Systèmes de produ ction e t de circulation
L 'art
rupestre
des
Ind
de
la
culture
Anasaz
Des figures stéréotypées reflet d'une société
Valérie Feruglio (Équipe scientifique de la Grotte Chauvet Pont d’Arc)
C e t a rt qui se manifeste dans les sites d 'h a b ita t en abri-sous-roche des canyons du grand ouest am éricain, est limité, pour l'expression d e certains styles, dans le tem ps e t l'e sp a ce . Les figures anthropom orphes stéréotypées aux attributs normés sont-elles le fa it d'individus au statut particulier ? L'association a v e c les aires d'habitations pourrait conférer à c e f art un aspect dom estique, était-il d o n c à la portée d e tous ? Les changem ents d e style traduisent-ils des évolutions sociales, économ iques ou religieuses ? Quelques exemples provenant du C anyon d e Chelly en Arizona illustrent ces interrogations.
La culture des Anasazis
La culture Anasazi se rencontre dans le sud-ouest des États-Unis dans la région dénom m ée des Four- Corners soit l'intersection des quatre états : Colorado, Nouveau-Mexique, Utah e t Arizona. Elle s'étend de 300 BC à 1500 AD e t est le fa it d'agriculteurs semi-sédentaires et sédentaires vivant dans les zones élevées du plateau du Colorado. Six branches divisent c e tte culture : Mesa Verde, Chaco, Kayenta, Virgin, Winslow/Little C olorado River et Rio Grande.
Anasazi est un term e Navajo signifiant « les anciens ». C 'est une culture qui se d é ve lo p p e sur une base économ iqu e d e chasseurs-cueilleurs à laquelle s'ajoute progressivement l'agriculture (à moins qu'il ne s'agisse d'incursions d'autres peuples). On observe des variations culturelles locales dues vraisem blablem ent à l'environnem ent e t aux axes d e pénétration p e rm e tta n t à diverses influences de circuler. Ces variations se nofenf a v a n f to u t dans les types de céram ique e t les styles d'a rchitecture.
L'a b a n d o n des zones du nord du C olorado par les Anasazis aux alentours d e 1300 AD est dû à des changem ents climatiques a ffe c ta n t l'agriculture, à la pression des populations nom ades com m e les proto- Navajo, les Apaches, les Ute e t les Paiute et des réorganisations sociales, politiques e t religieuses.
C 'est la culture la mieux connue e t la plus é tudiée de la région.
Valérie Feruglio
Brève chronologie
Basketmaker 1 Niveau archaïque, m aintenan t reieté
Basketmaker II Agriculture, propulseurs, sans poterie 1 AD à 400 AD
Basketmaker III Maison en sous-sol, poteries 450 à 750-800 AD
Pueblo 1 Village en m açonnerie, poterie à col 750 à 900-1000 AD
Pueblo II Petits villages 850 à 1100-1150 AD
Pueblo III Grandes com munautés,
décoration artistique e t artisanat spécialisé 1100 à 1300 AD
Pueblo IV Déclin de l'artistique 1300à 1700 AD
Pueblo V d e 1700 à nos jours
Mode de vie
Ces groupes sont caractérisés par des habitats en abris-sous-roche am énagés pour des raisons religieuses ou défensives. Ils vivent en alternance dans des maisons temporaires, cultivant à la faveur des eaux de crues ou d e pluies e t se réfugiant ensuite dans les abris de falaises qui servaient aussi de magasin à nourriture e t d e lieu d e sépulture. C'est dans ces abris qu e la grande m ajorité des expressions artistiques est retrouvée. La population, à c e tte époque, est présumée assez faible e t ces abris d evaien t être occupés par deux ou trois groupes familiaux de trois générations. Ils chassaient a ve c des propulseurs e t des bâtons de jet courbes (sem blable au bâton à lapin encore utilisé pa r les Hopis). Les Basketmakers n 'é ta ie n t pas seulement des peintres, ils é taient aussi d e remarquables artisans co m m e en tém oignen t leurs paniers, sandales, sacs tissés. Les accessoires vestimentaires é taient très importants : on a retrouvé de nombreux colliers, éléments de coiffures, pendeloques, boucles d'oreilles d e graines, d e coquillages e t ces éléments sont pour la plupart illustrés dans l'a rt rupestre.
L’art
Deux styles sont attribuables aux Anasazis : le Style Linéaire d e Glen C anyon dérivant du style archaïque e t le Style des Anthropom orphes de la San Juan River. Ce dernier est associé aux vestiges des Basketmakers II, il serait le plus ancien.
