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Les limites des politiques de revenu minimum : l'occasion d'un dépassement de la gestion sociale de l'exclusion

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Academic year: 2021

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HAL Id: hal-01526977

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01526977

Submitted on 23 May 2017

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d’un dépassement de la gestion sociale de l’exclusion

Thierry Fournier, Daniel Goujon

To cite this version:

Thierry Fournier, Daniel Goujon. Les limites des politiques de revenu minimum : l’occasion d’un dépassement de la gestion sociale de l’exclusion. [Rapport de recherche] Laboratoire d’analyse et de techniques économiques(LATEC). 1997, 32 p., ref. bib. : 3 p. �hal-01526977�

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ET DE TECHNIQUES ÉCONOMIQUES

U.R.A. 342 C.N.R.S.

DOCUMENT de TRAVAIL

UNIVERSITE DE BOURGOGNE

FACULTE DE SCIENCE ECONOMIQUE ET DE GESTION 4, boulevard Gabriel - 21000 DIJON - Tél. 80395430 - Fax 80395648

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Les limites des politiques de revenu minimum : l’occasion d’un dépassement de la gestion

sociale de l’exclusion

Thierry FOURNIER et Daniel GO UJO N*

février 1997

Université de Bourgogne LA T E C - U M R 5601 C NR S

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l’occasion d ’un dépassement de la gestion sociale de l’exclusion

R E S U M E

A la lumière de l’actuel débat théorique en faveur de l’octroi d’un revenu minimum, nous nous proposons de révéler les apports et les limites de la politique française de lutte contre l’exclusion du Revenu Minimum d’ insertion. Après avoir mis en évidence la nécessité de dépassement de l’ actuelle pratique d’assistance et montré la nécessité sociétale d’évoluer vers un mode renouvelé de partage du revenu et du travail dans la société, nous montrons que cette « utopie progressiste » bute sur un obstacle économique perceptible dans la carence des possibilités de financement du partage du temps de travail. L ’origine de cette carence est à rechercher dans la spoliation d’une partie du revenu global au profit, non des titulaires de capital -à qui alors il serait possible de demander un financement-, mais au profit des entreprises en tant que « non-personnes ». Ainsi, la solidarité passe par le partage, or, c’est une donnée essentielle du partage qui semble échapper à la redistribution et par là même au financement de la crise et de l’exclusion.

M O T S C LE S

Exclusion - Politique du RMI - Partage du temps de travail - Crise économique - Gestion sociale du chômage.

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IN T R O D U C T IO N ... 1

1. "Exclure l'exclusion" : le revenu minimum un "outil universel", utilisé par des courants d'analyses opposés...3

1.1. La tendance "libérale" du revenu minimum : rationalisation de la protection sociale et valorisation des arbitrages de marché... 3

1.2. Le revenu minimum : une nouvelle forme de répartition des revenus s'inscrivant dans un projet de société renouvelée... 4

a. Allocation universelle et libre activité : recherche de cohérence au delà de la norme salariale... 6

b. Revenu de citoyenneté et partage du temps de travail : recherche de cohérence autour de la norme salariale... 6

2. Le R M I en question : une pratique rawlsienne de la justice ? un outil distributionniste ? un outil de "gestion" de l'exclusion ?... 7

2.1. Le RMI : un "roi mage", porteur d'un nouveau principe de justice, au berceau d'un système libéral de protection sociale... 8

a. Le RMI, une pratique incomplète de la justice rawlsienne ...9

b .... pour une nouvelle logique de protection sociale... 10

2.2. Le "I" de RMI, une volonté "distributionniste" de dépassement de l'indemnisation passive de la pauvreté ? Une contrainte favorable au développement de l'économie solidaire marchande ? ...12

2.3. Au-delà du RMI et de la gestion sociale de l'exclusion : une société réconciliée dans le partage du revenu et/ou temps de travail ? ... 15

3. Les utopies progressistes en faveur du partage revenu/travail face à la réalité macroéconomique de son impossible financement...16

3.1. Le traitement social du chômage : un partage de richesses que le travail ne semble plus pouvoir faire naître...17

3.2.... révèle la nature, d'origine "macroéconomique", du problème posé...19

3.3. Pour une lecture novatrice des propositions de gestion de l'exclusion, par le partage du temps de travail... 22

a. Cas d’une réduction non compensée - à la charge des salariés - du temps de travail : ...22

b. Diminution compensée à la charge exclusive des entreprises... 23

c. Diminution compensée par intermédiation de l'Etat : ... 24

d. Diminution compensée par le financement des revenus du capital : ... 25

C O N C L U S IO N ...28

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En cette fin de XXème siècle, le développement du chômage de masse et l'accroissement des situations d'exclusion1 montre que le besoin de réflexion en matière de développement, de justice sociale et de citoyenneté est loin d’être épuisé. Ce constat tranche avec la situation quasi "idyllique2" de la période dite des "trente glorieuses" où le développement économique allait de pair avec celui des garanties sociales. Cette société de marché "idéale", pacifiée dans un projet commun de progrès économique et de satisfaction croissante des besoins individuels et sociaux, semblait donner pleinement raison à A. SMITH et jetait aux "oubliettes de l'histoire" tout projet alternatif de société. Bien évidemment, cette vision de la société réconciliée dans l'abondance de marché passait sous silence la "mauvaise fortune" des pays dits du "Tiers monde". Cet oubli de taille ne devait néanmoins pas troubler "le banquet de la nature3" où seuls les plus prospères étaient conviés, la globalisation du marché devant à terme permettre l'extension de l'opulence aux plus pauvres.

Aujourd'hui, l'avenir est beaucoup plus sombre, l'abondance devient toute relative au regard du développement de la pauvreté dans les pays riches et de sa persistance dans les pays pauvres. Sans être remise en cause économiquement, la mondialisation des échanges est tenue pour responsable de l'aggravation de la situation sociale dans les pays développés. Cette prise de conscience tardive renouvelle le questionnement en matière de justice sociale, celle-ci semblant de moins en moins aller de pair avec l'extension de la logique de marché. Ainsi, il apparaît urgent de suppléer aux insuffisances distributives du marché, celles-ci étant, en matière d'emploi, source de "chômage" et en matière de revenus source d'inégalités4. Les exclus, les "nouveaux pauvres", étant victimes des deux formes de précarité, la question centrale pour notre société devient donc : comment aménager les arbitrages de marché et transformer les interventions de l'Etat, pour lutter activement contre l'exclusion ?

INTR O D UC TIO N

1 "E n France cin q m illion s de personnes, selon les institutions spécialisées, seraient soit m arginalisées, soit profondément fragilisées (fin mars 1995, la France comptait un m illion de R M lstes ; le nombre de fam illes en dessous du seuil de pauvreté était de 2 169 744 en 1989. Une fam ille sur quatre aurait été touchée par le chômage entre janvier

1993 et jan vier 1994" (P. E N G E L H A R D -1996, p. 128).

2 Ou plus exactement avec la situation que l'on se prend à trouver "idylliqu e", à comparer à la situation actuelle. C'est néanmoins faire peu de cas des mouvements sociaux et revendications sociales de la fin des années 60. "... le couplage du travail et des protections auquel était parvenue - pour aller vite - la société salariale, a représenté une manière inégalée de vaincre la v ulnérabilité de masse ; une manière d'assurer un minimum de sécurité à un maximum de gens. [...] Maintenant que je défends cette position, je suis totalement convaincu que nous ne dépasserons pas cela. Com m e l'avenir ne se présente pas com m e un avenir où nous nagerions dans l'opulence, je ne crois pas qu'on fera mieux en termes de démocratie, de garantie, de protection, etc. On fera plutôt moins bien. N e pas faire trop en deçà serait déjà bien" (R . C A S T E L - 1996).

