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Submitted on 18 Nov 2016
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Les enjeux de l’intégration de l’eTandem en didactique
des langues-cultures étrangères : interactions entre
apprenants et dynamique institutionnelle dans un
dispositif universitaire sino-francophone
Jue Wang-Szilas
To cite this version:
Jue Wang-Szilas. Les enjeux de l’intégration de l’eTandem en didactique des langues-cultures étrangères : interactions entre apprenants et dynamique institutionnelle dans un dispositif univer-sitaire sino-francophone. Linguistique. Université Sorbonne Paris Cité; Université de Genève. Faculté des lettres, 2016. Français. �NNT : 2016USPCF009�. �tel-01399352�
Institut National des Langues et Civilisations Orientales
École doctorale n°265 Langues, littératures et sociétés du monde
PLIDAM
THÈSE EN COTUTELLE
avec
Université de Genève
Faculté des lettres
Ecole de langue et de civilisation françaises (ELCF)
présentée par :
Jue WANG-‐SZILAS
soutenue le 21 septembre 2016
pour obtenir le grade de
Docteur
INALCO -‐ Sciences du langage : linguistique et didactique des langues Université de Genève – Lettres
Les enjeux de l’intégration de l’eTandem en didactique des
langues-‐cultures étrangères : interactions entre apprenants et dynamique
institutionnelle dans un dispositif universitaire sino-‐francophone
THÈSE dirigée par :
M. Joël BELLASSEN HDR, PLIDAM-‐INALCO
M. Laurent GAJO Professeur ordinaire, Université de Genève
MEMBRES DU JURY :
M. Joël BELLASSEN (directeur) HDR, PLIDAM-‐INALCO
M. Laurent GAJO (directeur) Professeur ordinaire, Université de Genève
M. Nicolas GUICHON (rapporteur) Professeur des universités, Université de Lyon 2
M. Jean-‐Paul NARCY-‐COMBES Professeur émérite, Université Paris3-‐Sorbonne nouvelle
Remerciements
Je tiens à remercier ici Messieurs Nicolas GUICHON, Jean-Paul NARCY-COMBES, et Yongyi WU, à Paris et en Chine, qui m’ont fait le plaisir et l’honneur de faire partie de mon jury de thèse, ainsi que Monsieur Nicolas ZUFFEREY à Genève, qui a accepté d’en être le président du jury.
J’exprime mes profonds remerciements à mes deux directeurs de thèse, Messieurs Joël BELLASSEN et Laurent GAJO, pour la confiance qu’ils m’ont accordée en acceptant d’encadrer ce travail d’« aventurier », et pour toutes les heures qu’ils ont consacrées à diriger cette thèse. J’ai pu apprécier leur remarquable compétence dans leur accompagnement scientifique, de même que leur infaillible soutien affectif. Leur regard critique m’a été très précieux pour structurer le travail et pour améliorer la qualité de rédaction. Pendant ces quatre années de travail, j’ai pu grâce à eux apprendre à devenir un véritable chercheur.
Ensuite je tiens à remercier Messieurs Daniel PERAYA et Daniel SCHNEIDER de l’équipe de recherche TECFA de l’Université de Genève, pour m'avoir fait profiter de leurs expertises sur l’enseignement et l’apprentissage avec les nouvelles technologies et sur les méthodologies de recherche dans ce domaine.
Un grand merci à Claudia BERGER, avec qui j’ai commencé le projet eTandem chinois-français, elle m’a encouragée vivement à entreprendre cette thèse. Je la remercie pour sa grande disponibilité à chaque fois que je l’ai sollicitée et lui suis très reconnaissante pour ses nombreux conseils, discussions, relectures, et son effort régulier pour que je puisse me concentrer sur la thèse.
Je souhaiterais exprimer ma gratitude à Isabelle GRAND-CAILLARD, pour sa relecture en profondeur, ses encouragements et ses suggestions constructives tout au long du processus de rédaction. Je remercie chaleureusement Denis Huan LIANG, pour le temps considérable qu’il a consacré à vérifier la transcription des enregistrements vidéo et pour la qualité et le soin apportés à cette tâche fastidieuse.
Mes remerciements vont également à M. Frank Ling ZHANG, Mme Zhitang DROCOURT dont la participation active au projet eTandem a permis de recueillir les données dont j’avais besoin pour les analyses. Sans oublier les étudiants de l’Unité des études chinoises de l’Université de Genève, du Département du français de l’Université du Hubei et du Département chinois de l’INALCO. Je vous remercie toutes et tous pour avoir généreusement accepté d’être filmés et donné l’autorisation d’utiliser ces données.
Je remercie aussi mes collègues de Genève et Paris : Laure ZHANG, Grâce POIZAT, Ping ZELLER de l’Unité des études chinoises de l’Université de Genève, Thomas SZENDE, de l’équipe PLIDAM de l’INALCO, et tous ceux que je ne peux citer ici par manque de place. En outre, l’ESTAS de l’Université de Genève a eu la générosité de m’offrir un bureau à part, ce qui m’a permis d’écrire ma thèse dans le calme. Qu’il en soit remercié.
Enfin, je remercie Nicolas, mon mari, pour son soutien, sa patience et ses encouragements pendant toute la durée de ma thèse et plus particulièrement pour la relecture durant les derniers mois de rédaction. Cette thèse et moi te devons beaucoup. Merci !
Avant-propos
Un après-midi de février 2009, je rencontrais Mme Claudia Berger à la cafétéria de l’université, pour envisager le lancement d’un projet eTandem chinois-français. Cette idée venait non seulement de ma longue expérience dans le domaine d’enseignement des langues étrangères en Chine (un fort besoin d’exposer à la langue-culture cible des apprenants), mais aussi d’une formation en technologies éducatives au laboratoire TECFA de l’Université de Genève (le potentiel des technologies pour réaliser ces besoins).
Cette rencontre a été décisive pour le projet qui a effectivement vu le jour et pour la présente thèse qui en a découlé. Toutes deux enseignantes expérimentées en langues étrangères, passionnées par les nouvelles technologies appliquées à l’enseignement/apprentissage des langues. À la fois sinophones et francophones, nous voyions alors le cours eTandem français-chinois comme une évidence technologique, une nécessité pédagogique et un désir de faire de la rencontre avec autrui le substrat de tout apprentissage linguistique et culturel.
