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Le désintéressement comme valeur de base de l'art et de son enseignement : Bergson contre Nietzsche

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Academic year: 2021

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ProQuest Information and Leaming

300 North Zeeb Raad, Ann Arbor,MI 48106-1346 USA 800-521-0600

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(3)

Le désintéressement

comme valeur de base de l'art et de son enseignement:

Bergson contre Nietzsche

Alain Savoie

Department of Culture and VaIues in Education Faculty of Education

McGill University, Montreal September2000

A thesis submitted to the Faculty of Graduate Studies and Research in partial fulfilmentofthe requirements of the

degree of Ph.O.

(4)

1+1

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0-612-69886-6

(5)

À ma compagne, Hélène, qui m'a inspiré à entreprendre ces études doctorales et m'a constamment soutenu dans ce projet.

(6)

Acknowledgments

1 am very grateful to my four thesis supervisors for their helpful advice and encouragement; especially to mymain supervisor. Dr. Boyd White. My thanks go also ta Dr. Ronald Morris and Dr. Elizabeth Wood, aU from McGill University.

1

also want to express my special thanks to Dr. Francine Gagnon-Bourget, from Université de Sherbrooke. 1owe a dept of gratitude as weil to the (<( Fonds pour la formation de

chercheurs et l'aideàlarecherche» (FCAR), which provided meahelpful fellowship.

Remerciements

Je tiensàremercier les quatres membres de mon comité d'évaluation de thèse pour leurs judicieux conseils et encouragements; en particulier, mon superviseur principal, le Dr. Boyd White, ainsi que le Dr. Ronald Morris et le Dr. Ejzabeth Wood, tous de l'Université McGiU.J'adresse un remerciement spécial au Dr. Francine Gagnon-Bourget, de l'Université de Sherbrooke. Mes autres remerciements iront au « Fonds pour la formation de chercheurs et l'aide à la recherche» (FCAR), pour leur précieuse aide financière.

(7)

Table des matières

Abstract (in english) Résumé (en français)

Introduction

Chapitre 1;

Valeurs, arts, enseignement et société contemporaine

Métaphysique et valeurs morales:

pour un enseignement élargi desartsplastiques Art, enseignement et société

Bref rappel historique de l'enseignement desartsplastiques au XXe siècles en occident

Qu'en est-il de l'enseignement de l'art dans la société actuelle

Cbapitre 2i

Modernité et postmodernitéi

Où en sont les valeurs dans la société actuelle '?

Cbapitre 3;

Nietzsche et le nihilisme:

une inspiration majeure du postmodernisme

Une critique radicale

Désintéressement ou altruisme: un acte impossible?

La

volonté de puissance L'éternel retouràl'identique

Une vision purement esthétique du monde

VII

IX 1 9 9 15 18

25

31

39

40 43 54 61 66

(8)

V

Cbapitre 4;

80

Modernité, humanisme, authenticité et Bergson

Lepostmodemisme:

81

une perception de faillite de la modernité humaniste

L'éthique de l'authenticité Fr!

Modernité, postmodemité et Bergson 94

Cballitre$: 183

Proposition d'une alternative au nihilisme: la pensée de Bergson ou

le devenir bergsonien contre le devenir nietzschéen

Fondements de la philosophie de Bergson 104

L'intuition bergsonienne 128

Ladurée bergsonienne contre l'éternel retour nietzschéen

147

L'élan vital contre la volonté de puissance 157 L'optimisme bergsonien: une philosophie moderne du sens 169 Conception bergsonienne de la momie. de l'éthique et de la spiritualité 177

Chapitre 6: 193

L'art bergsonien contre l'art nietzschéen ou l'action contre la contemplation

Deux approches de l'art: Nietzsche et Bergson 193 Bergson: modernité et postmodemité dans les arts plastiques

202

Huxley et sa singulière expérience de la durée:

210

une vision plus directe de la réalité?

Créativité artistique selon Bergson

216

Métaphysique deletranscendance etart moderne

224

Dadaïsme: le cas« Duchamp» ou l'hyper-conceptualisation

229

Refus global et peinture gestuelle: une vérité extérieureàsoi?

234

Rappelàpropos de la morale et de l'éthique 241

L'éthique créative incarnée dans l'art 246

(9)

Chapitre 7; 2S1 La démission esthétique:

l'équivalent d'une démission morale

L'art comme rencontre personnelle de l'autre 251

Lanotion de culture 258

Pour un retour à une esthétique en direction du beau 261 Un monde qui n'est pas«re-présenté » mais co-créé 271

Chapitre 8; 283

Éducation et art

Bergson, l'enseignement et l'art 283

L'effet nonnatif de l'école 292

L'art comme libérateur de l'individualité 294

Contexte général du rôle de l'enseignant

300

Art, spiritualité et éducation 303

L'éthique du désintéressement comme sens de l'art

306

Les valeurs en éducation. posmodemisme et autorité

312

Laméthode« narrative» (Storyte/Ung)

320

Copclusion 331

(10)

Abstract

Most adult human activities retlect a moral position. This thesis aims to show that art, as one fonn of human endeavour. follows suit. Consequently. art education should reflect this connection. In tbis thesis 1 make a philosophical investigation of one possible approach to art education. Furthermore, to be reflective of western society's emphasis on personal autonomy and authenticity, 1 contend thal the ooly appropriale moral stance in education shouldheintuitive, non-calculating and non-utilitarian.

ln arder to philosophically illustrate and support my position. 1 use the aesthetic thoughts of Bergson and Nietzsche and put them in opposition. This is because they exemplify two opposite conceptions of morality that currenlly penneate society. Bergson's concept of aesthetics depends upon a stance of disinteresl. Niellsche's is utilitarian. The first exemplifies a humanist orientation that supports an a1truistic morality and an aesthetics that puts emphasis on perception. This ethical position actually emerges from an active consciousness. a persona! mode of being. On the other hand. Nietzsche's stance is a precursor to one strand of postmodem thought thal rnay he described as a pragmatism oriented towards the achievement of power. This attitude excludes any possible form of disinterestedness. Indeed, Nietzseheism espouses a "noble egoism" and an irnpersonal mode of being that breeds a narcissistic and immature form of artistic creation. This is a creation that becomes a glorification and edification of oneself, albeit an impersonal self. This is a narcissistic attitude that finds an echo in sorne trends of contemporary art.

In regard to conternporary art, 1 argue that Nietzsche's influence may be seen in a deviant utilitarian moraJity that results in a scientistic and anti-aesthetic artistic current. This is a nihilistic trend evident in the work of artists such as Marcel Duchamp. As an alternative, 1 propose a Bergsonian Ifethico-aesthetic" conception of art, inspired and

encompassed by disinterestedoess as a mature pedagogical value. From this perspective, instead of a neutral attitude, we mainrain a more empathic position toward life and art. This

(11)

altruistic morality produces a responsible and sensible art - concemed with the creation of common grounds. This suggests a need for a form of creation that unfolds from what Bergson could term a« mysterious )) sentiment of obligation to bearwitness to beauty, in

(12)

Résumé

Nous conviendrons que la plupart des activités humaines, chez les personnes adultes, comportent un aspect moral, et que l'art n'y échappe pas. En ce sens, cette thèse se veut une réflexion philosophique visant à identifier un fondement moral à l'art et à son enseignement, dans la société contemporaine déjà éprise des valeurs d'autonomie et d1authenticité. J'y soutiens une approche philosophique de la morale voulant qu'elle soit intuitive, non-calculatrice et non-utilitaire. Ce sera pour moi la seule morale adéquate en éducation et dans le monde en général.

Pour philosophiquement illustrer et appuyer mon propos, je me baserai sur les pensées esthétiques de Bergson et de Nietzsche, mais en les mettant en opposition. Cela parce que justement elles exemplifient deux conceptions opposées de la morale qui traversent la société actuelle, l'une désintéressée et l'autre utilitaire. Bergson élabore une pensée humaniste soutenant une morale altruiste et une esthétique de la perception indissociable d'une éthique désintéressée. Cette éthique découle d'une conscience agissante. d'un mode d'être personnel. De son côté, Nietzsche développe une pensée subjectiviste postmodeme, sous-entendant une morale pratique qui « esthétise» le monde en fonction d'une volonté de puissance. Cela, en excluant la possibilité d'existence de toute forme de désintéressement. Il valorise au contraire un « égoïsme noble» et un mode d'être

impersonnel. La morale utilitaire néonietzschéenne engendre une dérive narcissique et immature du processus de création, comme glorification ou édification de soi-même. Une attitude qui a des échos indéniables dans l'art actuel.

