• Aucun résultat trouvé

Le théâtre en liberté de Victor Hugo.

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Le théâtre en liberté de Victor Hugo."

Copied!
101
0
0

Texte intégral

(1)
(2)

(Srabuate Stuoies.

(3)
(4)

îhèse présentée par Alice M. Sharples, pour le degré de

Maître-ès-Arts.

(5)

1. PREFACE.

S. ORIGINE ET HISTORIQUE LU THEATRE EU LIBERTE.

A. Les Origines.

B. Musset, Précurseur de Victor Hugo.

C. Historique.

D. Critique Contemporaine.

3. RAPPORT LU THEATRE EN LIBERTE AVEC L

T

OEUVRE ROMANTIQUE

DE VICTOR HUGO.

A. Personnages et Situations

B. L'Evolution des Idées Religieuses de Victor Hugo.

C. L

f

Evolution des Idées Politiques de Victor Hugo.

4. LA NOUVEAUTE DU THEATRE EN LIBERTE.

A. Renouvellement des Formules.

B. La Forme.

5. CONCLUSION.

6. BIBLIOGRAPHIE.

(6)

les divisions suivantes qui nous paraissent logiques: La première traitera des origines, et de l'historique du Théâtre. Cette division renfermera des remarques sur le théâtre d'Alfred de Musset,-qui, comme nous tacherons de le montrer, a été le précurseur de Victor Hugo, dans ce genre dramatique,- et les jugements de la critique contemporaine.

Une deuxième division discutera les rapports du "Théâtre en Liberté1*, avec l'oeuvre Romantique de Victor Hugo.

Nous voulons nous débarrasser, tout d'abord, des réminis-cences et des échos de l'inspiration romantique, qui sont présents dans le théâtre livresque, et puisqu'il nous paraît

que ce sont surtout les^ situations et les personnages, qui sont encore de l'ancienne école, nous allons ainsi intituler la section A de cette division. Les sections B, et G, mon-treront l'évolution des idées politiques et religieuses du poète, ainsi qu'elles se manifestent dans le "Théâtre en Liberté"

Dans notre troisième division, nous essayerons de montrer les. nouveautés qui caractérisent le"Théâtre en Liberté". La

section A traitera du Renouvellement des Formules Dramatiques, et la section B. de la forme.

(7)
(8)

Dès 1843, au lendemain de la chute des "Burgraves", Victor

Hugo semble avoir dit un adieu définitif au théâtre , c'est

à dire au théâtre réel, effectif, restreint par les trois

murs de la scène, et par le quatrième, cette bouche d(ombre

où murmuraient, applaudissaient, et malheureusement, parfois

sifflaient les spectateurs. Désormais, il donnerait libre

cours à sa fantaisie. Ses idées s'étalent et prennent

leurs aises, dans "ce théâtre idéal que tout homme a dans

son esprit"

Quelles sont les raisons de son relâchement de sa

car-rière dramatique qu'il a poursuivie avec tant de zèle

pen-dant treize ans? Il nous fournit deux explications dans,

"Victor Hugo Raconté" La première c'est le succès dont

Rachel jouissait au moment des "Burgraves" Rachel a

in-auguré une renaissance des chefs-d'oeuvre de l'école

classique qui a beaucoup souffert aux mains des auteurs

sans talent, qui, tout en suivant les règles classiques,

n'ont pas su faire vivre leurs créations, et pour le

mo-ment la partie semblait être au camp opposé.

La deuxième, c'est que Victor Hugo était las d'offrir

ses pensées à la foule incapable de les apprécier. „I1

allait avoir la tribune"

(9)

En effet sa carrière dramatique a consisté en une série de combats. En jetant un coup d'oeil sur son théâtre,

depuis "Hernani", cette tumultueuse "prise de la Bastille" jusqu'à la chute véritable et déconcertante, des "Burgraves" nous ne voyons qu'une seule pièce qui ait joui, d'un sort heureux, tranquille et réussi, — c'est "Ruy Blas:.' Quand aux autres; "Liarion Delorme" a été d'abord interdit. "Le

roi s'amuse" a été suspendu, suite: un procès, et "Lucrèce Borgia" et "Marie Tudor", ont reculé, malgré toute résistance les bornes de l'émotion théâtrale. Notons aussi le procès

que le dramaturge a soutenu contre la "Comédie Française", au sujet d'"Hernani", et "Angelo", parce que le nombre de

représentations indiquées dans le eontrat n'avait pas été donné.

Il y avait, non seulement ces luttes aux représentations, ces procès, et ces interdictions, mais aussi des difficul-tés avec les actrices. "Hernani" était affligé par les crises de Mlle. Mars. Dans "Angelo" il y avait les que-relles des actrices du talent opposé. "Les Burgraves" fv4~

B*m&tfdL le procès de Mlle. Max in e.

Impossible de s'étonner, si, à la fin, le poète en eût assez. On comprend bien qu'il se réfugie dans un théâtre livresque, quand on lit,"D'ailleurs les contradicteurs des livres n'ont pas la puissance de ceux des drames. Ils

(10)

n'ont pas le sifflet, avec lequel trois ou quatre ennemis peuvent percer les applaudissements de toute une salle,

déconcerter les acteurs, interrompre l'émotion, déformer la pièce. Ils ne peuvent pas faire tomber la toile avant la fin. Le livre attaqué, nié, insulté, continue. Le lecteur sympathique n'est pas troublé par le lecteur mal-veillant. Les articles furieux sont souvent ceux qui font le plus lire l'ouvrage, et les éditions se multiplient avec les invectives"

Une autre explication de cette lassitude du théâtre se devine. Est-ce que le dramaturge lui-même, n'a pas réalisé que la veine romantique était épuisée, que son genre deven-ait monotone, qu'il ne fdeven-ait que répéter les mêmes compli-cations, les mêmes situations, et les mêmes personnages? Cromwell et Carlos attendent pareillement leurs assassins. Barberousse, comme l'un et. l'autre, discourt 3ur la poli-tique. Il réprimande les Burgraves, comme Ruy Blas

invective les ministres; comme St.Valier ou Naugis apostrophe Françoisl, ou Louis xlll. Caterina et Eégina sont sauvées par des narcotiques. Dona Ilaria vient au secours de Ruy Blas, comme LIarion au secours de Didier. Treboulet tue sa fille,

(11)

en croyant frapper un ennemi. .De même Lucrèce Borgia tue

son.fils, et Marie Tudor son favori. Lucrèce et La Tisbe

sont frappées par celui qu'elles aiment etc.

Ce qui nous mène à croire à cette explication, c'est le

fait qu'il n'a pas terminé "Les Jumeaux".

Mme. R. Lesclide nous offre comme explication de

l'in-achèvement du manuscrit, l'histoire suivante: Victor Hugo,

parait-il, a eu l'imprudence de parler à quelques amis du

sujet qu'il traitait. Il fut trahi par l'indiscrétion de

l'un d'eux. Alexandre Dumas aurait eu vent de la chose,

et il aurait devancé son ancien ami, en publiant "Le

Vi-comte de Bragelonne"

Cette légende, répandue à une époque où Dumas ne

pou-vait plus répliquer, n'a rencontré que peu de créance.

M. Biré fait très justement observé que "Le Vicomte de

Bragelonne" n'a paru qu'en 1847. Du reste l'histoire du

"Masque de Fer" n'était pas si peu répandue que Victor

Hugo ait pu la considérer comme une propriété littéraire.

Il nous semble plus logique de croire, qu'en relisant

les actes ébauchés, l'auteur s'est rendu compte qu'ils

n'étaient que des reproductions, des réminiscences.

Les récriminations des seigneurs contre Mazarin

rappel-lent les mécontents de "Marion lelorme". Les tirades

(12)

politiques de troisième acte, évoquent le souvenir du monologue de Charles Quint, et les discours de Ruy Blasj tandis que les doléances de la Reine-Mère sont presque le 1

pendant de celles de Louis Xlll.

