UN CONSERVATOIRE
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Synthèse par M. LETOURNEAU
Dans la série«
DECOUVERTES GALLIMARD - MEMOIRES DES LIEUX » L'une des parutions, sous le N°222 en 1994, fait un bilan très riche en illustrations et commentaires sur le passé et le devenir du Conservatoire des Arts et Métiers, rue Saint martin de Paris.Un livre à lire car il est une part de la mémoire des ScieJ!ces et des Techniques que tente de perpétrer ce
Conservatoire. ·
La partie MuséC
à
été entièrement rénovée et, est ouverte au public depuis fm:M;n
2000.Lors de notre Assemblée Générale, nous avons eula primeur d'une visite guidée par l'équipe responsa-ble du musée : Merci encore pour la qualité de cette visite et,
Bravo pour la réussite architecturale de la rénovation.
Avant une visite qui s'impose, si ce n'est déjà fait, un regard dans le livre de Gallimard •••
A l'automne 1794, la Terreur vient, à peine de s'apaiser. La Convention thermidorienne tient désormais les rênes du pouvoir. C'est dans cette pé-riode de transition que l'abbé Grégoire instaure un
« Conservatoire pour les arts et métiers, où se réuni-ront tous les outils et machines nouvellement inven-tés ou perfectionnés ». Sur le papier, le prêtre pa-triote a tout réglé : fonctionnement; statuts, pro-gramme.
Mais il :ne faudra pas moins de quatre ans pour ·choisir un lieu propice à l'idée.
« Bientat nous vous proposerons de former un conservatoire pour les machines. Cette école d'un nouveau genre avivera tous les arts et métiers » Henri
Grégoire, 31 Aoat 1794.
-CIIAP 1· Naissance d'une institUtion
- L'Oeil du«
connaisseur »-Dans l'Europe du XVIIe siècle, à l'instar des ca-binets d'amateurs, remplis de tableaux de maitres et d'antiquités, des collections particulières d'objets scientifiques ou techniques se constituent. Les cabinets de curiosités où s'entassent coquillages, plantes, miné-raux, animaux empaillés, monstres en bocaux, exaltent l'exotisme baroque de la Nature. Dans le même esprit
d'accumulation les cabinets de mécanique font écrin
aux« pièces excentriques», nées du tournage habile de l'ivoire et des essences de bois précieux. Au milieu de ces chefs d'œuvre, trônent les tours qui les ont sculptés, ceux que l'artiste a rendus complices de sa virtuosité singulière.
Le cabinet lyonnais de Nicolas Grollier de Ser-vières, auquel Louis XIV fit l'honneur de deux visites, constitue un modèle de ce type de« musée».
Les ateliers de la rue de Charonne
-Au cours du Grand Siècle, on désire posséder les machines comme des raretés qui suscitent l'étonne-ment de l'esprit et du regard Dans les années 1750, et même au-delà, la survivance de ces anciennes tendan-ces s'affirme encore dans les domaines du tournage or-nemental et de la mécanique de luxe, horlogerie et au-tomates. Mais, un ingénieur de haut vol, Jacques Vau-canson, va donner à la collection d'objets techniques un esprit tout autre. Dès 1746, il s'établit dans une de-meure du faubourg Saint Antoine : 1 'hôtel de Mortagne. C'est là qu'il fait fabriquer, grâce à des crédits d'Etat, différentes machines conçues ou améliorées par lui : tours et moulins à soie, machines à faire les chaînes ... Ainsi se forme un ensemble unique de prototypes
«
en vraie grandeur » ou de maquettes ; catalogue en trois dimensions de l'innovation techilique à l'époque de d'Alembert et Diderot.- - - Adp 11'1'1
info-
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- Du mythe du rouage à l'engrenage du produ~tif-Vaucanson veut s'ilnpliquer dans le contexte économique de SOn temps. fi donne. ~lUX collections de l'hôtel de Mortagne un accent précurseur: rassembler des machines pour leur intérêt technique ; envisager leur possible exploitation, leur fabrication en nombre. Voilà les soucis de l'ingénieur. Le goût de l'insolite, le rêve de l'amateur sont loin. C'est qu'aussi, les mentali-tés ont peu à peu évolué .. ~ L'avènement des Lumières induit une approche de plus en plus rationnelle de la technique. De . grandes aventures éditoriales s'appli-quent à fixer les normes du savoir faire : la Description des arts et métiers, les Machines et inventions approu-vées par 1 'Académie des sciences, et surtout l 'Encyclo-pédie. La création de complexes manufacturiers
préfi-gure 1' ère industrielle dès le milieu du XVIIIe siècle.