Il est ici fait référence à r apologue du banquet utilisé par T .R . M A L T H U S pour dénoncer l'aide sociale et plus généralement toute politique redistributive en faveur des pauv res qui par redistribution de la richesse concourt à l'accroissement de la misère (T .R . M A L T H U S - 1964).

4 L'exam en de l'exclusion selon la problématique de dualisme social - opposition inclus/exclus - ne donne qu'une v ision parcellaire des conséquences socio-économiques des imperfections de marché. Elle ne permet pas de prendre en compte l'accroissement des inégalités aux sein de la population activ e qui, au même titre que l'exclusion, est une conséquence de la crise économique.

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L'actuel débat médiatique sur cette question centrale nous montre qu’il existe deux voies principales de réflexion :

- Selon la première voie, la protection sociale est à la fois trop coûteuse et inadaptée au problème de l'exclusion, il convient donc de modificer les politiques sociales mises en oeuvre dans le cadre de l'Etat-providence. Cette transformation vise à la fois à focaliser l'effort social de la nation sur les plus démunis mais aussi à redonner une "bouffée d'oxygène" à l'initiative individuelle, gage de bonne affectation des ressources.

- Le second champ de réflexion a pour point de départ la modification de la façon de produire, ou pour le moins l'intensification de la productivité du travail, relatifs à l'automatisation croissante du processus de production et à l'adoption de nouveaux modes d'organisation et de gestion de la main-d'oeuvre5. Ces éléments sont source d'une diminution du besoin d'emploi et d'une impossible valorisation du droit fondamental au travail. Ainsi, il convient d'oeuvrer en faveur d'une modification ou d'un réaménagement de l'articulation, ''travail, protection et dignité sociale", caractéristiques du "modèle salarial" (R. CASTEL -1996).

Les explications de l'exclusion retenues restent consensuelles et si elles s'accompagnent de critiques, celles-ci restent en deçà d'une remise en cause du système économique. Même si la crise est profonde, elle devrait, selon ces approches, pouvoir trouver une solution dans l'adaptation du mode de distribution des revenus. Ainsi, le système productif est en quelque sorte dédouané6 du dysfonctionnement que constitue le chômage, ce dernier devant exclusivement faire l'objet d'un "traitement social". La faiblesse des propositions d'intervention en matière économique, due en grande partie à la marge de manoeuvre limitée des gouvernements7 et le recours exclusif à la "boîte à outil" du social pour résoudre le chômage sont élevées au rang de "pensée unique".

Dans la "boîte à outils du social", le revenu minimum figure en bonne place et cela, comme nous le montrerons, quelle que soit l'interprétation de la structuration de l'exclusion privilégiée. La politique de revenu minimum suivie dans la plupart des pays européens, n'est que la face visible d'un intense débat théorique sur le devenir des systèmes de protection sociale et plus globalement sur celui

^ Le mythe d'un accroissement de la productivité du travail, et par voie de conséquence du chôm age, consécutif à la robotisation de la production, doit être relativisé à l’aune de la faiblesse de l'investissement dans les entreprises. "Il est une forme d'augmentation de la productivité que les entreprises préfèrent de beaucoup à toute autre et notamment à la substitution capital/travail : supprimer des emplois en ne les remplaçant par rien, car rien ne coûte moins cher que rien, même pas le plus prim itif bien de production. Sous la pression d'une croissance faible et d'une concurrence accrue, on a effectivem en t réalisé ce rêve, augmenter la productivité sans investir : ce sont les fameuses techniques japonaises d'organisation industrielle, associées à la poursuite du processus par simplification des produits" (G . D U V A L - 1996) 6 puisqu'il semble, participer spontanément à l'accroissement de la richesse disponible, et par là m êm e o ffrir une possibilité de résolution du chômage dans la répartition de cette richesse.

7 Les lois de l'économ ie s'imposent maintenant aux Etats. Bien que ce qu'il soit convenu d'appeler la "pensée unique", ne fasse l'objet d'aucune définition précise, une de ses caractéristiques essentielles sem ble être le fait que, la mondialisation étant inéluctable, la loi des marchés implique que "l'économ ique prime sur le p olitiq u e" (P .H . de M E N T H O N , P. P L A S S A R T et J.M. V IT T O R I - 1996, p. 22)

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de la société salariale. A la lumière de ce débat, nous nous proposons de relever les finalités implicites et les conséquences de la politique française de lutte contre l'exclusion par le biais du Revenu Minimum d'insertion. A l'aune de ses insuffisances, nous envisagerons la possibilité de faire évoluer cette pratique d'assistance vers de nouveaux modes de distribution des revenus et/ou de partage du temps de travail. Même si ces utopies progressistes offrent d’intéressantes voies de dépassement d'une politique d'assistance, leur action sur le processus d'exclusion doit être appréhendée à l'aide d'une approche révélatrice à la fois de l'origine macroéconomique de la crise et des limites économiques du financement des politiques de lutte contre l'exclusion.

1. "Exclure l'exclusion" : le revenu minimum un "outil universel", utilisé par des courants d'analyses opposés.

Par les finalités multiples qu'on lui assigne, et sous les formes différentes qu'on lui donne, le revenu minimum fait l'objet d'un large consensus entre partisans de courants de pensée opposés. Conformément aux axes de réflexion dégagés précédemment, au-delà des recoupements et des zones d'incertitude, il est possible de dégager deux grandes tendances se référant à des conceptions de l'organisation sociale et de la justice fort différentes : une tendance d'inspiration libérale et une tendance dite "distributionniste", celle-ci se divisant elle-même en deux sous groupes "les participationnistes" et les partisans du partage du temps de travail.

1.1. La tendance "libérale" du revenu minimum : rationalisation de la protection sociale et valorisation des arbitrages de marché.

Dans le nouvel environnement socio-économique, l'Etat-providence traverse une crise multiple de financement, d'efficacité et de légitimité (P. ROSANVALLON - 1995). Non seulement son coût devient insupportable en raison des exigences de compétitivité, mais il s’avère aussi impuissant face à l'actuelle recrudescence de la pauvreté. Cette perte de légitimité réactive la critique libérale de l'interventionnisme social. Toutefois, l'argumentation retenue permet de sortir du cadre de la critique libérale radicale. La protection sociale est dénoncée à la lumière de ses excès, un coût alourdi par une gestion bureaucratique, mais aussi et surtout au regard de ses insuffisances, le principe de justice défendu - assurance sociale et égalité de traitement des assurés - ne correspond pas aux réalités sociales du moment - exclusion du travail. Ainsi, en lieu et place d'une lutte systématique et globale contre l'injustice relative, il semble utile d'orienter les politiques sociales vers une lutte plus systématique contre la pauvreté absolue.

Conformément aux besoins d'évolution des régimes de protection sociale, la "Théorie de la justice" de John RAWLS (1987) constitue une base de réflexion pour l'élaboration d'une nouvelle conception redistributive. Selon le principe du "maximin" - maximiser le sort des plus défavorisés et conformément à une règle d'égalité démocratique, une discrimination en faveur des plus démunis s'impose, afin que ceux-ci puissent "tirer profit" des inégalités économiques et sociales. Ainsi, les arbitrages de marché ne doivent plus, comme dans le cadre de l'Etat-providence, être affaiblis par une trop forte redistribution, mais être néanmoins complétés par un système de garantie minimale des

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ressources.

Il est possible d'entrevoir cette politique selon deux angles différents qui se rejoignent : soit sous l'angle d'une modernisation du principe libéral de justice et de l'élaboration d'un "régime commutatif* à visage humain" (P. ROSANVALLON - 1981), soit sous l'angle de la restructuration de la sociale démocratie autour d'un principe de valorisation démocratique des plus démunis.

Pour faire valoir leurs objectifs respectifs, ces deux courants vont utiliser des outils proches, tels que l'impôt négatif sur le revenu pour le premier ou l'allocation universelle pour le second.