Ainsi,par un désir de vérité, il abandonne ces formules usitées. Une conception différente s'offre à son esprit,-celle d'un théâtre moins populaire, où d'autres éléments

prédomineraient, où des effets plus délicats seraient obtenus. Le Lyrisme,dont il s'est déjà servi dans ses drames, lui

paraît une mine à creuser plus profondément,--ainsi que l'inspiration épique, toujours chère au poète. Nous savons comment la tentative dans ce dernier genre ^ écroulé^ Un théâtre étayé sur de tels fondements, déroutait par trop les habitudes du public. Il était condamné d'avance. Il ne pouvait guère être, qu'un théâtre en liberté, que le spectateur dédaignera, mais dont le lecteur, commodément installé dans son fauteuil, se jouera des fragments à lui-même, sur la scène de sa fantaisie. A ce propos, notons cette phrase du poète, qu sujet du goût. " Cependant, con-statons -J.e, ou, si l'on veut, avouons -de, devant le grand

A

gout aisément admis au lecteur, le spectateur et l'auditeur se hérissent volontiers" "L1imagination,immense don

1. Hernani, Marion Delorme,—Victor Hugo. 2. . Les £>urdro^gs

(13)

solitaire est refusée aux hommes assemblés"

Il est intéressant,à ce propos, de signaler ce passage de Louis Ganderax, dans un article sur le Théâtre, propre-ment dit, de Victor Hugo, "Au théâtre, plus qu'ailleurs, Hugo est demeuré l'enfant sublime. Sa psychologie, son érudition, sa dramaturgie, sous le couvert de la nature,de l'histoire, et de Corneille, sont puériles. Sa poésie est admirable. Liais, ces merveilleux poèmes, ces chefs-d'oeuvre lyriques, qui n'expriment rien qu'un même talent,--pourquoi les faire réciter sur la scène,par plusieurs acteurs vêtus de costumes divers, qui nous donnent à entendre par leur

aspect et leurs noms, qu'ils sont des personnages différents des héros historiques, prêts à parler et agir pour leur

compte, selon la logique de leur caractère, de leur passion et des circonstances? Nous voyons,presque aussitôt, qu'il

n1en est rien. Cet essai d'abus de confidence nous fâche.

Cette déception nous irrite, et le plaisir de la poésie, le seul que nous trouvons là, nous devient, dans ces méchantes conditions, une fatigue, et un ennui. Prenons-le, comme il faut, ce plaisir dans un fauteuil au coin du feu d'hiver, sous l'ombrage en été"

2."Postscriptum de ma vie"-Viotor Hugo '74-1886. 3,"Revue des Deux Mondes"

(14)

{$ MUSSET, PRECURSEUR DE VICTOR HUGO.

Victor Hugo n'a pas été sans précurseur dans ce théâtre de fantaisie et d'imagination, destiné au public de la bibliothèque. A ce propos, le nom d'Alfred de Musset s'impose impérieusement.

L'Adieu à la scène suivant la chute des "Burgraves" de Victor Hugo, a été devancé de quelques années par la resolution de Musset d'abandonner le théâtre réel, (àla

suite de l'échec de "La nuit vénitienne") et de s'adresser à l'avenir au lecteur plutôt qu'au spectateur.

En comparant les deux théâtres livresques, nous notons une influence intéressante, quoique indirecte: c'est

l'influence Shakesperienne. Dans son théâtre romantique Victor Hugo s'est beaucoup inspiré de Shakespeare, mais

cette influence vient de la partie sérieuse de l'oeuvre du grand poète anglais,—les tragédies et les drames historiques. Dans le théâtre en liberté, nous voyons

l'influence d'un autre Shakespeare,—le Shakespeare des comédies, du "Tempest", "The Midsummer'Night's Dream" "As You Like It" etc. Mais cette influence ne vient pas,

(15)

comme dans les tragédies directement d'un poète à l'autre.

Elle a passé par le génie de Musset, qui a si bien compris

le coté fantaisiste du dramaturge anglais, et ce sont les

idées Shakesperiennes, modifiées par le tempérament français

d'Alfred de Musset, que nous voyons reflétées dans le "Théâtre

en liberté'.' Les points de rapprochement les plus frappants

sont des questions de forme plutôt que de fond.

Musset a imité Shakespeare en situant ses pièces dans

des décors étrangers, éloignés, généralement assez

fantas-tiques comme situation, et plus imaginatifs encore au point

de vue de la période. Les conditions sociales et politiques

de ces pays éloignés, sont des créations chimériques de

féeries, et n'ont pas beaucoup de rapport avec l'histoire

réelle. Comparons "The Forest of Arden',' l'isle de Prospero,

le Vérone, le Milan, l'Athens de Shakespeare,avec le Munich

la Venise, la Hongrie, le Palerme de Musset. l'ous voyons

que ces noms ne sont que des étiquettes;qu'il n'y a aucun

effort pour créer une impression exacte et vraie de ces

endroits ou de les douer de couleur locale.

Les personnages ne sont pas, non plus, des Italiens ou

des Hongrois ou les produits d'une période quelconque. Ils

ne partagent pas non plus, la qualité fantaisiste des

(16)

inspirés par les passions humaines qui sont éternellement

1 2 3 4 5

vraies. Rosalinde, et Marianne; Beatrix et Camille, Perdican

et Orlando, sont des êtres pleins de vie, dont la

psycholo-gie est fine et étudiée, et c'est pour cette raison que les

pièces de Musset destinées d'abord seulement au lecteur,

ont eu un tel succès auprès du spectateur. Les personnages

nous attirent, nous intéressent par leur vérité, et le

décor d'imagination offre un contraste piquant.

Victor Hugo a suivi Shakespeare et Musset dans le choix

des cadres pour ses piécettes. Cette Margrave pittoresque

de l'Allemagne, cette ile de Man, telle qu'elle n'a jamais

existé, ce village Dalmate, près la mer Adriatique, sont

de la famille des pays éloignés, et de la foret mouillée,

et le Bois fréquenté par le satyre, sont très près de la

Foret d'Arden.

Mais, les personnages ne sont pas moins fantastiques

que les décors, et ils n'ont pas plus de réalité que

leurs cadres. Là psychologie est restreinte et parfois

non existante. Dénarius, Albos, Charles, Emma, Gemma,

Janet, Slada ne sauraient nous intéresser. Et il nous

semble que dans ce dernier fait, se trouve l'explication

de l'échec de ces drames sur la scène réelle. Ils n'ont

pas de qualités dramatiques. Musset n'a guère plus d'action

1.-

B

As*¥au .Like It". 4. On ne badine pas avec Vamour.

2.La caprice de Marianne. 5. " " "

3. Mue h ado about nothing. 6. "As--Yo.u, Like-;It.

(17)

dans son théâtre qu'Hugo , mais l'étude des personnages supplée à cette lacune. Hugo n'a que peu d'action et peu de psychologie. Comme nous essayerons de le démontrer dans un autre chapitre, son"théâtre en liberté" est pure-ment livresque, et ne vaut que par sa forme.

Hugo a suivi Shakespeare et Musset en baptisant ses

personnages, Airola, Zineb, Herr Groot, Emma, Gemma, Slada, Mouffêtard, Gédéon, Denarius, Balminette; et ils ont cette

qualité harmonieuse et féerique typique de ces auteurs. La longueur de ces pièces et la façon dont il les coupe généralement en deux actes,sans beaucoup de raison, car les règles théâtrales- noeud, péripétie, dénouement et catas-trophe,- sont complètement négligées, ressemblent à Musset de très près.

Il n'y a qu'un seul personnage d'Hugo, qui semble re-fléter l'inspiration de Musset, et fatalement celle de Shakespeare. C'est Ariola, le voleur, désillusionné de la vie, et qui ne trouve le bonheur que dans la liberté

d'une vie errante , dans les grands espaces de la nature. Par cette philosophie il ressemble au "Melancholy Jacques" •

et au Fantasio, le jeune seigneur munichois, victime de l'ennui, dégoûté de tout, qui prend la situation du philo-sophe, bouffon du roi et qui plaisante ironiquement sur la

(18)

vie ici-bas, dans la même veine que Jacques et Airola. Il est intéressant de noter que ce dernier déclare qu'il est "Pour qu'une porte ne soit jamais ouverte ou fermée?- le titre d'une pièce de Musset.étant "Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée?

Mme. Antioche, la confidente âgée, cancanière et

ma-térielle, suggère Dame Pluche, qui est a son tour, un écho de la nourrice de Juliet.

Il est donc évident qu'Hugo avait connaissance du thé-âtre de Musset, et que ce sont les idées de Shakespeare, auteur de comédies, parvenues à Hugo par le canal de Musset que nous voyons reflétées dans le théâtre en liberté.

00

1. On ne £>adine pa% avec V Amour - Musset.

(19)

Q H I S T O B I Q U B

DU THEATRE El? LIBERTE.