Je dois aujourd’hui reconnaître que ma vision d’alors était teintée d’une certaine naïveté, et que j’étais loin d’imaginer les multiples difficultés (conflits) inhérents à l’apprentissage en eTandem. Heureusement, d’autres chercheurs et praticiens, que j’allais rencontrer après avoir pris connaissance de leurs travaux respectifs, nous avaient guidé sur cette voie, notamment au travers de vastes initiatives européennes remontant aux années 1990. Mais là où finalement nous allions réellement ouvrir une voie nouvelle, c’était dans le fait que nous osions unir dans un dispositif eTandem deux langues distantes. Aujourd’hui encore, sept ans plus tard, cette caractéristique reste une marque d’innovation.
Le succès pratique du projet est lié à cette rencontre de 2009 et à ce duo que nous avons constitué, et ce pour deux raisons. D’une part, comme cette thèse a pu le mettre en évidence, le lien fort entre les enseignants est un des facteurs clef de réussite d’un tel projet. Certes, je n’étais pas l’enseignante côté chinois, mais je pouvais jouer ce rôle et être le lien amenant de la cohésion entre Genève, Paris et Wuhan, les trois universités partenaires. D’autre part, l’esprit de cette rencontre, à savoir cette curiosité et passion pour la langue et culture de l’autre, est celui que nous avons diffusé année après année auprès des étudiants, enseignants et gestionnaires. Là encore, on peut y percevoir un des facteurs déterminants du succès d’une approche eTandem.
Je laisse maintenant au lecteur le soin d’apprécier les contributions scientifiques de ce travail de recherche. Et je souhaiterais évoquer ici le rôle que nous attachons aux possibles retombées pratiques de ces recherches. En analysant, en expliquant, en systématisant les principes de conception techno-pédagogiques, au-delà d’un design unique « qui marche », nous souhaiterions rendre possibles d’autres projets eTandem entre langues distantes, même si une rencontre telle que celle du 4 février 2009 devait ne pas entrer forcément dans l’agenda d’un tel projet.
Table des matières
Remerciement ... 3
Avant-‐‑propos ... 4
Introduction ... 9
Partie 1 Cadre théorique ... 16
Chapitre 1 L’acquisition-‐‑apprentissage des langues-‐‑cultures étrangères (LC2) : différentes perspectives ... 18
1.1 Présentation de quelques théories de l’acquisition/apprentissage des langues-‐‑ cultures étrangères (LC2) ... 19
1.1.1 Le béhaviorisme ... 19
1.1.2 Le cognitivisme et le constructivisme ... 21
1.1.3 Le socioconstructivisme et interactionnisme ... 26
1.1.4 Synthèse ... 28
1.2 Interaction et acquisition : courants et conceptions ... 30
1.3 La communication exolingue ... 34
1.3.1 La notion de communication exolingue et ses caractéristiques ... 34
1.3.2 L’apprentissage et la communication exolingue ... 36
1.3.3 Le contrat didactique dans la communication exolingue ... 37
1.3.4 Apprentissage formel et informel, institutionnel et non institutionnel ... 39
1.4 Notions transversales ... 40
1.4.1 Médiation et médiatisation (acquisitionnelles et didactiques) ... 40
1.4.2 Stratégie d’apprentissage et stratégie de communication ... 44
1.4.2.1 Les stratégies d’apprentissage ... 44
1.4.2.2 Les stratégies de communication ... 46
1.4.2.3 De la négociation du sens à la négociation de la forme ... 47
1.5 Synthèse ... 50
Chapitre 2 Trois perspectives didactiques : actionnelle, interculturelle et technologique ... 53
L’enseignement-‐‑apprentissage des LC2 dans la perspective actionnelle ... 55
2.1.1 La notion de perspective actionnelle ... 55
2.1.2 La notion de co-‐‑action ... 56
2.1.3 La perspective actionnelle et la culture d’apprentissage chinoise ... 58
L’approche interculturelle pour l’enseignement-‐‑apprentissage des LC2 : développer des compétences interculturelles dans l’interaction avec autrui ... 59
