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Chasse aux mammifères marins et identité ethnique : le rôle du harpon au sein de la culture thuléenne : analyse comparative des sites Clachan et de l'île Skraeling

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Academic year: 2021

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Chasse aux mammifères marins et identité ethnique:

le rôle du harpon au sein de la culture thuléenne.

Analyse comparative des sites Clachan et de l'île Skraeling.

Marie-Pierre Gadoua Université McGill, Montréal

Janvier 2005

A thesis submitted to Mc Gill University in partial fulfilment of the requirements of the degree ofM.A.

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Table des matières

Sommaire

Remerciements Liste des tableaux Liste des figures

Introduction

1. Histoire de l'étude des têtes de harpons thuléens

1. 1. La tradition de l'histoire culturelle et les premières études menées sur le peuple thuléen

1.2. L'archéologie processueIIe

1.3. Les limites de l'histoire culturelle et de l'archéologie processuelle

2. Nouveaux horizons théoriques: les différentes approches du style en archéologie 2.1. Les définitions du style: où réside-t-il?

2.2. Les catégories du style

2.3. Le contenu et la signification du style

3. L'archéologie contextuelle: pour une meilleure compréhension des têtes de harpons thuléens 3.1. L'analyse contextuelle: un cadre théorique

3.2. Méthodologie de l'approche contextuelle

3.3. Implications pour l'étude des têtes de harpons thuléens

4. Le site de l'île Skraeling (StFk-4) 4.1. Géographie

4.2. Le site

4.3. Les activités de subsistance 4.4. Le contenu social et culturel

5. Le site Clachan (NaPi-2) 5.1. Géographie 5.2. Le site

5.3. Les activités de subsistance 5.4. Le contenu social et culturel

6. La comparaison des sites Clachan et de l'île Skrealing : intérêts théoriques

7. Objectifs et hypothèses de recherche 7.1. Le contexte technologique 7.2. Le contexte social

7.3. Le contexte symbolique

8. Méthodologie de recherche

9. Présentations des résultats: île Skraeling

9.1. La nature de l'assemblage du site de l'île Skraeling 9.1.1. Les matériaux

9.1.2. Les dimensions 9.1.3. La forme générale 9.1.4. Attributs spécifiques 9.1.5. Les types Thulé

III IV V V 3 3 10 14 18 19 20 22 24 24 25 26 29 29 29 30 32 36 36 37 38 40 42 45 45 46 47 49 51 51 52 52 52 53 54

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9.2. L'analyse des regroupements hiérarchiques de l'île Skraeling 9.2.1. Le contexte technologique

9.2.2. Le contexte social 9.2.3. Le contexte symbolique

10. Présentations des résultats: Clachan

10.1. La nature de l'assemblage du site Clachan 10.].1. Les matériaux

]0.1.2. Les dimensions ] 0.1.3. La forme générale ]0.1.4. Attributs spécifiques 10.1.5. Les types Thulé

]0.2. L'analyse des regroupements hiérarchiques du site Clachan 10.2.1. Le contexte technologique

10.2.2. Le contexte social ]0.2.3. Le contexte symbolique

11. La comparaison des résultats du site Clachan et de l'île Skraeling Conclusion

Bibliographie

Spécimens du site de l'île Skraeling (SfFk-4)

Spécimens du site Clachan (NaPi-2)

Carte montrant les sites Clachan et de l'île Skraeling

Localisation du site de l'île Skraeling

Carte localisant les sources de fer météorique du Haut Arctique

Carte localisant les sources de cuivre natif de la région du golfe du Couronnement ainsi que l'aire d'occupation des Inuit du Cuivre

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Sommaire

La présente étude porte sur la variabilité stylistique des têtes de harpons thuléens servant à la chasse aux mammifères marins dans l'Arctique nord-américain. Nous effectuons l'analyse des spécimens issus du site de l'île Skraeling (Haut Arctique, Canada) et du site Clachan (golfe du Couronnement, Canada), dans le but de comparer les assemblages et atteindre un niveau d'interprétation général. L'effort est orienté vers la remise en contexte des objets et de leurs différents attributs morphologiques (contexte technologique, social et symbolique). L'analyse statistique effectuée est celle des regroupements hiérarchiques (hierarchical cluster analysis du logiciel SPSS), une procédure qui tente d'identifier des groupes de cas (spécimens) homogènes à partir de données brutes. Les résultats des deux analyses sont concluants, en ce sens que des regroupements statistiquement significatifs ont été formés par les types Thulé conventionnels. Ces derniers, ainsi que les attributs les définissant, prennent tout leur sens tant dans les contextes technologiques, sociaux que symboliques. Des mécanismes à la base de la variation morphologique des têtes de harpons ont été identifiés et agissent de la même façon sur le style des têtes de harpons, même si la nature des assemblages diffère sensiblement.

Abstract

Although the study of Thule harpoon heads has produced important senatIOns, datings and technological reflections during the last century, a lack of fundamental knowledge about the se weapons is still occuring. An attempt is made to document the different contexts surrounding the use of these artifacts. Technological, social and symbolic investigations are made on the occupants of the Skraeling Island site (High Arctic, Canada) and the Clachan site (Coronation Gulf, Canada) in order to build a complete understanding of the harpoon head morphological attributes. Using the hierarchical cluster analysis (SPSS), groupings have been statistically formed, underlying the meaningful dimensions of variation of the objects. It is then found that technological, social and symbolic mecanisms are systematically responsible for different aspects of Thule harpoon head morphology, and by comparing the two archaeological assemblages, we conclude that these mecanisms operate in the same direction, even if resulting in different harpoon head styles.

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Remerciements

Dans un premier temps, je tiens à remercier mon directeur, James M. Savelle, archéologue et professeur associé au Département d'Anthropologie de l'Université McGill à Montréal, pour son accueil en cet établissement, sa disponibilité et ses précieux conseils.

Également, une mention pour les membres de mon comité de correction, Fumiko Ikawa-Smith (professeur agrégé au Département d'Anthropologie de l'Université McGill à

Montréal) et tout particulièrement pour André Costopoulos (professeur adjoint au Département d'Anthropologie de l'Université Mc Gill à Montréal) pour son aide précieuse quant aux analyses statistiques, ainsi que ses corrections et commentaires constructifs.

Je tiens aussi à remercier l'équipe du Musée des Civilisations à Gatineau. Tout d'abord David A. Morrison (Directeur de la recherche et des collections, archéologie et histoire) pour les conseils de départ, Robert McGhee (Conservateur, archéologie de l'Arctique) pour son expertise, sa disponibilité et sa générosité. Aussi, une pensée pour Stacey Girling du service de gestion des collections pour son accueil et sa disponibilité.

En ce qui concerne la documentation de mon mémoire, je tiens à souligner le travail de Josée Dufour, du département de la documentation de l'Institut Culturel Avataq à Montréal.

Aussi, je suis particulièrement reconnaissante face à Jean-Michel Gadoua pour la réalisation des figures et la retouche des photographies présentées tout au long de mon mémoire et Cybèle Robichaud pour la correction de ce dernier.

Finalement, un merci tout particulier à mes parents (Gilles Gadoua et Louise Gauvreau) pour le financement de mes études, et à Antoine Desjardins-Jolin pour la prise des photographies et pour son support tout au long de mes années d'études.

Merci à tous.

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Liste des tableaux

Tableau 1 : Dendrogramme des spécimens du site de l'île Skraeling, incluant les dimensions.