Le théâtre en liberté a paru en 1886, l'année suivant*

la mort de Victor Hugo, mais il a été conçu depuis 1838,

et le poète s'y intéressait jusqu'à 1874. C'est à dire,

pendant plus de trente cinq ans, il est vrai, avec des

répits et des intermittences. C'était déjà bien du

"Théâtre en Liberté", mais il ne songe guère à la

pub-lication; c'était un passetemps, une diversion, une

distraction, une récréation, un amusement, un spectacle

de divertissantes marionnettes, qu'il s'offrait à

lui-même pendant ses heures de détente et de délassement.

Il pensait aussi partager ce spectacle avec ses si chers

petits-enfants.

Gustave Rivet nous raconte: "Il vit un jour, un grand

théâtre d'enfants, et je me représente l'auteur des

"Burgraves", le grand-père idéal tout à la fois impressario,

auteur, et acteur, manoeuvrant les pantins et jouant quelque

drame inédit, quelque bouffonnerie improvisée pour la plus

grande joie de Georges,et aux applaudissements des petites

mains de Jeanne?

Un autre souvenir se trouve au même volume: "De retour

à Paris le poète, au milieu des agitations de la vie

(20)

pub-lique, rêvant de retraite et de repos, songeait souvent

à son logis de Guernesey, et il exprimait à ses familiers

son désir de partir avec aux, afin de retourner dans

l'Ile d'exil, dans l'ile amie, où il eut voulu situer

son tombeau:- " au fond de mon jardin", soupirait-il,

" Je ferais bâtir un théâtre et nous y jouerons les

pièces du théâtre en liberté"

En 1865 il a écrit " La Grand'mère", qu'il a appelle

tout d'abord, " La Margrave ". Il n'avait pas alors

trouvé son titre de "Théâtre en Liberté", car, en

1866, sur la couverture de son roman, "Les Travailleurs

de la Mer", on

lisait:-Monsieur Victor Hugo fera paraître prochainement:

"Torquemada"

Drame en Cinq Actes,

"Margarita"

Comédie en Un Acte,

"La Grand'mère"

Comédie en Un Acte.

(21)

C'est à la fin de 1866 qu'il a choisi le titre de "Théâtre en Liberté", et qu'il amorce le volume dans un projet de

prérace. Il n'est question que de "courtes pièces", et daux seulement sont signalées comme pouvant être jouées: "La Grand-mère", et"Margarita". Mais ce n'est encore qu'un

projet,-car, suivant son habitude, il modifiait sans cesse, son oeuvre, la transformait, l'émondait, ou le complétait à mesure qu'il

créait.

Au début de l'armée, 1867, il a écrit sa pièce "Mangeront-ils?" Il a lu en famille, plusieurs scènes le 25 février, et il a terminé sa comédie le 27

avril-Mais il parait hésiter à publier un volume de théâtre. Trouve-t-il le moment inopportun, comme sidère M. Paul Meurice, où redoute-t-il que ce théâtre nouveau genre ne

soit attaqué? Son fils, P.Victor Hugo, au courant de ses incertitudes lui a écrit à la fin d'avril,-"Je ne puis partager ton inquiétude, un volume considérable renfer-mant deux drames et deux comédies n'a pas besoin d'être

défendu quand il est signé de toi. Tu n'as pas fait de théâtre depuis "Les Burgraves", et je suis sur que cette explosion de quatre oeuvres dramatiques aurait un succès énorme. Le théâtre a, comme le roman, un intérêt d'action que n'a pas la poésie lyrique et "Torquemada" sera

(22)

cer-tainement plus compris des masses, que n'ont été les

"Chan-sons des Hues et des Bois". Donc, c'est notre avis, à Charles

et à moi, écris "Torquemada", publie-la, avec les trois

autres pièces et ne te préoccupe pas du reste'.'

Victor Hugo a. été convaincu, car quelques mois après, le

6 octobre, il expose ses intentions à Lacroix: "Mon cher

Editeur, je serai à Guernesey,le 15 octobre et vous y pourrez

venir, par conséquent, le 15 novembre. Du reste, je vous

écrirai. Je suis au moment de partir pour Guernesey, Je vous

donnerai tous les détails que vous souhaitez, et ils vous

seront d'autant plus utiles que nous serons plus près de la

publication.

Le "Théâtre en Liberté", sera publié par série,-chaque

volume aura un titre spécial. La première série (un volume)

sera intitulée, "La Puissance des Faibles", et contiendra

quatre comédies, deux en vers, et deux en prose, qui à elles

quatre, forment six actes."

Il y avait évidemment "Mangeront-ils", et "La Grand'mère"

Quand aux comédies en prose, elles étaient à peine esquissées;

il n'y avait pas de scènes ou de fragments de scènes.

Victor Hugo, alors, était absorbé par son roman,"L'Homme

qui Bit", qu'il devait achever seulement l'année suivante,

le 3 août, 1868. Il envoyait à Lacroix la première partie

(23)

de son manuscrit le 21 novembre, et la fin au début de janvier

1869. Il avait du abandonner son "Théâtre en Liberté".

C'est en janvier, 1869, lorsqu'il est libéré de son roman

qu'il a une sorte de fièvre de théâtre, car il termine

"Mar-garita", il écrit "L'Epée", du 21 janvier au 24 février, pui3

"Escâ

f

" (et avec "Margarita", comédie, et"Esca

m

drame, il

con-stitue "Les Deux Trouvailles de Gallus") Cette fois il

possé-dait les éléments d'un volume ou d'une'première série du

"Théâtre en Liberté" Aussi, le 19 avril, qu moment où

parais-sait "L'Homme %ui Rit", il s'empresparais-sait d'annoncer sur la

couverture, feou&Paraitre Prochainement:

"Le Théâtre en Liberté"

Drames et Comédies,

Dieu,

Poème,

La fin de Satan

Poème.

Le prologue daté du 26 juillet 1869, devait servir de

pré-face. Si "Les Deux Trouvailles de Gallus" entraient dans

le "Théâtre en Liberté", ce n'était pas'pour longtemps, car,

en 1870 Victor Hugo avait décidé comme le prouve une de ses

-notes, que les "Deux Trouvailles de Gallus" formeraient oe

livre dramatique des "Quatre Vents de l'Esprit". Il

démem-brait ainsi son " Théâtre en Liberté", et il semble qu'il

(24)

se rende bien compte qu'il ne pourrait pas publier plusieurs

séries comme il l'avait primitivement annoncé à Lacroix en

1867. Mais, sur la couverture de "L'Année Terrible", le 20

avril, 1872, malgré l'amputation des "Deux Trouvailles àe

Gallus", il annonçait bravement le "Théâtre en Liberté"

En 1$73 il groupait seulement les pièces suivantes, "Le

Prologue", "La Grand'mère", "L'Epée", "La 'Foret Mouillée",

"Mangeront-ils?" et "Sur la Lisière d'un Bois", qu'il venait

d'achever. Quant à"ïorquemada" il l'édita à part.

On sait que d'abord il avait l'intention d'introduire un

petit drame en cinq scènes, "Welf, Castellan d'Osbor",

ter-miné le 22 juillet, 1868, dans son "Théâtre en Liberté" à

coté de"l

T

Epée". Mais, plus tard, quand il prépara sa seconde

série de "La légende, des siècles", il songea à publier dans

un même livre, "Welf", et "L'Epée". M.Paul Meurice et G.Simon

ont trouvé cette note dans ses papiers:

"Ce n'est pas sans intention que l'auteur a placé" au

commencement de ce livre "Welf", et à la fin "Slagistri".

L'espèce d'écho que ces deux poèmes se renvoient si on

écoute attentivement, est un cri,"LibertéI" Mais à la fin,

évidemment, il se décida à réserver "Welf", pour la seconde

série de la "Légende des siècles", et "L'Epée" pour son

(25)

A cause de ce démembrement continuel, il n'a pas pu réaliser

ses projets pour son "Théâtre en Liberté". Loin d'avoir une

série,ou même deux volumes, comme il a annoncé en 1872, il

nous a laissé à peine assez pour un demi volume.

Mms Paul Meurice et Gustave Simon, qui ont entrepris le

travail d'éditer les oeuvres posthumes de leur maître vénéré,

ont fait paraître le premier de la série, ce que Victor Hugo

nous a laissé de son "Théâtre en Liberté" projeté, y compris

"Les Gueux" et "Etre Aimé? En groupant les pièces ils n'ont

pas suivi l'ordre chronologique.

Des deux projets de préface qu'il a laissés, ils ont

choisi le plus joli. Un autre était "Le théâtre peut être

libre de deux façons: vis à vis le gouvernement qui combat

son indépendance avec la censure, et vis à vis le public, qui

combat son indépendance avec le sifflet. Le sifflet peut

avoir tort, et avoir raison. La censure a toujours tort?