2.2.1 La notion d’approche interculturelle ... 60
2.2.2 Le développement de la prise de conscience interculturelle et la compétence interculturelle ... 61
2.2.3 La didactique ... 63
Les TIC pour l’enseignement-‐‑apprentissage des LC2 ... 65
2.3.1 Un regard historique sur les TIC dans la didactique des LC2 ... 65
2.3.2 Un projet TIC pour les LC2 : quels enjeux ? ... 70
Synthèse ... 72
Chapitre 3 L’eTandem : état de l’art et expériences ... 74
3.1 L’apprentissage en tandem : notions et historique ... 75
3.1.1 L’apprentissage en tandem ... 75
3.1.2 Historique de l’application du tandem dans l’enseignement-‐‑apprentissage des langues et cultures ... 78
3.2 De l’interaction en tandem face-‐‑à-‐‑face à l’interaction en eTandem, quels changements ? ... 85
3.2.1 Des conversations en présentiel aux conversations à distance : quels changements ?
………..86
3.2.2 Contextes spatiaux des échanges en tandem et en eTandem : asymétrie vs symétrie ………..89
3.2.3 Equilibre entre apprentissage formel et informel ... 90
3.2.4 Interculturalité en face-‐‑à-‐‑face et à distance ... 90
3.3 L’eTandem institutionnalisé ... 91
3.3.1 Nouveaux savoir-‐‑faire ... 92
3.3.2 Collaboration entre équipes pédagogiques ... 93
3.3.3 Coordination et collaboration entre institutions ... 94
3.4 Synthèse ... 94
Partie 2 Analyse macro et micro d’un dispositif eTandem chinois-‐‑français ... 97
Chapitre 4 Présentation du dispositif eTandem chinois-‐‑français ... 104
4.1 Le contexte et la problématique du projet eTandem chinois-‐‑français ... 105
4.1.1 Le potentiel des échanges en eTandem chinois-‐‑français ... 105
4.1.2 Les défis ... 107
4.1.3 Les soutiens institutionnels ... 109
4.2 La conception pédagogique du dispositif eTandem chinois-‐‑français ... 109
4.2.1 Les objectifs pédagogiques ... 109
4.2.2 Les participants visés ... 110
4.2.3 Les TIC et l’interface bilingue du dispositif ... 110
4.2.4 Le module d’ingénierie pédagogique : ADDIE itérative ... 111
4.2.5 Déroulement du cours eTandem chinois-‐‑français ... 112
4.2.5.1 L’inscription ... 113
4.2.5.2 Formation préparatoire ... 113
4.2.5.3 La formation des binômes ... 113
4.2.5.4 La première rencontre ... 113
4.2.5.5 Le déroulement de chaque séance thématique : les activités d’apprentissage avant, pendant et après l’échange ... 114
4.2.5.6 L’évaluation ... 115
4.3 Le développement du dispositif eTandem chinois-‐‑français : design et recherche 116 4.4 Présentation du développement du dispositif eTandem chinois-‐‑français ... 121
4.4.1 Une vision globale ... 121
4.4.2 Le projet pilote ... 124
4.4.3 Le deuxième cycle : première mise en place du dispositif (année académique 2010-‐‑ 2011) ………130
4.4.4 Le troisième cycle : intégration curriculaire initiale du dispositif (année académique 2011-‐‑2012) ... 136
4.4.5 Le quatrième cycle : intégration du dispositif dans le cursus (année académique 2012-‐‑2013) ... 143
4.4.6 Le cinquième cycle : exploitation du dispositif pour les cours en présentiel (année 2013-‐‑2014) ... 152
4.5 Synthèse ... 156
Chapitre 5 Analyse macro : description et analyse des relations entre les facteurs du dispositif eTandem chinois-‐‑français ... 161
5.1 Identification et analyse des facteurs structurants dans le dispositif eTandem chinois-‐‑français avec la théorie de l’activité ... 161
5.2 Les contradictions dans la phase apprenant ... 165
5.2.1 Affordances technologiques des apprenants ... 166
5.2.2 Intégration des tâches dans le cursus ... 167
5.2.3 Tâches ouvertes ou tâches fermées : dilemme ! ... 168
5.2.5 Décalage au niveau des compétences langagières ... 170
5.2.6 Statut du cours et participation asymétrique ... 171
5.2.7 Enjeux autour de la réciprocité ... 171
5.3 Les contradictions de la phase enseignante ... 172
5.3.1 Gestion du temps ... 172
5.3.2 Soutien pédagogique et développement de l’autonomie ... 173
5.3.3 Divergences de conception pédagogique : obstacle à l’ancrage plus profond du eTandem dans le cursus ... 174
5.4 Les contradictions dans la phase institution ... 174
5.5 Synthèse ... 175
Chapitre 6 Analyse macro : confrontations culturelles visibles et invisibles ... 177
6.1 Tension culturelle au niveau institutionnel ... 178
6.1.1 L’historique des disciplines : lettres vs langue appliquée ... 178
6.1.2 Administration institutionnelle : organisation du cours ... 180
6.2 Tension culturelle au niveau enseignant ... 180
6.2.1 La confrontation de la culture éducative : rôle de l’enseignant ... 180
6.2.2 La notion de collaboration aux yeux des enseignants chinois ... 181
6.2.3 La conception de l' « autonomie » pour les enseignants ... 182
6.3 Tension culturelle au niveau étudiant ... 182
6.3.1 Confrontation des cultures éducatives : entre liberté/autonomie et contrôle ... 182
6.3.2 Perdre/garder la face : hypocrisie ? Politesse ? ... 183
6.3.3 Les attentes : se faire des amis ou bien juste avoir un « partenaire linguistique » .. 184
6.3.4 Les tabous ... 185
6.3.5 Tolérance vis-‐‑à-‐‑vis des affaires personnelles ... 186
6.3.6 Individualisme et collectivisme à l'ère digitale : outil de tutorat culturalisé ? ... 187
6.4 Synthèse et réflexion curriculaire ... 187
Chapitre 7 Analyse micro : déroulement des interactions entre pairs ... 192
7.1 Organisation et gestion liées à la distance ... 195
7.1.1 Rituels d'ouverture et de clôture de l’échange ... 195
7.1.2 Catégorisation des styles de gestion de la parole : le format « entretien », le format « professeur » et le format « ping-‐‑pong » ... 202
7.1.2.1 Format « entretien » : donnant-‐‑donnant ... 203
7.1.2.2 Format « professeur » : enseignant-‐‑élève ... 209
7.1.2.3 Format « ping-‐‑pong » : bavarder ... 215
7.1.2.4 Synthèse ... 223
7.2 Collaboration métalinguistique, construction de l’expertise et travail d’apprentissage ... 225
7.2.1 Types de problèmes et traitement ... 226
7.2.1.1 Problèmes de communication et traitement ... 227
7.2.1.2 Problèmes langagiers liés aux spécificités de chaque langue et traitement ... 229
7.2.1.2.1 Problèmes liés aux spécificités de la langue-‐‑culture chinoise et traitement ... 230
7.2.1.2.2 Problèmes liés aux spécificités de la langue-‐‑culture française et traitement ... 239
7.2.1.2.3 Problèmes méritant une recherche plus approfondie ... 244
7.2.1.2.4 Problèmes non identifiés par les interlocuteurs ... 247
7.2.1.3 Problèmes techniques ... 248
7.2.2 Réalisation du rôle d’expert et du rôle d’« apprenant » ... 249
7.2.2.1 Les séquences potentiellement acquisitionnelles (SPA) ... 250
7.2.2.2 Deux styles d’«expert » : le style « focalisé sur le sens », le style « focalisé sur la forme » ………..252
7.2.2.3 Les aides de tiers ... 257
7.2.2.4 Les stratégies du non-‐‑natif : « prise » et « saisie » ... 259
7.2 Les TIC dans les échanges en eTandem ... 262
7.2.1 Problèmes locutoires ... 262
7.2.3 Elément culturel ... 271
7.3 Interculturalité ... 273
7.3.1 Gestion des problèmes interculturels ... 273
7.3.2 Réflexion interculturelle ... 274
7.3.3 Collaboration interculturelle ... 275
7.4 Synthèse ... 277
Chapitre 8 Discussion générale et implications didactiques ... 280
8.1 Discussion générale ... 280
8.2 Implications didactiques ... 283
Conclusion générale et perspectives de recherche ... 288
Bibliographie ... 291
Annexes ... 305
Annexe 1 Questionnaire A (dès l'année académique 2010-‐‑2011, a été amélioré chaque année, 38 questions) ... 305
Annexe 2 Questionnaire B (dès l’année académique 2010-‐‑2011, a été amélioré chaque année, 22 questions) ... 314
Annexe 3 Questionnaire C (Bilan du cours) ... 319
Annexe 4 Tests oral (UniGe) ... 334