En

ce qui concerne l'art contemporain, je soutiens qu'on peut justement y discerner une influence de Nietzsche; cela, à travers la nlocale utilitaire déviante qui traverse un courant scientiste anti-esthétique de l'art actuel, issu entre autres de Marcel Duchamp. Pour contrer ce que je considère comme étant une dérive nihiliste de l'art, je propose comme alternative, une conception bergsonienne «éthico-esthétique » de celui-ci, inspirée et

(13)

englobée par le désintéressement, comme valeur pédagogique mature. Conséquemment, ce n'est pas à la neutralité critique envers l'art, mais plutôt au « discernement» que nous

convie l'enseignement artistique.

La

morale altruiste que je supporte produira un art

responsable. sensé et soucieux de créer des lieux communs. Cela se fera à travers ce que Bergson pourrait appeler un « mystérieux» sentiment d'obligalion de témoigner de la

beauté, sous toutes ses formes, comme une expérience de perception justement noo-utilitaire. désintéressée, comme« présence»au monde.

(14)

Introduction

1

- - - _

....

--Le sujet de cette recherche s'est présenté à moi très naturellement à travers une démarche personnelle de création en arts visuels et en architecture s'échelonnant sur plusieurs années. Tout le discours de cette thèse aura donc pour horizon une pratique de l'art, donc un engagement particulier sur la question ne prétendant pas être philosophiquement détaché.

Il se manifestait dans mon cheminement artistique un incessant questionnement sur le sens de l'art. Une interrogation découlant de ma fascination pour l'acte créatif comme tel et une conviction profonde de sa valeur, de son importance pédagogique capitale pour les individus et la société actuelle. Toutefois, je ressentais - et je ressens d'ailleurs toujours - un certain malaise faceà un type d'art contemporain néo-dada, très conceptuel. souvent doctrinaire et élitiste de par son inaccessibilité: un art évacuant toute notion esthétique de « beauté» sensible, et cela au profit d'une sorte de beauté intellectuelle se cantonnant abstraitement dans le monde des idées. Malheureusement, la beauté sensuelle - c'est-à-dire celle que les sens perçoivent - se voit déclassée parce qu'impure. insaisissable et rétrograde. Il en ressort qu'il est maintenant presque généraJement admis que l'art contemporain vit une crise à travers ce mouvement que l'on pourrait qualifier de

« nihiliste». Un mouvement produisant un art souvent anémique ou exsangue, jouant fréquemment sur le registre de l'étrange et du moralisme. Un art dont le nihilisme n'a d'égal que la saine indifférence presque généralisée qu'il soulève dans la population actuelle, en-dehors de cercles d'érudits.

J'attribuerai donc mon malaise à ce que je considère comme un certain dérapage de l'art, surtout en arts visuels. Cet embarras m'amenaà concevoir cette thèse, non seulement comme une recherche philosophique sur le sens artistique profond. mais comme une critique de l'art et de son enseignement dans le contexte individualiste dominant de la société actuelle. Il en ressortira qu'à la lumière de la présente recherche, j'identifierai une

(15)

insidieuse mentalité étroitement « scientiste » comme un tenant principal de ce que je considère comme une certaine«dérive utilitariste»de l'art.

Parler du«sens» de la pratique artistique, c'est surtout s'intéresser aux valeurs qui sous-tendent l'art et son enseignement. Car il ne fait aucun doute, comme je me propose de le montrer dans cette thèse, que des valeurs sont effectivement véhiculéesà travers les arts visuels. Bles découlent de celles que toute la société en général adopte. Des valeurs qui définiront aussi toute la pédagogie artistique contemporaine. Toutefois, je proposerai qu'on est en droit de se demander si toutes ces valeurs actuelles sont adéquates dans un contexte d'éducation. Ces valeurs donnent-elles son sens profond à l'art et justifient-elles bien la nécessité de son enseignement?

Autrement dit, j'adopterai comme principe que toutes les activités humaines véhiculent des valeurs, comportent un aspect moral, et que justement, l'art, en tant qu'activité humaine, n'échappe pas à cette règle. Il en ressort qu'une question très pertinente à éclaircir pour la pédagogie est de savoir quelle sorte de morale l'art véhicule. Cela m'amènera entre autresàanalyser ce qu'est la morale en elle-même. pour me conduire à adopter la position humaniste d'une morale obligatoirement basée sur le désintéressement et non sur la raison pratique. Je soutiendrai donc une conception de la morale qui se caractérisera par le fait qu'elle se voudra non-raisonnée, non-calculatrice et non-utilitaire.

Appliquée au domaine de l'art visuel, je tenterai de démontrer que justement. une morale utilitaire déviante traverse un courant de l'art contemporain issu entre autres de Marcel Duchamp. Une morale pratique qui pourrait bien être la source de ce malaise soulevé par l'art contemporain. Il s'agit d'un courant qui s'éloigne de l'esthétique, pour nous conduireàune contemplation des idées au lieu d'une participation au monde.

Cette constatation m'amèneraà proposer la réconciliation de l'art et de l'esthétique, mais inspirée et englobée par le désintéressement moral. En fait, comme nous le verrons, cela aura pour effet de réconcilier l'art et l'éthique, la morale et l'esthétique. Il s'ensuivra une nécessaire préoccupation du beau et du bien. Un souci particulier qui incarne le

(16)

3

désintéressement comme valeur« adulte », et qui transfonnera toutes nos autres valeurs immatures.

En

ce sens, cette thèse se voudra une réflexion philosophique visant à identifier ce qui devrait constituer la valeur morale fondamentale de f'art et de son enseignement. Cela, dans la société actueHe déjà éprise des valeurs d'autonomie et d'authenticité.

Ces deux valeurs sociales sont d'ailleurs étudiées par Charles Taylor (l992) dans son livre: « Grandeur et misère de la modernité» - selon un point de vue sur lequel je

m'appuierai. Taylor y analyse la mentalité de la société moderne occidentale actuelle. Il en ressort que la société contemporaine a développé une éthique de l'authenticité, en soi très positive et louable - , ne serait-ce que par le mouvement de libération de l'individu qu'elle sous-tend. Mais Taylor dénonce ce qu'il appelle les déviations narcissiques et instrumentales de l'éthique de J'authenticité - encouragées entre autres par notre société utilitariste de technologie et de consommation. L'instrumentalisme a mené au relativisme et au subjectivisme actuel caractérisant ce qu'il est maintenant convenu d'appeler le postmodemisme.

Étant donné que cette quête d'authenticité débouche sur une valorisation très forte de l'expression personnelle - une analogie certaine peut être faite entre la motivation qui, d'un côté, nous pousse àla découverte de soi par l'expression et, de l'autre côté, celle qui nous pousseàla création artistique. L'art devient une espèce de paradigme ou de modèle de l'authenticité et de l'expression humaine. de la définition de soi. de son identité.

Mais encore une fois nous verrons que l'expression artistique. pour ne pas sombrer dans cette dérive narcissique, devra être avant tout éthique. Flle s'en trouvera tout aulant indissociable de l'esthétique. En effet, l'éthique fait partie intégrante de l'art et en constitue même le fondement

En

d'autres mots, j'affirme - et je suis en cela la pensée d'Emmanuel Lévinas ( 1971; 1972) - que le sens premier de l'art est éthique, avant toute représentation réductrice uniquement axée sur la dimension expressive du soi.