Uous ajouterons la réception enthusiaste que les

cri-tiques ont accordée à cette oeuvre si inattendue, et il nous

reste à noter que ce théâtre livresque n'est pas resté, comme

aurait désiré son auteur, à ce que nous croyons, dans le

"théâtre idéal de l'esprit? M.Ginisty, admirateur passionné

du Grand Homme, a emporté résolument sur la scène actuelle,

(26)

Hugo l'a indiquée comme jouable) "Mangeront-ils?", "La Forêt

Mouillée", et "L'Epée".

"La Grand'mère" fut jouée pour la première fois, le 6 mai,

1898, au théâtre de l'Odéon. Les interprètes étaient Limes.

Marie Laurent et Segorçd-Weber,(Emma Gemma), Mms. Cornaglia et

Rameau. Quatre ans plus tard, février 1902, à l'occasion des

fêtes du centenaire, on donna simultanément une reprise de

"La Grand'mère", et la première de "L'Epée". Mj|£. Paul et

Victor Glachant nous expliquent que si le succès ne fut pas

tout ce qu'on pourrait désirer, c'était la faute du public,

composé, pour la plus grande partie d'étudiants, qui "ayant

bien diné, se montrent plus honteux que de raison, et

n'écou-tent point toujours en ^silence. On s'égayait à tort, et à

travers. On interpellait les acteurs, on frissonnait d'une

ironique volupté aux passages chastement amoureux"

"Mangeront-ils?" fut joué au théâtre de l'Odéon, non sans

sucées, et sur la meme

A

on a donné une représentation de

"Sur la Lisière d'un Bois", suivant une causerie de M. Léo

Claretie.

(27)

J!£^ CRITIQUE COKTBMPOrAIIŒ.

Le Charivari:- Pierre Vérou.

Ceux qui ont approché le grand poète n'ignoraient pas

que ce génie sublime avait ses heures de caprice. Dans la conversation il se plaisait souvent après avoir émerveillé par quelque commentaire profondement philosophique à se

lancer soudain dans le paradoxe. On retrouve dans le théâtre en liberté, ce mélange curieux de grave et d'humoristique, de- tendre et de railleur.

J'ai dit que le théâtre en liberté se composait de sept oeuvres, toutes variées de ton. D'abord "La Grand'mère", une comédie qu'on parle de monter rue Richelieu. Puis,

"l'Epée", composition sévère et puissante. Et encore, "Sur la lisière d'un Bois", "Les Geux", "Etre aimé", "La forêt mouillée?

Un fragment nous attire tout particulièrement. Un

fragment de "Mangeront-ils?" Il y a là un personnage du nom d'Airolo d'une verve vraiment prodigieuse. Cet Airolo récite quelque part un monologue de près de trois cents vers, qui est une véritable merveille.

L'ancien héraut criait: le roi est mort, vive le roi!

C'est la France qui, en lisant les oeuvres que lui lègue cet intarissable, criera: Hugo est mort, vive Hugoi

(28)

Le Gagne-Petit:- Charles Bigot.

Les trois oeuvres principales qui composent ce volume portent pour titres: "l'Epée", "Mangeront-ils?", "La forêt mouillée? "l'Epée est un drame en cinq, scènes d'une al-lure épique et farouche; "La forêt mouillée", une sorte de comédie, fantastique à la façon des comédies de Shakespeare, où, plus encore que dans les comédies de Shakespeare, la

nature tout entière s'anime et prend une voix. C'est la symphonie du printemps où tout célèbre et chante l'amour. On y entend parler la branche d'arbre, et la goutte d'eau, les papillons et les fleurs, le moineau franc, et le hoche-queue, jusqu'aux cailloux du chemin, c'est la vie univer-selle qui déborde. C'est la joie qui éclaire partout. Une centaine de vers de ce poème, sont absolument délicieux.

Mais c'est surtout "Mangeront-ils?" que je recommande dans ce volume.

ITous sommes ici dans la fantaisie pure. Mais il y a bien de la gaîeté et bien de la verve dans tout le rôle d'Airolo.

Le livre:- Gustave Rivet.

Ce livre est un chef-d'oeuvre de plus donné à notre siècle; on y trouve ce qui est 1'essence.même du génie de Victor Hugo,- l'unité dans la variété la plus prodigieuse.

(29)

Sur le clavier, assez réduit en somme, des sentiments

humains, l'amour et la colère, la fraternité, la patrie,

le poète sait jouer des variations infinies; seul il peut

ne pas se répéter et nous donner des émotions toujours

nouvelles en nous parlant de l'enfance, de la vieillesse

auguste, de l'amour sacré, du droit des faibles et des

petits; il a trouvé dans son coeur des cris inconnus pour

dire: Aimez-vous, soyez fraternels, soyez grands, soyez

libres, et c'est toujours la justice, la fraternité, et

l'amour qui sortent de sa méditation et de son sourire.

Et lorsque, profondément remué, j'eus fermé ce beau

livre, je m'en suis allé pensif, vers ce Panthéon, où dort

le maître, et là, sous les hautes voûtes, pieux et

recon-naissant, je lui ai dit: Maître immortel et qui viens de

nous faire entendre ta voix superbe, dans la vie et dans

la mort, nous t'admirons et nous t'aimons

-

.

Le Soleil:- Charles Canivet.

Qui jamais fut plus poète que l'auteur de "La Légende

des Siècles" du groupe des "Idylles", de "l'Art d'être

grand-père", oeuvres plus récentes et qui n'ont pas diminué les

oeuvres plus anciennes,"les Orientales", "les Feuilles

d'Automne", etc, qui ne vieilliront jamais? Le "Théâtre

en liberté" contient ou plutôt résume toutes ses

qualités-Ce que j'y trouve, c'est une étonnante placidité de

(30)

phil-osophie. Le grand poète,, fait pour ainsi dire, l'école

buissonnière et se lance dans la fantaisie. S'il était

possible de comparer ce livre à quelque chose dans l'oeuvre

précédente, je le rapprocherais volontiers des "Chansons

des rues et des bois." C'est la même légèreté musicale,

et les mêmes extraordinaires variations. Je ne pense pas

qu'il soit possible de trouver nulle part dans n'importe

quelle langue, une pareille richesse de langage. Elle est

inépuisable dans ce livre, où, pour exprimer souvent les

mêmes sentiments l'artiste incomparable sait inventer des

thèmes différents.

Le BaPftel:- Louis Ulbach.

Victor Hugo a bu la gloire dans la coupe la plus grande

que l'admiration puisse tendre au génie. Vivant, il a

passé la revue du cortège enthousiaste qui devait conduire

son cerceuil de l'Arc de Triomphe au Panthéon. On dirait

aujourd'hui qu'il remercie la postérité, et que, du fond

de cette retraite où il paraît se recueillir plutôt que

dormir, il continue à faire la preuve de son génie et à

justifier l'acclamation universelle, soin superflu, mais

prodigalité naturelle.

Le "Théâtre en liberté", pourrait s'appeler le Génie

en liberté

Victor Hugo qui a passé par l'initiation classique,

s'est affranchi vite des traditions routinières, mais,

(31)

pour rester accessible aux spectateurs de la routine, il

a du faire des sacrifices. Dans la solitude, en plein air,

en plein ciel, il donne à ses ailes toute leur envergure, et

on voit combien, en restant compréhensible pour les plus

entêtés de vraisemblance, il pousse loin et haut la

hardi-esse de la fantaisie. J'espère qu'il arrivera une occasion

de tenter, avec de légères coupures, la représentation de

quelques unes des scènes de ce livre. Victor Hugo , dans

une note qui devait être un commencement de préface, émet

l'avis que "La Grand'mère", seule pourrait être représentée

sur des tréteaux contemporains.

Je crois que le maître faisait trop de concessions, et

que "Mangeront-ils?" serait un spectacle attrayant en

même temps qu'un spectacle sévère. La mort de la sorcière

ferait applaudir des vers sublimes et toutes les manoeuvres

d'Airolo réveilleraient, en les poussant jusqu'au spasme,

les beaux rires de don César de Bazan.

Le Monde Poétique:- Emile Blémont.

Par nos jours de servitudes littéraires et dramatiques

on ne saurait trop hautement souhaiter la bienvenue au

"Théâtre en liberté". Comme le génie, même en ses plus

capricieuses inspirations, laisse loin derrière lui les

petites habiletés et les grandes théories!