Annexe 5 Les traces de travail dans la plateforme Moodle (rapport des activités de l’année 2013-2014) ... 336
Annexe 6 Evaluation institutionnelle (ADEVEN) de l’Université de Genève, la version chinoise traduite par les conceptrices du cours eTandem chinois-‐‑français. ... 338
Annexe 7 Les entretiens collectifs (les questions de l’entretien de l’année 2012-‐‑2013) ... 340
Annexe 8 les huit questions ouvertes de l’entretien avec les participants du projet pilote de l’année 2009-‐‑2010 ... 341
Annexe 9 Les consignes bien standardisées étaient consultables dans un document PDF (les consignes tirées du thème 4 voyage) ... 342
Annexe 10 Annonce du cours eTandem du semestre du printemps 2012-‐‑2013 (nouveau déroulement avec les deux préparations de test) ... 344
Annexe 11 Rapport sur le cours eTandem chinois-‐‑français Année académique 2012-‐‑2013 346 Annexe 12 Transcription des vidéos enregistrées pendant les années académique 2013-‐‑2014 et 2014-‐‑2015 ... 357
Convention de transcription adaptée à des échanges français – chinois ... 357
1415eTh02_BD ... 359 1314eTh03_LG ... 376 1314eTh03_OW ... 390 1314eTh04_AC ... 409 1314eTh04_RY ... 423 1314eTh05_RY ... 439 1314eTh06_RY ... 451 1314eTh07_RY ... 466 1314eTh06_XP ... 480 1415eTh07_MS ... 500 1314eTh08_NZ ... 515
Introduction
« Pendant l’année 2000, un groupe d’étudiants ouvrent un forum sur un cours de grammaire du chinois à forte affluence pour échanger, partager et mutualiser, en dehors de tout cadre institutionnel. Une nouvelle ère commençait… » (Joël Bellassen, 2015)
Avant la vague du Web 2.0, nous ne pouvions pas imaginer ce genre d’échanges hors d'une classe de langue. Cependant, aujourd’hui, la communication via Internet est omniprésente. Nous sommes entrés au vingt-et-unième siècle, ère digitale où l'individu est devenu captif de toutes sortes de nouvelles technologies comprenant les techniques de l’information, de l’audiovisuel, des multimédias, d’Internet, des télécommunications, et des réseaux sociaux. Ces nouvelles technologies jouent un rôle de plus en plus central dans l’évolution des sociétés et affectent significativement les moyens de communication. La mobilité physique est remplacée par la communication en ligne et les échanges professionnels internationaux de tout type et de tout niveau s'effectuent par Internet. Par exemple, la mondialisation des marchés et la montée en puissance du commerce en ligne influencent considérablement notre vie quotidienne, en nous permettant d’obtenir des produits du monde entier sans sortir de chez nous. L’impact des nouvelles technologies se manifeste aussi dans l’internationalisation de l’éducation, un bon exemple étant les MOOCs, phénomène marquant dans le monde de l’enseignement supérieur. MOOC signifie « Massive Open Online Course » que l’on peut traduire par « cours en ligne ouvert et massif » (CLOM). Ces cours, de niveau universitaire, diffusés souvent gratuitement et accessibles sur Internet, sont accessibles pour tout le monde.
Pour répondre à la mondialisation et à l'évolution vers des économies fondées sur la connaissance, Le Conseil européen a souligné que les ressources humaines sont le principal atout de l'Europe. Dans « Compétences clé pour l’éducation et la formation tout au long de la vie : un Cadre de Référence Européen » (2006)1, huit nouvelles compétences sont exigées des futurs employés, dont quatre ont un lien avec la pratique des langues étrangères : communication en langues étrangères, compétence numérique (e-literacy)2, apprendre à apprendre3 et enfin sensibilité et expression culturelles4. Celles-ci correspondent bien à ce qu’a identifié le Cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer (CECR, 2001)5.
1 Les 8 compétences clés sont : la communication dans la langue maternelle ; la communication en langues étrangères ; la
compétence mathématique et les compétences de base en sciences et technologies ; la compétence numérique ; la capacité à apprendre à apprendre; les compétences sociales et civiques ; l'esprit d'initiative et d'entreprise ; et la sensibilité et l'expression culturelles. « Les compétences clés pour l'éducation et formation tout au long de la vie » est un cadre de référence européen. Elles constituent l’annexe d’une recommandation du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006 sur les compétences clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie (voir le site officiel http://eur-‐‑lex.europa.eu/legal-‐‑ content/FR/TXT/?uri=URISERV%3Ac11090 ).
2 Précisément « la maîtrise des technologies de l'information et de communication (TIC) ».
3 Précisément « la capacité d’entreprendre et organiser soi-‐‑même un apprentissage à titre individuel ou en groupe, selon ses propres
besoins, à avoir conscience des méthodes et des offres ».
4 Précisément « la sensibilité et l'expression culturelles qui implique la conscience de l'importance de l'expression créatrice d'idées,
d'expériences et d'émotions sous diverses formes (musique, arts du spectacle, littérature et arts visuels) ».
5 CECR est le résultat d’une recherche du Conseil de l’Europe. Il constitue une approche totalement nouvelle et très détaillée de la
description de l’étalonnage de l’utilisation de la langue et des différents types de connaissances et de compétences que cette utilisation requiert.
Le CECR définit les compétences communicatives langagières6 comme un ensemble de trois compétences : la compétence linguistique, la compétence pragmatique et la compétence sociolinguistique, qui se focalise sur l’utilisation adéquate de la langue, en s’appuyant sur l’importance de développer les compétences interculturelles (savoirs, faire et
savoir-être).
Les modalités de communication à l’ère d’Internet, par exemple le « chat » (clavardage), le blog, le forum, la visioconférence, etc. ont transformé la communication monomodale en une communication multimodale. Elle fait intervenir à la fois plusieurs modes de communication dans l’échange d’information et plusieurs activités communicatives (compréhension orale et écrite, production orale et écrite, interaction, etc.). Par exemple, dans une entreprise, un manager français à Paris discute avec ses collègues à Londres, Shanghai, Tokyo, Sydney, Rio via une visioconférence, et en même temps, il envoie un message depuis son iPhone à son patron parisien qui n’arrive pas à se joindre à leur discussion, tandis qu’il prend des notes pour rédiger un rapport après la réunion.
Ces compétences communicatives interculturelles, sont plurilingues et pluriculturelles. Reprenons l’exemple ci-dessus : le manager, un non-anglophone, maîtrise l’anglais comme lingua franca sur son lieu de travail et l'utilise avec ses collègues venant du monde entier, tout en communiquant en français avec son patron.
Nous parlons aussi de compétence partielle, une maîtrise limitée de la langue, mais aussi une maîtrise qui varie selon les contextes d’utilisation (touristique, professionnel, académique), selon les spécificités de langue (par exemple, la langue chinoise se caractérise par un lien singulier entre graphie et phonie, Bellassen et Zhang, 2015), et en fonction des choix et motivations de l’apprenant (pour voyager, faire du business ou faire des études). Par exemple, pour le manager ci-dessus, c'est une bonne maîtrise de la réception et production à l'oral qui prime, alors que pour un chercheur universitaire, c'est une bonne maîtrise de la réception et production à l’écrit qui est prioritaire, car celle-ci lui permet de lire et produire des travaux scientifiques.