Chercher àexpliquer l'émotion esthétique, le sentiment d'exaltation qui fait que le monde nous émerveille et nous émeut, nous conduit en fait, comme nous le verrons, vers

(17)

l'extériorité même. Onest mené au-delà de soi et même en-dehors de toute référence à la notion de sujet ou d'objet, vers l'essence du réel et de la perception. Comme l'écrit Marc Sherringham (1992): « de Platon jusqu'à Heidegger, la philosophie a constamment entretenu avec l'esthétique une relation privilégiée, comme si la recherche de l'essence de la vérité conduisait inévitablementà s'approcher de la définition du beau et de l'art » (p.14). C'est en effet l'essence du réel que l'art rechercherait à travers sa créativité. Il s'ensuit que tout enseignement artistique devrait embrasser cette dimension existentielle. Mais cela, au-delà d'un existentialisme nihiliste qui, suivant une tendance instrumentale postmodeme de la société actuelle, semble avoir déjà envahi une certaine pédagogie de l'art. Cela m'amènera à réévaluer l'unidimensionnalité d'une perception artistique qui demeure souvent, soit étroitement esthétique ou soit uniquement nihiliste par son approche. Cela selon une tendance positiviste tombant habituellement dans le moralisme, mais évacuant l'aspect éthique fondamental. Une perception qui « édifie» ou glorifie le moi, plutôt que de

creer un lieu commun porteur de sens (Lévinas, (972). Une perception réductrice qui interrogera l'essenceduréel, mais en posant un a priori de non sens, en niant tout absolu et en relativisant les valeurs morales. Je soutiendrai au contraire un élargissement de l'enseignement, vers une éthique humaniste moderne appliquée à l'art. Une éthique qui offre une direction, un sens élevé. Il s'ensuit l'idée que l'enseignement de l'art devra refléter une double dimension«éthico-esthétique » qui fonde une création artistique digne de ce nom.

En outre, tout au long de cette thèse, pour illustrer mon propos et le relierà l'art, je me baserai sur les pensées de Bergson et de Nietzsche, mais en les mettant en opposition. Cela parce que justement ces deux philosophes exemplifient deux conceptions opposées de la morale qui traversent la société actuelle - l'une désintéressée et l'autre utilitaire. Bergson élabore une pensée moderne humaniste soutenant une morale altruiste, une esthétique de la perception indissociable d'une éthique désintéressée, associée à une conscience agissante, un locus, un mode d'être personnel.

(18)

5

De son côté, Nietzsche développe une pensée subjectiviste postmodeme sous-entendant une morale pratique qui esthétise le monde comme tel. Cela en excluant la possibilité d'existence de toute fonne de désintéressement, valorisant au contraire un « égoïsme noble» et un mode d'être impersonnel.

La

morale utilitaire néonietzschéenne engendrera une déri ve narcissique et immature du processus de création, comme glorification ou édification de soi-même.

Quantàla morale altruiste bergsonienne que je supporte. elle produira au contraire unartresponsable, sensé et soucieux de créer des lieux communs sur un horizon de sens transcendantal. Cela, à travers un mystérieux sentiment d'obligarion de témoigner de la beauté, sous toutes ses formes, comme expérience de perception du monde justement non-utilitaire, désintéressée. Nous serons à l'opposé d'un art néonietzschéen actuel, un art narcissique qui s'obstine à s'édifier arbitrairement dans la solitude, sans les autres, sur fond de néant.

Cette recherche nous conduira à remettre l'art visuel dans la perspective historique actuelle de la société occidentale. Cela, dans le contexte de l'évolution globale de la modernité et surtout dans le contexte social actuel de vide de valeurs du postmodemisme néonietzschéen et de la désillusion qui l'accompagne. Car comme l'écrit Marc Jimenez (1997) :« Ce qui fascine chez Nietzsche, à plus d'un siècle d'intervalle, c'est la similitude entre les points d'ancrage de son nihilisme et le désenchantement de l'époque contemporaine: même méfiance envers les idéologies constituées en doctrines; même refus de leur prétention eschatologique, c'est-à-dire de leur volonté de définir les fins dernières de l'homme» (p. 280).

Je soutiens que c'est dans cette dernière direction nihiliste qu'une morale utilitaire déviante traverse un courant positiviste anti-esthétique de l'art contemporain. Un mouvement qui nous conduit à un détachement du monde plutôt qu'à une interrelation avec ce dernier. Je proposerai donc une conception éthico-esthétique de l'art. inspirée et englobée par le désintéressement, comme valeur pédagogique« adulte ». Conséquemment,

(19)

ce n'est pasà laneutralité~mais au discernement critique que nous convie un enseignement desartsque j'appellerai« él argi ».

Dans le contexte social existant~que je qualifierais de « pro-expressif») - àcause de la très grande valeur que notre socété contemporaine accorde à l'expression personnelle des individus (Taylor, 1992) - l'art comme matière scolaire prend une importance considérable. Il acquiert une dimension pédagogique évidente en répondant directement à ce besoin d'expression des individus. L'art devient en quelque sorte un guide d'apprentissage de l'expression de soi, menant à la libération de cette fameuse authenticité valorisée par la société contemporaine. En conséquence, je propose que l'enseignement artistique doit s'élargir, que l'éducation doit s'ouvrirà la dimension existentielle humaniste de l'art. Sans quoi, ce dernier ne fera que desservir cette déviation narcissique de l'éthique de l'authenticité dont parle Taylor. En opposition à ce nietzsehéisme actuel, je propose la pensée de Bergson comme guide humaniste.

Au-delà d'une lutte contre l'objectivisme étroit, il s'agira pour l'art, selon le bergsonisme, de suggérer une direction à travers un raffinement de l'attention à l'expérience vécue. L'art incarnera ainsi un sens éthique inépuisable et ouvert à ce besoin profond d'expression que la société véhicule et valorise. Cela en contrant cette tendance au subjectivisme radical nihiliste, une déviation narcissique et instrumentale de l'esthétique. Une déviation positiviste qui valorisera l'art-sur-l'art - l'équivalent en philosophie d'une liberté pour la liberté ou libené absolue - laquelle n'ouvre aucune autre dimension et n'offre aucune direction comme telle, aucun sensà la vie. Comme nous le verrons, ce sont plutôt les valeurs éthiques, relatiolClelles et profondes, immanentes à l'art, qui lui donnent un sens. Conséquemment, je dégagerai ces valeurs qui fondent l'art comme tel. Des valeurs qui l'ouvrent sur une dimension dépassant autant la« re-présentation» conceptuelle narcissique d'un art-sur-l'art, que l'expression statique et étroitement thérapeutique d'un art comme«outil» personnel et social.

La

dimension éthique de l'art dépasse toute conception utilitaire et nihiliste, pour embrasser une attitude artistique dynamique de création.

(20)

7

Bref, je remonterai aux sources de la motivation et de l'attitude artistique que je considère véritables, pour en extraire les valeurs humaines fondamentales qui s'y trouvent. Ainsi, je tenterai d'en faire ressortir les valeurs pédagogiques essentielles dont pourrnient bénéficier les individus et la société actuelle en général. Nous nous situerons en fait dans une position du milieu, ancrés dans la présence au monde ainsi que dans l'expérience vécue concrètement, entre l'objectivisme et le subjectivisme. Autrement dit, j'adopterai une position « anti-fondationnaliste ) très postmodeme (dans son sens néonietzschéen que je définirai plus loin), mais sans cependant aller jusqu'au relativisme extrême de ce dernier. Je propose en fait une position philosophique bergsonienne qui est qualifiée par Griffin (1993) de« reconstructive postmodern;sm ».

Très sommairement, disons que cette thèse commence par dresser un portrait historique de l'art et de son enseignement dans la société occidentale. Cela à travers une étude sociologique des phénomènes de modernité et postmodernité qui lui sont relatifs. Je tenterai de comprendre les motivations profondes des femmes et des hommes contemporains. avec en toile de fond, la valeur - telle que soutenue par Taylor(1992)

-d'une éthique de l'authenticité omniprésente et de son corollaire, une liberté se voulant absolue.