Tableau 2 : Dendrogramme des spécimens de l'île Skraeling, excluant les dimensions.

Tableau 3 : Dendrogramme des spécimens du site Clachan, incluant les dimensions.

Tableau 4: Dendrogramme des spécimens de Clachan, excluant les dimensions.

Tableau 5 : Comparaison des interprétations contextuelles des sites Clachan et de l'île Skraeling

Liste des figures

Figure 1 : Les divers attributs morphologiques des têtes de harpons thuléens.

Figure 2: La morphologie des spécimens de type Thulé 4 (site de l'île Skraeling)

Figure 3 : Décor incisé d'un spécimen Thulé 3 (34-1) du site Clachan Figure 4 : Les types Thulé selon le segment de la branche d'andouiller.

(tiré de Le Mouël et Le Mouël 2000 : 192)

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75 85 7 59 71

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Introduction

La présente étude se veut une investigation approfondie d'une classe d'objets archéologiques issus de la préhistoire récente de l'Arctique canadien, les têtes de harpons thuléens. Bien que ces artefacts ont longtemps fait l'objet de diverses analyses de la part des archéologues, les connaissances à leur sujet sont toujours limitées.

Armes de chasse aux mammifères marins, ces témoins de la culture Thulé constituent un élément majeur de la culture matérielle de ces grands chasseurs. Il s'agit d'outils essentiels à la survie des peuples habitant les côtes de l'Arctique. Leur réalisation technique est parfaitement adaptée aux contraintes de la chasse pratiquée en milieu marin. Dans l'environnement précaire de la préhistoire de l'Arctique canadien, les mammifères marins capturés efficacement nourrissaient, habillaient, éclairaient et réchauffaient des familles complètes.

Les objets dont il est ici question constituent en fait l'élément percutant, pénétrant, basculant et retenant l'animal, actions toutes essentielles en milieu aquatique. Il s'agit d'une réalisation technologique hors pair. Les têtes de harpons sont également d'une homogénéité remarquable au sein de la culture thuléenne. Elles prennent plusieurs formes récurrentes, et cette variabilité a longtemps fasciné, et fascine encore, les archéologues qui les étudient.

Ces derniers se sont d'abord penché sur les particularités de la morphologie des harpons pour en créer des sériations chronologiques. Par la suite, les têtes de harpons ont fait l'objet d'études orientées sur leur fonctionnement technologique détaillé. Toutefois, ces vestiges archéologiques cachent toujours le sens profond de leur morphologie et font perpétuellement l'objet de multiples interrogations.

Dans le cadre de l'analyse qui suit, nous nous penchons à notre tour sur la nature des têtes de harpons thuléens, suivant des développement récents de la théorie archéologique que nous allons mettre au profit de ces artefacts complexes. L'analyse contextuelle ainsi qu'une approche holistique du style feront état de notre cadre théorique.

Aussi, dans le but d'accroître la compréhension des têtes de harpons sur un plan général, nous avons choisi d'effectuer une étude comparative. Serons comparés les assemblages de deux sites thuléens canadiens, soit le site Clachan (NaPi-2) (Golfe du Couronnement) et le site de l'île Skraeling (SfFk-4) (île d'Ellesmere). Ces deux sites

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archéologiques, bien que fort éloignés géographiquement, partagent nombre d'éléments culturels de nature autant technologique que social et symbolique.

Cette étude a comme but de cerner les dynamiques qui sont à la base de la morphologie des têtes de harpons de ces deux provenances, pour les comparer afin de déceler des correspondances. Pour ce faire, nous emploierons une méthode d'analyse statistique empirique, soit l'analyse des regroupements hiérarchiques, qUI révélera les organisations morphologiques des assemblages. L'objectif ultime de cette étude comparative est de comprendre les facteurs de variation (technologiques, sociaux et symboliques) à l'origine de la morphologie des têtes de harpons, afin de mieux cerner les particularités synchroniques et diachroniques du peuple thuléen.

Dans un premier temps, nous présenterons les diverses approches théoriques qui ont donné lieu à la majorité des études portant sur la culture matérielle des Thuléens. De ce fait, nous dévoilerons les connaissances jusqu'ici acquises sur les têtes de harpons par les tenants de la tradition de l'histoire culturelle et de l'archéologie processuelle, et surtout nous soulignerons les questions laissées par ces dernières. Une critique sera donc effectuée pour identifier les failles des études antérieures, et ainsi proposer de nouvelles avenues de recherche. L'archéologie contextuelle (Hodder 1987) constitue le cadre théorique de la présente étude, sa particularité principale étant la remise en contexte de chaque attribut stylistique dans le but d'en saisir les diverses significations émanant des univers technologiques, sociaux et symboliques des Thuléens.

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1. Histoire de l'étude des têtes de harpons thuléens.

1.1 La tradition de l'histoire culturelle et les premières études menées sur le peuple thuléen.

Les études archéologiques menées dans l'Arctique nord-américain ont débutées dans la première moitié du XXe siècle, époque où l'anthropologie boasienne constituait le courant théorique principal au sein des universités et des musées nord-américains. Cette approche, issue de la tradition européenne de l'histoire culturelle (culture-historical archaeology), a puisé en cette dernière la base de ses méthodes et concepts.

La tradition de l 'histoire culturelle est née en Europe occidentale vers la fin du XIXe siècle, au gré des nationalismes grandissants inspirant la communauté scientifique à se pencher sur l'histoire et la préhistoire des peuples locaux. Un nombre toujours croissant d'artefacts étaient ainsi exhumés, ces derniers devenant de plus en plus un centre d'intérêt majeur aux côtés des structures spectaculaires tels que mégalithes, tumuli et fortifications, autrefois privilégiées aux dépens de la « simple» culture matérielle. Les archéologues de l'époque ont donc débuté l'analyse de ces artefacts dans le but de les associer à des groupes ethniques précis. La classification et la comparaison des classes d'objets constituaient alors les méthodes d'analyse privilégiées, dans un cadre majoritairement géographique (Trigger 1989). Les scientifiques tentaient alors d'expliquer le changement à travers la diffusion et la migration des peuples et de leurs idées, le concept de l'innovation n'allant pas de pair avec cette époque où la révolution industrielle avait inspiré un désillusionnement marqué face au progrès (Trigger 1989). Les archéologues expliquaient alors le passé en termes d'épisodes successifs de diffusion. En ce qui a trait à la méthodologie de recherche, l'approche typologique, développée par Oscar Montelius (1843-1921) avait fait ses preuves, et constituait alors la principale méthode d'analyse des artefacts. Concrètement, les archéologues notaient les variations dans la forme et les éléments stylistiques des classes d'objets, dans le but de développer une série de chronologies régionales basées sur l'évolution de ces artefacts. Également, un concept important est né à l'intérieur de la tradition de l'histoire culturelle, celui de la culture archéologique, qui sera appliqué systématiquement par la suite. Gustaf Kossina (1858-1931) a défini les liens existant entre la culture matérielle brute et l'ethnicité qui se cache derrière. Ainsi, en retraçant la distribution d'artefacts typiques d'une ethnie donnée, il a relevé la possibilité de déterminer les territoires occupés par les