1 NAISSANCE
~.INSl'ITU'l'ION
Table des matières
IV LES ARCHITECTESDE L'IMPOSSIBLE
contrainte inéluctable. Au profit d'un critère d'efficaci-té, elle prive en partie la machine du prestige diffi.ts qu'elle avait acquis dès la Renaissance.
Tentatives d'incitation au savoir
-Vauèanson meurt en 1782. Suivant son vœu tes-tamentaire,
sa
collection est léguée à Louis XVI. Le 2août 1783, un rapport du Comité des finances suggère au roi d'enrichir cet b.éritage de machines anglaises et hollandaises. On pourrait même faire construire à Mor-. tagne les créations primées par le gouvernement, y pré-senter les modèles des machines les plus usitées dans les fabriques :
«
Un dépôt public de cette espèce ins-truirait, encouragerait ceux qui se sentent du goût et du talent pour l'invention des machines nouvelles»
Louis_XVI entérine le projet.
Pour la première fois en France, un cadre institutionnel est approprié à une collection publique d'objets techni-ques. La direction de l'hôtel de Morta-gne est confiée à un membre de l' Aca-démie des sciences, le mathématicien Vandermondetet l'Etat acquiert
définiti-14 Mutations de la curiosité 64 Grandeur et misères d'un prieuré vement les bâtiments de la rue de
Cha-ronne le 18 mai 1784.
16 La mécanique est une affaire d'Etat
18 Comment peut-on être savant? 20 Les lumières d'une soutane 24 Bernard-l'hermite
ll UN PATRIMOINE DANS L'ENGRENAGE
28 Rome ne s'est pas faîte en un jour 30 Grégoire met la main à la pâte
32 Ecrire et dessiner
36 «Le Portefeuille de Vaucanson»
38 Question d'ouverture
40 Le Conservatoire expert
42 Le charme des grandes collections
rn HISTOIRES D'AMPHITHÉÂTRES
48 La nouvelle école 50 Les mlll1res de la situation
52 Haute surveillance
54 Un ét11blissement bien en cours S6 Sans peau d'âne, point de salut
58 La grande réforme · 60 Plus dynamique que jamais,
leCNAMI
parisien
66 Vaudoyer, conciliateur des styles 68 Un projet à la hauteur
70 Un romantique en colère
72 Chronique d'une rue élargie 76 Jour de fête
V UNÉTATDANSL'ÉTAT
80 Chapelle mécanique
82 Un musée de toutes les surprises
84 Formes variées du présent
86 La caverne d'Ali Baba
88 Quelques vedettes
90 Coup de jeune 92 Mission impossible
94 Pour une meilleure définition de l'image TtMOIGNAGES ET DOCUMBNT8 98 Clichés de galeries 104 Elèves et professeurs 108 La fonction «recherche~ 112 La part du rêve
116 Structures et missions du CNAM aujourd'hui
118 Des os sous les moteurs 120Annexes
-Géométrie, algèbre et musicologie: Vandermonde a plus d'une corde à son
arc-Expert des fours à plâtre, des piè~ ces d'horlogerie ou des métiers à gaze, il livre quantité de rapports à l'Académie des sciences ou au Bureau du com-merce. Dans les dernières années de l'Ancien Régime, cet esprit éclairé, un peu brouillon parfois, va gérer le patri-moine inestimable de Mortagne et assu-rer son accroissement régulier. Aux ·dons et acquisitions s'ajoutent les objets construits, sur plans dans les ateliers de l'hôtel, comme à l'époque de Vaucan-son. Pour les seules années 1785-1786, une centaine de modèles viennent gon-fler les . collections. Plus du tiers sont exécutés sur place. La mécanique textile se distingue comme un domaine priori-taire : machine à fabriquer le lacet, de Perrault ; métier à façonnés, de Do-mont ; métier à filer le coton, de Pick-ford ; machines de Milne et de Dellié ... La liberté du commerce et de 1' entreprise,
prô-née par les physiocrates, est activement défendue par Turgot, dans les premières années du règne de Louis XVI. La production en série s'annonce comme une
A partir de 1786; Vandennonde appelle aupr~s de lui \Ul jeune ingénieur, Claude Pierre Motard, qm di-rige les opérations de montage dans les ateliers et se li-vre, à l'occasion, à la démonstration publique du
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injo-
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tionnement des machines.