Je poursuivrai avec une étude de la philosophie de Nietzsche. laquelle aurait inspiré l'essence du postmodernisme actuel. J'étudierai ensuite la pensée humaniste et moderne de Bergson, en y faisant ressortir les ressemblances et les oppositions par rapport à la philosophie de tendance postmodeme de Nietzsche. Je continuerai en analysant les conceptions bergsonienne et nietzschéenne de l'art, lesquelles m'amèneront à étudier les fondements de l'art et de l'esthétique. Avec l'aide de Bergson, je ferai ressortir le lien qu'a l'art avec l'éthique, des valeurs qui sous-tendent le premier et lui donnent un sens profond. Ultimement, la création artistique apparaîtra comme une quête de l'essence de la réalité. Je terminerai cet essai en faisant ressortir les implications bénéfiques, en enseignement des arts plastiques, de l'assimilation d'une éthique humaniste bergsonienne.

(21)

Dans le cadre de cette thèse, ce seront surtout les pensées de Bergson et de Nietzsche que je développerai plus à fond, et qui en fonneront le coeur. Toutefois, les pensées de contemporains comme Lévinas, Ferry, Taylor, Steiner, Swanger, Nishitani, Reboul, Savater, Palmer, Maguire et Fargnoli et de plusieurs autres essayistes et philosophes actuels viendront aussi appuyer ma recherche. Ils me guideront pour approfondir la quête de sensà la vie et de son lien avec l'art.

A la lumière de ces analyses, j'essaierai d'établir la valeur et la signification de l'enseignement de l'art pour l'éducation. À partir de l'inspiration nietzschéenne nihiliste et plutôt immature du postmodernisme actuel, je suggérerai une transition vers la pensée moderne et mature de Bergson, que je considère, comme je l'expliquerai, complémentaire de celle de Nietzsche. Une pensée également basée sur l'expérience, mais donnant un sens

àla liberté, vers une généreuse et saine direction humaniste moderne.

L'imagination et l'art rendent libre. Car la richesse croissante de la perception qu'ils développent symbolise la part d'indépendance laissée au choix de l'être vivant dans sa conduite vis-à-vis des choses (Bergson, 1963b). Comme l'affirme Bergson, à des degrés variables de sensibilité, les artistes ont une qualité de présence et d'attention au réel qui élargit constamment la perception que nous pouvons en avoir. C'est pourquoi je soutiendrai que l'art constitue une discipline pédagogique qui vise et touche souvent l'essence des choses. Cela vers une richesse de sens sous-estimée, pour l'apprentissage éthique autant qu'esthétique de l'art de vivre comme tel. L'art peut nous enseigner à être présents au monde, par une synchronisation du corps sensible avec l'esprit. Comme nous le verrons, une présence consciente au monde peut donc se développer progressivement au-delà de sa fonne ordinaire utilitaire, au-delà de « l'inattention» quotidienne (Varela et

(22)

1

-Valeurs, arts, enseignement et

société contemporaine

...car 10llS {les grands écrivains10111 ell el tous 0111 cherché à II0llS do'''lerla visioll directe dll réel. dD11S des cas où II0llS Il'aperceviolls les choses qu'à travers lias conventions, II0S habitudes et lias symboles

(Bergson. 1957.p. 81).

Dans ce chapitre, j'introduirai. à travers Bergson et Nietzsche, les questions de métaphysique et d'éthique, des notions qui soutiennent en fait tout le discours que je développe dans cette thèse. J'expliquerai pourquoi je les considère indispensables à un paradigme culturel et éducatif signifiant et cela, par rapport à une mentalité actuelle à tendance postmodeme, principalement scientiste et utilitariste. Pour situer les mentalités actuelles dans un contexte historique et essayer de comprendre d'où elles nous viennent. je ferai ua bref survol de l'évolution de l'enseignement des arts plastiques au XXe siècle. pour tenniner avec des observations sur les mentalités actuelles dans le domaine.

Métaphysique et valeurs morales:

pour un enseignement élargi des arts plastiques

Pour aborder la question des valeurs en enseignement de l'art, je pars du principe qu'une pédagogie artistique est directementliéeà la philosophie qui sous-tend l'art comme tel. C'est pourquoi je propose, dans les prochains chapitres, de faire un long, mais très éclairant détour philosophique, pour comprendre les motivations profondes de l'activité artistique. Je ferai principalement appel à deux philosophes qui illustrent bien deux aspects différents du propos qui me tient à coeur, deux penseurs qui m'aideront à articuler la question. Il s'agit, comme je ('ai déjà mentionné en introduction. de l'allemand Friedrich Nietzsche(1844-1900) et du français Henri Bergson (1859-1941). Ils seront mes guides dans ce cheminement de clarification des valeurs.

(23)

Comme nous le verrons, il se trouve qu'un courant majeur de la philosophie et de l'art contemporain se veut déconstroctif ou nihiliste, un mouvement directement lié, entre autres, à la pensée de Nietzsche. J'associerai ce courant contemporain à ce qu'il est maintenant convenu d'appeler le « postmodemisme » ( un mouvement que j'explorerai dans le chapitre deux). Mais je voudrais dès à présent établir que je considère le tenne même de « postmodernisme », dans son acception étroitement déconstructive et

radicalement subjective. Cela en tant que dérivation de l'idéalisme philosophique qui mènerajusqu'à une réfutation du réalisme de la raison moderne. On peut aussi parler d'un solipsisme du postmodemisme, c'est-à-dire cette propension du sujet pensant à ne concevoir fondamentalement que lui-même comme réalité. Ce « deconsrrucrive » postmodernisme se serait philosophiquement développé en France, comme je le disais, d'après une certaine lecture de la pensée de Nietzsche. À cause de ce lien, je me propose donc d'inclure, pour l'articulation de mon sujet, une étude spécifique de la pensée nietzschéenne (voir chapitre trois). De cette pensée même, ressortira d'ailleurs un bilan négatif en terme de valeurs véhiculées - , sous-entendant une morale non seulement utilitaire, mais aussi aristocratique. Un utilitarisme que je considère particulièrement nocif pour l'enseignement des arts plastiques dans le contexte contemporain.

Je proposerai en contrepartie la pensée de Bergson - associéeàce qui est appelé le

« reconstructive postmodernism » (Griffin, 1993) - une philosophie dont je ferai également l'étude. Nous verrons que cette pensée met plutôt à l'avant-plan une morale désintéressée ainsi qu'une éthique, comme englobant toutes les activités humaines. En somme, je soutiendrai que les arts plastiques n'échappent pas à la dimension éthique et que leur enseignement doit nécessairement en tenir compte.Enopposition au nietzschéisme, ma thèse soutiendra la philosophie de Bergson, avec l'aide de nombreux auteurs qui nous sont contemporains, tels que: Uvinas, Steiner, Arendt, Taylor, Ferry, Finkielkraut, Rehoul, Maguire, Fargnoli, Palmer, Savater, Griffin, Swanger et d'autres. Ceux-ci me serviront de guide dans mon exploration de J'éthique, de l'art et de l'éducation.

(24)

Il

Nous verrons que pour Bergson, le but de l'éducation en général pourrait être ainsi résumé: « former des esprits ayant assez d'initiative et de culture pour s'adapter à

n'importe quelle tâche actuellement imprévisible » (Mossé-Bastide, 1955, p. 181). Mais surtout, cette adaptation devra être associéeàune notion d'effort et de dépassement de soi-même, obligatoirement liés à un sentiment omniprésent de réciprocité humaine. Cela correspond à peu près, selon le bergsonisme, à l'idéal humaniste appliqué à l'éducation. Je propose que cet idéal pédagogique devrait aussi soutenir plus spécifiquement, un enseignement adéquat des arts plastiques, dans lequel une éthique engloberait toujours la sensibilité esthétique.

Dans le cadre de cette thèse, je ne vise cependant pas à aller jusqu'à établir spécifiquement ce que pourrait être un programme scolaire embrassant cette philosophie. J'essaierai de m'en tenir à dégager une ligne directrice. une approche à suivre, comme prérequis essentiel à une saine pédagogie humaniste contemporaine appliquée aux arts plastiques - mais encore une fois, sans toutefois aller jusqu'à me mettre à élaborer des programmes à suivre.