Ainsi, dans la droite ligne des propositions libérales d'impôt négatif sur le revenu, viendrait se substituer à la diversité des systèmes de prise en charge actuels, une allocation monétaire unique (M. & R. FRIEDMAN - 1980). Dans "un régime commutatif à visage humain", une telle garantie minimale de revenus s'accompagnerait d'un mécanisme incitateur à l'activité afin que les individus, quel que soit leur niveau de revenus, trouvent en permanence un avantage pécuniaire à l'exercice d'un travail.

L'allocation universelle, à la différence de l'impôt négatif sur le revenu, n'est pas dotée d'un tel mécanisme. Son but premier n'est pas de s'opposer à la désincitation au travail mais de veiller à ce que chacun bénéficie, grâce à la garantie d'un minimum de ressources, d'une citoyenneté de plein droit.

Nous voyons donc que la stabilisation des dépenses sociales, la modification des principes de justice et le retour à un marché régulateur sont trois arguments repris dans des proportions variables par les partisans d'un impôt négatif ou d'une allocation universelle version "libérale ".

1.2. Le revenu minimum : une nouvelle forme de répartition des revenus s'inscrivant dans un projet de société renouvelée.

Le dualisme social est la voie actuelle empruntée par la rationalité économique. Cette voie peut à terme se révéler fortement contre-productive. La pauvreté et l'exclusion, en tant qu'extemalités négatives de la croissance économique, affaiblissent considérablement la légitimité du mode de développement productiviste privilégié depuis la révolution industrielle. L ’élaboration d'un "revenu d'existence", d'un "deuxième chèque" ou bien encore d'un "revenu social" - selon l'appellation retenue -, est perçue de façon univoque comme un moyen permettant de fournir une plus grande cohérence sociale au système productif. Par ailleurs, vouloir adjoindre à la rationalité économique une rationalité sociale supérieure conduit aussi à promouvoir une nouvelle façon de vivre, plus autonome, permettant un étoffement de l'entité sociale dans une valorisation du temps libre. Ainsi, l'adoption d'une allocation distributive alternative ou complétive au salariat s'avère favorable à l’émergence de nouvelles normes sociales, et s'inscrit par là même dans une volonté d'élaboration d'un nouveau

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projet de société.

Le deuxième courant théorique, qui se trouve "homogénéisé" dans la volonté l'élaborer un projet de société alternatif, est amené à rechercher des causes plus profondes à l'exclusion que les rigidités de marché ou les insuffisances de la protection sociale. L'évolution du mode de production et notamment l’intensification ou pour le moins la prolongation du mouvement de substitution du capital technique au travail humain, est souvent tenu pour responsable d'un excédent structurel de l'offre de travail par rapport à la demande des entreprises. La société salariale serait en quelque sorte victime d'une inversion du régime de rareté : de la rareté des biens et services l'automatisation du processus de production nous aurait fait passer à un régime de rareté de l'emploi salarié. Cette inversion, assimilable à une résolution du problème économique, priverait ainsi l'humanité de sa finalité traditionnelle de lutte contre l'avarice de la nature. Nous aurions alors à craindre - sans adaptation de notre mode de développement et de nos normes socio-économiques - de sombrer dans une "dépression nerveuse universelle9" (J.M. KEYNES - 1930).

Pour être parfaitement complet, et éviter de conclure trop rapidement à l'entrée dans une ère d'abondance et à la perte du sens du travail dans cette nouvelle ère, il faut s'entendre sur le terme rareté du besoin d'emploi. Pour ce faire, nous pouvons reprendre la définition du chômage technologique donnée par J.M. KEYNES qui est un chômage relatif au fait "... que nous découvrons des moyens d'économiser de la main-d'œuvre à une vitesse plus grande que nous ne savons trouver une nouvelle utilisation du travail humain". Cette "nouvelle" donne technico-productive ne signifie ni la perte de sens du travail, ni sa disparition prochaine, mais que sa productivité s’accroît, sans que l'on assiste à une augmentation suffisante du niveau de production pour permettre la pleine utilisation du volume de travail rendu disponible. Ainsi, faute de pouvoir accroître suffisamment le volume de production10, la substitution du capital au travail engendre, parallèlement à la réduction du besoin d'emploi, une réduction des revenus distribués sous forme salariale. Dans la société duale, cette réduction prend la forme de l'exclusion du système productif d'une partie de la population active. La réduction salariale globale affecte la minorité des "sans travail", "sans salaire" et "sans garanties" liées à l'emploi salarié.

9 En 1930, dans un article intitulé "Perspectives économiques pour nos petits enfants", J.M. K eynes pensait que le problème économique fondamental devait être résolu d'ici cent ans, cela en l'absence de grandes guerres ou d'importants progrès démographiques. Il est par ailleurs intéressant de souligner le sens donné par Keynes à l'expression "dépression nerveuse universelle" et de voir combien cette situation de désoeuvrement est éloignée de l'actuelle crise traversée par la société. "Nous avons déjà, sur une petite échelle, quelque connaissance vécue de ce que je veux dire [par dépression nerveuse universelle] : une dépression nerveuse comme celle dont souffrent dès à présent de nombreuses femmes mariées appartenant aux classes les plus aisées d'Angleterre ou des États-Unis. Ce sont de malheureuses fem m es que la richesse a privées de leurs tâches et occupations traditionnelles et qui ne trouvent plus assez amusant de faire la cuisine, le ménage et le ravaudage maintenant que la nécessité économique ne leur est plus un aiguillon, mais qui sont pourtant totalement incapables de trouver quoi que ce soit de plus amusant... Ainsi, pour la première lois depuis sa création, l'homme fera- t-il face à son problème véritable et permanent : comment em ployer la liberté arrachée aux contraintes économiques ?" (J.M K E Y N E S - 1990, p. 135-136)

Cette insuffisance du niveau de production n'est pas inhérente à la situation de saturation des besoins annoncée par Keynes. Il su ffit pour s'en convaincre d'observer l'accroissement des situations de pauvreté dans l'ensem ble des économies développées et la persistance de la misère dans les pays du tiers monde.

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Partant de ce constat, "exclure l'exclusion” conduit soit à mettre en cause l'exclusivité distributive du salariat par distribution d'une allocation universelle, soit à faire en sorte que son statut s'applique à tous par partage du travail.

a. Allocation universelle et libre activité : recherche de cohérence au delà de la norme salariale

Yoland BRESSON, chef de file du courant "participationniste" est partisan de la première solution. Le passage de la valeur travail à la valeur temps permettrait selon lui de distribuer à chaque individu d'une même société un revenu inconditionnel, versé "parce que l'on existe" et non pas, à la différence des dispositifs de revenu minimum existant, "pour exister". La modification des conditions de production, la raréfaction du statut salarial, ainsi que l'impossibilité de faire un lien entre productivité individuelle et rémunération individuelle, rendraient nécessaire la rupture du lien existant entre travail et revenu (Y. BRESSON - 1991). Le minimum de revenu nécessaire non seulement à l'existence mais aussi à la participation à la vie sociale doit être obtenu en dehors de toute obligation de travailler . Il s'agit ainsi d'éviter le radicalisme actuel, où la transgression du droit au travail11 - l'exclusion économique - s'accompagne d'une perte complète de ressources, de droits et par là même d'appartenance sociale.