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différents groupes préhistoriques, et ce à travers le temps. Également, Kossina a souligné l'importance des liens entre les cultures préhistoriques récentes et leurs descendants connus historiquement, dans la recherche d'une meilleure connaissance de leur ethnicité. Bien que l'héritage théorique et méthodologique laissé par Kossina est aujourd'hui d'une notoriété incontestable (techniquement, il fut le premier à reconnaître la valeur ethnique des artefacts et à appliquer l'approche historique directe dans le cadre de l'analogie ethnographique), ses travaux ont eu très peu d'influence au sein de la communauté scientifique de l'époque. On se souviendra davantage des travaux de Gordon Childe (1893-1957), entre autre sa célèbre publication « The Dawn of European Civilization »

(1925), qui fut le premier à populariser le concept de culture archéologique (Trigger 1989). Concrètement, Childe affirmait que chaque culture doit être individuellement définie et circonscrite selon la nature de ses artefacts. De plus, les limites géographiques et temporelles des cultures doivent être déterminées empiriquement, à l'aide de la stratigraphie et de la sériation. Childe a caractérisé certains types d'artefacts comme étant utiles à des questions bien précises. Dans un premier temps, il affirme que les objets céramiques, les ornements et les sépultures reflètent la culture locale et sont résistants au changement. Ainsi, ils seraient utiles pour définir les groupes locaux. En contrepartie, il souligne que la valeur utilitaire des outils, des armes et autres éléments technologiques serait à l'origine de leur diffusion rapide, et que l'ensemble serait fort utile pour associer les cultures voisines aux mêmes périodes temporelles et établir des chronologies culturelles (Childe 1925). Nous verrons plus loin que ces idées furent systématiquement appliquées à l'analyse des têtes de harpons thuléens, de même qu'à l'ensemble des études archéologiques nord-américaines du début du XXe siècle.

C'est également à cette époque que les scientifiques nord-américains ont commencé à acquérir un nombre grandissant de connaissances archéologiques locales et à se familiariser de plus en plus avec la préhistoire du Nouveau Monde. À ce moment, l'influence des travaux de l'ethnologue d'origine allemande Franz Boas dressait un cadre bien précis aux études archéologiques nord-américaines, soit celui mettant de l'avant la culture ethnographique en tant qu'unité d'étude de base, et privilégiant d'importants concepts tels que le relativisme culturel (chaque culture est unique et l'ensemble de ses éléments ne peuvent s'étudier qu'en relation avec cette même culture) et le particularisme historique (chaque culture est le produit de sa propre séquence de

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développement où la diffusion a joué un rôle majeur). Toutefois, les grands problèmes qui restaient à résoudre étaient d'ordre chronologique, et c'est en ce sens que les archéologues nord-américains ont travaillé en cette première moitié du XXe siècle, à travers l'élaboration des techniques telles que la stratigraphie, la classification et la sériation des artefacts. Les intérêts majeurs étaient alors tournés vers les questions touchant l'histoire et l'évolution des groupes préhistoriques, justifiant alors la priorité qui a été mise sur l'élaboration des chronologies (Trigger 1989).

C'est précisément à l'intérieur de ce cadre que les premières études archéologiques ont été menées sur les Thuléens à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Dans un premier temps, les anthropologues explorant l'Arctique nord-américain ont rencontré des peuples de chasseurs organisés en groupes locaux, partageant origine, langue et culture, de l'Alaska au Groenland. Et c'est en réponse à ces rencontres ethnographiques que les anthropologues ont développé un intérêt envers les vestiges de leur passé qui jonchaient le sol arctique, et dont les liens culturels avec ceux qu'ils nommaient alors les « esquimaux» ne faisaient aucun doute. La nature et la fonction des artefacts et fragments d'artefacts retrouvés étaient alors aisément identifiables, tellement le mode de vie et la culture matérielle des « esquimaux» (que l'on nomme maintenant Inuit) correspondaient toujours à ces vestiges. Nombre de classes d'objets archéologiques étaient encore à l'usage par les Inuit, et lorsque ce n'était pas le cas, les aînés étaient en mesure de se rappeler ou d'aider les anthropologues à en déduire la fonction.

Ainsi, les premières grandes interrogations qui ont occupé les archéologues pionniers de l'Arctique nord-américain ont été de nature chronologique. À une époque où les techniques de datation absolues n'étaient pas encore développées, les archéologues ont utilisé la stratigraphie et la sériation des artefacts pour établir les premières chronologies de l'Arctique nord-américain. Les têtes de harpons servant à la chasse aux mammifères marins ont rapidement été repérées comme étant les marqueurs temporels les plus prometteurs (Mathiassen 1927; Collins 1937; Ford 1959). Collins décrit les harpons provenant de l'Arctique nord-américain comme étant un important moyen de subsistance, très ingénieux, qui a constamment fait l'objet de modifications dans sa morphologie. Les têtes de harpons possèdent plusieurs attributs morphologiques d'une grande variabilité, incluant la logette et son mode d'attachement avec la pré-hampe,

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l'ergot, la perforation principale, les barbelures et les lames latérales, la lame distale, la taille, la décoration, et finalement la combinaison de ces attributs (voir figure 1). Les têtes de harpons sont abondantes dans les sites archéologiques, du fait qu'il s'agit d'objets détachables se brisant fréquemment lors de leur utilisation. Fabriquées dans l'os, l'ivoire ou l'andouiller, et conservées dans des conditions extrêmement rigoureuses, les têtes de harpons ont remarquablement bien survécu au passage du temps. Conséquemment, la tête de harpon a été considérée depuis les tout débuts de l'archéologie de l'Arctique comme le témoin le plus marquant du changement culturel dans le temps. Elle a donc été destinée à mener l'établissement de la chronologie qui était nécessaire à la compréhension de la préhistoire des Inuit (Collins 1937).

Le premier archéologue à se pencher d'une façon systématique sur les vestiges thuléens fut Therkel Mathiassen lors de la Cinquième Expédition de Thulé, qui se déroula de 1921 à 1924 (Mathias sen 1927a et b). Il est celui qui a donné le nom « Thulé» à cette culture archéologique, la définissant par le fait même selon une série de critères matériels. Après avoir fouillé des sites situés dans l'est de l'Arctique canadien, il s'est livré à une classification systématique des têtes de harpons thuléens allant des formes les plus simples aux plus complexes. Plusieurs attributs morphologiques y ont été choisis pour définir des types et de nombreuses variantes à ces derniers. Les types de Mathiassen, portant tout simplement un numéro, sont toujours utilisés de nos jours (Thulé 1, Thulé 2, allant jusqu'à Thulé 5). Ces types généraux englobent, dans la typologie de Mathiassen, plusieurs sous-types organisés en fonction d'attributs préétablis, comme l'épaisseur maximale en fonction de l'orientation de la perforation principale, la logette (ouverte ou fermée), la présence d'une lame ajoutée ou non, l'orientation de cette dernière par rapport à la perforation principale, la présence ou l'absence de barbelures, etc., le tout allant du plus simple au plus complexe, les formes les plus simples représentant aux yeux de Mathiassen les plus anciennes, et les plus complexes, les plus récentes. Puis, en utilisant les quelques données archéologiques et ethnographiques portant sur les Thuléens et leurs descendants vivant au début du XXe siècle, il a retracé à sa façon l'évolution des types de têtes de harpons à travers le temps et l'espace. Finalement, en se basant sur l'ensemble des évidences matérielles des Thuléens et des Inuit historiques, avec l'aide de sa typologie des têtes de harpons, il a été le premier à situer, par déduction, l'origine des Thuléens en Alaska.

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)

Figure 1: Les divers attributs morphologiques

des têtes de harpons thuléens.

