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Academic year: 2022

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Du même auteur

L’Homme ouvert (Fautrier) Éd. Chatelain-Julien, 2002

Fuir les forêts Seuil, 2006

Norfolk Seuil, 2010

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Fiction & Cie

Fabrice Gabriel

U N E N U I T E N T U N I S I E

roman

Seuil

25, bd Romain-Rolland, Paris XIVe

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c o l l e c t i o n

« Fiction & Cie »

fondée par Denis Roche dirigée par Bernard Comment

isbn 978-2-02-136524-

© Éditions du Seuil, mai 2017

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www.seuil.com www.fictionetcie.com

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à Frédérique

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Quel destin que celui d’être la balance entre ici et là-bas, balance à la limite d’hier et aujourd’hui…

Paul Klee, Journal

1, 2, 3, 4… Night in Tunisia, Ladies and Gentlemen !

Georges Perec, Lettre à Jacques Lederer

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Trouville

Il n’aurait su dire pourquoi, peut-être était-ce seule- ment la trace d’un rêve, mais il lui sembla, ce matin-là, qu’il avait du sang sur les mains. Non pas le sang rouge vif, vermillon même, qui pointe au bout d’un doigt piqué par une aiguille, ou de l’entaille que fait à la paume un couteau maladroit, non, mais du sang sombre et synthétique, pensa-t-il, lourd et presque noir, presque mort, dont le rêve aurait pu révéler le secret, ou plus simplement la recette de fabrication. Ce rêve cependant s’était perdu, qui ne livrerait plus rien, et donc demeurerait pour toujours, dans la nuit close : une mer, un rivage orange enfermé, l’histoire aussi dont le fil au réveil s’était rompu… tant pis. Janvier avait mis quelques instants à reconnaître son lit, la chambre, et le bruit au-dehors de l’hôtel, de la plage vide dans le petit froid de brume qui en fait la beauté, hors saison.

L’eau est alors trop froide pour s’y baigner, il était là pour autre chose, regarder par exemple à travers la fenêtre les gris qui s’emmêlent, des ciels superposés :

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ne penser à rien. Ne pas penser au temps qui fut celui –  on  dit cela  – de la jeunesse, cette jeunesse perdue elle aussi, semblable au même rêve de couleurs passées, présentes encore à travers le filtre seul, ou le jaune soudain –  flash ! – des hasards instantanés, pavés ou nuages, parfums d’orage, des mots qui raniment d’un coup le monde englouti, même pas regretté.

Janvier avait lu, ce matin-là, un long article sur la Tunisie. C’était le récit rétrospectif de ce que l’on appelle parfois la « révolution de jasmin », prologue aux fameux « printemps arabes » et désignation com- mode, adoucie, des soulèvements qui avaient fini par provoquer, au début de l’année 2011, la destitution puis la fuite du président Zine el-Abidine Ben Ali. Le 17 décembre de cette même année, peu après 13 heures (13 h 02, précisait le rédacteur scrupuleux de l’article), on avait brûlé sur l’avenue principale de Sidi Bouzid un portrait géant du président déchu, pour lui substituer l’effigie de Mohamed Bouazizi, le jeune homme qui s’était suicidé là, s’immolant par le feu, exactement un an plus tôt. C’était là, en effet, à Sidi Bouzid, au centre de la Tunisie, un lieu dont le nom ne disait rien à per- sonne, pas même aux touristes pourtant nombreux qui visitaient alors le pays, ses plages, ses ruines, que tout avait commencé. C’était là aussi, vingt ans auparavant, que Janvier avait passé quelques mois de sa jeunesse un peu vide, des mois spéciaux, comme blanchis à la

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chaux (l’image lui venait ainsi : celle d’un mur en été).

Bien avant le suicide de Mohamed, le petit marchand des quatre saisons désespéré, vexé de s’être fait gifler par une agente municipale, racontait-on, Janvier avait arpenté la rue principale de Bouzid, comme il disait, et connu l’ennui des cafés entre hommes, les terrasses jonchées des mégots de cigarettes fumées longuement, le plus lentement possible (des Mars en paquet rouge dites « internationales » ou plus banalement des Camel, de préférence sans filtre). Il avait connu les menus monotones et sans alcool du restaurant de l’hôtel du Soleil, à l’entrée de la ville, dont la carte promettait sans orthographe d’innombrables mets étonnants, mais jamais disponibles, ainsi que l’annonçait rituellement, au moment de la commande, le jeune serveur mous- tachu, souriant, auquel il manquait la phalange d’un pouce : « Y a pas. »