Nos étudiants d’aujourd’hui se trouvent dans une société plurilingue et pluriculturelle (Gajo, 2003). Ils sont nés à l'ère numérique, et l’utilisation des nouvelles technologies fait partie de leur vie quotidienne. L’accès aisé à une énorme quantité d’informations exige d'eux de nouvelles capacités à traiter l’information et de nouvelles compétences communicatives et multimodales pour réussir leurs études dans un environnement où l’éducation est devenue de plus en plus internationale. De plus, l’apprentissage ne se limite pas à la classe, mais se prolonge hors de la classe, et même tout au long de la vie. Le fait que les étudiants de l’INALCO mentionnés ci-dessus utilisent le forum pour échanger, partager et mutualiser en est un bon exemple. Ceci devrait être pris en compte par les didacticiens des langues et par la communauté enseignante.
6 Le terme « compétence » désigne ici, conformément au CECR, les savoir, savoir-‐‑faire et attitudes, relevant aussi bien des
compétences générales que de la compétence à communiquer langagièrement. L’usager de la langue forge ces compétences au fil de son expérience et celles-‐‑ci lui permettent de faire face aux exigences des activités communicatives dans les divers contextes (CECR, 2001).
Comment rendre l’enseignement-apprentissage des langues efficace en vue de développer des compétences communicatives langagières multimodales et interculturelles ? Cette question est devenue une problématique pour tous les enseignants et chercheurs du domaine. L’exploration et la recherche en méthodologies de l’enseignement des langues ont considérablement évolué durant les dernières décennies, et en particulier la conception même de l’apprentissage/acquisition des langues étrangères, passant d’un phénomène purement cognitif à un phénomène social et culturel dans lequel l’utilisation des langues dans un « socially-mediated world » (Atkinson, 2002) est fondamentale. L’évolution de la conception de l’apprentissage des langues influence directement la didactique des langues.
Dans les années 1970, un grand tournant s’opère avec l’apparition de l’approche communicative, qui consiste à favoriser la communication à l’aide de l’utilisation des langues plutôt que la connaissance linguistique. Cette approche permet ainsi de rendre compte de la réalité de l’usage de la langue en tant qu’outil de communication sociale. Elle s’enrichit dans la perspective actionnelle 7 qui prône une plus grande authenticité des situations de communication pour l’apprentissage.
Les apports des TIC8
dans l’enseignement-apprentissage des langues étrangères, surtout l’augmentation du temps d'exposition à la langue cible, ont été soulignés par de nombreuses études empiriques. De plus, avec les technologies du Web2.0 (les réseaux sociaux, les blogs, les wikis, les sites de partage de documents), ils présentent l’avantage potentiel d’offrir plus de contact avec un environnement linguistique authentique et plus d’occasions de communiquer avec des locuteurs natifs.
L’accessibilité des technologies Web 2.0, la reconnaissance de l'indissociabilité entre langues et cultures dans la didactique des langues-cultures, de l’importance du rôle de l’interaction dans et pour l’apprentissage des langues-cultures, de l’exigence des nouvelles compétences, en particulier la e-littéracie, etc. orientent la pratique et la recherche vers le domaine de l’interaction et de l’échange en ligne (Online Interaction and Exchange, OIE, Dooly et O’Dowd, 2012) ou télécollaboration (Belz, 2003 ; O'Dowd & Ritter, 2006 ; O'Dowd, 2005, 2007). « La télécollaboration désigne l'utilisation d'outils de communication en ligne pour faire travailler ensemble des classes géographiquement distantes afin de développer leurs compétences langagières et interculturelles » (O'Dowd, 2012, cité et traduit par Nissen et Mangenot, 2012 : 3)9
. Elle permet de travailler simultanément plusieurs compétences : langagières, interculturelles, multimodales et disciplinaires. Parmi les divers modèles
7 « La perspective privilégiée ici est (…) de type actionnel en ce qu’elle considère avant tout l’usager et l’apprenant d’une langue
comme des acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches (qui ne sont pas seulement langagières) dans des circonstances et un environnement donnés, à l’intérieur d’un domaine d’action particulier (…). Il y a « tâche » dans la mesure où l’action est le fait d’un (ou de plusieurs) sujet(s) qui y mobilise (nt) stratégiquement les compétences dont il(s) dispose (nt) en vue de parvenir à un résultat déterminé » CECR, 2001.
8 Le terme TIC désigne les outils informatiques, matériels et logiciels utilisés, par exemple le réseau Internet, les logiciels de
bureautique, messageries, etc. Le terme TICE désigne les outils plus particulièrement conçus à des fins éducatives, par exemple un portail éducatif sur le réseau Internet, des didacticiels, CD-‐‑Rom, etc. Nous prenons ici le terme plus général TIC dans le cadre de notre thèse, car certains outils ne sont pas conçus pour l’enseignement mais peuvent être utilisés dans ce but, par exemple Skype, Wechat, les blogs, les forums, etc.
9 le texte original en anglais : « The application of online communication tools to bring together classes of language learners in geographically distant locations to develop their foreign language skills and intercultural competence throught collaborative tasks and project work » (O’Dowd, 2012 : 123).
télécollaboratifs, le eTandem10, à savoir le « tandem à distance », est reconnu comme un modèle idéal pour développer les compétences langagières et l’autonomie des apprenants en dehors de la classe de langue (O’Rourke, 2007).
L’apprentissage en eTandem, issu de l’apprentissage en tandem (face-à-face), permet à deux locuteurs de langue maternelle différente de communiquer pour mener ensemble leur apprentissage en s’aidant l’un l’autre. Il se fonde sur l’autonomie des participants et sur la réciprocité (Little et Helmet, 1996). L’échange en eTandem exige une (co-) construction de sens entres les interlocuteurs, ce qui implique également des stratégies de négociation du sens et de négociation de la forme (Develotte et Mangenot, 2007 ; Zourou, 2009). Par ailleurs, comme la communication s’articule toujours entre personnes appartenant à des communautés de langues et de cultures différentes, cet échange facilite également l’apprentissage interculturel (Rancière, 2004) et la construction d’une dynamique d'autonomisation sociale (Lewis, 2014).
Les potentialités offertes par les TIC, avec notamment la pratique de la visioconférence, modifient considérablement les conditions d’apprentissage en eTandem. Ainsi s’ouvre un nouveau champ d’étude et d’analyse qui commence à mobiliser les chercheurs dans le domaine de l’acquisition et de la didactique des langues et cultures.