4

1. Trou de ligne 5. Barbelures 2. Logette 6. Lame 3. Ergot 7. Décor incisé 4. Mode d'attachement

de la préhampe

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Mathiassen a donc été un pionnier dans l'étude des Thuléens en définissant tout d'abord cette culture archéologique sur le plan matériel et culturel. Il a dressé une liste de plus de 150 critères matériels en présence desquels la culture thuléenne peut être observée, et il a défini les Thuléens comme un peuple foncièrement centré sur les ressources marines, particulièrement les mammifères marins. La typologie des têtes de harpons de Mathiassen se base sur des données de l'est de l'Arctique, avec quelques compléments issus de la littérature existante à l'époque sur l'ouest de l'Arctique. Suivant une approche déductive, il a localisé l'Alaska comme lieu d'origine des Thuléens car, selon lui, cette région, fortement peuplée de mammifères marins, aurait également été la seule a avoir pu fournir le bois pour la construction des embarcations thuléennes utilisées pour leur capture. De plus, en utilisant les collections archéologiques et ethnologiques déjà disponibles pour l'ouest de l'Arctique, Mathiassen y a repéré l'origine de quelques attributs résiduels observés sur les têtes de harpons de l'est de l'Arctique. Toutefois, les données archéologiques à l'époque de Mathiassen étaient très incomplètes; sa typologie ne s'appliquait pas aussi bien dans l'ouest de l'Arctique, ce qui a poussé d'autres archéologues à dresser des sériations dans ces régions.

Le premier archéologue à analyser les têtes de harpons de l'ouest de l'Arctique dans le but d'établir une chronologie de la culture thuléenne est Henry B. Collins (Collins 1937). Collins a concentré ses premières recherches sur l'île Saint-Laurent en Alaska, où les conditions d'enfouissement des artefacts permettaient l'analyse au plan stratigraphique des différentes formes de têtes de harpons. Contrairement à Mathiassen qui organisait les têtes de harpons selon un code hiérarchique allant du plus simple au plus complexe, Collins a préféré diviser les objets en deux grandes catégories (à logette ouverte et à logette fermée), avant de créer des types très précis auxquels il a donné des noms, plutôt que les types généraux de Mathiassen portant des numéros. La typologie de Collins est davantage significative que celle de Mathiassen, puisqu'il avait accès à un continuum de strates archéologiques pouvant mieux refléter la séquence chronologique des têtes de harpons de la région, allant de la culture Vieux Béring jusqu'au XXe siècle, stratigraphie quasi inexistante dans l'Est de l'Arctique où Mathiassen a œuvré. Toutefois, tout comme Mathiassen, Collins a basé sa typologie sur une série d'attributs morphologiques constituant la nature variée des têtes de harpons. Il a néanmoins critiqué Mathiassen sur sa chronologie allant du plus simple au plus complexe, après avoir

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observé que dans le centre et dans l'est de l'Arctique, les formes de têtes de harpons sont plutôt stables (certains types très anciens étant toujours utilisés aux temps historiques), et que dans l'ouest, la tendance va plutôt du plus complexe au plus simple.

L'ouest de l'Arctique a connu ensuite une deuxième typologie majeure, cette fois dans la région de Point Barrow en Alaska. James A. Ford en est l'auteur, son but ayant été également d'effectuer une chronologie de la culture thuléenne à partir de la sériation des têtes de harpons (Ford, 1959). Tout comme Collins, Ford a classé les têtes de harpons en types nominaux, se basant sensiblement sur les mêmes listes d'attributs morphologiques, et en faisant régulièrement référence aux types de son collègue. Toutefois, n'étant pas en présence de sites possédant des stratigraphies aussi percutantes que Collins, Ford a dû se baser sur « l'âge apparent» des têtes de harpons, ainsi que leur distribution spatiale pour effectuer sa sériation. Cette dernière évolue selon l'ajout ou la suppression des divers attributs morphologiques observés, allant d'une façon générale du plus complexe au plus simple. Également, Ford ayant effectué ses recherches plus tardivement que Collins ou Mathiassen, de plus en plus de données archéologiques étaient disponibles, ce qui lui a permis d'interpréter des connexions culturelles non seulement à travers le temps, mais aussi à travers l'espace. Il a donc construit des listes de traits comparatifs entre les différentes cultures de l'Arctique, et il a ainsi pu émettre des hypothèses sur l'origine et le développement chronologique et spatial des Thuléens et de leurs ancêtres.

En somme, ces études typologiques de la première moitié du XXe siècle reflètent bien la tradition de l'histoire culturelle brièvement définie plus haut. Dans le cas de l'archéologie des Thuléens, les concepts de l'histoire culturelle et la méthode de la sériation des artefacts dans le but de construire des chronologies se sont avérées des approches fortement prisées par les archéologues qui désiraient mettre de l'ordre dans les artefacts thuléens dans le but d'établir des séquences de développement culturel. Pour ce qui est d'expliquer ce développement culturel, la diffusion des traits et la migration des individus et/ou des groupes suffisaient alors comme hypothèses.

Toutefois, vers la moitié du XXe siècle, des anthropologues américains ont pris conscience de l'action de forces extérieures menant au changement culturel, notamment les facteurs écologiques. Issue d'une tradition fonctionnaliste, cette nouvelle vision du développement culturel était davantage dynamique et cherchait alors à comprendre les

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« processus» plutôt que les « séquences» de changement culturel (Trigger 1989). C'est suivant ce développement théorique que les études portant sur les harpons thuléens sont entrées dans une nouvelle ère, soit celle de l'archéologie processuelle.

1.2. L'archéologie processuelle

Dans les années 1960-1970, la popularité des études typologiques des têtes de harpons thuléens n'a pas diminué d'une façon drastique, même si l'archéologie processuelle, dite également la New Archaeology, s'installait comme la principale

tendance théorique chez les archéologues nord-américains. La New Archaeology a été

l'aboutissement d'un retour général vers une tendance évolutionniste qui a mis de côté les études typologiques de l'histoire culturelle. Selon les tenants de ce néo-évolutionnisme, le but ultime du processus d'évolution des cultures est la recherche d'un meilleur contrôle sur l'environnement ainsi qu'une libération face aux contraintes de la nature (Trigger 1989 : 290). L'ethnologue Julian Steward (1902-1972) a largement popularisé cette nouvelle tendance à travers diverses publications qui ont eu une influence marquée sur l'ensemble de la communauté scientifique américaine. Il affirmait qu'il existe des similarités significatives dans le développement culturel des êtres humains à travers le temps et l'espace, et que l'adaptation écologique est cruciale pour déterminer les limites des variations qui pourraient exister entre les systèmes culturels (Steward 1955 :209). En d'autres termes, Steward avançait que des conditions environnementales similaires avaient pour conséquence le développement de formes similaires de cultures et de trajectoires de développement. Également, c'est à cette époque que des séquences évolutives générales ont été définies pour décrire les variations entre les systèmes culturels connus à travers le monde, soit le clan, la tribu, la chefferie et l'état (Sahlins et Service 1960). Ces dernières, toujours enseignées aujourd'hui dans les départements d'anthropologie en Amérique du Nord, démontrent la forte influence de cette tendance néo-évolutionniste au sein de l'anthropologie nord-américaine.