Comme l'écrivait Bergson: « Quel est notre objet? Que voulons-nous obtenir? Quel genre d'homme [ou de femme) voulons-nous fonner? C'est la question essentielle à se poser en matière d'éducation ( ... ) » (Mossé-Bastide, 1955, p. ISO). Nous avons là une question qu'il est impératif de se poser en enseignement des arts, autant en ce qui concerne la création comme telle. que pour ce qui est de l'appréciation des œuvres. L'art plastique en particulier constitue un domaine artistique où la technique, le discours théorique d'un « art

pour l'art ». ou d'un art utilitariste comme simple outil social auraient souvent tendance à devenir une fin en soi. Bien sûr souvent avec beaucoup de mérites, l'art se voit catalogué utilitairement en tant que: art thérapie, art pour aider l'apprentissage des autres matières scolaires ou art pour résoudre les problèmes sociaux (Swanger, (990). Cette mentalité utilitaire est souvent aussi associée à la valorisation d'une connaissance artistique encyclopédique et d'un savoir culturel nécessairement « branché » sur l'art actuel. Mais

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cette légitime valorisation se fait cependant en négligeant souvent ce qu'est l'art intrinsèquement. C'est-à-dire que la pl upart du temps, on évacue la culture en tant que « cultura animi »~ comme fonnation et élévation de l'esprit (Harouel. (998)~ comme transmission de la civilisation.

De ce non-utilitarisme devrait découler un esprit critique~ un souci qualitatif des valeurs qui fera par exemple. qu'on se posera des questions sur la valeur pédagogique de l'art qui se fait dans la société. Bien sûr sans sombrer dans le moralisme, il en ressortira qu'on n'accordera pas d'emblée à tout ce qui se veut art. une valeur éducative sur le seul critère de son actualité. Parce que dans cecas~ on tombe dans un enseignement des arts plastiques où l'érudition prime sur la fonnation de l'esprit. C'est malheureusement un peu cette approche pédagogique à tendance postmodeme que nous retrouverons souvent aujourd'hui. Un enseignement « se voulant neutre» et libre de valeurs absolues~ surtout

basé sur l'érudition. très indulgent envers tout l'art qui se fait. Un type d'enseignement que, par exemple. Arthur Efland (1995b) propose lorsqu'il écrit: « in the current slate of

affairs an eclectic approach to an eut curriculum is mandared, in spite of the fact fhat it

invites contradiction and inconsisrency. A nonecieclic cu"icu/um is possible only when one model ofartteaching is privileged as being rrue, a situa/ion thaJ cannat exist as long as the presenl pluralism is characteristic oftheartworld» (p. 38). fiest donc en quelque sorte complaisamment sous-entendu que tout ce que le monde de l'art produit mérite l'attention des milieux d'enseignement. comme matériel de connaissance culturelle et sociale.

Un certainartest devenu science analytique, tandis que les artistes sont devenus des anthropologues, des archéologues, des historiens, neutralisant le jugement de valeur et priorisant la description sur l'évaluation. Comme nous le verrons, cela correspond à une mentalité égalitariste postmodeme et à un certain relativisme moral. Ona en fait évacué la dimension métaphysique de l'art au profit d'un scientisme, d'un utilitarisme. L'immunité à la critique (Clair. (997) - , que l'art plastique s'est abusivement donné avec une complicité politique du marché de l'art et d'institutions officielles comme les musées et les galeries

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-•

13

est donc respectée, comme autorité dogmatique inquestionnable. Bien souvent, l'enseignement même des arts plastiques se trouve POstmodeme, véhiculant ce relativisme. Mais n'est-ce pas étrange que dans le milieu scolaire, la valeur des œuvres en arts plastiques puisse en général se soustraire à une fonne de critique désintéressée, quand justement le sens critique est unanimement valorisé en pédagogie? Le sens critique à inculquer aux élèves ou aux étudiants pourrait aussi s'exprimer en art, à propos des valeurs qu'on y trouve et qui participent justement à la force de l'œuvre, intimementliéeà l'éthique qui englobe son esthétique. Est-ce que par exemple, un art nihiliste, comme celui de Joseph Beuys ou Andres Serrano en arts visuels - un art de pure provocation, tendu au-dessus de l'angoisse, replié. centré sur lui-même et son intérêt - véhicule des valeurs adéquates, optimistes ou généreuses. des valeurs de sympathie et de réciprocité tellement importantes pour la formation de futurs adultes responsables? Comme ce type d'art contemporain le laisse entendre, est-ce qu'un artiste devraitêtre uniquement jugé « sur la résonnance de sa solitude ou la qualité de son désespoirl »? Sur la qualité d'expression de son inquiétude humaine? Entendons-nous bien. Je ne fais pas ici l'apologie d'un art « moralisateur».

Tout au contraire, je propose d'extirper de l'an une connotation moralisatrice utilitariste ou compassion pratique, pour l'ouvrir à un sens élevé, à une métaphysique de la transcendance - , une approche de l'art que je veux justement clarifier dans cette thèse; une approche sur laquelle je m'expliquerai donc plus à fond en cours de développement de mon analyse.

Je remettrai donc en question la complaisance de certaines pédagogies « postmodemes », lesquelles reflètent également le positivisme que l'on retrouve souvent dans l'art actuel, comme d'ailleurs dans tous les secteurs de notre société valorisant l'utilitaire. Néonietzschéennes, ces mentalités considèrent en général la cognition en tant que telJe comme quelque chose de purement physiologique et impersonnel, un pur instinct intelJectuel abstrait et détaché de J'action (Varela et al., 1993). Defaçon très subjective, la conscience devient un réceptacle, un miroir - , le simple reflet d'une société et d'un

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contexte culturel, niant soi-disant«humblement» l'existence d'une volonté personnelle et unique indépendante. On niera donc, bien souvent sans s'en rendre compte, l'existence d'un libre arbitre et du même coup, l'existence d'une responsabilité personnelle.

Defacon réductrice, la cognition y est aussi perçue comme la « re-présentation » d'un monde extérieur, ou à l'inverse, la projection d'un monde intérieur « prédonnés » (Valera et al., 1993). Bergson (l963b) écrit plutôt que« la perception dépasse infiniment l'état cérébral [ou l'intellectualité]; [...

1

que la matière déborde de tous les côtés la représentation que nous avons d'elle»(p. 318). En d'autres mots, la perception n'est pas un simple processus instrumental de tJaitement de l'information. Elle n'est pas qu'un moyen, qu'un accessoire de connaissance culturelle et sociale en vue d'arriveràcontrôler le monde.

La

perception n'est pas qu'un instnlmentalisme donnant un être personnel qui objective le monde, ou encore à l'autre extrême, un être impersonnel qui le relativise absolument - les deux prenant une position théorique détachée du monde. Notre être et le monde seraient plutôt interreliés et tous les deux conjointement, évolueraient en constant changement créatif. Nous faisons partie du monde. Le détachement que nous ressentons par rapport à lui est purement théorique. Ce qui signifie qu'à « chaque moment

d'expérience il y a un sujet différent de l'expérience, aussi bien qu'un objet différent de cette expérience » (Varela et al., 1993. p. 110). Ce qui reflète notre capacité de réponse

créatrice, non égocentrique ou décentrée. Une capacité qui donnent justement son sens à l'art, comme fenêtre toujours ouverte sur autre chose et non comme simple miroir théorique de nous-mêmes. Je parle du désintéressement d'un artiste qui cesse de se prendre constamment lui-même pour terme et pour but (Lévinas, 1972), qui fera passer le sacré avant l'utile.

En résumé, on ne peut occulter les importants aspects métaphysique et éthique de l'art, véritables transformateurs de l'expérience, indispensables à une expérience artistique authentique, comme connaissance intuitive ou préréflexive profonde et comme direction. Un horizon qui se profile au-delà de l'expérience purement esthétique ainsi que de

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l'expression narcissique. Il en va tout autant de l'expérience et de l'expression purement intellectuelle ou utilitaire. Il en ressort qu'une occultation de la métaphysique constitue un appauvrissement de l'art.