(32)

Le troupeau des imitateurs sera peutêtre déconcerté. Les

vaudevillistes syndiqués et les naturalistes unis manqueront

peutêtre d'enthousiasme. Le peuple de Lilliput mesurera

le géant avec des ficelles ou des bouts de fils blancs, et

lui trouvera toutes sortes d'exagérations. Mais pour peu

que l'on aime la poésie et l'originalité, on oubliera

déli-cieusement Scribe, Casimir, -Delavigne et leurs succédanés,

en lisant "La Grand'mère", et "l'Epée". Que ces pièces

soient jouables ou non sur des planches subventionnées ou

non, elles obtiendront en tout cas un succès éclatant et

durable "à ce théâtre idéal que tout homme a dans l'esprit?

Elles seront la consolation et la joie de ces spectateurs

délicats, beaucoup plus nombreux qu'on ne pense, pour

les-quels la comédie est toujours plus ou moins gâtée par les

comédiens.

Le National:- Alfred Gassier.

La Grand'mère est le pendant de cette comédie

exquise-publiée dans les "Quatre Vents de l'Esprit"- de ce joyau

qu'est la première des "Deux Trouvailles de Gallus", trésors

sans prix! écrins vivants où les femmes ont des noms de

perles: Margarita, Gemma. Il faudrait plus d'espace qu'il

ne m'en reste pour parler dignement de "Mangeront-ils?",

1'étonnement, le miracle du livre.

(33)

Le roi de féerie le plus cocasse est-il plus ahuri, plus

crispé, plus désopilant que ce roi de Man aux rimes

délec-tables, à la fantaisie délirante? Tragédie, comédie, a dit

le prologue. Après Slagistri, cet autre Welf après ce

groupe trinaire de l'Epée aussi haut que les grands

bur-graves, voici Airolo, la création la plus bouffonne, la plus

étincelante du poète qui imagina Elespuru, et César de Bazan.

Le Théâtre en liberté est un éblouissement d'esprit et

de folle grâce, une débauche de fantaisie adorable.

Prodi-galité prodigieuse, après tant de chefs-d'oeuvre, on ne sait

qu'admirer le plus, l'originalité de la conception, l'inattendu

des vers, les merveilles du rhythme.

Rien n'est plus propre à donner l'impression saisissante

de l'immortalité de l'esprit que cette production que

n'interrompt point la cessation de la vie, et que cette

oeuvre en marche malgré l'éternel repos. Pour elle, le

maître disparu est présent encore, sa pensée toujours irradie:

Il se donne à sa ville comme jadis; il semble, en quelque

sorte, mêlé à elle. La grande ombfe emplissant l'arche

co-lossale, comme dans l'Apothéose d'hier se profile sur l'horizon

de la cité, ou, plus loin s'accoude et rêve sous le dôme

géant, et dans Paris, à qui il ajoute, pour parler comme

une pièce de livre, "ce qui entre par l'Arc de Triomphe,

c'est plus de gloire ce qui sort du caveau mortuaire, c'est

(34)

plus de clarté.

Le cri du peuple;- L.

Victor-Meunier-Le théâtre en liberté a cela de remarquable que le génie d'Hugo s'y déploie à la fois dans les genres les plus divers. Il y a tout dans ce livre: les sanglots et le rire, l'horreur et. l'extase, la plainte et le chant; le regissement et le

calembour. Jamais Hugo n'a été plus grand; jamais il n'a aussi été plus gai, plus jovial, et l'on reste, en tournant les pages du livre, confondu de la souplesse incomparable de ce

tout-puissant esprit. Il y a telle pièce, l'Epée, qui est une épopée, quelque chose comme une page des Châtiments mise en action, un morceau splendide, ample et vertigineux,- digne de la Légnnde

des Siècles. A l'autre bout du volume, c'est la Forêt mouillée, causerie exquise dont les interlocuteurs sont les branches,

d^arbres, les gouttes de pluie, les oiseaux, les fleurs, les cailloux du chemin, les nuages, et aussi deux ou trois hu-mains égarés au milieu de cette nature animée et bavarde:

fantaisie adorable. Telle autre,"Mangeront-ils?" d'allure ironique et railleuse, recèle dans les plis de son style touffu une philosophie douce et profonde, et l'on y trouve des passages pleins d'une grandeur sauvage,comme la mort de la sorcière. Telle autre "La Grand'mère" comédie sereine:

(35)

et douce, pourrait être jouée immédiatement et devrait l'être Et l'on doit signaler encore cette idylle "Sur la lisière d'un bois" ponctuée par les reflexions d'un satyre goguenard; le dialogue "Les Geux", entre Mouffêtard, le penseur en

guenilles, et un passant quelconque, et ce monologue du roi saturé de grandeur et de pouvoir, et qui voudrait "Etre aimé" L'horizon est sombre et chargé de nuages; ici se dresse

l'étendard de la guerre sociale; là, l'ennemi héréditaire, se sentant menacé, entasse les menaces; d'effrayants cata-clysmes se préparent; demain, tout à l'heure nous allons être tous peut-être emportés dans la tourmente; qu'au moins nous puissions encore, au souffle exhalé d'entre les feuillets de quelque grand livre signé Hugo, rafraîchir nos fronts

brûlés par l'âpre ouragan des tempêtes.

Le Voltaire:- J.A.Magen.

La Fête de l'Esprit.

Ce livre posthume s'appelle "le théâtre en liberté". Il est jeune, il est ardent, il est beau d'une beauté triom-phante. On croirait en vérité qu'il jailli d'un front de trente ans. L'amour y murmure sur des rhythmes divins, sa chanson, toujours fraîche, toujours vibrante,éternellement nouvelle au milieu de la ruine des choses.

(36)

II est bienfaisant ce livre qui nous ouvre toutes

grandes les portes d'or du merveilleux pays des rêves,

nous élève doucement bercés sur les ondes d'une enrythmie

souple et puissante.

Les marauds n'entrent pas ici, non plus que les sots

et les imbéciles qui s

1

ignorent;c'est le refuge, l'asile

sacré où les pauvres gens de bien, viennent chercher un

instant l'oubli des bassesses, des trahisons, des vileries

petites et grosses, des malicieux caprices du hasard.

Il nous a paru bien court,ce livre de trois cents pages

où le génie du maître revit, palpite, resplendit au milieu

d'un essaim de pensées charmantes, au vol léger.

Eous l'avons lu en quelques heures avec ravissement.

C'est la fête de l'esprit.

(37)
(38)

A- PERSOMAGES ET SITUATIONS.

Le théâtre en liberté renferme bien des échos de l'oeuvre Romantique de Hugo, qui l'a précédé. Avant d'aborder les nouveautés qui distinguent ce théâtre nouveau genre, nous

indiquerons les réminiscences de son oeuvre précédente qui s'y trouvent, et les traces de son inspiration.

Ce sont surtout des questions de fond, car la forme du théâtre en liberté est vraiment nouvelle. Il répète, de

temps en temps, dans ce recueil, des situations dont il s'est déjà servi, mais ce sont les personnages avant tout, qui

semble nous offrir aucune nouveauté.

Ce sont les mêmes mannequins irréels, fantastiques, il-logiques, qui se promenaient dans les pages de ses autres pièces. I7ous notons qu'il établit les mêmes antithèses, en

forçant les faits. Comme dit M. Ganderax: "Sa faculté

maîtresse n'est pas l'observation, mais l'imagination et de quelle sorte? L'imagination de contraste. Il ne peut

-percevoir, ni concevoir une croix blanche sur un fond noir, sans qu'elle se double d'une croix noire sur un fond blanc. De même, lorsqu'il imagine des êtres moraux,-c'est d'ordi-naire par couples, chacun n'est que le contraire d'un autre,

et comme rien n'est plus contraire à rien, qu'une abstraction à une abstraction, c'est le plus souvent des

(39)

1

couples d'abstractions qu'il invente"

Prenons d'abord "La Grandlànère", ^ui est ce 8harles,

jeune, beau, amoureux, qui songe quand même à se tuer,

à cause que "la naissance"implacable est attachée â l'homme"

qui nous annonce "Oui, si je n'étais point par malheur, ce

quîon nomme un prince, je dirais un éden m'est échu" S'est

il pas la copie un peu fade, de jeune premier fatal, le

victime des circonstances, du drame Romantique? Est-ce

qu'il ne sugère pas Didier, et Hernani?