Les hauts faits de la révolution tunisienne, Janvier les connaissait, la presse en avait bien sûr beaucoup parlé, depuis l’hiver de l’année 2011. Ce qui en revanche l’avait frappé, dans l’article qu’il avait lu ce matin-là, inquiet du destin d’un pays prêt à « plonger dans le chaos », comme le répétaient les journalistes, c’était l’énoncé des noms, tous ces noms qu’il lui semblait redécouvrir soudain, si familiers, vingt ans après  : Hamdi, Smari, Nciri, Afi, Hamdouni, Omri, Chouaïbi, Baccari,  etc. La liste pouvait ainsi s’allonger, saturée

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de  i  : des noms et des sons dont l’écriture demeu- rait problématique, et qui pourtant prenaient forme, parfois, sur les cartes en deux langues de la Tunisie, de gauche à droite, de droite à gauche… Tout avait commencé de cette façon-là, dans le désordre ambi- dextre d’un plan presque illisible, le trouble d’un drôle de cadastre. Janvier avait rêvé de Carthage, et il n’y trouverait rien, ou alors du vide, une vie à remplir par ses rêves de jeune homme, ce jeune homme qu’il était encore, au début de l’automne 1990, quand il avait atterri à Tunis sans rien savoir de ce qui l’attendait.

C’était étrange, de repenser à tout cela, tant d’années plus tard, dans un hôtel de Normandie en hiver, devant la Manche grise et calme, à peine tremblante, semblable au flanc couché d’une bête immense, cheval ou chien, qu’importe… Cette plage de Normandie était associée pour Janvier au souvenir de lectures anciennes, préado- lescentes, du Salammbô de Flaubert, par exemple, ou des « Budé » pelucheux, d’aspect presque sale, aux cou- vertures rose-orange diversement délavées, du saumon pâle à la sanguine, qui servaient à perfectionner son latin en vacances  : guerres puniques, arma virumque cano, désespoir de Didon en pleurs, etc.

La Tunisie que Janvier avait découverte, au début des années quatre-vingt-dix, ne ressemblait pas à l’antique, du moins à la représentation que pouvait s’en faire un collégien mal grandi. Pour lui, le latin avait toujours

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équivalu, dans son abstraction parfaite, implacable, au monde lui-même : des formes à connaître, des formules à vérifier. Mais la promesse d’un chiffre était restée vaine, comme le secret d’une syntaxe inconnue. Il avait eu des impatiences, maintenant il avait vraiment vieilli, et il retrouvait sa mémoire de petit latiniste sur la route du retour à Bouzid – un retour en pensées, puisqu’il n’y remettrait jamais les pieds. Son plus proche com- pagnon, justement, pendant ces quelques mois si loin- tains de vie tunisienne, avait été un jeune professeur de latin-grec, Serge, dont il aurait voulu, se disait-il, vingt ans plus tard, retrouver la trace effacée. Serge était un garçon grand et très maigre, inquiet de tout, formidablement hypocondriaque, et nerveux. Janvier avait aimé ses brusqueries de timide et sa manie des langues mortes, celles où la mort, précisément, n’est plus qu’un mot – un mot dont la signification se trou- verait peut-être dans les dictionnaires  : le Bailly, le Gaffiot. Serge croyait aux pouvoirs de la vieille poésie, et à l’universalité possible de Virgile, dont il lisait avec des gestes excessifs d’interminables extraits aux gamins de Sidi Bouzid : des enfants de paysans descendus de la montagne, parfois pieds nus, et souvent sales, qui ne surent pas bien comment complaire à ce long jeune homme en costume et mèche folle, un peu précieux, un peu ridicule aussi. Aujourd’hui ce sont des adultes peut-être armés, perdus ; peut-être morts. Janvier se souvenait du revers rouge (la couleur exacte des petits

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volumes de la « Loeb Classical Library ») du complet satiné gris de Serge, piqué d’une broche d’argent à tête de hibou… Il y blessa son doigt, et ce fut comme un sortilège : peut-être devint-il fou. Dans son esprit demeurerait un champ de bataille, où l’on aperçoit les ruines d’un théâtre, après une autre guerre encore  : Sbeïtla, El-Jem, Zaghouan, Kasserine, El-Kantara…

Arma virumque cano : les premiers mots de l’Énéide auraient pu annoncer, non sans ironie, ce que fut le séjour de Janvier en Tunisie. Ce fut une drôle de guerre, dont les perspectives s’étaient dessinées dès l’été 1990, quand l’Irak eut décidé d’envahir le Koweït.