Comme nous le verrons, l'approche métaphysique sous-tend premièrement l'idée qu'il existe des vaJeurs plus élevées que l'intérêt et le profit liés à l'utilitarisme et que, deuxièmement, ces valeurs peuvent être véhiculées métaphoriquement par l'art. Ces valeurs altruistes sont donc plus élevées que ce que véhicule une soi-disant morale utilitaire qui domine notre société de technologie et de consommation. Je soutiendrai au contraire que c'est l'inutilité, l'absence d'intérêt ultimement attaché à toutartdigne de ce nom, qui en fait prioritairement une activité hautement morale d'où se dégage l'essence de l'humain. Une inutilité qui a aussi, comme nous le verrons, un lien avec le souci du beau. Pédagogiquement, l'art bien compris se vi vra comme une expérience active de maturation de la sensibilité de l'individu, comme une approche transformatrice de son expérieru:e relationnelle concrète avec le monde, comme un élargissement de ses horizons en

interrelation avec le monde, indissociable de ce dernier. L'enseignement artistique doit se voir globaJement comme l'éducation de la sensibilitéà travers l'esthétique, une «école du regard », selon les tennes de Olivier Reboul (1992). L'éducation esthétique ainsi perçue, sera englobée par une métaphysique morale non-utilitariste. Entre autres choses, comme le soutient aussi David Swanger (1990), une éducation esthétique adéquate construira un pont moraJ, créatif et cognitif entre deux mentalités réductrices dans les arts - , c'est-à-dire, d'un côté une sorte de mentalité de « l'art-sur-l'art)) et de l'autre, celle de l'art comme

simple outil social.

Art, enseignement et société

Depuis le début du XXe siècle en Occident, l'enseignement des arts, du moins pour une classe élitiste, a en quelque sorte suivi le mouvement de l'éducation en général qui

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lui-•

même, a suivi les grands mouvements sociaux et l'art qui se développaient dans cette société. Aux États-Unis, Efland (l990b) explique que ce mouvement s'est toujours déplacé entre une tnldition scientifique rationaliste et un courant romantique expressionniste~entre deux tendances que l'on pourrait associer très grossièrement aux courants politiques de droite ou de gauche. Des courants qui pouvaient prendre la forme, soit d'un libéralisme ou d'un conservatisme. J'ajouterais, entre une vision basée sur l'individu et une vision sociétale. Efland ( 1990b)écrit:

Two disceTl'ible slreams of influence {...j have cOIlTsed Ilrrollgh Ihe history of genera/ edllcatioll. Tlle ./iTst is a traditio" of scitmlific rationalism; Ille otlzer is Ihe romalllic-expressionist stream {...j. Educalional hislory couldhe seell as ail ollgoing ideological cOlllesl belWeen liberal œil! cOllservative forces Ihat paraI/el tl,e larger social drama ill Americal' society {...j. (p.

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Le caractère de ces tendances n'était pas totalement l'une ou l'autre, mais plutôt des directions sociales et culturelles qui se chevauchaient jusqu'à un certain point. Aujourd'hui nous associons mentalement l'art contemporain avec la gauche - , quoique dans les faits, l'art d'avant-garde ait depuis longtemps été récupéré par les institutions officielles au pouvoir, puisque cetartest devenu l'art académique de notre temps. À gauche ou à droite?

Laposition n'est plus très claire. On exagère à peine en disant que l'art des beaux-arts traditionnel est dans un certain sens devenu subversif! Bien sOr, il fi'en a pas toujours été ainsi; l'art académique des beaux-arts traditionnel a longtemps servi la droite et le pouvoir.

Il faudrait aussi tout de suite établir que le tissu social est loin d'être homogène (Bourdieu, 1971). La lecture des soubresauts de l'histoire de l'éducation en art que fait Efland (l990b), du moins jusqu'à la démocrntisation réelle de l'éducation dans les années 1950-1960, brosse surtout un portrait partiel de l'évolution de la philosophie de l'éducation en art. Cela, à travers les écrits des penseurs en éducation qui ont laissé leur marque aux États-Unis, mais pas nécessairement de l'éducation qui s'est réellement faite en Occident-surtout en Europe et en Amérique du Nord. Onpeut douter que ces belles théories aient eu une influence prntique, continue et effective ailleurs que dans une classe sociale très élitiste.

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17

Bref, jusque dans les années 1960, l'art n'a certainement pas pu être accessible à toutes les classes sociales aux États-Unis et au Canada. Ce qui fait que l'on pourrait dire sans trop se tromper, que l'enseignement de l'art est resté essentiellement marginal dans notre société Euro-Américaine,jusqu'à la démocratisation d'une éducation de qualité - , ce qui s'est fait au Québecà partir de 1960.

Comme l'écrit Porcher (1971): « jusqu'à une époque récente, l'art a toujours eu, dans la société, une connotation aristocratique, comme exercice de loisir et marque d'élite

[... J,

une certaine fonne d'oisiveté distinguée » (p. 8), pour ne pas dire snob. La

connaissance des arts, pendant longtemps, n'a donc été accessible qu'à une élite, une classe sociale aisée. L'apprentissage de la perception et l'éducation du regard par le biais de l'art, pour libérer l'attitude artistique, demande en effet une disponibilité, une attention à laquelleàpeu près seuls les individus fortunés pouvaient prétendre. Le reste de la société était bien trop occupéeà essayer de satisfaire des besoins aussi primaires que mangeràsa faim, se loger ou se vêtir. L'éducation s'est simplement adaptéeà l'évolution de la situation sociale.

La

démocratisation de l'art par l'école publique s'est donc faite relativement récemment et de façon cahotique, avec l'émergence d'une classe moyenne.

Encore aujourd'hui, certains préjugés à l'égard des arts, liés en partie à son passé élitiste. restent cependant tenaces. même à l'intérieur du système d'éducation. Sa valeur et la pertinence de son enseignement doivent ainsi être constamment défendues, face à une société technologique structurée pour la production, la perfonnance et l'utilitaire. Une société pour qui l'art en soi, en général, demeure encore souvent un simple passe-temps, un divertissement sans conséquences et valeurs pédagogiques réelles (Swanger, 1990). De

plus, comme divertissement on lui préférera souvent le sport, lequel est plus performant et utilitaire - parce qu'il met en forme, maintient la santé physique, et véhicule des valeurs viriles non négligeables pour la vie en société, telles que la combativité, la compétitivité et la persévérance - , en plus d'être social et convivial.

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End'autres mots~ renseignement de l'art doit aujourd'hui combattre les préjugés liés à son passé élitiste aristocratique. Un élitisme qui s'est d'ailleurs métamorphosé mais intellectuellement maintenu, à travers l'hennétisme et l'académisme de l'art contemporain devenu très théorique, nécessitant souvent critiques et experts pour pouvoir n'être apprécié que d'une petite élite d'érudits. L'art a aussi peut-être à combattre l'image d~activité

individualiste, antisociale et narcissique qu'il projette souvent. J'ajouterais qu'en Amérique du Nord, l'art est généralement lié à la féminité tandis que le sport est associé à la masculinité. Un phénomène que l'on retrouve moins en Europe, où l'art inspire un respect à peu près général. Ce qui fait qu'un jeune garçon québécois, canadien anglais ou américain attiré parl'art~aura un préjugé sexiste de plusàcombattre!

Ceci dit, avant de poursuivre l'analyse de la société actuelle et de préciser les buts que l'enseignement des arts plastiques devrait aujourd'hui viser - faisons un bref survol historique de la philosophie de l'enseignement des arts durant le siècle et de ses principales tendances. Cela pour mieux comprendre les mentalités actuelles en enseignement artistique. Cet historique se basera surtout sur celui élaboré par Arthur Efland (l990b) aux États-Unis, lequel couvre tout le XXe siècle, ainsi que sur celui de Suzanne Lemerise et Leah

Shennan (1990; 1993), pour ce qui touche spécifiquement le Québec. À ces études touchant l'Amérique du Nord, je joindrai un bref paraIlèle avec ce qui se passait en Europe.