Emma Gemma, la femme qui ne vit que par son amour ,

"Oh, qu'il ne vienne jamais une heure ou je préfère

le paradis à Charles, et le ciel a la terre"

IV est-elle pas toutes les héroines de Victor Hugo? Ces

idées qu'elle exprime sur la nature sympathique qui

semble partager leurs transports, et leur joie; ce

mélange dlobservations sur la beauté du paysage, et la

qualité éternelle de leurs sentiments,—Dona Sol les a

déjà proclamés dans la fameuse "scène du balcon" Marion

Delorme et Blanche chantaient le même refrain- Janet va

le répéter, "Tu dis vrai", observe Charles, "Les champs,

les halliers noirs, les monts, sont de notre partie,

puis-que nous nous aimons"

(40)

C'est bien l'idée de Victor Hugo sur la nature, vis a vis des amoureux.

"Dieu nous prête un moment les prés et les fontaines,

Les grands bois frissonnants, les rocs profonds et sourds Et les cieux azurés et les lacs et les plaines

Pour y mettre nos coeurs, nos rêves et nos amours" Mais Emma Gemma, peut-être, parce qu'elle est plus âgée

que les autres amantes de Victor Hugo, et mariée depuis dix ans, est moins romanesque et plus pratique. Quand

Charles l'appelé "ange", elle annonce qu'elle préfère être femme qu'ange: "Un ange vit, sans manger et sans

boire. Moi, je dine, j'ai faim, tu sais comme je bois" etc. Quand aux enfants, qui sont bien mieux dessinés et

étudiés, que'ses personnages en général. Victor Hugo a écrit toute une 'série de poèmes sur les enfants et le Foyer, des chants intimes pleins de spontanéité et de

délicatesse, qui montre une tendresse très réelle et touchante pour l'enfance. "L'Art d'être Grand-père", et "Les Contemplations" renferment des poésies exquises. On sait son affection pour àes petits-enfants, George

et Jeanne Hugo, et les réunions de tous les enfants. du voisinage, les jeudis à Hauteville House, où le poète et ses amis s'occupaient personnellement des 1. Tristesse d'Olympio.

(41)

jeunes invités. Du reste, pendant sa carrière

parlemen-taire, il a toujours levé sa voix pour la défense des droits

de l'enfance.

La situation qui démontre ce pouvoir de l'enfant, n'est

pas nouvelle, et Hugo a déjà exprimé cette conception dans

"La Légende des Siècles",— les Petits.

En "Fonction de l'Enfant", il

annonce:-"Les hommes ont la force, et tout devant eux croule,

Ils sont le peuple, ils sont l'armée, ils sont la foule,

Ils sont victorieux, formidables, terribles,

Mais les*petits enfants viennent a leurs secours"

"Dans l'enfant qui bégaie, on entend Dieu parler"

"On croit voir une fleur d'où sort un coup de foudre"

Dans "Guerre Civile" il illustre ses déclarations,

en racontant l'histoire d'un sergeant de ville,—PUn

de ceux qui font l'aveugle guerre des rois contre le

peuple", qui se trouve pris par le peuple victorieux et

condamné à mort. Hugo nous crée une atmosphère de haine,

et de violence, de cruauté et des noires passions, et

suivant son procédé usuel, il entasse image sur image,

jusqu'aux

(42)

Et soudain arrive son enfant, "ayant au front le rayon

baptismal", et par ses tristes petits efforts courageux

pour sauver son père, "par son innocence et sa beauté"

il calme ies passions farouches de la foule, et éveille la

bonté dans les coeurs durcis. On lui rend la vie de son

père.

La situation évidemment correspond de très près à

celle de la "Grand'mère", où la vue de ses petits-enfants

dissipe tout le courroux et la haine de l'ame de la Margrave

et remplace ses projets de vengeance par un tendre amour.

"La Grand'mère" suit aussi, le même plan que "Guerre

Civile". Nous avons d'abord, les viles émotions des hommes

illustrées par la vengeance que médite la Margrave contre

son fils et sa femme; et ensuite, par contraste, la pureté

et l'innocence de l'enfance, dont la force se trouve dans

la faiblesse, suivies par la réaction immédiate de la

Grand'mère, et la conclusion brusque.

En terminant, notons que le titre lui-même, n'est pas

une invention; un poème de sa jeunesse dans le recueil

"Odes et Ballades" est ainsi intitulé, quoique le sujet

soit traité autrement.

(43)

Passons à

"L'Epée";-1

M. Richard Lesclide remarque: "Ce drame en vers en trois parties, sauf erreur, est d'une allure hautaine et sévère

et rappelle les plus belles pages de la "Légende des Siècles" Huile remarque n'est plus juste. En se référant à la

"LégBnde des Siècles", on est frappé tout d'abord, par

"Welf" qui lui ressemble de trois points de vue: la forme, le sujet, et le caractère du personnage principal.

Ces deux oeuvres sont dramatiques par leur forme,(elles sont divisées, l'une en six, l'autre en cinq scènes, avec les indications nécessaires pour la représentation, et une liste de personnages qui, tour à tour, prennent la parole); îaais, épique dans la grandeur des personnages

qui sont des symboles et qui valent par leurs attitudes Le sug'et des deux pièces c'est la liberté, personnifiée dans les figures de Welf, le fier Castellan, seul sur son précipice, qu'il défend contre la tyrannie du roi, du

pape, et de l'empereur; et Slagistri, le farouche rebelle qui refuse de céder au duc qui opprime les montagnards.

Tous deux considèrent la liberté comme un suprême

toonheur, et ils ont également tout sacrifié pour l'avoir. "Toutes les vertus dégagent une seule flamme,

Et cette flamme, en bas c'est la vie, 1. Propos de Table de Victor Hugo.

(44)

C'est la liberté"

("L'Epée".)

L'un se réfugie dans son burg sur la montagne, l'autre

dans sa caverne préférante'air que rien n'asservit"

1

et

la compagnie des bêtes fauves et libres, à la condition

sure et soumise de leurs compatriotes. Welf, "le veuf de

la liberté", qui vit "sans rendre hommage et sans payer

tribut?, qui dit au roi,"L'honneur exista jadis,—j'en

suis le reste" . . . "un spectre en liberté, songeant au

fond des nuits", est le frère jumeau de Slagistri, "Une

âme en peine, qui sert quand la lande est déserte", qui

"parle seul", et "va roder dans les brouillards", qui

garda son épée et dit qu'on me la prenne"; qui est "le

sourd rugissement du dernier homme libre?

Tous deux se trouvent .seuls à opposer la tyrannie, l'un

"seul contre tous?, et l'autre " d'un coté ce bonhomme, et

de l'autre une armée'.'

Tous deux croit en un Dieu, tout en haissant les

prê-tres, "î^'usurpez pas ce mont, je le conserve à Dieu"

2

" Pour le prêtre,- le prince; pour nous,- Dieu?

Les intrigues, ou plutôt les situations,se ressemblent.

Les premières scènes sont des scènes de foules,(Victor

l."77elf"

3."Welf"

3. "L'Epée".

(45)

Hugo sait toujours faire vivre les masses) qui exposent la situation, par des propos sur les proscrits. Dans "Welf", la parole est donnée aux paysans, aux Bourgeois, et aux étudiants soumis et ondoyants*—Dans "l'Epée", aux Hommes de la plaine, et aux Hommes de la montagne.

La péripétie, dans les deux cas, c'est la confrontation des solitaires et de leurs ennemis. Des ennemis qui sont prêts à se montrer des amis envers ces révoltes, qui n'ont besoin que d'avouer leur tort. Cydamis, le soldat, offre à ;Velf, une tente de scire, de l'or à plein coffre, les plaisirs d'amour etc. Tandis que Hugo lui offre un duché, un palais; l'Empereur, le royaume de Hongrie; et le pape

son pardon. Prêtre Pierre offre à son fils "banni, la grâce du duc, et de l'évêque, son foyer d'autrefois, et l'affection de son fils, et de son père.

Les deux héros refusent,-"Tout est opprimmé,

Rien n'ose croire, Rien n'ose aimer?

"Le gouffre est noir sans vous, Sans vous, le ciel est beau",

— répond 'tfelf, et dans la même veine, Slagistri déclare: "Que le lac n'est pas bleu, que ce bois n'est pas vert,

(46)

Que les vierges n'ont pas de beauté, sous leurs voiles,

Que l'aurore est lugubre et qu'il n'est pas d'étoiles,

Dans les cieux tant qu'on a sur la tête, un tyran."

Les dénouements sont différents, mais les conclusions

sont les mêmes—Les rebelles ont raison.