Toutefois, en ce qui concerne l'étude des cultures préhistoriques, l'archéologie processuelle (New Archaeology) constitue l'approche résultant de ces développements

théoriques. Le terme «New Archaeology » est originaire d'un article publié dans la revue

Science en 1959 par Joseph Caldwell (<< The New American Archeology »). Dans cette

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l'étude de l'écologie, des schèmes d'établissement et des processus culturels dans un cadre évolutionniste. Il soulignait alors le nouvel objectif des archéologues qui était d'expliquer le changement en terme de processus culturels. Néanmoins, c'est de Lewis R. Binford dont on se souviendra comme étant le père de la New Archaeology, car c'est

lui qui a voulu, tout au long de sa carrière, démontrer les avantages de l'archéologie processuelle sur les approches traditionnelles, et qui en a défini les paramètres. Il a entre autre largement contribué au développement des études écologiques, de l'analogie ethnographique (particulièrement l' ethnoarchéologie), et a suscité nombre de débats contribuant à l'avancement de la théorie archéologique. Son influence s'est ressentie à travers l'ensemble des études archéologiques nord-américaines.

Dans le cas de l'archéologie des Thuléens, on observait alors l'élaboration d'une toute première théorie explicative quant à la migration des groupes thuléens de l'Alaska jusqu'au Groenland. Un modèle écologique a en effet été élaboré par Robert McGhee, définissant des paramètres environnementaux qui auraient poussé certains groupes à quitter l'Alaska (McGhee 1969-70). Il était question ici d'un réchauffement climatique global ayant causé de meilleures conditions de vie pour les baleines boréales, considérées comme la source de nourriture principale pour les premiers Thuléens de l'Alaska. Selon McGhee, les Thuléens auraient suivi ces abondants troupeaux de cétacés vers l'Est, et auraient ainsi colonisé cette partie de l'Arctique. Ce modèle a suscité un vif intérêt de la part de la communauté archéologique et a inspiré plusieurs études visant à le tester. C'est ainsi que l'étude des têtes de harpons a pris un virage vers une tendance davantage écologique et processuelle, tout en continuant à générer des analyses à saveur typologique.

À cet effet, l'archéologue Dennis J. Stanford révisait en 1976 les typologies portant sur les Thuléens, toujours dans le but de comprendre le développement de cette culture. Stanford ne s'est pas limité à la sériation de ces artefacts en particulier; il a également effectué l'étude de tous les types d'artefacts et des schèmes d'établissement, ainsi que l'analyse faunique du site Walakpa en Alaska (Stanford 1976). L'objectif de cet exercice était de saisir les stratégies d'exploitation des Thuléens en ce site archéologique dans le but de les lier au développement culturel, ainsi qu'à la migration des Thuléens en général (d'après le modèle de McGhee). Dans le cadre de cette étude de la fin des années 1970, la sériation des têtes de harpons, avec l'aide de la stratigraphie,

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servait principalement de support chronologique aux activités identifiées à partir des vestiges archéologiques.

Les têtes de harpons n'ont donc cessé de constituer le marqueur temporel par excellence lorsqu'il s'agit de dater, sur un plan relatif, les sites thuléens. La raison principale de cette situation est que les autres techniques de datation, relatives ou absolues, rencontrent bien des obstacles dans l'Arctique (Park 1994). Tout d'abord, l'utilisation de la stratigraphie est très limitée, du moins en ce qui a trait aux matrices contenant les vestiges thuléens généralement peu profondes de l'Arctique canadien et groenlandais. Les nombreuses strates étudiées par Collins sont exceptionnelles et sont typiques de l'Alaska et ses régions avoisinantes. Ainsi, cette méthode de datation relative est fort peu concluante pour tout l'Arctique canadien et groenlandais. Pour ce qui est de la méthode de datation absolue au carbone 14, les résultats sont également fort discutables. La raison est que la principale matière utilisable pour cette méthode provient des restes de mammifères marins exploités par les Thuléens, et que ces mammifères font partie d'une chaîne alimentaire où le carbone fossile est recyclé maintes fois avant de se retrouver dans leurs organismes, ce qui fausse les résultats. Ce phénomène que l'on appelle « l'effet réservoir» est quasiment impossible à corriger (Park 1994). Et lorsque l'on se réfère à du matériel terrestre pour effectuer les analyses de carbone 14, nous faisons face à de nouveaux problèmes, comme le permafrost qui agit sur la croissance des arbres nordiques, ou bien l'omniprésence d'huile de phoque sur la majorité des objets thuléens faits de bois, particulièrement les habitations, ce qui biaise également les résultats en raison de l'effet réservoir (Park 1994). Bien que les archéologues utilisent parfois les résultats du carbone 14, ils le font avec prudence, en complément à la technique relative de la sériation des artefacts.

Ainsi, les têtes de harpons demeurent toujours un outil majeur servant à la construction de la chronologie des Thuléens. C'est la raIson pour laquelle des archéologues comme Robert W. Park se sont penchés sur leur utilité en tant que marqueur temporel, et surtout sur la façon d'aborder leur analyse dans ce contexte. Contrairement aux premières études typologiques portant sur ces objets, les analyses issues de l'archéologie processuelle, comme celle de Park, ont pris un tout nouveau tournant teinté d'une prise de conscience de l'utilité relative des attributs servant à

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processuelle considère que chaque item d'une culture n'a pas la même signification, et conséquemment n'a pas le même poids lorsqu'il s'agit de résoudre des questions bien précises. Par exemple, la technologie serait le reflet de l'adaptation écologique, et la comparaison des éléments stylistiques servirait à définir la communication entre les groupes. C'est dans cette optique que les chercheurs ont réalisé que les divers attributs morphologiques observés sur les têtes de harpon n'étaient pas tous des indicateurs chronologiques, mais pouvaient aussi bien être de nature fonctionnelle et synchronique.

Conséquemment, le besoin s'est fait sentir de classer les attributs morphologiques des têtes de harpon en deux catégories: les attributs qui montrent un changement temporel (les attributs dits stylistiques) et les attributs qui dérivent davantage de la fonction des harpons (les attributs dits fonctionnels). Toutefois, la distinction entre ces deux classes d'attributs est, selon les chercheurs qui tentent de la faire, une tâche excessivement ardue (Park 1994). Elle est de nature davantage spéculative que fondée. Étant donné que les Thuléens ne sont plus de ce monde pour faire état de la vraie nature de leurs têtes de harpons, les archéologues doivent déduire cette dernière. Certains auront recours aux ouvrages ethnographiques portant sur les Inuit historiques pour éclaircir la nature fonctionnelle des harpons, mais les informations portant sur la question y sont très rares. Au mieux, les ethnographes auront noté la fonction précise de certains harpons, comme la nature de la proie visée et la technique de chasse employée, mais il n'est à toute fin pratique jamais question de la justification de la morphologie de ces derniers. D'autres tenteront d'observer des changements temporels sur les têtes de harpons en se basant sur leur contexte archéologique, dans le but de distinguer les attributs « stylistiques », à l'aide de la distribution stratigraphique ou les datations au carbone 14. Cette approche a conduit nombre de chercheurs à s'entendre sur une liste d'attributs qui semblent indiquer des périodes de développements distincts, après avoir observé leur occurrence et leur absence relatives dans les strates et dans le continuum des dates issues du carbone 14 (voir entre autre McCullough 1989, Maxwell 1985, Morrison 1983).