Plus tard, l'a rt des Basketmakers III jusqu'au Pueblo III semble plus uniforme à travers la région Anasazi du N evada jusqu'au Rio G rande indiquant un grand nom bre d 'é ch a n g e s au sein d e la culture. On ne sait pas co m m e n t se fa it la transition à cause du m anque d e datations. Cela intervient à un m om ent de croissance d é m ograp hique a v e c l'introduction de la poterie, rem p la ce m e n t du propulseur par l'a rc e t d é p e n d a n c e plus accru e à l'horticulture. Les habitats deviennent perm anents incluant des kivas, des structures religieuses m arquant un ch a n g e m e n t dans l'organisation religieuse. Dans l'art, on passe à une réduction en taille des anthropom orphes e t to u t un com plexe de nouveaux éléments entre en jeu. De nouveaux types d e figures créent d e nouvelles directions dans l'expression artistique. Le système idéologique qui a produit les grands anthropom orphes des Basketmakers II laisse la p la ce à d e nouveaux systèmes de pensée p rovoqua nt le recours à d e nouveaux motifs. Les fonctions de l'a rt sem blent avoir changé.
Le Style San Juan
Le Style San Juan des Basketmakers II est relativem ent localisé, limité au plateau e t très différent des phases suivantes. Ce style, circonscrit à un territoire e t à une époque, est révélateur d 'u n e forte identité culturelle.
L'élém ent le plus caractéristique d e c e t art est le grand anthropom orphe aux larges épaules. Peint en ligne, pa r paire ou épars sur la paroi, il pe u t être très élaboré. Ces représentations sont souvent bicolores et portent des attributs de coiffure, des colliers, des boucles d'oreilles ou des ceintures. Certaines o n t des yeux ou des détails du visage. Les mains e t les pieds peints a v e c les doigts, le plus souvent en extension, sont typiques, c e qui d onne encore plus d e rigidité aux figures. Certaines portent une sorte d e sac de cérém onie. Les figures les plus simples e t petites sont réalisées en a p la t m onochrom e (souvent blanc), les grandes o n t des contours simples a v e c des décorations intérieures : lignes de points ou en zigzag sur le torse, ceinture, colliers a v e c une a p p lica tio n d e mains positives sur la poitrine. Une coiffure typ iq u e est celle faite de deux éléments, l'un vertical e t l'au tre latéral droit de form e simple ou plus com plexe (série d'ovales ou série de croissants). Dans certains cas, il p e u t s'agir d e plumes mais dans d'autres cas, il n 'y a pas d'in terprétation matérielle. On retrouve ces mêmes attributs jusqu'en Utah, ils p e u ve n t être représentés seuls sans association d ire cte a v e c les anthropom orphes. La valeur attribuée aux figures coiffées e f sans coiffures peut-être différente. L'interprétation de ces différents motifs s'aide parfois des restes découverts dans les tom bes ou les silos offrant une information sur les oiseaux, les plumes, la nourriture, les outils, les vêtements, les bijoux, les coiffures, les sacs en peau qui sonf peints sur les parois.
Systèmes d e produ ction e t de circulation
On considère que les mains positives ainsi que les représentations d e propulseurs sont contemporaines. Les différents moyens techniques employés pour créer les motifs contribuent aussi au sens général de style e t à sa considération esthétique. Les gravures sont ta n tô t piquetées (en percussion directe ou au ciseau), ta n tô t incisées (pour ces dernières, il s'ag it plutôt des oeuvres historiques). Elles sont plus nombreuses que les peintures mais certains sites sont exclusivement peints. Le choix du ty p e d e gravures est lié à un style. Les petites figures sont entièrem ent piquetées tandis que les grandes ne sont que détourées. L'absence de remplissage va alors perm ettre l'a d jo n ctio n d e nombreux détails. La gravure est localisée suivant les zones où l'on trouve des surfaces lisses de roche sombre, tandis que les roches claires sont plus propices à la peinture. Mais des facteurs tels q u e le rituel ou le fo n ctio n n e l interviennent é g a le m e n t. Les peintures se trouvent préférentiellem ent sur les surfaces claires e t protégées des intempéries où il y a peu ou pas de patine. Les couleurs n 'o n t pas été analysées mais il semble q ue les matières premières proviennent de sources proches des sites. Le choix est lié au rituel e t aux matériaux disponibles. Des études ont é té menées sur les pigments utilisés pour les peintures murales à l'intérieur des kivas e t sur les poteries d é m ontran t qu'il s'agissait des mêmes préparations. On pe u t d o n c im aginer que les mêmes pigments ont é té utilisés pour l'a rt rupestre, ce qui perm et d e supposer qu'un m êm e individu pouvait être l'auteur d e ces différentes productions artistiques. Les rouges sont des ocres, les oranges une com binaison d 'o c re et d e limonite. Les verts sont obtenus a ve c d e la m alachite ; le bleu (clair) a v e c d e l'azurite e t probable m ent aussi a v e c d e la turquoise. Les blancs proviennent des gypses, d e la craie, des silicates ou du c a rb o n a te de calcium ; de l'argile teintée perm et d 'o b te n ir toute une ga m m e de pastels. Un liant est ajouté aux pigments broyés. L'eau serait le plus fréquem m ent utilisée. C ependant, d'après les sources ethnographiques, le liant serait préférentiellem ent d'o rigine organique : par exemple, les objets de cérém onies Hopis sont peints à l'a id e de salive produite par la mastication de différentes graines oléagineuses. Il existe aussi un liant à base de sirop ou d e jus de yucca, d e la gom m e de pin pour préparer la peinture bleue e t verte, e t le blanc des œufs d'aigles. La surface à peindre a pu être préparée par abrasion, en particulier sur les supports gréseux. L'application de la peinture se fait à l'a id e de pinceaux probable m ent en feuilles d e yu c c a m âchées pour les détails, e t pour les larges aplats, d'enveloppes de maïs fixées autour du doigt. Le d o ig t seul a pu être utilisé. Les peintures au pochoir sont rares : les plus com m unes é ta n t les mains négatives.