Le courant participationniste est rejoint dans ses revendications en faveur d'une allocation universelle par les partisans de l'économie solidaire favorables au développement de l'économie non- marchande. Ce revenu, déconnecté de l'obligation de travailler, permettrait le développement des activités de solidarité et la substitution tant individuelle que sociétale de la pleine activité au plein emploi (B. EME & A. CAILLE -1996)

b. Revenu de citoyenneté et partage du temps de travail : recherche de cohérence autour de la norme salariale

Selon les partisans du partage du temps de travail, la reconnaissance de l'existence sociale par l'obtention d'un revenu social, est nécessaire mais non pas suffisante (A. GORZ - 1988). En effet, elle n'apporte aucune garantie quant à la répartition du pouvoir et du statut social lié à l'exercice d'un travail salarié. Ainsi, le mode de distribution du revenu à élaborer ne doit pas être indépendant du travail mais de "sa durée socialement nécessaire". Le revenu minimum apparaîtrait alors comme un moyen de partage du temps de travail dans un univers de raréfaction de l'emploi (G. AZNARD - 1993). Ce dernier prendrait la forme d'un "revenu social" versé aux individus en contrepartie de la baisse du revenu d'activité due à une diminution généralisée du temps de travail. L'innovation en matière de distribution du revenu permettrait à la fois de répondre aux nouveaux besoins de gestion de

' * V o ir à ce sujet la réflexion menée par de J.M H A R R IB E Y sur la conséquence en matière de justice de l'actuelle substitution du droit à l'allocation universelle au droit fondamental au travail. " L ’objet de l'équité est détourné : ce n’est plus l'égalité devant le droit fondamental qui est considérée com m e essentielle, c'est l’éga lité devant le palliatif" (J.M H A R R IB E Y - 1996, p. 195)

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la main-d'œuvre - flexibilité, formation de haut niveau -, mais aussi de tirer pleinement profit de l'accroissement de la productivité, en répartissant sur l'ensemble de la population les économies en main-d'oeuvre que la nouvelle technologie génère.

2. Le R M I en question : une pratique rawisienne de la justice ? un outil distributionniste ? un outil de "gestion" de l'exclusion ?

Malgré le vif débat théorique relatif à la question du revenu minimum dont nous venons de donner les lignes de force, la loi sur le RMI a fait l'objet le 1er décembre 1988 d'un vote unanime à l'Assemblée nationale. Ce consensus politique vient exclusivement du fait que le débat préliminaire à l'adoption de la loi a été placé sous le signe de l'urgence d'intervention, et non pas sur des questions cruciales telles que la réforme du système de protection sociale ou bien encore la déconnexion du droit au revenu du devoir de travailler (J.M. BELORGEY & J. DONZELOT - 1988). En effet, aux origines du RMI, on trouve des rapports sur la progression de la pauvreté en France - Rapport G. OHEIX de 1980, Rapport du père J. WRESINSKI de 1987 ainsi que la médiatisation du thème de la pauvreté par COLUCHE et l'ouverture des "Restaurants du coeur". Devant l'urgence d'intervention et les échéances électorales12, le débat théorique, démocratique et politique relatif à l'adoption d'un revenu minimum a été différé. Une commission d'évaluation est chargée par le législateur de la constitution d'un rapport sur le fonctionnement du RMI au cours des trois années qui ont suivi sa création. Ce rapport doit servir de base de réflexion, pour alimenter cette fois-ci le débat théorico-politique lors du réexamen de la loi par le Parlement prévue originellement en 1992. A posteriori, il est à remarquer que le dispositif du RMI fut reconduit dans ses fonctions, sans modifications majeures par la loi du 29 juillet 1992, entérinant ainsi la réalité de l'exclusion et celle du dualisme social.

Le consensus primant sur la réflexion de fond, le RMI est un dispositif "ambigu" - pour reprendre le terme employé par R. CASTEL - 1996 - qui ne tranche aucune des questions de fond relevées dans l'examen des conceptions théoriques du revenu minimum.

Ainsi, la question de la substitution du RMI à d'autres aides existantes a été éludée par le caractère complétif et supplétif de l'aide et des droits octroyés, cela permettant de désarmer la critique des courants de gauche qui, traditionnellement, voient dans le Revenu minimum le "cheval de Troie" de l'éthique libérale et la mort annoncée de l'Etat-providence.

De même, la question de l'inconditionnalité du Revenu minimum a été contournée, l'aide étant subordonnée non pas à l'acceptation de toute activité proposée mais, ce qui constitue l'originalité du dispositif français, à un engagement d'insertion contractuel et réciproque des allocataires et de la collectivité. Ce contrat d'insertion est de nouveau suffisamment ambigu pour que des tendances

En effet, la création d'un revenu minimum avec une mission d'insertion fait partie de la déclaration d'intention - La lettre aux Français - de F. M IT T E R R A N D , candidat aux élections présidentielles.

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opposées y trouvent leur compte. Les "workfaristes13", attachés à défendre le lien de proportionnalité existant entre travail et revenu, peuvent voir dans ce dispositif une possibilité d'activation des indemnités de protection sociale et un moyen de flexibilisation de la main-d'oeuvre, alors que les "solidaristes" pouvaient l'amalgamer à un projet de valorisation de l'économie solidaire et d'opposition à l'hégémonie de l'économie de marché.

Enfin et surtout, une ambiguïté profonde plane quant à la finalité du RMI. Dans un contexte d'accroissement de la pauvreté, de fort taux de chômage, de mondialisation de l'économie et de "mutation" technologique, la mission assignée au dispositif n'est pas explicitement arrêtée. On ne sait pas si le RMI est un revenu assistanciel chargé d'intervenir après structuration de l'exclusion dans un but de "gestion sociale de l'exclusion", ou bien s'il s'inscrit dans un projet plus ambitieux d'intervention sur la structuration de l'exclusion.

Les deux premières "ambiguïtés" du RMI peuvent être tranchées par confrontation du dispositif aux deux grandes approches théoriques du revenu minimum - "libérale" et "solidariste" - esquissées précédemment. Nous nous servirons des conclusions de ces analyses pour trancher l'ambiguïté fondamentale planant sur les finalités du RMI et esquisser des perspectives d'évolution de ce dispositif.

2.1. Le RMI : un "roi mage", porteur d'un nouveau principe de justice, au berceau d'un système libéral de protection sociale.

Conformément aux apports de la théorie de la justice de John Rawls, le RMI répond aux attentes et aux besoins des plus démunis non pris en compte par les arbitrages de marché14. Cette politique n'a pas pour objet une lutte systématique contre les inégalités relatives. Elle se propose à l'inverse d'aménager les inégalités afin de maximiser les avantages socio-économiques des plus défavorisés. Un tel arbitrage entre inégalité de traitement et justice doit se faire selon une certaine procédure, afin que la redistribution pratiquée ne s'accompagne d'aucune restriction des principes prioritaires de justice, que sont l'égalité des chances et le droit à une égale liberté.

Dans ses prétentions, le RMI est bien conforme à la valorisation rawlsienne de la citoyenneté des plus démunis. En effet, par octroi d'un minimum de ressources aux plus pauvres, et réaffirmation de leurs droits sociaux fondamentaux - droit au logement et droit à la santé notamment - il concourt au respect de la dignité humaine et se montre favorable à la valorisation des libertés réelles15 des plus

13 Par opposition ou courant "W elfariste", courant en faveur du travail obligatoire et de l'activation des dépenses de protection sociale.

*4 "... la détermination du revenu total sur la seule base de la concurrence [. . . ] ignore les besoins et l'exigence d'un niveau de vie correct" (J. R A W L S - 1987, p. 317)

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démunis.

Sans remettre en cause l'incontestable utilité16 du RMI, il est possible de formuler deux types de critique à son encontre : d'une part, il transgresse en plusieurs points les principes de justice mis en avant par J. RAWLS et d'autre part, il s'inscrit dans une logique de protection sociale "libérale" qui risque de conduire à la disparition du "monopole de Sécurité Sociale”.

a. Le RMI, une pratique incomplète de la justice rawlsienne ...

Dans sa pratique, le RMI est une mise en application incomplète du "maximin17" rawlsien car ce dispositif transgresse en plusieurs points les principes prioritaires de justice que sont l'égalité des chances et plus fondamentalement celui de liberté18.