Par contre, des études récentes font état d'un nouveau questionnement quant à la validité de ces listes d'attributs semblant indiquer le changement temporel (Park 1994, Le Mouël et Le Mouël 2000). Pour les tester, Park a confronté les données de 17 sites thuléens à travers l'Arctique et 63 dates au carbone 14, avec 244 têtes de harpons pour

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évaluer la réelle valeur temporelle des attributs « stylistiques ». Il a conclut que parmi ces derniers, soit les devises d'attachement de la pré-hampe, le profil des contours, la forme de l'ergot ainsi que la décoration, seule la décoration semble être un indicateur chronologique efficace (Park 1994). Il mentionne par le fait même que la compréhension de ces attributs « stylistiques» est très limitée chez les archéologues. De leur côté, Le Mouël et Le Mouël ont analysé chaque attribut sur une base théorique, en évaluant leur potentiel fonctionnel, et leurs résultats ne sont pas davantage concluants que ceux obtenus par Park. La valeur fonctionnelle de ces derniers a été clarifiée, mais leur signification stylistique reste un mystère. Pour plusieurs, les attributs « stylistiques» sont définis à la négative, c'est-à-dire qu'on les reconnaît comme étant ce qui n'est pas fonctionnel, ce à quoi l'on est incapable d'attribuer de fonction. Il semble donc que les approches privilégiées jusqu'ici pour tenter de comprendre la morphologie des têtes de harpons, et ainsi pouvoir les organiser en typologies, sont limitées. Les typologies traditionnelles de l'histoire culturelle ainsi que les approches matérialistes et écologiques de l'archéologie processuelle sont toutes deux stériles quant à une bonne compréhension des têtes de harpons.

1.3. Les limites de l'histoire culturelle et de l'archéologie processuelle

Les typologies de Mathiassen, Collins, Ford et Stanford que nous avons brièvement abordées peuvent être qualifiées de polythétiques, en ce sens qu'elles regroupent une classe d'artefacts selon une liste d'attributs qui les définit, mais dont l'occurrence varie d'un artefact à l'autre. Ainsi, chaque objet possède un grand nombre d'attributs définissant la classe en question, chaque attribut se retrouvant chez un grand nombre d'objets. Également, un seul attribut ne peut être observé sur tous les objets, pas plus qu'il ne peut suffire à lui seul à justifier l'appartenance de l'objet à la classe en question (Davis 1990). Le caractère polythétique des typologies de têtes de harpons éloigne ces dernières des objets eux-mêmes et de leur contexte historique, car il s'agit de constructions faites par des archéologues. La classification des têtes de harpons en fonction de leurs similarités et de leurs différences, comme la sériation chronologique suivant l'ajout ou la suppression d'attributs, peut être erronée pour plusieurs raisons. Tout d'abord, il faut noter que le développement morphologique d'une classe d'objets ne suit pas toujours un trajet linéaire, mais peut osciller et fluctuer en suivant un mouvement

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complexe (Davis 1990). Ainsi, les typologies passant d'un type de harpon à un autre en suivant une ligne de développement très nette sont potentiellement biaisées par l'observateur. De plus, les typologies des têtes de harpons visent à refléter l'histoire des Thuléens, mais les liens morphologiques entre les types qui sont définis par les archéologues ne font pas nécessairement état de lien historiques. D'une façon générale, l'établissement de l'histoire morphologique d'une classe d'objets selon une liste d'attributs préétablis par un observateur extérieur ne donne aucunement accès à l'histoire de la culture qui en est à l'origine. L'absence relative de relation de similarité entre deux objets de la même classe, ce qui est typique des classifications polythétiques par définition, ne signifie pas nécessairement l'absence d'un lien historique. Également, deux objets présentant une forte relation de similarité basée sur leurs attributs morphologiques ne sont pas nécessairement historiquement liés (Davis 1990). Là où Mathiassen, Collins, Ford et Stanford font erreur, est le choix aveugle des attributs à la base de leurs typologies. En général, ils ont utilisé l'ensemble des variantes morphologiques observées sur les têtes de harpons pour créer des typologies chronologiques et géographiques, sans tenir compte la réelle signification historique des attributs en question. C'est justement cette nouvelle perspective que l'archéologie processuelle a apporté aux études chronologiques des têtes de harpons, sans toutefois cerner la question d'une façon efficace.

En effet, comme nous l'avons souligné en citant Park et Le Mouël et Le Mouël, la pnse de conscience que l'ensemble des attributs ne sont pas tous des marqueurs temporels est un apport important quant à la construction des sériations, mais leur façon de les distinguer est inadéquate. D'une façon générale, ces auteurs tentent de reconnaître les attributs fonctionnels, c'est-à-dire ceux dont la présence ou la forme indiquerait une fonction précise, et attribuent vaguement les autres aspects morphologiques au style. Ils évitent donc systématiquement de traiter des aspects « stylistiques» des têtes de harpons d'une façon égale aux asp€cts fonctionnels, ce qui est typique de l'archéologie processuelle. D'ailleurs, cette attitude face aux éléments sociaux et stylistiques d'une culture matérielle est commune à bien des archéologues en général, notamment (et sans grand étonnement) Lewis R. Binford. Dans un texte publié en 1973, et au cours duquel il

critique les propos de François Bordes (1973), Binford affirme que les éléments matériels ayant une signification culturelle, sociale ou symbolique doivent pouvoir être perçus au

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plan cognitif d'une façon immédiate et directe. Par exemple, il ne peut s'imaginer qu'un simple grattoir ne puisse être un signe culturel ou symbolique (Binford 1973 : 245). Il mentionne notamment qu'un des seuls facteurs pouvant engendrer des attributs purement stylistiques sur les objets utilitaires est l'intention d'une utilisation à long terme desdits objets, c'est-à-dire la justification pratique d'un procédé de fabrication plus long, plus élaboré (Binford 1973 : 243). Toutefois, en ce qui concerne la morphologie de divers outils préhistoriques, Binford va même jusqu'à affirmer que les considérations ethniques et sociales ne semblent pas être pris en considération par les fabricants et utilisateurs des objets, compte tenu que les mêmes formes typologiques se retrouvent parfois sur plus de la moitié de la planète, et ce simultanément (Binford 1973 : 246). Cette négation de l'aspect social et symbolique des objets dits utilitaires est une prise de position assez extrémiste qui n'est pas nécessairement partagée par la majorité. Par contre, la séparation du style de la fonction des objets constitue une façon de travailler partagée par nombre d'archéologues, particulièrement ceux adhérant à la New Archaeology ..

À vrai dire, cette distinction entre le style et la fonction des objets est une pratique fortement discutable. Tous les objets montrent des éléments morphologiques attribuables autant à la fonction qu'au style, les deux étant souvent interreliés. Le style et la fonction sont des dimensions complémentaires, des aspects de la variation morphologique qui coexistent à l'intérieur du même objet (Sackett 1990). En d'autres mots, tout objet a une fonction, et tout objet est fabriqué d'une façon unique (Hodder 1990). Le style d'un objet ne peut être contrasté avec ses fonctions utilitaires, non plus qu'il ne peut être défini uniquement par ses fonctions idéologiques et sociales. Précisément, les fonctions utilitaires, idéologiques et sociales de l'objet sont le reflet de son style (Hodder 1990). Et le style dont il est ici question ne fait pas uniquement référence au décor incisé ou bien à la forme esthétique de l'objet. Il réside également dans le choix du matériau, la technique de fabrication, de réjuvénation, la technique d'utilisation, etc. (Sackett 1990). Le style comporte donc plusieurs propriétés non visibles sur l'objet, mais dont l'influence ne fait aucun doute sur sa forme. L'approche matérialiste des archéologues ayant jusqu'ici tenté de distinguer le style de la fonction des têtes de harpons thuléens a eu pour résultat de minimiser la présence et le rôle du style chez ces objets. Ce qui, à leurs yeux, n'avait pas d'utilité précise relevait du style, sans jamais tenter de définir la fonction possible de ce dernier. Tout au plus, il était vaguement question d'ethnicité, de définition sociale.