Bref rappel historique de l'enseignement des arts plastiques au XXe

siècle en Occidenf

Vers 1897, une tendance romantique et conservatrice en éducation artistique se manifestait aux États-Unis, en réaction au positivisme et au matérialisme d'un fon courant scientifique. Par exemple. William T. Harris définissait les arts comme un moyen de manifester le Divin dans les fonnes matérielles, susceptible d'être capté par les sens et la raison (Etland, 199Ob). Il voyait l'art comme un moyen de préserver les idéaux des

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19 civilisations passées et du génie humain. Très à droite, l'art transmettait la tradition et reflétait donc pour lui un grand respect des institutions établies et de leurs valeurs morales.

En Europe, plus spécifiquement à Paris, cette vision académique et classique de l'art était sur son déclin, en même temps qu'émergeait la classe bourgeoise. Dès 1846, la vision moderne de l'art exprimée à ses débuts par Baudelaire, commence à faire son chemin (Meschonnic, 1988).

La

notion « d'avant-garde artistique» qui suivra. très à gauche, progressiste. critique des institutions et de la morale établie, s'épanouira au début du XXe siècle en France. Mais cette notion moderne d'avant-garde ne pénétrera significativement l'enseignement public que beaucoup plus tard.

Au début du siècle en Amérique, c'est surtout une interprétation fortement positiviste et utilitariste des théories du philosophe Herbert Spencer qui commencent à influencer l'éducation (Efland, 199Ob). Il s'ensuit que tous les aspects de l'éducation doivent favoriser des bénéfices pratiques. Les éducateurs utilisent « les techniques des sciences et des affaires pour gérer les écoles de façon plus efficace en éliminant les sujets non-productifs» (p. 119). On croirait ici se voir décrire la mentalité de gestion d'entreprise appliquée aux. écoles actuelles, suite aux coupures de budget. L'art reste un sujet marginal et optionnel, parce que ne générant pas de bénéfices pratiques apparents. On lui assigne une valeur pratique comme assistante de la science, pour étudier scientifiquement la nature. L'art n'a pas de valeur en soi. parce que socialement non productif.

EnFrance, Paris devient la capitale mondiale de l'art, la ville qui attire les artistes de partout dans le monde. L'art moderne et d'avant-garde s'y épanouit à travers des artistes qui sont le plus souvent presque autodidactes. Parallèlement, commence cependant à se faire un enseignement marginal del'artmoderne. Par exemple, déjà dans les années 1890. l'atelier du peintre symboliste Gustave Moreau à l'École des beaux-arts de Paris laissait beaucoup de placeà la personnalité de chacun à travers l'expression plastique, favorisait une vision de l'art comme expression personnelle et libre. Il conseillait à ses élèves d'aller voir la nouvelle peinture qui se faisait en dehors des milieux académiques, exposée dans les

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galeries de Paris. Très controverséà l'intérieur de la très traditionnelle École des beaux-arts et marginal à cause de ses idées modernes, Moreau fonna des peintres comme Matisse, Rouault et Marquet. Plus tard en 1908, Matisse fonde sa propre académie et enseigne pendant troisan~. Il fonne jusqu'à cent-vingt élèves qui proviennent de plusieurs pays du monde. Cependant, l'enseignement académique officiel de l'École des beaux-arts restait très traditionnel et classique par rapport à l'art qui se faisait dans le Paris artistiquement bouillonnant de l'époque. Mais les mentalités commençaient à changer, dans une société qui vivait au milieu d'une explosion artistique. Par exemple, en 1907, l'état français achetait le premier Monet pour le Musée du Luxembourg.J. Cependant, même en 1926, quand le peintre québécois Alfred Pellan va à Paris pour y étudier grâce à une bourse du gouvernement du Québec, il reste abasourdi de voir le décalage entre la vie artistique trépidante, libre et d'avant-garde de Paris et l'art sclérosé traditionnel que l'on enseigne encoreà l'École des beaux-arts de cette même villeS. L'enseignement demeurait de droite, préservant les valeurs des institutions traditionnelles. Les beaux-arts étaient en fait eux-mêmes une forte institution conservatrice.

Aux États-Unis, après la première grande guerre, une éducation progressiste prenait forme, un peu en réaction au fonnalisme excessif de la gestion dite scientifique des écoles. Dewey élaborait une méthode d'enseignement pragmatique, centrée sur l'expérience de l'activité sociale de l'individu où l'école devenait une communauté d'individus qui coopéraient. Cependant, quoique de façon très pragmatique, Dewey s'inspirait de prédécesseurs. Efland ( 1990b) écrit:

{111e1an edllcalioll mosl readiJy assoc;aled wiliJ progressive edllcalioll did

nol origillale;11Dewey's I/Iolig/ll bul in Ihe writings andpraclices of Slich artists educaloTS as Harold Rllgg, AIIII SllIlIlIdJœr, and Florellce Calle ["./' T/Iemellrod was knowlI as creative self-expression.(p. 121)

Le concept artistique d'expression personnelle dérivait du romantisme, mais aussi de la psychologie freudienne. Dans les années 1920, la vision de Dewey était dominée par une vision plus psychologique, centrée sur l'individu, déjà élaborée par Caroline

Pratt

à

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21 partir de 1914. Durant la dépression économique des années 1930~ et pendant la deuxième grande guerre, l'utilisation sociale de l'art teUe que conçue par Dewey revint en force à

cause d'un besoin d'unité sociale du pays impliqué dans la guerre. Mais après 1945, l'enseignement de l'art retourna à l'idée individualiste d'expression de soi. Sir Herbert Read et Victor Lowenfeld amenèrent l'idée que l'art des enfants était universel dans sa fonne symbolique. qu'on devait le laisser se développer librement~ sans intervention sociale qui puisse brimer la vision personnelle des enfants.« The child as an artist was the

instrument of salvation for wor/d dvilization »(Efland, 1990b, p. 123).

Au Québec, Lemerise et Shennan (1993) affinnent que, de la deuxième moitié du XIXe siècle jusqu'à 1945, on ne parle à peu près que de dessin et non d'art. « Ledessin industriel et géométrique prédomine » la seconde moitié du XIXe siècle et, entre 1900 et 1945, une « conception académique du dessin s'instaure en élargissant les registres de

figurabilité» (p. 14).À partir de 1905. Charles Lefèvre, membre du Comité catholique de l'instruction publique. propose un programme de dessin qui conserve un caractère utilitaire, mais basé sur « l'observation des modèles, objets réels ou imaginés» (p. 18).

Selon Lemerise et Sherman (1993), dès 1926, Anne Savage publie un article dans « The

teacher's Magazine» parlant de la valeur de la classe d'art au secondaire. Ble mentionne qu'il y est favorisé le bon jugement, l'expression des idées, l'appréciation du dessin et de la fonne dans la nature, la sensibilité aux couleurs, l'histoire en général et l'histoire de l'art, ainsi que l'identité canadienne. Savage initie donc une approche centré sur l'expression personnelle. Mais malgré cela. avant 1945, du côté anglais et français, l'aspect utile de l'art est largement favorisé. L'autre approche valorisant l'expression de soi arrivera en force surtoutàpartir des annés 1950.

On peut donc dire que l'approche psychologique de « l'expression de soi» en enseignement de l'art, déjà amorcée ailleurs en Occident, commença très timidement au Québec, dans les années 1930 et 1940. Nous avons Anne Savage qui. à partir des années 1930, à travers ses classes d'art pour enfants des écoles anglophones, développe

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tranquillement une nouvelle approche psychologique en éducation artistique. Mais il y a aussi des artistes-enseignants comme Lismer et Brandtner, ainsi que Lemieux et Borduas qui développentàpeu près la même approche, maisà l'extérieur du système scolaire, dans des cercles très limités et assez marginaux. Comme on le sait, en 1948, Borduas a même perdu son emploi de professeur de dessin à « l'École du Meuble» de Montréal, pour avoir publié avec d'autres artistes, le sulfureux manifeste de « Refus global » (dont je reparlerai d'ailleurs dans un autre chapitre). Il s'agissait d'un éloge à la liberté d'expression de l'individu par l'art et, en même temps, une critique virulente de l'ordre social et artistique établis au Québec.