Janvier se souvenait tout particulièrement d’un jour de canicule, après l’annonce de cette nouvelle, un samedi d’août dans la rue Cavallotti, à Paris, où il avait dîné avec son ami Curt. Ils avaient bu une ou deux bou- teilles de vin blanc un peu trop frais –  un  vin jaune d’or  : vif, en vérité  – pour finir fin soûls au Général Lafayette, un bar qu’ils aimaient tous les deux, et y commenter dans l’euphorie prolongée de l’alcool les pistes du désert où, c’est sûr, le monde allait bientôt s’ensabler. L’Irak venait d’annoncer qu’il retiendrait en otage les ressortissants étrangers – ceux des « nations agressives », disait Saddam Hussein, auxquels il avait fermé ses frontières – aussi longtemps que la menace d’une guerre ne serait pas écartée. On vit apparaître dans les journaux l’expression de « bouclier humain »,

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comme en écho au nom de l’opération « Bouclier du désert » désignant le vaste déploiement militaire lancé en Arabie saoudite par les Américains. On aperçut même le président irakien à la télévision, souriant, en cravate et pochette de soie, poser la main sur l’épaule d’un jeune enfant britannique, sage et apeuré dans son petit maillot blanc floqué d’un coq français. Jan- vier pensait à cette époque partir pour Tatatouine, dans le Sud tunisien  : aux limites du désert, juste- ment. C’était ce que lui avait signifié son arrêté mili- taire de futur « coopérant » et il prenait quelque plaisir, il faut l’avouer, à cette idée sans chair encore d’un décor caniculaire de film en noir et blanc, abstraite évocation d’un monde de bataillons disciplinaires, de légionnaires old fashion. Son ami Curt, lui, était né suisse, de parents d’origine incertaine, ce qui ne le disposait guère aux engagements : il flottait, ironique et rond, dans des vêtements qui semblaient toujours en lin, même en hiver. Il allait mourir à peine quelques années plus tard, comme on referme une parenthèse.

Janvier n’aimait plus trop y penser. Pourtant, dans cet hôtel de Normandie devant la mer grise, l’article sur la Tunisie avait fait revenir des voix, il ne pou- vait l’empêcher : celle douce et nasale de Curt, donc, de moins en moins audible à mesure qu’il buvait, et c’était souvent ; celle du jeune Serge lisant trop fort, théâtral et toujours un peu faux, des vers de Virgile très beaux, parfois l’inévitable début de Salammbô… et

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celle encore, que les archives ont retenue, du président français d’alors, François Mitterrand, qui prononçait

« kowette » le nom de l’émirat envahi par l’Irak, dans la nuit du 1er au 2 août 1990.

Arma virumque cano  : « je vais chanter la guerre », disait l’une des nombreuses versions françaises de l’Énéide (depuis la fin du seizième siècle, il s’en publie une nouvelle traduction tous les sept ans, dit-on). Jan- vier n’avait pas cette ambition, chanter la guerre, car il n’avait connu des combats que le vide des veilles, le malaise vague des lendemains. Vingt ans plus tôt…

dans le même monde, peuplé d’à peine quelques amis de plus (cette idée était douloureuse, c’était celle d’une forêt malade). Un monde où il n’était pas encore pos- sible de lire un article de journal sur une tablette élec- tronique, comme Janvier venait de le faire, ce matin-là, ni d’écrire des messages qui voyageraient instantané- ment de Sidi Bouzid, une cité à l’écart de tout, même du désert, vers les villes et les gens de l’autre côté de la mer, des océans. Sur l’écran-miroir de son appa- reil éteint, il aurait aimé voir apparaître le visage d’un jeune homme, lui-même autrefois, qui portait sur la joue gauche, comme une virgule à peine esquissée, coma du temps, le poinçon léger d’une goutte de sang séchée, brève coupure du rasage, ou rappel espiègle d’un Virgile rosissant, trop timide, dit-on, pour devenir avocat… De Salammbô, dont la conception le faisait

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tant souffrir, Flaubert avait écrit : « D’un bout à l’autre, c’est couleur sang. » Et dans la même lettre à Théophile Gautier, datée du 27 janvier 1859 : « Puisque la vie est intolérable, ne faut-il pas l’escamoter ? » Qu’importe, Janvier allait sortir, quitter sa chambre et l’hôtel, et il ne chanterait pas les guerres, non, celles puniques ou du Golfe, ni les révolutions subséquentes, inache- vées. Il se contenterait de siffloter sur la plage vide un air remonté lui aussi, sans raison apparente, de la toute fin des années quatre-vingt  : « Voilà les anges…

ne s’arrêtent pas… » Il n’y aurait personne alentour, nul promeneur, pas même un chien esseulé sans laisse, et de la mer mieux réveillée désormais sembleraient jaillir par instants des mains blanches, furtives, qui feraient signe, on ignore à qui. Comme l’écume des naufragés à l’hiver, leur saison.

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