Évolution des structures e t dynamiques sociales
Le
sel
préhistorique
: d
à
l'appropriation
Olivier Weller (UMR ArScAn - Protohistoire européenne)
« Le m êm e é té les Hermundures e t les Chattes se livrèrent un furieux c o m b a t : ils se disputaient les armes à la main,
la possession d 'u n fleuve qui les borne e t produit du sel en a b o n d a n ce . À la passion qu'ils éprouvaient d e tout d é cid e r p a r les armes se jo ig n a it c e tte cro ya n ce religieuse innée q u e ces lieux é ta ie n t les plus rapprochés d u ciel e t que nulle p a rt les prières des mortels n 'é ta ie n t d e plus près entendues p a r les dieux ». Tacite (Annales, Livre XIII, 57).
Évoquer la question du contrôle d 'u n e substance co m m e le sel, c 'e s t taire resurgir un pan entier de notre histoire : gabelle, gabelous, taux-sauniers... Rappelons qu e le dernier im pôt sur le sel, l'Octroi, restauré par Napoléon, ne fu t aboli q u 'e n 1947 ! Une denrée aujourd'hui aussi banale que le sel a p o urtant joué à certaines époques un rôle central dans l'éco nom ie e t la politique à la fois dans l'investissement d e sa production que dans le contrôle d e ses gisements naturels.
Un des problèmes que pose le contrôle du sel est la m ultitude de ses supports naturels, qui se présentent aussi bien sous form e liquide (eau d e mer e t d e sources, liquides physiologiques) que solide (roches, sables, terres, plantes). Toutefois, le sel est présent selon des concentrations fortem ent inégales, allant de quelques grammes pour le sang ou l'urine, à près de 200 g /l pour certaines sources salées ou mers fermées, en passant par une m oyenne d e 30 g /l pour les océans. Ajoutons aussi les rares gisements d e sel gem m e plus ou moins accessibles. On dispose ainsi d 'u n large éventail d e ressources naturelles qui selon leur gradient de salinité - et d o n c d e leur rentabilité relative - o n t été fortem ent investies ou bien laissées à l'a b a n d o n . À travers le temps, les sociétés ont plus ou moins investi la production e t le contrôle du sel e t les sources écrites historiques relatent a b o n d a m m e n t son histoire à la fois technique, é conom iqu e e t politique. Durant la préhistoire récente, nos connaissances restent b e a u co u p plus lacunaires puisque le produit m êm e a disparu, néanmoins l'exploitation du sel durant le Néolithique est dém ontrée. En pa rta n t d e la ressource même, e t non d 'u n m odèle é conom iqu e particulier, nous avons cherché à analyser les configurations archéologiques e t leur évolution dans plusieurs régions d'Europe riches en sel. Jusqu'à présent, nous avons identifié trois formes principales d'organisation d e l'exploitation e t/o u de la production de sel :
(i) L'utilisation directe et occasionnelle d e la m atière première, dém ontrée, par exemple, dès le Néolithique ancien dans les Alpes (c a p ta g e d e la source d e Moriez) ou au Néolithique final en Bourgogne (ca p ta g e s des Fontaines-Salées, St-Père-sous-Vézelay). Dans c e cas, le sel ne semble pas avoir fait l'o b je t de contrôle.
(ii) L'exploitation occasionnelle, peut-être saisonnière, du sel s'intégrant aux autres ressources du territoire d'approvisionnem ent (affleurem ent d e sel gem m e en C atalogn e au Néolithique moyen, sources salées du Jura au Néolithique final). Dans c e tte dernière situation, l'absence d'autres habitats perm anents et surtout les nombreux travaux menés sur les territoires exploités entre le XXXIIe e t le XXXe siècle av. J.-C. montrent que ces ém ergences salées s'intégrent p a rfaitem en t au territoire d'approvisionnem ent d e ces com m unautés de bords d e lac sans pour a u ta n t avoir nécessité une q uelcon que form e de contrôle perm anent ou tem poraire (Fig. 1).
(iii) L'exploitation régulière du sel, a c c o m p a g n é e d 'u n contrôle plus ou moins im m édiat de l'a ccè s aux ressources salifères (concentration d 'h abitats e t de sites fortifiés au Chalcolithique ancien en M oldavie roumaine, au Néolithique m oyen II, entre 4200 e t 3700 av. J.-C., en Franche-Comté). Dans c e dernier cas, la production d e sel est au centre d e territoires régionaux e t fa it l'o b je t d e contrôle non pas directem ent sur l'ém e rg e n ce naturelle mais sur un terroir d o n t elle constitue l'épicentre. Le contrôle est assuré par des populations regroupées dans des habitats fortifiés à rem part d e pierre dom inant les sources (Fig. 2). À c e tte époque, le m ode d e contrôle ne s'exerce d o n c pas directem ent sur la ressource exploitée e t c e n'est q u 'à la
O liv ie r W eller
fin d e La Tène que se m e tte n t en p la ce les premiers villages perm anents aux abords m êm e des sources exploitées.
Dans c e contexte d e sociétés peu hiérarchisées du Néolithique, les situations sont d o n c très diverses e t parfois complexes. Le contrôle des ressources ou des terroirs dans lesquels elles s'inscrivent ne signifie pas systém atiquem ent l'existence d 'u n e élite sociale, ni n'e ngendre d'ailleurs une réelle intensification des échanges. Inversement, co m m e nous l'avons observé aujourd'hui dans les Hautes Terres d e Nouvelle-Guinée, une ressource co m m e le sel e t l'accè s à son exploitation est pourtant, sans contrôle direct autour des sources fortem ent exploitées, au coeur d e processus de colonisation e t d'expansion territoriale chez ces sociétés égalitaires à leader d e guerre.
Aussi, dans ces contextes peu hiérarchisés, la seule question du contrôle des ressources ne suffit ce rta in e m e n t pas à caractériser les dynamiques sociales sous-jacentes à ces exploitations, mais il est nécessaire d e croiser c e tte question à celles, par exemple, du niveau d'investissement social e n g a g é dans la production d e sel ou du d é ve lo p p e m e n t des réseaux d'échanges.
< 500 m
Le Doubs
I I 500 m - 800 m □ 800 m -1000 m >1000 m La Combe d'Ain .Salins Villeneuve Les Planches Grozon'&
Poligny Wauxexploitation de sel démontrée exploitation de sel probable (dates 14C en cours)
Molain
o
habitat perm anent A cam pem ent de chasse + objet isoléMessia'
'A " affleurem ent de silex ♦ quartzite du Purbeckien m arnes fossilifères
Lac de
Clairvaux
Territoire minimal
en accès direct : 1 800 km'
— accès direct démontré
Lains
20 km
d'après Arbogast et al. 2000 complété
Fig. 1. Territoire m inim al d'approvisionnem ent des com m unautés d e Chalain e t Clairvaux entre XXXIF e t XXXe siècle av. J.-C.
Évolution des structures e t dynamiques sociales
Plancher-les-Mines C a rriè re s de q u a rtz A Jussey BELFORT MONTBELIARD Saulnot Gouhenans Vesoul Besançon DOLE Abergemen SALINS S U I S S E LONS-LE-SAUNIER MONTMOROT PREMIERS PLATEAUX Alt. 300 à 700 mètres DEUXIEMES PLATEAUX Alt. 700 à 900 mètres HAUTE-CHAINE Alt. + de 900 mètressource salee exploitée
enceinte
O enceinte probable
50 kmFig. 2. Sources salées exploitées e t principaux habitats fortifiés en Franche-Com té au Néolithique moyen II