"L

r

Epée" ressemble aussi aux "Burgraves?

Première-ment, par le style épique, et deuxièmePremière-ment, par la

simi-larité de la situation: les trois générations qui se

con-frontent. Les deux pièces ont les mêmes trilogies

gran-dioses, autour desquelles tourne l'action. Le respect

de la vieillesse est prêché également dans l'un et

l'autre. Du reste, la situation des montagnards

co-rrespond à celle des Barons.

Avant de laisser "L

v

:]pée", notons qu'Albos, le jeune

premier, beau et sympathique, de psychologie restreinte,

est bien Romantiques c'est Gennaro, c'est Rodolpho,

c'est Othbert.

(47)

En "Mangeront-ils?" nous sommes frappés, tout d'abord,

par Airola qui nous sugère la figure de Don César de Bazin

1

Ce seigneur pittoresque, spirituel et vivant,qui fraye

avec les chenapans, qui adore la liberté, n'est-il pas le

parsain de ce théâtre, plein de verve, d'imagination, et

de gaieté?

Les Gueux semblent avoir une fascination spéciale pour

Hugo. Citons la description de la "Cour des Miracles" dans

"Kotre Dame de Paris". Les personnages bizarres et

ex-centriques qu'il y déniche, ainsi que Don César, le gueux

d'élégantes manières, était pour Hugo, une création

fa-vorite. Car, dès 1842 nous voyons, par les fragments qu'il

nous a laissés, qu'il avait quelque grande comédie en tête,

dont le héro serait Don César de Bazin,—tandis que de

1850 à 1858, il désignait des acteurs pour une comédie

qu'il appelait "Les Etudiants", où nous trouvons de

pauvres diables bohèmes, déguenillés, qui n'ont pas le sou,

vivant au jour le jour, attendant une bonne aubaine du

ciel où du hasard.

Une autre comédie traite de deux amis, Goulatromba,

(Don César le mentionne en "Ruy Blas") et Goboardo. Ce

2

dernier, Hugo l'a dessiné en marge de son manuscrit.

(48)

II a une figure fantastique avec les sourcils circonflexes, une bouche énorme, et une barbe de toouc; et il tient d'une main, une bouteille,- et de l'autre un petit tas d'argent.

Il y a des scénarios ébauchés pour une comédie dont Maglia, un autre Don César, devait être héros.

Il accumule ainsi, scènes sur scènes, fragments de

comédies légères et souriantes, mais sans les développer. Il a forgé une quantité d'anneaux avec la pensée d'en faire plusieures chaînes, mais une seule était destinée a être utilisée,—c'était "Mangeront-ils?", qui renferme le gueux Airola.

Celui-ci a toutes les caractéristiques de Don César, et sa nombreuse progéniture. Il est libre, errant, phi-losophe, humoriste, et rempli de bonté.

"Je ne suis de rien ici-bas le captif", . . "Je vaux bien les rois, car, j'ai la liberté de rire au fond des bois? . . . "Mon chez-moi c'est l'espace, et Rien est ma patrie". . . "Je suis âme sereine à qui Pan s'associe".

"Je suis tout seul,-je sui3 toute nu?

Ces déclarations sont bien les pendants de celles de Don César, qui trouve le bonheur: "vivant ma libre vie, aux fontaines de l'eau,

Dans les champs, le grand air, A la ville un voleur,

(49)

"J'aime l'espace,—je vais dormir avec le ciel bleu sur ma tête, je suis heureux ainsi?

"Il n'a plus d'or," dit Hugo dans le préface,-"Mais il lui reste le soleil?—il devient philosophe.

Et le rôle d'ange gardien d'Airola,-auprès de Zineb, Lord Slada et Janet, trouve sa parallèle dans cette déclaration pleine d'humanité et de fantaisie, de Don César.

"S'il tombe par hasard des écus de tes chausses,

Des clercs, des écoliers, des gueux qu'on voit passer, Les ramassent,- mon cher, laisse-les ramasser.

Quelques-uns dans ta poche,

Sois indulgent, ce sont des hommes comme nous Et puis, il faut, vois-tu, c'ane loi pour tous Donner parfois un peu de joie aux créatures.

Tous ces gens là seront,peut-être,un jour pendus. Ayons donc, les égards pour eux, qui leur sont dus."

Zineb, la sorcière âgée de cent ans, est bien un reste du Romantisme, et son ancêtre littéraire est Guanhumara, la Psylle vengeresse des "Burgraves". Elles se ressemblent et par lei caractère, et par leur rôle dans l'action de

la pièce. Elles personnifient toutes deux la Fatalité. Guanhumara par sa vengeance est le ressort de l'intrigue des "Burgraves". De même, Zineb, par sa prédiction,

(50)

détermine la sort de tous les personnages: le roi, Airola, les amoureux. Elles sont toutes deux âgées,

elles sont sensées n'avoir rien d'humain. Mais Zineb est libre,-"Jamais ce coeur ne s'asservit, ni ne plia

Depuis un siècle qu'elle vit?

. . . et Guanhumara est une esclave. Elles ont voués leur vie à la science mystique et terrifiante de la magique. On leur attribue des pouvoirs surnaturels:

"Tu vas dans les tombeaux, toi, la voleuse d'âmes, Et parmi les rois noirs, parmis les sombres dames,

Tu rodes dans l'horreur nocturne des sabbats."

Dit le roi à

Zineb:-nCe sein qui fut jadis choisi par les démons,

Pour allaiter les dieux terribles, dans les monts."

Souvent tu chevauches sur des balais parmi les diables, Et les chats,

Et tu fus, à minuit, une stryge dansante,"

. . . JkrT déclare à Airola. Tandis^Haquin dit a propos de GuanhMmara

:-"Sa science sans fond, à laquelle je crois,

Me fait peur. Elle a guéri Ealto d'une fièvre mortelle, Le Burgrave, Rollon, l'autre jour fut mordu

(51)

D'un serpent au talon, elle l'a guéri.

Les trois lépreux qui la suivent

Elle les a guéris"

. . . . et on connaît son pouvoir sur Regina.

La différence se trouve dans le fait que Zineb est

une création de comédie, et Guanhumara, de tragédie:

l'une est fantastique,-l'autre terrible. Et tandis que

Hugo nous laisse croire aux dons surnaturels de Guanhumara,

il nous explique les procédés de Zineb.

Un certain nombre des idées que Zineb exprime, sur la

mort, et la vie éternelle, ne sont pas nouvelles. Il les

a déjà chantées en autres termes. "Ce que c'est que la Mort"

—"Les Contemplations",— appartient bien au discours de

2ineb.

"Tout commence ici-bas, et tout finit ailleurs", dit-il

dans "Les Rayons et les Ombres", et, "Tout commence et

périt, puis ailleurs recommence", dit la sorcière.

"Le corps y trouve une prison,

L'âme y trouve des ailes?

"Ion, les âmes ne rencontrent pas dans ces ténèbres cette

captivité effroyable, cette affreuse chaîne qu'on appelle

le néant"

2

. . . l'on, je ne me lasserai pas de le répéter,

non, ce n'est pas la nuit, c'est la lumière; ce n'est pas

1.Actes et Paroles, 27 sept.1847.

2. Ibid.

(52)

la fin, c'est le commencement; ce n'est pas le néant, c'est l'éternité "

Ce sont bien les idées de Zineb quand elle

dit:-"On craint d'être trop près de l'endroit où Dieu tourne, En même temps on sent de la naissance, on croit

Pendant qu'on s'amoindrit, comprendre qu'on s'accroit, . • • et l'on se sent

Finir d'une façon et commencer de l'autre?

Mess Tityrous "le chien sournois de ce lion inepte", qui pousse le roi quand il le voit "pencher d'un coté, bête

et noir", et qui "travaille à le rendre un peu plus idiot" quoiqu'il constate qu'il ne lui en veut pas, et qu'il aime à le voir gros, gras, bien portant,—semble être à la

fois Triboulet et Marot, dans "Le Roi S'amuse", par sa situation auprès du roi, et par son attitude de mépris, de soumission, et d'indifférence pour lui.

"Le Roi", par sa situation auprès des amoureux, est Don Carlos de la première partie"d'Hernani',' et par sa croyance en son pouvoir absolu, et sa poursuite de

Janet,-François l.(Le Roi S'Amuse?) Il semble lui manquer la gaieté de ce dernier.