Sa « normalisation »11
(Bax, 2003 ; Chambre et Bax, 2006 ; Bax, 2011), c’est-à-dire son intégration dans un environnement d’apprentissage institutionnel, favorise l’apprentissage grâce aux nombreux soutiens pédagogiques qui peuvent être mis en œuvre (Brammerts 1996 ; Helmling, 2005 ; Chambre et Bax, 2006 ; O’Dowd, 2010). Cependant, l’institutionnalisation des échanges en eTandem amène des changements fondamentaux : de la collaboration locale vers la collaboration internationale, de la situation mono-institutionnelle à la situation bi-institutionnelle (ou même multi-bi-institutionnelle), d’une mono-pédagogie à une bi-pédagogie (ou même multi-pédagogie). Ces changements suscitent des rencontres de diverses disciplines, par exemple études philosophiques, langues appliquées, sciences, etc. Une réflexion curriculaire au niveau de l’apprenant, au niveau de l’enseignement et au niveau institutionnel est donc nécessaire pour mettre en œuvre le eTandem de manière appropriée.
Le potentiel du eTandem pour l’enseignement-apprentissage des langues et cultures étrangères a suscité un grand intérêt au niveau de la pratique et de la recherche, non seulement pour les langues-cultures « proches », comme par exemple entre les langues-cultures anglaise et allemande, mais aussi pour les langues-cultures « distantes»12, comme par exemple entre les langues-cultures chinoise et française.
10 Depuis 2000, le terme de « eTandem » est employé pour désigner le terme « tandem à distance » parce que la coopération s’appuie
presque toujours sur des médias électroniques (Brammerts et Calvert, 2003 : 33). Après le projet eTandem Europa, le terme « eTandem » est devenu un terme standard pour le tandem basé sur Internet (Cziko, 2004).
11 Le terme « normalisation » est défini dans le sens « only when CALL is normalised will teachers and learners reap its full benefits.
Only when the technology is normalised, and therefore as invisible and natural as whiteboards and pens, will it have found its proper place in language education» (Chambers et Bax., 2006).
12 Langue distante : la didactique romane préfère l’opposition entre langues apparentées et langues non apparentées génétiquement.
Les termes « langues voisines », « langues proches », « langues apparentées », « langues sœurs » fonctionnent comme des quasi synonymes et s’opposent, dans le cadre de l’enseignement/apprentissage des langues étrangères ou secondes, à « langues lointaines ou éloignées », « langues distantes » ou « langues rares ». La différence entre ces deux catégories réside dans la possibilité ou non d’intercompréhension, mais chaque didactique trace de façon arbitraire les frontières entre les notions de langues étrangères,
Cependant un projet eTandem entre des langues-cultures « distantes » relève le défi de les placer dans un même dispositif institutionnalisé. Ceci exige un « mariage sous conditions » (Springer, 2005) qui doit aborder les aspects suivants : spécificités des deux langues-cultures « distantes », construction collaborative des tâches, collaboration et reconnaissance interinstitutionnelle, mise en place institutionnelle, soutien technologique, et rencontre de deux champs disciplinaires.
A partir de l’analyse des recherches antérieures sur la Télécollaboration et tout particulièrement sur le eTandem, un projet pilote de cours eTandem chinois-français a été initié en 2009 entre l’Unité des études chinoises de l’Université de Genève (Suisse) et le Département de français de l’Université du Hubei (Chine). A partir des résultats de ce projet pilote, un cours eTandem chinois-français destiné aux étudiants de deuxième année a été conçu et implémenté dès l’année académique 2010-2011. Certains étudiants du Département chinois de l’INALCO ont rejoint le projet à partir de 2012-2013. L’objectif de ce cours eTandem était de mettre en relation des apprenants francophones de chinois et des apprenants sinophones de français dans un processus d’apprentissage collaboratif de leurs langues et cultures respectives, en modes asynchrone et synchrone. Ce projet eTandem chinois-français a été conçu non seulement en tant que cours visant à développer les compétences langagières et interculturelles des apprenants de CLCE et de FLCE, mais aussi en tant que projet de recherche présentant des caractéristiques de « Design-Based Research » et de « recherche-action ». Le développement de ce projet est itératif, sur cinq cycles (2010-2015). Chaque cycle pose des questions opérationnelles précises visant à améliorer le cycle suivant.
Notre expérience soulève la question de la mise en œuvre d’un dispositif eTandem alliant les deux disciplines « études chinoises » et « langue appliquée », démarche qui s’avère jusqu'à présent très rare dans les recherches et les pratiques sur le eTandem, celles-ci étant plutôt construites à partir des « langues appliquées ». Dès le début de cette recherche, nous avons perçu une tension entre les deux disciplines susmentionnées présente dans la scénarisation et la réalisation de notre projet. Cependant, nous avons persévéré, car nos enquêtes montraient chez les étudiants un fort besoin de pratiquer la langue avec le natif. Ce constat nous permettait de bâtir notre projet sur un terrain commun réunissant les deux disciplines.
D’une part, le projet eTandem chinois-français nous a menée à une réflexion sur le statut et la construction d’une nouvelle discipline («la didactique des langues et cultures chinoises ») impliquant les formations de spécialité LLCE (langue, littérature et civilisation étrangères) et les formations de chinois LEA (langues étrangères appliquées) qui met l’accent sur la « langue appliquée » et exige une bonne maîtrise communicative. En même temps, cette démarche nous autorise à réfléchir sur l’avenir de la discipline traditionnelle « études chinoises », qui met l’accent sur la « sinologie » et exige une connaissance profonde de la civilisation chinoise. Ainsi, se pourrait-il que ces deux disciplines se positionnent en deux pôles contradictoires, ou bien trouvent un terrain d’entente ?
langues voisines, langues proches, etc.(Robert, 2004). Ici nous pouvons comprendre aussi que la langue chinoise, comparée avec le français, est considérée comme une langue particulièrement distante géographiquement, culturellement, linguistiquement, graphiquement (Bellassen, 2011).
D’autre part, concernant la construction de la discipline FLCE en Chine, ce projet nous conduit à envisager l’intégration du eTandem dans le cursus d’un département français. Un des grands problèmes dans l’enseignement des langues étrangères en Chine était et est toujours le manque de contact avec les locuteurs natifs. Le modèle de cours proposé dans cette thèse peut constituer une piste de résolution de ce problème.