En ce qui concerne le principe d'égalité des chances, les allocataires ne bénéficient pas d'une égalité formelle et réelle des chances, cela étant relatif à l'exclusion du dispositif des moins de 25 ans, à une pratique d'insertion fortement dominée par l’offre locale19 qui génère d'importantes inégalités d'accès et de traitement ainsi qu'au caractère différentiel de l'allocation qui enferme les bénéficiaires dans une "spirale assistancielle", ce qui limite leurs possibilités individuelles d’accès au travail20.

En ce qui concerne la transgression du principe de liberté, la condition introduite par l'obligation d'insertion, ou pour le moins de signature d'un contrat d'insertion, constitue une restriction des libertés individuelles. Les personnes démunies, pour accéder au minimum de revenu leur permettant de s'insérer dans la société, doivent se soumettre à un contrôle administratif21. Cette perte d'intégrité est renforcée par le fait que l'entreprise de socialisation est adressée aux seules

en droit.

16 Les chiffres parlent d’eux-mêmes : on dénombrait près de 900 000 allocataires en métropole fin 94, soit près de 2 millions de bénéficiaires.

17 Un des principes de justice, qui, selon J. R A W L S , ém ergerait d’une redéfinition du contrat social sous vo ile d ’ignorance. Ce principe vise, com m e son nom l'indique, à m axim iser la situation de ceux qui ont le moins, sous contrainte de richesse nationale et de respect des libertés fondamentales

18 Nous reprenons ici les grands axes développés in ML e revenu minimum d'insertion : de la philosophie politique à l’analyse économ ique” (D . G O U JO N - 1992)

19 Les écarts d’insertion entre départements sont très importants, ce qui génère une importante inégalité des chances : alors que le taux de signatures de contrats d ’insertion est de 47 % au niveau national, les d ifféren ces selon les départements vont de 1 à 7 (M . R A Y M O N D - 1995).

20 Versé sous une form e assistancielle le revenu minimum s'accompagne d’une limitation d’accès, par désincitation au travail, aux différents statuts sociaux ( R V A N P A R U S - 1988). Il est à remarquer que la conditionalité du R M I à la signature d ’un contrat d ’insertion permet théoriquement de lever cette transgression du principe d ’égalité des chances. ~ * L e constat important à faire c ’est qu’à l’heure actuelle la pluralité des pratiques dont on parlait semble s’épuiser tant l’insertion est instrumentalisée par les sphères politiques et administratives locales. Et c ’est là où la question des liens entretenus par le R M I entre les bénéficiaires et la société reprend toute sa pertinence [...] On est dans une conditionalité qui assujettit les bénéficiaires aux pouvoirs locaux (B. E M E - 1996)

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personnes dépendantes financièrement.

Pour mettre fin à ces transgressions des principes de justice, il semble nécessaire de faire évoluer le revenu minimum vers une allocation universelle monétaire inconditionnelle. Cette proposition "real-libertarienne"22 qui va dans le sens d'un renforcement des libertés individuelles, ne permet pas d'éviter la structuration des situations d'exclusion. La suppression du volet insertion du RMI permettrait aux bénéficiaires de ne plus être soumis aux jugements ou au bon vouloir des autres, mais ils risquent d'y perdre l'intérêt, même minime, que voulait bien leur octroyer la société, ce qui conduirait à n'en pas douter au renforcement du sentiment d'exclusion. Sans obligation d'insertion, et sans action en faveur d'une modification ou redistribution de l'activité salariée, l’allocation universelle inconditionnelle risque de s'accompagner d'une marginalisation croissante des personnes éloignées de l'emploi.

b. ... pour une nouvelle logique de protection sociale

Le RMI s'inscrit dans une tendance lourde de modification des principes de justice qui sous- tendent notre édifice de protection sociale.

Sans revenir sur les origines de la protection sociale23, il est important de rappeler qu'elle n'a pas été construite dans un objectif de recherche de l'avantage individuel24, mais selon le principe d'intégration des volontés individuelles dans une volonté générale. Le système de Sécurité Sociale français est bien plus qu'une interface assurancielle à laquelle aurait recours un homo-oeconomicus faible, placé en situation d'information imparfaite. Elle est l’expression d'une volonté politique en faveur de l'égalité devant certains droits fondamentaux.

La théorie rawlsienne de la justice repose quant à elle sur une toute autre conception de l’adhésion individuelle à la protection sociale. Les individus placés sous "voile d'ignorance" sont conduits à faire un "choix rationnel de prudence". Il se prononcent en faveur d'un minimum de redistribution que Rawls nomme le principe du maximin : la maximisation, sous couvert de respect des libertés individuelles, de la situation des plus défavorisés. J. Rawls, pour réconcilier justice commutative et justice distributive, a recours à une explication "individualiste" de l'existence de mécanismes de protection sociale. Cette conception donne lieu à l'exercice d'une solidarité fortement étrangère à celle pratiquée par les systèmes de protection sociale reposant sur une conception

22 L a position "réal-libertariennc" conduit à une "redistribution permanente des ressources sous la form e d'une allocation universelle financée à l'échelle la plus vaste qui soit politiquement envisageable et fixée au niveau le plus élevé qui soit économiquement soutenable" (P. V A N P A R U S - 1990)

2-* Nous avons développe ce thème - les origines de l'adhésion individuelle à un projet de protection collective contre le risque et la distinction didactique entre les explications "individualistes" et les explications "organiques" - lors des X lllèm es journées d'économie de la santé (D. G O U JO N -1996).Un article intitulé "Régulation des dépenses de santé et politique de lutte contre l'exclusion : la fin du mythe égalitaire" sera publié dans la revue "E conom ie et société" série régulation au premier semestre 1997.

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Ainsi, sous couvert d'exclusion et de crise de financement de la protection sociale, les prestations sociales se font selon une logique rawlsienne de plus en plus sélective. On assiste donc à un affaiblissement du principe d'égalité au profit de celui d'équité, ce qui à terme pourrait conduire à une remise en cause de la protection sociale. Ainsi, sous couvert d'équité rawlsienne, d'un système chargé de réaliser l'expression collective de justice sociale, ne sommes-nous pas en train de glisser vers un marché de la protection individuelle avec "garde fou" assistanciel ?

Pour illustrer cette nouvelle philosophie du social et évaluer ses conséquences tant individuelles que collectives, il est possible de se référer au domaine plus particulier de la santé. L'instauration d'une couverture maladie "sélective" - moindre remboursement des dépenses médicales par les organismes de Sécurité sociale pour l'ensemble de la population, et remboursement intégral pour les personnes allocataires du RMI - débouche à court terme sur le renforcement du rôle joué par les organismes de protections complémentaires, celle-ci devenant un élément déterminant du recours aux soins.

Même si la grande majorité des individus ont recours à cette couverture, on peut d'ores et déjà prévoir la constitution d'une "zone d'exclusion invisible" des soins : entre la population allocataire du RMI, et la population recourant à une couverture complémentaire. Cette zone d'exclusion risque d'être d'autant plus importante qu'au-delà de l'exclusion, la précarité salariale va croissante25. Ainsi, on s'aperçoit que la mesure de valorisation de l'accès aux soins des allocataires du RMI déplace "l'épicentre de la vulnérabilité", sans pour autant résoudre le problème de l'exclusion maladie des personnes précarisées.

A moyen terme, si l'on suppose que la part de la dépense médicale laissée aux malades va en s'accroissant26, la sélectivité de la couverture maladie signifie un affaiblissement considérable de la volonté de solidarité, qui est à la base de la protection sociale. En effet, les sociétaires s'aperçoivent que leur possibilité de recours à la médecine est de plus dépendante de leurs capacités individuelles de financement ainsi que de leur prévoyance. Dans ces circonstances, la volonté individuelle de protection contre le risque prend le pas sur le principe de solidarité, ce qui est contraire au principe de fonctionnement de la Sécurité sociale. Il devient donc de plus en plus délicat d'imposer le monopole organique de la société.