Slada, le "grand garçon pâle et doux" est encore le jeune premier Romantique et Janet est la jeune première

(53)

de la même école. Leur duo d'amour suit aussi les.

règles de tous les duos amoureux et Romantiques de Hugo*

la nature et les amants sont encore en harmonie parfaite.

"îîotre âme communique avec tous les frissons

Des choses à travers lesquelles nous passons,

Ces nids sont des hymens, ces fleurs sont des amantes"

(54)

"La Forêt Mouillée",—A propos de cette piécette où les

fleurs, les oiseaux, les arbres et les papillons figurent

comme les personnages les plus importants, il est

intéres-sant de noter que Victor Hugo croyait en réalité que les

fleurs et les oiseaux contenaient une âme; qu'ils formaient

une partie intégrale de la grande âme répandue, non

seule-ment dans les hommes, et les animaux, mais dans les choses.

Selon lui, tout était sensible et pensant; tout était Dieu,

et la création entière se trouve dans telle ou telle situation

comme récompense, ou punition. Cette espèce de

pythagor-isme, n'est pas une idée nouvelle chez le poète,—il l'a

prêché, depuis sa jeunesse. Dans son "Journal d'Exilé"

1854, il déclare:

"Dans ce siècle, je suis le premier, qui ait parlé,

non seulement de l'âme des animaux,- mais encore de l

T

âme

des choses. Dans ma vie, j'ai constamment dit, lorsque

je voyais casser une branche d'arbre,"Laissez cette feuille,

ne troublez pas l'harmonie de la nature?

Dans "Les Contemplations " il s'exprime ainsi:

"Les fleurs souffrent sous le ciseau?

"La vierge au bal qui danse, ange aux fraîches

couleurs,

Et qui porte en sa main une tige de fleur ,

Respire en souriant, un bouquet d'agonies"

(55)

"Pleurez sur l'araignée, immonde sur le ver"

"Voyez les âmes dans les choses"

"Plaignez la chêne, au fond des sables insalubres,

La hache et le billot sont des êtres lugubres"

"Mais, tu dit , le caillou brisé, l'arbr/éabattu

ITe souffrent point,—la bête ignore,-qu'en sais-tu

Homme envie?

Ton chien, tu ne sais pas, triste maître hagard

S'il n'a pas plus d'azur que toi dans le

regard,"-*-"Dieu. Dieu, Dieu, l'âme tonique est dans tout et traverse

L'ame individuelle en chaque âme diverse,

Tout char l'a pour essieu"

2

C'est sans doute à cause de ces croyances que Victor

Hugo, voyant toute la création ainsi animée et vivante,

n'a pas de difficulté à dégager des personnages pleins de

vie, de la nature, et de leur délier la langue. C'est une

dévise qu'il a déjà employée avec succès, dans plusieurs

poésies des "Contemplations", qui révèle la nature douée

de vie, et d'action.

Le Moineau, le personnage le plus considérable de "La

Forêt Mouillée", n'est pas sans précurseur. Ses pareils

ont déjà existé dans "Les Contemplations"—18. Le poète

(56)

chasse les moineaux francs, "qui faisaient l'école

buisson-ière" du cimetière, croyant qu'ils n'ont pas de respect

pour les morts; mais un houx noir l'arrêta brusquement

par la manche, au passage, et lui explique que les moineaux

servent à égayer la cimetière, "Ils ont la gaieté de la

nature entière". I

"Ils pillent la joie de tout le monde,

Et lorsqu'ils sont bien pleins de jeux et de

chansons,

D'Eglogues, de baisers, de tous les commérages

Que les nids en avril font sous les verts ombrages",

ils les apportent au vieux cimetière,

et:-"Tout s'émeut, pierres, tertres, gazons,

Le moindre arbrisseau parle, et l'herbe est dans l'extase

Le saule pleureur chante en achevant sa phrase,

Il confesse les ifs devenus babillards.

Il jase de la vie avec les corbillards."

Le Moineau dans "La Forêt Mouillée" égayé la forêt, de la

même façon avec des chants qu'il a cueillis, dit-il,

"Du temps où ne rêvant qu'églogue et pastorale,

Dans les bois de Meudon, j'avais pris pour palais

La barbe d'un vieil antre, ami de Rabelais"

(57)

"Je suis gamin", dit-il, "autrefois, j'étais page".

• . ."Je suis l'oiseau gaieté, rapin de l'astre joie, A nous deux, nous faisons le printemps."

Il appartient, en vérité, à la fameuse famille des Gueux de Hugo, libre, errant, heureux, gai et philosophe.

"La vieille chanson du Jeune Temps" traite de la nature personnifiée, et aussi "Vere lîovo", et de même "Vers 1820"

où "Tout tremble et tout devient pédant", dès que le vieux mari de Denise vient "troubler la fraîche eglogue "

"L'ane bougonne un thème au boeuf, son camarade, Le vent fait sa tartine, et l'arbre sa tirade, L'églantine verdissant, doux garçon qui grandit, Déclame le récit de "Théramène" et dit

'Son front large est armé de cornes menaçantes'."

Denarius-*- et Léo*% les amoureux idéalistes, sont des échos du héros de "Vieille Chanson du Jeune Temps? La nature amoureuse dormait dans les grands bois sourds, mais il suit Rose,"dont l'oeil semble dire 'après', sans

comprendre le message de la nature. "Soit, n1y pensons plus"

dit Rose, en sortant de la Forêt. "Depuis j'y pense toujours", nous annonce tristement le héros .

(58)

l'homme*" Cette observation du héros de "La Coccinelle",

est bien de la même inspiration, et ce maladroit, qui attrape

la coccinelle au lieu d'un baiser, semble appartenir

égale-ment à cette triste fraternité.

(59)

B. L'EVOLUTION DES IDEES RELIGIEUSES DE VICTOR HUGO.

Le "Théâtre en Liberté" indique une transformation dans les

idées religieuses d'Hugo. En un mot il n'est plus Catholique, et il attaque l'Eglise et surtout les servants de l'Eglise, le clergé, et les Jésuites, avec toute la fureur des "Châtiments" Une espèce de libre pensée qui admet l'existence de Dieu, la vérité de la Bible, la nécessité de la prière, l'immortalité

et la vie éternelle, sans s'attacher à aucun culte, a remplacé les croyances catholiques qu'il a exprimées dans son oeuvre qui procède les années significatives, de 1848 à 1851.

Un fait qui n'est pas sans intérêt pour les critiques, c'est que "Les Misérables" écrits à Guernsey, qui

appar-tiennent par leur date à la deuxième période de sa vie, nous représentent un évêque catholique, plein de Taronté et de

qualités chrétiennes. Il y a aussi bien des passages, où l'auteur parle avec admiration des moines, des soeurs, et

autres ordres religieux. L'explication se trouve dans le fait que le manuscrit de "L'Evêque" a été écrit avant le coup

d'Etat, puis mis de coté, et l'auteur, naturellement, n'a pas voulu le gaspié. Il est quand même indisputable, comme dit M.Biré1 qu'Hugo a beaucoup retouché ces pages, afin

de les rapprocher le plus possible de ses idées récentes% 1. Victor Hugo, après 1830—Ed.Biré.

Références

Documents relatifs

J’adore le théâtre depuis toujours  : si je travaille dans le domaine de l’opéra, c’est pour faire se croiser deux passions, le théâtre et la littérature, avec la

L'étudiant choisit un sujet et entre, s’il le souhaite, en relation avec des laboratoires ou entreprises publics ou privées.... Une liste d’adresses est disponible

L’innovation que Victor Hugo introduit dans la tradition littéraire est que, pour lui, il ne peut avoir de représentation du sublime sans représentation du grotesque:. face

Plutôt qu’une représentation d’un pôle cohérent de la scène et de la société, le corps du roi hugolien manifeste ainsi une scission, un écart de soi à soi qui

C’est donc pour évoquer le triste sort de tous ces pauvres gens, qui n’ont parfois pas d’autre choix que de commettre des actes illégaux pour s’en sortir, que Victor Hugo

Cette année, Sigisbert Hugo, ayant été rappelé sur le continent, envoya sa famille à Paris où elle resta près de deux ans.. Pendant ce temps, Sigisbert Hugo s'était lié avec

J'ai pensé qu'il pleuvrait, et qu'il n'y avait pas de bon Dieu pour empêcher de pleuvoir, et je suis rentré dans la ville pour y trouver le renfoncement d'une porte?. Là, dans

Idéalement, la fin des iniquités permettra de se passer de rhétorique, comme il le rappelle dans Le Droit et la Loi (1875) : « Toute l’élo- quence humaine dans toutes