Ce qui est intéressant dans le style San Juan c'e st que, quelle qu e soit la technique, le style reste constant e t les conventions sont respectées.
Fonction des sites d’art rupestre
Plusieurs fonctions pourraient être attribuées à un m êm e site a v e c éventuellem ent différents exécutants aux ca p a cité s différentes selon les sujets e t la disposition des œuvres. Il est vrai que leur association a ve c les lieux d 'h a b ita t pose la question d e l'existence « d'artistes ». C haque groupe familial a pu peindre ses figures tutélaires ou symboliques sans avoir recours à une personne investie d e c e tte charge. Les chercheurs am éricains considèrent que ces anthropom orphes sont des représentations d'êtres surnaturels, voire de cham anes do n t on prendrait la fo rce ou les faveurs en a p p liq u a n t les mains positives sur leur torse ou autour d'eux. On trouve effe ctive m e n t d e nombreuses figures associées à des mains positives d e couleurs variées (jaunes, oranges, rouges, blanches e t vertes), mais toutes ne le sont pas. Les oiseaux qui a c c o m p a g n e n t fréquem m ent ces anthropom orphes symboliseraient les vols cham aniques.
Un exemple
Le C anyon d e Chelly (Arizona) con ce n tre un grand nom bre d e sites majeurs d e l'a rt des Basketmakers. Jouissant d 'u n e bonne conservation, ils rassemblent près d e 2000 ans d e production artistique. De nombreux panneaux concentrent, en superpositions, différents motifs a p p a rte n a n t aux diverses cultures qui se sont succédé jusqu'à aujourd'hui.
Dans d e nombreux abris, des traces d e constructions (appui d e poutres, restes d e torchis...) peuvent être observées sur les parois. Elles recouvrent toujours les motifs e t ne sont d o n c pas contem poraines. C epe n d a n t il est probable que d'autres structures étaient présentes car certains anthropom orphes se situent à des hauteurs incom patibles a v e c une exécution depuis le sol. De même, les mains appliquées sur les torses des anthropom orphes ne sem blent pas toutes exa cte m e n t contem poraines e t il peut s'agir d'incursions plus tardives m arquant une prise en c o m p te différente des représentations humaines et p ouvan t représenter une volonté de les « réanimer » en quelque sorte.
Valérie Feruglio
Conclusion
L'hom ogénéité d e style au sein d 'u n e région est le reflet d 'u n réseau d 'é ch a n g e s d'informations, il perm et d e déterm iner l'e ffic a c ité des relations intergroupes. Les détails m étaphoriques sont compris par un large public, les conventions sont figées. Il est probable qu e les attributs qui c o m p lè te n t les figures déterm inent une valeur particulière pour ch a q u e personnage e t éventuellem ent une reconnaissance sexuelle. Souvent les représentations vont par deux e t on peut parfois distinguer les hommes des femmes d e fa ço n explicite, mais il n'est pas exclu que certains détails, moins parlants à nos yeux, soient déterm inants (colliers...). Ces grands personnages ont d o n c une valeur duelle que seul le fonds culturel p a rta g é pe rm e t de lire.
Les variations mineures au sein d 'u n style, dans des sites contem porains, peuvent indiquer que ces sites réponda ient à différents besoins. Lorsqu'elles portent sur des détails, ces variations peuvent être le fait d'e xécutants issus de différentes familles. L'art pariétal m arque d o n c à la fois des aires familiales e t des territoires partagés. Dans les abris où sont peintes ces figures, la présence de restes d'habitations, de silos e t de tom bes pe u t impliquer une relation fonctionnelle entre ces figures e t les autres activités du lieu.
Certains motifs portent un message rituel et ethnog ra phique tandis q u e d'autres portent des marques d e familles. Il semble fort probable que la force du stéréotype a permis à différents membres du groupe, sans statut particulier, d 'e xé cu te r ses figures.
Éléments bibliographiques
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