24 Les formes d'em ploi précaire (contrat à durée déterminée et mission d'intérim ) représentaient en 1991 22 % des nouvelles embauches contre seulement 12 % en 1982 (D. G O U X et E. M A U R IN - 1993). Il faut rajouter à cela le développement spectaculaire des "quasi emplois" (CES, C R E , Stages etc...) qui ont concerné en 1992 un peu plus de

1,9 millions de personnes (M IN IS T E R E DU T R A V A I L - 1993).

26 L a part de l'ensemble des dépenses de soins et de biens médicaux financée par la Sécurité sociale est de 73,9 % en 1995 (contre 76,5 % en 1980) et celle de l'Etat et des collectivités locales est de 0,8 % (contre 2,9 % en 1980). En revanche, la part des dépenses financées par les ménages et les mutuelles s'est accrue, passant respectivement de 15, 6 % et 5 % en 1980, à 18,5 % et 6,8 % (IN S E E - 1996).

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de l'assurance maladie27. Par conséquent, cela laisse une porte ouverte à une médecine multi-vitesses à l'américaine, librement choisie par l'individu. La protection sociale serait alors réduite à sa plus simple expression, celle de "garde fou assistanciel" chargée de gérer la population en marge de la société.

Il est à remarquer que cette perspective d'évolution vers un marché de la protection contre le risque est d'autant plus crédible que nous assistons à ce que Pierre Rosanvallon nomme un "formidable accroissement de la visibilité sociale" (P. ROSANVALLON -1996). Ce phénomène est à la fois lié à la radicalisation du positionnement social et à l'apparition de la médecine prédictive. Cet accroissement de visibilité rend l'individu moins ignorant. Dans une terminologie rawlsienne, cela signifie un déchirement partiel du "voile d'ignorance". Sachant à l'avance dans quelle classe de risque il se situe, l'individu s'associe à des personnes présentant les mêmes risques que lui. On évolue donc vers un système de "maximin corporatiste", plutôt que vers le système de "maximin social" avancé par Rawls. La levée partielle du "voile d'ignorance" conduit donc à la situation où chacun délaisse la protection sociale pour rejoindre des modes de protection privés plus avantageux. Restent en marge les personnes qui ne sont pas en mesure de s'assurer par elles-mêmes et pour leur classe de risque, ce qui laisse entière la question du financement de la protection des plus démunis.

Nous constatons que le R M I, tentative inachevée de valorisation rawlsienne des plus démunis, s'inscrit dans un projet implicite de transformation de l'édifice de protection sociale, voire de la conception de la société. Paradoxalement, alors que son objectif était de créer de la solidarité, il concourt, par affaiblissement du principe d'égalité devant les droits sociaux, à l'hégémonie des comportements individualistes et de la logique marchande.

2.2.

Le " I " de RM I, une volonté "distributionniste" de dépassement de

l'indemnisation passive de la pauvreté ? Une contrainte favorable au développement de l'économie solidaire marchande ?

Conformément aux enseignements "distri butionnistes", seul le respect de la norme du plein emploi ou sa modification dans le cadre d'un projet de société postindustrielle peuvent éviter aux plus défavorisés de sombrer dans le "non statut" de l'assistance. Le travail, indépendamment des ressources qu'il procure, est dans notre société le moyen par excellence de participation à la vie sociale. Le RMI, dans sa position de principe, se rattache bien à cette finalité puisqu'il fait de l'insertion professionnelle un objectif fondamental de la politique de lutte contre l'exclusion. Ce faisant, il doit permettre au niveau individuel le retour vers la norme salariale, et au niveau sociétal, l'évolution de celle-ci par développement des initiatives solidaires.

Toutefois, la pratique d'insertion retenue par le RMI ne présuppose pas un nouveau mode de distribution des revenus permettant pour d'aucun de modifier la place du travail dans notre société

-27 Nous en voulons pour preuve les récentes déclarations du futur patron du groupe d'assurances U A P - A X A , Claude B E B E A R , de créer des ''sécurités sociales privées" concurrentes du système actuel (L e M onde du 15 novembre 1996)

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ni le partage du temps de travail. De ce fait, l'ambition de ressocialisation des plus démunis par le travail apparaît fortement limitée28. Et ceci pour deux raisons essentielles : d'abord, parce qu'il est difficile de trouver du travail aux plus défavorisés lorsque le marché de l'emploi est en situation de chômage structurel29. Ensuite et surtout, parce que la mobilisation entrepreneurial souhaitée en faveur du dispositif d'insertion ne s'est pas révélée suffisante.

Dans ces conditions, le volet insertion se réduit à un volet traitement social du chômage, c'est-à-dire que, faute d'emplois suffisants suscités par l'économie, la politique de traitement social du chômage s'est proposée d'aller au-devant des embauches. Elle conduit les bénéficiaires de l'aide publique vers le marché parallèle des "quasi-emplois30", des emplois dits de "proximité" ou de "services aux personnes", qui placent les allocataires du RMI dans des conditions proches de l'emploi de droit commun. Cette pratique "sociale" de l'insertion professionnelle est facilitée à la fois par une réalité et par une politique fiscale.

Tout d'abord, la réalité est celle de la croissance des inégalités de revenu entre les individus. En effet, pour employer quelqu'un au niveau domestique, il est nécessaire que le salaire versé par "l'employeur" soit inférieur au salaire gagné par "l'employé", ceci en raison de l'absence complète de gains de productivité dans les services domestiques.

Ensuite, l'insertion est facilitée par une politique fiscale. Pour encourager l'emploi de proximité, le gouvernement pratique des déductions fiscales, ce qui engendre un affaiblissement du mécanisme redistributif que constitue l'impôt sur le revenu.

En matière de justice sociale, l'égalitarisme ne semble donc plus de mise puisque l'inégalité de traitement, dans une conception rawlsienne de la justice, semble améliorer le sort des plus démunis en leur procurant un emploi. Ainsi, le dualisme social est condamné dans son excès, mais non pas dans son principe. Cette nouvelle pratique du social qui consiste en fait à multiplier les activités salariées au lieu de redistribuer le travail a, nous semble-t-il, deux inconvénients majeurs.

Premier inconvénient : le RM I, associé aux différentes mesures du traitement social du chômage, est réduit, dans le contexte de pénurie structurelle de l'emploi, à se conduire comme le personnage de Sysiphe (D . G O U J O N - 1995). La dynamique du dispositif d'insertion professionnelle, nous l'avons vu, est fonction de la diversification des statuts et de l'inégalité de

28 Les conclusion du rapport d'évaluation du R M I révèlent ces limites. Le R M I a bien jou é son rôle de filet de sécurité, puisqu'en trois ans, de 1989 à 1991, 950 000 personnes ont pu bénéficier du revenu minimum. Toutefois, ce dispositif ne s'est accom pagné d'aucun bouleversement des pratiques sociales attendu, l'insertion et notamment l'insertion professionnelle ayant eu du mal à devenir une réalité concrète. En trois ans, 22,5 % de la population au R M I a eu accès à l'em ploi, en majorité aidé, seuls 8,5 % ayant pu accéder au marché du travail (P. VANLERENBERGHE-1992).

29 II est à remarquer que, lors de l'élaboration du R M I en 1988, la croissance de l'économ ie laissait présager une réduction du nombre de chômeurs et par la même la possibilité de mener à bien la politique d'insertion.