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Cette absence d'investigation du style est une tendance générale que l'on observe chez les archéologues qui se sont jusqu'ici penchés sur les têtes de harpons thuléens. Mis à part un article publié par Robert McGhee en 1977 sur le choix symbolique des matériaux entrant dans la fabrication de ces objets, la majorité des questionnements se situent au niveau de l'utilisation différentielle des différents types de harpons thuléens. Il y a un réel manque de connaissances et de compréhension du symbolisme entourant les têtes de harpons thuléens. La première raison de cette situation est le point de vu résolument étique des archéologues qui traitent de la question. Ils étudient les harpons d'un œil extérieur, en utilisant rarement les données ethnographiques inuit, pourtant si riches en informations culturelles, sociales et idéologiques. L'analogie ethnographique entre les Inuit et les Thuléens constitue une approche méthodologique incontournable, pour tenter de comprendre l'univers idéologique et symbolique des Thuléens.

Pour en revenir aux données archéologiques brutes, les analyses portant sur les têtes de harpons (qu'elles soient de nature typologique ou processuelle) ne s'appuient que très rarement sur le contexte archéologique pour tenter de comprendre la nature morphologique de ces objets. Rarement il a été tenté d'expliquer, par exemple, les liens entre la disponibilité des matériaux et leur utilisation différentielle pour fabriquer les harpons (à la seule exception de McGhee 1977), entre les restes fauniques des sites et les types de têtes de harpons qui y sont exhumées, etc. Nombre de connections sont à faire entre le contexte archéologique des sites et la variabilité morphologique des têtes de harpons.

Au prochain point, nous faisons état de récentes études sur les diverses façons d'aborder le style en archéologie, c'est-à-dire ses multiples définitions, ses diverses formes et les interprétations qu'on peut en tirer. Notre objectif est de présenter des approches issues des années 1980 et 1990 qui pourront parer aux lacunes de l'archéologie processuelle portant sur ce point. Puis, nous mettons de l'avant l'approche contextuelle en archéologie qui est selon nous l'avenue méthodologique la plus prometteuse quant à la compréhension des têtes de harpons thuléens, et celle que nous privilégions pour l'analyse des données des sites Clachan et de l'île Skraeling.

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2. Nouveaux horizons théoriques: les différentes approches du style en archéologie

Jusqu'à aujourd'hui, l'étude du style en archéologie a tout d'abord été mise au service de la construction de chronologies, en divisant le passé en unités temporelles et spatiales, en définissant les cultures archéologiques et en créant des typologies en privilégiant certaines classes d'artefacts (Conkey and Hastorf 1990b ). Avec l'avènement de l'archéologie processuelle, le style a été considéré comme une mesure définissant autant les frontières spatiales et temporelles des groupes étudiés que les processus d'interactions et d'échanges sociaux (Conkey and Hastorf 1990b). Le style a été alors perçu comme étant actif et adaptatif, au service de la communication entre les groupes. Un des objectifs de l'archéologie processuelle étant d'expliquer le changement culturel sur un plan écologique, les systèmes idéologiques et symboliques ont été traités comme des épiphénomènes ayant peu d'importance sur le plan de l'évolution des cultures (Trigger 1989).

Seulement, depuis les années 1980, un questionnement est né, de la part des tenants mêmes de l'archéologie processuelle, sur les limites du rôle des facteurs écologiques et économiques façonnant le comportement humain. De plus en plus d'attention est depuis portée sur les facteurs non économiques, comme les échanges d'idées entre les groupes voisins, les croyances religieuses, etc. Le rôle des facteurs écologiques n'est plus considéré un déterminant au comportement humain, mais comme une hypothèse qui doit être démontrée empiriquement (Trigger 1989).

Conséquemment à ces développements théoriques, l'étude du style en archéologie fait l'objet d'une attention croissante, et depuis les années 1980-1990, de nombreuses approches ont été développées dans ce sens (voir Conkey and Hastorf 1990a). Les définitions du style, les visages qu'il peut prendre, ses divers contenus et ses significations sont autant d'issues actuellement discutées pas les chercheurs en archéologie. Dans les prochains paragraphes, nous définissons l'approche du style que nous privilégions, inspirée des derniers développements théoriques qui ont été accomplis sur le sujet au début des années 1990 et qui n'ont à toutes fins pratiques jamais été appliqués systématiquement à l'étude des têtes de harpons thuléens.

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2.1. Les définitions du style: où réside-t-i1?

Le style est généralement perçu comme étant le reflet de l'ethnicité, soit de l'identité ethnique des individus et des groupes à l'origine des cultures matérielles (Sackett 1982; 1985; 1990). Il s'agit d'une façon de faire les choses, que ce soit pour des raison traditionnelles (Sackett 1982; 1985; 1990), fonctionnelles, ou communicatives (Wiessner 1990). Dans un premier temps, on peut considérer le style comme étant le résultat d'un ensemble de choix effectués lors de la manufacture et l'utilisation de ce dernier. D'une façon générale, il existe un bassin d'alternatives équivalentes pour atteindre le même but matériel et utilitaire. Ces options peuvent être qualifiées de variation isochrestique, un mot venant du grec et signifiant « d'utilité équivalente» (Sackett 1990). Ces choix tendent à être très spécifiques, ils sont exprimés d'une façon constante à l'intérieur d'un même groupe, et ils sont également sujets à une certaine modification résultant de changements dans les interactions sociales avec d'autres groupes proposant des variations isochrestiques alternatives (Sackett 1990). Ces variations constituent donc le style, du moins de la façon dont nous, les archéologues, le percevons.

Conséquemment, à la question « où le style réside-t-il? », nous pouvons répondre: aux endroits mêmes où il y a des options isochrestiques (Sackett 1990). Le style est présent tant à l'intérieur des composantes instrumentales et utilitaires des objets, que les composantes complémentaires ou accessoires (Sackett 1990; Wiessner 1990). Ces dernières, comme la décoration ajoutée à un objet, sont plus riches en style car elles varient indépendamment des contraintes de la manufacture, et possèdent donc un large bassin d'options (Sackett 1990). Néanmoins, la forme de l'objet constitue également un excellent potentiel d'expression du style. On peut affirmer que le style d'un objet fait entièrement partie de sa fabrication, et n'est pas uniquement un élément qui y est ajouté. Conformément à ce qui précède, le style ne réside pas uniquement dans les propriétés matérielles et morphologiques de l'objet, il est aussi présent dans toutes les étapes de la fabrication et de l'utilisation de l'objet, soit le choix de la matière première (et conséquemment la position géographique des groupes), les techniques de façonnage, de réparation des bris, etc. Le style implique donc tout le contexte de l'objet, et non juste sa forme.

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2.2. Les catégories du style

Les auteurs consultés présentent diverses catégories de style qui varient selon la nature passive ou active de son utilisation. Bien que ces auteurs ne s'entendent pas tous sur cette nature (voir le débat entre Sackett et Wiessner dans Sackett 1985 et Wiessner 1985), nous croyons que, comme Wiessner (1990), cette variation est le fruit de son rôle passif ou actif dans la communication. Cette affirmation implique que le style est une forme de communication non verbale, à travers laquelle la façon de faire les choses communique l'information servant à se définir face aux autres (Wiessner 1990).

