laid, honteux, indigne". Le pêre n'a pas voulu informer sa fille ni personne de ce qu'il faisalt car 11 savait, nous dit l'auteur, qu'il commet-tal t "une lâcheté et qu' il Ha i t bas, vi l, ma i s

a

ce moment il éta i t domi né par l'appât de la chair, par l'ensorcellement du sexe et son cerveau Hait

95

brQl~ par des images 1 ubriques Il

Ainsi Laberge retrouve son hOlllTle qui lui avait ~chappé au début de la nouvelle et il saisit alors l'occasion pour dire: "C'étalt la vieille histoire de tous ces hOl11T1es dont les années, les épreuves, l'effréné désir du sexe, ont affaibli les facultés, ont obscure; la raison" 96, Il était tombé dans le piège et il n'avalt même pas essayé de se dégager. Corrme un.e punition que l'auteur a voulu lui infliger, sa fille, "qU1 avait été sa joie

dans ses jours de malheur", le condamna et ne voulut plus le voit;'. La sépa-ration fut longue. Le p~re appnt un jour "que sa fi lle avait donné le jour

97 A une adorable enfant qU1 s'appellerait Velma"

Une semalne plus tard, un messager lUl apporta un tél~gramme

annon-çant la mort d'Ernestine. "Ce fut le grand naufrage" 98, la grande d~cept;on

95- Albert Laberge. Le Derni.er sou~er. Montréal, édition privée, 1953,

"La tentation mauvai se" 1 p. 1. 96- Ibi d., p. 65.

97- Ibid ..

98- l bi d. , p. 66.

(38)

-\

(

(

de sa vie. Il se suicida pour mettre fin

a

ses mis~res.

Sur ce, la col1:!re de l'auteur se trouve calmée et il peut conclure au sujet des p~res de famille:

t":. J des pourceaux, Ç.. ~ de vrais animaux~ des répu-gnants,

L .

~ des ordures, il ne pensai ent qu'a ça. Ils avai ent beau avo; r de " instruction, etre vêtus comme des messieurs, au fond, ils n'avaient "idêe qu'a l'or-dure. 99

Du particulier, , 'auteur passe au général, plaçant sur un pied d'éga"! lité tous ces honmes. Ces personnages qui devraient être la pierre angulaire de la famille, l'exemple vivant pour tous les jeunes, ne sont en réalité qu'une galerie de morts-vivants. Esclaves de leurs instincts, ils ignorent l'aliénation dans laquelle ils vivent et avancent

a

tatons dans ce monde qui semble les dépasser. S'ils étaient plus conscients de leur état, ils au-raient probablement brisé les cha'ines. Malheureusement la révolte qui serait source de l' ~mergence des nouvelles valeurs et qui déboucherait probablement sur leur libération, ils ne la connaHront jamais. Aucune espérance ne vient donc adouci r le sort de 1 'holTlne 1 abergien.

. ~

Ainsi ce p~re, géniteur inlassable. paresseux, alcoolique, impulsif, êgo'ste. sévêre envers les siens. avare mais avide de gain et mauvais adminis-trateur, est indigne de la charge qui lui incombe. L'auteur se tournera vers un autre personnage. la m~re, en qui il mettra toute sa confiance pour que' le

99- Albert Laberge. La Fin' du voyage. Montréal, édition privée, 1942, "Marne Poulicheli• p.

163.

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TABLE  DES  MATI ERES  •

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