30 Expression résumant l'ensemble des formules d'emploi aidé tels que les contrats em ploi solidarité ou encore les contrat de retour à l'emploi

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revenu existante, tous deux sources de précarité. A partir d'un certain seuil, ce type d'insertion, qui dépend et engendre des sources de précarité, renforce paradoxalement le dualisme social. Il est à remarquer que la récente proposition d'activation des "dépenses passives" d'aide sociale - création des contrats d'initiative locale3’ contenue dans l'avant-projet de loi de renforcement de la "cohésion sociale" J. BARROT et X. EMMANUELLI - participe dans un but d'insertion à l'affaiblissement des statuts salariaux. Ce type de mesure semble donner raison à R. CASTEL qui, à propos des possibilités d'évolution du RMI et de dépassement de la norme salariale, confiait que ce qui lui paraissait le plus menaçant dans la situation actuelle : "c'est l'instauration au-dessous du SMIC d'un secteur de travail forcé du type du workfare américain [...], par lequel tous ceux qui ne sont pas inscrit dans les normes de la société salariale seraient obligés d'accepter n'importe quelle activité, à n'importe quelles conditions, pour pratiquement n'importe quel salaire" (R. CASTEL -1996, p. 182)

Deuxième inconvénient : par généralisation excessive des ”emplois de proxim ité”, la politique d'insertion du R M I risque de faire tomber de nombreuses activités autonomes dans l'économie marchande. Il est à craindre qu'une surexploitation économique des "nodules conviviaux" - ou lieux de vie autonome -, conduise à l'effacement des relations d'entraide ou d'auto-production qui, parallèlement à la participation productive, sont sources de sociabilité32. Dans le prolongement de cette réflexion, on s'aperçoit que le dispositif d'insertion, au lieu de favoriser le développement d'initiatives solidaires alternatives aux initiatives marchandes et étatiques, participe à leur dépérissement par dévoiement de leur finalité. Pour répondre à la mission de création d'emploi qui leur a été assignée dans le cadre de la lutte contre l'exclusion, les associations sont amenées à adopter une logique entrepreneuriale de pénétration de marché et d'expansion de l'activité qui jusqu'alors leur était étrangère. Fatalement, il arrive un moment où la logique de marché l'emporte sur le projet associatif initial33 ; les moyens - l'embauche, l'obtention de subventions, la segmentation de la demande, la communication externe, etc... - deviennent eux-mêmes finalités. Au-delà de la perte du sens, cette "marchandisation du social" a pour effet de marginaliser la demande traditionnelle34 du secteur social en la noyant dans la masse d’une demande classique de services. On risque donc à

31 "L'avant projet de loi prévoit de créer 300 000 contrats d'initiative locale (C I L ) d'ici cinq ans, dont 27 000 dès 1997. "Dans une logique d'activation des dépenses passives", ces contrats s'adresseraient aux titulaires de minima sociaux (950 000 R M I, 450 000 A S S , allocation de solidarité spécifique, et 15 000 A P I, allocation de parent isolé). Ces allocations seraient ainsi transformées en un salaire d'activité dans le secteur non marchand (em ployeurs publics ou associations)" L e M onde du 1/11/96, p. 10.

32 "V o u lo ir réduire le ch ôm age par la m ultiplication in d éfin ie des e m p lo is de serv ic e s , ce la con d u it à "professionnaliser", à "monétariser" et donc à sacrifier aux impératifs du système le peu d'activités d'autoproduction, d'auto-entretien, de don réciproque, de solidarité spontanée, qui font la richesse de la vie " (A . G O R Z - 1992)

33 Quel m eilleur exem ple prendre que celui de la vente de journaux portant sur l'exclu sion par des "exclus". Aujourd'hui, la perte du sens est évidente, l'exclu revêt le vieil habit du salarié du début du siècle, les associations sont devenues des entreprises qui se disputent un marché et le journal est un produit qui, pour mieux répondre à la demande, ne traite plus de l'exclusion mais o ffre des grilles de mots croisés et des programmes théâtraux pour occuper le "temps métro" entre boulot et dodo.

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terme, après restructuration du social, d’assister au résultat paradoxal de renforcement du sentiment d'isolement et de besoin social en situation d'abondance des emplois dits d'utilité collective.

2.3. Au-delà du RM I et de la gestion sociale de l'exclusion : une société réconciliée dans le partage du revenu et/ou temps de travail ?

Les conclusions que nous tirons de l'analyse précédente du dispositif du RMI peuvent se résumer ainsi :

- Le RMI est une tentative incomplète d'application de la théorie de la justice de J. RAWLS qui conduit du fait de son incomplétude au "marquage" des plus démunis et à leur contrôle - nécessité de se conformer à des normes socio-économiques - par les institutions.

- Le RMI suit néanmoins une conception rawlsienne de la justice fortement étrangère à notre conception de la protection sociale. A terme, on risque d'assister à la mise en place d'un système "libéral" de protection sociale, cela laissant intact le problème de prise en charge des personnes les plus défavorisées.

- Le RMI, en matière d'insertion, s'accompagne d'une nouvelle "méthodologie sociale", puisqu’il se propose de tirer profit de l'accroissement de la flexibilité salariale pour développer un "tiers secteur d'utilité sociale" réservé aux plus démunis. La politique de lutte contre l'exclusion semble donc s'accompagner d'un accroissement des inégalités salariales.

- Enfin, le RMI participe à la "marchandisation" du social et des initiatives solidaires, ce qui constitue un dépérissement du projet initial de "remaillage" du tissu social.

L'ensemble de ces conclusions montre que le RMI ne constitue pas une alternative à la crise traversée par la société salariale source de chômage et d'exclusion socio-économique. C'est néanmoins bien plus qu'un revenu d'assistance - un dernier filet de protection - se proposant de suppléer aux insuffisances de la distribution commutative du revenu par la voie salariale et de la redistribution opérée dans le cadre de la protection sociale. La conception libérale de la justice qui l'anime concourt à l'extension de la logique économique à des domaines tels que la solidarité ou la protection sociale. De plus, il participe au développement des statuts précaires et par là même à l'actuelle tendance de flexibilisation du marché du travail. Ainsi, le R M I n'agit pas sur la structuration de l'exclusion, c'est un "mode de gestion de l'exclusion". L'exclusion n'est pas enrayée mais gérée dans un but d'acceptation sociale et de prolongation du libéralisme.

Les perspectives d'avenir du RMI sont tout aussi noires. La crainte est forte d'assister à une sortie parle bas du RMI, soit vers une allocation universelle réservée aux exclus, soit vers un revenu minimum couplé à "l'acceptation obligatoire" des activités proposées. Entre stigmatisation des pauvres, travail forcé et flexibilisation de la condition salariale, la marge de manoeuvre en faveur d'une conception renouvelée de la vie en société est faible.

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Conformément au débat théorique sur le revenu minimum, il existe deux alternatives à la gestion de l'exclusion : soit l'institution d'une allocation universelle pour tous, soit le partage du temps de travail.

Ces deux utopies progressistes sont en fait très proches. Elles reposent toutes deux, comme nous l'avons montré précédemment sur l'apparent constat de la substitution de l'homme par la machine et donc sur une raréfaction du besoin d'emploi dans l'économie qui accroît le nombre de personnes victimes du chômage. Ainsi, pour lutter activement contre l'exclusion, il faut soit permettre au revenu d'être distribué selon une voie alternative à la voie salariale, soit partager le travail pour que tout le monde puisse être actif et de ce fait bénéficier d'un salaire. La grande différence entre ces deux projets porte sur la "spontanéité" du partage du travail.

Les partisans de l'allocation universelle postulent que, consécutivement à la déconnexion travail/revenu, les personnes seront spontanément amenées à modifier leur comportement face au travail. Ils profiteront de ce revenu de liberté pour réduire leur temps de travail et s'adonner à des activités annexes non marchandes. Si tel n'est pas le cas, l'allocation universelle manquera son but, et de ce fait tombera sur le même type de critiques que celles adressées précédemment au RMI.

Les partisans du partage du temps de travail se veulent plus "dirigistes", puisque le revenu minimum est conçu comme une allocation compensatoire à la diminution individuelle du temps de travail. Il n'y a pas disparition du lien existant entre travail et revenu mais relâchement de ce lien : tout le monde est appelé à travailler moins, et non plus uniquement les exclus, pour faire face à la réduction du besoin d'emploi dans l'économie. En matière de répartition d'une réduction de l'emploi dans l'économie, notre préférence va à ce scénario, ce dernier nous semblant plus à même de gérer socialement le problème de l'exclusion.