- Le poids de l'expérience
-Dans le même temps, les cabinets de physique, nés vers le milieu du xvme siècle, ont eux aussi pris de l'importance. Comme leur essor est lié à celui de la
science expérimentale, ils sont le théâtre d'essais, de démonstrations, d'enseignements. Même s'ils tradui-sent un souci esthétique, les appareils rassemblés dans ces cabinets sont moins des oeuvres d'art que les ins-truments d'une pratique.
L'abbé Jean Antoine Nollet, titulaire en 1756 d'une chaire de physique expérimentale au Collège de Navarre, org3nisa l'une des plus bellès collections fran-çaises de ce genre. Elle fut ensuite acquise par 1 'inven-teur du ballon à hydrogène, le physicien Jacques Alexandre Charles, qui l'augmenta largement avant d'en faire cession à 1 'Etat, au début du XIXe siècle.
-Un père
fondateur-A la veille de la Révolution, les cabinets de phy-sique et de mécanique ont donc déjà une longue his-toire. La
«
nationalisation » de l'hôtel de Mortagne, en dépit des espoirs qu'elle exprimait, n'a pas eu sur les secteurs de production l'impact attendu. D'une plume volontaire, celle de l'abbé Grégoire, va jaillir le plan d'uit établissement beaucoup plus ambitieux. Depuis son élection comme 1 'un des représentants du clergé aux états généraux de 1789, le curé d'Embennénil,Henri Grégoire, a fait preuve d'une activité débordante. Le 18 janvier 1791, il est nommé président de 1 'Assem-blée nationale ; le 14 février suivant, le département du
Loir et Cher lui confie l'évêché de Blois. En septembre 1792, il est désigné à une large majorité à la présidence de la Convention nationale. L'homme d'action est un penseur. Chantre de 1' égalité raciale, défenseur des Noirs et des Juifs, Grégoire mène aussi une lutte sans merci pour la cause du patrimoine culturel.
n
établit un rapport sur la bibliographie (avril1794) ; s'attache aux moyens « d'anéantir les patois et d'universaliser la lan-gue française >> (mai 1794). Le 8 vendémiaire anrn
[29 septembre 1794], il rend public un« Rapport sur l'éta-blissement d'un Conservatoire des Arts et Métiers »Telle est l'une des grandes options de ce mani-feste. Pour attiser l'émulation et l'ingéniosité, Grégoire prQpose dé regrçmper dans. un mêm,e espace l'ensemble des machines, OUtilS et instruments nouVeaUX. Mais ce « Conservatoire
»,
plutôt qu'une collection jalouse de ses merveilles, doit se révéler un carrefour du savoir, et permettre à « 1' artisan qui n'a vu que son atelier » de sortir de l'isolement : « On choisira un local vaste et susceptible, en partie, de recevoir la forme d'amphi-théâtre»Le 10 octobre 1794, Grégoire signe l'acte de naissance officiel ; un décret approuvé par la Conven-tion naConven-tionale : «
n
sera formé à Paris, sous le nom de Conservatoire des Arts et Métiers, et sous l'inspection de la Commission d'agriculture et des arts, un dépôt de machines, modèles, outils, dessins, descriptions et li-vres dans tous les genres d'arts et métiers »Un trésor sans domicile f"o:e
-Les collections de l'hôtel de Mortagne consti-tuent la dotation naturelle - mais point unique - du Conservatoire. Substituée en décembre 1793 à la Com-mission des monuments, la ComCom-mission temporaire des arts s'est attachée à préserver les biens nationaux du vandalisme et a favorisé leur orientation vers différents dépôts parisiens. L'institution fondée par l'abbé Gré-goire reçoit de précieux cadeaux de baptême, puisés à ces greniers de l'Etat : les instruments et machines de l'Académie des sciences, qui s'entassent au Louvre avec les objets de mécanique confisqués à Philippe Egalité ; les instruments aratoires, engins hydrauliques, presses et autres machines placées dans l'ancien hôtel . d'Aiguillon, rue de l'Université.
[
...
]«
Il faut éclairer l'ignorance qui ne connaft pas, et la pauvreté qui n'a pas le moyen de connaî-tre»
-L'abbéGrégoire-[
...
]_ _ _;,_ _ _ _ _ _ _ A.dp 11'8'1