Du côté francophone, la valorisation de l'expression personnelle en enseignement artistique se serait fait plus tardivement que du côté anglophone, à cause de la main-mise conservatrice du clergé sur l'éducation publique française. Un clergé qui refoulait toute influence des nouvelles méthodes pédagogiques plus moderne et libérales venant d'Europe ou des États-Unis (Lemerise et Shennan, 1993). Une évolution marquée s'est surtout faite dans les années 1950, àtravers les classes de Irène Senécal à l'École des beaux-arts de Montréal. Senécal proposa un curriculum - influencé par Read, Lowenfeld et TomJinson - à la Commission scolaire des écoles catholiques de Montréal et de Lachine. Mais ses propositions demeuraient encore plus tolérées qu'adoptées. Le véritable déblocage se généralisa dans les années 1960 avec la naissance des associations d'enseignants en arts (Lemerise et Sherman, 1990) et surtout avec l'émergence du mouvement généralisé de la contre-culture en Occident.

En outre, c'est la féfonne et la démocratisation de l'enseignement général au Québec qu'amena la « Commission Parent » dans les années 1960, qui fit que les nouvelles théories sur l'enseignement de l'art n'étaient plus seulement accessibles qu'à une minorité sociale. En 1968 paraissait le « rapport Rioux », lequel donna, du moins en ce qui

concerne l'enseignement primaire, une nouvelle orientation philosophique à l'enseignement de l'art à travers les différents programmes d'enseignement desartsqui se sont succédés au

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23

fil des ans. Ce qui était nouveau pour leQuébec~ c'est que le rapport Rioux accordait à l'art une autonomie en tant que moyen de connaissance et matière de base6

• De plus, la

fonnation des professeurs d'art au niveau universitaire accéléra le processus d'une certaine implantation de l'art dans les écoles. Ces nouveaux spécialistes se heurtaient cependant au conservatisme des enseignants en place qui enseignaient l'art, mais dont la formation était générale, non spécialisée (Lemerise et Shennan, 1990).

Aux États-Unis, la fin des années 1950 marque le retour d'une idéologie scientifique qu'amène les succès de la conquête de l'espace.Onadonc commencé à penser l'enseignement en tenne de structure et d'efficacité.

Le

curriculum scolaire a été divisé en une hiéI'êUChie de disciplines. L'art est devenu une discipline comme telle au début des années 1960. Mais partout en Occident, incluant le Québec, le mouvement de la contre-culture s'installait dans ces années 1960. C'était une époque de contestation générale anti-conformiste et anti-establishment, prônant la valorisation de l'individu associée à un activisme social, luttant contre les valeurs établies. L'enseignement de l'art a donc suivi cette tendance de libération et on assista même à la naissance d'écoles alternatives où la créativité avait priorité.

Un mouvement américain de cette époque qui laissait une grande place aux arts dans l'école fut le« Art-ln-Education Movement ». Ila pris naissance dans des agences fédérales américaines et des fondations privées. Il prônait l'utilisation de tous les arts comme stratégie pour changer l'école en général, pour intégrer l'art dans toutes les activités de l'école. L'action, la production d' œuvres ou la perfonnance devaient prévaloir sur la contemplation. L'art et la vie devaientse confondre. L'art était perçu comme un moyen de développer la personnalité et d'améliorer la société. Ce mouvement a eu le mérite de rappeler au gens que l'art faisait aussi partie de l'école. Mais on demandait naïvement aux arts et aux artistes de régler tous les problèmes d'un système scolaire moribond (Efland,

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A

partir de 1973, un conservatisme politique refit surface: « h.vthe midd/e of 1970s much lirerature in

an

educaJion was devored to instruetiona1 objectives, competency-based teacher education, andeva/uaJion » (Bland, 1990b, p. 130). L'emphase était maintenant sur des objectifs précis d'enseignement, même en art, en réaction à tous les excès des mouvements d'expression personnelle des années 1960, qui semblaient souvent plutôt tenir du défoulement que de l'expression. Des mouvements qui allaient dans toutes les directions, sans guide ou structure précise. Mais en même temps, un autre groupe d'éducateurs indépendants des années 1970 allaient dans une autre direction. Ces phénoménologistes voulaient utiliser l'expérience vécue, la signification plus profonde de l'expérience concrète. Ces « reconceptualistes » - dont faisaient partie Macdonald, Mooney, Klohr, KJiebard, Phenix et Greene - croyaient aussi au concept de « tacit knowledge » élaboré par Polyani. On laissait entendre que la connaissance implique plus que ce qui peutêtredit en mots, en fait plus que ce dont un individu est conscient (Efland, 1990b).

They lellded10 shore the followÎllg c!uuflcteristics: they held llOtistic wlll

orgallic v;ews of people and Ilze;r ÎIllerdepelwence will! "atllre; they cOllceived 01 iluJividlla/s as agell1s ;n the construction 01 JalOwledge .. they va/lied a"d re/ied "eavi/y IlpOIl persolla/ kllow/edge; Ihey recoglli:ed pre-consciolls kllow/edge, they drew upon abroadarray of !iteratllre /rom lize IllImallities; they va/ued persollllll/ liberty

lU'"

Iliglrer /evels of COllciOllSness;

QI'"

filial/y, tlley va/lied diversity

lU'"

p/llralism.CElland, 1990b.p. 131)

À la fin des années 1970, la recherche qualitative ou « Participanr-Ohserver Research ) prenait place à côté de la recherche empirique traditionnelle. En art, Bliot Eisner«developed the idea of educational connoisseurshlpandcriticism based on methods of

an

criticism. [... ] » (Efland, 1990b, p. 131). D'autres éducateurs se servaient de l'interrogation phénoménologique appliquée à l'art, comme méthode d'analyse esthétique ou de critique d'art, d'après la philosophie esthétique d'Eugene Kaelin. Plus tard, influencé par le monde des affaires et sa notion de performance, le début des années 1980 marque le retour d'un mouvement pour l'excellence en éducation, un peu comme dans les années 1950-1960. On veut insister sur une bonne connaissance générale de l'élève, non

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seulement en mathématique et sciences, mais aussi en arts, en langues secondes et sciences humaines. En 1982, était donc fondé le« Center for &lucarion in the Arts », justement

pour tenter d'améliorer l'excellence du curriculum en enseignement des arts. C'est là qu'est :lé le« Discip/ine-Based Art Education » (DBAE), reprenant des idées des années 1960,

mais auxquelles on aura ajouté des éléments comme la production artistique, l'enseignement de l'esthétique, de la critique, de l'histoire de l'art, que Eisner et Barkan avaient déjà proposé dans les années 1960 (Efiand, 1990b; Swanger. 1990).

Pour ce qui est du Québec, les années 1980 amenèrent un mouvement « back to basics» en éducation, qui affecta grandement la place relative que l'art s'était faite dans les écoles, dans les années 1960-1970. Lemerise et Sherman ( 1990) écrivent:

The CC' bock to basics » movemenl alfecled the plac-e of art ill Ille sehools.

Art programs were cul back andjobs forartteachers were ;11jeopardy. The gains of the /960s Cl/Id Ille 1970s !lave proved 10 he ilillsory. a/utan. as dejilled by tlle advocales of the 1Il1ll1l1llistic Cl/Id crea/ive approach of the 1940s 1950s. is still seen as marginal to Ihe esselllia/ needs of society.

(p. 194)

Lorsque ce courant conservateur a sévi. l'art et sa place dans les écoles ont été systématiquement remis en question. Dans la hiérarchie des matières à enseigner, malgré la place relative qu'ils ont conquise au cours des années dans le curriculum scolaire, les arts sont quand même toujours demeurés au bas de l'échelle, ce qui fait qu'ils ont été les premiers visés par les coupures de budget des maisons d'enseignement.

Partout en Occident, les années 1980 et 1990 ont vu l'émergence en art et en enseignement, d'un mouvement social très large et mal défini. en réaction au modernisme. parallèle aux autres tendances, un mouvement qu'on a appelé postmodeme.

Qu'en est·i1 de l'enseignement de l'art dans la société actuelle?

Où en sommes-nous actuellement? J'aimerais commencer par mettre en relief le fait que le cheminement historique de l'enseignement de l'art, de l'évolution des théories qui lui

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