Néanmoins, le partage du temps de travail comme l'allocation universelle achoppent tous deux sur le même problème de financement. Est-on bien sûr qu'en distribuant une allocation universelle ou en partageant le temps de travail on partage l'abondance ? Ou bien s'agit-il, à l'image du RMI, d'outils de gestion d'une situation de crise ? Utopies progressistes ou modes de gestion ? En quittant l'habit du sociologue pour revêtir celui de l'économiste, et en centrant notre analyse sur le partage du temps de travail, telles sont les questions auxquelles nous nous proposons de répondre. 3. Les utopies progressistes en faveur du partage revenu/travail face à la réalité macroéconomique de son impossible financement.

Près de 20 % de la population se sent, peu ou prou, menacée d'exclusion. Il convient, dès lors, conscients de la nature commune des propositions actuelles envisagées pour gérer cette exclusion, de mettre en place une allocation compensatrice couplée ou non avec une réduction partagée du temps de travail et d'en percevoir les limites. Nous montrerons que ces propositions sont

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insuffisantes face à un phénomène de "paupérisation"35, une forme d'exclusion économique sournoise dont seules les conséquences "dualistes" sont appréhendées pour faire l'objet d'un traitement. Ainsi, la gestion sociale révèle ses limites, dés lors qu'elle ne peut, ni engager la lutte sur le terrain véritable de la pathologie - le problème de l'intégration de l'amortissement du capital fixe dans la définition du revenu -, ni trouver le financement indispensable à sa mise en place dans l'économie, le revenu étant frappé d'insuffisance du fait d'une carence anticipée de la production. 3.1. Le traitement social du chômage : un partage de richesses que le travail ne semble plus pouvoir faire naître ...

L'hypothèse de faire du R.M.I. un vecteur de partage du temps de travail illustre la commune teneur en terme de partage de richesses de ces deux projets. Le partage du travail peut, en effet, être conçu, soit directement par la réduction partagée du temps de travail, soit indirectement par le versement d'une allocation ou d'un RMI à ceux qui ne travaillent pas. Auquel cas, ceux qui ont le "privilège" d'occuper un emploi consentent un transfert d'une partie du fruit de leur travail à ceux qui n'ont pas la chance de travailler.

Ce projet représente des formes différentes d'une même perception de la réalité économique. La conjecture qui fonde cette lecture est que la teneur en emploi de la croissance à venir est nécessairement faible, donc insuffisante pour garantir l'emploi de tous et prévoit, par là même, un volet compensatoire36. Le partage plus égalitaire d'un temps de travail réduit, ainsi que le versement dans un souci de plus grande justice37 d'un revenu minimum, sont, en ce sens, imposés sur l'ensemble par les contraintes d'une production plus avare en besoins de travail et pourrait conduire à la résolution du problème par la réduction à terme du nombre des chômeurs et donc, selon la définition habituellement retenue, la résorption du chômage.

Nous qualifierons, pour notre part, ces initiatives de traitement social du chômage macroéconomique. Il ne s'agit, en fait, que de partager le chômage pour le rendre plus acceptable socialement. Accepter de partager le chômage, en voulant partager le travail, c'est implicitement tenir

35 Ce concept développé par K. M A R X prend ici une signification originale. "On comprend donc toute la sottise de la sagesse économique qui ne cesse de prêcher aux travailleurs d'accommoder leur nombre aux besoins du capital. Comme si le mécanisme du capital ne le réalisait pas continuellement, cet accord désiré, dont le premier mot est : création d'une réserve industrielle et le dernier : invasion croissante de la misère jusque dans les profondeur de l'armée active du travail, poids mort du paupérisme" (K . M A R X - 1969, p. 471)

36 L e projet concernant le versement d'allocations, ainsi que celui tenant à une réduction du temps de travail, ont en commun, soit l'ambition de rompre avec la logique d'assistance et de substituer au concept de plein em ploi celui de pleine activité, soit en conservant cette logique d'assistance de garantir "the real freedom fo r ail” (cf. V A N P A R U S ). 37 A propos des revenus minimaux à inconditionnalité forte, présentés par P. V A N P A R U S , A. C A I L L E et A. IN S E L notaient : " L a société la plus juste et la plus désirable est ainsi posée com m e celle qui rend la plus élevée possible la situation des plus pauvres en leur octroyant la plus grande liberté réelle possible" (A . C A IL L E , A . IN S E L , 1996) Reste, bien sûr, à savoir si l'unité de mesure de cette" liberté réelle" est de même nature que celle retenue pour mesurer le chômage...

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pour acquis que le travail, lui-même, est en voie de disparition38 : "..qu'on ne peut continuer à faire du travail la source principale de la création de valeur, sa mesure en même temps que la clé essentielle de sa répartition ..." (R. SUE - 1994, p.231). Or, le travail, parce qu'il est la source exclusive de toute production, ne doit pas être confondu avec la durée moyenne de son exercice, qui décroît de 038 % par an en moyenne de 1831 à 1991. La nécessité de l’instauration d'un revenu d'existence, pas plus d'ailleurs que le partage du temps de travail actuellement envisagé, ne trouvent une quelconque origine dans cette évolution historique. Par contre, il ne fait aucun doute que l'une comme l'autre de ces propositions trouvent leur financement nécessaire dans le travail de l'ensemble des agents.

Dans le cas du partage du temps de travail se pose le problème de la compensation de la réduction du temps de travail et de son financement. Si l'on exclu la compensation financière de ce raisonnement, il est évident alors que le transfert se fera logiquement d'un temps de travail transmis de ceux qui verront le leur réduit vers ceux, moins nombreux, qui bénéficieront de ce gain en temps de travail octroyé dans le cadre d'une démarche sociale. On le voit, la différence avec le cas précédent tient au fait qu'il ne s'agit plus d'un transfert d’ordre monétaire mais de temps de travail partagé. Si la logique économique semble respectée, le partage porte bien sur une valeur économique, certes mesurée en temps de travail, mais dont la concrétisation économique est monétaire, en terme donc de partage du revenu. Il s'agit d'une compensation relative de certains, encore en minorité, face à l'appauvrissement relatif des autres qui constituent la majorité. Or, d'un point de vue uniquement économique, même si les grandeurs transférées se compensent entre elles, c'est-à-dire que l'ensemble demeure au même niveau, l'appauvrissement semble l'emporter puisque la majorité s'appauvrit individuellement, réduisant ainsi cette proposition de partage du temps de travail à ce qui nous était bien apparu comme un partage du chômage. La seule victoire réside dans le recul du nombre des exclus au prix d'une exclusion générale de tous pour une partie des richesses. La carence, qui était d'abord perçue sur le plan du manque de travail à partager, mesurée en heures, est en fait réalisée par une réduction quasi générale du revenu disponible de chacun des agents et donc de la jouissance potentielle pour tous les agents, anciens chômeurs ou travailleurs au temps de travail réduit, des fruits de la production.

En fait, le travail ne tend pas à disparaître, c'est la richesse engendrée par lui qui semble manquer. Et, comme nous le rappelle Jean-Marie HARRIBEY, s'il n'est pas la clé essentielle de la répartition, il reste le créateur essentiel de la richesse : "... car le travail n'a jamais été, en système capitaliste, la clé de la répartition des richesses. C'est le capital qui est cette clé. Croire que chaque travailleur salarié n'a jamais reçu l'équivalent de son travail, est une trivialité mystificatrice" (J.M. HARRIBEY - 1996, p. 189). Dire que "la formation des revenus se détache de plus en plus de l'activité productive " (R.PASSET - 1992, p. 17) est ambigu car, macroéconomiquement, tous les

38 On retrouve ce thème dans nombre de publications récentes : D. M E D A , J .R O B IN , R. SU E , M . D R A N C O U R T , etc...

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