Le style actif constitue un échange d'informations servant à identifier et maintenir les frontières sociales entre les groupes. Ici, le comportement stylistique est teinté de symbolisme et d'iconologie (Sackett 1990; Wiessner 1990). Par ailleurs, le style passif est essentiellement issu du choix isochrestique et est le reflet de la tradition culturelle. Les gens font les choses d'une certaine façon, car c'est de cette façon qu'ils l'ont apprise. Il y a donc certains éléments du style qui n'ont pas de mission communicative particulièrement active, qui n'ont pas nécessairement de contenu symbolique ou iconologique, et s'il y a changement dans les interactions sociales du groupe, il ne sera pas nécessairement traduit dans la culture matérielle (Sackett 1990; Wiessner 1990). Toutefois, le style passif du point de vue de l'artisan et de l'utilisateur de l'objet peut être interprété de façon active par les autres. Ainsi, tout style est potentiellement actif, même si, à l'origine, l'intention était passive (Wiessner 1990).

Ces catégories de styles varient non seulement selon l'intention de communication, mais également selon la spécificité du référent, c'est-à-dire l'objet qui supporte le style et son rôle dans la communauté (Plog 1990; Wiessner 1990). Concrètement, les référents peuvent être spécifiques, comme un emblème, où plutôt vagues, comme le style des vêtements portés au quotidien. Lorsque ces référents sont utilisés dans de nouveaux contextes, la signification du style change également, et peut passer, par exemple, d'un rôle passif à un rôle actif. Pour illustrer la spécificité du référent d'une autre façon, on peut parler de l'identité individuelle par rapport à l'identité sociale. Un vêtement montrant un certain style visant à démarquer l'individu au sein du groupe ne sera pas le même que le vêtement servant à renforcer l'appartenance au groupe, même s'il est porté en alternance par la même personne. Il s'agit ici d'une autre catégorie du style, c'est-à-dire le panache (à l'échelle individuelle) et le protocole (à

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l'échelle sociale) (MacDonald 1990). Ces catégories font référence au rôle actif et passif du style, variant selon la spécificité du référent qui est soit plus forte et active dans le cas de la distinction individuelle, ou plus vague et passive dans le cas de la cohésion sociale (Wiessner 1990). Le même artefact peut osciller d'une catégorie à l'autre, en réponse à des changements dans l'interaction sociale entre les groupes ou bien à un nouveau rôle porté par l'objet.

Ces définitions du style et ses diverses catégories sont autant de nouvelles avenues de réflexion quant à l'étude des têtes de harpons thuléens. La perspective isochrestique renvoie à l'omniprésence du style dans la culture matérielle, et par le fait même à l'absence de dichotomie entre le style et la fonction. Par exemple, deux groupes voisins peuvent montrer deux façons de faire traditionnelles pour effectuer la seule et même tâche, et affirmer que chacun possède la meilleure solution technologique, résultant ainsi en une variation autant de nature stylistique que fonctionnelle. Ce point de vue isochrestique privilégie une approche jusqu'ici mise de côté par les archéologues de l'Arctique, celle de la remise en contexte des artefacts dans le but de connaître quelles étaient les options qui se présentaient au Thuléens lorsqu'ils les ont façonnés et utilisés. Au lieu de définir les attributs fonctionnels des têtes de harpons et d'attribuer le reste au style en tant que marqueur d'identité ethnique, il est préférable de considérer la tête de harpon dans son ensemble, puis, en la situant dans son contexte de fabrication et d'utilisation, de tenter d'évaluer les options qui étaient disponibles et celles qui ont été privilégiées. Ainsi, il sera possible d'identifier des catégories de style à l'intérieur de cette classe d'artefacts, toujours selon les contextes archéologiques, technologiques, économiques, sociaux, idéologiques et symboliques. Par exemple, aux temps où les Thuléens chassaient la grande baleine boréale en groupe et que cette pratique était entourée d'une structure cérémonielle bien établie, il est possible que le harpon ait tenu un rôle spécifique quant à l'identité individuelle, au service de la distinction personnelle. Dans ce contexte spécifique, le harpon pourrait avoir présenté un style actif, où chaque individu ou équipe de chasseurs marquait son identité et sa différence face aux autres membres de la communauté. Puis, dans les contextes où le harpon était essentiellement une arme servant à chasser le phoque sur une base quotidienne, il se peut que le rôle du style de ce dernier ait passé vers un mode davantage passif, montrant uniquement la façon de faire traditionnelle. Dans ces deux exemples, le rôle communicatif du style et la

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spécificité du référent sont des variables fortement actives quant à la nature et la fonction du style de la tête de harpon. Nous ne pouvons passer à côté de ces contextes, pas plus que nous ne pouvons faire fi du contenu et de la signification que porte le style.

2.3. Le contenu et la signification du style

Essentiellement, le style est au service de l'identité ethnique, que ce soit pour se définir en perpétuant les traditions, ou en se comparant à l'autre, c'est-à-dire en communiquant. Dans un premier temps, il fait référence au choix isochrestique, c'est-à-dire l'expression dans la culture matérielle d'un comportement qui est imprégné de tous les aspects de la vie culturelle. L'artisan choisit en se conformant et en perpétuant les options isochrestiques qui lui sont imposées par les traditions technologiques à l'intérieur desquelles il travaille, de la même façon qu'il se conforme et perpétue toutes les formes de traditions culturelles de son groupe (Sackett 1982; 1985; 1990). Dans un deuxième temps, le style est potentiellement le reflet de l'identité sociale et individuelle par la voie de la communication entre ces deux entités. La comparaison stylistique est synonyme de la comparaison sociale qui est nécessaire pour bâtir une image de soi, ce qui est un processus cognitif de base chez les humains (Tajfel 1978a; 1978b, Wiessner 1990; 1989). Concrètement, chaque individu est à la recherche d'une image de soi positive, et le sentiment d'appartenance à un ou plusieurs groupes sociaux y contribue largement (Tajfel 1978a :61). La catégorisation constitue la définition des différents groupes sociaux à l'intérieur même d'une communauté. L'identité sociale est donc la part de l'image de soi qui provient de la reconnaissance personnelle d'appartenir à un ou des groupes sociaux, de concert avec la valeur et la signification émotionnelle attachées à ce sentiment d'appartenance (Tajfel 1978a :63). Il est important de prendre en considération ces concepts et leur conséquence sur les comportements liés à l'identité ethnique, car c'est en partie à travers le style que cette identité sera exprimée. Par exemple, lorsque la densité de la population est élevée, les individus ressentent le besoin de se distinguer des autres et d'exprimer une plus grande individualité à travers la comparaison sociale, contrairement aux plus petites communautés où l'expression de la cohésion sociale est davantage marquée, ayant pour conséquence une comparaison plus soutenue avec des groupes extérieurs (Wiessner 1990: 1989). Également, au sein d'une même communauté, la tendance à l'individualisme et à la cohésion sociale peut osciller selon certains événements, comme la compétition inter-individuelle ou un dérèglement dans

Figure

Figure  1:  Les divers attributs morphologiques  des têtes de harpons thuléens.
Tableau 1 : Dendrogramme des spécimens du site de l'île Skraeling,  incluant les dimensions
Tableau 2 : Dendrogramme des spécimens de l'île Skraeling, excluant  les dimensions.
Figure 2:  La morphologie des spécimens de type  Thulé 4 (site de l'île Skraeling).
+6

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