Un regard longitudinal porté sur le développement du dispositif eTandem chinois-français, sur la rencontre interdisciplinaire et interculturelle, sur la conception des tâches communicatives en situation réelle et sur l’intégration progressive dans les curricula universitaires, a donné l'impulsion nécessaire au présent projet de thèse. Nous avons affronté de nombreux défis dans le processus de « normalisation » du dispositif eTandem, dans la collaboration entre enseignants de profil différent ainsi que dans l’encadrement des étudiants sinophones et francophones. Nous nous sommes rendue compte progressivement que c’est dans cette pratique et cette étude longitudinale que nous comprenions le mieux la dynamique et le déroulement du dispositif eTandem chinois-français. A partir de cette connaissance, nous précisons nos deux points d’intérêt principaux : l’un s’appuie sur la compréhension de l’ensemble du projet eTandem en tant que système d’activités humaines, faisant intervenir divers facteurs d’influences sur ce même système, et l’autre s’appuie sur le déroulement de l’échange entre les binômes, précisément la réalisation de l’apprentissage des langues-cultures à partir de ces échanges.
Nous essayons de découvrir la dynamique de l’intégration institutionnelle du eTandem en tenant compte de l’interdépendance de multiples facteurs : l’apprenant, son partenaire, les enseignants et l'environnement (contextes institutionnels, matériels et soutiens informatiques). En même temps, nous essayons de décrire l’interaction entre les partenaires : découvrir ce qui se passe pendant l’échange en eTandem, catégoriser chez les apprenants les différentes façons d’organiser et de gérer l’interaction, mettre en évidence comment s’effectue l’apprentissage dans l’interaction à travers les TIC.
Nous adoptons une méthode d’analyse macro et micro à partir des données récoltées au cours de la période 2010-2015, notamment celles relevées dans les questionnaires, les évaluations institutionnelles, les bilans du cours, les traces de travail sur la plateforme, les tests oraux, les entretiens et les séances d’interaction filmées. Tout en ayant conscience de l’importance de l’analyse quantitative, notre analyse principale s’appuie sur l’analyse qualitative. Cette méthode nous permet de nous appuyer sur le principe d’articulation de différentes perspectives conceptuelles et méthodologiques adéquates pour étudier des aspects aussi variés et pertinents que possibles du phénomène visé (Flick, 2009). En prenant en compte la complexité du contexte et des processus acquisitionnels, nous pouvons observer les évolutions du dispositif sur le long terme et effectuer des analyses fines. Ceci nous permettra de tirer des principes généraux pouvant s’appliquer à d’autres recherches et pratiques.
En qui concerne sa structuration, ce manuscrit comporte deux parties. La première partie présente le cadre théorique et comporte trois chapitres.
Dans le chapitre 1, le cadre théorique cible le domaine de l’acquisition / apprentissage des langues. En présentant une vision globale des théories de l’acquisition/apprentissage des langues, nous nous positionnons sur la théorie interactionniste : l’acquisition/apprentissage des langues se construit dans et pour l’interaction. A partir de la théorie interactionniste, nous étudions à la fois la relation entre interaction et acquisition, ce qui nous amène à caractériser la communication exolingue, et les méthodes et outils d’analyse pertinents. Les notions transversales telles que médiation et médiatisation, stratégies d’apprentissage et de communication, sont également abordées. Dans le chapitre 2, la construction du cadre théorique se poursuit avec le champ de la didactique des langues. Nous en développons trois dimensions particulières : la perspective actionnelle, l’approche interculturelle et l’application des TIC dans l’enseignement des langues et cultures étrangères (LC2. Le chapitre 3 concerne l’apprentissage en tandem. Nous présentons d’abord les concepts et retraçons l’historique de l’approche tandem dans l’apprentissage et l’enseignement des LC2. Ensuite, nous faisons une comparaison entre tandem en face-à-face et eTandem et nous arrêtons sur ce dernier. Après un panorama des recherches et projets sur les dispositifs eTandem existants, nous essayons d’identifier les facteurs les plus influents dans la conception d’un dispositif eTandem.
Dans la deuxième partie nous menons deux analyses fondées sur les expériences et les données récoltées lors d’un projet longitudinal : un dispositif eTandem chinois-français. Nous présentons en premier lieu ce projet au chapitre 4. Celui-ci en présente le contexte et la problématique, la conception pédagogique et le développement au cours des années 2010-2014. La perspective « ingénierie pédagogique » et l’aspect « recherche » sont présentés dans le cycle d’évolution de chaque année académique. Nous procédons ensuite à l’analyse macro de la dynamique de l’ensemble du dispositif eTandem chinois-français avec l’outil de la « théorie de l’activité » au chapitre 5. Cette dernière analyse dévoile certaines contradictions entres les éléments impliqués. Nous essayons de les synthétiser et de les catégoriser selon trois dimensions : apprenant, enseignant et institution. Et c'est ce qui nous conduit vers la dimension culturelle et interculturelle au chapitre 6, qui aborde les tensions palpables, causées par des conflits culturels, à la fois visibles ou explicites (par exemple notées ou mentionnées par les étudiants) et invisibles ou implicites (par exemple identifiées par l’analyse ou émergeant progressivement). Ensuite, nous effectuons une analyse micro des interactions en binôme au chapitre 7. Nous terminons cette partie avec une discussion générale sur les deux analyses et les indications pédagogiques au chapitre 8. Enfin, nous concluons notre thèse en proposant des applications concrètes et quelques pistes pour de futures recherches.
L’objectif de cette partie est de nous positionner par rapport aux théories de l’apprentissage. Au chapitre 1, nous dressons un état des lieux décrivant différentes perspectives sur l’apprentissage des langues en offrant une vision globale. Nous nous positionnons alors sur la façon dont les individus apprennent les langues : l’acquisition se construit dans et par l’interaction. Or, cette perspective d’apprentissage se concrétise lors de la pratique de la langue étudiée dans différentes situations et c’est pourquoi notre intérêt se porte sur la communication entre natif et non-natif. Ce qui nous amènera à étudier la notion de communication exolingue et ses caractéristiques ainsi que le contrat didactique qui permet d’y développer les compétences langagières et interculturelles. Les notions transversales de médiation et médiatisation des TIC en tant qu’outil culturel et social et agent du processus d’apprentissage, ainsi que les stratégies de communication et d’apprentissage au travers des TIC dans la communication exolingue en ligne seront abordés par la suite.
Au chapitre 2, à partir des éléments essentiels de la didactique des langues-cultures étrangères (publics visés, objectifs à atteindre, contenus et théories d’enseignement, méthodes et pédagogie à mettre en œuvre), nous constatons que trois axes se dégagent : l’axe actionnel, l’axe interculturel et l’axe technologique. L’axe actionnel demande à ce que l’enseignant conçoive un ensemble de tâches sociales et authentiques, afin d’exercer le rôle social de l’apprenant. L’axe interculturel est un guide destiné aux enseignants pour créer des tâches et environnements appropriés, afin que l’apprenant puisse avoir le plus d’expériences directes avec la langue-culture cible et développe des compétences interculturelles (savoir,
savoir-faire, savoir-être). Enfin, l’axe technologique permet d’exploiter le potentiel des TIC dans
l’enseignement des langues étrangères, ce qui stimule et enrichit l’apprentissage. C’est au travers des TIC que nous réfléchissons à une pédagogie axée sur une prise de conscience actionnelle et interculturelle. De plus, la question de l’application de ces trois axes dans des cultures éducatives différentes, notamment la Chine, la France et la Suisse est abordée.
Les trois axes mentionnés ci-dessus sont indissociables et se rejoignent dans le sujet traité au chapitre 3 : l’eTandem. Tout d’abord, nous retraçons l’origine et l’histoire des échanges en tandem, du tandem face-à-face au tandem à distance, puis effectuons une comparaison entre ces deux types et en dégageons les différents aspects, pour enfin catégoriser les caractéristiques des interactions en eTandem. L’analyse de nombreux projets de recherche sur ce sujet met en lumière l’importance de l’institutionnalisation des échanges en tandem ou en eTandem. Sont ensuite présentés les facteurs déterminants dans la mise en place et la réalisation de tels projets pédagogiques fonctionnant sur les échanges en eTandem. Cette analyse établit les bases de la conception pédagogique de notre projet eTandem chinois-français, objet même de notre recherche, décrit à la fin de cette partie.
Chapitre 1 L’acquisition-apprentissage des
langues-cultures étrangères (LC2) : différentes
perspectives
Dans ce chapitre, nous construisons le cadre théorique qui sous-tend notre projet de recherche.
Dans un premier temps, en distinguant les notions d’acquisition et d’apprentissage, nous présentons différentes théories sur l’acquisition et l’apprentissage des langues et cultures étrangères (LC2) : béhaviorisme, cognitivisme et constructivisme, socioconstructivisme et interactionnisme. C’est dans cette dernière perspective que nous nous positionnons : l’acquisition/apprentissage des LC2 selon la perspective interactionnelle. La présentation se focalise sur les points suivants :
• les théories sur l’acquisition/apprentissage en général, leur croisement avec les théories linguistiques ainsi que quelques repères historiques ;
• leur regard respectif sur l’acquisition/apprentissage des LC2 en mettant l’accent sur quatre éléments : la langue ou le langage comme objet ou objectif d’acquisition/apprentissage ; le rôle ou la place de l’enseignant et surtout de l’apprenant (passif ou actif) ; la nature et la fonction de l’interaction (mécanique ou communicative); l’environnement d’acquisition/apprentissage de la LC2 (interaction sociale).
Dans un deuxième temps, nous nous intéressons plus spécifiquement aux approches interactionnistes et situons deux courants principaux : le courant input interactionniste nord-américain, qui se centre sur les interactions entre natifs/non-natifs et sur la définition du rôle de l’input (l’exposition aux données de la langue cible) et de l’output (la production en langue cible) dans l’acquisition d’une L1 ou d’une L2; l’approche interactionniste francophone, qui se focalise sur les séquences interactionnelles favorables à l’acquisition/apprentissage d’une LC2. Le point commun entre ces deux courants est que l’acquisition se construit dans l’interaction. Les notions d’input (input compréhensible, input prémodifié, input modifié) et d’output (production) de la perspective interactionniste sont très pertinentes pour notre projet de recherche. Elles nous aideront à comprendre le mécanisme de l’échange en eTandem : quels types de stratégies développe le natif pour aider le non-natif (hypothèse : il modifie son input pour qu’il soit plus compréhensible pour son partenaire) et comment le non-natif réagit (hypothèse : il accepte ou refuse). Les outils proposés par les approches interactionnistes nous permettent de comprendre les conditions et les mécanismes socio-interactifs (négociations interactives, tâches communicatives, structures de participation, etc.) qui cadrent les processus d’acquisition/apprentissage.
Dans un troisième temps, comme notre intérêt de recherche porte sur l'acquisition de la LC2 et la communication exolingue, en particulier les échanges en eTandem, nous introduisons la notion de communication exolingue. Nous analysons l’acquisition qui s’effectue par et dans la
communication exolingue dans ses liens avec le contrat didactique, l’acquisition formelle/informelle et l’apprentissage institutionnel/non institutionnel.
L’objectif est de positionner l’acquisition/apprentissage en tandem/eTandem à l’intersection entre formel et informel. Cette position sera utilisée plus tard pour présenter les avantages et les limites des échanges tandem. Elle nous servira aussi à faire une comparaison entre échanges tandem face-à-face et en ligne.
Dans la dernière partie de ce chapitre, en complément aux recherches en linguistique et en didactique des langues-cultures étrangères, nous présentons des notions transversales estimées pertinentes pour notre projet de recherche : d’une part, la médiation et la médiatisation ; d’autre part, les stratégies de communication et les stratégies d’apprentissage.
1.1 Présentation
de
quelques
théories
de
l’acquisition/apprentissage
des
langues-cultures
étrangères (LC2)
1.1.1 Le béhaviorisme
Le béhaviorisme est une théorie de psychologie de l’apprentissage apparue au début du 20ème siècle. Cette théorie, combinée avec le courant structuraliste en linguistique, a fortement influencé l’enseignement et l’apprentissage des langues étrangères.
Le béhaviorisme naît des travaux expérimentaux sur les comportements des animaux et des humains. Les études montrent que les animaux et les humains développent certaines habitudes après avoir été conditionnés pendant un certain laps de temps. L'émergence de ces nouvelles habitudes correspond au conditionnement classique pavlovien stimulus-réponse : il s’agit d’un changement de comportement résultant d’un changement conditionné. Skinner (1957) ajoute que l'apprenant est influencé par son environnement (stimulus) auquel il réagit (réponse) et reçoit à son tour une réaction (renforcement). Le renforcement positif associé à la réponse permet d’accroître la probabilité d’apparition de celle-ci tandis que le renforcement négatif la diminue ou l’annule (Gaonac’h, 1991 : 30).
Nous pouvons dire que les stimuli (explicites ou implicites) sont des facteurs externes provenant de l’environnement, tout comme le renforcement. Ils jouent un rôle fondamental pour déclencher chez l'apprenant la production d'une réponse (explicite ou implicite) correcte, immédiate et observable. Pour les béhavioristes, tout comportement d'apprentissage peut être expliqué par ce mécanisme stimulus-réponse-renforcement, l’apprentissage d’une langue étrangère ne fait pas exception.
Le langage, pour les béhavioristes, est un objet d’apprentissage, précisément, une série de comportements verbaux. « L’enfant acquiert le comportement verbal quand des vocalisations